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COURS DE

DROIT ADMINISTRATIF DES BIENS

Licence 3 droit public

Par Dr. Prince Jaurès AGBELE


Enseigneur-chercheur
Université Jean Lorougnon GUEDE (UJLOG)-Daloa
République de Côte d’Ivoire

1
Le droit administratif des biens est une discipline qui s’inscrit dans le
prolongement du droit administratif général, une branche du droit public. Il relève du droit
administratif spécial.
Il importe de le définir, de préciser son objet et de faire un rappel historique
(section I). La notion de bien sera au cœur de ce cours. Le droit administratif des biens
n’accorde pas toujours le même traitement sémantique à la notion de bien que le droit privé. Il
faut donc chercher à saisir la notion de bien (Section II). Le droit administratif des biens
ivoirien a une particularité du point de vue de ses sources. Ce qu’il convient de voir (Section
III).

Section I : Définition, Objet et historique du droit administratif des biens

Comment définir le droit Administratif des biens ? Quel est son objet ? D’où tire-t-il sa source
en droit ivoirien ?

Paragraphe I : Définition et objet du droit administratif des biens

Le droit administratif des biens a été longtemps en quête de définition. Cependant, l’on
doit noter que le droit administratif des biens se situe dans le prolongement du cours de droit
administratif général. À partir du droit administratif général, l’on peut parvenir à déduire la
définition du droit administratif des biens. Le droit administratif des biens est au sens large cet
ensemble de règles juridiques qui régit les biens des personnes publiques. Certains auteurs
comme YOLKA préfèrent parler de « droit des biens publics »1.

Au sens strict, le droit administratif des biens est cet ensemble de règles dérogatoire du
droit commun applicable aux biens des personnes publiques. Ces règles portent sur les biens
publics. Elles encadrent l’acquisition, la protection et la gestion des biens appartenant aux
personnes publiques. L’Administration poursuivant un but d’intérêt général et bénéficiant de
prérogatives de puissance publique, elle ne doit pas être soumise aux règles qui régissent les
rapports de particuliers à particuliers. On appelle prérogatives de puissance publique celles
reconnues à l’Administration au nom de l’intérêt général et en vertu desquelles elle peut
imposer des suggestions aux administrés. Dans l’acquisition de ses biens, par exemple, la

1
YOLKA Philippe, Droit des biens publics, LGDJ-Lextenso, 2018, 160 pages.

2
personne publique peut faire recours à l’expropriation pour cause d’utilité publique, un mode
de cession forcée. Le propriétaire privé n’a pas le choix, il ne peut renoncer à la cession de son
bien immeuble dès lors que les conditions d’expropriation sont réunies. Par l’expropriation,
l’Administration met en œuvre une prérogative de puissance publique.

L’acquisition, la protection et la gestion des biens de l’Administration doivent être


encadrées par des règles spécifiques, exorbitantes du droit privé. D’où le droit administratif des
biens.

Il convient de faire l’historique de cette matière.

Paragraphe II : Historique du droit administratif des biens

Par quel bout saisir l’origine du droit administratif des biens ? À partir de quelle
époque ? À partir de l’époque précoloniale ou coloniale ? Comme l’on a vu précédemment, le
droit administratif des biens relève du droit public. Au Cameroun, un auteur a consacré une
thèse aux institutions de droit public du pays Bamiléké.2 Pour le Professeur Magloire ONDOA,
« le titre de cette thèse est assez expressif, il signifie de toute évidence qu’il y a certainement
un droit public précolonial, mais également des droits publics précoloniaux »3. Le droit public
aurait existé à l’époque précoloniale. Nous soupçonnons fortement l’existence d’un corps
spécifique de règles régissant certains biens dits sacrés dans les sociétés traditionnelles
africaines ; probablement dans les sociétés anétatiques et surtout dans les sociétés à pouvoir
politique institutionnalisé. Chez les Akans de Côte d’Ivoire et les Bamilékés du Cameroun, par
exemple, il existe des forêts dites sacrées. Ces forêts ne doivent pas être aliénées. Des auteurs
ont révélé que le principe d’inaliénabilité préexistait dans la culture des peuples africains 4 à
l’époque précoloniale. Aujourd’hui, le droit domanial ivoirien consacre la forêt sacrée.
L’article 1 du code forestier définit la forêt sacrée comme cette forêt réservée à l’expression
culturelle et ou cultuelle.5

2
KATTE KWAYEB, Les institutions de droit public du pays Bamiléké (cameroun). Évolution et régime actuel,
Paris, L.G.D.J, 1960, 199 p.
3
ONDOA Magloire, « Existe-il un droit public africain ? », in Les transformations contemporaines du droit
public en Afrique, L’Harmattan, 2018, p. 18.
4
NENE Bi Boti Séraphin, COFFI Jean-Paul, LAMARCHE Aka Aline, GAGO Niho Chelom, Le droit foncier
Ivoirien, Abidjan, CNDJ, 2016, p. 32.
5
Loi n° 2019-675 du 23 juillet 2019 portant code forestier.

3
Malheureusement, le droit traditionnel africain est essentiellement basé sur
l’oralité. Il est très difficile d’appréhender le droit administratif des biens précolonial. Par
contre, on pourrait saisir le droit administratif des biens à partir de l’époque colonial.

L’histoire du continent africain est essentiellement marquée par la colonisation. La


colonisation a une conception multidimensionnelle. Pour l’Européen, elle est une « culture des
terres en vue de leur rentabilité »6. Pour certains auteurs africains, la colonisation est
« l’utilisation du sol, de ses trésors, de la flore, de la faune et, avant tout des hommes, en faveur
de la nation colonisatrice ». Elle a également pour but de convertir les peuples à un idéal, de
leur offrir le salut dans ce monde.7 Nous comprenons aisément que la colonisation n’épargne
pas l’idée de domination politique et juridique. L’idée de « domination politique d’un État par
un autre ».8 Les territoires sous domination coloniale n’étaient pas vus comme des États
distincts de l’État colonial mais comme un prolongement du territoire de l’État colonisateur.
Ces territoires n’avaient pas de personnalité juridique, puisque, selon le Doyen Francis
WODIE, « le propre de la colonisation, c’est de faire perdre aux collectivités (…) la
personnalité juridique et la souveraineté »9. Les colons organisent territorialement10 et
juridiquement11 les portions occupées pour s’assurer d’avoir une main mise sur elles. En
Afrique de l’Ouest, il va naître l’Afrique-Occidentale française dénommée comme telle par
l’État colonisateur français. La Côte d’Ivoire faisait, par exemple, partie de l’Afrique-
Occidentale française en 1895.

Le droit administratif des biens fait irruption en colonie de Côte d’Ivoire


probablement à partir de l’année 1900, voire 1928. Un décret réglementait, par exemple, à cette
époque le domaine public. N’oublions pas que les colonies étaient régies par décret. En

6
YAO N’DRE Paul, « La maîtrise foncière de l’État en Côte d’Ivoire (1885-1985) », RID, n° 34, 1986, p. 52.
7
NENE BI Séraphin, Les institutions coloniales de l’Afrique occidentale française, Abidjan, ABC, 2015, p. 9.
8
ONDOA Magloire, « Existe-il un droit public africain ? », précité, p. 17.
9
WODIE Vangah Francis, Institutions politiques et droit constitutionnel en Côte d’Ivoire, Abidjan, PUCI, 1996,
p. 33.
10
Dans ce découpage territorial, la Côte d’Ivoire sera successivement rattaché au Sénégal (1845 à 1882), au Gabon
(1882-1889) et la Guinée française (1891-1893). Voir sur la question : WODIE Vangah Francis, précité.
11
À travers notamment l’élaboration des règles devant régir les rapports entre les hommes eux-mêmes et la gestion
de leurs biens qui appartiennent par la force des choses aux colonisateurs.

4
remplacement du décret de 1900, le décret du 29 septembre 1928 est entré en vigueur. 12 Ce
décret est toujours en vigueur en droit ivoirien.

La matière étant saisie dans sa définition, son objet et son histoire, comment saisir la notion de
bien dans la matière?

Section II : Notion de bien


En droit ivoirien, la notion de bien n’est pas clairement définie. Le Code civil indique
simplement que tous les biens sont « meubles et immeubles »13. La doctrine civiliste ivoirienne
considère que la définition du bien, perceptible dans le Code civil, est ambigüe.14

Dans le cadre de la quête d’une définition de la notion de bien, il est d’usage que l’on
qualifie de bien tout ce qui est évaluable en argent, alors qu’il existe des choses hors du
commerce.

Le bien peut se définir comme tout ce qui est susceptible d’être approprié. « Les biens
sont les choses vues sous l’angle juridique dans la mesure où elles sont appropriables. (…) les
choses ne deviennent biens que dans la mesure où elles sont l’objet de droits. »15 Toutefois, il
n’est pas exclu que l’avantage soit un critère d’appropriation d’une chose de sorte que la chose
devienne un bien « lorsque par le biais de l’appropriation, son propriétaire va pouvoir en tirer
un avantage quelconque ». Par exemple, certains auteurs rappellent que l’utilité économique
peut être un critère déterminant dans l’appropriation d’une chose afin qu’elle passe à l’étape
de bien. Pour ces auteurs, les choses sans utilité économique ne feraient pas objet
d’appropriation (cas des choses sans maître et communes)16.

12
Décret du 29 septembre 1928, portant réglementation du domaine public et des servitudes d’utilité publique
(modifié par décrets du 7 Septembre 1935 et du 3 Juin 1952), in JO. AOF, 1928, p. 783.
13
Cf. C.civ, art. 516.
14
SORO El Hadj Fangnigué et BONY Serge, Droit des biens, 13e éd., Abidjan, ABC, 2013, p. 179.
15
Ibid.
16
Ibid., p. 179 à 180. « Les choses sans maître sont des choses qui ont peut-être été appropriées un jour ou qui le
seront peut-être plus tard, mais qui, à un moment donné, n’appartiennent à personne, le gibier, les poissons, ou
des choses perdues ou abandonnées par leur maître. (…) Les choses communes sont des choses qui existent en
quantité suffisante pour qu’il n’y ait pas intérêt à disposer sur elles d’un droit privatif. Il s’agit par exemple de
l’air qu’on respire ».

5
Il existe une classification commune des biens, qu’ils ressortent du droit privé ou du droit
public (paragraphe I). Mais, cette réalité n’empêche pas de remarquer, au regard du droit public
domanial, qu’une une classification des biens est possible (Paragraphe II).

Paragraphe I : La classification juridique commune des biens


La summa divisio n’est pas synonyme de divorce entre le droit privé et le droit public. Il
arrive de constater en droit des biens que le droit privé et le droit public se joignent. Toutefois,
cela n’est que superficiel. Au niveau de la classification des biens, l’on trouve une méthode de
classification commune au droit privé et au droit public. Le droit privé et le droit public
distinguent les biens immeubles (A) des biens meubles (B).

A. Les biens immeubles

Que ce soit en droit privé ou en droit public, l’on peut percevoir que certains biens sont
qualifiés d’immeubles. En vertu du Code civil ivoirien, « les biens sont immeubles, ou par
nature, ou par leur destination, ou par l’objet auquel ils s’appliquent »17.
Un bien immeuble est un bien qui, une fois fixé, ne peut être déplacé. On dit qu’un tel
bien est immeuble par nature « dès lors que le dispositif de liaison d’ancrage ou de fondation
révèle qu’il ne repose pas simplement sur le sol et n’y est pas maintenu par son seul poids,
même s’il s’agit de constructions légères et temporaires »18. La définition donnée par la
jurisprudence est d’une importance capitale. Un bien immeuble par nature est donc celui qui
se confond au sol, il se trouve incorporé au sol, indépendamment de son poids. Par conséquent,
sa confusion au sol le rend fixe. On ne peut le détacher du sol sans qu’il y ait un impact sur la
portion du sol sur laquelle le bien est fixé. C’est le cas des poteaux électriques de la Compagnie
Ivoirienne d’Électricité (CIE) qui supportent les câbles électriques. En effet, ces poteaux se
trouvent incorporés au sol avec lequel ils adhèrent profondément.19 Les arbres, les végétaux,
etc., sont des biens immeubles par nature.

Les biens immeubles par destination sont des biens qui deviennent immeubles parce qu’ils
sont greffés à un bien immeuble. Ils deviennent immeubles en raison de leur destination. C’est
le cas d’une porte qui, initialement, est un bien meuble, déplaçable, et qui se greffe à l’entrée

17
C.civ., art. 517.
18
Com, 10 juin 1974, in Bull.Civ. IV, n° 183.
19
Civ, 4 mai 1937, DH, 1937, p. 471, notes : SORO El Hadj Fangnigué et BONY Serge, Droit des biens, op. cit.,
p. 182.

6
d’une maison, bien immeuble. Dès lors que la porte est greffée à la maison, elle devient un bien
immeuble, elle s’immobilise ou n’est plus déplaçable. « Les objets que le propriétaire d’un
fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination »20.
Techniquement, l’on doit remarquer que :

 Bien immeuble par destination= bien meuble par nature + bien immeuble par nature.
À l’analyse, il y a un élément matériel et un élément psychologique qui créent le bien
immeuble par destination. L’existence objective d’une propriété unique est l’élément matériel
et la volonté d’immobiliser le bien meuble en le greffant à la propriété est l’élément
psychologique. Pour la doctrine, les biens immeubles par destination sont caractérisés par la
double condition de l’unité de propriété et la volonté du propriétaire.21

La volonté du propriétaire dans la constitution d’un bien immeuble par destination se


décline en deux volontés. D’une part, nous avons la volonté de donner une destination
(agricole, industrielle, commerciale, civile, etc…) et d’autre part, la volonté d’immobilisation :

 Volonté du propriétaire= volonté de destination+ volonté d’immobilisation.

Le bien peut être immeuble du fait du caractère immobilier de son objet. « Sont immeubles
par l’objet auquel ils s’appliquent : l’usufruit des choses immobilières ; les servitudes ou
services fonciers ; les actions qui tendent à revendiquer un immeuble »22. À ce niveau, le
législateur confond le bien au droit que l’on a sur le bien. Les biens immeubles selon l’objet
sont les droits réels immobiliers, les actions en revendication d’un immeuble et les droits de
créances immobilières.23

Un occupant privatif peut réaliser un ouvrage à caractère immobilier sur le domaine public.
Les personnes publiques ont également dans leur patrimoine des biens immeubles. Par
exemple : Le Pont Henri Konan BEDIE est un bien immeuble appartenant à l’État.

20
C.civ., art. 524.
21
SORO El Hadj Fangnigué et BONY Serge, Droit des biens, op. cit., p. 183.
22
C.civ., art. 526.
23
SORO El Hadj Fangnigué et BONY Serge, Droit des biens, op. cit., p. 187.

7
En termes de classification classique, les biens, en droit privé comme en droit public,
partagent les mêmes caractéristiques de biens immeubles. Il peut en être de même pour les
biens meubles.

B. Les biens meubles

Le Code civil ivoirien invite à distinguer le bien meuble par nature du bien meuble par
détermination légale. « Sont meubles par nature les corps qui peuvent se transporter d’un lieu
à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, comme les animaux, soit qu’ils ne puissent
changer de place que par l’effet d’une force étrangère, comme les choses inanimées »24.

La légalité assimile certains droits et obligations à des biens meubles. Il s’agit, entre
autres, des obligations et actions qui ont pour objet des sommes exigibles ou des effets
mobiliers, les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d’industrie
(…).25

Au même titre qu’une personne privée, les personnes publiques ont dans leur patrimoine
des biens meubles qui forment leur patrimoine mobilier.26 Remarquons que font partie des
meubles appartenant aux personnes publiques « les archives réunies ou produites par les
services placés sous contrôle de l’État, les livres et manuscrits du fonds documentaire des
bibliothèques et centres culturels d’intérêt national , et les objets d’art des collections
nationales »27.

Tous les biens meubles ne sont pas déterminés par la loi. Selon le Professeur René
DÉGNI-SÉGUI, il existe des biens meubles par anticipation qui ont été ajoutés à la liste du
code civil par la jurisprudence.28 Il s’agit de biens immeubles par nature, qui sont considérés
comme des biens meubles en raison de leur destination. C’est le cas des récoltes vendues sur
pied (orangeraie, cocoteraie)29.

24
C.civ., art. 528.
25
C.civ., art. 529.
26
Lire avec intérêt : DJAVA Ahikpa Albert, La consistance des domaines des collectivités publiques ivoiriennes,
Thèse de Droit Public, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, 2018, 514 pages.
27
Ibid., p. 147 et suiv.
28
DEGNI-SEGUI René, Introduction au droit, op. cit., p. 244.
29
Ibid.

8
Une méthode de classification commune au droit privé et au droit public permet de
catégoriser les biens. L’on doit distinguer les biens immeubles et meubles.

En dehors de cette classification, il faut reconnaître qu’il existe une classification juridique
des biens propres à la domanialité publique.

Paragraphe II. La classification des biens propre au droit public domanial

En Côte d’Ivoire, le constat est que la doctrine publiciste s’intéresse peu à la classification
des biens, contrairement à la doctrine civiliste qui en fait le point de départ de toute étude sur
le droit des biens.30 Il en est de même en droit administratif français. Le Professeur Yves
GAUDEMET fait remarquer que « la doctrine administrativiste est presque inexistante sur la
classification des biens qui ouvre en revanche, traditionnellement, les ouvrages de droit privé
consacrés à cette matière »31. On pourrait se dire que, à la suite du Professeur GAUDEMET,
l’on n’a pas trouvé la classification nécessaire parce que « la notion de bien public ne se
distingue pas fondamentalement, ni dans les principes ni dans les catégories, de celle du droit
privé »32.

Avant de saisir le contenu, pour procéder à une classification proprement dite (B), il faut
préalablement saisir le contenant la propriété publique (A).

A. La notion de propriété publique

Selon le Professeur KOBO « au sens matériel, la propriété publique, c’est l’ensemble


des biens qui figurent dans le patrimoine des personnes publiques. Dans une seconde
acception, la propriété publique désigne la relation juridique entre une personne publique et
les biens qui lui appartiennent »33. Cette définition ne s’éloigne pas de celle de Philippe
YOLKA.

30
SORO El Hadj Fangnigué et BONY Serge, Droit des biens, op. cit., p. 179 et suiv.
31
GAUDEMET Yves, Traité de Droit Administratif, Droit Administratif des biens, Paris, LGDJ- Montchrestien,
13è éd., 2008, p. 6.
32
Ibid.
33
KOBO Pierre-Claver, Droit administratif des biens, Abidjan, ABC, 2010, p. 23.

9
La seconde acception de la propriété publique n’a pas fait l’unanimité en doctrine. Les
révélations de YOLKA sur la seconde acception nous instruisent sur les controverses
doctrinales se rapportant à la propriété publique : « dans une seconde acception, la propriété
publique désigne la relation juridique entre une personne publique et les biens qui lui
appartiennent ; mais, ici encore, deux conceptions coexistent. L’une combine un élément
organique et un élément fonctionnel : est public le droit de propriété qui s’applique aux biens
des personnes publiques affectés à l’usage public ; c’est la vision classique d’Hauriou. Le
champ de la propriété publique entendue dans son sens matériel.

L’autre conception repose au contraire sur le seul critère organique : est public le droit de
propriété des personnes publiques, qui s’applique aux biens affectés ou non affectés à l’usage
public. Dans cette vision élargie, la propriété publique au sens juridique correspond à la fois
aux biens du domaine public et aux biens du domaine privé : son champ est le même que celui
de la propriété publique entendue dans un sens matériel. »34

Lorsqu’HAURIOU indique que la propriété publique est le droit de propriété exercé


par les personnes publiques sur leurs biens affectés à l’usage public, il fait allusion au droit de
propriété exercé sur le domaine public. L’on refuse de s’attacher absolument à la vision
classique du Doyen HAURIOU qui recommande une conception stricte de la propriété
publique en tant que synonyme de la propriété administrative. Contrairement à HAURIOU,
pour YOLKA « il paraît souhaitable (…) d’évoluer vers une définition purement organique de
la propriété publique »35.

YOLKA donne les raisons du privilège qu’il accorde à la conception large de la


propriété publique, sans déconseiller qu’on conçoive la notion de « propriété publique » et la
notion de « propriété administrative » comme des synonymes :

« Hauriou et de Laubadère parlaient par préférence de ‘’propriété administrative’’, mais c’est


aujourd’hui l’expression ‘’propriété publique’’ qui semble prévaloir. Il faut les considérer
comme des synonymes, et privilégier la seconde pour plusieurs raisons.

34
YOLKA Philippe, La propriété publique : élément pour une théorie, Thèse de droit public, Paris, L.G.D.J,
1997, p. 7.
35
Ibid., p. 8.

10
Cette terminologie présente d’abord l’avantage d’introduire une symétrie avec la propriété
privée, en excluant l’idée selon laquelle la propriété des personnes publiques pourrait être une
propriété privée.

En deuxième lieu, l’administration ne constitue pas une notion juridique, mais relève de la
sociologie ou de la science administrative : le droit ne connaît que les personnes publiques.
Ce choix de vocabulaire permet enfin d’inclure dans le propos les établissements publics à
caractère industriel ou commercial, que l’on ne peut qualifier d’administratifs, mais dont les
biens sont soumis aux règles de la propriété publique »36.

Le Professeur KOBO soutient la thèse de YOLKA, lorsqu’il avance que


« l’Administration en tant que telle n’est pas une personne publique, elle ne saurait donc être
propriétaire »37.

Il convient, d’emblée, de préciser que la notion de propriété publique n’est pas née de
YOLKA. Ce dernier indique par exemple qu’ « Hauriou évoquait parfois la ‘’propriété
publique’’ comme équivalent de ‘’la propriété administrative’’ »38. Toutefois, il faut
reconnaître les mérites de YOLKA qui a su donner un contenu dense à la propriété publique,
lorsqu’il en faisait un élément pour une théorie.

La doctrine civiliste ivoirienne semble avoir hérité de la conception française classique


du droit de propriété. Cette conception est toujours d’actualité.39

En droit français, contrairement à ce que la majeure partie des ouvrages de droit civil
présente, il existe deux autres conceptions du droit de propriété privée en dehors de la
conception classique. D’une part, il y a la conception moderne développée par Fréderic
ZENATI-CASTAING et Thierry REVET. D’autre part, nous avons la conception structurale
développée par William DROSS.40

La conception classique distingue, d’abord, les droits réels des droits personnels.
Ensuite, selon cette conception, le droit de propriété est composé de trois attributs : l’usus,

36
YOLKA Philippe, La propriété publique : élément pour une théorie, op. cit.,p. 6.
37
KOBO Pierre-Claver, Droit administratif des biens, Abidjan, op. cit., p. 23.
38
YOLKA Philippe, La propriété publique : élément pour une théorie, op. cit., p. 6.
39
SORO El Hadj Fangnigué et BONY Serge, Droit des biens, op. cit., p. 205-217.
40
SCHMALTZ Benoît, Les personnes publiques propriétaires, Paris, Dalloz, 2016, p. 172.

11
l’abusus et le fructus. Enfin, elle dégage trois critères de l’absolutisme qui doivent caractériser
le droit de propriété : l’absolu, le perpétuel et l’exclusif. Cette conception a été battue en brèche
par les conceptions moderne et structurale.

Selon la conception structurale de William DROSS, le triptyque classique des attributs


doit être rejeté. Pour DROSS, ce triptyque ne permet pas d’établir une distinction entre la notion
de chose et le droit de propriété. « L’analyse, bien qu’elle demeure très majoritaire, n’est pas
tenable et conduit à des impasses théoriques », écrit-il.41

Le triptyque classique de l’absolutisme tire sa source de l’interprétation de l’expression


« la manière la plus absolue » tirée du Code civil. Cependant, la question qui se pose est celle
de savoir à partir de quelle mesure une jouissance est « plus absolue ». C’est en réponse à cette
épineuse question que la doctrine classique dégage les trois caractères de l’absolutisme. Mais,
DROSS trouve un autre triptyque à l’absolutisme qui lui paraît plus pertinent. Selon lui,
« exerce une maîtrise absolue celui qui ne partage avec personne (exclusivité), celui qui peut
en principe en faire ce qu’il veut (totalité), celui enfin dont le droit n’a pas vocation à s’éteindre
par la fuite du temps (perpétuité) »42.

La conception moderne décline, quant à elle, la jouissance en deux éléments : « pouvoir


d’exclusion et pouvoir de retirer les utilités immédiates produites par la chose »43. DROSS s’y
oppose également.

Tout porte à croire que la doctrine domanialiste ivoirienne est favorable à la


retranscription de la conception civiliste classique du droit de propriété dans la domanialité
publique. En parcourant certains écrits en droit administratif des biens, l’on peut bien
remarquer que la manifestation du droit de propriété des personnes publiques sur le domaine
public répond au triptyque classique des attributs. Nous sommes favorables à cette conception.

En soutien au Professeur Maurice HAURIOU, le Professeur KOBO explique que, sur


le domaine public, la personne publique a l’usus, l’abusus et le fructus.44 En revanche, pour le
Professeur Philippe YOLKA, le droit de propriété ne peut se réduire aux attributs du titulaire

41
DROSS William, Droit civil, Les choses, n° 6, Paris, LGDJ, 2012, p. 12.
42
Ibid.
43
Ibid.
44
KOBO Pierre-Claver, Droit administratif des biens, Abidjan, op. cit., p. 20.

12
sur le bien.45 YOLKA ne réfute pas ces attributs, mais, dans le même sens que VAREILLES-
SOMMIÈRES, il préfère aller au-delà de cette conception. Il admet que la propriété « n’est
pas, dans son essence, un droit absolu et exclusif, mais simplement général, c’est-à-dire de
tirer tous les services d’une chose, sauf exception tendant notamment à des restrictions
légales »46.

Comme l’on vient de le voir, la propriété publique peut s’entendre comme l’ensemble
des biens d’une personne publique. En un mot, il s’agit de son domaine. L’ensemble des biens
d’une personne publique forme également ce qu’on appelle les biens publics. Les biens publics
sont des biens appartenant à une personne publique.

B. La classification des biens relevant de la propriété publique

Dans la classification des biens publics, il existe une distinction classique (1) et distinction
issue de la domanialité publique (2).

1. La distinction classique : domaine public et domaine privé

La propriété publique n’est pas un ensemble de bien dont la nature juridique et le régime
juridique sont homogènes. C’est par ailleurs, ce qui fonde sa particularité. Le domaine des
personnes publiques se distingue en deux grandes catégories. C’est ce que nous appelons la
distinction classique : le domaine public et le domaine privé.

Le domaine public est un ensemble de biens énumérés par le législateur et reconnus


comme faisant partie dudit domaine. En effet, l’administration coloniale opte principalement
pour une méthode énumérative dans la définition du domaine public.47 La définition
énumérative est complétée par une définition synthétique. Par la définition synthétique, le
législateur inclut dans le domaine public « les biens de toute nature que le code civil et les lois
françaises déclarent non susceptibles de propriété privée »48.

En Côte d’Ivoire, au regard du décret du 29 septembre 1928, l’administration coloniale a opté


pour la méthode énumérative et synthétique pour la définition du domaine public.

45
YOLKA Philippe, La propriété publique : élément pour une théorie, op. cit., p. 174.
46
SCHMALTZ Benoît, Les personnes publiques propriétaires, op. cit., p. 175.
47
Cf., art. 1, décret du 29 septembre 1928, portant réglementation du domaine public et des servitudes d’utilité
publique (modifié par les décrets du 7 septembre 1935 et du 3 juin 1952), in JO. AOF, 1928, p. 783.
48
Ibid. art. 1-j.

13
En droit français, la jurisprudence antérieure à notre indépendance apprécie l’appartenance
d’un bien au domaine public sur le fondement de deux critères : organique et matériel. Pour le
premier critère, le bien doit absolument appartenir à une personne publique.49 Une personne
privée ne peut pas être propriétaire d’un domaine public. Le deuxième critère est le critère
matériel. Le bien doit être affecté à l’usage direct du public50 ou à un service public en ayant
fait objet d’un aménagement spécial51. Sur ce dernier point, il faut signifier que la loi française
et la jurisprudence consacrent aujourd’hui l’expression « aménagement indispensable » en
substitution à l’ « aménagement spécial ». L’aménagement n’est rien d’autre que le fait que
l’homme ait apporté des installations ou des modifications de sorte à adapter le bien au but
auquel il est affecté. Pour le stade municipal relève du domaine public. Son aménagement est
remarquable par l’installation d’une pelouse, la construction de tribunes etc. Aujourd’hui, en
droit français, l’on est passé d’une consécration jurisprudentielle à une consécration textuelle
de la définition du domaine public. Le Code générale de la propriété des personnes publiques
reconduit les mêmes critères de définition du domaine public dégagés par la jurisprudence. Le
législateur français ajoute à cette définition conceptuelle, une autre définition fondée sur la
méthode de l’énumération pour définir le domaine public mobilier.52
En Côte d’Ivoire, l’affectation n’est pas un critère fondamental d’identification d’un
bien relevant du domaine public. Lorsque les partisans de la thèse de l’appartenance de la zone
industrielle au domaine public se fondait sur les critères dégagés par la jurisprudence française
il a plu au juge administratif ivoirien de rappeler « qu’en Côte d’Ivoire, le domaine public de
l’État est défini par le décret du 29 septembre 1928 susvisé et par des textes législatifs ; que
les Zones Industrielles ne figurent pas dans l’énumération résultant de ce décret ; qu’aucun
texte législatif n’a classé les Zones Industrielles dans le domaine public »53. Cependant on peut
être surpris de constater que le juge ivoirien retienne parfois la conception française du domaine

49
CE, 21 octobre 1955, Méline, Dalloz, 1956.
50
CE, 28 juin 1935, Marécar, Rec. p. 534.
51
CE, 19 octobre 1956, Société le Béton, Rec., p. 375.
52
Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), art. L. 2112-1.
53
Cour Suprême Chambre Administrative, n° 290, 27 décembre 2017, Agence de gestion et de développement des
infrastructures industrielles dite A. G. E. D .I c/ Conservateur de la propriété foncière et des hypothèques de
Yopougon I. Voir également : MAMBO Paterne, « Le statut des zones industrielles en Droit Ivoirien », la tribune
de la chambre administrative de la Cour suprême, n° 10, Juillet 2018, p. 81-84.

14
public. Dans l’espèce N’GORAN Yao Mathieu, il affirme que « le domaine public » comprend
« des biens appartenant à une personne publique et affectés à l’utilité publique (…)».54

Le domaine privé n’a pas une définition clairement établie. Les biens qui ne relèvent
pas du domaine public d’une personne publique relèvent de son domaine privé.

Pour distinguer le domaine public du domaine privé, l’on s’est toujours dit que le
domaine public est composé de biens qui visent à satisfaire l’intérêt général, contrairement au
bien du domaine privé qui auraient une finalité uniquement patrimoniale. Cependant, comme
le relatent des auteurs comme Marie Aimée Latournerie la réalité domaniale en France pourrait
permettre de remettre en cause cette thèse. L’on se souvient des théories qui ont été proposées
en remplacement de cette distinction. Dans tous les cas, « le domaine public conserve sa
vocation à être une terre d’élection des constructions doctrinales »55. La Côte d’Ivoire n’a pas
été épargnée par ces moments d’eau trouble.

Pour certains auteurs, une personne publique ne peut être à la fois titulaire d’un domaine
public et d’un domaine privé. Pour ces auteurs la discrimination entre les biens d’une personne
publique, fondée sur leur finalité et le droit applicable, n’est pas logique, dès lors que le droit
public s’applique au bien du domaine privé. Réciproquement, le droit privé s’applique au
domaine public. Mme Marie-Aimée LATOURNERIE fait partie des juristes contemporains
qui continuent de défendre cette thèse. Dans son « point de vue sur le domaine public », la
juriste n’hésite pas à démontrer les failles de la théorie de la distinction domaine public-
domaine privé. Pour elle, « l’existence d’un domaine privé des personnes publiques n’est
qu’une idée reçue, en analysant le statut constitutionnel de la propriété publique et en
observant la corrélation entre la gestion des patrimoines publics et les finances publiques »56.

En remplacement à la distinction domaine public et domaine privé, plusieurs théories


du remplacement ont été développées. La plus remarquable des théories est celle de l’échelle
de domanialité. La théorie du remplacement a été élaborée par le Doyen Léon Duguit et

54
CSCA, n° 20 du 31/ 03/ 2010, N’GORAN Yao Mathieu c/ ministre de la construction de l’urbanisme et de
l’habitat, in www.consetat.ci.
55
NICINSKI Sophie, « Le domaine public : de la crise à la reconstruction », Confluences, Mélanges en l’honneur
de Jacqueline MORAND-DEVILLER, Paris, Montchrestien, 2007, p. 659-723.
56
LATOURNERIE Marie-Aimée, Point de vue sur le domaine public, Paris, Montchrestien, 2004, p. 89.

15
développée ensuite par le Professeur Jean-Marie Auby57. « Pour ces auteurs, au lieu d’opposer
deux régimes juridiques, il est plus exact d’établir une échelle de domanialité, c’est-à-dire une
classification graduée des biens domaniaux fondée sur le caractère plus ou moins exorbitant
des règles applicables à ces biens. Il n’existerait pas pour ces auteurs deux régimes distincts,
mais plutôt la juxtaposition d’une pluralité de régimes qui ne sont séparés que par des
différences de degré quant à la part de Droit public et de Droit privé dont chacun est
constitué ».

Le droit domanial ivoirien avait tenté d’épouser, à une certaine époque de son histoire,
la thèse de l’inexistence d’un domaine privé dans la propriété d’une personne publique. En
effet, une loi du 20 mars 1963, non promulguée, supprimait la distinction domaine public-
domaine privé au profit d’un domaine unique : le domaine public. Curieusement, le nouveau
code de l’urbanisme dispose que « les biens du domaine privé de l'État et des collectivités
territoriales sont régis principalement par les règles du droit administratif »58.

Avec le Doyen MAMBO, on remarquera que « par ailleurs, des expériences africaines
de création d’un domaine national ont été vécues au Sénégal, au Cameroun et au Togo. La
réforme domaniale et foncière, entreprise dans ces pays, maintient, à la différence de celle de
la Côte d’Ivoire, la distinction classique domaine public-domaine privé, mais crée à côté une
troisième catégorie appelée le domaine national. Au Sénégal par exemple, le domaine national
est défini par la loi du 17 juin 1964 : « Constituent de plein droit le domaine national toutes
les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées ou dont la propriété n’a pas
été transcrite à la Conservation des hypothèques. »59

« Avec le domaine national, le législateur sénégalais a introduit un mode original de


maîtrise foncière en rupture avec les techniques classiques fondées sur le concept de propriété.
À l’origine, il y avait une idéologie exprimée par le Président Senghor. Selon lui, il fallait
rompre avec la conception bourgeoise de la propriété et renouer avec la conception négro-

57
Jean-Marie Auby, « Contribution à l’étude du domaine privé de l’Administration » (In Études et Documents du
Conseil d’État, 1958, p. 35-57.
58
Art. 183, loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l ’Urbanisme et du Domaine foncier urbain, in
J.O.R.C.I., numéro spécial, mardi 22 décembre 2020, p. 632.
59
MAMBO Paterne, Cours de droit administratif des biens, (inédit) Licence 3 droit public, année universitaire
2017-2018, p. 14.

16
africaine. Pour Senghor, la terre est une chose commune, que nul ne peut s’approprier ; la
terre est nourricière et ses fruits doivent profiter à tous ceux qui la mettent en valeur ».

Aujourd’hui, la distinction domaine public et domaine privé est consacrée. Outre cette
distinction classique, une classification issue de la domanialité publique est possible.

2. La classification issue de la domanialité publique

De la distinction entre la propriété publique et la domanialité publique, il faut voir à travers


la propriété publique l’image d’un grand cercle qui envahirait la domanialité publique comme
un cercle plus petit. La domanialité publique est le régime juridique applicable uniquement au
domaine public. La domanialité publique fait partie de la propriété publique mais cette dernière
ne se résume pas à la propriété publique. Dans la domanialité publique, un bien peut être
qualifié de : bien affecté, bien incorporé, bien déclassé, ouvrage public, bien de retour, bien
de reprise ou bien propre.

a. bien incorporé

Un bien incorporé est un bien qui a fait l’objet d’une incorporation. L’incorporation est un acte
ou un fait juridique par lequel un bien entre dans le domaine public. « L’incorporation doit
être distinguée de l’acquisition qui est l’acte juridique ou le fait matériel par suite duquel un
bien entre dans le patrimoine d’une personne publique (c’est-à-dire dans le domaine ou la
propriété publique). L’acquisition n’entraîne donc pas ipso facto la domanialité publique.
Avec l’acquisition, le bien entre dans le domaine ou la propriété publique. »60

Comme l’on vient de le voir, un bien peut être qualifié de bien incorporé. Il s’agit d’un bien
qui a subi l’opération technique d’incorporation. Le contraire de l’incorporation, c’est le
déclassement. Un bien peut être qualifié de bien déclassé.

b. un bien déclassé

Le déclassement est un acte juridique par lequel une personne publique range dans son
domaine privé un bien qui faisait partie de son domaine public. Cet acte se matérialise par un

60
Ibid., p. 32 et suiv.

17
acte administratif. En droit ivoirien, le déclassement peut être implicite61. Quid du bien
affecté ?

c. Un bien affecté

En droit domanial, l’affectation est le fait de donner une destination précise, d’intérêt
général, à un bien. Tout bien du domaine public doit faire l’objet d’une affectation spéciale ou
indispensable. La doctrine ivoirienne invite à distinguer l’affectation interne de l’affectation
externe. « Il y a affectation interne lorsque la collectivité publique utilise des biens pour les
services qu’elle gère elle-même »62. L’affectation externe est réalisée en cas de dissociation
entre la personne publique propriétaire et l’affectataire. C’est « lorsqu’une collectivité publique
met un bien de son domaine public à la disposition d’une autre collectivité publique pour lui
permettre d’assurer le fonctionnement d’un service public »63.

Le changement d’affectation d’un bien relevant du domaine public est appelé la mutation
domaniale. C’est « le changement d’affectation décidé par l’État au profit de ses services d’un
bien domanial appartenant à une autre personne publique. Ce changement n’entraîne pas une
mutation de la propriété. Il faut supposer qu’un service public de l’Etat a besoin d’un bien
domanial appartenant à une personne publique et ayant reçu déjà une affectation. L’Etat peut
demander à une personne publique en cause de désaffecter le bien et de le lui céder ou de
prononcer une affectation à son profit. En cas de refus et devant l’impossibilité de procéder à
l’expropriation, l’État va recourir à la mutation domaniale »64.

L’on s’aperçoit que les notions d’affectation, d’incorporation et de déclassement


permettent d’avoir une autre conception taxinomique de biens propre au droit public.
L’ouvrage public constitue également une autre façon de concevoir un bien en droit domanial
public.

61
CSCA, n° 22 du 28/ 01/ 2015, Alphonse DJEJE MADY C/ ministre de la construction, du logement, de
l’assainissement et de l’urbanisme- conservateur de la propriété foncière et des hypothèques de cocody,
www.consetat.ci.
62
KOBO Pierre-Claver, Droit administratif des biens, op.cit., p. 78.
63
Ibid.
64
MAMBO Paterne, Cours de droit administratif des biens, op.cit., p. 65

18
d. Un ouvrage public

Le Dictionnaire de Droit Public Interne définit l’ouvrage public comme « un bien


immeuble spécialement aménagé par la puissance publique (où à sa demande et sous son
contrôle) pour recevoir une affectation d’intérêt général »65. L’on doit comprendre que
l’ouvrage public est un bien à caractère immobilier par nature ou par destination. Ce bien doit
nécessairement satisfaire un besoin d’intérêt général et doit être le fruit d’une œuvre humaine.66
L’ouvrage public doit appartenir à une personne publique. L’ouvrage public est régi par le
principe de l’intangibilité67 qui vise à le protéger. Étant le fruit d’un travail public, les
dommages liés aux ouvrages publics sont des dommages de travaux publics.68 En matière
d’occupation domaniale, les dommages de travaux publics n’épargnent pas les occupants qui,
malheureusement, ne seront pas indemnisés. « Le bénéficiaire d’une autorisation d’occupation
temporaire n’a pas droit à indemnité en cas de dommage de travaux publics»69.

Un travail public est un travail immobilier, une opération technique immobilière, exécutée
pour le compte d’une personne publique par une personne privée ou publique en vue de
satisfaire l’intérêt général.70 Le bien immobilier confectionné à la suite du travail public devrait
être appelé en principe un ouvrage public. En droit français, il est arrivé que le juge qualifie de
travail public le travail immobilier exécuté par une personne publique pour le compte d’une
personne privée dans le cadre d’une mission de service public.71 En l’espèce, l’ouvrage réalisé

65
TOUZEIL-DIVINA Mathieu, Dictionnaire de Droit Public Interne, Paris, LexisNexis, 2017, p. 346.
66
Ibid.
67
Sur la question, consulter par exemple : TRAORÉ Seydou, « La redéfinition de la voie de fait et la résurgence
du caractère absolu de l'intangibilité de l'ouvrage public », Droit Administratif, n° 3, étude 4, mars 2015, p. 1-9.
68
VAN LANG Agathe, GONDOUIN Geneviève, INSERGUET-BRISSET Véronique, Dictionnaire de droit
administratif, Paris, Sirey, 7e éd., 2015, p. 319-320 ; lire sur l’actualité doctrinale de la question en Afrique
francophone : MAMBO Paterne, « La responsabilité pour dommages de travaux publics dans la jurisprudence des
Cours Suprêmes d’Afrique francophone », Revue Ivoirienne des Sciences Juridiques et Politiques, n° 2, septembre
2014, p. 80-132.
69
Cf. art. 27, ordonnance n° 2016-588 du 3 août 2016 portant titres d’occupation du domaine public, in J.O.R.C.I.,
lundi 21 novembre 2016, p. 1401-1405.
70
Conseil d’État français, 10 juin 1921, Commune de Monségur, Grands Arrêts 2013, 19e éd., n° 37, p. 232 et s. ;
Rec. Lebon, p. 573
71
T.C. 28 mars 1955, Effimieff, Lebon 82.

19
par la personne publique lors du travail public pour le compte de la personne privée n’est pas
un ouvrage public.

Tout travail public n’aboutit pas nécessairement à la réalisation d’un ouvrage public. C’est
le cas des travaux de démolition d’immeubles réalisés sur le domaine public lors des opérations
de déguerpissement à Abidjan. L’opération technique visait tout simplement à détruire
l’immeuble.

De même, un ouvrage public peut ne pas être le résultat d’un travail public au préalable.
L’État peut acquérir un immeuble appartenant à une personne privée, l’aménager et l’affecter
à la satisfaction de l’intérêt général. Enfin, tout travail réalisé sur un ouvrage public n’est pas
un travail public. Un occupant privatif qui réalise des travaux sur la parcelle occupée dans
propre intérêt n’accomplit pas un travail public. Il existe une certaine autonomie entre le travail
public et les ouvrages publics.72

En droit domanial public, un bien peut s’identifier par le vocable bien de retour.

e. Les biens de retour

« Les biens de retour sont des biens immeubles indispensables au service. Destinés en fin
de concession à faire retour obligatoirement et gratuitement au concédant, ils sont, par une
fiction juridique, considérés comme sa propriété pendant toute la durée de la concession et
peuvent relever de son domaine public ».73 Pour le Professeur KOBO, il s’agit de biens « qui,
en vertu des cahiers de charges, doivent revenir à l’autorité concédante en fin de
concession »74. Au terme d’une occupation privative du domaine public, certains biens
immeubles qui s’avèrent nécessaires au service doivent revenir à la personne publique
propriétaire ou gestionnaire de la dépendance domaniale occupée. Ces biens, même s’ils ont
été acquis par l’occupant avant la conclusion de la convention d’occupation du domaine public,
reviendront à la personne publique.75 La personne morale de droit public peut s’approprier sans

72
MAMBO Paterne, « La responsabilité pour dommages de travaux publics dans la jurisprudence des Cours
Suprêmes d’Afrique francophone », précité, p. 93.
73
VAN LANG Agathe, GONDOUIN Geneviève, INSERGUET-BRISSET Véronique, Dictionnaire de droit
administratif, op.cit., p. 57.
74
KOBO Pierre-Claver, Droit administratif des biens , op. cit., p. 79.
75
BRENET François, « Nouvelle illustration de l'effet attractif des biens de retour : le cas des biens dont le
concessionnaire de service public était propriétaire avant la passation du contrat », Droit Administratif, n° 12,

20
indemnité les installations édifiées par l’occupant privatif.76 Le retour de ces installations n’est
possible qu’en vertu d’une clause de retour obligatoire incluse dans le contrat d’occupation du
domaine public. Cependant, une clause de retour facultative semble transparaître à la lumière
des textes. Cette clause a pour objet de conditionner le retour de l’installation par l’acceptation
de l’occupant au terme du contrat d’occupation. Nous approfondirons ces questions dans le
développement de cette étude.

Au-delà des biens de retour, dans la classification des biens relevant du domaine public, il
existe les biens de reprise et les biens propres.

f. Les biens de reprise et les biens propres

Les biens de reprise sont des biens qui sont la pleine propriété de l’occupant (le délégataire)
et qui ne reviennent à la collectivité publique qu’au terme du contrat moyennant une indemnité.
Il s’agit de biens « pour lesquels la concession ne prévoit qu’une reprise facultative à laquelle
le concédant pourra procéder s’il le veut, moyennant indemnité »77. Les biens de reprise sont
des biens utiles, mais pas nécessaires au fonctionnement du service, le contraire des biens de
retour.78 Parmi les biens utiles à l’occupant, mais pas nécessaires au service, il faut distinguer
les biens de reprise des biens propres.

Quant aux biens propres, il s’agit de biens qui appartenaient ab initio au propriétaire du
domaine public occupé. À la fin du contrat, les biens propres reviennent à leur propriétaire, la
personne publique propriétaire de la portion domaniale occupée.

Comme on l’a vu la notion de bien est bien particulière en ce qui concerne sa


conception en droit public domanial. Quelles sont les sources du droit administratif des biens
en Côte d’Ivoire ?

comm. 59, décembre 2018, p. 1; ECKERT Gabriel, « Biens de retour et biens acquis par le concessionnaire
antérieurement à la conclusion de la concession », Contrats et Marchés publics, n° 10, octobre 2018, p. 1.
76
Cf. art. 32, ordonnance n° 2016-588 du 3 août 2016 portant titres d’occupation du domaine public, précitée.
77
KOBO Pierre-Claver, Droit administratif des biens, Abidjan, op. cit., p. 79.
78
MESLIN Sophie, « Application de la notion de biens de retour à l'aune de la jurisprudence récente », Contrats
et Marchés publics, n° 10, octobre 2018, p. 1.

21
Section III : Les sources du droit administratif des biens
Le droit administratif des biens ivoirien a la particularité d’être de source
essentiellement textuelle et subsidiairement jurisprudentielle.

A. Des sources essentiellement textuelles

La Constitution est la première source textuelle du droit ivoirien. L’article 11 de la Constitution


du 8 novembre 2016 garantit le droit de propriété, notamment le droit de propriété des
personnes publiques. Au niveau des autres sources textuelles, une remarque doit préalablement
être faite. En Côte d’Ivoire, il n’existe pas un Code général de la propriété des personnes
publiques (CG3P) comme c’est le cas en droit français. On dénombre une disparité de textes.
On peut en citer quelques-uns :

- Décret du 29 septembre 1928, portant réglementation du domaine public et des


servitudes d’utilité publique (modifié par décrets du 7 Septembre 1935 et du 3 Juin
1952), in JO. AOF, 1928, p. 783.
- Loi n° 61-183 du 18 mai 1961 portant fixation des redevances annuelles exigibles pour
occupation du domaine public et privé de l’Etat, in J.O.R.C.I., 8 juin 1961 pp. 809-810.
- Loi n° 2003-208 du 7 juillet 2003, portant transfert et répartition de compétences de
l’Etat aux collectivités territoriales, article 1er alinéa 1: « Les collectivités territoriales
concourent avec l’Etat au développement économique, social, sanitaire, éducatif,
culturel et scientifique des populations, et de manière générale, à l’amélioration
constante de leur cadre de vie », in J.O.R.C.I n° spécial 2 du 18 août 2003, p. 22.
- Loi n° 2003-489 du 26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et domanial des
collectivités territoriales, in J.O.R.C.I., numéro spécial, 28 avril 2004, p. 1-19.
- Loi n° 2017-442 du 30 juin 2017 portant code maritime.
- Loi n°2019-675 du 23 juillet 2019 portant code forestier.
- Loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l ’Urbanisme et du Domaine
foncier urbain, in J.O.R.C.I., numéro spécial, mardi 22 décembre 2020, p. 621- 636.
- Ordonnance n° 2013-297 du 2 mai 2013 fixant le barème des montants de la redevance
d’occupation des terrains industriels, in J.O.R.C.I., 4 juillet 2013, p. 406.
- Ordonnance n° 2016-588 du 3 août 2016 portant titres d’occupation du domaine public,
in J.O.R.C.I., lundi 21 novembre 2016, p. 1401-1405.

22
- Décret d’application n° 2016-788 du 12 octobre 2016 relatif aux modalités
d’application de l’ordonnance n° 2016- 588 portant titres d’occupation du domaine
public, https://www.droit-afrique.com.

B. Des sources subsidiairement jurisprudentielles

Le droit jurisprudentiel dans cette matière se consolide de plus en plus en droit


ivoirien. La jurisprudence administrative ivoirienne coule aujourd’hui à foison, par exemple,
au niveau du domaine public. Il n’est plus vraiment nécessaire de se référer au droit
jurisprudentiel français en appui au droit écrit. Quelques indices le prouvent.

Principe d’indisponibilité du domaine public :

- CSCA, arrêt n° 103 du 18/06/2014, Etat de Côte d’Ivoire-SYNATRESOR C/ Ministre


de l’économie et des finances, www.consetat.ci. ;
- CSCA, arrêt n° 22 du 28/01/2015, Alphonse Djedje MADY C/ Ministre de la
construction, du logement, de l’assainissement-conservateur de la propriété foncière et
des hypothèques de Cocody, www.consetat.ci.
- ; CSCA, arrêt n°63 du 23/04/2014, Madame OUATTARA Aïchatou Epouse SYLLA
c/ Ministre de l’économie et des finances et autres, www.consetat.ci.
- ; CSCA, arrêt n°84 du 23/05/2012, Mme GRALOU Gounan, Veuve YABI Tra
Barthelemy c/ Ministre de la construction, de l’urbanisme et de l’Habitat,
www.consetat.ci. ;

Insaisissabilité du domaine public : CSCA, arrêt n° 28 du 18 mai 2005, INSTITUT


NATIONAL D’HYGIÈNE PUBLIQUE (INHP) C/ N’GOTTA KONAN JULIEN ET
AUTRES.

Théorie de l’accessoire : CSCA, Arrêt n° 53 du 25 Juillet 2018, TOTAL Côte D’Ivoire C/


Ministre des infrastructures économiques, in www.consetat.ci.

Aisance de voirie et servitude administrative : Arrêt État de Côte d’Ivoire SYNATRESOR


contre Ministre de l’Économie et des Finance du 29 mars 2017 ; CSCA, arrêt n°47 du 26
décembre 2018, SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE GERO DITE SCI GERO C/ - MINISTRE
DE L’ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE – PORT AUTONOME
D’ABIDJAN.

23
Une première partie de ce cours sera consacrée à la propriété publique
(PREMIÈRE PARTIE). La deuxième partie sera consacrée aux modes de cession forcée, aux
travaux et aux ouvrages publics (DEUXIÈME PARTIE).

24
PREMIÈRE PARTIE : LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUE

TITRE I : LE DOMAINE PUBLIC

TITRE II : LE DOMAINE PRIVE

25
TITRE I : LE DOMAINE PUBLIC

Plusieurs acteurs interviennent sur le domaine public (chapitre I) dans toute sa


consistance (chapitre II). Dans ses conditions, le risque de confusions et de désordre s’annonce
avec acuité. Il est donc impérieux que le droit, à l’image d’un fleuve, y fasse son lit. D’où le
régime domanial applicable, la domanialité publique (Chapitre III).

26
CHAPITRE I : LES ACTEURS DE LA SCÈNE DOMANIALE PUBLIQUE

En Côte d’Ivoire, la réalité domaniale publique donne de constater que trois acteurs
essentielles animent le domaine public. Nous avons d’abord les personnes qui ont la qualité de
propriétaire (Section I). Ensuite, viennent les gestionnaires et enfin les occupants privatifs
(Section II).

Section I : Les propriétaires

Une personne privée ne peut pas être propriétaire d’un domaine public. Le droit de propriété
est reconnu exclusivement à une personne publique (paragraphe I). Toute personne publique a
un domaine public. Le profane peut donc naïvement se poser la question suivante : qui sont les
personnes publiques propriétaires du domaine public en Côte d’Ivoire ? La réponse à cette
question nous pousse insensiblement à établir la typologie des personnes publiques
propriétaires en Côte d’Ivoire (Paragraphe II).

Paragraphe I : l’exclusivité du droit de propriété aux personnes publiques

L’histoire du domaine public enseigne que la reconnaissance du droit de propriété aux


personnes publiques sur le domaine public en Côte d’Ivoire tout comme en France ne s’est pas
faite sans controverses. L’on est parti d’une négation du droit de propriété (A) à une
reconnaissance du droit de propriété aux personnes publiques (B).

A. D’une négation du droit de propriété…

Un spécialiste de l’histoire du droit colonial rapporte qu’initialement, il n’était pas reconnu


un droit de propriété au sens juridique du terme à l’Etat sur le domaine public colonial de la
colonie de Côte d’Ivoire. L’auteur étaye pertinemment son argument avec des textes et la
jurisprudence. D’abord, une circulaire du 16 août 1911 n’a pas reconnu un droit de propriété
complet à l’Etat sur le domaine public. « Le droit de l’État sur le domaine public est d’une
autre nature : spéciale et complexe qui comprend à la fois un droit de police et
d’administration, mais (…) renferme également un droit de propriété (…lequel) est seulement
limité par le droit de jouissance public »79. Ensuite, « dans une circulaire du 19 février relative
à l’immatriculation et à la délimitation des dépendances du domaine public maritime, le
gouverneur général de l’AOF, CLOZEL après avoir rappelé aux lieutenants gouverneurs des
colonies de l’AOF qu’une « parcelle incorporée au domaine public n’est plus susceptible de

79
NENE BI Séraphin, Les institutions coloniales de l’Afrique occidentale française, Abidjan, ABC, 2015, p. 165.

27
propriété privée, estime que l’immatriculation d’une parcelle au nom de l’Etat est purement
spéculative et ne présente pas d’intérêt »80. Le 18 février 1916, la Cour d’Appel de DAKAR
indique que « les terrains compris dans le domaine public sont passés (…) dès la promulgation
de la loi dans le domaine de souveraineté de la nation, domaine dont l’État, son représentant
a l’administration, mais dont il n’a pas la propriété à titre privatif ».81

Au niveau de la métropole coloniale, la négation du droit de propriété des personnes


publiques sur le domaine public a été forgée par la doctrine civiliste. Tout a commencé par la
conception du domaine public par la doctrine. En 1689, Jean DOMAT concevait le domaine
public comme un ensemble de choses qui sont in uso publico. Le domaine public était par la
suite vu comme un res nullius par Lefebvre DE LA PLANCHE en 1764. Pour lui, le domaine
public est composé de biens insusceptibles d’appropriation privée. Ce sont toutes ces
conceptions du domaine public, qui se sont succédées dans le temps, que Jean-Baptiste Victor
PROUDHON utilise pour forger, en 1810 dans son cours de droit français et en 1833 dans son
traité du domaine public, sa thèse sur la distinction entre les domaines. Pour PROUDHON, il
existe un domaine privé au profit d’une personne publique. Contrairement au domaine public,
seul ce domaine peut faire l’objet d’une appropriation publique. Un domaine dont on peut
disposer en étant maître. La perception que le PROUDHON se fait du domaine public se
résume en ces termes : « le domaine public n’est (…) pour personne, ni même pour l’État, un
domaine de propriété puisque nul n’en est exclu (…) Le domaine public, activement considéré,
consiste dans le pouvoir même que le Gouvernement exerce, par sa haute Administration, sur
les objets nécessaires aux besoins et aux services publics et, en le considérant passivement ou
par rapport aux choses auxquelles il s’applique, il consiste dans la généralité des fonds qui
sont asservis à l’usage ou à la protection de tous, sans être la propriété».82
Aujourd’hui, l’on reconnaît un droit de propriété aux personnes publiques en Côte d’Ivoire.
N’est-ce pas un droit de propriété soumis à un régime spécial ou dérogatoire du droit commun ?

B. …à une reconnaissance du droit de propriété aux personnes publiques

Comme nous l’avons signifié, le Professeur KOBO a soutenu à la manière de Maurice


HAURIOU qu’en Côte d’Ivoire les personnes publiques ont l’usus, l’abusus et le fructus sur le

80
NENE BI Séraphin, Les institutions coloniales de l’Afrique occidentale française, op.cit.,p. 166.
81
Ibid.
82
LATOURNERIE Marie-Aimée, Point de vue sur le domaine public, op. cit., p. 19.

28
domaine public.83 Cette conception du droit de propriété des personnes publique sur le domaine
public répond au triptyque classique des attributs du droit de propriété développé par la doctrine
civiliste. 84
En doctrine, l’on doit à Hauriou la paternité de la reconnaissance d’un droit de
propriété aux personnes publiques. Il faut d’emblée dire qu’il préfère parler d’un droit de
propriété administrative. En réponse à PROUDHON et Henry BERTHELEMY qui professait
leur foi en une indisponibilité du domaine public qui devait être absolument hors du commerce,
Hauriou hypostasie l’existence d’un droit de propriété au profit des personnes publiques. Pour
lui, « nul ne nie le droit de propriété des personnes publiques sur leur domaine privé. Or, la
désaffectation ou le déclassement d’une dépendance du domaine public fait passer celle-ci
dans le domaine privé. Comment l’Administration serait-elle propriétaire de ce bien quand il
fait partie du domaine privé, si elle ne l’était pas déjà quand il constituait une dépendance du
domaine public ? (…) S’il est vrai que le domaine public est affecté à l’usage de tous, il est
fréquent que le public ne puisse jouir des biens de ce domaine que par l’intermédiaire d’un
service public »85. Les personnes publiques ont donc un abusus et un usus administratifs. En
contrepartie des occupations privatives du domaine public, les occupants versent généralement
des redevances aux personnes publiques. On peut soutenir donc que ces dernières ont un fructus
administratif sur le domaine public.

Si l’on doit affirmer que les personnes publiques ont un droit de propriété sur le domaine public,
de qui s’agit-il réellement ?

Paragraphe II : la typologie des personnes publiques propriétaires

Une personne publique est une personne morale de droit public. Il existe des personnes
publiques territoriales, c’est-à-dire qui sont géographiquement déterminables (l’État et les
Collectivités territoriales) et celles qui sont techniquement spécialisées (les Établissements
publics). Le droit positif ivoirien reconnaît le droit de propriété sur le domaine public à l’État
(A), aux Collectivités territoriales et aux établissements publics nationaux (B).

83
KOBO Pierre-Claver, Droit administratif des biens, Abidjan, op. cit., p. 20.
84
SCHMALTZ Benoît, Les personnes publiques propriétaires, op. cit., p. 175.

85
MAMBO Paterne, Cours de droit administratif des biens, (inédit) Licence 3 droit public, précité, p. 16.

29
A. L’État

Comme l’on enseigne en droit constitutionnel, l’Etat à une double définition : une
définition politique ou sociologique et une définition juridique.

Politiquement, l’Etat c’est le gouvernement. Il est fait référence à un pouvoir politique qui
s’exerce sur une population vivant sur un territoire donné. Juridiquement, l’Etat est une
personne morale de droit public dotée de la souveraineté. La personnalité juridique est
l’aptitude à avoir des droits et endosser la responsabilité de ses obligations. Si l’Etat est titulaire
d’un domaine public c’est parce qu’il a la personnalité juridique. Plusieurs textes en Côte
d’Ivoire reconnaissent le droit de propriété de l’Etat sur le domaine public. Lorsqu’on parcourt
par exemple l’ordonnance portant titre d’occupation du domaine public et le code de
l’urbanisme, l’on peut voir qu’il existe un domaine public appartenant à l’Etat.86

En droit français, la jurisprudence Ville de Paris et chemin de fer d’Orléans n’hésite pas à
reconnaître le droit de propriété de l’Etat sur le domaine public.87

En dehors de l’Etat, les collectivités territoriales ivoiriennes et les établissements publics


sont également propriétaire d’un domaine public.

B. Les établissements publics et les collectivités territoriales

Le phénomène de la décentralisation a permis un éclatement du domaine public de l’Etat


au profit des collectivités territoriales. Certains biens qui appartenaient au domaine public de
l’État ont été transférés aux Collectivités Territoriales par le législateur. Pour éviter des conflits
de compétence dans la gestion domaniale, la loi répartit les compétences domaniales entre les
Collectivités territoriales et l’État.88 Les Collectivités territoriales sont des portions du territoire
national dotées de la personnalité juridique, de l’autonomie financière et administrées par des

86
Cf. art. 1, ordonnance n° 2016-588 du 3 août 2016 portant titres d’occupation du domaine public, précitée ; art.
20, loi n° 2019-675 du 23 juillet 2019 ; art. 179, loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l ’Urbanisme
et du Domaine foncier urbain, précitée.
87
CE, 16 juillet 1909, Ville de Paris et chemin de fer d’Orléans.
88
Cf. loi n° 83-788 du 2 août 1983 déterminant les règles d’emprise et de classement des voies de communication
et des réseaux divers de l’État et des collectivités territoriales, in J.O.R.C.I., numéro spécial, 18 août 2003 , p. 1-
19.

30
autorités administratives désignées par voie d’élection. La loi consacre le droit de propriété des
Collectivités territoriales sur le domaine public.89

« Le domaine public des collectivités territoriales comprend :


 les parcelles situées sur le territoire de l'entité décentralisée et qui ont reçu, de droit
ou de fait, une affectation comme rues, routes, places et jardins publics. En sont exclus
les ouvrages ci-dessus énumérés dont la création et l'entretien incombent à l'Etat ou à
une autre collectivité territoriale
 les parcelles situées sur le territoire de l'entité décentralisée et qui supportent des
ouvrages d'intérêt public chaque fois que la charge incombe à la collectivité
territoriale ;
 les parcelles situées sur le territoire de l'entité décentralisée et constituant l'assiette
d'un ouvrage prévu aux plans d'aménagement ou d'urbanisme régulièrement approuvés
ou ayant fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique ;
 tous les autres biens compris dans le domaine public lorsqu'ils ont été transférés à la
collectivité territoriale conformément aux dispositions légales et réglementaires
relatives au domaine public. »90

Les Établissements publics sont des personnes morales de droit public investies d’une
mission spéciale. En Côte d’Ivoire l’on assiste à une diversité de catégories d’Établissements
publics : l’établissement public administratif, social, culturel et environnemental,
l’établissement public à caractère industriel et commercial, les établissements publics
hospitaliers et les agences d’exécution. En Côte d’Ivoire, en guise d’illustration, tous les

89
Art. 202 et suiv, loi n° 2003-489 du 26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et domanial des
collectivités territoriales, in J.O.R.C.I., numéro spécial, 28 avril 2004, p. 22-32 ; art. 1, ordonnance n° 2016-588
du 3 août 2016 portant titres d’occupation du domaine public, in J.O.R.C.I., lundi 21 novembre 2016, p. 1401-
1405 ; loi n° 2019-675 du 23 juillet 2019 ; loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l ’Urbanisme et du
Domaine foncier urbain, précitée.
90
Art. 91, loi n° 2012-1128 du 13 décembre 2012 portant organisation des collectivités territoriales.

31
Centres Hospitaliers Universitaires sont EPIC.91 L’ordonnance portant titre d’occupation du
domaine public confirme que les établissements publics sont titulaires d’un domaine public.92

L’on doit retenir que le domaine public relève de la propriété exclusive des personnes
publiques. Elles sont les principales actrices de la scène domaniale publique. Le domaine public
n’est pas animé que par des propriétaires. Il existe des personnes qui ont la qualité de
gestionnaire et d’occupants privatifs qui animent la scène domaniale publique.

Section II : Les gestionnaires, les usagers pris dans leur ensemble et les occupants
privatifs

Les propriétaires ne sont pas les seuls à intervenir sur la scène domaniale publique.
Interviennent également des personnes qui ont la qualité de gestionnaires. (Paragraphe I). Le
domaine public en Côte d’Ivoire a l’avantage d’être perçu comme une richesse collective.
Depuis ses origines, le domaine public est favorable à une utilisation collective et privative en
Côte d’Ivoire (paragraphe II).

Paragraphe I : les gestionnaires du domaine public

Une personne publique peut gérer son domaine public. Cependant, tout gestionnaire du
domaine public n’en est pas nécessairement le propriétaire. Une personne publique peut confier
la gestion d’une dépendance relevant de son domaine publique à une autre personne publique
(A) ou à une personne privée (B).

A. La gestion par une personne publique

Une personne publique peut confier la gestion de son domaine public à une autre personne
publique. Ces pratiques sont monnaies courantes en Côte d’Ivoire. Il arrive que l’État confie la
gestion de son domaine public à une Collectivité Territoriale. Elle n’est pas propriétaire mais

91
Voir par exemple : Décret n° 84-762 érigeant le centre hospitalier et universitaire de cocody en établissement
public à caractère industriel et commercial et portant organisation de cet établissement, in J.O.R.C.I, n° 28, 5
juillet 1984, p.404 ; Décret n° 2017-714 portant création, attribution, organisation et fonctionnement de
l’établissement public à caractère industriel et commercial dénommé centre hospitalier et universitaire d’Angré,
en abrégé CHU d’Angré, in J.O.R.C.I, n° 37, 7 mai 2018, p. 453 et suiv.
92
Art. 1, ordonnance n° 2016-588 du 3 août 2016 portant titres d’occupation du domaine public, précitée.

32
gestionnaire. Dans ces conditions, la police de la conservation est exercée par la personne
publique gestionnaire.

Le gestionnaire peut être également une personne privée.

B. La gestion par une personne privée

Si une personne privée ne peut pas être propriétaire du domaine public, elle peut
néanmoins être gestionnaire. Notre curiosité, nous amène à découvrir que l’Etat de Côte
d’Ivoire a confié la gestion de son domaine public portuaire Abidjanais au Port Autonome
d’Abidjan. Le Port Autonome d'Abidjan est une personne morale de droit privé, à la lumière
de la loi n° 97-515 du 04 septembre 1997 portant définition et organisation des sociétés d'État.

L’on se souvient que dans une affaire, la Chambre Administrative indique, à l’attention
des usagers du service public portuaire, que le domaine public portuaire est placé sur la gestion
du Port Autonome d’Abidjan. Il s’agit de l’affaire Port Autonome d’Abidjan c/ Ministre de la
construction et de l’urbanisme, conservateur de la propriété foncière et des hypothèques de
Treichville93. La jurisprudence administrative ivoirienne confirme que « l’article 24 des statuts
du Port autonome d’Abidjan approuvés par le décret n° 2001-143 du 14 mars 2001 attribue
l’exclusivité de la gestion du domaine public et privé de l’État affecté au port à son Directeur
général ». Par ailleurs, sur le fondement de la légalité, la Chambre Administrative met à nu les
limites du champ de compétence du Port Autonome d’Abidjan dans lesquelles est inclus le
terrain occupé par la SIR: « à vridi, sur les terrains du cordon littoral d’une superficie globale
d’environ 5.818.960 mètres carrés situés entre les villages de vridi et petit Bassam limités au
sud par l’emprise de la voie ferrée de port Bouët à vridi, puis le domaine public maritime en
bordure de mer…) ».

Comme peut le constater, la gestion du domaine public peut être faite par une personne
publique ou par une personne privée. Qu’en est-il des usagers pris dans leur ensemble et les
occupants privatifs ?

93
CSCA, n°39 du 28/02/2018, Port autonome d’Abidjan c/ Ministre de la construction et de l’urbanisme
conservateur de la propriété foncière et des hypothèques de Treichville, www.consetat.ci.

33
Paragraphe II : Les usagers pris dans leur ensemble et les occupants privatifs

L’ensemble des usagers et particulièrement les occupants privatifs animent également la scène
domaniale publique.

A. Les usagers pris dans leur ensemble

Le citoyen ordinaire ignore parfois que le domaine public est règlementé. Le domaine
public fait l’objet d’une utilisation collective. Cette assise spatiale est le support qui facilite, au
quotidien, notre circulation telle que conditionnée par son aménagement. L’on utilise la route
(le domaine public routier) pour se rendre à l’hôpital, au marché, à l’école, à l’université etc.
Le citoyen lambda éreinté en semaine est parfois tenté de se rendre sur la plage pour profiter
de l’air marin, un régénérateur dit-on. On voit bien que, les usagers pris dans leur ensemble
sont des acteurs de la scène domaniale publique.

Quid des occupants privatifs sans titre ?

B. Les occupants privatifs sans titre

Les occupants sans titre du domaine public sont des occupants privatifs (essentiellement
des personnes privées) qui n’ont jamais obtenu d’autorisation légale ou n’ont plus l’autorisation
d’occuper le domaine public. Schématiquement, deux catégories de personnes peuvent être
qualifiées d’occupant sans titre. Nous avons d’une part, les occupants qui n’ont jamais fait une
demande d’autorisation d’occupation temporaire auprès des autorités administratives
compétentes. Tous ces occupants ne sont pas de mauvaise foi. Un particulier peut être titulaire
d’un certificat de propriété ou un arrêté de concession définitive délivré par le ministre de la
construction et de l’urbanisme à la suite d’une procédure régulière mais n’avait pas
l’information que le domaine public ne peut faire l’objet d’une concession définitive. Un droit
de propriété privé ne peut pas exister sur le domaine public. Malheureusement, ces occupants
s’exposent à la procédure du déguerpissement. Ils doivent être expulsés. Ces cas sont légion en
Côte d’Ivoire et plusieurs contentieux de cette nature font le quotidien de l’actualité
jurisprudentielle.94 Le quotidien ivoirien en ligne koaci.com a porté à la connaissance des
internautes, en 2013, qu’un opérateur économique est sur le chemin du déguerpissement pour

94
CSCA, n°84 du 23/05/ 2012, Mme GRALOU Gounan, Veuve YABI TRA Barthe Lemy C/ Ministre de la
construction de l’urbanisme et de l’habitat, www.consetat.ci.; CSCA, arrêt n° 179 du 23/12/2014, Chahin
SOMBO C/ Ministre de l’économie et des Finances, www.consetat.ci.

34
avoir occupé illégalement, sans autorisation du ministre des Infrastructures économiques, le
domaine public de l’État. Curieusement, celui-ci, comme moyen de défense, avance des propos
qui attirent notre attention. En effet, le présumé occupant illégal du domaine public étatique se
défendait en ces termes : «Je payais des taxes allant de 2000 FCFA à 7000 FCFA voir 10000
FCFA aux agents de la mairie, raison pour laquelle je me suis fait établir une autorisation en
2006 »95. Il y a certainement en l’espèce une confusion entre le domaine public étatique et le
domaine public de la Commune dont le Maire aurait délivré le titre d’occupation à l’opérateur
économique. L’autorité municipale a délivré le titre d’occupation à l’opérateur économique
parce qu’elle considérait que la portion du domaine public ciblée était sous sa gestion. Contre
son gré, l’occupant se retrouve dans une situation d’occupant sans titre, car le domaine public
occupé appartient en réalité à l’État.

D’autre part, il est observé des occupants évincés en cours d’occupation et ceux dont le
titre légal est venu à expiration. Le titre n’étant plus valide, ils se trouvent malheureusement
dans une situation d’occupant sans titre. Cette situation donne, parfois, lieu à un rapport de
force entre l’administration et les occupants sans titre récalcitrants.

En dehors des occupants illégaux, il existe des occupants privatifs dont le titre est valide.

C. Les occupants privatifs titulaires d’un titre valide

Les occupants privatifs légaux sont titulaires d’un titre d’occupation temporaire. Ces
occupants sont soumis à des obligations presqu’inexistantes dans les rapports de droit privé et
bénéficient d’un certain nombre de privilèges variables selon la nature de l’occupation. Le
régime des occupations privatives du domaine public est très disparate en Côte d’Ivoire.
Cependant, l’essentiel du régime est donné par l’ordonnance portant titre d’occupation du
domaine public et son décret d’application.96 Nous aurons l’occasion d’approfondir ce point
ultérieurement.

95
Information publiée par, © koaci.com, Abidjan, le 26 septembre 2013, consultable sur GOOGLE (moteur de
recherche).
96
ordonnance n° 2016-588 du 3 août 2016 portant titres d’occupation du domaine public, précitée ; Décret
d’application n° 2016-788 du 12 octobre 2016 relatif aux modalités d’application de l’ordonnance n° 2016- 588
portant titres d’occupation du domaine public.

35
L’on réalise donc que le domaine public est animé par des acteurs d’une diversité remarquable.
Il convient d’apprécier la consistance du domaine public.

36
CHAPITRE II : LA CONSISTANCE DU DOMAINE PUBLIC

Identifier la consistance du domaine public oblige d’opérer une certaine taxinomie qui
part de la grande distinction domaine public naturel (Section I) et domaine public artificiel
(section II).

Section I : le domaine public naturel

Par opposition à ce qui est artificiel, sont naturelles les choses qui ne sont pas une
création humaine. Ces choses relèvent de la nature. Elle existe naturellement indépendamment
de la volonté de l’homme. Certaines choses naturelles ont fait l’objet d’une appropriation
publique et ont été incorporées dans le domaine public. On parlera alors de domaine public
naturel. L’on doit saisir le contenu du domaine public naturel en droit ivoirien (Paragraphe I).
Par ailleurs, comment la délimitation et l’incorporation du domaine public naturel s’opèrent-
elles ? (Paragraphe II)

Paragraphe I : le contenu du domaine public naturel

Par quel bout saisir le domaine public naturel ? Bien évidemment la classification n’est pas
aisée. Cependant, selon une méthode consacrée, nous distinguerons le domaine public naturel
hydraulique (A), le domaine public forestier (B), le domaine public hertzien (C).

A. Le domaine public naturel hydraulique

La mère nature a comblé la Côte d’Ivoire en éléments hydrauliques. On y trouve, en effet,


la mer, la lagune et les fleuves etc. Une analyse du droit positif ivoirien nous fait remarquer
l’existence du domaine public maritime naturel (1) et du domaine public fluvio-lagunaire
naturel(2).

1. Le domaine public maritime naturel

Le législateur dresse une liste de biens relevant du domaine public maritime naturel.
L’article 17 du code maritime97ivoirien dispose que le domaine public naturel maritime
comprend :

La mer territoriale, son sol et son sous-sol s’étendant à douze milles marins à partir de
la ligne de base ainsi que les espaces s’étendant entre la ligne de base et le rivage ; les parties
du rivage de la mer alternativement couvertes et découvertes par les eaux de la mer ; une zone

97
Loi n° 2017-442 du 30 juin 2017 portant code maritime, in J.O.R.C.I., mardi 13 novembre 2018, p. 130.

37
supplémentaire de 100 mètres à partir de la laisse de haute mer ; les lais et relais de la mer ; les
lagunes, fleuves, étangs salés, les baies et rivières navigables communiquant avec la mer.

Qu’en est-il du domaine public fluvio-lagunaire naturel ?

2. Le domaine public Fluvio-lagunaire naturel

Les domaines publics fluvial et lagunaire comprennent : les lagunes classés dans les limites
de leurs eaux mesurées à partir de la plus haute marée ; les cours d’eaux navigables ou flottables
classés dans les limites de leurs eaux coulant à plein bord avant de déborder ; les étangs en
communication ou non avec les lagunes, les lacs navigables ou flottables classés dans les
limites de leurs eaux coulant à plein bord avant de déborder ; une zone de vingt-cinq mètres de
large de bord des îles et îlots qui se forment dans le lit de ces cours d’eau, de ces lagunes, de
ces lacs ou de ces étangs ; la bande de terre constituant la zone comprise entre l’étendue
lagunaire ou fluviale et la terre ferme.

Démarquons le domaine public hydraulique du domaine public forestier.

B. Le domaine public forestier

Seuls l’État et les Collectivités territoriales peuvent être propriétaires du domaine public
forestier. Le domaine public forestier de l’État comprend les réserves naturelles intégrales, les
parcs nationaux et les réserves naturelles.98 Le domaine public forestier des Collectivités
Territoriales est constitué de forêts classées au non desdites collectivités, des forêts concédées
par l’Etat, des forêts acquises ou créées dans le domaine rural par les collectivités territoriales
et de jardins botaniques.99

Identifions le domaine public hertzien.

C. Le domaine public hertzien

A priori, il ne faut pas confondre l’espace aérien au domaine public hertzien. Pour le
Professeur DRAGO, « l’espace hertzien est l’ensemble des milieux où peuvent se propager et
être captées les ondes radioélectriques. Ce n’est qu’abusivement qu’on a pu les assimiler à

98
Art.21, loi n°2019-675 du 23 juillet 2019 portant code forestier.
99
Art.23, loi n°2019-675 du 23 juillet 2019 portant code forestier.

38
l’espace aérien, car les ondes se propagent partout : dans l’air certes mais aussi dans l’eau,
dans la terre - même si c’est avec difficulté - et dans l’espace extra-atmosphérique »100.

En droit ivoirien, « les fréquences radioélectriques sont des ressources rares qui font partie
du domaine public de l'État »101. Cette appartenance des fréquences radioélectriques au
domaine public hertzien de l’État n’a pas fait l’objet d’un débat au niveau de la doctrine
ivoirienne, tout simplement parce que le législateur énumère toujours les portions qui
dépendent du domaine public. L’on peut constater sans hésitation que les fréquences
radioélectriques sont des dépendances du domaine public de l’État.

Cependant, il en était autrement en droit français. Thomas PEZ nous rapporte que « la
qualification de domaine public hertzien n’était a priori pas évidente dans la mesure où les
fréquences radioélectriques ont pu sembler ne pas vérifier tous les critères traditionnels de la
domanialité publique. Cette qualification était d’autant moins évidente qu’elle ne s’imposait
pas : une autre voie était envisageable, celle de l’encadrement des fréquences et des activités
dont elles sont le vecteur par un régime de police »102. On peut donc constater que l’exercice
du droit de propriété administrative sur le spectre a été contesté en droit français.103

Comment la délimitation et l’incorporation s’opèrent au niveau du domaine public


naturel ?

Paragraphe II : la délimitation et l’incorporation du domaine public naturel

La délimitation est cette opération juridique et technique qui vise à définir les limites des
dépendances du domaine public. La délimitation du domaine public a un caractère unilatéral et
obligatoire. La délimitation a un caractère unilatéral, quel que soit la nature de la dépendance
du domaine public (naturelle ou artificielle).

100
DRAGO (Roland), « Nature juridique de l’espace hertzien » in Aspects du droit privé en fin du 20è siècle.
Etudes réunies en l’honneur de michel De JUGLART, Hors Série, 1986, p. 363
101
Cf. art. 50, ordonnance n° 2012-293 du 21 mars 2012 relative aux Télécommunications et aux Technologies
de l’Information et de la Communication, in https://www.droit-afrique.com .
102
PEZ Thomas, Le domaine public hertzien, Paris, LGDJ, 2011, p. 14.
103
DELVOLVÉ Pierre, « Le code générale de la propriété des personnes publiques. Regard extérieur sur le code »,
RFDA, 2006, p. 904 ; TRUCHET Didier, « Controverse : les ondes appartiennent-elles au domaine public ?»,
RFDA, 1989, p. 255. ; DUFAU Jean, « Le domaine public hertzien : un concept juridiquement contestable »,
MTP, 2001, p. 96.

39
Le caractère unilatéral de la délimitation signifie que celle-ci se fait par un acte administratif
unilatéral. Donc la délimitation relève de la seule volonté de l’Administration. C’est pour cette
raison que l’on remarquera, à titre illustratif, qu’un décret n° 60-110 du 16 mars 1960 modifié
et complété par le décret n° 98-151 du 25 mars 1998 portant délimitation des zones d’extension
du Port Autonome d’Abidjan indique que le périmètre dudit port s’étend « à Vridi, sur les
terrains du cordon littoral d’une superficie globale d’environ 5.818.960 mètres carrés situés
entre les villages de Vridi et de Petit Bassam, limitée, au sud par l’emprise de la voie ferrée de
Port-Bouët à Vridi, puis le domaine public maritime en bordure de mer… ». La délimitation
du domaine public ne saurait relever d’un contrat entre l’Administration et un riverain.
Indirectement l’on doit comprendre également que seule l’Administration peut procéder la
délimitation du domaine public, une personne privée propriétaire d’une propriété voisine au
domaine public routier ne saurait implanter des dos d’âne pour ralentir le passage des véhicules.
C’est dans ce sens que le code de l’urbanisme indique qu’ « il est interdit à des initiatives
privées de réaliser sur la voie publique des dispositifs de ralentissement des véhicules »104. La
délimitation est obligatoire. Le refus de délimitation peut être de nature à engager la
responsabilité de l’Administration.

Réalisons que la délimitation du domaine public naturel (A) ne se fait pas de la même
manière que celle du domaine public artificiel.

L’incorporation est cette opération juridique et technique qui vise à intégrer un bien dans
le domaine public. L’incorporation dans le domaine public naturel (B) ne se fait pas de la même
manière que celle du domaine public artificiel.

A. La délimitation du domaine public naturel

La délimitation du Domaine Public naturel a un caractère déclaratif, c'est-à-dire que


l’Administration doit se borner à constater les limites qui résultent de l’application des règles
définies sur le Domaine Public Naturel. Il s’agit donc de reconnaître sur le terrain les limites
du Domaine Public Naturel et de les matérialiser. La délimitation est non seulement déclarative,
mais aussi contingente, elle n’est pas définitivement fixée. Elle est modifiable en fonction du
changement de la situation.

104
Art. 136, loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l ’Urbanisme et du Domaine foncier urbain, in
J.O.R.C.I., numéro spécial, mardi 22 décembre 2020, p. 632.

40
Qu’en est-il de l’incorporation ?

B. L’incorporation d’un bien dans le domaine public naturel

Lorsqu’un bien remplit les conditions requises par la règle domaniale, il devient à la
fois propriété de l’Administration et dépendance du domaine public. L’acquisition et
l’incorporation coïncident dans le cadre du domaine public naturel.
Dès lors que l’incorporation d’un bien au Domaine Public Naturel résulte de
phénomènes physiques, la conséquence en est que toute modification dans les phénomènes
d’ordre naturel ou d’ordre physique a pour effet de modifier la consistance du Domaine Public
Naturel.
Comme l’on vient de le voir, il existe un domaine public naturel au contenu hétérogène
dont la délimitation et l’incorporation obéissent à des spécifiques. Il en est de même pour le
domaine public artificiel.

Section II : le domaine public artificiel

Le domaine public artificiel est constitué de biens qui sont les fruits d’une œuvre
humaine. Le contenu doit être identifié. Nous réaliserons par la suite la particularité de la
délimitation et de l’incorporation du domaine public artificiel.

Paragraphe I : le contenu du domaine public artificiel

Le droit administratif des biens ivoirien est essentiellement textuel. Les textes opèrent une
distinction entre le domaine public artificiel maritime, fluvial et lagunaire d’une part. D’autre
part, il est logique de démarquer le domaine public terrestre de cette première distinction.

A. Le domaine public maritime artificiel et fluvio-lagunaire

Le domaine public maritime artificiel comprend les ports maritimes, les ouvrages autorisés
sur le bord de la mer et d’une manière générale les lieux aménagés en bordure de mer et affectés
à l’usage public, la bande de terre constituant la zone comprise entre l’étendue maritime et la
terre ferme (article 17 du code maritime).105

105
Loi n° 2017-442 du 30 juin 2017 portant code maritime, in J.O.R.C.I., mardi 13 novembre 2018, p. 130.

41
Les ports lagunaires et fluviaux, les ouvrages publics et d’une manière générale les lieux
aménagés en bordure des lagunes, fleuves, lacs ou étangs et affectés à l’usage public font partie
du domaine public artificiel fluvio-lagunaire (art. 60 du code maritime).

Qu’en est-il du domaine public terrestre ?

B. Le domaine public terrestre

Le domaine public terrestre a une consistance hétérogène. Par exemple, les voies ferrées
(le domaine public ferroviaire), les routes ouvertes à la circulation publique (le domaine public
routier), les camps militaires et la bande de 250 mètres autour desdits camps relèvent du
domaine public terrestre.

Comment s’effectuent les opérations de délimitation et d’incorporation du domaine


public artificiel ?

Paragraphe II : la délimitation et l’incorporation du domaine public artificiel

Pour une étude objective nous analyserons le cas spécifique de la délimitation du domaine
public routier (A) avant de voir la technique d’incorporation (B).

A. La délimitation du domaine public routier

La délimitation du domaine public routier se fait par alignement. En vertu de la


jurisprudence administrative ivoirienne106, l’alignement est le procédé de délimitation du
domaine public routier. En d’autres termes, l’alignement consiste pour l’administration à fixer
les limites latérales des voies publiques terrestres par rapport aux propriétés privées voisines.
En effet, il s’agit d’un procédé technique par lequel la personne publique propriétaire procède
à la délimitation de son domaine public routier par rapport aux propriétés voisines.

L’alignement constate les limites d’une voie et y apporte des modifications toute fois
que l’intérêt général l’exige, bien entendu. Elle peut donc avoir pour conséquence d’élargir ou
de réduire la voie. Lorsqu’il y a rétrécissement, les parties délaissées sont déclassées
automatiquement et tombent dans le domaine privé de la personne publique. Dans cette
hypothèse, les riverains ont un droit de priorité pour acquérir ses biens délaissés. Dans
l’hypothèse de l’élargissement de la voie, il est procédé à une cession forcée de la propriété.

106
CSCA, 25 juillet 2018, SCI SICAM C/ Ministre des infrastructures Économiques.

42
Les terrains non bâtis se trouvent frappés de servitude d’interdiction de construire. Quant aux
terrains bâtis, ils sont frappés de servitude de reculement.

Techniquement, l’alignement est un procédé qui comprend un plan d’alignement et un


alignement individuel.

Suivant la procédure telle que consacrée par un arrêté du 3 novembre 1934, le plan
d’alignement fixe de façon générale et impersonnelle le tracé d’une ou d’un ensemble de voies
publiques et la ligne séparatrice d’avec les propriétés riveraines. Le plan d’alignement est un
document technique qui peut servir de preuve matérielle pour l’Administration à l’effet de
fonder juridiquement l’incorporation d’une parcelle dans le domaine public routier. L’on peut
se souvenir de la Chambre administrative de la Cour suprême, dans l’arrêt SCI SICAM contre
le Ministre des Infrastructures Économiques, qui motivait sa décision du 25 juillet 2018 en ces
termes « le Ministre des Infrastructures Économiques, au soutien de ses allégations sur la
domanialité publique du terrain querellé, n’apporte aucun élément technique, notamment le
plan d’alignement délimitant le domaine public routier et incorporant le terrain querellé dans
l’emprise du boulevard Mitterrand… qu’il résulte que la domanialité publique du terrain
querellé n’est pas établie.»107

L’alignement individuel permet de déterminer la limite entre la voie publique et une


propriété privée (terrain, jardin...). Un arrêté d'alignement peut être délivré avant même
l'acquisition du bien. L’administration est obligée de délivrer l’alignement individuel à
l’administré qui en fait la demande.

Qu’en est-il de l’incorporation ?

B. L’incorporation d’un bien dans le domaine public artificiel

Il faut noter que l’affectation d’une dépendance domaniale n’est pas un critère
fondamental d’appartenance au domaine public en Côte d’Ivoire. Lorsqu’un texte indique
expressément qu’un bien relève du domaine public d’une personne publique, si ce bien est
artificiel, on le considère automatiquement comme bien du domaine public artificiel. C’est le
critère de l’automaticité.

107
CSCA, n°254 du 25 juillet 2018, SCI SICAM c/ Ministre des Infrastructures Économiques.

43
Les biens de nature artificielle du domaine public de l’État transférés ou cédés à titre
gratuit ou onéreux aux Collectivités territoriales, les voies de communication, notamment la
voirie et les réseaux divers voire les systèmes de distribution d’électricité et de gaz, et les
réseaux téléphoniques réputés avoir un intérêt local relèvent automatiquement du domaine
public artificiel de la Collectivité territoriale considérées.
En règle générale, l’incorporation au niveau du domaine public artificiel « nécessite une
affectation, c’est-à-dire un acte ou un fait déterminant la destination d’intérêt général. » Il
arrive évidemment qu’un bien artificiel relevant du domaine public soit affecté à l’usage direct
du public ou à un service public en vue de satisfaire l’intérêt général.
On doit comprendre qu’en Côte d’Ivoire l’incorporation se fait principalement à partir
du critère d’automaticité et accessoirement à partir du critère tenant à l’affectation :
incorporation automatique et incorporation par affectation.

Après avoir identifié les personnes qui animent le domaine public, la consistance dudit
domaine, il importe d’en apprécier le régime juridique applicable. Les règles applicables au
domaine public sont connues sous le vocable de la domanialité publique.

44
CHAPITRE III : LA DOMANIALITÉ PUBLIQUE

On appelle domanialité publique, l’ensemble des règles applicables spécialement au


domaine public. Ces règles concernent la protection (section II), l’utilisation (Section III) du
domaine public. Bien avant d’apprécier ce régime, au grand bonheur des apprenants en science
juridique, il convient de rappeler certaines théories de la domanialité publique, (Section I).

Section I : quelques théories sur la domanialité publique

Plusieurs théories se rapportant à la domanialité publique ont été dégagées. Nous nous
focaliserons particulièrement sur trois théories : la théorie de la domanialité publique virtuelle,
la théorie de l’accessoire et de la domanialité publique globale.

Paragraphe I : la théorie de la domanialité publique virtuelle

La théorie de la domanialité publique virtuelle tend à soumettre au régime du


domaine public un bien dont tous les critères d’appartenance au domaine public ne sont
pas réunis. Ce bien soumis virtuellement à la théorie de la domanialité publique ne peut
faire l’objet d’une prescription.108 Cette théorie est plus valable en France dès lors qu’en
droit ivoirien, l’affectation n’est pas un critère fondamental d’appartenance d’un bien
au domaine public. En droit français, en principe, tant que l'affectation ou l'aménagement ne
sont pas réalisés, le bien ne fait pas partie du domaine public. Cependant, le juge administratif
s’est parfois contenté de l'affectation future ou virtuelle pour soumettre un bien à la domanialité
publique.109
Cette théorie diffère de la théorie de l’accessoire et de la domanialité publique virtuelle.

Paragraphe II : la théorie de l’accessoire et de la domanialité publique globale

La théorie de l’accessoire et de la domanialité publique virtuelle ne sont pas à confondre.

A. La théorie de l’accessoire

La Chambre Administrative de la Cour Suprême éclaire notre lanterne sur la théorie de


l’accessoire dans le cadre de la domanialité publique et dégage les conditions dans lesquelles

108
ORLANDINI Jean Philipe, « Biens-propriétés publiques », in ius publicum Network Review, septembre 2013,
p. 2. Voir également sur la question, MONOT-FOULETIER Marjolaine, « L'adhésion du Tribunal des conflits à
une vision extensive de la théorie de la domanialité publique virtuelle », in AJDA, 2017, p. 234.
109
CE 6 mai 1985, Association Eurolat, Lebon 141, concl. B. Genevois.

45
cette théorie peut s’appliquer à un bien pour l’incorporer dans le domaine public : « La théorie
jurisprudentielle de l’accessoire, qui soumet au régime de la domanialité publique un bien
public ne remplissant pas toutes les conditions pour intégrer le domaine public mais se
présentant comme l’accessoire d’un bien public qui relève du domaine public et qui aboutit à
un élargissement du domaine public, doit être différenciée de la théorie civiliste de l’accession
qui entraîne l’extension de la seule propriété ; Que, pour que la théorie de l’accessoire puisse
s’appliquer, il faut, non seulement, que le bien accessoire soit dans un lien d’indissociabilité
physique avec le bien principal et également dans un lien d’utilité, mais aussi et avant tout,
qu’il soit un bien public, propriété de la personne publique concernée »110.
Doit-on, donc, conclure que le bien accessoire entre dans le domaine public de la personne
publique en droit ivoirien ? Il convient de répondre par l’affirmative, si l’ouvrage, propriété
publique, entretient un lien d’indissociabilité physique ou d’utilité publique avec le domaine
public.

« Cette intégration au domaine public par voie d'accessoire peut tenir d'abord à la
situation des biens, à l'existence d'un « lien physique étroit », le bien étant situé au-dessous ou
au-dessus de la dépendance domaniale. En principe, cependant, cet élément ne joue que s'il
existe une véritable dépendance matérielle entre les biens. La notion d'accessoire peut
également jouer lorsque le lien avec le domaine public est, non pas de solidarité physique,
mais fonctionnel : le bien accessoire sert la fonction de la dépendance domaniale dominante.
Ce raisonnement conduit à inclure dans le domaine public différents éléments qui servent à
assurer la conservation et l'utilisation d'une route, des éléments complémentaires d'un canal
etc. »111
Cependant, la portée de la théorie doit être clarifiée. Il ne faudrait pas considérer une
propriété qui sert d'assiette à une canalisation souterraine de distribution d'eau comme faisant
partie du domaine public en application de la théorie de l’accessoire. En droit français, par
exemple, le juge a considéré des parcelles qui servent d’assiette à une canalisation souterraine
de distribution d'eau comme ne constituant pas un accessoire nécessaire des ouvrages
domaniaux qui y sont enterrés.112

110
CSCA, Arrêt n° 53 du 25 Juillet 2018, TOTAL Côte D’Ivoire C/ Ministre des infrastructures économiques, in
www.consetat.ci.
111
Jean-bernard AUBY, Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Philippe TERNEYRE, droit administratif des biens,
Dalloz, 2016, p. 75.
112
CE 8 août 1990, Ministère de l'Urbanisme et du Logement, CJEG 1991.

46
Qu’en est-il de la domanialité publique globale ?

B. La domanialité publique globale

La théorie de la domanialité publique globale « permet l’incorporation de biens qui, pris


isolément, n’en feraient pas partie en application des critères généraux de l’affectation et de
l’aménagement »113.
Ces deux théories permettent « l’extension du régime juridique de la domanialité publique à
des biens qui n’ont pas d’affectation inhérente »114.
Le juge ivoirien se serait fondé sur la théorie de la domanialité globale pour incorporer
un terrain litigieux dans le domaine public aéroportuaire à cause de son emplacement.
L’analyse qu’il fait à l’occasion d’un contentieux le prouve : « considérant, en tout état de
cause, que le terrain litigieux, eu égard à son emplacement, à ses liens fonctionnels avec
l’aéroport et le service public de l’aviation concédé à l’autorité Nationale de l’Aviation Civile
(ANAC) se trouve incorporé dans le domaine public aéroportuaire, que la circonstance qu’il
a fait l’objet d’un bail emphytéotique ou d’une attribution au profit de personnes privées ne
peut avoir pour conséquence de la soustraire au régime de la domanialité publique qui interdit
toute appropriation privative »115.

Cette théorie a été retenue pour caractériser certaines situations dans lesquelles le
régime du domaine public est appliqué à l'ensemble d'un ouvrage, y compris à ses parties non
affectées à l'usage du public ou à un service public, parce qu'on doit le considérer comme
constituant un ensemble fonctionnel dont le régime juridique doit être homogène. Un logement
situé dans un bâtiment abritant une école, ou le logement de fonction du directeur d'un hôpital
peuvent être considérés comme relevant du régime de la domanialité publique.

Section II : le régime de protection du domaine public

113
ARNAUD Charlotte, « Domanialité publique globale et théorie de l’accessoire », RDP, n° 1, 2017, p. 97 et
suiv.

114
Ibid.

115
CSCA, 18 janvier 2012, Autorité Nationale de l’Aviation Civile (ANAC), in tribune de la chambre
administrative de la cours Suprême, n° 02, juin 2014, p. 18.

47
La protection du domaine public passe par son entretien (Paragraphe I), son
indisponibilité (Paragraphe II) et son insaisissabilité (Paragraphe III). Pour veiller au respect
de l’intégrité du domaine public, une police est instituée (IV).

Paragraphe I : La protection par l’entretien du domaine public

L’Administration a l’obligation d’entretenir le domaine public (A) au risque d’engager sa


responsabilité (B).

A. Une obligation pour l’administration

Rien n’oblige une personne privée à entretenir sa propriété (une villa par exemple), il y
aura un problème de droit lorsque le défaut d’entretien de son bien immeuble causera un
dommage à autrui. Par contre, il pèse sur l’Administration l’obligation d’entretenir le domaine
public. L’obligation d’entretien du domaine public protège le domaine public contre les
dégradations ou le laissé aller de l’administration elle-même.

En Côte d’Ivoire, au niveau du domaine public local, les charges d’entretien du domaine
public relèvent des dépenses obligatoires. En vertu de la loi portant régime financier des
Collectivités territoriales et des districts autonomes, « les dépenses obligatoires des
collectivités territoriales ou des districts autonomes sont : 1- les dépenses mises par la loi ou
en vertu de la loi à la charge des collectivités territoriales ou des districts autonomes et en
particulier celles découlant : (…) de l’entretien du patrimoine de la Collectivité territoriale ou
du district autonome »116. On sait bien que le domaine public fait partie du patrimoine des
personnes publiques.

La responsabilité de l’Administration peut être engagée pour défaut d’entretien du domaine


public.

B. La responsabilité administrative pour défaut d’entretien

En Côte d’Ivoire, le défaut d’entretien du domaine public est une faute de nature à engager
la responsabilité de l’Administration. À ce sujet, l’arrêt Djan Ziago Joseph en est une parfaite
illustration. Le défaut d’entretien de la voie publique a été une faute de nature à engager la
responsabilité de l’État. La Chambre administrative soutient « que durant la saison des grandes
pluies, et à cause de leur fréquence, les chutes d'arbres sur la chaussée des routes rurales ne

116
Art. 94, loi n° 2020- 885 du 21 Octobre 2020 portant régime financier des Collectivités territoriales et des
districts autonomes

48
constituent point un évènement imprévisible et irrésistible; que compte tenu des circonstances
de l'espèce, il y a lieu d'attribuer le dommage survenu à un défaut d'entretien de la voie
publique ; que la responsabilité de l'État doit, dans ces conditions être retenue »117.

L’obligation d’entretien du domaine public fait partie des obligations de l’occupant


privatif du domaine public, même lorsque cette obligation n’est pas expressément indiquée
dans l’arrêté portant autorisation d’occupation temporaire d’une portion du domaine public.
Un occupant qui n’entretient pas la portion domaniale occupée peut être évincé.

En vue de le protéger, le domaine public est indisponible. Il convient de voir le principe


de l’indisponibilité.

Paragraphe II : La protection par l’indisponibilité du domaine public

L’indisponibilité du domaine public signifie que le domaine public est inaliénable et


imprescriptible (A). Le juge ivoirien veille au respect de ce principe protecteur du domaine
public, nous le verrons en parcourant la jurisprudence administrative ivoirienne (B). Cette
rigueur du droit n’empêche pas de constater des limites au principe de l’indisponibilité du
domaine public (C).

A. L’inaliénabilité et l’imprescriptibilité du domaine public

L’histoire du droit domanial ivoirien révèle que le principe d’inaliénabilité existait déjà
dans la culture des peuples.118 Le domaine public est inaliénable. L’inaliénabilité du domaine
public n’admet pas l’existence de droits réels privés. En effet, le principe d’inaliénabilité, sous
cet aspect classique, sous-entend que le domaine public, bien qu’étant la pleine propriété d’une
personne publique119, ne peut faire l’objet d’une aliénation. Parallèlement au domaine public,
le propre des biens du domaine privé est d’être aliénable.

L’aliénation s’entend comme la possibilité laissée au propriétaire d’un bien d’en disposer
à son gré, conformément à la réglementation en vigueur. En vertu du Code civil ivoirien, « les

117
CSCA, arrêt n°44 du 31 juillet 1986, Djan Ziago Joseph c/ Etat de Côte d’Ivoire.
118
NENE Bi Boti Séraphin, COFFI Jean-Paul, LAMARCHE Aka Aline, GAGO Niho Chelom, Le droit foncier
Ivoirien, Abidjan, op. cit., p. 32.
119
GAUDEMET Yves, Droit Administratif, Paris, L.G.D.J, 19è éd., 2010, p. 464.

49
particuliers ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent »120. Ceux-ci ont donc la
possibilité de céder leurs biens de leur vivant et peuvent les vendre en toute liberté.

Il est notable de constater que le régime juridique régissant le domaine public, tant celui de
l’État que celui des Collectivités Territoriales, rend ledit domaine inaliénable. La personne
publique propriétaire ne doit pas aliéner ou faire aliéner un bien, si celui-ci fait partie de son
domaine public. L’article 211 de la loi portant régime financier, fiscal et domanial des
Collectivités Territoriales en est une parfaite illustration. Selon l’article 211, « le domaine des
collectivités territoriales est inaliénable… »121. Légitimant, implicitement,122 l’inaliénabilité
du domaine public étatique, le décret du 29 septembre 1928 dispose également en son article
1-J que les biens du domaine public sont « non susceptibles de propriété privée ».

Les biens des personnes privées sont aliénables et saisissables, alors que les biens des
personnes publiques ne le sont pas.

La règle d’aliénabilité en droit privé confère au titulaire d’un bien la prérogative de le céder.
Cette cession se matérialise par « l’abandon qu’un débiteur fait de tous ses biens à ses
créanciers, lorsqu’il se trouve hors d’état de payer ses dettes »123. La cession peut être
volontaire ou judiciaire. La cession des biens est dite volontaire lorsque les créanciers
l’acceptent volontairement et les effets d’une telle cession sont connus par les parties, car elle
résulte des clauses du contrat qui lie le créancier à son débiteur.124 La cession peut également
être judiciaire. Dans ce cas, le Code civil l’appréhende comme « un bénéfice que la loi accorde
au débiteur malheureux et de bonne foi, auquel il est permis, pour avoir la liberté de sa

120
C.civ., 537.
121
Cf. Loi n° 2003-489 du 26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et domanial des collectivités
territoriales, in J.O.R.C.I., numéro spécial, 28 avril 2004, p. 1-19. Les Collectivités Territoriales s’appréhendent
comme « des personnes morales de droit public assises sur des ensembles démographiques et géographiques
locaux et constituant des démembrements territoriaux de l’État, mais détenant à son égard une certaine autonomie
garantie par la Constitution ». V. TOUZEIL-DIVINA Mathieu, Dictionnaire de Droit Public Interne, op.cit., p.
79.

122
Le décret du 29 septembre ne dispose pas explicitement en cet article l’inaliénabilité du domaine public.
123
C.civ., art. 1265.
124
Ibid., art. 1267.

50
personne, de faire en justice l’abandon de tous ses biens à ses créanciers, nonobstant toute
stipulation contraire »125.

En France, le principe d’inaliénabilité n’est pas le fruit du législateur en premier lieu. C’est
un principe qui a été créé par la doctrine et reçu par la jurisprudence, avant que les textes n’en
fassent une véritable clef de voûte de la domanialité publique126. Ce principe serait fondé sur
une décrétale adressée en 1225 par Honorius III, un pape, à l’archevêque de kalocsa, en
Hongrie. Il aurait fait même l’objet d’une insertion dans des collections décrétales qui servaient
de codes à l’église médiévale127.

L’apparition du principe de l’inaliénabilité ne remonte donc pas à l’édit de Moulins de


1566. Le Professeur Pierre-claver KOBO notait que ce principe a été « établi au Moyen âge en
réaction contre la prodigalité des monarques et sera consacré par l’édit de Moulins de
1566 »128. Selon certains auteurs, dont Benoît CAVIGLIOLI, c’est dans un souci de
simplification que les domanialistes classiques font remonter l’origine de ce principe à l’édit
de Moulins129. Monsieur Pierre DE CUGNIERE serait le premier à évoquer le principe
d’inaliénabilité du domaine public à l’assemblée de Vincennes en 1329.130 Il peut donc dire
que « le roi est impuissant à aliéner les droits essentiels de la couronne, parmi lesquels figure
le droit de juger exclusivement les causes temporelles (…). Par suite non seulement il ne peut
les aliéner, mais encore il est obligé par son serment, si quelque aliénation a été faite, d’en
poursuivre la révocation »131.

Datant du 14e siècle, la probabilité d’une affirmation fallacieuse sur les origines du principe
d’inaliénabilité est grandissante. À cet effet, un effort de comparaison doit être juste fait en vue
de comprendre la vocation du principe d’inaliénabilité, dès l’origine. À l’analyse,

125
Ibid., art. 1268.
126
GAUDEMET Yves, Traité de droit administratif, Droit Administratif des biens, op. cit., p. 163.
127
Ibid., p. 160.
128
KOBO Pierre-Claver, Droit administratif des biens, Abidjan, op. cit., p. 58.
129
CAVIGLIOLI Benoît, la constitution de droits réels sur le domaine public, thèse de droit public, Aix-Marseille,
2001, p. 26.
130
Ibid.
131
GRANDCLAUDE Maurice, L’évolution du principe d’inaliénabilité de la couronne, Les cours de droit, Paris,
1949-1950, p. 61 ; note de CAVIGLIOLI Bénoît, thèse précitée, p. 26.

51
l’inaliénabilité a été créée dans le but de protéger les revenus du domaine contre les
dilapidations gratuites132 et l’aliénation par la constitution de droits réels privés. Car, admettre
l’existence des droits réels sur le domaine public serait l’aliéner. Tel que le mettait en relief le
Professeur Esmein, « la théorie de l’inaliénabilité du domaine a été construite afin d’empêcher
l’aliénation de la souveraineté territoriale (duchés, comités, seigneuries) et des droits
régaliens ; elle était trop rigoureuse en ce qui concerne les domaines proprement dits
(maisons, champs ou forêts) »133.

Par la théorie de l’inaliénabilité, le législateur ivoirien a voulu rappeler la souveraineté


de la personne publique sur son domaine.

Le principe d’inaliénabilité est un principe important. Son importance se révèle par la


valeur que lui accorde la doctrine. Une partie de la doctrine l’élevait au rang de « loi
fondamentale de la monarchie »134, on pourrait dire de la République aujourd’hui. Elle aurait
une valeur constitutionnelle pour une partie de la doctrine. Sur la question de la valeur
constitutionnelle du principe d’inaliénabilité, Marcel WALINE émet un doute. En effet,
« observant le silence des lois constitutionnelles de 1875 sur ce point », il se demandait « si la
règle n’était pas consacrée par une coutume constitutionnelle »135. Le doute exprimé par
Marcel WALINE n’est pas sans fondement, car le Conseil constitutionnel français avait refusé
de reconnaître la valeur constitutionnelle du principe d’inaliénabilité. Néanmoins, en 2018, le
Conseil Constitutionnel français a estimé que le principe d’inaliénabilité est conforme à la
Constitution.136La protection du domaine public a une valeur constitutionnelle incontestable137
pour Yves GAUDEMET.

Selon l’article 11 de la Constitution ivoirienne, « le droit de propriété est garanti à tous.


Nul ne doit être privé de sa propriété… ». À travers cette disposition constitutionnelle, il faut
comprendre que la Constitution protège le droit de propriété. Toute violation du droit de

132
CAVIGLIOLI Bénoît, thèse précitée, p. 26. p. 27.
133
GAUDEMET Yves, Traité de droit administratif, droit administratif des biens, op. cit., p. 160.
134
CAVIGIOLI Benoît, La constitution de droits réels sur le domaine public, op. cit., p. 28.
135
GAUDEMET Yves, Droit administratif des biens, op. cit., p. 163.
136
Décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018.
137
GAUDEMET Yves, Droit administratif des biens, op. cit., p. 163.

52
propriété peut être sanctionnée par les juridictions ordinaires et même le juge constitutionnel138
s’il est saisi. La personne publique, seule détentrice d’un droit de propriété sur le domaine
public, est également concernée par cette protection constitutionnelle139.

Implicitement le constituant indique qu’il est inconstitutionnel d’aliéner la propriété


d’une personne.

On comprend aisément la raison pour laquelle une partie de la doctrine accorde une valeur
constitutionnelle au principe d’inaliénabilité.

Conformément aux sources textuelles du droit ivoirien, le domaine public est


« imprescriptible »140. De ce fait, aucune portion du domaine public ne peut faire l’objet d’une
prescription. La consécration du principe d’imprescriptibilité est un indice du rejet des droits
réels privés sur le domaine public. Cela réside dans le fait que la prescription est une règle
fondamentale des droits réels privés. C’est certainement la raison pour laquelle le Code civil
lui accorde un titre entier141. Le principe d’imprescriptibilité étant le corollaire direct du
principe d’inaliénabilité142, l’incompatibilité des droits réels privés avec le domaine public ne
fait aucun doute.

La prescription est une règle fondamentale en matière de possession des droits réels privés.
Elle occupe une place non négligeable en droit privé. Le Code civil définit la prescription
comme « un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps, et sous les
conditions déterminées par la loi »143. Que devons-nous comprendre ?

La prescription, un moyen d’acquérir ou de se libérer. Le Code civil appréhende la


prescription, avant tout, comme le mécanisme juridique qui permet d’entrer en possession.
Cette entrée en possession est liée à l’épuisement d’un temps et conditionnée par la loi. La

138
Dans le cadre d’un contrôle par voie d’action ou d’exception.
139
À titre d’illustration, voir : Conseil constitutionnel français, 25-26 juin 1986, consid. n°58, Rec., p. 6.
140
Voir : la loi portant régime financier, fiscal et domanial des collectivités territoriales, précitée.
141
C.Civ., Titre vingtième : de la prescription.
142
Il en est de même pour l’aliénation et la prescription. Cela se perçoit bien à travers le lien que le code civil
ivoirien établit entre la prescription et l’aliénation. À travers l’article 2222, l’on perçoit le fait que « celui qui ne
peut aliéner ne peut renoncer à la prescription acquise ».
143
C.Civ, Titre vingtième : de la prescription, chapitre premier, article 2219.

53
prescription est, au regard du Code civil, un mécanisme juridique qui permet de se décharger
ou de s’exonérer.

Une personne privée peut acquérir une propriété ou un droit de propriété d’une autre
personne par l’épuisement d’un temps bien déterminé. Elle peut également se libérer d’une
obligation juridique à l’avènement d’un temps donné. C’est le cas d’une personne qui veut se
libérer du paiement d’une créance144. Dans le même sens, l’article 2241 du Code civil dispose
que : « on peut prescrire contre son titre, en ce sens que l’on prescrit la libération de
l’obligation que l’on a contractée ».

Une personne peut renoncer au droit qu’elle obtient par prescription. Selon le Code civil,
sa renonciation peut être expresse145, c’est-à-dire qu’elle exprime clairement la volonté du
bénéficiaire de ne pas vouloir acquérir ou se libérer d’un droit réel privé. On ne peut renoncer
à la prescription avant l’écoulement du temps. Il faut qu’elle soit acquise 146. L’acquisition de
la prescription signifie que le temps requis pour bénéficier ou se libérer d’un droit réel privé
est atteint147. C’est seulement qu’à l’avènement réel et non présumé de la prescription que la
renonciation est possible. La renonciation de la prescription peut se faire également de manière
tacite, c’est-à-dire qu’elle « résulte d’un fait qui suppose l’abandon du droit acquis »148.

Comme mise en évidence, l’acquisition par prescription implique nécessairement une


possession préalable d’un premier possesseur. La possession est la « détention ou la jouissance
d’une chose ou d’un droit que nous détenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par
un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom »149. La prescription met en jeu la possession
d’un droit ou d’une chose. On ne peut soumettre au jeu de la prescription un bien dont on n’est
pas le propriétaire ou un droit dont on n’est pas titulaire. Le Code civil ivoirien exige que la
possession soit « continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de

144
Pour une étude plus approfondie sur ce point, lire : BUI Duc Giang, Sûretés conventionnelles sur créances en
droit français, anglais et vietnamien, Thèse de Droit privé, Université Panthéon-Assas, 2014, p. 217.
145
C.Civ., art. 2221.
146
C.Civ., art. 2220.
147
C.Civ., art. 2261.
148
C.Civ., art. 2221.
149
C.Civ., art. 2228.

54
propriétaire »150. Ce sont les caractères de la possession du possesseur en tant que propriétaire.
N’étant pas les véritables propriétaires, ceux qui possèdent une chose ou un droit pour autrui
ne peuvent s’adonner à une prescription151. Cependant, tant que l’on n’apporte pas la preuve
contraire il y a présomption de possession pour soi de la chose qu’on a.

En droit privé, plusieurs causes peuvent empêcher la prescription. Les héritiers d’une
personne qui possède un titre pour autrui ne peuvent s’adonner à une prescription. Cela est tout
à fait normal. En effet, la personne dont il est question ne détient que précairement le droit ou
la chose du véritable propriétaire. Les créanciers ne doivent saisir que des biens appartenant
légalement à leur débiteur. François TERRÉ et Philippe SMILER affirmaient à cet effet que
« les créanciers (…) ne pourront saisir le bien qui n’appartient pas à leur débiteur, telle est
l’obligation négative qui pèse sur tout le monde de ne pas troubler le titulaire du droit réel »152.

Le Code civil apporte, néanmoins, une exception au principe de non-prescription des


héritiers d’une personne qui possède un titre pour autrui. En vertu de l’article 2238, il ressort
que ces personnes « peuvent prescrire, si le titre de leur possession se trouve interverti, soit
par une cause venant d’un tiers, soit par la contradiction qu’elles ont opposée au droit de
propriété »153.

Il faut noter aussi que, dans le champ de la prescription, sont proscrits les actes de violence,
les actes de pure faculté et de simple tolérance. Une personne qui s’est accaparée de la chose
d’une autre avec violence ne peut prescrire en se comportant comme propriétaire. Ici, la légalité
fait la distinction entre la possession utile et la possession inutile. Dans l’esprit du législateur,
la possession utile est celle qui a été rendue possible sans violence. « La possession utile ne
commence que lorsque la violence a cessé ».154

À l’analyse, le droit privé facilite la circulation des droits réels privés. L’on peut passer, de
ce fait, d’un titulaire à un autre ; et la prescription semble faciliter ce passage.

150
C.Civ., art. 2229.
151
C.Civ., art. 2236
152
TERRÉ François, SMILER Philippe, Les biens, Paris, Dalloz, 2014, p. 7.
153
C.Civ., art. 2238.
154
C.Civ., art 2233.

55
Le législateur a pris le soin d’opérer une classification relative au temps requis pour
prescrire. Une distinction est opérée entre la prescription trentenaire, la prescription par dix,
vingt ans et les prescriptions à délai exceptionnel.

Selon le Code civil, « toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites
par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre,
ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi ».155 Dans le cadre de cette
étude, retenons que les actions possessoires contre un bien objet de droit réel privé, sur le
fondement de la prescription, ne peuvent prospérer après 30 ans. Cependant, en vertu du Code
civil, un débiteur peut être contraint de fournir à ses frais un nouveau titre à son créancier ou
ayant cause. Il en sera le cas pour la prescription du dernier titre d’un débiteur datant de vingt-
huit ans156.

La prescription joue un rôle très important dans l’exercice des droits réels privés. La place
que lui accorde le législateur ivoirien dans le Code civil le démontre clairement. On voit bien
que la prescription est l’un des piliers essentiels dans l’existence et la survie des droits réels
privés. Les personnes publiques bénéficient à la fois de prescriptions privées et de prescriptions
administratives. Nous appelons prescriptions administratives, celles prévues par le droit
administratif. En droit administratif des biens, il existe, par exemple, une prescription dite
quadriennale ; en vertu de laquelle, « toutes les créances acquises à l’encontre des personnes
publiques et non payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant
celle au cours de laquelle les droits ont été acquis sont prescrites »157.

Le domaine public est un ensemble de biens publics soumis à des règles spéciales, dont
l’imprescriptibilité, corollaire utile de l’inaliénabilité. Le fait que les droits réels privés soient
prescriptibles et que le domaine public soit imprescriptible donne lieu à une incompatibilité
entre eux. A priori, il y a une incompatibilité entre les droits réels privés et le domaine public.

Le domaine public est imprescriptible tandis que les droits réels privés sont prescriptibles.
Cela témoigne formellement de leur incompatibilité. Les biens d’une personne publique

155
C.Civ., art 2262.
156
Ibid., art. 2263.
157
VAN LANG Agathe, GONDOUIN Geneviève, INSERGUET-BRISSET Véronique, Dictionnaire de droit
administratif, op. cit., p. 354.

56
doivent lui revenir forcément. Elle doit réclamer ses biens détenus par un tiers, quel que soit le
laps de temps écoulé.

L’imprescriptibilité du domaine public signifie qu’il ne peut faire l’objet de prescription.


Ce principe formule l’interdiction formelle d’un droit acquis158 sur le domaine public par voie
de prescription, d’une part. D’autre part, il consacre l’obligation faite à l’Administration
d’intenter une action possessoire contre tout bien public détenu par une personne privée
pendant un laps de temps sans autorisation, en se fondant sur la prescription.
L’imprescriptibilité autorise également une action en réparation contre les dommages causés à
une dépendance domaniale. En vertu du principe d’imprescriptibilité, aucun tiers ne doit
s’approprier une dépendance domaniale par voie de prescription acquise159 ou y constituer des
droits réels privés.

Longtemps perçu comme un principe lié à l’inaliénabilité du domaine public, le principe


d’imprescriptibilité se distingue de nos jours de ce dernier et n’est qu’un corollaire nécessaire.
Pour certains auteurs, l’imprescriptibilité serait plus importante que la règle de
l’inaliénabilité160. Son importance réside dans le fait qu’elle permet de lutter plus efficacement
contre la constitution de droits réels privés sur le domaine public. Mais aussi, elle permet de
lutter contre toute occupation sans titre du domaine public161.

L’imprescriptibilité tout comme le principe d’inaliénabilité est liée à l’affectation 162 ou la


destination du bien. En effet, ce principe s’applique à tout bien du domaine public.

La règle d’imprescriptibilité fait partie des règles qui rendent impossible l’exercice des
droits réels privés sur le domaine public.

Le principe de l’imprescriptibilité doit sa survie à l’intérêt général, but du domaine public.


Aucune règle de la domanialité publique ne subsistera s’il arrivait qu’elle ne concoure pas à la
satisfaction de l’intérêt général.

158
CSCA, n°144, 19 décembre 2012, l’Association Sportive Nautique Abidjanaise (ASNA), in www.consetat.ci.
159
VAN LANG Agathe, GONDOUIN Geneviève, INSERGUET-BRISSET Véronique, Dictionnaire de droit
administratif, op. cit., p. 239.

160
GAUDEMET Yves, Cours de Droit administratif des biens, op. cit., p. 177.
161
MORAND-DEVILLER Jacqueline, Cours de droit administratif des biens, Paris, Montchrestien, 2012, p. 143.
162
HAURIOU Maurice, Précis de droit administratif et de droit public, 8e édition, Paris, sirey, 1919, p. 734.

57
Les biens qui poursuivent un but d’intérêt général sont imprescriptibles. Les biens qui
poursuivent un but d’intérêt privé sont prescriptibles.

Le principe de l’indisponibilité du domaine public est consacré par la jurisprudence


administrative ivoirienne.

B. L’indisponibilité dans la jurisprudence administrative ivoirienne

La jurisprudence administrative ivoirienne nous fait remarquer le juge ivoirien veille au


respect du principe de l’indisponibilité du domaine public.
Dans l’affaire Société civile immobilière Msc Real Estate Ivory Coast dite sci Msc Estate
Ivory Coast c/ Ministre de la construction et de l’urbanisme, le Conseil d’État Ivoirien déclare
inexistant un Arrêté de Concession définitive sur le domaine public en ces termes : « en raison
de l’atteinte ainsi portée à l’inaliénabilité du domaine public, il y a lieu, sans qu’il soit besoin
d’examiner l’autre moyen de la requête, de déclarer inexistant l’arrêté de concession définitive
n° 17-01064/MCULAU/DGUF/DDU/COD-AS/AKF1 du 26 octobre 2017 détenu par monsieur
DUBOY Eric sur le domaine public et ce, sans considération de délais ».163
L’inexistence est une sanction très grave en droit administratif. L’inexistence est une
sanction qui frappe un acte administratif entaché d’une illégalité particulière. Cette sanction
« permet au Conseil d’État de renforcer son contrôle juridictionnel sur les actes administratifs
dont il souhaite sanctionner solennellement l’illégalité et dénoncer les conséquences
choquantes »164. La théorie de l’inexistence a pour effet d’anéantir ab initio l’acte administratif.
L’acte disparaît rétroactivement165.

Pour déclarer l’inexistence d’un acte d’appropriation privée sur le domaine public, le juge
se fonde sur l’indisponibilité du domaine public. « L’indisponibilité du domaine public signifie
que les biens qui en font partie sont inaliénables et imprescriptibles »166.

Le juge ivoirien, dans son rôle de gardien de l’intégrité du domaine public, veille sur la
consistance du domaine public par l’application des principes qui le régissent. En conformité

163
CE, arrêt n° 70 du 12 février 2020, Société civile immobilière Msc Real Estate Ivory Coast dite sci Msc Estate
Ivory Coast c/ Ministre de la construction et de l’urbanisme, in www.consetat.ci.
164
VAN LANG Agathe, GONDOUIN Geneviève, INSERGUET-BRISSET Véronique, op. cit., p. 244 et suivante.
165
Ibid.
166
KOBO Pierre-Claver, Droit administratif des biens, op. cit., p. 57.

58
avec le principe d’inaliénabilité, il vient interdire toutes formes d’occupation privative
définitive du domaine public. L’arrêt GRALOU Gounan veuve Yabi Tra Barthe167 en est une
parfaite illustration. En effet, dans cet arrêt, le juge estime que le domaine public ne peut faire
l’objet d’une occupation privative définitive, car inaliénable.

En 2014, la haute juridiction administrative fait montre de sa position dans l’arrêt Chahin
SOMBO C/ Ministre de l’Économie et des Finances168. Selon les faits, Monsieur CHAHIN
Sombo a été autorisé, suivant un arrêté du ministre d’État, ministre des Mines et de l’Énergie,
chargé de l’intérim du Ministre d’État, Ministre des infrastructures Économiques, à occuper
temporairement la parcelle du domaine public routier. Cette occupation avait pour finalité de
construire le siège social de l’émission télévisée Tonnerre. Le Sieur Sombo a été confronté,
lors des démarches effectuées pour la mise en valeur des lieux, à Madame DOSSO Aminata
qui détenait un certificat de propriété sur la même parcelle. Le certificat lui a été délivré le 20
avril 2010. Prétendant illégal le certificat de propriété de Dame DOSSO Aminata, Monsieur
CHAHIN Sombo a, le 02 mai 2011, demandé à la Chambre Administrative de la Cour Suprême
de l’annuler, de même que l’arrêté de concession provisoire du 12 février 2010 qui lui a servi
de base. Notons qu’il saisit le juge après avoir saisi le ministre de la construction, de
l’Urbanisme et de l’Habitat. Un certificat de propriété peut-il exister sur le domaine public en
Côte d’Ivoire ? Telle est la question à laquelle le juge devait répondre. Sur le fondement des
principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public, le juge de l’excès de
pouvoir estime qu’un certificat de propriété ne peut exister sur le domaine public et qu’il
s’ensuit une atteinte grave portée à l’indisponibilité du domaine public. Pour le juge, cela vaut
nullité absolue dudit certificat.

En 2015, la Chambre Administrative de la Cour Suprême, dans l’arrêt Madame GOFFRI


épouse Bleu-lainé,169 intervient pour rappeler l’idée d’interdiction d’appropriation privée du
domaine public. Des faits de cet arrêt, il ressort que Madame GOFFRI épouse Bleu Lainé
Simone Clémence Antoinette est attributaire avec promesse de bail emphytéotique, suivant une

167
CSCA, n°84 du 23/05/ 2012, Mme GRALOU Gounan, Veuve YABI TRA Barthe Lemy C/ Ministre de la
construction de l’urbanisme et de l’habitat, www.consetat.ci.
168
CSCA, arrêt n° 179 du 23/12/2014, Chahin SOMBO C/ Ministre de l’économie et des Finances,
www.consetat.ci.

169
CSCA, n° 28/01/2015, Madame GOFFRI Epouse BLEU-LAINE Simone Clémence C/conservateur de la
propriété foncière des hypothèques d’Abidjan Sud I, in www.consetat.ci.

59
lettre du Ministre de la construction de l’urbanisme et de l’habitat, d’une parcelle de terrain de
superficie 1331 mètres carrés. Elle obtient ce terrain en vue de l’extension de son officine de
pharmacie. Cette dernière a été confrontée à l’existence du certificat de propriété foncière
délivré à la BIAO-CI sur ladite parcelle. Notons que cette parcelle a été cédée à la BIAO suivant
un acte notarié par Monsieur Bakary Doumbia, ex-titulaire d’une lettre d’attribution et d’un
arrêté de concession provisoire du Ministre de la construction sur ledit lot. Estimant illégal
l’acte auquel elle était confrontée, Dame GOFFRI saisit la Chambre Administrative de la Cour
Suprême en vue de l’annulation du certificat de propriété établi par le conservateur de la
Propriété foncière et des hypothèques d’Abidjan (Treichville) au profit de la BIAO-CI. Dame
GOFFRI souhaitait également l’annulation de tous les actes antérieurs ayant donné lieu à
l’établissement dudit certificat. Dans l’affaire, la question de l’existence d’un certificat de
propriété sur le domaine public faisait partie des interrogations qui adressées au juge.
Remarquant que la parcelle querellée faisait partie du domaine public, le juge décide que le
domaine public, étant inaliénable et imprescriptible, ne peut être l’objet d’une appropriation
privative.

Toutefois, cela n’empêche que le principe de l’indisponibilité soit limité.

C. les limites du principe de l’indisponibilité du domaine public

La question des droits fondés en titre (1) et l’exercice exceptionnel des servitudes de droit privé
révèlent les limites du principe de l’indisponibilité du domaine public.

1. La question des droits fondés en titre

Il y a eu des cas rares où le droit domanial en vigueur en Côte d’Ivoire, a admis


l’existence d’un titre de propriété régulier et définitif à condition que ce titre préexiste à
l’incorporation du bien objet d’appropriation privée dans le domaine public. À la lumière du
décret du 29 septembre 1928, il ressort que « les détenteurs de terrains compris dans le
domaine public qui possèdent ces terrains en vertu de titres réguliers et définitifs antérieurs à
la promulgation (…), ne peuvent en être dépossédés si l’intérêt public venait à l’exiger, que
moyennant le payement ou la consignation d’une juste et préalable indemnité»170. En effet,
avant 1928 certains particuliers détenaient des titres de propriété sur des parcelles qui, par
l’effet du décret de 1928, ont été incorporées dans le domaine public. L’incorporation est « un

170
Cf. art. 9, décret du 29 septembre 1928, portant réglementation du domaine public et des servitudes d’utilité
publique, précité.

60
acte juridique désignant officiellement la destination du bien en cause suivie d’une
affectation »171. Logiquement, l’incorporation d’une portion domaniale dans le domaine public
fait d’elle une propriété publique172. C’est-à-dire, un bien qui appartient à une personne
publique. Seule une personne publique peut être propriétaire d’un domaine public.173
Cependant, la situation des propriétaires de terrains inclus dans le domaine public, par
incorporation, semble faire exception au critère organique d’identification d’un bien du
domaine public. Bien que des propriétés privées soient incluses dans le domaine public, le
législateur subordonne la dépossession de celles-ci à une motivation d’intérêt public et d’une
juste indemnisation préalable. Implicitement, l’on ne devrait-il pas comprendre que si ces
conditions ne sont pas réunies les propriétaires de terrains inclus dans le domaine public
disposent toujours d’un droit de propriété sur lesdits terrains ? Une réponse affirmative n’est
pas illogique.

Un récent décret reconduit, presque textuellement, la même disposition du décret du 29


septembre 1928 pour incorporer les propriétés acquises avant l’entrée en vigueur dudit décret
dans le domaine public maritime et fluvio-lagunaire : « les détenteurs de terrains compris dans
les domaines publics maritime et fluvio-lagunaire qui les possèdent en vertu de titres réguliers
et définitifs antérieurs à l’entrée en vigueur du présent décret, ne peuvent être dépossédés, si
l’intérêt public venait à l’exiger, que moyennant le payement ou la consignation d’une juste et
préalable indemnisation »174.

Quieta non movere. L’admission circonstancielle d’un droit de propriété privée sur le
domaine public trouble une certaine quiétude en doctrine domaniale. La question des droits
fondés en titre est problématique.

171
KOBO Pierre-Claver, Doit administratif des biens, op.cit., p. 38.
172
YOLKA Philippe, La propriété publique : élément pour une théorie, thèse précitée, 647 pages.
173
Le juge reconnaît par exemple qu’une commune est propriétaire d’un domaine public : CSCA, n° 90 du
30/05/2012, Société CHEVRON-CI c/ Mairie de GUIGLO, in www.consetat.ci.
174
Cf, art. 26 al 1, décret n° 2019- 243 du 20 mars 2019 fixant les procédures de délimitation et les modalités de
gestion des domaines publics maritime et fluvio-lagunaire.

61
2. L’exercice exceptionnel des servitudes privées

En droit domanial ivoirien, « (…) Si un bien, avant son incorporation au domaine public,
est grevé d’une servitude quelconque au profit d’une collectivité ou d’un particulier, cette
servitude continue à condition qu’elle ne soit pas contraire à l’affectation du bien »175.

Que faut-il entendre par l’antériorité de la servitude de droit privé à l’incorporation du


bien ? Pour comprendre cette première condition, il faut mieux cerner les contours de la notion
de servitudes de droit privé et celle d’incorporation d’un bien au domaine public. Selon l’article
637 du Code civil ivoirien, la servitude est « une charge imposée sur un héritage pour l’usage
et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ». À supposer que le domaine
public soit un héritage commun, eu égard au but d’intérêt général qu’il poursuit, il est logique
de dire, au sens du Code civil, que la servitude s’impose à lui au profit d’un autre propriétaire
privé. Mais appréhender les choses de cette façon revient à réduire le domaine public à une
simple propriété de droit commun. On sait bien qu’il est la propriété indiscutable de la grande
puissance publique, investie du pouvoir de prendre des décisions exécutoires. C’est pourquoi
le législateur, dans le code maritime, en favorisant le propriétaire privé sans vouloir porter
atteinte à l’intégrité du domaine public, exige que la servitude de droit privé doive être
antérieure à l’incorporation de la portion audit domaine.

Le dictionnaire juridique du Professeur Gérard CORNU définit l’incorporation comme


« une opération consistant à faire entrer… un bien dans une catégorie soumise à un régime
déterminé. » Une telle définition est générale et ne rend pas compte de la véritable destination
du bien ayant vocation à être incorporé.

L’incorporation c’est le fait pour un bien d’entrer dans le domaine public. Sur la base d’une
telle définition, l’on retiendra donc que le législateur insinue qu’une servitude privée s’impose
à un bien domanial si cette servitude est préalablement supportée par ce bien avant qu’il ne
fasse partie du domaine public. La seconde condition est la non contrariété du droit réel privé
avec l’affectation du bien domanial.

La préexistence de la servitude privée à l’incorporation d’un bien au domaine public n’est


pas la seule condition en vertu de laquelle une personne qui l’exerçait continue de l’exercer
malgré l’incorporation au domaine public. L’on peut remarquer que le code maritime ivoirien

175
Art., 16 al. 2, loi n° 2017-442 du 30 juin 2017 portant code maritime, in J.O.R.C.I., mardi 13 novembre 2018,
p. 130.

62
consacre une deuxième condition. Cette servitude ne doit pas être contraire à l’affectation du
bien domanial. Affecter un bien, c’est lui donner une destination précise. À cet effet, le
législateur veut nous faire comprendre, donc, que cette charge qui pèse sur la dépendance
domaniale doit impérativement être modulable à la destination du bien, c’est-à-dire le but
auquel il est affecté.

Une fois ces conditions remplies, le domaine public sera régi par le régime de droit privé
dans une certaine mesure. Appliquer le droit privé au domaine public paraît pourtant
inadmissible à cause du prestige que cette propriété représente pour l’ensemble des usagers.

Il faut remarquer qu’aujourd’hui le droit français, en pleine mutation, consacre également


la possibilité d’exercer une servitude de droit privé sur le domaine public. En effet, aux termes
de l’article L2122-4 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques « des servitudes
établies par conventions passées entre les propriétaires, conformément à l’article 639 du Code
civil, peuvent grever des biens des personnes publiques…qui relèvent du domaine public, dans
la mesure où leur existence est compatible avec l’affectation de ceux de ces biens sur lesquels
ces servitudes s’exercent. »

Franchissant le Rubicon en permettant qu’une servitude de droit privé puisse être supportée
par le domaine public, le législateur ivoirien fait remarquer la flexibilité de la domanialité
publique.

Le constat est que les servitudes de droit privé, telles que consacrées par les textes en droit
ivoirien, sont conditionnées. La consécration textuelle de l’existence de servitudes privées sur
le domaine public semble évidente par rapport à la consécration jurisprudentielle.

La question de l’existence de la servitude privée sur le domaine public en Côte d’Ivoire ne


semble pas s’être posée encore devant le juge ivoirien. Toutefois en France, eu égard aux arrêts
DAUPHIN176 et BERTHIER177, la jurisprudence a admis l’existence d’une servitude privée à
condition que d’une part, elle préexistait à l’incorporation du bien au domaine public et que,
d’autre part, elle est compatible avec l’affectation du bien en cause.

Dans la majeure partie des cas, on peut s’étonner que le Conseil d’État français n’ait pas pu
établir la condition de compatibilité de la servitude de droit privé à l’affectation du bien

176
CE, 11 Mai 1959, DAUPHIN, Rec., p. 294.
177
CE, 22 Avril 1960, BERTHIER, Rec., p. 264.

63
domanial.178 Il a, généralement, empêché la servitude de droit privé sur le domaine public.
« Ainsi dans l’affaire Dauphin, concernant la fameuse affaire de l’allée des Alyscamps à Arles,
il a estimé que le demandeur bien que bénéficiant d’une servitude de passage antérieurement
à l’incorporation de cette allée dans le domaine public, ne pouvait plus s’en prévaloir dans la
mesure où, du fait de la fermeture de la grille, elle était devenue incompatible avec la
destination du domaine. De même dans l’affaire Berthier, concernant l’incorporation de la
place de l’Aéromoteur à Maison-Blanche, au domaine public, il a estimé que, à supposer même
que l’intéressé puisse établir à son profit un droit de servitude (en l’occurrence un droit de
passage en voiture) antérieur à l’incorporation de cette place dans le domaine public le fait
que celle-ci était aménagée en promenade publique ( et non en voie publique) faisait obstacle
à son exercice »179.

Qu’en est-il de l’insaisissabilité ?

Paragraphe III: La protection par l’insaisissabilité

Les biens d’une personne publique sont insaisissables. C’est le principe de


l’insaisissabilité. Le principe de l’insaisissabilité vaut aussi bien pour le domaine public que
pour les biens relevant du domaine privé. Par conséquent, Ces biens ne peuvent faire l’objet de
voie d’exécution. Cette pratique est monnaie courante dans les rapports entre créancier et
débiteur en droit privé, notamment en matière commerciale.
Le principe de l’insaisissabilité fait l’objet d’une consécration textuelle et appuyée par
la jurisprudence administrative. L’article 4 de l’ordonnance portant titres d’occupation du
domaine public dispose que le domaine public est insaisissable. L’article 27 de la loi relative
aux établissements publics nationaux dispose également que « les établissements publics
nationaux ne sont pas soumis aux procédures judiciaires relatives aux voies d'exécution »180.
L’on peut se souvenir également que lorsque qu'en exécution d'une décision de la juridiction
sociale, condamnant l'Institut National d’Hygiène Publique, son ex employeur, à lui payer la
somme de 8.495.340 frs au titre de ses droits, Monsieur N'GOTTA Konan Julien avait opéré

178
Voir : Rapport présenté aux 3e journées Savatier à Poitiers les 4 et 5 octobre 1990, consacrée à : « l’évolution
contemporaine du droit des biens », sous-thème : Les servitudes sur le domaine public, CJEG, mai, 1991, p. 151.
179
Rapport présenté aux 3e journées Savatier à Poitiers les 4 et 5 octobre 1990, consacrée à : « l’évolution
contemporaine du droit des biens », sous-thème : Les servitudes sur le domaine public, CJEG, mai, 1991, p. 151.
180
Art.27., loi n°2020-627 du 14 août 2020 fixant les règles générales relatives aux établissements publics
nationaux et portant création de catégories d'établissements publics.

64
une saisie-arrêt de 10.000.000 frs entre les mains de la caisse Autonome d'Amortissement, la
Chambre Administrative avait ordonné la mainlevée de cette saisie-arrêt sur le fondement du
principe de l’insaisissabilité.181
Ces règles exposées visent à assurer la protection du domaine public. Malheureusement,
des atteintes peuvent être constatées. D’où l’institution d’une police spéciale.

Paragraphe IV : la police contre les atteintes au domaine public

La Police de la conservation se distingue de la police administrative générale (A). Les


atteintes au domaine public sont sanctionnées. Nous apprécierons le régime des poursuites
proprement dit (B).

A. distinction police administrative générale et police de la conservation

« C’est une police spéciale qui renferme l’ensemble des dispositions législatives et
règlementaires destinées à préserver l’intégrité matérielle de certaines dépendances du
domaine public et l’usage auquel elles sont affectées »182. À la suite d’Yves GAUGEMET, on
peut la concevoir comme cette police qui consiste « dans le pouvoir que détiennent certaines
autorités administratives d’utiliser des moyens de police, c’est-à-dire d’édicter des mesures
préventives assorties de sanctions pénales en vue de la conservation matérielle du domaine
public »183. Cette police se distingue de la police administrative générale. Une nuance doit être
faite au niveau de leur champ d’application respectif, de leur but et de leur sanction.

1. Au niveau du champ de compétence

La police administrative générale s’applique à l’ensemble des biens publics et privés.


La police de la conservation porte uniquement sur le domaine public. Par exemple, la police de
la circulation qui s’exerce sur le domaine public routier est une manifestation de la police
administrative. Étant une police spéciale, la police de la conservation ne peut s’exercer sans
texte. Une autorité de police spéciale ne peut intervenir dans un domaine où elle n’a pas reçu
une habilitation législative. On remarquera par ailleurs que la police de la conservation ne
s’exerce pas sur toutes les dépendances du domaine public. En Côte d’Ivoire, il est créé, par

181
CSCA, arrêt n° 28 du 18 mai 2005, INSTITUT NATIONAL D’HYGIÈNE PUBLIQUE (INHP) C/ N’GOTTA
KONAN JULIEN ET AUTRES.
182
MAMBO Paterne, Cours de droit administratif des biens, op.cit., p. 52.
183
GAUDEMET Yves, Traité de Droit Administratif, Droit Administratif des biens, op.cit., p. 181.

65
exemple, la direction du domaine public de l’État qui a en son sein une police de la conservation
investie du pouvoir de veiller à la sauvegarde du domaine public routier de l’État.

L’autorité de police générale peut être différente de celle de la police de la conservation.


Sur une même dépendance du domaine public routier, il peut voir s’exercer deux autorités de
police différentes. L’une exerçant le maintien de l’ordre public et l’autre la conservation du
domaine public. Une autorité de police générale peut-elle prendre une mesure de conservation
du domaine public ? Une autorité de police générale ne peut utiliser son pouvoir de police à
des fins de conservation du domaine public. En France, ces mesures seront annulées si elles
poursuivent un intérêt financier (CE, 12 nov 1927, bellescize), à moins qu’elles s’avèrent
nécessaires pour assurer la sécurité de la circulation dans le même temps (CE, 29 janvier 1926
plâtreries de bagnolet et 3 février 1926, exploitations forestières de painpont).

Le Conseil d’Etat français avait qualifié de détournement de pouvoir, l’interdiction faite


par un maire à des véhicules de circuler sur certaines voies pour éviter des frais d’entretien de
certaines voies publiques. (CE, 27 juillet 1928, Société des ateliers Turcat, Rec., p. 969).
L’interdiction de circulation relève du pouvoir de police générale. Par contre, l’entretien du
domaine public routier participe de la conservation du domaine public. N’est-ce pas le champ
de compétence de la police de la conservation ? Il peut arriver également qu’une autorité soit
investie à la fois du pouvoir de police administrative générale et celui de police de la
conservation. Dans ces conditions, la nuance est délicate.

2. Au niveau du but

La police générale vise à sauvegarder l’ordre public : la sécurité publique, la salubrité


publique et la tranquillité publiques. La police de la conservation vise la conservation du
domaine public uniquement, son intégrité matérielle.

3. Au niveau des sanctions: distinction contravention de police et contravention


de voirie

La police de la conservation a un caractère mixte : répressif et restitutif. Il s’agit d’une


infraction matérielle. Ainsi la bonne foi serait sans influence. La police administrative est
préventive.

Une nuance doit être établie entre la contravention de police qui relève de la police
administrative générale et la contravention de voirie qui est une sanction que la police de

66
la conservation inflige à une personne qui aura porté atteinte à l’intégrité matérielle du
domaine public.

B. le régime des poursuites : La contravention de voirie

La contravention de voirie est une infraction dont la consécration vise à réprimer les
atteintes portées à l’intégrité du domaine public. L’article 8 du décret du 29 septembre prévoit
des sanctions allant de l’amende à des peines d’emprisonnement en cas de récidive. L’article
32 de l’ordonnance portant titre d’occupation du domaine public consacre la contravention de
voirie en disposant qu’« à l’expiration du titre d’occupation, les lieux doivent être remis dans
leur état primitif par l’occupant, sous peine de se rendre coupable d’une contravention de
voirie ».

Lorsque le domaine public n’est pas particulièrement protégé par le régime répressif des
contraventions de voirie, le seul moyen dont disposent les autorités reste le recours au juge afin
que celui-ci prononce l’expulsion de l’occupant sans titre. Elle doit saisir le juge administratif
pour faire ordonner l’expulsion de l’occupant sans titre du domaine public. Dans l’arrêt PORT
AUTONOME D’ABIDJAN C/ GONDO Michel, le juge n’a pas hésité à ordonner l’expulsion
de l’occupant sans titre du domaine public : “cconsidérant, d’une part, que la libération des
lieux, sollicitée par le Port Autonome d’Abidjan à l’encontre de monsieur GONDO Michel qui
ne dispose d’aucun titre d’occupation et se trouve être un occupant sans titre du domaine
public, présente un caractère d’urgence d’autant que son maintien dans les lieux, sans droit,
compromet la bonne exploitation du domaine public portuaire, objet de multiples et pressantes
sollicitations, surtout que le lot en cause a fait l’objet, depuis le 18 novembre 2005, d’une
autorisation d’occupation de vingt ans (20) ans au profit des ayants droit de monsieur
Francisco KODJOED qui ne peuvent en prendre possession;

Considérant, d’autre part, que, si, selon les affirmations de monsieur GONDO Michel,
l’ancien attributaire lui a cédé le lot litigieux, cette circonstance n’a pu lui conférer un
quelconque titre d’occupation du domaine public portuaire ; qu’ainsi, les prétentions du Port
Autonome d’Abidjan ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ;

67
Que, dans ces conditions, le Port Autonome d’Abidjan est fondé à demander l’expulsion
de monsieur GONDO Michel. En conséquence, Ordonnons l’expulsion de GONDO Michel du
lot n° 2-ZI-127-132 du domaine public portuaire »184

Lorsqu’il y a urgence, l’Administration bénéficie certes du privilège du préalable, mais


elle ne peut pas expulser sans mise en demeure.

Comme l’on vient de le voir, le régime de protection du domaine public assure le respect de
son intégrité. Certes, le domaine public est une richesse exploitable. Toutefois, il faut des règles
qui encadrent son utilisation.

Section II : le régime d’utilisation du domaine public

Il existe des règles qui régissent les rapports de voisinage entre le domaine public et les
propriétés voisines (Paragraphe I), son utilisation collective (Paragraphe II) et son utilisation
privative (Paragraphe III).

Paragraphe I : les règles relatives aux rapports entre le domaine public et les propriétés
voisines

Au titre des charges de voisinage, il faut distinguer des charges qui sont au profit du domaine
public et des charges au profit des propriétés privées.

A. Les servitudes pesant sur les propriétés privées voisine au domaine public

Les terrains et bâtiments des propriétés privées sont soumis à toutes les servitudes de
passages, d'implantation, d'appui et de circulation nécessitées par l'aménagement des conduites
d'égouts.

En Côte d’Ivoire, le décret du 29 septembre 1928 et son arrêté d’application du 24


novembre 1928 ont prévu à cet effet deux types de servitudes administratives :

• Une servitude de passage de 10 mètres de large sur chaque rive le long des cours d’eau
ni navigables, ni flottants ;
• Les servitudes générales au profit des équipements publics. Il s’agit des servitudes de
passage, d’implantation, d’appui et de circulation. Il s’agit notamment des dispositifs

184
CSCA, ordonnance n° 1, 13 janvier 2016,

68
de protection des voies de communication, des lignes téléphoniques ou des lignes
électriques, les conduites d’eaux et d’égouts ;
Les propriétés privées doivent supporter « les chemins de fer, les routes, les voies de
communication de toute nature et les dispositifs de protection de ces voies, les conduites d’eau,
les conduites d’égouts, les ports et rades, les digues maritimes et fluviales, les sémaphores, les
ouvrages d’éclairage et de balisage, ainsi que leurs dépendances »185.
Le juge ivoirien n’hésite pas à le rappeler.186 L’article 10 de l’arrêté GG n° 2895 A.E du 24
novembre 1928, réglementant les conditions d’application du décret du 29 septembre 1928 sur
le domaine et les servitudes d’utilité publique précise que l’exercice ou l’établissement des
servitudes comporte le droit de passer sur les propriétés privées, d’y stationner et d’y faire tous
travaux en vue de l’installation des dispositifs ou toute autre opération nécessaire pour
l’aménagement, l’exploitation, l’usage ou l’entretien du domaine public.

En zone urbaine, il faut noter que « toutes les propriétés privées urbaines sont susceptibles
d'être assujetties aux servitudes qui peuvent être imposées par un plan d'aménagement et
d'extension dont les conditions d'établissement et d'exécution sont fixées par la réglementation
sur l'urbanisme et aux servitudes d'hygiène, d'esthétique, d'alignement et de sécurité
publique »187. Ces servitudes « incluent le droit de passer sur le terrain, d'y stationner ou d'y
faire tous travaux en vue de l'installation des dispositifs ou de toute autre opération nécessaire
à l'aménagement, l'exploitation, l'usage ou l'entretien du domaine public »188.
Les servitudes au profit du domaine public s’exercent, néanmoins, dans le respect des droits
des riverains. Le propriétaire privé victime d’un trouble de voisinage a droit à une
indemnisation. La Chambre Administrative l’affirme clairement dans un illustre arrêt en ces
termes : « Considérant qu’il est de principe que le voisinage d’une dépendance domaniale
entraîne l’application d’un régime juridique différent aussi bien pour la délimitation de la

185
Décret du 29 septembre 1928, portant réglementation du domaine public et des servitudes d’utilité publique,
précité, art., 1-f.
186
CSCA, arrêt n°47 du 26 décembre 2018, SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE GERO DITE SCI GERO C/ -
MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE – PORT AUTONOME
D’ABIDJAN.
187
Art. 131, loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l ’Urbanisme et du Domaine foncier urbain, in
J.O.R.C.I., numéro spécial, mardi 22 décembre 2020, p. 632.
188
Art. 132, loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l ’Urbanisme et du Domaine foncier urbain, in
J.O.R.C.I., numéro spécial, mardi 22 décembre 2020, p. 632.

69
propriété voisine que pour la détermination des droits du propriétaire voisin du domaine public
; que lorsqu’un riverain du domaine public subit des dommages, un préjudice ou des troubles
anormaux, il lui est loisible de demander une indemnisation »189.
Il pèse également au profit des propriétaires privés voisins au domaine public des servitudes
de droit public. Ce sont les aisances de voirie. Ces servitudes ne relèvent pas du droit privé.
Elles relèvent du droit administratif. Pourquoi ne pas les qualifier de servitudes administratives
et considérer que les servitudes au profit du domaine public sont des servitudes d’utilité
publique ? S’il en était ainsi, on devrait considérer que les aisances de voirie et les servitudes
d’utilité publique sont des servitudes administratives d’un point de vue matériel.

B. Les aisances de voirie

Les aisances de voirie sont des charges qui pèsent sur le domaine public, fonds servant, au
profit des propriétés voisines, fonds dominants. Les aisances de voirie sont accordées
exclusivement aux voisins des voies publiques à l’exclusion des autoroutes et voies expresses.
Les servitudes privées ne sauraient, en principe, être admises sur le domaine public. A la
lumière de l’arrêt État de Côte d’Ivoire SYNATRESOR contre Ministre de l’Économie et des
Finance du 29 mars 2017, il est de principe que le domaine public ne supporte pas de servitude
au profit des propriétés privées.

Ces aisances de voirie sont au nombre de trois catégories: le droit d’accès, le droit de vue, le
droit d’écoulement des eaux.

 Le droit de vue donne la possibilité aux riverains d’ouvrir ou de maintenir des


fenêtres sur la voie publique.
 Le droit d’accès donne aux riverains ainsi qu’aux fournisseurs et visiteurs se
rendant dans un immeuble la possibilité d’entrer et de sortir librement, à pied ou
avec un véhicule.

189
CSCA, arrêt n°47 du 26 décembre 2018, SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE GERO DITE SCI GERO C/ -
MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE – PORT AUTONOME
D’ABIDJAN.

70
 Le droit d’écoulement d’eaux (droit d’égouts), fluviales et ménagères est la
faculté donnée aux riverains de se raccorder aux égouts destinés à l’écoulement
des eaux usées.

Paragraphe II : l’utilisation collective

L’utilisation collective du domaine public est encadrée par le triptyque liberté, égalité
et gratuité. Les usagers pris dans leur ensemble sont libres d’utiliser le domaine public.
L’Administration ne doit pas interdire de manière générale et absolue une utilisation collective
du domaine public. On est donc libre d’utiliser le domaine public que ce soit à pieds ou en
voiture pour vue que l’usage qu’on en fait soit conforme à l’affection de la portion domaniale
considérée. Toutefois, la liberté n’empêche pas que certaines restrictions pour le maintien de
l’ordre public par exemple.

L’utilisation du domaine public doit respecter le principe d’égalité. Les usagers doivent
avoir un égal accès au domaine public. Il faut donc éviter une différence de traitement entre les
usagers.

L’utilisation collective du domaine public ne saurait être subordonnée à une


contrepartie financière. Cependant, elle peut être, de manière exceptionnelle, soumise au
paiement de taxes et de redevances. L’on peut constater, par exemple, l’existence de ponts et
autoroutes à péage en Côte d’Ivoire.

Paragraphe III : l’utilisation privative

A. Le caractère temporaire de l’occupation privative

Les occupations privatives sont temporaires. Ce caractère est assuré par le principe de la
précarité et le principe de la révocabilité.

En droit ivoirien, les occupations privatives ont un caractère précaire.190 Le législateur et


le juge ivoirien veillent au respect du caractère précaire des droits réels sur le domaine public.

190
Cf. art.22, ordonnance portant titres d’occupation du domaine public, précitée.

71
Ce principe signifie que nul n’a droit au renouvellement de son titre d’occupation sur le
domaine public. L’occupant privatif ne peut estimer qu’il a un droit acquis 191 sur le domaine,
même en cas de silence de l’Administration après l’expiration du délai de validité du titre.

Tout comme en droit ivoirien, en droit béninois le principe de précarité produit ses effets
lorsque l’occupation prend normalement fin par expiration, renonciation ou par péremption du
titre.192 En effet, les droits réels administratifs nés de l’occupation privative du domaine public
cessent d’exister lorsque le titre d’occupation arrive à expiration, conformément au délai fixé
dans le titre. C’est la fin par expiration. Les droits réels administratifs peuvent également cesser
d’exister lorsque le titre d’occupation se périme, si son titulaire n’en fait pas usage durant une
période indiquée dans le titre. C’est la fin par péremption

En droit ivoirien, « l’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine


public présente un caractère (…) révocable »193. Le principe de révocabilité signifie
qu’en cours d’occupation, avant l’expiration du délai de validité du titre d’occupation,
l’occupant privatif peut être évincé. La révocation peut être la conséquence d’une
sanction lorsque l’occupant viole une obligation lui incombant dans le cadre de
l’utilisation de la portion domaniale occupée. C’est la révocation pour faute. L’occupant
évincé ne sera pas indemnisé. La révocation peut intervenir pour un motif d’intérêt
général. Dans ce cas, en dehors du permissionnaire de voirie, les autres occupants
évincés ont droit à une indemnisation.

Il y a une véritable distinction entre la révocabilité, la précarité et l’inaliénabilité


si l’on fait une échelle du temps par rapport à la mise en œuvre des différents principes.
Le principe d’inaliénabilité ne joue qu’au moment de l’autorisation. « Le rôle
protecteur du principe (d’inaliénabilité) est épuisé une fois le droit accordé».194 La

191
CSCA, n°144 du 19 décembre 2012, L’Association Sportive Nautique Abidjanaise (ASNA), www. consetat.ci.
192
Art. 26, décret n° 2015- 016 du 29 janvier 2015 portant conditions et modalités d’occupation du domaine public
en République du Bénin, précité.
193
Cf. art.7, ordonnance portant titres d’occupation du domaine public, précitée.
194
CAVIGLIOLI Benoît, La constitution de droits réels sur le domaine public, thèse de droit public, Thèse
précitée, p. 528. Voir également : JUEN Philippe, « La compatibilité du principe d’inaliénabilité avec la
constitution de droits réels », précité, p. 121 et suiv.

72
révocabilité intervient au cours de l’occupation, pendant que la précarité s’active au
terme de l’occupation.

Depuis 2016, en Côte d’Ivoire, est constatée une summa divisio des occupations
privatives du domaine public.

B. La summa divisio des occupations privatives

Nous apprécierons la teneur de cette summa divisio (1). Cette summa divisio est
imparfaite en raison de l’identité au niveau de la condition d’occupation (2). L’occupation
privative produit des effets juridiques (3).

1. La teneur de la summa divisio

Par opposition à l’utilisation collective, l’expression « occupation privative » est


employée pour indiquer l’utilisation à titre privé d’une portion du domaine public par une
personne privée. L’on verra que cette occupation privative du domaine public est conditionnée.
En droit positif ivoirien, une distinction est désormais faite entre les occupations privatives
classiques et les occupations privatives constitutives de droits réels administratifs.

Ces deux types d’occupation se rejoignent au niveau de leur condition quasiment


identique.

2. Une summa divisio imparfaite : l’identité au niveau de la condition


d’occupation

Nul ne peut occuper le domaine public sans autorisation. L’autorisation est la condition
d’occupation privative du domaine public. En droit domanial, lorsque l’acte par lequel la
personne publique gestionnaire délivre une autorisation d’occupation du domaine public est un
acte administratif, on dit que l’autorisation est unilatérale. Selon la législation en vigueur,
lorsque l’autorisation unilatérale a pour but d’octroyer une occupation dite classique, elle doit
être qualifiée de « permission de voirie ». Tandis que, lorsque l’autorisation unilatérale octroie
une occupation constitutive de droits réels, l’acte d’autorisation ne change pas de nom. Il doit
être qualifié simplement d’autorisation unilatérale.

Au fond, cette distinction est difficile à comprendre parce que dans tous les cas, derrière
cette autorisation unilatérale, il se trouve masqué un pur acte administratif. L’acte administratif
unilatéral est « une manifestation de volonté émanant d’une autorité administrative, qui
73
modifie l’ordonnancement juridique et s’applique à d’autres sujets de droit que l’auteur de
l’acte »195.

En parcourant l’ordonnance, l’on peut voir que « des autorisations d’occupation


précaires et révocables peuvent être délivrées par l’État, les collectivités territoriales, les
établissements publics et les personnes morales de droit public ayant reçu mandat de la
personne publique de gérer une partie de son domaine public :- soit sous la forme contractuelle
appelée concession de voirie »196.

. La convention par laquelle une personne publique délivre une autorisation


d’occupation temporaire constitutive de droit réel ne devrait pas être qualifiée de concession
de voirie. Selon les termes de l’ordonnance de 2016, il s’agit tout simplement d’ « une
convention »197. Seul le contrat d’autorisation d’occupation temporaire classique doit être
qualifié, aujourd’hui, de concession de voirie.

Quelle est l’utilité d’une telle distinction? Certainement, l’intention du législateur est
de marquer une différence entre le contrat d’occupation classique et celle constitutive de droits
réels. Par l’appellation de convention, le législateur n’en marque pourtant pas véritablement
une distinction avec la concession de voirie classique et même avec les autres contrats
administratifs. La concession de voirie en tant que contrat administratif autorisant une
occupation privative198 et les autres contrats administratifs sont des conventions, dans la
mesure où il s’agit d’un accord de deux ou plusieurs volontés individuelles en vue de produire
un effet de droit199. Nous voyons que l’appellation convention, tout simplement, comme le fait
le législateur pour qualifier les contrats d’occupation constitutive de droit réel, risque
d’engendrer une confusion entre les contrats administratifs domaniaux.

195
VAN LANG Agathe, GONDOUIN Geneviève, INSERGUET-BRISSET Véronique, Dictionnaire de Droit
Administratif, op.cit., p. 7-8.

196
Cf. art.22, ordonnance portant titres d’occupation du domaine public, précitée.

197
Cf. art. 34, ordonnance portant titres d’occupation du domaine public, précitée.

198
GUINCHARD Serges, DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, op.cit., p. 178.

199
Ibid., p. 224.

74
En contrepartie de l’occupation, l’occupant verse, en principe, une redevance à la
personne publique.

Qu’en est-il des BEA ?

C. Les baux emphytéotiques Administratifs

Le bail emphytéotique administratif est « un contrat de location de biens immeubles


appartenant au domaine public »200.

Le BEA confère au preneur un droit d’occupation du domaine public et un droit réel


non seulement sur le titre d’occupation mais également sur les constructions qu’il va édifier
sur le domaine public pendant la durée du bail. Toutefois, les droits réels conférés par le BEA
ne sont pas librement cessibles et hypothécables. Le BEA doit être consentie pour plus de 18
ans et ne peut excéder 99 ans. Il ne peut se prolonger par tacite reconduction.

Paragraphe IV : Le cas spécifique de la concession funéraire

A. Les modalités de concession funéraire


B. Le régime des inhumations à respecter par le concessionnaire

200
Cf. art. 2, ordonnance portant titres d’occupation du domaine public, précitée.

75
TITRE II : LE DOMAINE PRIVÉ

DEUXIÈME PARTIE : LES MODES DE CESSION FORCÉE, LES TRAVAUX ET


OUVRAGES PUBLICS

TITRE I : LES MODES DE CESSION FORCÉE

TITRE II : LES TRAVAUX ET OUVRAGES PUBLICS

76

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