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DROIT ADMINISTRATIF

(2019-2020)
Georges WORA

Docteur en Droit Public, Assistant

Enseignant-Chercheur à la Faculté de Droit de l’Université Omar Bongo

INTRODUCTION :

La justice administrative, le droit administratif ont un caractère accidentel 1. Cette opinion,


nuancée, justifiée a été bien de fois énoncée. Maurice HAURIOU voyait ainsi dans le droit
administratif français « le produit de beaucoup de volontés inconscientes »2. Pour Prosper
WEIL et Dominique POUYAUD « l’existence même d’un droit administratif relève, en
quelque sorte, d’un miracle »3. Un miracle de la soumission de l’Administration aux règles de
droit qui régissent l’exercice de ses pouvoirs, à contenir les privilèges dans les limites que leur
assigne la règle de droit et à permettre aux administrés, soit de paralyser une activité irrégulière,
soit d’obtenir une certaine compensation pour les préjudices qu’elle a pu leur causer. Jean-
Marie AUBY et Roland DRAGO considèrent que « le contentieux administratif remplit une
fonction de protection des administrés contre l’administration. Il met les individus à même de
préserver, dans la mesure prévue par la règle de droit, leurs droits et leurs intérêts à l’encontre
des exigences de l’action administrative »4.

Ainsi, le droit administratif s’est développé en parallèle au droit civil. Il s’est constitué de
manière progressive, à la faveur ou en dépit des circonstances historiques très riches d’intérêt,
celles de la France du XIXe siècle. Ce corps de règles spécifiques distinctes des règles de droit
commun, s’est constitué peu à peu, en prenant forme et importance, et ce pour prendre en
compte la spécificité de l’action administrative, marquée par la poursuite de l’intérêt général.
Cette formation lente du droit administratif est aussi bien le produit d’une pratique
administrative que l’œuvre du Conseil d’Etat, une institution singulière, à la fois Conseil et
censeur de l’Administration. Dès lors, la mission du juge administratif, juge par excellence de

1
BARRAY (C.), BOYER (P.-X.) , Contentieux administratif, Flamarion, Collection, Champs université, 2015, p.
1.
2
HAURIOU (M.), Précis de droit administratif, Larose, 1893, p. 31.
3
WEIL (P.), POUYAUD (D.), Le droit administratif, Paris, PUF, Collection « Que sais-je ? », 24e édition, 2013,
pp. 4-6.
4
AUBY (J.- M.), DRAGO (G.), Traité de contentieux administratif, LGDJ 3e, 1984, vol. 1, p. 15.

1
l’Administration est de concilier l’intérêt général avec les droits subjectifs, les droits des
citoyens. Il est le « garant de l’équilibre entre les droits des citoyens et les prérogatives de la
puissance publique »5. Il s’est ainsi efforcer « de trouver un équilibre entre les droits, y compris
fondamentaux des administrés d’une part et les exigences de l’intérêt général et de l’ordre
public, d’autre part »6.

En Afrique noire francophone, faire l’histoire du droit administratif c’est incontestablement


faire l’histoire de son juge. Cette histoire met en lumière les caractères profonds de la justice
administrative française et gabonaise. En effet, il est difficile de mener une étude sérieuse du
droit administratif dans les Etats d’Afrique noire francophone et au Gabon en particulier sans
faire référence à la France. Ancienne puissance colonisatrice, elle a institué dans les territoires
sous sa domination les jalons, les bases des règles d’organisation, de procédures et de
compétences des juridictions administratives actuelles. Se pose alors non seulement la question
de l’originalité du droit administratif d’un pays africain francophone par rapport à un autre pays
africain mais aussi et surtout par rapport au droit administratif français. Cette question est
d’autant plus essentielle que certains contestent l’existence même d’un droit administratif en
Afrique francophone en raison de sa grande fidélité au droit français. Aussi discutent-ils de son
degré d’originalité ou encore de la nécessité d’un tel droit en Afrique noire francophone.

Le contexte de la réception du droit administratif français est particulier et différent en ce qu’il


correspond à une réalité bien historique, géographique, économique, socio-culturelle, politique
qu’institutionnelle. Cette réception du droit administratif en Afrique s’est traduite par la
reproduction, dans une large mesure, des éléments institutionnels et normatifs du droit français.

Notons toutefois que le juge administratif africain a pendant longtemps fait l’option de valoriser
les prérogatives de la puissance publique au lieu de les limiter. Il est ainsi apparu peu visible
voire inexistant7. Le renouveau du constitutionnalisme dans la plupart des Etats en Afrique
francophone a modifié profondément le droit administratif africain en suscitant un regain
d’intérêt ne serait-ce que pour l’office du juge administratif. Cette évolution a entrainé de
manière spectaculaire « une réhabilitation voire une renaissance du droit administratif »8. On

5
STIRN (B.), « L’évolution de l’office du juge, regards sur la dernière décennie », Colloque de Toulouse pour le
60e anniversaire des tribunaux administratifs, disponible sur http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Discours-
Interventions/L-evolution-de-l-office-du-juge-regards-sur-la-derniere-decennie, consulté le 08 décembre 2020 à
19h01.
6
LACHAUME (J.-F.), « Droits fondamentaux et droit administratif », AJDA, 1998, Hors-série, p. 92.
7
HOLO (T.), « Requiem pour la chambre administrative », RBSJA, n°10, juillet 1998, p. 10.
8
DEMBA (S.), « Ecrire, dire et comprendre le droit administratif en Afrique. Une approche juridique et
sociologique », Droit sénégalais, n°11 « Dire le droit en Afrique francophone », 2013, p. 291.

2
sait en effet, qu’en Afrique noire francophone, le droit administratif est né dans un contexte
marqué par l’interventionnisme économique et social et l’existence de régimes présidentiels et
dictatoriaux. Il a eu du mal à se développer dans les trente premières années des indépendances.
Dans les années quatre-vingt-dix, les Etats africains ont subi des transformations importantes
avec l’adoption d’un régime économique libéral, la constitutionnalisation des systèmes
politiques, l’instauration de l’Etat de droit, la protection des droits et libertés des citoyens et la
modernisation des méthodes de gestion de l’administration.

En tout état de cause, notre analyse est guidée par des réflexions dynamiques maintes fois
exprimées sur la réception critique du droit administratif français en Afrique noire francophone
et au Gabon en particulier. Alain BOCKEL notait d’ailleurs que le droit administratif présente
des caractères généraux liés à son objet et à son contenu et des caractères contingents liés à la
société à laquelle il s’applique. Son évolution et son développement sont liés à ceux de l’Etat
et au régime politique et économique en vigueur. Il s’agit d’un droit vivant et situé.

Par ailleurs, au-delà des ambiguïtés présentes dans toute approche du droit administratif, ce
droit est abondamment étudié sur le continent. Des nombreuses recherches et réflexions lui ont
été consacrées. Des thèses et des ouvrages ont été écrits, la jurisprudence des juridictions
suprêmes a été commentée.

Enfin, le droit administratif est le fruit original du système français qui se caractérise par
l’existence de deux ordres juridiques distincts (ordre judiciaire et ordre administratif). On répète
ainsi souvent l’opinion du célèbre juriste anglais Albert Venn DICEY à qui l’idée d’un juge
propre à l’administration semblait au plus haut point suspecte: « en Angleterre, nous n’avons
pas connaissance d’un droit administratif ; et nous ne voulons pas en connaître »9. Il admettait
néanmoins qu’il fut possible de donner sens à cette justice administrative dans une perspective
historique : « un étudiant anglais, écrit-il, ne comprendra jamais cette branche du droit s’il ne
garde ses yeux fermement fixés sur son aspect historique »10. La France est le pays par
excellence, le berceau du droit administratif. Son histoire singulière explique à la fois les
particularités du droit administratif et la nécessité de soumettre l’administration au respect du
droit ainsi qu’au contrôle d’un juge spécifique. L’apparition du droit administratif est ainsi
considérée, présentée comme la conséquence directe du principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires. Autrement dit, la consécration du principe de la séparation des

9
HARLOW (C.), « La distinction public-privé dans le système juridique anglais », R.P.M.P., 1987, p. 199.
10
DICEY (A.-V.), The Law of the Constitution, Oxford University Press, 2013, t. I, p. 371.

3
fonctions administratives et judiciaires a entraîné la création et le développement de «
juridictions spécialisées» chargées de trancher, de régler les affaires qui échappaient à la
connaissance du juge judiciaire. La royauté à plusieurs reprises a interdit aux parlements de
s’immiscer dans les affaires de l’Etat. Dans ces conditions, le juge judiciaire ne joue qu’un rôle
secondaire, marginal, en matière administrative.

Précisons aussi que certains auteurs font remonter le principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires bien avant la loi des 16 et 24 août 1790 et contestent même
l’explication de la séparation des autorités par la séparation des pouvoirs (il n’y aurait aucun
rapport nécessaire entre les deux principes). L’histoire française montre que le principe de la
séparation des autorités administratives et judiciaires a précédé celui de la séparation des
pouvoirs. De fait, sous l’Ancien Régime, il existait déjà un corps, un ensemble de règles
particulières, spécifiques destinées à régir l’administration, notamment royale. A titre
d’exemple, d’illustration, on peut citer l’Edit de Saint-Germain du 21 février 1641: «
Déclarons que notre dite Cour de Parlement de Paris et toutes nos autres cours n’ont été
établies que pour rendre la justice à nos sujets ; leur faisons très expresses inhibitions et
défenses (…) de prendre, à l’avenir, connaissance d’aucunes affaires (…) qui peuvent
concerner l’Etat, administration, et gouvernement d’icelui que nous réservons à notre personne
seule (…), si ce n’est que nous leur en donnions le pouvoir et le commandement spécial par nos
lettres patentes ». Il est donc intéressant d’aborder l’étude du droit administratif et de
comprendre sa raison d’être par l’éclairage de ses origines. En clair, si le principe de séparation
des autorités administratives et judiciaires n’emporte pas création obligée d’un ordre
juridictionnel, d’une justice administrative, celui-ci trouve ses origines objectives, ses racines
dans la loi des 16 et 24 août 1790.

Dès lors, à l’aune des textes de loi et des décisions juridictionnelles, l’étude du droit
administratif gabonais et français sera principalement axée sur la présentation des systèmes
juridiques respectifs de ces deux Etats (les sources juridiques du droit administratif, la
répartition de compétence entre les deux ordres de juridiction) et les missions (semestre 1).

Après avoir exposé les sources historiques, idéologiques et juridiques du droit administratif, on
tentera de recenser les acteurs du droit administratif, les missions et les procédés de l’action
administrative.

PREMIERE PARTIE: LE DROIT ADMINISTRATIF COMME SUPPORT DE


L’ACTION ADMINISTRATIVE

4
L’existence même du droit administratif est souvent présentée comme un « miracle »11. Le droit
administratif a un caractère accidentel. Cette opinion, nuancée, justifiée a été bien de fois
énoncée. Maurice HAURIOU voyait ainsi dans le droit administratif « le produit de beaucoup
de volontés inconscientes ». Intrinsèquement, il correspond à un droit de « compromis »:
satisfaire l’intérêt général sans sacrifier les intérêts particuliers. En effet, la satisfaction de
l’intérêt général repose sur l’idée de hiérarchisation des intérêts. Les personnes publiques
poursuivent une finalité supérieure, l’intérêt général, et doivent pouvoir bénéficier des
prérogatives distinctes de celles reconnues aux personnes privées. Néanmoins, il convient de
ne pas omettre que l’intérêt général ne désigne pas ici la somme des intérêts particuliers
(conception utilitariste), il les transcende pour être déterminer de façon autonome pour
s’imposer à eux (approche volontariste).

D’une façon générale, l’administration titulaire des prérogatives de puissance publique voit son
activité limitée par le droit et surtout par le principe de légalité. Cette limitation est une garantie
pour le citoyen contre l’arbitraire. Cela oblige non seulement l’administration à respecter les
droits fondamentaux du citoyen mais aussi à être condamnée quand elle a commis une faute.

Après avoir déterminé le caractère essentiellement prétorien du droit administratif (c’est-à-dire


un droit né du juge), il conviendra ensuite de relever que le juge administratif applique des
règles spéciales, autonomes du droit civil. Le droit administratif, essentiellement prétorien, est
né d’un juge qui n’est pas le juge de droit commun et qui applique des règles spéciales,
autonomes du droit civil.

11
WEIL (P.), POUYAUD (D.), Le droit administratif, PUF, Coll. « Que sais-je ? », 17e, 1997.

5
Chapitre 1:La formation d’une authentique justice administrative

L’histoire française explique les caractéristiques du droit administratif, un droit spécifique


élaboré par un juge distinct du juge judiciaire en raison des particularités des missions
reconnues à l’administration active, à savoir la satisfaction de l’intérêt général et d’une certaine
conception de la séparation des pouvoirs.

Section 1: Les principes fondamentaux de la justice administrative

De la consécration du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires est née


une organisation juridictionnelle propre, spécifique à l’ordre administratif.

I. La séparation des autorités administratives et judiciaires

L’exclusion du juge judiciaire de régler les affaires de l’Etat résulte du principe de la séparation
des autorités administratives et judiciaires. En d’autres termes, le juge administratif est le juge
spécifique de l’administration.

Il a été rappelé que sous l’Ancien Régime, il existait déjà un ensemble, un corps de règles
particulières, spécifiques destinées à régir l’administration, en particulier royale. Les raisons de
la consécration du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires sont
également à rechercher dans un contexte historique et politique plus que juridique. Le tournant,
c’est la Révolution française. Il faut dire que les révolutionnaires étaient assez méfiants à
l’égard du pouvoir judiciaire, des parlements de l’Ancien Régime qui avaient fait obstruction
aux tentatives de réformes et manifesté un esprit hostile à la Révolution. A cette raison, il faut
ajouter celle relative à l’immixtion des parlements dans l’exercice de la fonction législative (par
le truchement du pouvoir d’enregistrement des ordonnances royales) ; leur immixtion dans le
fonctionnement de l’administration, s’octroyant le droit de faire des règlements de police, de
citer les agents du roi à leur barre, prétoires et de leur donner des instructions.

Les révolutionnaires considèrent, en conséquence, cette confusion comme un abus contre lequel
il était impératif de réagir. En effet, en voulant appliquer strictement le principe de séparation
des pouvoirs, ils ont interdit aux tribunaux de juger les affaires dans lesquelles l’administration
était partie prenante. L’idée générale qui prévalait alors était que « juger l’administration, c’est
encore administrer ».

Notons d’ailleurs que cette méfiance des révolutionnaires s’est traduite dans les faits par la loi
des 16-24 août 1790 (toujours en vigueur). Cette loi interdit solennellement à l’ordre judiciaire
d’empêcher l’administration de remplir sa mission. Aux termes de ladite loi, « les fonctions
6
judiciaires sont distinctes et demeurent toujours séparées des fonctions administratives. Les
juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations
des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions.»
Le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires est ainsi posé.

Cette loi a été par la suite confirmée par le décret du 16 fructidor an III qui prévoit que le
juge ordinaire ne peut statuer sur le contentieux administratif et en particulier sur les actes
administratifs:« Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes
d’administration, de quel qu’espèce qu’ils soient, aux peines de droit ». Il s’ensuit que ce décret
confirme la loi des 16 et 24 août 1790 et interdit au aux juge de s’immiscer dans la sphère
administrative et de juger l’action administrative.

Cependant, il convient de relever que la loi des 16-24 août 1790 ne règle pas le problème du
mode de règlement de litiges administratifs. Elle ne fait que séparer les fonctions « judiciaires »
des fonctions « administratives ». Dès lors, à qui confier le contentieux de l’administration ?

II. La séparation de la juridiction administrative et l’administration active

A la question de savoir à qui confier le contentieux de l’administration, plusieurs solutions ont


été proposées et repoussées.

Comme première solution repoussée, confier le contentieux administratif aux tribunaux


judiciaires. L’histoire de France montre que de LOUIS XV à GAMBETTA, une antienne est
constamment répétée : « l’Etat n’est pas un simple particulier que l’on peut traîner au greffe ».

Comme autre solution repoussée: confier le contentieux de l’administration à des tribunaux


spécialement crées à cette fin n’était pas souhaité, non plus. L’idée est qu’il ne fallait pas
ressusciter, exhumer les juridictions d’exception de l’Ancien Régime.

Dans ces conditions, une seule voie restait ouverte, à explorer: confier le contentieux de
l’administration à l’administration elle-même. En conséquence, dès le début de la Révolution
française, fut imaginé, aménagé un système de contrôle interne par voie hiérarchique. Le
supérieur (souvent le ministre) instruisait et jugeait les demandes des administrés:
l’administration est juge et partie.

L’apport de Napoléon BONAPARTE est considérable en ce qu’avec son œuvre se dessinera


une nouvelle évolution. Désormais, au sein même de l’appareil administratif sont créés des
rouages plus spécialement chargés de l’étude des affaires contentieuses. On le sait, la loi du 28
pluviôse An VIII avait créé des Conseil de préfecture, chargés sous la présidence du préfet de
7
statuer sur certains litiges étroitement définis. Mais c’est surtout la création du Conseil d’Etat
par ce même texte qui allait permettre les transformations les plus profondes, les plus
significatives. La création du Conseil d’Etat est justifiée par la nécessité d’aider l’administration
à accomplir sa tâche, à remplir sa mission, et donc à exécuter les lois, mais aussi à régler,
trancher les litiges de l’administration. Le Conseil d’Etat est ainsi placé auprès de Napoléon, et
des Conseils de préfecture au niveau du département.

Aux termes de l’article 52 de la Constitution du 22 Frimaire de l’An VIII (13 décembre


1799): « sous la direction des consuls, un Conseil d’Etat est chargé de rédiger les projets de
loi et les règlements d’administration publique et de résoudre les difficultés qui s’élèvent en
matière administrative ». Il en résulte que la mission du Conseil d’Etat et des Conseils de
préfecture, comme leurs noms l’indiquent, est de conseiller les autorités administratives,
notamment en matière contentieuse. Par ailleurs, la pratique montre que les ministres avaient
conservé leur qualité de droit commun. Les recours devaient toujours être portés devant eux en
première instance. En d’autres termes, la décision était toujours prise par l’administration et le
Conseil d’Etat en exerçant la « justice retenue »ne jouant finalement que le rôle d’un organisme
d’appel. A cela, il faut ajouter que le Conseil d’Etat n’intervenait pas en tant que juridiction
mais comme conseiller juridique de l’exécutif.

A vrai dire, toute l’histoire du Conseil d’Etat est celle de la recherche d’une certaine
indépendance. De 1799 à 1872, un certain statuquo prévaut. Des réformes successives tendent
à séparer les fonctions consultatives (avis donné sur des projets de loi, de décret) de celles
contentieuses (préparation des jugements rendus par le ministre dans les affaires où son
service est partie prenante). Toutes ces réformes ne vont pas malheureusement jusqu’au bout.

A cette époque, un système de « justice retenue »s’applique toujours. L’administration se


jugeait elle-même. C’est la théorie du « ministre-juge ». Très concrètement, si le Conseil d’Etat
prépare la solution, c’est toujours l’administration qui rend la décision et le Conseil d’Etat avait
l’obligation d’obtenir la sanction du pouvoir exécutif pour ses arrêts. Cette situation a suscité
des vives critiques contre le système du « ministre-juge » dans lequel, les requérants doivent
obtenir une décision du ministre avant de s’adresser au Conseil d’Etat:« rien n’égale le
désespoir des plaideurs quand on leur annonce qu’ils seront jugés par le Conseil d’Etat ».

Les choses évoluent véritablement à la fin du XIX e siècle: c’est l’avènement de la justice
administrative et du droit administratif modernes.

8
A. La séparation de la juridiction administrative de l’administration: de la justice
retenue à la justice déléguée

Le contentieux administratif échappant à l’ordre judiciaire, il a fallu trouver quelle autorité allait
connaître, trancher les litiges administratifs. Les ministres sont restés les juges de droit commun
en premier ressort, mais les conseils de préfecture sont devenus compétents en premier ressort
en qualité de juge d’exception, Le Conseil d’Etat a été institué en juge d’appel des jugements
ministériels ou des conseils de préfecture. Il ne disposait que d’une justice « retenue »: il ne
faisait que proposer ses jugements au pouvoir exécutif qui n’est pas obligé de suivre.

Par ailleurs, la loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’Etat met fin au
système de la « justice retenue »12en lui attribuant la « justice déléguée »13. Cet avènement de
la « justice déléguée » marque la séparation de la juridiction administrative de l’administration.
D’ailleurs,l’article 9de la loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’Etat
dispose que « le Conseil d’Etat statue souverainement sur les recours en matière contentieuse
et sur les demandes en annulation pour excès de pouvoir ». De même,l’article 26 du même
texte précise que « les ministres ont le droit de revendiquer devant le tribunal des conflits les
affaires portées à la section du contentieux et qui n'appartiendraient pas au contentieux
administratif. Toutefois, ils ne peuvent se pourvoir devant cette juridiction qu'après que la
section du contentieux a refusé de faire droit à la demande en revendication qui doit lui être
préalablement communiquée ».

Désormais, l’administration est soumise au contrôle d’une véritable juridiction, un juge spéciale
qui statuedirectement « au nom du peuple français ». Le Conseil d’Etat n’est plus
« l’auxiliaire du gouvernement » dans l’exercice de son pouvoir hiérarchique. En donnant au
Conseil d’Etat la « justice déléguée », cette loi établit une séparation nette entre «
l’administration active » et le juge administratif.

Ensuite, cette évolution sera confirmée de façon radicale par un foisonnement de grands arrêts
posant les grands principes de la justice administrative. Dans son célèbre arrêt Cadot (CE, 13
décembre 1889, Cadot), le Conseil d’Etat met un terme à la théorie du « ministre-juge » et
devient le juge de droit commun en matière administrative. Il a ainsi considéré que « du refus
du maire et du conseil municipal de Marseille de faire droit à la réclamation du sieur Cadot, il

12
Système ou régime qui a prévalu jusqu’en 1872. Régime dans lequel le Conseil d’Etat ne disposait en matière
contentieuse que du pouvoir de proposer les décisions du roi.
13
Régime dans lequel la juridiction administrative dispose du pouvoir de rendre elle-même les décisions en
matière contentieuse.

9
est né entre les parties un litige dont il appartient au Conseil d’Etat de connaître… ».
Dorénavant, l’administration n’est plus juge et partie.

Il convient également de souligner que la construction authentique d’une justice administrative


nécessitait un droit autonome, et une juridiction réellement indépendante de l’administration.

B. L’émergence d’un droit autonome

1873 est l’autre date clé de l’histoire de la justice administrative. Elle correspond à un arrêt du
Tribunal des Conflits: l’arrêt Blanco(TC, 8 février 1873, Blanco) qui affirme l’autonomie
fondamentale du droit administratif. Cette autonomie sera ensuite confirmée par la
constitutionnalisation de ce droit administratif.

1. L’affirmation de l’autonomie fondamentale du droit administratif

Dans l’incontournable arrêt « Blanco » (TC, 8 février 1873, Blanco), le Tribunal des Conflits14
affirme le caractère spécial des règles que le juge administratif applique: la responsabilité de
l’administration n’est pas régie par le Code civil.

En l’espèce, l’accident dont a été victime la petite Agnès BLANCO dans les locaux d’une
administration d’Etatva être l’occasion, pour le Tribunal des Conflits, de rendre l’une des plus
importantes décisions de l’histoire du droit administratif. Précédé par la décision Rothschild du
Conseil d’Etat (CE, 6 décembre 1855, Rothschild), l’arrêt Blanco intéresse à la fois la notion
même de droit administratif, la détermination la compétence du juge administratif et le régime
juridique de la responsabilité administrative. Dans cette affaire, la question posée au Tribunal
des Conflits se dédouble. Quelle est la juridiction compétente pour trancher le litige ? Et quelles
règles de droit sont applicables au cas d’espèce ?

A cela, le Tribunal des Conflits répond en considérant que « la responsabilité, qui peut
incomber à l’Etat, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il
emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code
civil, pour les rapports de particulier à particulier ;

Que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui varient
suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits
privés ». Le Tribunal des Conflits pose deux principes essentiels, fondamentaux :

14
Créé par la loi du 28 pluviôse An VIII, le Tribunal des Conflits est composé en nombre égal des membres du
Conseil d’Etat et de Conseiller à la Cour de cassation. Il est chargé de statuer sur les conflits de compétence entre
les deux ordres de juridictionnels, l’administratif et le judiciaire.

10
• D’une part, il pose le principe de la compétence du juge administratif (le dommage
ayant son origine dans une activité de service public, seul le juge administratif est
compétent pour trancher l’affaire).
• D’autre part, le juge des Conflits écarte l’application du code civil à l’action
administrative car cette dernière est caractérisée par des rapports de droit inégalitaires
(s’agissant d’une activité de service public, le droit civil n’est pas adapté et la
responsabilité de l’administration doit être recherchée, engagée selon des règles
particulières, spéciales, dégagées par le juge administratif).

Au contraire, le code civil repose sur le principe d’égalité entre les citoyens. La raison de
l’exclusion, de la mise à l’écart du code civil et l’application des règles spécifiques, propres,
spéciales réside essentiellement dans l’intérêt général que les personnes publiques ont pour
mission de satisfaire. Elles doivent se voir reconnaître les moyens de l’emporter sur les
personnes privées: l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers. Le droit public est à la
base de rapports inégalitaires. Par suite, le code civil ne saurait, sauf exception être appliqué
aux personnes publiques (TC, 26 avril 2004, X c. / Commune d’Hardicourt). Il s’ensuit que
le Tribunal des Conflits pose avec une particulière netteté l’« autonomie du droit
administratif ».

En donnant, les raisons théoriques de l’inapplicabilité du droit civil à l’action menée par les
personnes publiques, le Tribunal des conflits établissait ainsi le fondement de la compétence du
juge administratif. Celui-ci doit être déclaré compétent toutes les fois qu’existent des rapports
de droit inégalitaires fondés sur la satisfaction de l’intérêt général, c’est-à-dire en présence des
personnes publiques, plus rarement d’une personne privée. Il s’agit du critère de la « liaison de
la compétence (juge) et du fond (règle de droit) ». En réalité, pour déterminer l’ordre de
juridiction compétent (judiciaire ou administratif), il faut déceler quel est le régime de droit
applicable (droit privé ou droit public) (CE, 20 avril 2000, Mme T.).

La décision Blanco est également importante en ce qu’elle fixe des règles nouvelles en matière
de responsabilité « extracontractuelle de l’administration ».

En premier lieu, c’est une responsabilité de principe : l’administration doit répondre des
dommages qu’elle cause (CE, 3 mars 2004, Ministre de l’emploi et de la solidarité). De toute
évidence, cette décision met un terme au système antérieur qui limitait les hypothèses de
responsabilité administrative aux seuls cas où une loi en décidait expressément ainsi.

11
En second lieu, cette responsabilité administrative n’est pas régie par les règles fixées aux
articles 1382 et suivants du code civil français, mais par des règles propres au droit
administratif.

En somme l’arrêt Blanco pose deux principes essentiels du droit administratif :

• Le service public constitue le critère de la compétence du juge administratif ;

Avec cette décision, le juge assoit le droit administratif sur le service public, celui-ci étant à la
fois l’activité et l’instrument de la satisfaction de l’intérêt général par les personnes publiques.

• L’autonomie du droit administratif par rapport au droit civil ;

Dès lors, le droit administratif tire son acte de naissance de l’arrêt Blanco qui lui imprime sa
particularité, sa spécificité, celle d’être un droit essentiellement « prétorien », «
jurisprudentiel ». A ce moment, s’ouvre une période qualifiée d’âge d’« or du droit
administratif », période durant laquelle le juge dessine les grandes lignes du droit applicable à
l’administration.

En même temps, le droit administratif est empreint d’un certain paradoxe : Les règles de droit
autonome qui le caractérisent s’articulent autour de deux dogmes partiellement contradictoires.

• L’affirmation des droits de l’homme rend nécessaire un contrôle de l’action du


pouvoir exécutif, de l’administration, pour éviter qu’elle ne les bafoue. C’est le principe
de l’Etat de droit, par opposition à l’Etat arbitraire.
• Le dogme du service public contribue à légitimer la conception républicaine d’un
Etat social et à justifier l’intervention des pouvoirs publics.

Articulé autour de ces deux exigences, le droit administratif subit une double tension 15:

• D’une part, il convient de contrôler et limiter l’action de l’administration car elle


peut porter atteinte à certaines libertés.
• D’autre part, il faut reconnaître à l’administration certains privilèges et
prérogatives afin de faciliter ses missions de service public.

Il est nécessaire que le droit de l’administration (c’est-à-dire l’ensemble des règles auxquelles
sont soumises les personnes publiques) soit distinct, du droit applicable à une entreprise, à un
particulier. En effet, les personnes publiques poursuivent un but précis, la satisfaction de

15
WEIL (P.), POUYAUD (D.), Le droit administratif, op. cit.

12
l’intérêt général, et doivent pouvoir bénéficier de prérogatives distinctes de celles reconnues
aux personnes privées, aux particuliers. Le droit de l’administration est donc souvent différent
du droit privé même si des règles de droit privé s’appliquent parfois. A titre d’illustration, un
contrat d’abonnement d’électricité de l’Université Omar Bongo avec la SEEG est le même
que celui d’un particulier avec cette même entreprise). A l’exception de ces hypothèses, la
plupart du temps, les personnes publiques sont soumises à des règles spécifiques. Le droit
administratif se définit alors comme l’ensemble du droit applicable à l’administration, en ce
qu’il diffère du droit civil. Il s’agit des règles relatives à la création et à l’organisation des
personnes publiques ainsi que leurs rapports soit entre elles, soit avec les administrés. Par
exemple, la création d’une université, les conditions d’inscription d’un étudiant, la
réglementation des diplômes, les sanctions disciplinaires prises par le Conseil de discipline
contre un étudiant relèvent du droit administratif.

De même, le paiement de la redevance télévisuelle, l’indemnisation d’un accident résultant d’un


trou dans la chaussée sont régis par le droit administratif. Il s’agit d’un droit spécifique à
l’administration, un droit vivant et utilisé quotidiennement. Le droit administratif s’attache à
concilier ces deux objectifs.

2. La constitutionnalisation16de la justice administrative

La Constitution française du 4 octobre 1958 tout comme la Constitution gabonaise du 26 mars


1991 est muette quant au rôle et à la place de justice administrative. La Constitution française
ne consacre, dans son titre VIII, que l’autorité judiciaire en garantissant son indépendance.

La constitutionnalisation de la justice administrative ne sera pas le fait du constituant mais du


Conseil constitutionnel. Au travers de deux décisions, le juge constitutionnel hisse et place au
rang de principes reconnus par les lois de la République (de valeur constitutionnelle), à la fois
l’indépendance et le domaine de compétence du juge administratif.

a) La constitutionnalisation de l’indépendance du juge administratif

Dans sa décision n°80-119 DC du 22 juillet 1980, loi portant validation d’actes


administratifs, le Conseil constitutionnel consacre, affirme le principe de l’indépendance (et
donc de l’existence) de la juridiction administrative à l’égard du pouvoir politique et judiciaire
en tant que principe fondamental reconnu par les lois de la République. L’existence du juge

16
VELLEY (S.), « La constitutionnalisation d’un mythe : justice administrative et séparation des pouvoirs », RDP,
1999, pp. 767-783.

13
administratif a donc une valeur constitutionnelle à laquelle le législateur ne peut donc attenter.
Le juge constitutionnel considère « qu'il résulte des dispositions de l'article 64 de la
Constitution en ce qui concerne l'autorité judiciaire et des principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République en ce qui concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction
administrative, que l'indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère
spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le
Gouvernement ; qu'ainsi, il n'appartient ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les
décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans
le jugement des litiges relevant de leur compétence ». Le juge constitutionnel affirme que
l’indépendance du juge administratif est un « principe fondamental reconnu par les lois de la
République ». Autrement dit, il déclare que la loi du 24 mai 1872 pose un principe
fondamental reconnu par les lois de la République (autre norme du bloc de
constitutionnalité, qui est l’indépendance de la juridiction administrative). Cette indépendance
de la justice administrative est fondée sur le caractère « spécifique » de la fonction assurée par
les juridictions administratives.

b) La séparation des autorités administratives et judiciaires érigée en principe


constitutionnel

Par sa décision n°86-224 DC du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence, le Conseil


constitutionnel reconnaît la compétence exclusive du juge administratif pour juger certains
contentieux, ceux de la réformation ou de l’annulation des décisions administratives prises par
les autorités investies de prérogatives de puissance publique. Cette compétence vise notamment
le contentieux de l’excès de pouvoir. Le juge constitutionnel estime que la loi des 16 et 24 août
1790 a consacré un principe selon lequel le juge judiciaire ne peut annuler ou réformer un acte
administratif. Il rappelle ainsi que « les dispositions des articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24
août 1790 et du décret du 16 fructidor An III qui ont posé dans sa généralité le principe de
séparation des autorités administratives et judiciaires n'ont pas en elles-mêmes valeur
constitutionnelle ; que, néanmoins, conformément à la conception française de la séparation
des pouvoirs, figure au nombre des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République" celui selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité
judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative
l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de
puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités
territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur

14
contrôle » (considérant 15). Mais cette décision a une portée limitée et elle ne concerne que
les autorités administratives (seules personnes morales de droit public). Le Conseil
constitutionnel ne se prononce que sur un type de recours (annulation ou réformation des actes
de l’administration).

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel apporte deux limites au principe de séparation des
autorités judiciaires et administratives. Il considère que « dans la mise en œuvre de ce principe,
lorsque l'application d'une législation ou d'une réglementation spécifique pourrait engendrer
des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de
compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, il est loisible au
législateur, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'unifier les règles de
compétence juridictionnelle au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé »
(considérant 16).

D’une part, la loi peut donner compétence au juge judiciaire dans les matières réservées par
nature au juge judiciaire (liberté individuelle, propriété individuelle). D’autre part, le législateur
peut apporter une exception au principe de séparation des autorités judiciaires et administratives
dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

Par exemple: les relations entre deux personnes privées peut donner lieu à des procédures
devant le Conseil de la concurrence et à des procédures devant les juridictions pénales ou
commerciales : « Si le conseil de la concurrence, organisme administratif, est appelé à jouer
un rôle important dans l'application de certaines règles relatives au droit de la concurrence, il
n'en demeure pas moins que le juge pénal participe également à la répression des pratiques
anticoncurrentielles sans préjudice de celle d'autres infractions intéressant le droit de la
concurrence ; qu'à des titres divers le juge civil ou commercial est appelé à connaître d'actions
en responsabilité ou en nullité fondées sur le droit de la concurrence ; que la loi présentement
examinée tend à unifier sous l'autorité de la cour de cassation l'ensemble de ce contentieux
spécifique et ainsi à éviter ou à supprimer des divergences qui pourraient apparaître dans
l'application et dans l'interprétation du droit de la concurrence » (considérant 17).

Enfin, le Conseil constitutionnel précise enfin que : « cet aménagement précis et limité des
règles de compétence juridictionnelle, justifié par les nécessités d'une bonne administration de
la justice, ne méconnaît pas le principe fondamental ci-dessus analysé tel qu'il est reconnu par
les lois de la République » (considérant 18). Il relève que « la loi déférée au Conseil

15
constitutionnel a pour effet de priver les justiciables d'une des garanties essentielles à leur
défense » (considérant 19).

Dans sa décision du 26 novembre 2010, le Conseil constitutionnel a repris presque


intégralement ces deux considérants. Il a cependant pris en compte le fait que, depuis la réforme
constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’existence de la justice administrative trouve son
fondement dans la Constitution elle-même17.

c) La consécration des principes contemporains du droit administratif

Le Conseil constitutionnel a depuis longtemps jugé que le principe d’indépendance est «


indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires »18 ou « juridictionnelles »19. Par la suite, il
a fait relever le principe d’indépendance des juges non professionnels de l’article 16 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 178920. Il a, en effet, rattaché à
la garantie des droits proclamée par cet article le droit à un recours effectif, les droits de la
défense21, le droit à un procès équitable22 et, enfin, l’impartialité et l’indépendance des
juridictions 23.

« Par contraste avec la timidité des juges ordinaires […], le Conseil d’Etat de plus en plus sûr
de lui et de sa pérennité est devenu entre la puissance publique et les citoyens, un arbitre certes
non neutre mais impartial et finalement au service des droits de l’homme »24. « Non neutre
mais impartial et finalement au service des droits de l’homme » : voici comment, par cet
oxymore, le doyen VEDEL révèle, judicieusement, l’introuvable définition de la notion
d’impartialité. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le
droit à un procès équitable, précisant que « toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal
indépendant et impartial ». Une vertu inhérente à la fonction du juge, l’impartialité est un
concept des plus délicats à saisir dans la mesure où, il s’agit d’un droit fondamental, substantiel,

17
Décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la
Constitution, cons 3.
18
Décision n° 92-305 DC du 21 février 1992, Loi organique modifiant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre
1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, cons. 64.
19
Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, cons. 15.
20
Décision n° 2003-466 DC du 20 février 2003, Loi relative aux juges de proximité, cons. 23.
21
Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances, cons. 24.
22
Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société
de l’information, cons. 11.
23
Décision n°2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de
l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, cons. 24.
24
Discours du doyen Georges VEDEL, à la Sorbonne, en 1999, à l’occasion du bicentenaire du CE.

16
auquel toute personne est en droit de prétendre et qui, par suite, est naturellement appelé à être
garanti par tous les pouvoirs publics constitutionnels, administratifs et juridictionnels25. Il est
vrai qu’à cet égard l’application de ce devoir par le juge ne peut qu’avoir des répercussions sur
la nature de la protection due aux administrés/requérants.

Bien que l’indépendance des magistrats judiciaires et celle des juges non professionnels
trouvent un fondement constitutionnel différent (article 64 de la Constitution pour les
premiers, article 16 de la Déclaration de 1789 pour les seconds), l’existence de garanties
légales d’indépendance et d’impartialité des membres d’une juridiction constitue une exigence
applicable à toutes les juridictions. Dans sa décision Tribunaux maritimes commerciaux, rendue
le 2 juillet 2010 (Décision n°2010-10 QPC du 2 juillet 2010, Tribunaux maritimes
commerciaux), le Conseil constitutionnel rappelle à juste titre que « le principe
d’indépendance est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles ». Il en résulte que
l’accomplissement d’une mission aussi importante que celle du juge administratif ne peut être
possible que dans la mesure où ce dernier bénéficie d’une certaine indépendance. On comprend
alors pourquoi l’indépendance du pouvoir judiciaire a reçu comme dans beaucoup de pays,
valeur constitutionnelle. L’encrage constitutionnel de la juridiction administrative a été
confirmé par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a introduit à l’article 65 de
la Constitution la notion « d’ordre administratif ». Dans sa décision du 3 décembre 2009
(Décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, Loi organique relative à l’application de
l’article 61-1 de la Constitution), le juge constitutionnel français a qualifié la Cour de
cassation et le Conseil d’Etat de « juridictions placées au sommet de chacun des deux ordres
de juridiction reconnus par la Constitution ».

Enfin, il est intéressant de relever que progressivement, le Conseil d’Etat a renforcé son
indépendance par rapport au pouvoir exécutif. Pour le soulager, des tribunaux administratifs
sont créés par un décret-loi du 30 septembre 1953. Juges de premier ressort, ils remplacent
les conseils de préfecture qui n’étaient que des juges d’exception. A partir de ce moment, le
Conseil d’Etat est essentiellement un juge d’appel. Mais de nouveau engorgé, des Cours
administratives d’appel sont instituées par une loi 31 décembre 1987 portant réforme du
contentieux administratif. Depuis, le Conseil d’Etat est devenu principalement un juge de
cassation.

25
D’ailleurs, la régularité de la composition de la formation de jugement est une question d’ordre public, le juge
devant la soulever d’office notamment en cas d’atteinte à l’exigence d’impartialité (CE 19 avril 2000, Lambert,
Lebon tables, p., 1168 et CE 30 juillet 2003, Chatin-Tsai, AJDA 2003, p. 2045, note Markus).

17
Il en résulte que dans le cadre du droit administratif en France comme au Gabon, il est
important, essentiel de tenir compte, avec « une lucidité rétrospective, du substrat historico-
juridique sur lesquels [ces Etats] ont conçu et continuent de leurs systèmes juridictionnels
respectifs »26. En clair, l’histoire explique les particularités du droit administratif. La
physionomie actuelle de la juridiction administrative française et gabonaise est le résultat d’une
superposition de strates successives qui s’est achevée en 1987. Comme l’affirme Jean-Marc
SAUVE27, « la juridiction administrative (…) est le fruit, depuis la loi du 24 mai 1872, de la
lente mais nécessaire germination d’un ordre juridictionnel complet, doté de tribunaux
administratifs par le décret du 30 septembre 1953 et de cours administratives d’appel par la
loi du 31 décembre 1987 »

Au regard de ce qui précède, le droit administratif est un droit essentiellement jurisprudentiel,


élaboré par un juge distinct du juge judiciaire en raison de la particularité des missions
reconnues à l’administration active, à savoir la satisfaction de l’intérêt général et d’une certaine
conception de l’intérêt général. Dès lors, la place du droit administratif varie selon plusieurs
critères :

1. Le degré de protection des citoyens : le droit administratif est composé des règles
relatives à la création et à l’organisation des personnes publiques ainsi que leurs
rapports, soit entre elles, soit avec les administrés. En conséquence :
• Au minimum, le droit administratif organise l’administration.
• Au maximum, il protège les droits des administrés vis-à-vis de l’administration.
2. L’étendue des activités de l’administration ;
3. L’importance de la spécificité de ce droit

En Afrique noire francophone et au Gabon en particulier, l’histoire du droit administratif


remonte à la période coloniale. En tant que puissance coloniale, la France a su imposer aux
territoires sous sa domination des institutions administratives et juridictionnelles inspirées de la
Métropole, de l’hexagone. Précisons aussi qu’au Gabon, la Constitution du 26 mars 1991
(articles 67-71; articles 74-75), la loi organique n°7/94 du 16 septembre 1994 portant
organisation de la justice, la loi n°12/94 du 16 septembre 1994 portant statuts des
magistrats et la loi n°5/2002 du 27 novembre 2002 sur le Conseil d’Etat consacrent dans

26
KWAHOU (S.), Le Contentieux administratif gabonais en 13 leçons, Droit et Sciences –Politiques, Editions
Publibook, 2016, p. 21.
27
SAUVE (J.-M.), (Vice-Président du Conseil d’Etat), « Perspectives sur la justice administrative », Intervention
prononcée à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de la Cour administrative d’appel et du tribunal
administratif de Versailles, 6 octobre 2014.

18
leurs dispositions respectives l’indépendance organique et fonctionnelle des différentes
juridictions administratives.

Aux termes de l’article 67 de la Constitution du 26 mars 1991, « la justice est rendue au nom
du peuple gabonais par la Cour constitutionnelle, les juridictions de l’ordre judiciaire, les
juridictions de l’ordre administratif, les juridictions de l’ordre financier, la Haute cour de
justice et les autres juridictions d’exceptions ». Quant à l’article 74 du même texte, il rappelle
que « le Conseil d’Etat est la plus haute juridiction de l’Etat en matière administrative ».

Il existe donc en France comme au Gabon deux ordres de juridictions, les juridictions de l’ordre
judiciaire et les juridictions de l’ordre administratif.

Section 2 : Les caractères fondamentaux du droit administratif

Le droit administratif est « la branche de droit public interne qui comprend les règles juridiques
spéciales relatives à l’organisation et à l’activité des autorités, collèges et services chargés de
pourvoir à la satisfaction des intérêts publics ainsi qu’à la manière de mettre fin aux litiges
suscités par cette activité ». Il s’agit là d’une définition donnée par le Professeur Léon
MOUREAU et reprise par d’autres auteurs28. Le droit administratif se présente comme un
droit récent. Contrairement au droit civil, le droit administratif est un droit jeune, nouveau et
moderne. A cela, il faut ajouter que le droit administratif est essentiellement jurisprudentiel,
autoritaire, en perpétuel changement et autonome par rapport au droit privé. En perpétuelle
transformation, le droit administratif s’adapte constamment aux circonstances : développement
des missions de l’Administration, des besoins des collectivités territoriales, rapidité de
l’évolution économique, sociale et même technologique. Le droit administratif s’adapte alors à
l’activité administrative pour une meilleure protection de l’individu et l’amélioration de ses
conditions d’existence.

On le sait, l’administration est appelée à moderniser ses méthodes de travail et de gestion, à


améliorer sa relation avec le citoyen, à motiver ses décisions surtout celles qui sont considérées
comme défavorables aux administrés.

I. Un droit autonome et exorbitant de droit commun

Le droit administratif est un droit du déséquilibre et autonome par rapport au droit civil.

28
DEMNOUR (J.), Droit administratif, Liège, Faculté de Droit, 1978.

19
A. Un droit exorbitant de droit commun

Le droit administratif est un droit spécifique à l’administration. Autrement dit, il est composé
des règles juridiques spéciales. Il s’agit d’un droit du déséquilibre en ce qu’il doit avant tout
rester le garant de ce que l’administration puisse prévaloir là où l’intérêt général doit l’emporter
sur l’intérêt privé. Cela explique certaines prérogatives dites de puissance publique.

L’administration bénéficie de prérogatives particulières. En face des administrés, elle est


dans une situation :

• Inégalitaire puisqu’elle donne des ordres en prenant des décisions unilatérales.

En matière contractuelle, elle peut dans certaines hypothèses modifier unilatéralement


certains éléments du contrat ; sa responsabilité n’est ni générale ni absolue, elle a ses règles
spéciales « qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de
l’Etat avec les droits privés » (TC, 8 février 1873, Blanco).

• Autoritaire :

L’administration a le privilège du préalable en donnant des ordres exécutoires, les particuliers


sont tenus d’y obéir, et s’ils peuvent saisir le juge, son contrôle n’a lieu qu’après. Dans certains
cas, l’administration a même le privilège d’exécution d’office. Elle pourra faire procéder à
l’exécution par contrainte en mettant en mouvement la force publique.

L’administration peut être soumise à des sujétions particulières. Ne pouvant poursuivre


son activité dans un but d’intérêt général, la liberté d’action de l’administration sera
fréquemment plus entravée que celle des particuliers : elle peut choisir librement son
cocontractant, l’administrateur ne peut déléguer ses pouvoirs de son gré.

Le particulier sera spécialement protégé lorsque l’intérêt public l’exige.

• Théorie de l’imprévision : possibilité pour le cocontractant d’obtenir une indemnité


de la part de l’administration pour les pertes qu’il a subies lorsque la continuité du
service public l’exige.

• Théorie du risque en matière de responsabilité : possibilité d’obtenir une


indemnisation en dehors de toute faute.

Ainsi, le droit administratif comprend :

20
• Des règles permettant l’adaptabilité permanente de l’activité administrative :

Le caractère prétorien de la jurisprudence traduit la large liberté d’action du juge


administratif, qui adapte constamment sa jurisprudence à l’évolution des idées et des
faits, aux nécessités de la vie administrative. En d’autres termes, les règles qui fondent
l’action administrative doivent lui permettre de s’adapter continuellement au rôle que l’Etat
s’assigne dans la société. Cela explique que le droit administratif est un droit très peu codifié et
essentiellement doctrinal et jurisprudentiel. Cette caractéristique va évidemment poser des
problèmes d’accès à l’information surtout pour le citoyen ordinaire (problème de
vulgarisation du droit administratif).

• Des règles spéciales permettant de garantir les prérogatives de puissance


publique ;

Les personnes publiques bénéficient des privilèges exorbitants par rapport au citoyen ordinaire
comme le droit unilatéral d’édicter des règles juridiques et de se donner un titre exécutoire
qu’elle pourra, le cas échéant, exécuter d’office. Le droit de s’opposer à toute exécution forcée
sur certains biens dont elle est propriétaire. On peut également citer le droit d’expropriation, de
réquisition ou le droit de lever l’impôt.

• Des règles spéciales permettant de garantir la suprématie de l’intérêt général

Des servitudes de la puissance publique telles que la sujétion au seul intérêt général entraînent
une série de contraintes plus formelles comme celles que peuvent imposer les autorités de
contrôle (tutelle administrative), les règles de comptabilité publique, les règles relatives à la
passation des marchés publics, à la motivation des actes administratifs, à la transparence
administrative, à l’emploi des langues etc. L’on doit également relever que l’administration
n’aura d’autres pouvoirs que ceux qui lui sont attribués par la loi.

En conséquence, plus que tout particulier, l’Administration doit respecter ce principe de


légalité, fondement du contrôle exercé par les autorités administratives ou judiciaires sur
l’administration. Le principe de légalité est évidemment le refuge du citoyen contre l’arbitraire
de l’administration. La légalité doit s’entendre ici de l’ensemble des règles légales que
l’administration doit respecter dans son propre fonctionnement et donc non seulement les règles
du droit administratif et du droit constitutionnel mais aussi celles du droit civil, du droit pénal,
du droit social, du droit commercial, du droit fiscal etc. Le respect de la légalité de son action

21
impose également évidemment à l’administration de respecter la hiérarchie des diverses normes
légales.

Enfin, le droit administratif est un droit autoritaire, un droit fort, c’est-à-dire un droit de
commandement, un droit inégalitaire dans lequel l’Administration dispose de prérogatives et
de privilèges par rapport aux administrés. La justification de cet « avantage » résulte dans le
fait que l’Administration agit dans l’intérêt général. Le plus important de ces privilèges consiste
dans le pouvoir de l’action unilatérale, qui permet aux autorités administratives de créer des
obligations, de reconnaitre des facultés ou des droits à la charge ou au profit des administrés
sans avoir à recourir au juge (les décisions exécutoires, qui produisent des effets de droit à
l’égard des administrés sans leur consentement : le privilège de l’exécution d’office des
décisions administratives).

B. Un droit autonome

Fruit d’une œuvre prétorienne, le droit administratif s’est construit dans une certaine mesure
par référence au droit civil. Malgré sa cohérence et sa spécificité, le droit administratif demeure
un droit dérogatoire « au droit commun » que constitue le droit privé.

1. La spécificité du droit administratif

« L'imposition progressive de la grille de lecture juridique pour expliquer le phénomène


administratif a coïncidé en effet avec une suprématie conquise au sein du droit public ». Il s’agit
de l'« âge d'or du droit administratif » qui est marqué par sa reconnaissance à la fois comme
savoir total, voire exclusif, sur l'administration et comme noyau central, voire fondateur, du
droit public.

Le droit administratif est un droit autonome c’est-à-dire un droit spécifique de


l’administration, distinct du droit commun. Autrement dit, c’est par rapport au droit privé
que l’autonomie du droit administratif a été généralement définie. Cette spécificité se rapporte
soit à l’objet auquel s’applique le droit administratif (l’Administration), soit à son contenu
intrinsèque (contenu exorbitant du droit commun). En la matière, il faut entendre par autonomie,
« l’irréductible spécificité du droit administratif résultant du déséquilibre fondamental du
rapport juridique »29 entre l’Etat et les administrés.

29
VEDEL (G.), DELVOLVE (P.), Droit administratif, PUF, Thémis, 12e éd., 1992, p. 35 et s.

22
Selon le cas, on sera confronté à une définition large ou étroite du droit administratif. En tant
que branche du droit public interne, le droit administratif se présente comme un « corps de
règles dotées d’une spécificité au moins relative au sein de l’ordre juridique ». Mais le droit
administratif peut être envisagé d’un point de vue sociologique, comme « le champ de
production juridique spécialisé, caractérisé par une certaine cohésion et disposant d’une
autonomie au moins relative ».

La définition du droit administratif s’est longtemps résumée à une opposition entre les
écoles fondées au début du XXe siècle par deux grands maîtres du droit public.

• Pour Léon DUGUIT, fondateur de « l’Ecole du service public », le droit administratif


se définit avant tout par son objet, par sa finalité qui est la gestion des activités de service
public destinées à la satisfaction de l’intérêt général.

L’activité de service public entraîne alors la mise en œuvre des règles du droit administratif et
détermine la compétence du juge administratif.

• Pour Maurice HAURIOU, fondateur de « l’Ecole de la puissance publique », le droit


administratif se détermine par les moyens mis en œuvre par l’administration pour mener
à bien sa mission de service public.

Si ces moyens sont ceux de la gestion publique, alors le droit administratif s’applique et le juge
administratif est compétent.

On retiendra que ces deux visions « matérielles », qui ont le mérite de la clarté, n’en sont pas
moins dogmatiques donc réductrices de la complexité du droit administratif (elles proposent
une vision globale et tranchée du droit administratif reposant sur un critère exclusif).

Pour approfondir et affiner la définition du droit administratif, Georges VEDEL propose dans
les années 1950 une doctrine, certes plus complexe, mais plus pragmatique : La doctrine des
« bases constitutionnelles du droit administratif ». L’idée du doyen Vedel est que l’on peut
trouver dans la Constitution les bases objectives d’une définition de l’administration et du droit
administratif. A cet égard, l’approche organique que propose la Constitution (ses différents
titres traitent notamment du gouvernement, du Parlement, du Conseil constitutionnel, de
l’autorité judiciaire) constitue un point de départ possible. À partir de là, la doctrine des bases
constitutionnelles du droit administratif repose sur la combinaison de trois niveaux d’analyse :

23
• L’analyse organique qui consiste à rattacher l’administration au gouvernement (en
excluant par conséquent ce qui relève du Parlement et de l’autorité judiciaire).
• L’analyse matérielle qui consiste à exclure de l’activité du gouvernement ce qui n’a
pas de caractère administratif, à savoir la diplomatie et les rapports avec les autres
pouvoirs publics constitutionnels (comme le Parlement).
• L’analyse juridique qui consiste à exclure de l’activité administrative le recours aux
procédés de droit privé.

Cette approche constitue dans une certaine mesure un renouveau de la « théorie de la


puissance publique ». Dans ces conditions, le droit administratif apparaît comme le régime de
puissance publique sous lequel est exercé « l’ensemble des activités du gouvernement et des
autorités décentralisées étrangères à la conduite des relations internationales et aux rapports
entre les pouvoirs publics ». De la même façon, l’administration est « l’ensemble des activités
du gouvernement et des autorités décentralisées… s’exerçant sous un régime de puissance
publique ».

Toujours dans le prolongement des travaux de DUGUIT et HAURIOU, le Professeur René


CHAPUS préconise la combinaison des doctrines du service public et de la puissance publique
Il explique que le droit administratif a souvent été présenté (de façon privilégiée) comme le
droit de la puissance publique ou de la gestion publique (de façon plus large) commandant
l’application des règles spécifiques du droit administratif ainsi que la compétence de la
juridiction administrative. Il relève ensuite que cette approche s’est avérée réductrice dans la
mesure où elle ne prenait pas en compte ce qui est la raison d’être du droit administratif, sa
finalité : la satisfaction de l’intérêt général (qui justifie le recours à des procédés exorbitants
du droit commun) s’exprimant à travers le service public (cette notion de service public a
fourni au droit administratif nombre de ses grands principes).

Enfin, le Professeur Marcel WALINE fut parmi les premiers dès 1952 à prendre en compte la
notion d’intérêt général dans la définition du droit administratif.

Le droit administratif apparaît donc comme le droit s’appliquant aux activités du gouvernement
(hormis ce qui a trait à la conduite des relations internationales et aux rapports entre les
pouvoirs publics) et ayant vocation à la satisfaction de l’intérêt général par l’utilisation de
prérogatives de puissance publique.

D’une façon générale, c’est la définition étroite du droit du droit administratif qui est
communément utilisée. Le droit administratif désigne exclusivement l’ensemble des règles de
24
droit public applicables à l’Administration, plus précisément celles s’appliquant à ses diverses
activités 30. Le droit administratif correspond alors aux règles juridiques différentes des règles
de droit privé: « l’ensemble des règles juridiques distinctes de celles du droit privé qui régissent
l’activité administrative des personnes publiques »31. Cette définition est dite étroite en ce
qu’elle fait du droit administratif seulement « une partie de l’ensemble des normes juridiques
qui régissent l’administration »32. D’après Jacques CHEVALLIER, cette définition restrictive
serait « conforme à la tradition du droit administratif français, qui a été effectivement conçu
depuis les origines comme un droit autonome, distinct par essence du droit privé »33.

En somme, il y a deux façons d’aborder le droit administratif :

• L’approche organique ou formelle consiste à dire que le droit administratif est le droit
de l’administration. De plus, le droit est susceptible de s’appliquer à des situations où
l’administration peut ne pas être impliquée directement.
• L’approche matérielle ou fonctionnelle envisage le droit administratif comme le droit
de l’activité administrative.

Considéré comme la « pierre angulaire » du droit administratif, l’arrêt Blanco fonde à la fois
la spécificité et le caractère jurisprudentiel du droit administratif. Cette spécificité du droit
administratif est justifiée par la particularité de l’intérêt général, lequel ne peut être mis à égalité
avec les intérêts particuliers. Elle porte la marque de l’inégalité entre les « administrés » et «
l’administration », car si l’activité administrative nécessite d’être soumise à des règles, celles-
ci doivent tenir compte de la spécificité de l’action publique, à savoir la poursuite de l’intérêt
général, lequel est considéré comme profondément distinct de l’intérêt privé et supérieur à ce
dernier. Cependant, en réalité, il s’agit d’un compromis entre intérêt commun et individuel,
qui dépend de l’évolution des rapports sociaux (étendue des libertés individuelles, protection
sociale…) : l’intérêt individuel n’est donc pas systématiquement « inférieur » à l’intérêt général,
ce qui justifie que le droit administratif bien que spécifique n’est pas forcément plus favorable
à l’administration que ne l’aurait été le droit commun.

Dans sa conception la plus large et la plus immédiatement perceptible, le droit administratif


désigne « l’ensemble des règles définissant les droits et obligations de l’Administration, c’est-

30
CHAPUS (R.), Droit administratif, tome 1 ; GAUDEMET (Y.), VENEZIA (J.-C.), DE LAUBADERE (A.),
Droit administratif, tome 1.
31
RIVERO (J.), WALINE (M.), Droit administratif, Dalloz.
32
DUPUIS (G.), GUEDON (M.J-.), CHRETIEN (P.), Droit administratif, A. Colin, p. 56.
33
CHEVALLIER (J.), « Les fondements idéologiques du droit administratif français », PUF, CURAPP, 1979,
tome 2, p. 3.

25
à-dire du Gouvernement et de l’appareil administratif ». En d’autres termes, le droit
administratif renvoie à « l’ensemble des règles juridiques qui s’imposent à l’administration,
sans distinction aucune ».

Dès lors, l’expression « droit autonome » peut être quelque peu trompeuse. S’il est vrai que les
règles du droit administratif sont autonomes par rapport à celles du droit privé (et
réciproquement), cela ne signifie pas qu’il existe un cloisonnement entre les deux droits. En
d’autres termes, l’administration est soumise à des règles de droit privé (contrats privés, gestion
du domaine privé, fonctionnement des services publics à caractère industriel et commercial).
Selon Charles EISENMANN : « toutes les règles qui s’appliquent à l’Administration sont des
règles de droit administratif… Tout problème juridique concernant l’Administration est un
problème de droit administratif, toute réglementation répondant à un problème concernant
l’Administration est une règle de droit administratif. Donc le droit administratif doit être défini
d’une façon suffisamment large pour englober tous ces problèmes et toutes sans aucune
exception »34.

En somme, on pourrait définir le droit administratif comme l’ensemble des règles qui
s’appliquent de façon spécifique à l’activité et l’organisation administrative entendue à la fois
dans ses conceptions organique (c’est-à-dire une personne publique) et matériel (une activité
d’intérêt général) et dont le respect est assuré par un ordre juridique particulier, la juridiction
administrative. Autrement dit, l’Administration est soumise à des règles spécifiques et des
règles de droit privé.

Ainsi, le système juridique tant français que gabonais se démarque des systèmes juridiques de
droit unique régissant l’ensemble des relations juridiques (en particulier dans les pays anglo-
saxons), celles des personnes publiques comme des personnes privées. En effet, les systèmes
juridiques français et gabonais sont dotés de règles spécifiques en matière d’organisation et
d’activité de l’administration. Ces règles composant le droit administratif se distinguent des
règles du droit privé qui forment le droit civil, le droit social, le droit commercial… En tant que
droit des relations de l’administration avec les administrés, le droit administratif poursuit un
objectif fondamental, essentiel : donner à l’administration les moyens de satisfaire l’intérêt
général. Pour ce faire, celle-ci dispose d’un cadre d’action et de prérogatives particulières. Le
cadre est celui du service public (de la police, de la justice, de la poste…). Quant aux
prérogatives particulières, ce sont celles liées à la puissance publique – d’où leur appellation de

34
EISENMANN (C.), Cours de droit de droit administratif, tome 1, LGDJ, 1982, Cours de 1951-1952.

26
prérogatives de puissance publique–qui ont pour objet de permettre à l’administration
d’imposer ses vues et ses décisions. La plus significative est sans doute celle qui permet dans
certains cas à l’administration de faire exécuter ses décisions avec l’appui de la force publique
(le privilège de l’exécution d’office).

Inversement, l’administration est soumise à des sujétions, des contraintes particulières.

• En matière contractuelle, l’administration ne peut choisir librement son


cocontractant.

Le droit administratif s’applique naturellement à l’administration lorsque celle-ci agit en tant


que puissance publique et inscrit par là même son action dans le cadre des règles de la gestion
publique. Les litiges nés de cette activité relèvent alors de la compétence des juridictions
administratives. Mais l’activité administrative n’est pas régie exclusivement par les règles
du droit administratif. La diversification et la complexité croissante des missions et des tâches
dévolues à l’administration ont conduit les pouvoirs publics à soumettre certaines de leurs
tâches aux règles de la gestion privée relevant des règles du droit privé. Il en résulte que les
litiges nés des activités administratives soumises aux règles de gestion privée relèvent de
la compétence des juges en charge du contentieux de droit privé.

2. La remise en cause de l’autonomie du droit administratif

Le droit administratif n’est pas seulement le droit de l’administration (au sens organique) car
une partie des activités de celle-ci est soumise au droit commun, tandis que des personnes
privées sont soumises aux règles du droit administratif si elles conduisent une activité de service
public.

De toute évidence, l'évolution récente du droit administratif se caractérise par un mouvement


de la remise en cause de son autonomie: tandis que la capacité explicative et l'efficacité
pragmatique du droit administratif sont fortement remises en cause, l'essor spectaculaire du
droit constitutionnel semble le ramener à une position plus modeste, voire subordonnée, au sein
de l'ordre juridique; disqualifié comme savoir technique, indispensable au bon fonctionnement
administratif, le droit administratif se trouve au même moment, par une coïncidence troublante,
supplanté dans la hiérarchie des savoirs juridiques.

27
• En tant que « corps de règles et corps de professionnels », le droit administratif
connaît une crise.

Comme l'écrit justement J.J. BIENVENU, « depuis trente ans, la crise est devenue pour la
doctrine le mode de description privilégié de l'état du droit administratif, au point que l'on
serait tenté d'écrire: la crise est l'expression du droit administratif»35.

• En tant que savoir juridique, le droit administratif subit la concurrence d'autres


savoirs relatifs à l'administration.

Il est amené, en tant que savoir juridique spécialisé, à se situer par rapport aux autres branches
du droit. En outre, pour le juge administratif, le droit privé constitue toujours un pôle de
références dont il s’inspire largement. De plus, l’administration peut se dépouiller de sa qualité
de puissance publique et agir dans les termes du commerce juridique privé. Dans ces conditions,
l’administration perd le bénéfice du « privilège de juridiction ». Une gestion privée de
l’administration est soumise aux règles du droit privé.

Enfin, la spécificité du droit administratif est partiellement remise en cause par


l’unification européenne (droit de l’Union européenne avec le droit de la concurrence et droit
de la Convention européenne des droits de l’homme avec les droits procéduraux). Le droit
européen ne fait pas de différence entre droit privé et droit public. Cette remise en cause résulte
également des emprunts du juge administratif au droit privé par le biais des principes généraux
du droit (CE, 28 juin 1996, Krief). D’après le Doyen VEDEL, « dans la réception de certaines
règles de droit privé par le Conseil d’Etat. Le juge administratif reçoit purement et simplement
telle ou telle disposition du Code civil ou du Code de procédure civile comme règle applicable
au sein même du système administratif parce qu’il juge qu’aucune nécessité propre à celui-ci
ne s’oppose à son application »36. Elle n’en devient pas moins une règle de droit administratif,
malgré l’emploi de la formule énigmatique des « principes dont s’inspire le code civil »37 ou «
le code du travail »38. Mais le juge étant le maître de ces emprunts, l’autonomie du droit
administratif reste entière.

35
BIENVENU (J.-J.), « Le droit administratif: une crise sans catastrophe », Droits n°4, 1986, p. 93.
36
VEDEL (G.), « Réflexions sur quelques apports de la jurisprudence du Conseil d’Etat à la jurisprudence du
Conseil constitutionnel », op. cit., p. 652.
37
CE,Ass., 02/02/1973, Trannoy, Rec. 94 ; CE, 28/06/1996, Krief, Rec. 251 ; CE, 29/12/2008, OPHLM de Puteaux,
n° 296930, publié au Lebon.
38
CEAss., 08/06/1973, Dame Peynet, Rec. 406.

28
II. Un droit fondamentalement et essentiellement jurisprudentiel, prétorien

Le droit administratif est une création, une œuvre prétorienne, jurisprudentielle avec l’aide de
la doctrine. Il s’agit d’un droit « éminemment », essentiellement jurisprudentiel. En clair, cela
signifie que les règles et les principes fondamentaux du droit administratif ont été élaborés et
posés à l’occasion d’arrêts rendus par le Conseil d’État. Au fil des années, la Haute juridiction
administrative et le Tribunal des conflits forgeront les règles applicables à l’administration en
affirmant l’existence même d’un droit administratif. Très concrètement, à l’occasion des
problèmes posés, ces juridictions ont élaboré les grands principes et les grandes théories du
droit administratif. En d’autres termes, il n’a jamais existé pour le droit administratif de code
écrit équivalant au Code civil et rassemblant les principes et les règles de ce droit.

Droit spécifique et adapté à l’activité administrative (TC 8 février 1873, Blanco), le droit
administratif a été alors élaboré progressivement par le Conseil d’Etat et le Tribunal des
conflits. Par la suite, cette construction, cette formation d’un droit administratif authentique,
autonome a été validée par le Conseil constitutionnel. Il faut dire que la conception française
de la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif (auquel l’administration est rattachée),
commande d’écarter la compétence du juge judiciaire pour juger des litiges qui concernent
l’activité administrative au profit d’un juge spécial, le juge administratif. Dans sa décision du
23 janvier 1987 (Décision n°86-224 DC, 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence), relative
au transfert à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la Concurrence,
le Conseil constitutionnel constitutionnalise l’existence du droit administratif pour ce qui
concerne l’exercice des prérogatives de puissance publique. Il ne paraît dès lors plus possible
de supprimer cette partie fondamentale du droit administratif pour soumettre l’administration
aux règles de droit privé. Pour la première fois, en visant les lois des 16 et 24 août 1790 sur
l’organisation judiciaire, le Conseil constitutionnel a tout à fait affirmé que la séparation des
autorités administratives et judiciaires n’a pas de valeur constitutionnelle mais c’est pour
immédiatement affirmer qu’une tradition française a haussé cette distinction entre les deux
autorités en a fait « un principe fondamental reconnu par les lois de la République ».

Le Conseil constitutionnel relève qu’en droit de la concurrence, le juge pénal, le juge judiciaire
intervient souvent, comme le fait également le juge civil. En conséquence, « pour la bonne
administration de la justice », le texte a pu organiser un bloc de compétence en désignant
comme juridiction qui connaît des recours de la Cour d’appel de Paris. De même, par sa
décision n°2009-595 DC du 3 décembre 2009 « Question prioritaire d’inconstitutionnalité
», le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi organique relative à l’application de
29
l’article 61-1 de la Constitution et qui institue la « Question prioritaire de constitutionnalité
». Le Conseil avait été saisi de cette loi organique par le Premier ministre comme l’imposent
les articles 46 et 61 de la Constitution. L’article 61-1 a été introduit dans la Constitution par la
loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il instaure un contrôle de constitutionnalité des lois
déjà entrées en vigueur (contrôle a posteriori).

Cette réforme comporte trois aspects :

• Elle permet à tout justiciable de soutenir devant le juge qu’une disposition législative
porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
• Elle confie au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation la compétence pour décider si le
Conseil constitutionnel doit être saisi de cette question.
• Elle réserve au Conseil constitutionnel le pouvoir de trancher la question et, le cas
échéant, d’abroger la disposition législative jugée contraire à la Constitution.

Néanmoins, il importe de préciser le droit administratif n’est pas, loin s’en faut, exclusivement
jurisprudentiel. En effet, l’analyse des évolutions récentes du droit administratif met en
évidence la relativité actuelle du caractère prétorien. On observe une tendance vers un droit
administratif davantage écrit. En d’autres termes, à côté de la jurisprudence, il existe d’autres
sources du droit administratif. Si le droit administratif est un droit essentiellement
jurisprudentiel cela n’empêche pas une intervention du législateur qui adopte des mesures
généralement en complément des principes jurisprudentiels. Cela n’empêche pas non plus une
codification partielle du droit administratif (des règles administratives y sont rassemblées
pour des raisons de commodité). En clair, le droit écrit prend une place importante dans la
détermination des règles et principes du droit administratif, du moins quantitativement ((ne
serait-ce que parce que le législateur a repris à son compte certaines règles et principes posés
par la jurisprudence). En matière d’organisation administrative, on peut citer la loi du 2 mars
1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. De
même, le statut de la fonction publique est déterminé par des lois et des règlements.

Par ailleurs, le droit administratif est de plus en plus codifié. Le droit écrit est mis en ordre sous
forme de codes rassemblant les textes relatifs à des domaines particuliers du droit administratif
(Code général des collectivités territoriales, Code de l’urbanisme…). Borris BARRAUD
relève que « le caractère prétorien du droit administratif, justifié par son histoire et par sa
singularité, le distingue fondamentalement du droit privé » et d’aucuns estiment que c’est là sa
chance ou sa force, si ce n’est son essence même. Pourtant, « l’insécurité et la complexité

30
juridiques que ledit caractère emporte inévitablement ont attiré l’attention des pouvoirs
législatif et exécutif. La « textualisation » et, plus encore, la codification du droit administratif
ont alors débuté »39.

Il faut ajouter à cela qu’en France, les notions et les théories élaborées par la doctrine ont
influencé le juge et le législateur dans l’élaboration du droit administratif. Il s’agit de déterminer
quels critères caractérisent l’activité administrative : deux écoles de pensée proposent l’une de
faire appel à la notion ou à la théorie général du « service public » (DUGUIT) et l’autre à la
notion de « puissance publique » (HAURIOU).

Enfin, si par définition on ne peut dire que l’œuvre jurisprudentielle du Conseil d’État est
achevée (elle est vivante, évolue en permanence et s’adapte), du moins peut-on affirmer que
le droit administratif est aujourd’hui un droit homogène, « complet ». L’époque de l’affirmation
des grands principes jurisprudentiels semble révolue et a cédé la place à une période dans
laquelle le Conseil d’Etat se comporte davantage, et cela n’a rien de péjoratif, comme un «
gestionnaire » du droit administratif (il gère en quelque sorte les règles et les principes qu’il a
lui-même édictés). Moins audacieux qu’hier, il est tenté d’abandonner en quelque sorte le
champ normatif au législateur, au gouvernement mais aussi au juge constitutionnel.

Chapitre 2 : Les sources juridiques du droit administratif

Le juge administratif a élaboré lui-même une théorie générale du droit administratif. Il a


posé une très grande partie des règles du droit administratif, en s’efforçant d’ailleurs de les
adapter à l’évolution des faits et des idées et des nécessités administratives. Par ailleurs, le juge
administratif a fait preuve d’une grande hardiesse dans l’interprétation des textes.

Notons que l’action administrative est caractérisée par sa soumission au droit. Cela renvoie à la
définition même de l’Etat de droit qui, à l’opposé de l’Etat arbitraire ou de police impose à
l’administration l’obligation d’agir conformément aux règles juridiques. Dans un Etat de droit,
l’administration est liée par la règle de droit. Principe fondamental du libéralisme politique,
cette notion prévaut dans les Etats modernes. Mais les modalités peuvent être variables :

• La soumission au droit commun :

39BARRAUD (B.), « Les sources du droit administratif. Evolution et actualité de l’« exception administrative », La
revue administrative, Economica, 2010-2014, 2013, p. 492 et s.

31
Dans le système anglo-saxon (Angleterre, Etats-Unis), l’administration est soumise au droit
dans les mêmes conditions que les citoyens : la loi est la même pour tous.

• La dualité du droit applicable :

Dans le système français et gabonais, le droit applicable à l’administration est double : un


droit spécial (le droit administratif) et le droit privé.

Dès lors, l’administration n’est pas toute puissante, sa compétence est enfermée dans
certaines limites, elle doit respecter la règle de droit, elle est soumise au principe de légalité.
Si l’idée de la défense de l’intérêt public est dominante en droit administratif, il convient de
relever que le principe de légalité de l’action administrative permet la protection des droits et
des libertés des administrés en interdisant l’arbitraire administratif. Pour autant, ce principe ne
signifie pas la soumission de l’administration à la seule loi. L’administration est dans
l’obligation de respecter l’ensemble des normes juridiques, qu’il s’agisse des normes
constitutionnelles, internationales, législatives ou réglementaires. De ce point de vue, on peut
ainsi distinguer, les sources internes des sources internationales et régionales du droit
administratif.

Section 1 : Les sources internes du droit administratif

Les actes administratifs doivent respecter, conformément au principe de juridicité, les normes
supérieures. La Constitution, « source des sources »40 se trouve ainsi au sommet de la hiérarchie
des normes au même titre que d’autres normes constitutionnelles dont l’étendue s’est modifiée
au cours du temps. Elles s’imposent au juge administratif qui peut sanctionner des actes
administratifs qui ne les respecteraient pas.

I. Les sources constitutionnelles du droit administratif

Il est généralement admis qu’un ordre juridique est un système hiérarchisé et pyramidal. Toute
difficulté réside alors dans la détermination de la norme suprême, placée au sommet de la
pyramide. La question est délicate et oppose deux conceptions.

40
FAVOREU (L.), « Légalité et constitutionnalité », Cahiers du Conseil constitutionnel, 1997, n° 3, p. 77.

32
Pour certains, le droit international primerait sur les règles constitutionnelles. Cette affirmation
s’appuie sur la nature même du droit international, qui ne se justifie que s’il est supérieur au
droit interne. En effet, le droit international repose sur le respect par chaque Etat de la parole
donnée.

A. Le contenu et la portée du bloc de constitutionnalité

La Constitution française du 4 octobre 1958 a été élaborée dans un contexte marqué par la
Guerre d’Algérie et ne comporte pas de déclarations de droits fondamentaux. Néanmoins, cette
Constitution s’ouvre sur un préambule qui se contente de proclamer l’attachement du peuple
français à deux textes historiques : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26
août 1789 et le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Par la suite, le Conseil
constitutionnel a comblé cette lacune révélant ainsi les bases constitutionnelles du droit
administratif.

La notion de « bloc de constitutionnalité » a été inventée par le Professeur Louis FAVOREU.


Elle est formée de plusieurs couches ou strates successives de normes de référence du contrôle
de constitutionnalité des lois. Dorénavant, pour désigner l’ensemble règles ayant valeur
constitutionnelle, on emploie volontiers l’expression doctrinale de « bloc de constitutionalité
», qui comprend plusieurs séries d’énoncés juridiques.

Par une décision fondatrice du 16 juillet 1971 (Décision n°71-44 DC, Liberté d’association),
le Conseil constitutionnel reconnaît la valeur positive, une valeur juridique suprême tant de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 que du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 en évoquant les « principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution ». Dès
lors, « le bloc de constitutionnalité » contient plusieurs normes de référence emboitées les unes
dans les autres. Il faut à cet égard rappeler que le Conseil constitutionnel a progressivement
développé et mis en place une jurisprudence protectrice des droits fondamentaux. De simple «
juge de la répartition des compétences »41, de simple « organe régulateur de l’activité des
pouvoirs publics »42, il est devenu le garant de l’ordre juridique, le « régulateur de l’activité
normative du gouvernement législateur », l’«organe régulateur de l’équilibre des pouvoirs »,
le protecteur des libertés fondamentales.

41
MELIN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, Paris : Sirey, 2006, 25e édition, p. 507
42
Décision n°62-20 DC du 06 novembre 1962, Élection du Président de la République au suffrage universel direct,
Rec., p. 27.

33
En France, le « bloc de constitutionalité » comprend :

1. Le texte ou le corps même de la Constitution du 4 octobre 1958, soit 89 articles


relatifs essentiellement à l’organisation des pouvoirs publics.
2. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789

Il s’agit d’un texte historique, symbolique de la Révolution française consacrant les « droits
civils et politiques » ou encore « droits-libertés » supposant une abstention de l’État et
garantissant notamment :

• l’égalité, « principe gigogne », « principe matriciel » d’où découlent toute une série de
principes secondaires (égalité devant la loi, devant les charges publiques, égalité devant
le service public, égalité des sexes….
• la liberté (droit naturel et imprescriptible, dans la mesure où il s’agit d’une réalité
logique liée à la qualité d’homme (article 2).

Elle consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (article 4). Il est ainsi précisé que «
tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché » (article 5). De ce principe
découlent, se traduisent plusieurs libertés publiques (liberté individuelle, liberté d’opinion et de
religion).

• la sûreté, conçue comme une garantie contre l’arbitre et inspirée de l’Habeas


corpus britannique, ce principe n’a pas été défini en 1789.

Il a fallu attendre la Déclaration girondine du 26 février 1793. Aux termes de l’article 10 de


cette déclaration : « la sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chaque
citoyen pour la conservation de sa personne, de ses biens, et de ses droits ». L’article 7 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « nul homme ne peut être
accusé, arrêté ni détenu que dans cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a
prescrites ». L’article 8 précise que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et
promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée » et l’article 9 qui énonce que «
tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ».

• La propriété, principe au centre même de société libérale

Dans sa décision du 16 janvier 1982, Nationalisations, le Conseil constitutionnel a rappelé toute


l’actualité de ce principe. Pas plus que les autres, le principe de propriété n’est pas un droit

34
absolu. En conséquence, bien qu’inviolable et sacré, il peut être limité ou supprimé « sous
certaines conditions ».

• la résistance à l’oppression

L’article 35 de la Déclaration de 1793 dispose : « quand le Gouvernement viole les droits du


peuple, l’insurrection est pour le peuple (…), le plus sacré des droits et le plus indispensable
des devoirs ».

3. Le Préambule de la Constitution de 1946

Il proclame les « principes particulièrement nécessaires à notre temps ». Il s’agit


essentiellement des « droits de nature économique et sociale », comme l’égalité entre hommes
et femmes, le droit d’asile, le droit à la sécurité sociale…En réalité, ces « droit-créances »
imposent une action de l’Etat sous forme de prestation et impliquent une redéfinition
permanente des mécanismes de solidarité nationale et de redistribution des richesses entre les
membres de la société, de la Communauté.

4. Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR)

Simplement mentionnée dans le préambule de la Constitution de 1946, mais leur délimitation


n’est pas précisée. On sait par les travaux préparatoires que la formule a été proposée par les
« démocrates chrétiens » pour protéger la liberté d’enseignement et pour beaucoup de
parlementaires, il s’agissait d’une simple clause de style. Aujourd’hui, la portée de cette
référence est importante. Le juge constitutionnel a décidé de lui donner un contenu concret et
de confronter les lois qui lui sont déferrées aux principes fondamentaux reconnus par les lois
de la République. Dans sa décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association, le
Conseil constitutionnel, saisi par le Président du Sénat, conformément aux dispositions de
l’article 61 de la Constitution, considère « qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution
il y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association ».

En indiquant dans les visas « Vu la Constitution et notamment son préambule », le Conseil


constitutionnel place au même niveau le « corps de la Constitution », les « articles
numérotés », et son préambule ainsi que tous les textes auquel il renvoie. Par la formule «
Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe

35
de la liberté d'association », il crée une nouvelle catégorie de norme constitutionnelle, « les
principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

Au fil de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la définition et le contenu des principes


fondamentaux reconnus les lois de la République, se sont précisés. Cette catégorie contient
désormais les normes de valeur constitutionnelle dont l’existence est constatée par le Conseil
constitutionnel à partir de textes législatifs pris sous les trois premières Républiques et avant
1946. Qualifiés de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ces principes
doivent être d’application constante depuis leur proclamation et s’analysent tantôt comme des
droits et des libertés destinées à garantir des libertés. Ont ainsi été consacrés au titre des
principes fondamentaux reconnus les lois de la République :

• Le principe de liberté d’association (Décision n°71-44 du 16 juillet 1971, Liberté


Association)
• Le principe des droits de la défense (Décision n° 76-70 DC du 2 décembre 1976,
Prévention des accidents au travail)
• Le principe de la liberté individuelle (Décision n°76-75 DC du 12 janvier 1977,
« Fouille des véhicules »).
• Le principe de la liberté de conscience (Décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977,
Liberté d’enseignement et de conscience).
• Le principe de la liberté d’enseignement (Décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977,
Liberté d’enseignement et de conscience).
• Le principe d’indépendance de la juridiction administrative (Décision n°80-119 DC du
22 juillet 1980, Validation d’actes administratifs)
• Le principe d’indépendance des professeurs d’université (Décision n°83-165 DC du 20
janvier 1984, « Libertés universitaires »).
• L’existence de la justice des mineurs (Décision n°2002-461 DC du 29 août 2002, « Loi
d’orientation et de programmation de la justice »).
• Le principe d’utilisation des lois locales Alsace et en Moselle « tant qu’elles n’ont pas
été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles »
(Décision n°2011-157 QPC du 5 août 2011, Société SOMODIA [Interdiction du
travail le dimanche en Alsace-Moselle]).

Au titre des principes destinés à garantir des libertés, ont été proclamées :

36
• Le principe de l’indépendance de la juridiction administrative (Décision n° 80-119 DC
du 22 juillet 1980, Validation d’actes administratifs)
• Le principe de la compétence de la juridiction administrative pour connaître de certains
contentieux (Décision n°86-224 DC, 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence)
• Le principe de la compétence du juge judiciaire en matière de protection de la propriété
immobilière (Décision n°89-256 DC du 25 juillet 1989, « Urbanisme et
agglomérations nouvelles »).

La plupart des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ont été dégagés
par Conseil constitutionnel. Cependant, il est arrivé au Conseil d’Etat d’en faire de même. Sous
la IVe République, le Conseil d’Etat a consacré au rang de principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République, la liberté d’association (CE, 11 juillet 1956, Amicale des
annamites de Paris). Par un arrêt Moussa Koné (CE, Ass., 3 juillet 1996, Koné), le Conseil
d’Etat, affirme le caractère de principe fondamental reconnu par les lois de la République du
principe selon lequel, l’Etat doit refuser une extradition lorsqu’elle est demandée dans un but
politique.

5. La Charte de l’environnement

Dans une décision d’Assemblée du 3 octobre 2008, (CE, Ass., 3 octobre 2008, Commune
d’Annecy), le Conseil d’Etat souligne le caractère constitutionnel de la Charte de
l’environnement en considérant que « l’article 34 de la Constitution prévoit, dans la rédaction
que lui a donnée la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, que « la loi détermine les principes
fondamentaux (…) de préservation de l’environnement », qu’il est spécifié à l’article 7 de la
Charte de l’environnement à laquelle le préambule de la Constitution fait référence en vertu de
la même loi constitutionnelle que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites
définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les
autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence
sur l’environnement ; que ces dernières dispositions comme l’ensemble des droits et devoirs
définis dans la Charte de l’environnement, et à l’instar de toutes celles qui procèdent du
Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle ; qu’elles s’imposent aux pouvoirs
publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétences respectifs ». En
l’espèce, le Conseil d’Etat annule un décret relatif aux lacs de montagne pour incompétence du
pouvoir réglementaire. L’application de la Charte de l’environnement est précisée (CE, 24
juillet 2009, Comité de recherche et d’informations indépendantes sur le génie génétique :

37
abrogation implicite d’une loi par la charte). La Charte de l’environnement consacre les
« droits-solidarité ».

6. Les principes de valeur constitutionnelle, dégagés le juge constitutionnel, sans


qu’ils puissent se rattacher à un texte écrit ou être qualifiés de PFRLR)

Il en va ainsi de la continuité du service public, la protection de la santé et de la sécurité des


personnes et des biens ou la dignité de la personne humaine.

7. L’identité constitutionnelle de la France


Le Conseil constitutionnel français a intégré le principe de « l'identité constitutionnelle
française » dans les normes de référence du contrôle de constitutionnalité, en précisant que les
obligations de la France à l'égard de l'Union européenne « ne saurait aller à l'encontre d'une
règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le
constituant y ait consenti »43. C'est à partir de ce « bloc de constitutionnalité », des normes
législatives et réglementaires que la jurisprudence assure l'unité structurelle du droit, la
cohérence de l'ordre juridique.

Le droit européen se heurterait-il à la quintessence de l’esprit des principes inhérents à l’identité


constitutionnelle de la France44, c'est-à-dire, « ce qui est expressément inscrit dans nos textes
constitutionnels et qui nous est propre. […], ce qui est inhérent à notre identité
constitutionnelle, au double sens du terme « inhérent » : crucial et distinctif ». Autrement dit
essentiel à la République » 45. « Outil à la fois malléable et symbolique »46, « la notion d’identité
constitutionnelle de la France semble englober tout autant la défense des particularités
institutionnelles de la République que la protection des droits fondamentaux »47. D’après Jean-
Éric CHOETTL, l’« identité constitutionnelle » « ne touche qu’à un petit nombre de matière
(laïcité, égalité d’accès aux emplois publics…) sur lesquelles il est douteux que l’Union entende
interférer »48.

43
Décision n°2006-540 DC du 27 juillet 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de
l'information, Rec., p. 88.
44
Ibid.
45
« Echange de vœux à l’Elysée. Vœux du Président du Conseil constitutionnel, M. Pierre MAZEAUD, au
Président de la République. Discours prononcé le 3 janvier 2005 à l’Elysée », Cahiers du Conseil constitutionnel,
n°18, 2005, p. 3-18.
46
BLACHER (P.), PROTIERE (G.), « Le Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution face aux directives
communautaires », RFDC, n°69, 2007, p. 135.
47
Ibid.
48
SCHOETTL (J.-E.), « Primauté du droit communautaire: l’approche du Conseil constitutionnel », EDCE,
n°2007-58, p. 389.

38
Cette idée d’identité constitutionnelle semble irradiée le droit constitutionnel contemporain. En
effet, on retrouve cette idée dans des nombreux ordres juridiques des États membres de l’Union
européenne. Ainsi, la Corte Costituzionle dénonçait déjà le « pouvoir inadmissible de violer les
principes fondamentaux de notre ordre juridique constitutionnel (…) »49. On peut dans le même
sens évoquer la décision de la Cour constitutionnelle allemande du 30 juin 2009 qui rappelle «
les domaines particulièrement sensibles pour la capacité d’autodétermination démocratique
d’un État constitutionnel »50. Il est aussi à noter que « les motifs de cette décision, au-delà son
dispositif validant le traité de Lisbonne, n’ont donc pas fini d’interpeller les juristes (…) »51.
On peut aussi remarquer que « les juges de Karlsruhe tentent de déterminer les limites absolues
de l’intégration européenne telles qu’autorisées par la Loi fondamentale allemande. Cet aspect
du jugement est fondamental et inédit: il tente de fixer juridiquement les limites du processus
politique »52. Le Rapport d’information de monsieur Hubert HAENEL, fait au nom de la
Commission des affaires européennes souligne que « l’arrêt Lisbonne précise et complète le
raisonnement développé par l’arrêt Maastricht (…) »53. En revanche, il convient de relever que
la doctrine dénonce cette décision en raison des «constructions dogmatiques des principes de
souveraineté de l’État et de démocratie et les conséquences néfastes pour le projet européen
»54. On peut également évoquer la jurisprudence du tribunal constitutionnel espagnol qui
consacre l’obligation impérative de respecter « principes fondamentaux de l’État social et
démocratique de droit établi par la Constitution nationale »55. Cette évolution conduit un
certain nombre d’observateurs à se demander si l’on s’oriente « vers la reconnaissance d’un
droit à l’identité nationale pour les États membres de l’Union »56. En tout état de cause,

49
Cour constitutionnelle italienne, 27 décembre 1973, n°183, Frontini e Pozzani c/ Ministère des finances, RTDE,
1974, p. 148
50
BVerfGE, 2 BvE 2/08, du 30 juin 2009, disponible dans sa version originale allemande et sa traduction sur le
site www.bundesverfassungsgericht.de
51
SIMON (D.), « La Cour de Karlsruhe et le traité de Lisbonne : oui mais…, Europe », août-septembre 2009,
Repère 8, p.
52
BARRIERE (A.-L.), ROUSSEL (B.), « Le traité de Lisbonne, étape ultime de l’intégration européenne ? Le
jugement du 30 juin 2009 de la Cour constitutionnelle allemande, notre Comité d’études des relations franco-
allemandes » (Cerfa), IFRI, septembre 2009, p. 3.
53
HAENEL (H.), Rapport d’information n°119 sur l’arrêt rendu le 30 juin 2009 par la Cour constitutionnelle
fédérale d’Allemagne au sujet de la loi d’approbation du traité de Lisbonne, Sénat, Commission des affaires
européennes, 26 novembre 2009, p. 33.
54
VON UNGERN-STERNBERG (A.), « L’arrêt Lisbonne de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, la fin
de l’intégration européenne ? », RDP 2010, p. 172.
55
Tribunal constitutionnel espagnol, Déclaration, 13 décembre 2004, F. J. n°2 (DTC n°1/2004) ; notamment L.
BURGORGUE-LARSEN, « La déclaration du 13 décembre 2004 : un Solange II à l’espagnole », Cahiers du
Conseil constitutionnel, 2005, n°18, p. 154-161.
56
MOUTON (J.-D.) « Vers la reconnaissance d’un droit à l’identité nationale pour les Etats membres de l’Union
? », in La France, l’Europe et le monde, Mélanges en l’honneur de J. Charpentier, Paris, Pedone, 2008, p. 409

39
interprétée strictement, le principe de l’identité constitutionnelle pourrait rapidement devenir
un obstacle incontournable à toute atteinte à « l’intangibilité de l’unité politique de l’État »57.

8. D’autres règles de valeur constitutionnelle ont été dégagées juridiquement

Il s’agit des objectifs de valeur constitutionnelle qui doivent orienter l’action des pouvoirs
publics. Il va ainsi du maintien de l’ordre public, ou du droit de la personne de disposer d’un
logement décent.

Notons aussi que le Conseil d’Etat reconnaît une valeur constitutionnelle au Préambule de la
Constitution de 1958 et constitutionnalise ce faisant, la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen. D’abord en 1959, le Conseil d’Etat considère que « les principes généraux du droit
résultant notamment du préambule s’imposent à toute autorité réglementaire même en
l’absence de dispositions législatives » (CE, 26 juin 1959, Syndicat des ingénieurs conseils).
Ensuite, dans un arrêt de Section du 12 février 1960 (CE, Sect., 12 février 1960, Société Eky),
la Haute juridiction pose le principe de l’unité de l’ensemble des normes constitutionnelles en
leur reconnaissant la même valeur juridique. Pour cela, il se réfère à plusieurs sources, l’article
6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, l’article 34 de
la Constitution du 4 octobre 1958.

Au Gabon comme en France, la Constitution du 26 mars 1991 est précédée d’un préambule
auquel la Cour constitutionnelle gabonaise a reconnu une valeur constitutionnelle. Dans une
décision du 28 février 1992 (Décision n°1/CC du 28 février 1992, relative à la loi organique
portant l’organisation et le fonctionnement du Conseil national de la communication), le
juge constitutionnel gabonais a considéré que « la conformité d’un texte de loi à la Constitution
doit s’apprécier non seulement par rapport aux dispositions de celle-ci mais aussi par rapport
au contenu des textes et normes de valeur constitutionnelle énumérés dans le préambule de
la Constitution, auxquels le peuple gabonais a solennellement affirmé son attachement et qui
constituent, avec la Constitution, ce qu’il est convenu d’appeler le bloc de constitutionalité ; ».

Ainsi, le bloc de constitutionalité est composé de :

• Le corps ou texte de la Constitution du 26 mars 1991 ;


• La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ;
• La Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 ;

57
PIERRE-CAPS (S.), « La protection des minorités et l’ordre juridique français », Presses universitaires de
Nancy, 2 tomes, 1987, p.105.

40
• La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 ;
• La Charte Nationale des libertés de 1990 ;

B. Les bases constitutionnelles du droit administratif

Afin d’approfondir et d’affiner la définition du droit administratif, le Professeur Georges


VEDEL propose dans les années cinquante une doctrine : la doctrine des bases
constitutionnelles du droit administratif. Il s’agit d’une doctrine complexe mais qui a le mérite
d’être plus pragmatique. Le Doyen VEDEL avance l’idée selon laquelle on peut trouver dans
la Constitution même les bases objectives d’une définition de l’administration et du droit
administratif.

Comme point de départ de sa réflexion, l’approche organique que propose la Constitution (ses
différents titres traitent notamment du gouvernement, du Parlement, du Conseil constitutionnel,
de l’autorité judiciaire). Dès lors, la doctrine des bases constitutionnelles du droit administratif
repose sur la combinaison de trois niveaux d’analyse (l’analyse organique, l’analyse
matérielle, l’analyse juridique).

Il en résulte que certaines dispositions du bloc de constitutionnalité s’imposent à


l’administration en tant que bases constitutionnelles du droit administratif. Cela concerne :

1. La position de l’exécutif face au pouvoir législatif

En France et au Gabon, les normes ou les bases constitutionnelles concernent la répartition de


compétence entre le Gouvernement et le Parlement, la délimitation du champ de compétence
du pouvoir réglementaire par rapport à la loi.

• Au Gabon :

Il faut lire les articles 47 (nouveau), 51, 52, 106, et 107 de la Constitution relatifs,
respectivement, au domaine de la loi, de celui du règlement, à l’intervention du Gouvernement
en matière législative, à la négociation, à la ratification et à l’approbation des traités).

• En France :

Il est utile de se référer aux articles 34, 37, 38 et 53 de la Constitution). Il apparaît clairement
que dans un certain nombre de cas, étroitement énumérés dans la Constitution, seul le législateur
est compétent pour fixer les règles essentielles, le pouvoir réglementaire intervenant pour mettre
en œuvre celles-ci.

41
2. La subordination de l’administration au gouvernement

D’autres dispositions constitutionnelles relatives à l’organisation des pouvoirs publics


s’imposent à l’administration. Il s’agit des règles relatives à la répartition de compétences entre
le Président de la République et le Premier Ministre.

• En France :
• Il faut se référer aux articles 13, 21 de la Constitution qui définissent les compétences
du Président et du Premier Ministre en matière réglementaire et sur les nominations
civiles et militaires).
• Au Gabon :

Il faut lire les articles 20 (nouveau) et 29 de la Constitution).

Il s’ensuit que toutes ces dispositions constitutionnelles fondent le pouvoir hiérarchique.

3. Les règles de procédures et de fond


• Au Gabon :

Il convient de lire l’article 29, alinéa 4 de la Constitution relatif au régime de contreseing


ministériel (expression, traduction de l’accord entre le Président et les membres du
Gouvernement).

• En France :

Il faut lire les articles 19 et 22 de la Constitution. Il convient également de mentionner l’article


54 al. 1 de la Constitution relatif au mécanisme des avis du Conseil d’Etat sur les projets des
lois.

En plus de toutes ces dispositions constitutionnelles relatives aux règles de procédures, il


convient de mentionner celles portant sur les grands principes de fond du droit administratif.

4. Les dispositions constitutionnelles portant sur grands principes de fond du droit


administratif.
a) La libre administration des collectivités territoriales (article 72 CF ; article 103 CG).

42
b) La liberté de Constitution et d’activité de partis politiques (article 1er CG ; article 4
CF)
c) Le principe de supériorité des traités sur les lois.

En France :

Lire l’article 55 de la Constitution.

Au Gabon :

Voir les décisions (TA, 17 janvier 1962, Maugein ; CA, 7 février 1964, Sammarcelli).

d) L’indépendance du juge administratif

En France :

Voir les décisions du Conseil constitutionnel français de 1980 (Décision n°80-119 DC du 22


juillet 1980, Validation d’actes administratifs) et de 1987 (Décision n°86-224 DC, 23
janvier 1987, Conseil de la concurrence).

Au Gabon :

Lire les articles 67-71, les articles 74-75 de la Constitution du 26 mars 1991.

e) L’existence de certains services publics (école, sécurité sociale) ainsi que les règles
relatives à leur fonctionnement (principes d’égalité, de neutralité, de mutabilité, de
laïcité).

Dans ces conditions, le droit administratif correspond à « l’ensemble des règles définissant les
droits et obligations de l’administration, c’est-à-dire du gouvernement et de l’appareil
administratif ».

C. Le respect des normes constitutionnelles en droit administratif

Le juge administratif s’est toujours refusé de censurer une décision administrative prise en
application d’une loi elle-même inconstitutionnelle. Cette situation correspond à la théorie de
la loi écran qui est progressivement remise en cause.

1. Le recul de la théorie de l’« écran-législatif»

Le juge administratif peut annuler des actes administratifs méconnaissant des dispositions
constitutionnelles. Toutefois, la compétence du juge peut être entravée par la « théorie de la loi
écran », encore appelée « écran législatif ». Ce mécanisme repose sur un constat ancien :

43
l’incompétence du juge ordinaire pour contrôler la constitutionnalité de la loi. En d’autres
termes, le juge administratif et judicaire, garants du respect des lois, refusent de contrôler la
conformité d’une loi à un principe de valeur constitutionnelle (Cass., crim. 1833, Paulin; CE,
Sect., 6 novembre 1936, Arrighi 58; CE, 10 novembre 1950, Fédération nationale de
l’éclairage59; CE, 4 octobre 2000, Bertin60). Autrement dit, si un acte administratif est pris
conformément à une loi elle-même contraire à la Constitution, le juge ne pourra pas annuler cet
acte juridique quand bien même il serait lui aussi contraire à la Constitution. La loi fait ici écran
et couvre de son autorité l’inconstitutionnalité de l’acte.

Ce principe de l’écran législatif est de plus en plus contesté et a perdu partiellement de son
application.

2. La remise en cause progressive de la théorie de l’« écran législatif »

La théorie de la « loi écran », connaît un net recul aujourd’hui. Le juge administratif a refusé
pendant, un certain temps, de s’aligner sur la solution du juge judiciaire. En application du
principe de l’écran législatif, il considérait qu’il n’entrait pas dans ses compétences pour
examiner la conformité de la loi postérieure à un traité (CE, Sect., 1er mars 1968, Syndicat
général des fabricants de semoule de France). Le Conseil d’Etat refusait alors de contrôler
la conventionalité des lois postérieures au traité. Il faisait ainsi prévaloir une loi postérieure au
traité. Par son arrêt d’Assemblée du 20 octobre 1989 (CE, Ass., 20 octobre, 1989, Nicolo), le
Conseil d’Etat a renversé sa jurisprudence traditionnelle en marquant un net recul de la théorie
de l’écran-législatif. En application de l’article 55 de la Constitution, il contrôle désormais la
conformité de la loi même postérieure au traité qu’il s’agisse de traités institutionnels ou non,
de traités multilatéraux ou bilatéraux.

58
CE, Sect., 6 novembre 1936, Arrighi : « Sur le moyen tiré de ce que l’article 36 de la loi du 28 février 1934,
en vertu duquel ont été pris les décrets des 4 et 10 mai 1934, serait contraire aux lois constitutionnelles;
Considérant qu’en l’état actuel du droit public français, ce moyen n’est pas de nature à être discuté devant le
Conseil d’Etat statuant au contentieux ; (…) ».
59
CE, 10 novembre 1950, Fédération nationale de l’éclairage : « Considérant qu’il est constant que le décret
du 8 mars 1950 est intervenu en vue d’assurer la continuité du fonctionnement d’un ensemble de services et
d’entreprises indispensables pour assurer les besoins du pays ; (…) que le moyen tiré par le fédération requérante
des termes du préambule de la Constitution est inopérant à l’égard d’un acte pris par le Gouvernement en
application des dispositions d’une loi en vigueur (Rejet)».
60
CE, 4 octobre 2000, Bertin : « Considérant qu’il résulte de l’article 76 de l’ordonnance du 22 décembre 1958
portant loi organique relative au statut de la magistrature que la limite de l’âge pour les magistrats de l’ordre
judiciaire est fixée à soixante-cinq ans ; qu’il n’appartient pas au Conseil d’Etat statuant au contentieux
d’apprécier la conformité de ces dispositions de valeur législative à des dispositions de valeur
constitutionnelle ».

44
Par ailleurs, il convient de relever que depuis le 1 er mars 2010, les juridictions judiciaires et
administratives peuvent poser une question prioritaire de constitutionnalité (article 61-1 de
la Constitution : renvoi devant le juge constitutionnel).

D. L’interprétation de la Constitution

Chaque juridiction est habilitée à interpréter les dispositions constitutionnelles. Dans ces
conditions, il possible de trouver des interprétations divergentes d’une même disposition. Face
à ce risque pour la cohérence de l’ordonnancement juridique, il est essentiel de déterminer
l’autorité des décisions du juge constitutionnel.

Aux termes de l’article 92 de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991, « les décisions de


la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs
publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes
physiques et morales ».

En France, l’article 62 al. 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit des dispositions


similaires en disposant que « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles
d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives
et juridictionnelles ». Le Conseil constitutionnel a estimé que « l'autorité des décisions visées
par cette disposition s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont
le soutien nécessaire et en constituent le fondement même » (Décision n°62-18Ldu 16 janvier
1962, Loi d'orientation agricole).

Par la suite, il a précisé sa solution en considérant que l'autorité de chose jugée attachée à ses
décisions « est limitée à la déclaration d'inconstitutionnalité visant certaines dispositions de la
loi qui lui était alors soumise ; qu'elle ne peut être inutilement invoquée à l'encontre d'une autre
loi conçue d'ailleurs en des termes différents » (Décision n°88-244 DC du 20 juillet 1988, Loi
portant amnistie).

Il est désormais établi que la règle de l'autorité de chose jugée s'impose aux juges judiciaire et
administratif. D’une façon générale, les juridictions judiciaires et administratives se conforment
à l’autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel. Pour s'en convaincre, il
suffit de rappeler que le Conseil d'État61 et la Cour de cassation62 ont reconnu qu'ils sont liés
par « l'interprétation des décisions du Conseil constitutionnel (…) dans le cadre de l'application

61
CE, Ass., 11 mars 1994, SA la cinq, Rec., p. 117, voir dans le même sens, CE, 22 juin 2007 Lesoud, AJDA, 19
novembre 2007, p. 2130.
62
Cour de cassation, Ass. Plén., 10 octobre 2001, Breisacher, RFDC, 2002, p. 55

45
de la loi pour laquelle elle a été donnée ». Il s'ensuit que l'autorité de chose jugée attachée aux
décisions du Conseil constitutionnel se présente comme « un principe fondamental » 63 qui «
confère à l'acte de juger son utilité: arrêter le conflit »64. L’unité de la jurisprudence est ainsi
préservée (CE, Ass., 20 décembre 1985, Société des établissements Outters).

II. Les autres sources internes du droit administratif

Le droit administratif n’est pas, loin s’en faut, exclusivement jurisprudentiel. A côté de la
jurisprudence, il existe d’autres sources du droit administratif. Si le droit administratif est un
droit essentiellement jurisprudentiel cela n’empêche pas une intervention du législateur qui
adopte des mesures généralement en complément des principes jurisprudentiels.

A. Les domaines respectifs de la loi et du règlement

En France, la loi est soumise à la Constitution et aux normes internationales (article 55 de la


Constitution) et son domaine n’est plus aujourd’hui illimité. En France comme au Gabon, les
matières relevant du domaine de la loi sont limitativement énumérées dans diverses dispositions
de la Constitution :

• L’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 et l’article 47 de la Constitution


gabonaise du 26 mars 1991 qui énumèrent les domaines essentiels de la loi.
• Le domaine du règlement est défini par rapport à celui du règlement relevant du pouvoir
exécutif (article 37 et 51 des Constitutions française et gabonaise).

B. La diversité des textes législatifs


1. Les lois organiques et les ordinaires

Il faut entendre par loi organique toute loi relative à l’organisation et le fonctionnement des
pouvoirs publics. Elles ont donc pour objet de préciser l’organisation et le fonctionnement dans
le cadre des principes posés par la Constitution. Aux termes de l’article 46 de la Constitution
du 4 octobre 1958, la loi organique est définie comme « la loi prévue par la Constitution,
adoptée selon une procédure particulière, et obligatoirement soumise au contrôle du Conseil
constitutionnel » (article 61, alinéa 1).

63
JEZE (G.), « De la force de vérité légale attachée par la loi à l'acte juridictionnel », RDP, 1913, p. 4
64
DISANT (M.), L'autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel, LGDJ, coll. "Bibliothèque
constitutionnelle et science politique", t. 135, Paris, 2010, p. 32

46
Au Gabon ainsi qu’en France, la juridiction constitutionnelle est obligatoirement saisie des lois
organiques (article 61 alinéa 1 de la Constitution française et l’article 84 alinéa 1 de la
Constitution gabonaise).

Dans la hiérarchie des normes, les lois organiques se situent entre la Constitution et les lois
ordinaires.

2. Les ordonnances (ratifiées)

Exceptionnellement, l’exécutif peut prendre des actes relevant du domaine de la loi, mais en
vertu d’une loi d’habilitation législative ou des circonstances exceptionnelles.

• Les ordonnances prises au titre de l’article 52 de la Constitution gabonaise et l’article


38 de la Constitution française. Ces ordonnances acquièrent valeur législative avec
leur ratification par le législateur.
• Les ordonnances prises en période d’application des pouvoirs exceptionnels et
intervenant dans les matières législatives.

En France et au Gabon, ces ordonnances peuvent être prises au titre des articles 16 CF et 26
CG. Les mesures prises par le président de la République en période d’application des pouvoirs
exceptionnels dans le domaine législatif sont insusceptibles de recours (CE, Ass., 2 mars 1962,
Rubin de Servens). Ce n’est pas le cas pour ordonnances intervenant en matière réglementaire.
Elles sont soumises au contrôle du juge administratif (CE, Ass., 19 octobre, 1962, Canal).

3. Les lois référendaires

Elles sont adoptées par le peuple se prononçant par référendum. En fonction de leur contenu,
elles présentent aussi bien la texture, l’aspect, le caractère des lois ordinaires, de lois organiques,
ou encore de lois constitutionnelles.

En tout état de cause, elles échappent au contrôle du Conseil constitutionnel qui considère
depuis toujours qu’elles sont « l’expression directe de la souveraineté nationale ». Il se refuse
ainsi de contrôler la constitutionnalité des lois référendaires (Décision CC du 6 novembre
1962, Election du Président de la République au suffrage universel direct ; Décision CC
du 23 septembre 1992, Ratification du Traité de Maastricht). Dans la première espèce, la
loi référendaire avait valeur constitutionnelle et dans le second cas, elle n’avait qu’une valeur
législative. Le Conseil constitutionnel est progressivement devenu le protecteur des libertés

47
fondamentales mais il limite son incompétence aux seules lois référendaires, constitutionnelles
et les lois de transposition des directives.

C. Les sources de rang réglementaire

Afin d’appliquer les lois, les autorités administratives ont le pouvoir d’édicter des règles de
droit. Ces règles s’imposent aussi bien aux administrés qu’à l’administration elle-même. Il
s’agit des règlements qui obéissent à une définition organique et matérielle. Le règlement obéit
à une définition organique et matériel. Il désigne un acte émanant d’une autorité
administrative et contenant des règles générales et abstraites.

D’une part, une décision administrative peut se présenter sous la forme d’un :

• Décret : acte administratif unilatéral pris par deux plus hautes autorités exécutives de
l’Etat (Chef de l’Etat et le chef du Gouvernement)
• Un arrêté (arrêté ministériel, préfectoral, ou municipal, pour les règlements pris
respectivement par les ministres, les préfets, les maires).

D’autre part, au regard de la nature juridique et du contenu révèle, tous les décrets ne sont
pas de nature réglementaire.

• Un décret est qualifié de réglementaire lorsqu’il pose une règle générale, lorsqu’il statue
par voie générale ou abstraite.
• Un décret est qualifié d’individuel lorsqu’il vise une situation individuelle ou une
personne nommément désignée (nomination).

Certains sont soumis à des formalités particulières :

• Décrets en conseil des ministres


• Décrets pris sur avis du Conseil d’Etat
• Décrets nécessitant l’avis d’un ou plusieurs autres organismes consultatifs.

III. Les principes généraux du droit

« On appelle ainsi un certain nombre de principes qui ne figurent pas dans les textes mais que
la jurisprudence reconnaît comme devant être respectés par l’administration ; leur violation
constitue une illégalité »65.

65 DE LAUBADERE

48
Le droit administratif étant essentiellement « prétorien », jurisprudentiel, le juge a
nécessairement joué un rôle important dans sa formation. Ce rôle se révèle tout particulièrement
à travers l’élaboration des principes généraux du droit (PGD). Ils sont dégagés par le Conseil
d’Etat à partir des sources formelles, de la tendance sociale majeure, de la conscience
juridique du temps et de la conception de l’Etat de droit. Si les principes généraux ne sont
pas écrits, ils trouvent leur inspiration dans les textes, dans la jurisprudence antérieure. Au fil
de la jurisprudence du Conseil d’Etat, les principes généraux du droit se sont étoffés et
diversifiés.

L’expression « principes généraux du droit », n’est consacrée et pérennisée qu’à partir de 1945
avec un arrêt du Conseil d’Etat du 5 mai 1945 (CE, Sect., 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier
Gravier : respect des droits de la défense). Cette décision sera reprise par un arrêt d’Assemblée
du Conseil d’Etat (CE, Ass., 26 octobre 1945, Aramu : droits de la défense) dans lequel le
Conseil d’Etat estime « qu’il résulte des principes généraux du droit applicable même en
l’absence de texte, qu’une sanction disciplinaire ne peut être légalement prononcée sans que
l’intéressé ait été mis en mesure de présenter sa défense ».

A. Les spécificités des principes généraux du droit

Ils désignent des principes élaborés par le juge administratif et dont le respect s’impose à
l’administration même en l’absence de texte.

Ils sont déduits de l’esprit d’un ou plusieurs textes tels :

• La Déclaration des droits de l’Homme et Citoyen du 26 août 1789 et de


• Les préambules constitutionnels ;

Il peut constater l’existence d’un principe général du droit même en l’absence d’un texte. Dans
un arrêt d’Assemblée du 26 mars 1945 (CE, Ass., 26 octobre 1945, Aramu), le Conseil d’Etat
consacre le principe du respect des droits de la défense sans se référer à un texte.

Le commissaire du gouvernement Maxime LETOURNEUR dans ses conclusions sur l’affaire


Société des concerts du Conservatoire, lorsqu’il affirme fort justement qu’« à côté des lois
écrites existent des grands principes dont la connaissance comme règles de droit est
indispensable pour compléter le cadre juridique dans lequel doit évoluer la nation, étant donné

49
les institutions politiques et économiques qui sont les siennes, et dont la violation a les mêmes
conséquences que la violation de la loi écrite, c'est-à-dire l’annulation de l’acte intervenu en
leur méconnaissance et la constatation d’une faute à la charge de l’autorité ayant pris cet acte
»66. Dans le même esprit, Edouard LAFERRIERE considère qu'il s’agit « des principes
traditionnels écrits ou non écrits, qui sont en quelque sorte inhérents à notre droit public et
administratif »67. Dès lors, les principes généraux du droit ne constituent pas des simples règles
jurisprudentielles. Ils correspondent à une catégorie autonome de normes juridiques, non écrites
dégagées par le juge administratif et dont le respect s’impose aux autorités administratives.

• Ils sont dégagés de la nature d’une institution (la continuité du service public est
inhérente à la nature même de l’institution.

• Ils sont dégagés de l’éthique politique et sociale.

Ainsi, il considère le principe d’égalité comme un aspect fondamental de la conscience et de la


tradition nationale française (égalité devant la loi, devant l’impôt, égalité des sexes devant le
service public etc…).

1. Le contenu des principaux généraux du droit

Dans son arrêt du 26 octobre 1945, (CE, Ass., 26 octobre 1945, Aramu), le Conseil d’Etat a
indiqué clairement que « les principes généraux du droit sont applicables même en l’absence
de texte ». Selon le juge administratif, il ne fait que dégager et déduire les principes généraux.
Leur identification repose sur la combinaison de quatre critères ou caractéristiques.

a) Des principes non-écrits


Il s’agit des principes non-écrits qui existent même en l’absence de texte. Permettant de
compléter la législation ou d’en combler les lacunes, les premiers d’entre eux ont pour vocation
la garantie et la protection des droits fondamentaux.
• L’existence d’un recours pour excès de pouvoir sans texte (CE, Ass., 17 février 1950,
Ministre de l’Agriculture c. /Dame Lamothe).
• La non-rétroactivité des textes administratifs (CE, Ass., 25 juin 1948, Société du
Journal « L’Aurore »).
• Le droit de grève dans les services publics (CE, Ass., 7 juillet 1950, Dehaene).

66
LETOURNEUR (M.), Conclusions sous CE, Sect., 9 mars 1951, Société des concerts du Conservatoire, Dr.
Soc., 1951, p. 168.
67
LAFERRIERE (E.), Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Paris, Berger-Levrault,
2eme édition, 1896, Introduction, p. XIII.

50
• L’égalité d’accès au service public (CE, Sect., 8 mars 1951, Société des concerts du
conservatoire).
b) Des principes issus de la tradition juridique française

Ils trouvent leurs fondements dans :

• La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 (CE, Ass., 28


mai 1954, Barel).
• Le préambule de la Constitution de 1946 (CE, 8 décembre 1978, GISTI).
• La législation de la IIIe et la IVe République (CE, Sect., 23 avril 1982, Ville de
Toulouse c./Aragnou) ;
• Le droit de l’Union européenne (CE, Ass., 24 mars 2006, Société KPMG et autres)
• Le droit du Conseil de l’Europe (CE, Ass., 3 décembre 1999, Didier : impartialité des
juridictions).
c) Des principes découverts ou dégagés par le juge administratif

L’intervention du juge administratif est indispensable à la consécration d’un principe général


du droit. Dès lors, les principes généraux doivent être distingués des principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République (PFRLR) ou d’autres.

d) Des principes à « portée universelle »


• Le principe de liberté

Il s’agit essentiellement de la liberté d’aller et venir ou de la liberté individuelle :

✓ La liberté d’aller et venir (CE, Ass., 20 décembre 1995, Vedel et Jannot) ;

✓ Liberté d’établissement d’un camping (CE, 14 février 1958, Abisset)

✓ La liberté du commerce et de l’industrie (CE, Ass., 22 juin 1951, Daudignac).

• Le principe d’égalité ;

L’égalité des usagers devant le service public (CE, Sect., 9 mars 1951, Société des concerts
du Conservatoire).

✓ L’égalité d’accès à la fonction publique (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel et autres).

✓ L’égalité devant les charges publiques (CE, Ass., 7 février 1958, Syndicats des
propriétaires des forêts de chênes-lièges d’Algérie).

51
• La sécurité juridique ;

Il s’agit des principes généraux attachés à l’idée de sécurité et de protection des administrés.

✓ La non-rétroactivité des actes administratifs (CE, Ass., 25 juin 1948, Société du


Journal « L’Aurore »).

✓ L’obligation d’abroger un règlement illégal (CE, Ass., 3 février 1989, Compagnie


Alitalia).

✓ La non-rétroactivité des actes administratifs, obligation de prendre des mesures


transitoires (CE, Ass., 24 mars 2006, Société KPMG et Société Ernest Young ; CE,
17 juin 2015, Syndicat national des industries des peintures, enduits et vernis).

Dans l’arrêt d’Assemblée du 24 mars 2006 (CE, Ass., 24 mars 2006, Société KPMG et
Société Ernest Young), le décret est annulé en tant qu’il ne comporte pas de mesures
transitoires. Cette décision sera renforcée par divers arrêts. Dans l’arrêt Société Techna du
27 octobre 2006, le Conseil d’Etat parle du « principe de sécurité juridique reconnu tant en
droit interne que par le droit communautaire ».

• Le respect de la personne humaine:(CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de


Morsang-sur-Orge).
• Les règles de procédure ;

Les droits de la défense (CE, Ass., 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier Gravier et Aramu).

Recours en cassation (CE, Ass., 7 février 1947, D’Aillières).

Recours pour excès de pouvoir (CE, Ass., 17 février 1950, Dame Lamotte.

B. La valeur normative des principes généraux du droit

Selon une analyse classique, les principes généraux du droit ont une valeur supra-décrétale et
infra-législative. Pour le Professeur René CHAPUS, « l’œuvre du juge administratif ne peut se
situer qu’au niveau qui est le sien dans la hiérarchie des sources formelles du droit. Or, le juge
administratif est soumis à la loi, et il censure les actes admiratifs. Donc, les principes généraux
du droit se situent au-dessus des règlements et en dessous des lois. Les PGD se situent à un
niveau supra-décrétal et infra-législatif ».

52
En d’autres termes, la valeur normative des principes généraux du droit découle de la place
Conseil d’Etat acteur principal des PGD dans la hiérarchie des organes « serviteur de la loi, il
est censeur des décret »68. Dès lors, les principes dégagés par le juge administratif ne
s’imposent pas au législateur. Cette position se fonde notamment sur l’arrêt du Conseil d’Etat
du 26 juin 1959 (CE, 26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs conseils): le pouvoir
réglementaire autonome (article 37 de la Constitution du 4 octobre 1958) est soumis au
respect des règles non-écrites. A titre d’exemple, le pouvoir réglementaire ne peut transgresser
le principe de non-rétroactivité des actes administratifs (CE, Ass., 25 juin 1948, Société du
Journal « l’Aurore »).

Cette analyse doit être nuancée et relativisée et cela pour plusieurs raisons :

• Certaines décisions ont retenu la valeur législative des principes généraux du droit (CE,
28 mai 1982, M. Albert Roger : « principe général de valeur législative selon lequel
nul ne peut accéder à un emploi ni être maintenu dans un tel emploi s’il ne jouit de
l’intégrité de ses droits civiques »).
• Le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juin 1969 décide que seule une
disposition législative peut déroger aux principes généraux du droit. Les principes
généraux du droit et les lois seraient des normes identiques.
• Le Conseil d’Etat a dégagé certains PGD en se référant à la Constitution : Principe
d’égal accès aux emplois publics (CE, 2 mars 1988, Blet) ; le principe de liberté
religieuse (CE, Ass., 14 avril 1995, Koen).

La valeur des principes dégagés par le juge administratif est particulièrement difficile à
circonscrire que certains principes à valeur constitutionnelle s’apparentent dans leur
contenu aux principes généraux du droit (CE, Ass., 3 juillet 1996, Moussa Koné). En
réalité, il ne s’agit là que des simples « répliques constitutionnelles dues à la coopération entre
le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel »

• Une analyse plus récente sur les principes généraux met l’accent sur le fait que tous
n’auraient pas la même valeur.

Certains auraient une valeur constitutionnelle, d’autres une valeur législative, et d’autres enfin,
auraient une valeur infra-législative.

68
CHAPUS (R.), Droit administratif général, Montchrestien, 15e éd., 2001, n°140.

53
Section 2 : Les sources et la place des normes internationales en droit administratif

Face au silence des Constitutions tant française que gabonaise sur la hiérarchie entre les normes
internationales et la Constitution, les juges nationaux ont dû se prononcer sur cette question et
ont affirmé la suprématie de la Constitution sur les normes internationales.

Pour le juge français et gabonais, la Constitution prime sur les autres normes, y compris les
normes internationales. Cette place suprême lui est conférée par son objet : elle organise les
rapports entre les pouvoirs publics, détermine les libertés et droits fondamentaux qu’ils devront
respecter. C’est la forme, la manifestation juridique du contrat social. C’est elle aussi qui fixe
la place du droit international en déterminant la nature du système moniste ou dualiste :

• Système moniste : le droit international est directement applicable dans l’ordre


juridique interne.
• Système dualiste : le droit international n’a de valeur que s’il a été introduit dans l’ordre
juridique interne par un texte national qui en assure la réception.

Cette controverse a été tranchée par les juridictions françaises et gabonaise qui ont toutes ont
tous affirmé, dans l’ordre juridique interne, la supériorité de Constitution sur toutes les autres
règles, y compris communautaires.

I. La place des normes internationales par rapport à la Constitution

A. Les dispositions et jurisprudences constitutionnelles

Le Conseil constitutionnel a pris soin de rappeler la « place [de la Constitution] au sommet de


l’ordre juridique interne » y compris par rapport au droit de l’Union européenne (Décision n°
du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe; Décision
n°2012-653 DC du 9 août 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance
au sein de l’Union économique et monétaire).

A propos de l’articulation du droit constitutionnel français, le Conseil constitutionnel pose


l’obligation constitutionnelle de la transposition des directives communautaires (Décision n°
2004-496 DC du 10 janvier 2004, Loi sur la confiance dans l’« économie numérique»). Par
la suite, après avoir rappelé que la transposition des directives est une obligation, « une exigence

54
constitutionnelle », il consacre le principe de « l’identité constitutionnelle de la France »
(Décision n°2006-540 DC du 27 juillet 2006, « Droit d’auteur »).

Comme l’a expliqué M. Ronny ABRAHAM : « dans l’ordre interne, tout procède de la
Constitution. Toutes les autorités publiques – qu’elles soient législatives, administratives ou
juridictionnelles – tiennent leurs compétences et leur existence même, directement ou
indirectement, de la Constitution. Toutes les règles juridiques applicables sur le territoire de
l’État procèdent de la Constitution, soit qu’elles figurent explicitement ou implicitement dans
celle-ci, soit qu’elles soient contenues dans des actes édictés suivant les procédures et
conformément aux règles de compétence prévues par la Constitution : conventions
internationales, lois et règlements. La suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique
interne est donc (aussi longtemps que la société internationale sera fondée sur le fait politique
de la souveraineté des États) une vérité première et incontournable»69.

B. La jurisprudence administrative et judiciaire


La jurisprudence tant administrative que judiciaire s’est déjà prononcée sur la place des normes
internationales dans l’ordre juridique interne.
1. La position du Conseil d’Etat

Dans un arrêt du 3 juillet 1996 (CE, Ass. 3 juillet 1996, Moussa Koné), le Conseil d’Etat y
décide à la fois qu’il peut proclamer les principes à valeur constitutionnelle et qu’il peut
déterminer la hiérarchie des règles juridiques entre l’ordre interne et international.

Le Conseil d’Etat devient ainsi un créateur de principes reconnus par les lois de la République
(PFRLR). Il convient de rappeler que la loi du 10 mars 1927 interdit l’extradition des
ressortissants étrangers lorsque celle-ci « est demandée dans un but politique ». Jusqu’en 1989
(CE, Ass. 20 octobre 1989, Nicolo), le Conseil d’Etat refusait l’extradition à but politique

69
ABRAHAM (R.), Droit international, droit communautaire et droit français, Hachette supérieur, Paris, 1989,
p. 3536

55
lorsque la convention d’extradition était antérieure à la loi de 1927 (CE, 24 juin 1977,
Astudillo Calleja), en revanche, lorsque la convention postérieure à cette loi n’excluait pas
l’extradition pour un tel motif, le Conseil d’Etat faisait prévaloir le traité postérieur sur la loi
(CE, 7 juillet 1978, Croissant).

Avec l’arrêt Nicolo, le traité d’extradition est toujours supérieur à la loi de 1927 et s’il n’exclut
pas le but politique, la loi est inopérante (CE, 23 octobre 1991, UrdainCirzar). Le progrès
juridique constitué par l’arrêt Nicolo conduisait donc à réduire la protection des individus
susceptibles d’être extradés.

Pour sortir de ce paradoxe, l’arrêt Moussa Koné décide que « la prohibition du politique de
l’extradition constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République ». Par
cette décision, le Conseil d’Etat met un terme à l’apparente exclusivité dont bénéficiait jusque-
là le juge constitutionnel pour proclamer un tel principe. En outre, le Conseil d’Etat se présente
comme défenseur de la primauté de l’ordre interne.

Il a en effet décidé que le caractère constitutionnel d’un principe fondamental reconnu par la
République permet de l’imposer même à une convention internationale antérieure à sa
proclamation. L’Etat tant français que gabonais peut opposer son ordre interne à un traité
international. Or, le principe pacta sunt servenda (auquel il a été reconnu un caractère
constitutionnel (Décision n°92-308 DC du 9 avril 1992, Maastricht I), s’oppose à ce que l’une
des parties à un traité puisse en paralyser certains effets en invoquant, unilatéralement, et
postérieurement à la ratification, un empêchement tiré de son droit interne (Cass., plén., 14
octobre 1977, Bloch).

Le Conseil d’Etat considère que l’article 55 de la Constitution a pris clairement parti pour la
subordination inconditionnelle du traité international à la Constitution, ce qui est loin d’être
évident et contredit le principe constitutionnel de l’obligation de respecter les traités.

Pour une illustration particulièrement nette et solennelle, il convient de citer l’arrêt du Conseil
d’Etat du 30 octobre 1998 (CE, Ass., 30 octobre 1998, SarranLevacher et autres). Cette
décision, déjà annoncée parl’arrêt Koné (CE, Ass. 3 juillet 1996, Moussa Koné), est
essentielle, fondamentale par la contribution qu’elle à la hiérarchie des normes juridiques dans
le cadre de la Constitution du 4 octobre 1958.

En l’espèce, les requérants soutenaient que le décret attaqué était contraire à divers traités
internationaux. En réalité, la critique formulée par les requérants revenait à demander au juge

56
de se prononcer sur la suprématie de ces traités à la Constitution. Par une réponse claire et
limpide, Conseil d’Etat considère que si les l’article 55 de la Constitution Française dispose
que « les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son
application par l’autre partie, la suprématie ainsi conférée (par l’article 55 de la Constitution)
aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de
nature constitutionnelle ». Cette réponse, est à la fois, logique et inévitable.

Dans l’ordre juridique tant français que gabonais, la Constitution est supérieure à toute autre
règle juridique. La Constitution ne peut instituer elle-même un pouvoir qui lui serait supérieur
et donc conférer aux traités une autorité supra-constitutionnelle. Le principe simplement
constitutionnel du principe « pacta sunt servanda », invoqué à l’encontre de la jurisprudence
du Conseil d’Etat en la matière (Décision n°92-308 DC du 9 avril 1992, Maastricht I; CE, 3
décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique) ne lui confère pas, un
statut supra-constitutionnel. Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation (Cass.,
plén. 2 juin 2000, Fraisse).

2. La Cour de cassation

La Cour de cassation n'a pas hésité à particulariser le droit communautaire au sein des
engagements internationaux visés par l'article 55 de la Constitution française. Elle l'a fait, dans
un premier temps, lorsqu'il s'est agi d'affirmer la compétence du juge judiciaire pour se
prononcer sur la conventionalité de la loi (Cass. Civ. 3e, 15 décembre 1975, Von Kempis)

Dans son arrêt Fraisse (Cass., Plénière, 2 juin 2000, Fraisse), la Cour de cassation a pris soin
de préciser que la situation litigieuse n'entrait pas dans le champ d'application du droit
communautaire avant d'affirmer «la suprématie conférée aux engagements internationaux ne
s’applique pas, dans l’ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle (…) ». La Cour
reprend, en l’espèce, la formule du Conseil d’Etat dans son arrêt du 30 octobre 1998 (CE, Ass.,
30 octobre 1998, Sarran Levacher et autres). La Cour de Cassation répondait ainsi à la
question savoir quelle est l’étendue de la primauté des textes internationaux en droit interne
français ? La Constitution française prime-t-elle sur les dispositions internationales ?

C. La position de la jurisprudence internationale

La primauté du droit international, des normes internationales sur les normes internes fussent-
elles constitutionnelles, est affirmée nettement par les juridictions internationales en application

57
du principe « pacta sunt servanda » (« les conventions doivent être respectées »). En clair, le
droit international l’emporte sur le droit interne. Dans un avis du 4 février 1932, (« CPJI, avis,
4 février 1932), Traitement des prisonniers de guerre polonais à Dantzig », la Cour
permanente de justice internationale affirme qu’un « Etat ne saurait invoquer vis-à-vis d’un
autre Etat sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit
international ou les traités en vigueur ». Cette primauté du droit international affirmée par les
juridictions internationales a été reprise avec force en ce qui concerne le droit communautaire,
le droit de l’Union européenne par la Cour de justice des communautés européennes.

Dans sa décision du 15 juillet 1964 (CJCE, 15 juillet 1964, Costa c. / ENEL), la Cour de
Justice des communautés européennes considère que « le droit communautaire prime sur les
normes constitutionnelles d’un Etat ». Dans une décision du 17 décembre 1970 (CJCE, 17
décembre 1970, Internationale Handelsgesllschaft), la Cour de Justice des Communautés
européennes confirme cette approche en précisant que « le droit né du traité de Rome ne saurait,
en raison de sa nature, se voir judiciairement opposer les règles de droit national quelles
qu’elles soient, sans faire perdre son caractère communautaire et sans que soit mis en cause
la base juridique de la Communauté elle-même ».

Si cette analyse comporte une part de vérité, elle mérite cependant d’être fortement nuancée.
La primauté du droit international est marquée par un certain « paradoxe dû à l’imperfection
du « système » international ». Précisément, ce principe ne signifie l’application directe dans
l’ordre interne à titre de droit positif. De plus, dire que le droit international l’emporte sur les
règles juridiques de l’ordre interne ne signifie pas non plus que cette supériorité du droit
international sera toujours strictement et systématiquement reconnue et sanctionnée dans
l’ordre interne.

Deux types de difficultés constituent de sérieux obstacles à une « bonne » application du droit
international dans l’ordre interne. La première série d’obstacles est liée à la qualité du droit
international en question. Autrement dit, tout le droit international écrit ou non écrit,
conventionnel ou non, est-il directement applicable en droit interne ou n’est-il seulement que
d’application indirecte, devant compter sur le concours de l’ordre interne ? Il existe une
deuxième série d’obstacles qui, elle, en revanche, est liée à l’ordre interne lui-même. En effet,
la structure juridique de très nombreux Etats ne permet pas ou mal au droit international de
s’imposer avec toutes ses conséquences dans l’ordre interne, voire d’y produire un effet direct.

II. L’approche de la jurisprudence gabonaise

58
Aux termes de l’article 106 de la Constitution gabonaise, « le Président de la République
négocie les traités et les accords internationaux et les ratifie après le vote d’une loi
d’autorisation par le Parlement et la vérification de leur constitutionnalité par la Cour
constitutionnelle ». Il s’ensuit que seul le Président de la République négocie et ratifie les traités.
Les simples accords peuvent être approuvés par le Ministre des Affaires Etrangères ou les autres
ministres spécialement habilités à cet effet.

L’article 107 al. 1er de la Constitution gabonaise énonce la liste des traités qui peuvent être
ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi : les traités de paix, les traités de commerce, les
traités relatifs à l’organisation internationale, les traités qui engagent les finances de l’Etat, les
traités qui modifient les dispositions de nature législative, les traités relatifs à la nature des
personnes.

En application des dispositions de l’article 107 al. 2 de la Constitution gabonaise : « les traités
prennent effet qu’après avoir été régulièrement ratifiés et publiés » au Journal Officiel de la
République Gabonaise. Et comme le précise l’article 84 de la Constitution gabonaise, « la Cour
constitutionnelle statue obligatoirement sur les traités et accords internationaux avant leur
entrée en vigueur, quant à leur conformité à la Constitution ».

Dans une décision du 8 octobre 2010, la Cour constitutionnelle gabonaise affirme que si elle
« constate la non-conformité d’une ou plusieurs clauses contraires à la Constitution, les
engagements internationaux ne peuvent être ratifiés ». Il s’ensuit que par cette formulation, la
Cour constitutionnelle gabonaise affirme de façon implicite, la supériorité des normes
constitutionnelles sur les normes internationales (Décision n°31/CC du 08 octobre 2010
relative au contrôle de constitutionnalité de la loi organique n°31/2010 relative aux lois de
finances et à l’exécution du budget).

En même temps, il convient relever que cette affirmation implicite des normes
constitutionnelles sur les normes internationales ne lève pas toutes les interrogations sur la
supériorité des traités internationaux dans l’ordre juridique gabonais. On observe quelques
égarements en particulier lorsque la Cour constitutionnelle intègre le préambule de la
Constitution dans le « bloc de constitutionnalité ». Il faut souligner que préambule fait référence
à la Déclaration Universelle des Droits de l’homme de 1948 et de la Charte Africaine des Droits
de l’Homme et des peuples de 1981. Sur cette composition du bloc de constitutionnalité, il est
essentiel de mentionner la décision du 28 février 1992 (Décision n°001/ CC du 28 février
1992, Conseil National de la Communication). Ainsi, la Cour constitutionnelle gabonaise

59
reconnaît la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution en considérant que « la
conformité d’un texte de loi à la Constitution doit s’apprécier non seulement par rapport aux
dispositions de celle-ci mais aussi par rapport au contenu des textes et normes de valeur
constitutionnelle énumérées dans le Préambule de la Constitution auxquels le peuple gabonais
a solennellement affirmé son attachement et qui constituent, avec la Constitution, ce qu’il est
convenu d’appeler le bloc de constitutionnalité ».

Dans sa décision n°008/00/CC du 22 juin 2000 (Décision n°008/00/CC du 22 juin 2000,


Accord de coopération en matière pêche maritime entre le Gouvernement de la
République Gabonaise et celui du Royaume du Maroc, la Cour constitutionnelle a,
sanctionné la violation par les gabonaises de la procédure d’insertion des traités dans l’ordre
juridique interne en « considérant (…) que l’Accord critiqué présente le caractère à la fois d’un
traité de commerce, d’un traité qui engage les finances de l’Etat et d’un traités qui modifie les
dispositions de la législation gabonaise en vigueur en matière de pêches maritimes ;
Considérant que conformément à l’alinéa 1er de l’article 113 de la Constitution, les traités et
accords internationaux de cette nature sont soumis à ratification après le vote d’une loi
d’autorisation par le Parlement et la vérification de leur constitutionnalité par la Cour
constitutionnelle ; que le texte querellé n’ayant pas été conclu dans le respect de cette exigence,
il est entaché d’inconstitutionnalité »( Inconstitutionnalité d’un traité de commerce pour défaut
d’autorisation de ratification par le Parlement). Dans son avis n°027/CC du 13 août 2013
relatif à la place des engagements internationaux dans la hiérarchie des normes en
République gabonaise, la Cour constitutionnelle gabonaise a rappelé cet état de droit constant.

III. La place des normes internationales par rapport aux lois et actes administratifs

En France, la place du droit international dans la hiérarchie des normes est déterminée par 54
et 55 de la Constitution et au Gabon par les articles 106 et 107 de la Constitution.

Il existe des nombreuses difficultés à la « bonne » application du droit international dans l’ordre
interne :

• Des difficultés liées à la qualité du droit international en question ;

En d’autres termes, tout le droit international écrit ou non écrit, conventionnel ou non, est-il
directement applicable en droit interne ou n’est-il seulement que d’application indirecte, devant
compter sur le concours de l’ordre interne ?

• Des difficultés liées à l’ordre interne lui-même ;

60
La structure juridique de très nombreux Etats ne permet pas ou mal au droit international de
s’imposer avec toutes ses conséquences dans l’ordre interne, voire d’y produire un effet direct.

• L’applicabilité directe limitée du droit international dans l’ordre juridique


interne ;

L’applicabilité directe70 du droit international doit être examinée sous deux aspects différents
selon qu’elle est comprise dans son sens matériel ou formel.

Au sens matériel, l’applicabilité directe du droit international se réfère à son contenu, à sa


précision, en un mot à sa qualité intrinsèque. Il s’agit ici de répondre à cette question générale
suivante : le droit international est-il en mesure de créer de sa propre autorité des droits et des
obligations dans le chef des particuliers, ces droits et ces obligations faisant alors partie
directement du droit positif interne tel qu’il est appliqué et sanctionné par le juge national ?

Au sens formel du terme, l’applicabilité directe du droit international se réfère à ses modalités
d’application en droit interne. Il s’agit alors de répondre à la question générale suivante :
comment le droit international arrive-t-il à faire partie du droit positif interne ? En fait-il partie
directement, de lui-même ou doit-il être « reçu », « transformé » par le droit interne d’après
des procédures propres à ce dernier ? Le débat sur l’applicabilité directe du droit international
a été souvent obscurci parce que ses deux aspects, matériel et formel.

En France comme au Gabon, la suprématie des traités sur les lois ne fait aucun doute. En vertu
de l’article 55 C de la Constitution, les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés
ont une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve d’une application réciproque. Cette
suprématie est valable aussi bien des traités que du droit communautaire dérivé. Précisons aussi
que les juridictions françaises font une application différente de ces dispositions sur les rapports
de la loi et du traité.

A. La primauté des traités sur les lois

Tout d’abord, le Conseil constitutionnel se refuse dans le cadre de contrôle de constitutionalité


des lois, à vérifier la conformité de la loi déferrée aux traités. En d’autres termes, les traités ne
sont pas inclus dans le « bloc de constitutionalité », et une loi conforme à la Constitution mais
contraire à un traité n’est pas invalidée par le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel
refuse d’exercer ce type de contrôle et reportant cette obligation vers les juges ordinaires

70
TAXIL (B.), « Les critères de l’applicabilité directe des traités internationaux aux Etats-Unis et en France »,
Rev. int. dr. comp., 2007, p.157.

61
(Décision n° DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse
(IVG)).

Suivant l’invitation qui lui en était faite par le Conseil constitutionnel dans sa décision IVG, la
Cour de cassation a très vite accepté de donner un effet utile aux dispositions de l’article 55 de
la Constitution. Dans un arrêt du 24 mai 1975, Cafés Jacques Vabre (Cass., mixte, 24 mai
1975, Cafés Jacques Vabre), la Cour de cassation fait prévaloir le traité de Rome sur une loi
postérieure qui lui était contraire. Autrement, sur le fondement de l’article 55 C. de la
Constitution, le juge judiciaire accepte d’écarter l’application d’une loi contraire à un traité.

Le Conseil d’Etat a refusé pendant, un certain temps, de s’aligner sur cette solution du juge
judiciaire. En application du principe de l’écran législatif, il considérait qu’il n’entrait pas dans
ses compétences pour examiner la conformité de la loi à un traité (CE, Sect., 1er mars 1968,
Syndicat général des fabricants de semoule de France : le Conseil d’Etat refusait de contrôler
la conventionalité des lois postérieures au traité. Il faisait prévaloir une loi postérieure au traité).
Après une longue hésitation, le Conseil d’Etat finit par s’incliner dans un arrêt Nicolo (CE,
Ass., 20 octobre, 1989, Nicolo). Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat décide d’assurer un plein
contrôle de conventionalité de la loi en opérant un véritable revirement jurisprudentiel. Cette
jurisprudence s’applique même lorsque la contrariété ne survient qu’après coup. Ainsi, dans un
arrêt du 2 juin 1999, (CE, 2 juin 1999, Meyet) le Conseil d’Etat considère que «la juridiction
compétente pour connaître d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative serait
incompatible avec un traité "régulièrement ratifié ou approuvé" peut être invitée à rechercher,
non seulement si cette incompatibilité existait dès l’intervention de cette disposition législative
mais aussi si elle est apparue postérieurement ».

1. La primauté du droit communautaire dérivé sur les lois

La jurisprudence Nicolo a été confirmée dans toute son ampleur à propos du droit
communautaire. En d’autres termes, ce ne sont pas seulement les traités internationaux qui
l’emportent sur les lois internes mais également les textes qui en dérivent. Cette suprématie
concerne aussi bien les règlements que pour les directives communautaires.

a) Pour les règlements

Article 288 alinéa 2 du Traité de Rome ; (CE, 24 septembre 1990, Boisdet ; CE, 1998, « SA
Fromagerie Philipona) ; (CE, Sect. 2000, Géniteau : un règlement de transposition contraire
à une loi, mais conforme aux objectifs d'une directive, est régulier).

62
Il en va ainsi : des directives et des règlements communautaires.

b) Pour les directives

Dans le cadre de l’Afrique Centrale, on peut mentionner le Traité, constitutif, instituant la


Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), signé le 16 mars
1994 à Ndjamena (Tchad). En ce qui concerne la CEMAC, Traité révisé de la Communauté
Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) du 25 juin 2008, article 41, al. 2, 3
et 4.

Quelques exemples des directives CEMAC :

• La directive n°1/99/CEMAC-028-CM-03 du 17 décembre 1999portant


harmonisation des législations des Etats membres en matière de TVA et de droits
d’accises.
• La directive n°02/01/UEAC-050-CM-06 du 3 août 2001 relative à l’impôt sur les
sociétés
• La directive n°01/04/UEAC-17 du 30 juillet 2004 relative à l’impôt sur le revenu
des personnes physiques.

En ce qui concerne l’Europe, il s’agit des Traités de Rome du 25 mars 1957, de l’Acte Unique
européen du 1er juillet 1987, de Maastricht du 7 février 1992, d’Amsterdam du 2 octobre 1997,
de Lisbonne du 13 décembre 2007.

Il s’ensuit que le droit primaire est élaboré par les traités constitutifs.

Le droit communautaire présente la particularité de permettre aux autorités communautaires


d’édicter un droit dit « droit communautaire dérivé » applicable dans les Etats membres. Les
actes ainsi édictés par les institutions communautaires sont essentiellement des règlements et
directives.

Aux termes de l’article 249 du Traité instituant la Communauté européenne, « le


règlement a une portée générale (…). Il est directement applicable dans tout Etat membre » ;
« La directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant
aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».

En France comme au Gabon, la ratification d’un traité contraire à la Constitution est


subordonnée à la révision de la norme fondamentale (article 54 CF ; article 106 al. 1 CG).

63
La CJCE avait très tôt estimé que les directives étaient susceptibles de produire des effets directs
dans l’ordonnancement juridique des Etats membres (CJCE, 6 octobre 1970, Franz Grad) et
que les justiciables pouvaient s’en prévaloir en justice (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn).
Mais en développant la double doctrine de l’applicabilité directe des actes communautaires et
de leur absolue primauté, la CJCE a, par la suite, fait preuve d’un durcissement de sa
jurisprudence (CJCE, 15 juillet 1964, Costa c. / ENEL; CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal),
ce qui provoqua une vive réaction du Conseil d’Etat. En d’autres termes, les juges français ne
partagent pas la conception suivant laquelle le droit communautaire primerait même sur les
normes constitutionnelles des Etats membres.

Il est intéressant de relever que le juge administratif s’est montré d’une grande subtilité à la fois
pour assurer l’autorité des directives communautaires et leur conserver leur rôle d’orientation.
Mais la situation est différente selon qu’il s’agit d’un acte réglementaire ou d’un acte individuel.

❖ La primauté des directives communautaires sur les actes réglementaires.


• La légalité des actes réglementaires (les directives communautaires n’ont pas
d’effet direct à l’égard des actes administratifs).

Dans un arrêt d’Assemblée du 3 février 1989 (CE, Ass., 3 février 1989, « Compagnie
Alitalia »), le Conseil d’Etat juge que d’une part l’administration doit abroger les actes
réglementaires illégaux, notamment ceux qui sont incompatibles avec les prescriptions d’une
directive communautaire, d’autre part qu’une « fois les délais de transposition expirés,
l’administration ne peut laisser subsister des dispositions incompatibles ». En d’autres termes,
les directives communautaires doivent être transposées dans le délai imparti. Après l’expiration
de ce délai, l’acte administratif incompatible avec la directive doit être abrogé, si la demande
en est faite.

Il y a obligation pour l’autorité compétente de « faire droit à une demande tendant à


l’abrogation des dispositions d’un décret incompatible avec une directive », d’autre part, il y a
« interdiction de prendre des mesures contraires aux objectifs fixés par la directive ».

Par la suite, dans un arrêt du 28 février 1992 (CE, 28 février 1992, SA Rothmans
International France et S.A. Philip Morris France), le Conseil d’Etat a admis l’examen de
la légalité d’un acte administratif en se fondant directement sur les termes mêmes d’une
directive communautaire. Il reconnaît ainsi aux directives communautaires la primauté sur les
lois elles-mêmes par une extension maximale à la jurisprudence Nicolo. Autrement dit, les
directives s’imposent aux lois et le contrôle du juge sur la légalité des actes administratifs pris

64
en exécution d’une directive ou pour se conformer à une directive est un contrôle plein et entier
(CE, 28 septembre 1984, Confédération nationale des sociétés de protection des animaux
de France).

• La responsabilité de l’Etat pour le non-respect du droit communautaire

Dans un arrêt d’Assemblée du 28 février 1992 (CE, Ass., 28 février 1992, Société Arizona
Tobaco et Société Philipp Moris), le Conseil d’Etat admet que la responsabilité de l’Etat puisse
être engagée du fait du non-respect ou de la violation du droit communautaire. Il est ainsi
considéré que « les décisions ministérielles prises en application du décret du 31 décembre
1976 et refusant, pour la période du 1er novembre 1982 au 31 décembre 1983, de fixer le prix
des tabacs manufacturés aux niveaux demandés par les sociétés requérantes, sont illégales ;
que cette illégalité est de nature à engager la responsabilité de l’Etat ».

Dans un arrêt d’Assemblée du 8 février 2007 (CE, Ass., 8 février 2007, « Gardedieu »), la
Haute juridiction administrative franchit un pas décisif en admettant pour la première fois que
le non-respect par loi des engagements internationaux de la France peut engager la
responsabilité sans faute de l’Etat. En l’espèce, le Conseil d’Etat va plus loin que dans son
arrêt d’Assemblée du 28 février 1992 (CE, Ass., 28 février 1992, Société Arizona Tobaco et
Société Philipp Moris), qui avait choisi d’imputer le dommage à l’acte réglementaire
d’exécution d’une loi inconstitutionnelle et non à la loi elle-même. En effet, il juge que « la
responsabilité de l’Etat du fait des lois est susceptible d’être engagée […] en raison des
obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les
autorités publiques et pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’intervention
d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ».

Précisons aussi que cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence
communautaire. Il est d’ailleurs utile de rappeler que l’arrêt de la CEDH du 19 novembre
1991(CEDH, 19 novembre 1991, Francovitch et Bonifaci), fait obligation aux Etats de
réparer les dommages causés par leurs manquements au droit communautaire. De même l’arrêt
de la CJCE du 5 mars 1996 (CJCE, 5 mars 1996, « Brasserie du pêcheur », précise que cette
solution s’applique aux violations commises par le législateur lui-même, violations
« suffisamment caractérisées ». En somme, la règle de primauté est sanctionnée par la mise en
jeu de la responsabilité de l’Etat pour non-respect du droit communautaire par un acte
administratif. Autrement dit, l'absence de transposition (ou une mauvaise transposition) donne
droit aux particuliers de demander réparation aux Etats membres des dommages qu'ils ont pu

65
subir. Le juge national a donc l’obligation de « donner, immédiatement, au droit
communautaire une application conforme à la décision ou à la jurisprudence de la Cour ».

❖ La primauté des directives communautaires sur les actes individuels

Dans un arrêt d’Assemblée du 22 décembre 1978, (CE, Ass., 22 décembre 1978, Cohn-
Bendit), le Conseil d’Etat déclare les directives communautaires inapplicables directement aux
actes administratifs non réglementaires. En d’autres termes, les directives communautaires
n’ont pas d’effet direct à l’égard des administrés. Le Conseil développe ainsi une jurisprudence
à l’origine très stricte sur l’impossibilité d’invoquer directement une directive communautaire
à l’encontre d’un acte administratif non réglementaire (les directives n’ont pas d’effet direct
à l’égard des administrés). Par la suite, le Conseil d’Etat précise qu’une directive non-
transposée n’est pas applicable aux mesures individuelles (CE, 23 juin 1995, SA, Lilly
France). La question de la non-opposabilité de la directive communautaire aux actes
individuels avait pour conséquence d’encourager l’inertie de l’administration qui tardait
délibérément à transposer les directives : faute transposition la directive n’était pas applicable
directement.

Dans un arrêt d’Assemblée du 6 février 1998, (CE, Ass., 6 février 1998, « Tête »), le Conseil
d’Etat considère que toute règle de droit interne incompatible avec les objectifs d’une directive
communautaire cesse de s’appliquer à l’expiration du délai de transposition. Autrement dit, le
défaut de transposition d’une directive communautaire ne saurait créer de vide juridique.

Mais l’aboutissement logique de cette évolution est l’abandon de la jurisprudence « Cohn-


Bendit » (n’avait plus d’incidence pratique) par l’arrêt d’Assemblée du 30 octobre 2009 (CE,
Ass., 30 octobre 2009, Mme Perreux). En l’espèce, le Conseil d’Etat décide que « tout
justiciable peut se prévaloir à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non-
réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’a
pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transpositions nécessaires ». Cette
décision reconnaît, à l’expiration du délai de transposition, l’effet direct « vertical ascendant »
des directives, même non transposées. Dans cette décision, était en cause un recours contre le
refus de nomination d’une magistrate comme chargée de formation à l’Ecole nationale de
magistrature. La requérante s’estimait victime d’une discrimination en raison de son
engagement syndical. Le Conseil d’Etat précise à cette occasion que la transposition en droit
interne d’une directive communautaire a le caractère d’une obligation « conventionnelle et
constitutionnelle » (article 88-1 de la Constitution). Ensuite, il juge que tout justiciable peut

66
invoquer, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif individuel, le bénéfice d’une
directive non transposée dans les délais fixés.

La Haute juridiction administrative reconnaît l’effet direct des directives communautaires


opérant ainsi un revirement total par apport à sa jurisprudence Cohn-Bendit (CE, Ass., 30
octobre 2009, Mme Perreux. Elle ouvre ainsi la voie à l’invocabilité directe par les
particuliers, des dispositions des directives, qui, non transposées à temps, sont précises et
inconditionnelles, ainsi que qu’à leur application directe par le juge pour pallier une
réglementation nationale non conforme au droit communautaire. Néanmoins, le juge
administratif pose une condition à savoir : les dispositions de la directive doivent « être précises
et inconditionnelles ». Cette jurisprudence devrait aussi avoir pour effet que l’Etat transpose
plus rapidement les directives.

Enfin, il convient de souligner qu’aujourd’hui, la supériorité du droit de l’Union européenne


vaut également pour les principes généraux dégagés par la cour de justice (CE, 7 juillet 2006,
Société Poweo; CE, 27 juin 2008, Société d'exploitation des sources Roxane).

Par l’ensemble de toute cette jurisprudence, il ressort que le juge administratif joue, comme
tout juge national, son rôle de « juge de droit commun d’application du droit de l’Union » (CE,
Ass, 30 octobre 2009, Mme Perreux), qu’il regarde, comme la Cour de justice, comme un «
ordre juridique intégré » à l’ordre juridique national (CE, Ass., 23 décembre 2011, M.
Kandyrine de Brito Paiva).

Il apparaît aussi très clairement que si le Conseil d’Etat a réaffirmé la suprématie, en droit
interne, de la Constitution sur les traités ou accords internationaux (CE, Ass., 30 octobre 1998,
Sarran et Levacher), dont le droit de l’Union européenne (CE, 3 décembre 2001, Syndicat
national de l’industrie pharmaceutique), il reconnaît la place spécifique de ce dernier dans
l’ordre interne, consacrée par la Constitution. Le Conseil d’Etat a fait sien le raisonnement tenu
par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2004 (Décision n° 2004-496 DC du
10 janvier 2004, Loi sur la confiance dans l’économie numérique) qui juge qu’en vertu de
l’article 88-1 de la Constitution, « la transposition en droit interne d’une directive
communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle ».

Par sa décision du 8 février 2007 (CE, Ass., 8 février 2007, Société Arcelor), le Conseil d’État
a ainsi jugé que, si est invoquée devant lui la méconnaissance d’un principe constitutionnel, par
un acte administratif transposant une disposition inconditionnelle et précise d’une directive, il
ne lui revient pas de juger ainsi indirectement du respect, par la directive européenne, du

67
principe invoqué si celui-ci a son équivalent dans le droit de l’Union européenne. Si tel est le
cas, c’est à la CJCE, saisie par une question préjudicielle, qu’il revient d’examiner la
conformité de la directive à ce principe. Ainsi, le respect par le droit dérivé des principes
supérieurs du droit constitutionnel national est placé sous le contrôle de la seule CJUE, dès lors
que ces principes sont effectivement garantis par le droit de l’Union. Le juge national ne
retrouverait une marge propre d’intervention que dans l’hypothèse où le droit de l’Union
n’assurerait pas lui-même la garantie effective du principe constitutionnel invoqué.

On sait aujourd’hui que ce raisonnement a été étendu en 2008 (CE, Sect., 10 avril 2008,
Conseil national des barreaux,) au cas où, dans un recours mettant en cause un texte national
d’application, une disposition du droit dérivé est contestée non au regard de la Constitution,
mais au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, dès lors que les droits fondamentaux garantis par cette convention sont protégés
en tant que principes généraux du droit de l’Union européenne.

Il en résulte que le contrôle exercé par le juge administratif s’est adapté aux exigences propres
du droit de l’Union européenne. Le juge administratif, « juge de droit commun du droit de
l’Union européenne », est en premier lieu conduit à interpréter le droit national à la lumière du
droit de l’Union européenne (CE, Section, 22 décembre 1989, Ministre du budget c/ Cercle
militaire mixte de la caserne Mortier). Il doit par ailleurs écarter les normes internes
contraires à des normes de droit primaire ou de droit dérivé. Le juge doit ainsi écarter
l’application de la loi incompatible avec une norme européenne : si un acte administratif repose
sur une disposition législative contraire au droit de l’Union, il est dépourvu de base légale et
annulé. Cette exigence vaut y compris pour les instances de référé (juge des référés du
Conseil d’État, 16 juin 2010, Diakité), alors qu’en principe, eu égard à son office, le juge des
référés n’exerce pas de contrôle de conventionalité des lois (JRCE, 30 décembre 2002,
Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement c/ Carminati).

Le principe de primauté impose par ailleurs que la norme de droit de l’Union invoquée pour
écarter le droit national soit ou non d’effet direct – ce qui fait exception au principe selon lequel
une norme de droit international ne peut être invoquée si elle n’est pas d’effet direct (CE, Ass.,
11 avril 2012, GISTI.).

Le juge annule tout acte administratif incompatible avec une norme du droit de l’Union. Pour
les directives non encore transposées à l’issue du délai de transposition, le juge veille à ce que
l’administration ne prenne pas d’acte règlementaire contraire aux objectifs qu’elles définissent

68
(CE, 7 décembre 1984, Fédération française des sociétés de protection de la nature,). Une
fois la directive transposée, le juge contrôle la conformité des actes administratifs de
transposition au regard des objectifs définis par la directive. Le juge administratif vérifie donc
que l’Etat s’est acquitté de son obligation de transposition complète et exacte. Il annule un acte
administratif méconnaissant cette obligation (CE, 28 septembre 1984, Confédération
nationale des sociétés de protection des animaux de France et des pays d’expression
française).

2. La reconnaissance de la spécificité du droit communautaire par le juge


administratif

De l’arrêt Nicolo (CE, Ass., 20 octobre, 1989, Nicolo), aux arrêts Gardedieu (CE, Ass., 8
février 2007, Gardedieu), Arcelor ((CE, Ass., 8 février 2007, Société Arcelor) et Mme
Perreux (CE, Ass., 30 octobre 2009, Mme Perreux), la progression de la suprématie du droit
communautaire et du droit européen a été constante. Mais la reconnaissance des spécificités du
droit de l’Union européenne par le juge administratif emporte des conséquences importantes
pour l’administration française :

• Le principe de primauté, dont le juge administratif assure le respect, emporte des


obligations particulières pour l’administration ;

L’administration est tenue de ne pas appliquer et d’abroger les actes réglementaires contraires
aux objectifs d’une directive (CE, Ass., 3 février 1989, Compagnie Alitalia).

• La reconnaissance du principe de primauté peut par ailleurs conduire à engager


la responsabilité de l’Etat ;

La CEDH avait reconnu dès 1991 le principe de la responsabilité de la puissance publique


nationale pour violation du droit de l’Union européenne (CEDH, 19 novembre 1991,
Francovitch et Bonifaci). Cette jurisprudence s'est enrichie en 1996 (CJCE, 5 mars 1996,
Brasserie du Pêcheur S.A.). La CJCE affirme que cette responsabilité vaut « quel que soit
l'organe étatique dont l'action ou l'omission a été la cause » du préjudice, c'est-à-dire y compris
lorsqu’est en cause une loi contraire au droit de l’Union européenne adoptée par le législateur
national. En 2003, par son arrêt Köbler (CJCE, 30 septembre 2003Köbler)), la CJCE a
reconnu que la responsabilité d'un Etat membre est également engagée lorsque des décisions
juridictionnelles de juridictions suprêmes méconnaissent le droit de l’Union européenne.

69
S’appuyant sur la jurisprudence de la CJCE, le Conseil d’Etat a jugé que la responsabilité de
l’Etat est engagée lorsqu’une autorité administrative adopte un acte administratif contraire au
droit de l’Union européenne (CE, 28 février 1992, S.A. Rothmans International France et
S.A. Philip Morris France), mais aussi du fait de lois méconnaissant les engagements
internationaux de la France (CE,Ass., 8 février 2007, Gardedieu), notamment ses
engagements européens. Cette dernière jurisprudence est venue compléter le régime
traditionnel de responsabilité sans faute du législateur en cas de rupture de l’égalité devant les
charges publiques (CE,Ass., 14 janvier 1938, Société La Fleurette) qui ne s’applique qu’aux
préjudices « anormaux et spéciaux » et en l’absence de toute méconnaissance du droit
international.

Enfin, le Conseil d’Etat a consacré la responsabilité de l’Etat du fait des décisions de justice
contraires au droit de l’Union européenne : elle est engagée en cas de violation manifeste d’une
disposition du droit de l’Union ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (CE, 18
juin 2008, Gestas, n° 295 831).

• Le principe de primauté conduit également à neutraliser l’obligation d’assurer


l’application des lois.

L’administration française est effectivement normalement tenue de prendre les textes


d'application d'une loi dans un délai raisonnable (CE, 13 juillet 1962, Sieur Kevers Pascalis,
et (CE, Ass., 27 novembre 1964, Dame Veuve Renard). Le Conseil d’Etat a cependant jugé
qu’elle devait s’abstenir de prendre un règlement d’application d’une disposition législative
contraire aux objectifs d’une directive (CE, 24 février 1999, Association de patients de la
médecine d’orientation anthroposophique). Il lui revient de « donner instruction à [ses]
services de n'en faire point application » (CE, 30 juillet 2003, Association « L'Avenir de la
langue française »). Cette jurisprudence a ensuite été étendue à l’ensemble des lois
méconnaissant les engagements internationaux de la France (CE, 16 juillet 2008, M. Masson).

Enfin, le Conseil d’Etat a accepté de contrôler le refus du Premier ministre d’engager la


procédure de déclassement qui lui était demandée pour mettre en conformité des dispositions
de forme législative (mais de nature règlementaire) avec le droit de l’Union européenne (CE
Sect., 3 décembre 1999, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire).

Il apparaît alors clairement que le droit de l’Union européenne a influencé l’office même du
juge administratif. L’autonomie de l’ordre juridique interne, préservée par le juge administratif,
est encadrée par les principes d’effectivité et d’équivalence. L’autonomie institutionnelle et

70
procédurale repose sur un mécanisme de subsidiarité juridictionnelle inhérent aux techniques
d'application du droit de l’Union.

En somme, le juge administratif vérifie si la loi dont le règlement administratif fait application
est conforme au traité et à ses normes dérivées. A défaut, il écartera loi et déclara le règlement
illégal, sauf si se pose en réalité une question de constitutionalité de la loi (CE, 8 juillet 2002,
Commune de Porta). En d’autres termes, le juge administratif écarte l’application d’une loi
contraire à un traité. La loi ne fait plus écran entre le traité international et l’acte administratif.

Précisons aussi que la supériorité du traité sur la loi ne joue qu’au profit des « traités » ou
« accords » et non pour les règles coutumières (CE, 6 juin 2000, Aquarone71) et pour les
principes non écrits du droit international (CE, 28 juin 2000, Paulin), sauf pour les principes
généraux tirés du droit communautaires (CE, 3 décembre 2001, Syndicat national des
industries pharmaceutiques).

Au Gabon, la Cour constitutionnel gabonaise a rappelé l’état du droit constant dans son avis
du 13 août 2013 (Avis n°027/CC du 13 août 2013, relatif à la place des engagements
internationaux dans la hiérarchie des normes en République Gabonaise). Elle a ainsi
considéré que « les engagements internationaux prévus aux articles 113, alinéa 1, et 114 de la
Constitution, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une loi d’autorisation de ratification votée par le
Parlement, qu’ils ont été déclarés conformes à la Constitution par la Cour constitutionnelle,
qu’ils ont été ratifiés par le Président de la République et publiés, ont la primauté sur les
normes législatives internes » (considérant 8). Cet avis de la Cour constitutionnelle gabonaise
s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence administrative. Dans une série de décisions
Maugein (TA, 17 janvier 1962, Maugein), Sammarcelli (CACS, 7 février 1964,
Sammarcelli) et Nzué Nkoghé (CACS, 24 février 1989, NzuéNkoghé), tout en rappelant les
conditions d’insertion des normes internationales dans l’ordre juridique interne, le juge
administratif gabonais a constamment, admis, même de manière implicite, la supériorité des
traités sur les lois et sur les actes administratifs.

71
Selon l’article 14 du Préambule de 1946, la République française se conforme aux règles de droit international
Dès lors, il est possible d’invoquer à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir contre un acte administratif une
norme internationale coutumière, c’est-à-dire non écrite et ne résultant ni de convention ni d’actes dérivés (CE,
1987, Nachfolger). L’existence d’une règle coutumière à laquelle une loi déroge n’entraîne pas l’inapplication de
la loi. En conséquence, il n’existe pas de mécanisme d’exception d’inconventionalité à l’encontre d’une loi
contraire à la coutume. Si un acte administratif est directement contraire à la coutume, il pourra être annulé. En
revanche, si l’acte contraire à la coutume a été pris sur le fondement d’une loi interne elle-même contraire à la
coutume, cette loi fait écran.

71
B. La conformité des actes administratifs au droit international

Les traités internationaux ont une valeur supérieure à celle de la loi interne. Ce principe est
repris par la Constitution française du 4 octobre 1958 et les articles 106 et 107 de la
Constitution gabonaise. Aux termes de l’article 55 de la Constitution, « les traités ou
accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son
application par l’autre partie. ». Il s’ensuit que le contrôle de conventionalité s’étend à toutes
les lois ordinaires et a fortiori, aux textes réglementaires.

En France, le principe de la conformité des actes administratifs au droit international est posé
par l’arrêt Dame Kirkwood (CE, Ass., 30 mai 1952, Dame Kirkwood). Dans cette décision,
le Conseil d’Etat annule un acte administratif contraire à un traité.

Il s’ensuit que juge administratif contrôle la conformité des actes administratifs au droit
international. Dès lors, le juge administratif est susceptible d’annulé un acte contraire à la
convention européenne des droits de l’homme (CE, Ass., 24 février 1996, Maubleu) ou au
traité de Rome (CE, 1997, Mme Lambert).

Encore faut-il que le traité produise des effets directs dans l’ordre juridique interne. Autrement
dit, pour être invoqués à l’encontre d’un acte administratif, les traités doivent également avoir
un caractère normatif (c'est-à-dire qui comporte une règle juridique), un effet direct et remplir
les conditions de la réciprocité. En conséquence, le traité sera considéré comme ne produisant
directs s’il concerne exclusivement les relations interétatiques ou s’il s’avère insuffisamment
précise pour être applicable par lui-même.

En même temps, il convient de relever que la notion même d’effet direct est malaisée à
déterminer. Plusieurs conventions ont été considérées comme dépourvues d’effet direct. Il en
va ainsi de :

• la Convention relative aux droits de l’enfant de New York (Cass., Civ., 10 mars 1997).

Par une approche pragmatique qui distingue article par article (CE, Sect., 22 septembre
1997, Mlle Cinar), le Conseil d’Etat considéré que des conventions étaient dénuées d’effet
direct :

72
• Le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 (CE, Sect., 23
avril1997, Groupement d’information et de soutien des travailleurs immigrés
(GISTI)72.
• Le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (CE, 5 mars 1999, M.
Rouquette, M. Lipitiez)73.

C. Les conditions d’insertion des règles internationales dans l’ordre juridique interne

L’intégration des règles internationales dans l’ordonnancement juridique interne est


conditionnée. Autrement dit, pour être invoqués à l’encontre d’un acte administratif, d’une loi,
les traités doivent en plus avoir un caractère normatif (c'est-à-dire qui comporte une règle
juridique), un effet direct et remplir les conditions d’insertion dans l’ordre juridique interne.
Les conditions qui encadrent l’insertion des engagements internationaux sont formelles et
matérielles.

72
« Considérant qu’aux termes de l’article 4-1 de la convention n° 118 de l’Organisation internationale du travail
du 28 juin 1962 : « En ce qui concerne le bénéfice des prestations, l’égalité de traitement doit être assurée sans
condition de résidence. Toutefois, elle peut être subordonnée à une condition de résidence, en ce qui concerne les
prestations d’une branche de sécurité sociale déterminée, à l’égard des ressortissants de tout Membre dont la
législation subordonne l’octroi des prestations de la même branche à une condition de résidence sur son territoire
» ; que la définition des titres et documents susmentionnés n’est pas contraire aux stipulations précitées, qui
produisent des effets directs à l’égard des particuliers ;
Considérant qu’aux termes de l’article 24-1 de la Convention relative aux droits de l’enfant en date du 26 janvier
1990 : « Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de
bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du
droit d’avoir accès à ces services » ; qu’aux termes de l’article 26-1 de la même convention : « Les Etats parties
reconnaissent à tout enfant le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales, et
prennent les mesures nécessaires pour assurer la pleine réalisation de ce droit en conformité avec leur législation
nationale » ; qu’aux termes de l’article 27-1 de la même convention : « Les Etats parties reconnaissent le droit de
tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et
social » ; que ces stipulations, qui ne produisent pas d’effets directs à l’égard des particuliers, ne peuvent être
utilement invoqués à l’appui de conclusions tendant à l’annulation d’une décision individuelle ou
réglementaire »
73
« Considérant qu'aux termes de l'article 2 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels, publié au Journal officiel de la République française du 1er février 1981 : "Les Etats parties au présent
pacte s'engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée
sur (...) la fortune" ; qu'aux termes de l'article 9 : "Les Etats parties au présent pacte reconnaissent le droit de
toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales" ; qu'aux termes de l'article 10 : "Une
protection et une assistance aussi larges que possible doivent être accordées à la famille" ; qu'aux termes de
l'article 39 du code européen de la sécurité sociale, publié au Journal officiel de la République française du 9
avril 1987 : "Toute partie contractante pour laquelle la présente partie du code est en vigueur doit garantir aux
personnes protégées l'attribution de prestations aux familles" ; qu'aux termes de l'article 45 : "Lorsque les
prestations consistent en un paiement périodique, elles doivent être accordées pendant toute la durée de
l'éventualité" ; qu'aux termes de l'article 40, cette éventualité est "la charge d'enfants" ; que ces stipulations, qui
ne produisent pas d'effets directs à l'égard des particuliers, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui de
conclusions tendant à l'annulation du décret attaqué; »

73
1. Les conditions formelles d’insertion des engagements internationaux dans
l’ordonnancement juridique interne

L’intégration des engagements internationaux dans l’ordonnancement juridique interne doit


respecter une procédure particulière.

Aux termes des articles 106, alinéa 1 et de l’article 107 alinéa 1 et 2 de la Constitution
gabonaise, « les traités de paix, les traités de commerce, les traités relatifs à l’Organisation
Internationale, les traités qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui modifient les dispositions
de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes ne peuvent être approuvés et
ratifiés qu’en vertu d’une loi » et ces « traités ne peuvent ne prennent effet qu’après avoir été
régulièrement ratifiés ou publiés ».

On relève ainsi les conditions formelles suivantes :

• L’adoption d’une d’autorisation de ratification ;


• La ratification de l’engagement international par le Président de la République ;
• La saisine obligatoire de la juridiction constitutionnelle en vue d’un contrôle de
constitutionnalité ;
• La publication dans le Journal Officiel de la République gabonaise.

Le juge constitutionnel et administratif gabonais rappelle toujours cet état de droit constant.
Dans une décision du 17 janvier 1962 (TA, Libreville, 17 janvier 1962, Maugein), tout en
rappelant les conditions d’insertion des conventions internationales dans l’ordre juridique
interne, le Tribunal administratif de Libreville relève l’absence d’effet direct d’une
convention en raison de sa non publication dans le Journal Officiel de la République
gabonaise.

De même, dans sa décision n°008/00/CC du 22 juin 2000 (Décision n°008/00/CC du 22 juin


2000, Accord de coopération en matière pêche maritime entre le Gouvernement de la
République Gabonaise et celui du Royaume du Maroc, la Cour constitutionnelle gabonaise
a, sanctionné la violation par les gabonaises de la procédure d’insertion des traités dans l’ordre
juridique interne en « considérant (…) que l’Accord critiqué présente le caractère à la fois d’un
traité de commerce, d’un traité qui engage les finances de l’Etat et d’un traités qui modifie les
dispositions de la législation gabonaise en vigueur en matière de pêches maritimes ;
Considérant que conformément à l’alinéa 1er de l’article 113 de la Constitution, les traités et
accords internationaux de cette nature sont soumis à ratification après le vote d’une loi

74
d’autorisation par le Parlement et la vérification de leur constitutionnalité par la Cour
constitutionnelle ; que le texte querellé n’ayant pas été conclu dans le respect de cette exigence,
il est entaché d’inconstitutionnalité ». Il s’ensuit que le juge constitutionnel gabonais sanctionne
la non-observation des procédures constitutionnelles (inconstitutionnalité d’un traité de
commerce pour défaut d’autorisation de ratification par le Parlement).

En France, en application de l’article 55 de la Constitution, les traités régulièrement ratifiés


ou approuvés ont une autorité supérieure à celle des lois, actes réglementaires sous réserve
d’une application réciproque par l’autre partie. Précisons aussi que le juge administratif français
vérifie la régularité, le respect des conditions d’autorisation, de ratification et de publication
(CE, 18 décembre 1998, SARL du Parc d’activités de Blotzheim(examen du respect des
conditions d’autorisation de ratification et de publication)74.

2. Les conditions matérielles d’insertion des engagements internationaux dans


l’ordonnancement juridique interne

Au Gabon, l’exigence ou l’obligation de conformité des clauses des traités à la Constitution est
déduite de l’interprétation des articles 84 et 87 de la Constitution. Dans son avis n°027/CC
du 13 août 2013 relatif à la place des engagements internationaux dans la hiérarchie des
normes en République gabonaise, la Cour constitutionnelle a rappelé cet état de droit constant
en précisant que « les engagements internationaux ne peuvent être ratifiés » s’ils comportent,
contiennent des dispositions contraires à la Constitution. Pour surmonter l’interdiction de
ratification pour défaut de conformité d’un engagement international à la Constitution, « la
situation juridique résultant de la décision de la Cour constitutionnelle » les autorités de l’Etat
peuvent élaborer un projet portant modification de la Constitution en vigueur.

En France, la conformité des traités à la Constitution résulte de l’article 54 C de la


Constitution. Elle est assurée par un contrôle a priori effectué par le Conseil constitutionnel.
Lors de ce contrôle, s’il apparaît que qu’un engagement international comporte une clause

74
CE, 18 décembre 1998, SARL du Parc d’activités de Blotzheim : « (…) qu'il résulte de la combinaison de ces
dispositions que les traités ou accords relevant de l'article 53 de la Constitution et dont la ratification ou
l'approbation est intervenue sans avoir été autorisée par la loi, ne peuvent être regardés comme régulièrement
ratifiés ou approuvés au sens de l'article 55 précité ; qu'eu égard aux effets qui lui sont attachés en droit interne,
la publication d'un traité ou accord relevant de l'article 53 de la Constitution ne peut intervenir légalement que si
la ratification ou l'approbation de ce traité ou accord a été autorisée en vertu d'une loi ; qu'il appartient au juge
administratif de se prononcer sur le bien-fondé d'un moyen soulevé devant lui et tiré de la méconnaissance, par
l'acte de publication d'un traité ou accord, des dispositions de l'article 53 de la Constitution ; que, par suite,
contrairement à ce que soutient, à titre principal, le ministre des Affaires étrangères, le moyen tiré par les sociétés
requérantes de ce que le décret attaqué serait illégal au motif que l'approbation de l'accord qu'il publie n'a pas
été autorisée par la loi, n'est pas inopérant ».

75
contraire à la Constitution, l’autorisation de ratification (traités) ou d’approbation (accords) ne
peut intervenir qu’après la révision de la Constitution. Cette révision préalable de la
Constitution a été effectuée notamment en 1992 pour la ratification du traité de Maastricht, ou
en 1999 pour celle des traités d’Amsterdam ou de Rome relatif à la Cour pénale internationale.

Il convient également de mentionner la condition matérielle relative à l’application réciproque


du traité. Précisément, les traités ne sont invocables que s’ils sont mis en œuvre, appliqués par
l’autre partie signataire. Cette exigence est rappelée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 9
avril 1999 (CE, 9 avril 1999, Chevrol Benkeddach)75. Mais cette exigence ne vaut pas pour
les textes, les traités relatifs à la protection des droits de l’homme, des droits fondamentaux
(CEDH par exemple) et le droit humanitaire communautaire. Le juge administratif se refuse
à apprécier lui-même la condition de réciprocité mais il s’en remet à la décision du ministre des
affaires étrangères.

75
CE, 9 avril 1999, Chevrol Benkeddach : « Considérant qu'aux termes de l'article 55 de la Constitution du 4
octobre 1958 : "Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité
supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie" ;
qu'il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier si et dans quelle mesure les conditions d'exécution par
l'autre partie d'un traité ou d'un accord sont de nature à priver les stipulations de ce traité ou de cet accord de
l'autorité qui leur est conférée par la Constitution ; que, par des observations produites le 2 novembre 1998, le
ministre des affaires étrangères a fait savoir que les stipulations précitées de l'article 5 de la déclaration relative
à la coopération culturelle entre la France et l'Algérie ne pouvaient être regardées comme ayant été en vigueur
à la date de la décision attaquée dès lors que, à cette date, la condition de réciprocité posée à l'article 55 de la
Constitution n'était pas remplie ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à invoquer ces stipulations »

76
Chapitre 3: La répartition des compétences entre le juge administratif et le juge
judiciaire

Il est nécessaire que le droit de l’administration soit distinct du droit applicable à une entreprise
privée ou un particulier. En effet, les personnes publiques poursuivent un but précis, la
satisfaction de l’intérêt général, et doivent pouvoir bénéficier de privilèges et de prérogatives
distincts de ceux reconnus aux personnes privées. Le droit administratif est donc souvent
différent du droit privé même si des règles de droit privé s’appliquent parfois à
l’Administration. En clair, la nécessité de soumettre l’administration au respect du droit, de la
légalité s’est traduite par la création d’une juridiction spécifique réduisant ainsi le juge
judiciaire à un rôle secondaire en matière de contentieux administratif.

En réalité, la dualité juridictionnelle qui caractérise le système français et gabonais est le produit
combiné d'un refus et d'une nécessité.

• Le refus a été exprimé par les autorités publiques dès le début de la Révolution de
voir le juge ordinaire, judiciaire, connaître des affaires de l'Administration.

Rejet du souvenir des parlements provinciaux de l'Ancien Régime, obstacles aux réformes
administratives instaurées par le pouvoir royal et se traduisant par la consécration en 1790 du
principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires qui demeure au
fondement de l'organisation juridictionnelle française et gabonaise.

• La nécessité, celle de doter l'administration d'un juge spécialisé mais indépendant


pour faire pièce à l'incompétence proclamée de l'ordre judiciaire à connaître du
contentieux administratif.

Il s’ensuit que le maintien du principe de dualité des juridictions judiciaires et administratives


puise sa légitimité avant toute chose dans la tradition. L’argument est de poids dans un système
juridique qui mesure sa légitimité à l’âge de ses lois et à leur permanence. Aujourd’hui encore,
le terme de « dualisme » juridictionnel a tendance à cristalliser et à valoriser.

Mais, l’objet du propos n'est pas ici de défendre un système ni de préjuger de son avenir mais
d'établir un diagnostic de son fonctionnement, d'effectuer en quelque sorte un « bilan coût-
avantages » de l'organisation juridictionnelle. Surtout lorsqu’on sait que la doctrine met
aujourd’hui en lumière les surprises et les paradoxes engendrées par un principe de dualité des
ordres de juridictions, socle apparent de la distinction du droit public et du droit privé, qu’il
conforte, voire constitue. En même temps, on observe un intérêt nouveau pour l'histoire de la

77
dualité juridictionnelle à travers la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987
(Décision n°86-224 DC, 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence).

Notons toutefois que le dualisme juridictionnel est source de complexité. Cette situation se
caractérise par une parcellisation du contentieux de l’administration, un rapprochement de
jurisprudences : le juge judiciaire applique régulièrement le droit administratif et le juge
administratif exerce désormais quant à lui des activités répressives. A cela, il faut ajouter que
l’organisation sociale actuelle, l’affaiblissement de la figure de l’État, l’importance des objets
techniques, le phénomène de mondialisation, militent tout à la fois pour le maintien et
l’accroissement des juges spécialisés.

Section 1 : Les critères de la compétence du juge administratif

Le rôle de l’Etat s’est élargi, la conception autoritaire s’est atténuée : « service public et
puissance publique » « sont deux notions maîtresses du régime administratif français » et
gabonais. Le service public est l’œuvre à réaliser par l’administration publique et la puissance
publique quant à elle est le moyen de réalisation.

L’arrêt Blanco (TC, 8 février 1873, Blanco) fait appel à la notion de service public,
considérée comme la « pierre angulaire du droit administratif ». En même temps, depuis
cette décision fondamentale, la doctrine publiciste s’efforce de répondre à la question du critère
déterminant, décisif du droit administratif. Deux conceptions du droit administratif s’opposent
: l’une, classique, privilégie la puissance publique, tandis que l’autre, moderniste,
s’attache davantage au service public.

En partant du primat du service public, « l’Ecole de Bordeaux » ou encore « l’Ecole du service


public » s’oppose à la conception défendue « l’Ecole de la puissance publique » qu’elle entend
rénover en vue de fournir une nouvelle légitimité au pouvoir étatique. En considérant que l’État
constitue une « coopération de services publics organisés et contrôlés par les gouvernants »,
Léon DUGUIT construit une théorie générale de l’État au sein de laquelle les services publics
constituent à la fois le fondement (expression de l’interdépendance sociale) et la limite du
pouvoir étatique.

De son côté, Gaston JEZE développe une conception plus « empirique » du service public.
Selon lui, « le service public est un procédé juridique qui peut être appliqué pour la satisfaction
d’un besoin d’intérêt général, quel qu’il soit. C’est au législateur à choisir ; les motifs de son

78
choix dépendent du milieu politique, social, économique. C’est la jurisprudence qui décide
souverainement si l’intention du législateur a été de vouloir, dans tel cas, le procédé du service
public » s’appuyant sur une « idéologie de l’intérêt général ».

L’approche empirique de JEZE comme la théorie de DUGUIT affirme la responsabilité sociale


de l’État. Cette entreprise de détermination de la légitimité de l’État se heurte toutefois à la
plasticité même du service public, l’empirisme admis de JEZE conduisant à faire du service
public la « caution de la puissance publique » sans affermir substantiellement les garanties des
administrés face à l’État.

En partant du primat de la puissance publique, « l’Ecole de Toulouse ou l’Ecole de la


puissance » publique conçoit l’action administrative à l’aune de ses moyens (la puissance
publique). S’inscrivant dans la continuité de la doctrine classique, ce courant, incarné par
Maurice HAURIOU, fonde sa position sur une double considération : la conception
révolutionnaire de la séparation des pouvoirs et la conception traditionnelle du droit.

• la conception révolutionnaire de la séparation des pouvoirs a impliqué de


redéfinition des fondements du pouvoir étatique.

La notion de puissance publique a alors permis de rompre avec l’ordre antérieur,


consacrant le principe selon lequel le souverain est « l’alpha et l’oméga » du pouvoir mis
en œuvre. L’administration œuvrant pour le bien commun peut en conséquence jouir de moyens
exorbitants (les prérogatives de puissance publique).

• Le service public n’est toutefois pas rejeté ; admettant qu’il a sans doute été trop
négligé par la doctrine classique, il est envisagé comme un moyen de limiter le pouvoir
de domination de l’État.

Le droit administratif est alors un droit autonome et prétorien qui vise à encadrer l’action de la
puissance publique. Si la doctrine a longtemps débattu de son critère de définition et de la
compétence du juge administratif (service public ou puissance publique), on admet aujourd’hui
qu’il résulte de la combinaison des deux.

I. Le service public comme critère nécessaire du droit administratif


Le service public est un critère nécessaire permettant de définir le droit administratif ainsi que
les notions fondamentales et essentielles du droit public.
A. Le service public comme fondement de l’action administrative

79
Au début du XXe siècle, la doctrine (Duguit, l’Ecole de Bordeaux, Jèze…) considère le
service public comme le critère de la compétence du juge administratif en se fondant sur l’arrêt
Blanco (pourtant méconnu en son temps), dans lequel le Tribunal des conflits abandonne la
théorie de l’Etat débiteur et s’appuie sur la notion de service public pour justifier la compétence
administrative.

Dans cette décision relative à un accident à la manufacture des tabacs à Bordeaux (TC, 8
février 1873, Blanco76), le Tribunal des conflits met en avant le rôle joué par la notion de
service public. Il se détermine en faveur du juge administratif sans se référer à la théorie de
l’Etat débiteur alors en déclin. Il estime que:« la responsabilité, qui peut incomber à l'Etat,
pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le
service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les
rapports de particulier à particulier ; Que cette responsabilité n'est ni générale, ni absolue ;
qu'elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de
concilier les droits de l'Etat avec les droits privés ; Que, dès lors, aux termes des lois ci-dessus
visées, l'autorité administrative est seule compétente pour en connaître ».

Le commissaire du Gouvernement DAVID explique la compétence du juge administratif par


la gestion du service public des tabacs. Si le service public des tabacs avait été à gestion privée,
le juge judiciaire eût été compétent. Il faut distinguer écrit-il, entre « l’Etat-puissance
publique » et « l’Etat-personne civile ». L’arrêt Blanco fut récupéré par la doctrine, celle de
l’Ecole du service public (DUGUIT, JEZE, ROLLAND) qui mit en relief le lien établi par
l’arrêt entre le service public, l’idée d’une responsabilité autonome et la compétence
administrative. L’importance de la compétence du juge administratif se manifeste ainsi que la
liaison de la compétence (le juge) et du fond (le droit).

Par service public, il faut entendre toute activité d’une collectivité publique visant à satisfaire
l’intérêt général. La satisfaction des besoins d’intérêt général est généralement assurée par par
des services publics au sens organique du terme, c’est-à-dire des administrations, des
organismes publics.
Le critère du service public est effectivement consacré par la jurisprudence ultérieure. Ainsi,
dans l’arrêt du 6 février1903 (CE, 6 février 1903, Terrier), le Conseil d’Etat opère une
extension de l’arrêt Blanco, une ligne de partage entre les deux ordres de juridictions. L’affaire
Terrier accélère le processus de construction du droit administratif autour de l’idée même de

76
Accident à la Manufacture des Tabacs de Bordeaux

80
service public. Si, en l’espèce, la compétence du juge administratif est admise, c’est parce que
la décision d’allouer une prime par vipère tuée poursuit un but d’intérêt général, et constitue
une activité de service public 77. Voulant débarrasser son territoire des vipères et autres animaux
nuisibles, le Département de Saône et Loire recherche le concours de la population et engage
par contrat à verser une prime à tout individu justifiant avoir détruit une vipère. Les crédits
s’épuisent assez rapidement à cause du zèle des chasseurs et de la prolifération des nuisibles.
Lorsque le sieur TERRIER réclame son dû, les caisses sont vides et le Conseil général refuse
le règlement. Saisi d’une requête lui demandant de censurer la violation d’un contrat par le
Département de Saône-et-Loire, le Conseil d’Etat s’estime compétent par un considérant d’un
laconisme absolu: « du refus du préfet d’admettre la réclamation dont il est saisi, il est né entre
les parties un litige dont il appartient au Conseil d’Etat de connaître ».
Les conclusions du Commissaire du Gouvernement ROMIEU à propos de cette affaire
éclairent ce choix. La compétence du juge administratif s’étend au contentieux contractuel des
collectivités locales car « tout ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement des services
publics proprement, généraux ou locaux, soit que l’administration agisse par voie de contrat,
soit qu’elle procède par voie d’autorité, constitue une opération administrative qui est, par sa
nature, du domaine de la juridiction administrative. […] Toutes les actions entre les personnes
publiques et les tiers ou entre les personnes publiques entre elles-mêmes, et fondées sur
l’exécution, l’inexécution ou la mauvaise exécution d’un service public, sont de la compétence
administrative ».

Il en va de même pour :

• l’action en responsabilité intentée par un particulier, victime d’un incendie allumé


par un malade mental qui s’est échappé de l’asile départemental (TC, 28 février 1908
Feutry)78 parce que cet asile participe du service public de la santé.

En conséquence, le critère du service public est appliqué aux contrats des collectivités
territoriales. Il en résulte une unification des contentieux de la responsabilité de l’Etat et des
collectivités territoriales.

77
Saisi d’une requête lui demandant de censurer la violation d’un contrat le Département de de Saône-et-Loire, le
Conseil d’Etat s’estime compétent par un considérant d’un laconisme absolu: « du refus du préfet d’admettre la
réclamation dont il est saisi, il est né entre les parties un litige dont il appartient au Conseil d’Etat de connaître ».
78
Le Tribunal des Conflits se prononce en faveur de la compétence administrative à l’occasion d’un problème de
responsabilité encourue par le département des suites de l’incendie de meubles de paille provoqué par un aliéné
mental échappé de l’asile départemental.

81
• constitue également un contrat administratif le fait, pour la ville de Montpellier, de
confier au Sieur Thérond le soin de capturer les chiens errants et de les mettre en
fourrière (CE, 4 mars 1910, Thérond)79 parce qu’il s’agit effectivement d’un service
public.

Il s’ensuit que tout le contentieux contractuel ou extracontractuel, qu’il concerne l’Etat, les
collectivités territoriales ou les établissements publics, relève du juge administratif dès lors qu’il
touche à l’intérêt général, révélant ainsi l’existence d’un service public. Au nom du service
public, les contrats des communes comme ceux des départements ressortissent de la
compétence du juge administratif.

B. Le service public comme critère décisif et déterminant des notions du droit public

1. Le service public comme critère de définition et d’identification des actes


administratifs unilatéraux.

Il en va ainsi des actes administratifs unilatéraux pris par des personnes extérieures à
l’administration. Certaines personnes extérieures à l’administration peuvent prendre des actes
administratifs unilatéraux.

a) La théorie de fonctionnaires de fait

En vertu de cette théorie, le juge administratif va qualifier des actes pris par des personnes
extérieures à l’administration (des fonctionnaires de fait, et non pas de droit) d’actes
administratifs. Cette qualification peut être justifiée ou bien par l’urgence, ou bien par les
apparences.

La théorie de fonctionnaire de fait est fondée sur l'idée de nécessité et sur la notion d'apparence.
En période normale, tout fonctionnaire irrégulièrement nommé (aux fonctions qu'il occupe)
doit être regardé comme légalement investi des fonctions tant que sa nomination n'a pas été
annulée.

En période de circonstances exceptionnelles, le principe de légalité peut connaître certains


assouplissements (entorses), le Conseil d'Etat a considéré de simples particuliers qui s'étaient

79
Des difficultés étant nées de l’exécution d’un contrat de concession relatif à la capture des chiens errants, le
Conseil d’Etat saisi, en appel, se reconnaît compétent en estimant qu’en passant un tel contrat « en vue de l’hygiène
et de la sécurité de la population, la ville avait eu pour mission d’assurer un service public ».

82
substitués aux autorités compétentes comme des fonctionnaires de fait. Dans un arrêt du 5 mars
1948 (CE, 5 mars 1948, Marion), le Conseil d’Etat a admis qu’en cas de carence de l’autorité
administrative, de simples particuliers puissent la suppléer en prenant les mesures exigées par
les circonstances, jouant ainsi le rôle de « fonctionnaires de fait ». En l’espèce, le maire et la
plupart des conseillers municipaux ayant pris la fuite, des habitants ont créé une municipalité
de fait chargée d’assurer le fonctionnement des services publics ainsi que l’administration de
ville. En conséquence, ils décident de réquisitionner les stocks des magasins afin d’éviter le
pillage, assurer le ravitaillement et la reprise de l’activité économique. Le Conseil d’Etat retient
les circonstances exceptionnelles pour qualifier les actes litigieux d’administratifs, justifier la
légalité de ces actes et reconnaître la qualité de « fonctionnaire de fait » aux membres de la
communauté.

Précisons que la réquisition n’est pas un mode de gestion ordinaire des difficultés matérielles,
organisationnelles voire financières rencontrées par les personnes publiques. Elle est
l’expression de la prérogative de puissance publique, elle s’intègre dans une procédure
exceptionnelle. L’administration ne peut régulièrement recourir à la réquisition que lorsqu’elle
manque de moyens matériels propres, en cas d’urgence ou encore si elle est dans l’impossibilité
de mobiliser ses propres moyens pour faire face aux circonstances :

• Le manque de moyens doit s’entendre d’un manque de moyens matériels et non


financiers (CE, 9 avril 1948, Société Immobilière marseillaise) ;
• L’urgence doit être comprise comme une circonstance entraînant l’incapacité pour
les autorités administratives de réunir dans un délai utile les moyens dont elles
pourraient disposer.
b) Application de la théorie des apparences

En marge de la théorie de « fonctionnaire de fait », « la théorie des apparences » a également


inspiré la jurisprudence. Au-delà de la réalité complexe et mystérieuse de la notion d’apparence,
cette théorie renvoie au principe explicatif de la jurisprudence administrative relative à la
validation des actes des agents publics irrégulièrement nommés ou élus. Dans un arrêt
d’Assemblée du 2 décembre 1983 (CE, Ass., 2 décembre 1983, Charbonnel), le Conseil
d’Etat a estimé que la décision prise par un maire dont l’élection a été ensuite ultérieurement
annulée revêt un caractère administratif. En d’autres termes, les décisions adoptées par des
autorités ayant l’apparence d’une autorité compétente sont légales.

c) Les décisions prises par des personnes de droit privé gérant des SPIC

83
Exceptionnellement les actes édictés par les personnes privées peuvent être administratifs.

Dans un premier temps, le Conseil d’État a admis que l’acte d’une personne privée exerçant
une mission de service public comportant des prérogatives de puissance publique présente le
caractère d’acte administratif (CE, 13 janvier 1961, Magnier).

Par la suite, l’acte d’une personne privée gérant un service public à caractère industriel et
commercial est un acte administratif s’il est relatif à l’organisation du service (TC, 15 janvier
1968, Epoux Barbier). Cela ne concerne que les seuls actes administratifs réglementaires
relatifs à l’organisation du service public. Ainsi en est-il du règlement établi par le Conseil
d’administration de la Compagnie Air France qui, fixant les conditions d’emploi (en relation
avec l’exécution du service) de certains personnels (exigence du célibat pour les hôtesses de
l’air) contient « des dispositions qui apparaissent comme de éléments de l’organisation du
service public exploité ».

Trois conditions sont alors exigées par la jurisprudence pour que les actes unilatéraux des
personnes privées soient des actes administratifs.

• Il faut que la personne privée gestionnaire ait été habilitée, par la décision institutive du
service qu’elle gère, à édicter de tels actes unilatéraux (TC, 15 janvier 1968, Epoux
Barbier).
• Il faut que ces actes unilatéraux concernent l’organisation de l’ensemble du service (TC,
15 janvier 1968, Epoux Barbier).
• Il faut que l’organisme en cause soit doté de prérogatives de puissance publique (CE,
13 janvier 1961, Magnier).

A défaut de mission de service public, une personne privée ne peut pas prendre d’actes
administratifs (CE, 27 octobre 1999, Rolin). En clair, les décisions prises par une personne
privée n’ont pas le caractère d’actes administratifs dès lors que la personne n’est pas investie
d’une mission de service public et qu’aucune disposition législative ne le prévoit.

d) Les actes pris par les ordres professionnels et les comités d’organisation

Dans un arrêt d’Assemblée 31 juillet 1942 (CE, Ass., 31 juillet 1942, Montpeurt), le Conseil
d’Etat juge que « (…) les comités d’organisation, bien que le législateur n’en ait pas fait des
établissements publics, sont chargés de participer à l’exécution d’un service public (…) les
décisions qu’ils sont amenés à prendre dans la sphère de ces attributions, soit par voie de
règlements, soit par des dispositions d’ordre individuel, constituent des actes administratifs ».

84
Il en résulte que les comités d’organisation sont des personnes de droit privé mais chargées de
participer à l’exécution du service public.

Par la suite, dans sa décision d’Assemblée du 2 avril 1943 (CE, Ass., 2 avril 1943, Bouguen),
rendue à propos des ordres professionnels, le Conseil d’Etat réitère la solution de l’arrêt
Monpeurt (CE, Ass., 31 juillet 1942, Montpeurt). Le Conseil d’Etat reconnaît que les ordres
professionnels, tout comme les comités d’organisation sont chargés d’une mission de service
public par le législateur.

Un ordre professionnel est une personne morale de droit privé. Il a en charge une mission de
service public : l’organisation d’une profession (SPA). Les décisions prises pour l’exercice de
sa mission de service public, qu’elles soient réglementaires (exemple : élaboration d’un code
de déontologie à destination de ses membres), ou individuelles (exemple : inscription d’un
postulant au tableau de l’ordre, recouvrement des cotisations), sont des actes administratifs
susceptibles de recours pour excès de pouvoir (CE, 2 avril 1943, Bouguen).

Les actes des personnes privées gérant un service public administratif sont administratifs
s’ils se rattachent à la mission de service public administratif confiée à l’organisme et s’ils
traduisent la mise en œuvre ou l’exercice de prérogatives de puissance publique. Il peut
s’agir aussi bien d’actes réglementaires que d’actes individuels. En revanche, toutes les
décisions relatives au fonctionnement interne sont privées : le juge considère qu’elles
concernent l’institution privée et non son activité. Dans cette hypothèse, en effet, le pouvoir de
décision n’est pas mis en œuvre au titre de l’exécution du service public, mais à celui des
rapports internes à l’institution. Ces principes sont, à l’origine, posés par deux arrêts peu
explicites : (CE,Ass., 31 juillet 1942, Montpeurt, CE, Ass., 2 avril 1943, Bouguen). Ils
seront, par la suite, complétés par un arrêt beaucoup plus clair quant à lui (CE, sect., 13 janvier
1961, Magnier).

Les ordres professionnels (médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens,


vétérinaires, géomètres-experts, experts comptables, architectes, infirmiers, masseurs,
kinésithérapeutes) exercent deux types d’activités : les unes sont placées sous l’empire du
droit privé (gestion de leur patrimoine, œuvres sociales), les autres sont soumises au droit
public (organisation de la profession). Dans ce dernier cadre, leurs actes sont des actes
administratifs, soit à caractère réglementaire (édiction des codes de déontologie, clauses
essentielles de contrats-types (CE, 14 février 1969, Association nationale des syndicats de
médecins), soit individuels (décisions d’inscription d’un postulant au tableau de l’ordre après

85
avoir apprécié s’il remplit les conditions légales et présente les garanties requises de moralité
et d’indépendance). Dans ces hypothèses, les conseils nationaux (ou supérieurs) des ordres qui
prennent les décisions définitives, sont considérés comme des autorités administratives (CE, 29
juillet 1950, Comité de défense des libertés professionnelles des Experts comptables).

Toutefois, lorsqu’ils statuent en matière disciplinaire, les Conseils des ordres sont considérés
comme des juridictions. Lorsqu’ils prononcent des sanctions pour manquement à la discipline
professionnelle, leurs décisions définitives (qui sont rendues par les organes nationaux des
ordres) sont susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat
(CE, 12 décembre 1953, De Bayo).

2. Le service public comme critère de définition et d’identification du contrat


administratif

Pour déterminer la nature administrative ou civile du contrat, la jurisprudence se réfère au


contenu du contrat. Le contrat est un contrat administratif si son objet, c’est-à-dire l’opération
qu’il permet de réaliser (des travaux, une vente, une embauche…) est en lien avec le service
public.

Plusieurs situations peuvent se présenter. Il faut distinguer trois cas de figure :

a) Le contrat confiant l’exécution même du service public

Un certain nombre d’arrêts célèbres illustrent cette solution.

• CE, 6 février 1903, Terrier : affaire de la capture des vipères.


• CE, 4 mars 1910, Thérond: affaire de la capture des chiens errants.
• CE, 20 avril 1956, Epoux Bertin : hébergement des réfugiés russes au centre de
rapatriement de Meaux dans l’après-guerre.
b) Le contrat constituant une modalité même de l’exécution du service public

Le contrat permet à l’administration de prendre en charge l’exécution du service public. Ainsi,


par exemple, un contrat conclu par l’Etat avec des particuliers pour permettre à la personne
publique de reboiser des terrains privés.

• CE, 20 avril 1956, Grimouard

Une loi de 1946 a créé le service public de conservation, de développement, de mise en valeur
et d’exploitation de la forêt. « L’une des modalités de l’exécution même de ce service » réside
dans les opérations de reboisement entreprises par l’administration sur des terrains privés.

86
L’administration conclut des contrats avec les propriétaires privés portant sur des opérations de
reboisement. Ce n’est plus le cocontractant qui joue un rôle essentiel mais bien l’administration
pour laquelle le contrat devient un moyen privilégié de remplir sa mission.

• CE, 26 juin 1974, Société « La Maison des isolants de France »

De même, un contrat conclu entre une commune et une société pour que cette dernière
délocalise son siège social en échange de diverses aides. Le contrat est administratif car la
commune a assuré l’exécution d’une mission de service public à travers cette opération de
décentralisation industrielle.

c) Les contrats faisant travailler une personne physique pour le compte d’un service
public administratif

Pendant longtemps, la jurisprudence a considéré que le contrat de travail de l’agent travaillant


pour le compte d’un service public administratif constituait un contrat administratif uniquement
si ce contrat faisait participer l’agent à l’exécution même du service public.

• TC, 25 novembre 1963, Dame Veuve Mazerand

Dans cette affaire, le Tribunal des Conflits a considéré qu’une employée ne participait pas à
l’exécution du service public lorsqu’elle nettoyait la classe d’une école primaire. Elle était liée
à la commune de Jonquière par un contrat de droit privé, et, pour cette période, devait porter le
litige financier devant le juge judiciaire. En revanche, son activité supplémentaire de gardienne,
de la surveillance des enfants a été jugée comme la faisant participer à l’exécution d’une mission
de service public. Elle avait donc pour cette période, la qualité d’agent contractuel de droit
public et devait porter son litige pécuniaire devant le juge administratif.

Le juge des Conflits distinguait assez arbitrairement et de façon subtile entre des tâches
comparables pour estimer s’il y avait ou non une participation à l’exécution du service public.
Cette jurisprudence concernait des agents occupant des fonctions modestes et les obligeait à
patienter plusieurs années pour connaître l’ordre de juridiction compétent pour statuer sur les
litiges pécuniaires représentant souvent quelques centaines de francs.

Le Tribunal des conflits a mis fin à cette jurisprudence, à ces solutions complexes. Désormais,
tous les contrats des agents travaillant pour le compte d’un service public administratif sont des
contrats administratifs, « quel que soit leur emploi ».

87
• TC, 25 mars 1996, Berkani

Dans cet arrêt, le Tribunal des Conflits juge que les personnels non statutaires travaillant pour
le compte d’un service public administratif sont des agents contractuels de droit public « quel
que soit leur emploi ». Le contentieux concernant ces agents relève donc du juge administratif.
Ainsi, le Tribunal des Conflits abandonne le critère de la participation à l’exécution d’une
mission de service public, qui s’applique à la généralité des contrats passés par l’administration.
Les agents d’un service public administratif sont des agents contractuels de droit public quel
que soit leur emploi (à propos d’un aide cuisinier qui, en application de la jurisprudence
ancienne, aurait été jugé ne pas participer à l’exécution même du service public, et qui, en
application du nouveau critère, a été jugé posséder la qualité d’agent contractuel de droit
public).

Toutefois, le Tribunal des Conflits a rappelé que ce principe ne s’applique pas aux contrats de
droit privé par détermination de la loi (TC, 22 mai 2006, Préfet des Bouches du Rhône).

II. La notion de service public comme critère insuffisant de détermination du droit et


du juge administratif
Si le service public constitue la « pierre angulaire » du droit administratif, cette notion est
largement mise à mal et concurrencée par d’autres critères d’identification de la compétence du
juge administratif.
A. Le critère de la puissance publique

La notion de service public devient un critère insuffisant de détermination du droit et du juge


administratif. En effet, tous les arrêts n’utilisent pas le service public comme critère unique de
la compétence du juge administratif. Dans ses conclusions sur l’arrêt Terrier, ROMIEU
faisait la distinction entre les activités de service public soumises à la gestion publique, et celles
soumises au droit commun, à la gestion privée. Seules les premières relèvent de la compétence
du juge administratif. Par ailleurs, dans l’arrêt Blanco, le Tribunal des conflits applique
plutôt le principe selon lequel la compétence suit le fond : il a déduit la compétence
administrative du fait que la responsabilité de l’Etat ne pouvait pas être régie par les règles du
Code civil mais par des règles spéciales. En conséquence, chaque fois que le droit administratif
est applicable, le juge administratif est compétent. L’arrêt Blanco est donc très proche du
critère de la puissance publique. Dans ces conditions, la notion de service public devient un
critère insuffisant de détermination du droit et de la compétence du juge administratif.

88
On retiendra que la doctrine a systématisé les suggestions de la jurisprudence et qu’une Ecole
du service public80 se constitua autour de Léon DUGUIT (1859-1928), le Doyen de la Faculté
de Bordeaux à laquelle s’opposait l’Ecole de la puissance publique 81 autour de Maurice
HAURIOU (1856-1929), Doyen de la Faculté de Toulouse. Doctrine des fins et doctrine des
moyens, les deux critères se révèlent impossibles à réduire à l’unité et alors même que la notion
de service public se privatisait (SPIC) et entrait en crise, le critère de la puissance publique
offrait des points de repères plus sûrs. Ce qui sera confirmé par le Conseil constitutionnel
français dans sa décision n°86-224 DC, 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence et
apparaissait comme un complément nécessaire à la banalisation du service public.

Les manifestations de cette évolution en sont diverses et nombreuses. En particulier, il convient


de relever qu’un contrat auquel une personne publique est partie, est administratif s’il contient
une clause exorbitante du droit commun. En clair, même si un contrat n’a pas pour objet
l’exécution même du service public, le juge peut le qualifier d’administratif si les rapports des
cocontractants sont dérogatoires au droit privé, ce qui peut résulter soit des clauses du contrat,
soit de son régime. Cette solution résulte d’une jurisprudence ancienne du Conseil d’Etat.

• CE, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges

En l’espèce, un marché de fournitures de pavés avait été conclu entre la Ville de Lille et une
société des granits porphyroïdes des Vosges ; à la suite d’un retard dans les livraisons,
l’administration a prononcé des sanctions qui furent contestées par le fournisseur.

Le Conseil d’Etat relève que « le marché passé entre la ville et la société, était exclusif de tous
travaux à exécuter par la société et avait pour objet unique des fournitures à livrer selon les
règles et conditions des contrats intervenus entre particuliers ». Le Conseil d’Etat va analyser
les clauses du contrat et relever qu’en l’occurrence ce qui permet de se prononcer sur la qualité
du contrat c’est le fait qu’il contienne ou non des clauses exorbitantes de droit commun. Or, le
contrat passé par la ville de Lille pour l’achat de pavés devant être livrés selon les règles de
droit commun n’en contient pas.

B. La notion de clause exorbitante de droit commun

Une clause exorbitante de droit commun est une disposition qui confère des droits aux parties
ou met à leur charge des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont librement consentis

80
Il s’agit d’une doctrine des fins : l’activité de service public a pour but l’intérêt général.
81
Elle renvoie à une doctrine de moyens : l’administration utilise des procédés différents de ceux des particuliers
pour l’accomplissement de ses missions.

89
par quiconque dans le cadre du droit civil et commercial. Il s’agit des dispositions exclues des
relations privées, soit des dispositions conférant à la personne publique une position de
supériorité. Par exemple, une exonération fiscale est impossible en droit privé, de même, une
clause révélant la poursuite d’un but d’intérêt général sera considérée comme inhabituelle en
droit privé et de nature à imprimer au contrat une « couleur administrative ». La clause
exorbitante du droit commun est définie par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Stein (CE, 20 octobre
1950, Stein) : Il s’agit d’une clause « ayant pour objet de conférer aux parties des droits ou de
mettre à leur charge des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles
d’être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales ». Cette
définition a été reprise par certaines juridictions judiciaires (Civ. 1er, 20 septembre 2006) et
par le Tribunal des Conflits (TC, 15 novembre 1999, Commune de Bourisp).

En même temps, il faut relever que cette définition a souvent fait l’objet de critiques. Ainsi,
dans un arrêt du 13 octobre 2014 (TC, 13 octobre 2014, SA AXA France IARD c/MAIF), le
Tribunal des Conflits donne une définition positive à la notion de clause exorbitante de droit
commun. En l’espèce, il s’agissait de déterminer, pour le Tribunal des Conflits, la nature d’un
contrat de mise à disposition d’un ensemble immobilier destiné à la pratique de l’aviron, conclu
entre une commune et une association. Dans cette affaire, le Tribunal des Conflits a donné
compétence au juge judiciaire car « le contrat litigieux ne comporte aucune clause qui,
notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans
l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des
contrats administratifs ».

Les clauses exorbitantes de droit commun sont « non seulement celles qui déterminent le
caractère administratif du contrat mais également des clauses qui, dans des contrats demeurant
de droit privé, imposent à l’une des parties des obligations ou lui confèrent des droits au-delà
des prévisions légales ou des usages ». Le Tribunal des Conflits définit désormais la clause
exorbitante du droit commun comme celle qui implique dans l’intérêt général, que le
contractant relève du régime exorbitant des contrats administratifs. Il fait ainsi référence
à la jurisprudence Société d’exploitation de la rivière du Sant qui a fait naître le régime
exorbitant comme critère de qualification des contrats administratifs. Ce critère correspond à
un faisceau d’indices dont les clauses exorbitantes ne sont qu’un élément de preuve.

Il convient surtout de relever que cette nouvelle définition place l’intérêt général au centre
même de la qualification des contrats administratifs et donc de l’activité administrative. Le
critère devient finaliste. Les clauses ne sont plus définies par leur contenu, mais par leur but.
90
Pour être reconnue comme exorbitante, une clause doit ainsi répondre à deux conditions
cumulatives :

• Elle doit satisfaire un intérêt général ;


• Conférer à la personne publique des prérogatives ou avantages exorbitants, soit
imposé à son cocontractant des obligations ou des sujétions exorbitantes.

Un contrat peut alors contenir des clauses anormales sans pour autant être exorbitant. Dans la
mesure où la présence de ces clauses n’implique pas nécessairement l’intérêt général. Cette
définition rapproche la notion de clause exorbitante du régime général des contrats
administratifs. Ensuite, elle met un terme aux hésitations jurisprudentielles à l’égard du contenu
matériel de la notion de clauses exorbitantes. La définition est recentrée sur les clauses
inégalitaires, ce qui reprend la jurisprudence habituelle.

Plus important encore, l’étude approfondie de la jurisprudence administrative en la matière


révèle trois sortes de clauses exorbitantes :

• celles qui donnent à l’administration un pouvoir de contrôle et de direction ;

• celles qui lui donnent un pouvoir de modification ;

• celles qui lui donnent un pouvoir de résiliation.

Précisons aussi que cette nouvelle définition de la clause exorbitante de droit commun met le
droit administratif en cohérence avec le droit international, notamment le droit européen de la
concurrence. Il faut à cet égard rappeler que les contrats administratifs sont soumis au respect
des règles communautaires ce d’autant plus l’abus de position dominante, les aides d’Etat et de
clauses abusives entraînent l’annulation des clauses inégalitaires dans les relations
contractuelles avec l’administration. Cela constituait une menace pour le critère des clauses
exorbitantes. On le sait, le droit européen ne tolère le déséquilibre dans les clauses
contractuelles que lorsqu’elles poursuivent un but d’intérêt général. De toute évidence, les
contrats devront désormais s’y référer de façon à coller à la définition élaborée par le Tribunal
des Conflits.

Est également administratif le contrat passé par une personne publique et soumis à un régime
exorbitant du droit commun. Cette hypothèse ne concerne qu’un petit nombre de cas. C’est le
cadre dans lequel s’inscrit le contrat qui conduit à le qualifier de contrat administratif. Ainsi,
dans l’arrêt de 1973, Société d’exploitation électrique de la rivière du Sant, a été qualifié

91
d’administratif, un contrat où EDF achetait la totalité de la production d’une microcentrale. Les
textes encadraient fortement la conclusion de ce contrat (EDF était obligée d’acheter
l’électricité) et l’exécution de la convention (pouvoir d’arbitrage du ministre de l’Economie)
(CE, 19 janvier 1973, Société d’exploitation de la rivière du Sant).

Enfin, il convient de souligner que le critère de la puissance publique n’est pas lui non plus le
seul critère de compétence du juge administratif. Par exemple, lorsqu’une pierre tombe d’un
édifice public et cause un dommage, il n’y a pas utilisation de prérogative de puissance publique
et pourtant le juge administratif est compétent.

Le critère de la puissance publique recoupe la notion de gestion publique : lorsqu’il n’y


pas utilisation d’une prérogative de puissance publique, on se trouve en présence d’un cas de
gestion privée relevant des juridictions judiciaires. Selon le Conseil constitutionnel, la notion
de puissance publique constitue le « noyau irréductible de la compétence du juge
administratif »: décision du 23 janvier 1987 (Décision n°86-224 DC, 23 janvier 1987, Conseil
de la concurrence): la Constitution réserve au juge administratif la compétence pour connaître
des conclusions en annulation ou en réformation des décisions prises par les autorités
administratives dans l’exercice de prérogatives de puissance publique.

Section 2: La compétence exceptionnelle du juge judiciaire en matière administrative

La compétence du juge judiciaire en matière administrative renvoie à des nombreuses


exceptions apportées à la compétence du juge administratif. Précisément, cette compétence du
juge judiciaire, en la matière, est commandée soit en raison de la nature des règles applicables
aux litiges, soit en raison de la spécificité de la matière sur laquelle porte le litige. Dans ces
conditions, il convient de relever que la compétence du juge judiciaire en matière administrative
est déterminée par la loi ou par des solutions jurisprudentielles.

Dans certains domaines, le juge judiciaire sera exceptionnellement compétent pour trancher les
litiges relatifs à l’activité de l’administration. Tel est le cas de certains impôts (impôts indirects
et ISF), des dommages causés par un véhicule de l’administration (Loi n°57-1424 du 31
décembre 1957 attribuant compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les
actions en responsabilité des dommages causés par tout véhicule et dirigés contre une
personne de droit public), du contentieux en matière de sécurité sociale, d’une partie du
contentieux de la concurrence, de l’état civil et de la capacité des personnes, des libertés

92
individuelles (article 66 de la Constitution), de la voie de fait, de l’emprise irrégulière, de
l’expropriation de la gestion du domaine privé de l’administration, des services publics à
caractère industriel et commercial, ou des litiges relatifs au fonctionnement du service public
de la justice.

I. La compétence du juge judiciaire en matière des actes de gestion privée

Après l'arrêt Blanco (TC, 8 février 1873, Blanco), il fallait délimiter un domaine de
compétence duquel le juge judiciaire était exclu. Deux critères principaux de la compétence
du juge administratif furent établis par la jurisprudence et systématisés par la doctrine : celui
du service public et celui de la puissance publique.

Le critère du service public s'est avéré être trop simplificateur dans la mesure où le caractère
public ou privé de la gestion du service joue un rôle important. Ainsi, l'arrêt du Tribunal des
conflits « Société commerciale de l’Ouest africain », plus communément dénommé « Bac
d’Eloka » crée la notion de services publics industriels et commerciaux (SPIC) devant être
soumis au droit privé et par conséquent relevant de la compétence du juge judiciaire.

TC, 22 janvier 1921, « Bac d’Eloka » :

« Considérant, d'une part, que le bac d'Eloka ne constitue pas un ouvrage public ; d'autre part,
qu'en effectuant, moyennant rémunération, les opérations de passage des piétons et des voitures
d'une rive à l'autre de la lagune, la colonie de la Côte-d'Ivoire exploite un service de transport
dans les mêmes conditions qu'un industriel ordinaire ; que, par suite, en l'absence d'un texte
spécial attribuant compétence à la juridiction administrative, il n'appartient qu'à l'autorité
judiciaire de connaître des conséquences dommageables de l'accident invoqué, que celui-ci ait
eu pour cause, suivant les prétentions de la Société de l'Ouest africain, une faute commise dans
l'exploitation ou un mauvais entretien du bac ».

L’Etat prend en mains des services assurés autrefois par les particuliers : prolifération surtout
des services à objet économique. Les formes d’interventions et les régimes juridiques sont
très variés (établissement public, régie, société nationale, société d’économie mixte,
concession etc…).

La libéralisation des interventions économiques est marquée par deux tendances


principales :

93
• La substitution progressive par l’Etat des procédés d’incitations aux procédés de
contrainte.

A la réglementation autoritaire et unilatérale se substitue de plus en plus le contrat, accord de


volonté (partenariat public-privé)

• La multiplication des délégations en matière d’interventions économiques à des


organismes privés, voire la privatisation de certaines interventions.

Aujourd’hui certains services publics sont essentiellement soumis au droit privé : cas des
services publics industriels et commerciaux où l’application du droit privé est la règle,
l’application du droit public, l’exception. Ainsi, il existe au sein des services publics, à côté
des services publics administratifs (SPA), les services publics à caractère industriel ou
commercial (SPIC). Par ailleurs, il convient de relever que le Tribunal des conflits décide de
soumettre les SPIC à un régime de droit privé. L’Administration perd le bénéfice du privilège
de juridiction, la soumission du droit public traditionnellement considérée comme protectrice
de celle-ci.

En l’absence de qualification légale, la jurisprudence, tant administrative que judiciaire retient


trois critères :

• L’objet du service doit être économique : production ou vente de biens ou services,


comparables aux activités privées (TC, 15 janvier 1979, Caisse de crédit municipal
de Toulouse).
• Les ressources du service doit provenir, au moins en partie, de sommes prélevées sur
les usagers ou les bénéficiaires du service (CE, 20 janvier 1988, SCI « La Colline » ;
la gratuité exclut le SPIC (TC, 21 mars 2005, Alberti-Scott).
• Les modalités d’organisation du service. Il s’agit certainement du critère le plus
décisif. Le SPIC est organisé et fonctionne selon le modèle de direction, de
commandement et de rapports humains qui se rencontre habituellement dans les
entreprises privées (CE, 16 novembre 1956, Union syndicale des industries
aéronautiques). Dès lors que c’est trois conditions ne sont pas réunies, la droit
administratif s’applique.

Le principe de soumission du droit privé concerne :

• Les actes unilatéraux des SPIC sauf ceux, qui sont pris en vertu des prérogatives de
puissance publique sur la base d’une habilitation expresse des statuts ou de la loi et pour

94
l’organisation de l’ensemble du service (TC, 15 janvier 1968, Compagnie Air France
c./Epourx Barbier).
• Les contrats des SPIC, sauf s’ils remplissent les conditions exigées pour qu’un contrat
soit administratif, et ne sont pas passés avec les usagers (TC, 24 mai 2005, Société
régionale de distribution d’eau), du personnel, sauf au maximum, deux agents : le
directeur général du SPIC (TC, 26 janvier 1923, de Robert Lafrégeyre), et le
comptable en chef, s’il est comptable public
• La responsabilité extracontractuelle du SPIC, sauf si le dommage, à la fois, est un
dommage de travaux publics et a été causé par un tiers (TC, 2 mars 1987, Compagnie
« La Lutèce » c. /EDF ; TC, 1er juillet, Labrosse c. /GDF).

NB : Les usagers du SPIC sont, en vertu d’un « bloc de compétence » dans un rapport de
pur droit privé (CE, 20 janvier 1988, SCI La Colline) et soumis au code de la
consommation (CE, 11 juillet 2001, Société des Eaux du Nord).

Au Gabon, le juge judiciaire intervient dans les litiges relatifs aux actes de gestion privée.
Il en va ainsi :

• Dans les litiges résultants du dysfonctionnement des services publics à caractère


industriel et commercial
• Des litiges entre les SPIC et leurs personnels (CE, 11 janvier 2002, Liamidi
c./SNBG : « considérant que le Conseil d’Etat observe que le requérant, agent d’un
service public industriel et commercial (…) est régi par les dispositions du droit privé ;
que le litige qui lui oppose à son employeur (…) relève de la compétence du juge
judiciaire ».
• Des litiges entre les personnes morales de droit privé gérant un service public et
leurs personnels (CACS, 22 décembre 1999, Medza Ndemezogo) : « considérant que
la CNSS est une personne privée gérant un service public ; que les litiges entre les
organismes privés gérant un service public et leurs personnels relèvent de la
compétence des juridictions judicaires ».
• Des contrats de droit privé de l’administration et certaines catégories de ses agents,
les agents liés à l’Etat ou un de ses démembrements par un contrat de droit privé
(CACS, 3 novembre 1967, Nzeh : « considérant que seules les juridictions du travail
sont compétentes pour statuer sur les litiges opposant l’Etat aux membres de son

95
personnel qui n’ont pas été intégrés dans un emploi permanent d’un cadre d’une
administration publique » ; CACS, 22 juillet 1983, Koussadji-Etho).
II. Les atteintes graves à la propriété privée et aux libertés

Il convient tout d’abord de rappeler que la Constitution érige l’autorité judiciaire en gardienne
de la liberté individuelle de la propriété privée. Aux termes de l’article 1erparagraphe 23 de
la Constitution gabonaise du 26 mars 1991, « le pouvoir judiciaire, gardien de la liberté
individuelle, assure le respect » des fondamentaux « dans les délais fixés par la loi ». Dans le
même sens, l’article 66 de la Constitution française du 4 octobre 1958 prévoit que «
l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe
dans les conditions prévues par loi ».

En conséquence, le juge administratif s’interdit toujours d’intervenir dans ces matières,


réservées, dévolues au juge judiciaire en se fondant non pas toujours sur des règles écrites mais
en s’appuyant largement sur les théories de l’emprise et de la voie de fait. En d’autres termes,
le principe de l’autorité judiciaire gardienne des libertés fondamentales est enraciné dans la
jurisprudence. Le Tribunal des Conflits affirme dans l’arrêt Hilaire du 18 décembre 1947
que « la sauvegarde de la liberté individuelle et de la propriété privée rentre essentiellement
dans les attributions de l’autorité judiciaire ».

Il convient surtout de relever que les armes des juges en matière de protection des libertés
fondamentales ont nettement évolué depuis ces quarante dernières années. Cette évolution a été
marquée par de nombreux changements dans la frontière de la répartition des compétences des
deux autorités juridictionnelles.

A. La recherche d’un nouvel équilibre entre le contentieux de l’emprise irrégulière et


de la voie de fait

Cette évolution se traduit par un réaménagement de la théorie de l’emprise irrégulière et une


simplification contentieuse de la voie de fait.

1. Le réaménagement de la théorie de l’emprise irrégulière

Le Tribunal des Conflits confirme la solution de l’arrêt Hilaire (TC, 18 décembre 1947,
Hilaire) dans sa décision du 17 mars 1949 (TC, 17 mars 1949Société « Hôtel du vieux Beffroi
»), en considérant que « la protection de la vie privée rentre essentiellement dans les
attributions de l’autorité judiciaire ». Par ce considérant, le Tribunal des conflits pose les bases
96
de l’emprise irrégulière. Lorsque l’administration réalise une emprise irrégulière, la
connaissance des litiges auxquels elle donne lieu appartient au seul juge judiciaire (TC, 19
décembre 2003, EURL Franck Immobilier). Le Tribunal des Conflits juge que les
juridictions administratives sont compétentes pour se prononcer sur la régularité d’une emprise
mais que la compétence pour réparer les préjudices résultant d’une emprise irrégulière revient
aux juridictions judiciaires. Le juge judiciaire doit donc en cas de difficulté sérieuse, surseoir à
statuer renvoyer les parties à faire trancher la question de la régularité de la décision
administrative à l’origine de l’emprise.

On le voit, lorsque les conditions l’emprise est irrégulière sont constituées, il s’opère un partage
de compétence entre les juridictions administrative et judiciaire. Dès lors, il convient de
présenter les conditions de mise en œuvre de l’emprise irrégulière.

L’emprise irrégulière consiste en une dépossession irrégulière d’une propriété privée


immobilière (TC, 21 juin 2004, Camaret; TC, 23 avril 2007, Desdion). En d’autres termes,
l’emprise irrégulière s’analyse en une dépossession irrégulière d’un bien immobilier ou
l’atteinte irrégulière portée à un droit réel immobilier. Le champ d’application de l’emprise
irrégulière est limité à la propriété privée, elle n’exige pas une irrégularité aussi grave que la
voie de fait. La compétence du juge judiciaire en ce qui concerne l’emprise irrégulière se limite
à la fixation de l’indemnité due.

• Il faut donc une « dépossession» et non pas une simple gêne ou une simple privation
de jouissance.

Autrement dit, l’administration doit s’être emparée réellement d’un bien immobilier
appartenant à un particulier ou avoir laissé un particulier s’emparer du bien d’une autre
personne. Il n’est pas nécessaire à cet égard que l’emprise porte sur la totalité du bien concerné
(CE, 20 février 1957 Aubel).

• Il faut ensuite que la dépossession soit irrégulière. Si elle est régulière, c’est le juge
administratif qui est compétent.
• Enfin, le bien dépossédé doit être un immeuble ou constituer un droit réel. La
dépossession irrégulière de la propriété privée d’un bien mobilier, par le fait de
l’administration relève de la compétence du juge administratif.

97
Si le bien comporte à la fois des éléments mobiliers et immobiliers, il faudra considérer l’aspect
dominant pour déterminer la juridiction compétente (TC, 26 juillet 1950, Ponzeverra). En cas
d’indivisibilité chacun des éléments sera traité distinctement.

• Les conséquences de l’emprise irrégulière

La conséquence essentielle de l’emprise irrégulière est la compétence du juge judiciaire pour


connaître des constatations en la matière (Cass. 1er Civ., 9 janvier 2007). Cependant, le juge
judiciaire n’est pas compétent pour se prononcer sur le caractère irrégulier de l’emprise, seul le
juge administratif peut le faire (TC, 30 juin 1949, Nogier).

Au Gabon, dans sa décision du 26 février 1988, Kuentz Anziano la Chambre administrative


a considéré que « l’occupation par l’administration des autres immeubles appartenant à la
succession Anziano Sauveur ne résulte de l’exercice d’aucun droit et constitue une emprise sur
une propriété immobilière privée; que cette occupation revêt un caractère irrégulier et entraîne
de ce fait la compétence de l’autorité judiciaire gardienne de la propriété privée » (CACS, 26
février 1988, Kuentz Anziano, Rep. n°8).

Il importe de préciser qu’en France, dans le prolongement de l’arrêt Bergoend du 17 juin


2013 qui a restreint la voie de fait, le Tribunal des Conflits a considérablement fait évoluer sa
jurisprudence traditionnelle en limitant la compétence du juge judiciaire au seul cas où l’atteinte
à la propriété privée constitue une « une extinction du droit de propriété privée », « une
dépossession définitive » (ce qui se rapproche de l’expropriation) et reconnu au juge
administratif une plénitude de compétence en matière d’atteinte à la propriété privée. Il a ainsi
considéré dans sa décision du 9 décembre 2013, Epoux Panizzon c/Commune de Saint-
Palais, que « dans le cas d’une décision administrative portant atteinte à la propriété privée,
le juge administratif est compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une telle décision
et le cas échéant, pour dresser des injonctions à l’administration, l’est également pour
connaître des conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette
décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l’extinction du droit de propriété
». Le Tribunal des Conflits réduit ainsi le champ de l’emprise irrégulière, et diminue la
portée déjà faible du principe selon lequel le juge judiciaire est gardien de la propriété privée
immobilière. Le Tribunal des Conflits retreint alors l’emprise irrégulière et même met un terme
à la théorie de l’emprise irrégulière. Désormais, le juge administratif est compétent pour faire
cesser et réparer le préjudice en cas d’emprise régulière ou irrégulière. Le juge judiciaire
n’intervient plus qu’en cas d’extinction du droit de propriété.

98
2. La simplification contentieuse en matière de voie de fait

Lorsque l’administration porte gravement atteinte à une liberté fondamentale ou à la propriété


privée et lorsque cette atteinte manifestement illégale ne peut se rattacher à aucun pouvoir de
l’administration, il y a voie de fait.

Pour la faire cesser et ordonner la réparation des dommages, le juge judiciaire est compétent.
En effet, par ses actions illégales, l’administration outrepasse ses compétences et ne peut plus
bénéficier de la protection que lui offre le principe de séparation des autorités administratives
et judiciaires.

TC, 8 avril 1935, Action française :

« Considérant que la saisie des journaux est réglée par la loi du 29 juillet 1881 ; que s’il
appartient aux maires et à Paris au préfet de police de prendre les mesures nécessaires pour
assurer le maintien du bon ordre et la sûreté publique, ces attributions ne comportent pas le
pouvoir de pratiques, par voie de mesures préventives, la saisie d’un journal sans qu’il soit
justifié que cette saisie, ordonnée d’une façon aussi générale que celle qui résulte du dossier
partout où le journal sera mis en vente, tant à Paris qu’en banlieue, ait été indispensable pour
assurer le maintien ou le rétablissement de l’ordre public ; que la mesure incriminée n’a ainsi
été constituée dans l’espèce qu’une voie de fait entraînant pour l’instance actuellement
pendante devant le tribunal de Versailles la compétence de l’autorité judiciaire ; (…) ».

D’après le Tribunal des Conflits, la voie de fait désigne « une mesure manifestement
insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’administration ». Il
s’agit d’acte, d’agissement particulièrement grave commis par l’administration, portant atteinte
à la propriété privée ou à une liberté fondamentale, et soit consistant en l’exécution forcée d’une
forcée irrégulière d’une décision elle-même légale, soit présentant le caractère manifestement
non susceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir reconnu à l’administration.

La voie de fait comporte donc toujours une atteinte à un droit fondamental (propriété privée ou
une liberté) et deux éléments alternatifs.

• L’exécution forcée irrégulière d’une décision elle-même légale :


L’administration ne dispose pas normalement du pouvoir d’exécuter d’office ses décisions,
c’est-à-dire qu’il ne lui appartient pas de recourir à des mesures de contrainte pour faire produire
effet contre la volonté des personnes qu’elles concernent.

99
De telles mesures doivent résulter du juge judiciaire, juge répressif. Il n’en va autrement
que lorsque la loi confère expressément à l’administration le pouvoir d’exécution d’office ou
bien lorsque le recours à des mesures de contrainte est nécessaire du fait de l’urgence ou de
l’absence de sanction pénale (TC, 1902, Société immobilière Saint-Just). En dehors de ces
hypothèses, l’exécution forcée irrégulière constitue une voie de fait. A titre d’exemple, la Cour
de cassation a considéré que constitue une voie de fait, la reprise de possession d’une parcelle
du domaine public par changement de serrure à un concessionnaire qui ne payait pas son loyer
(Cour de cassation, Commune de Kientzhein c/SARL Château de Reichenstein).

• Une décision manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir


reconnu à l’administration.

Dans une décision d’Assemblée du 18 novembre 1949, Carlier, le Conseil d’Etat a jugé que
la destruction du matériel photographique d’un photographe constitue une voie de fait (CE,
Ass., 18 novembre 1949, Carlier). Par contre, les mesures visant à refuser le débarquement de
deux étrangers, à les supposer illégales, ne sont pas manifestement insusceptibles d’être
rattachées à un pouvoir appartenant, reconnu à l’administration, dans la mesure où les textes
relatifs à la police des étrangers donnent à celle-ci le pouvoir de procéder à l’exécution forcées
des décisions qu’elle est amenée à prendre (TC, 12 mai 1997, Préfet de police de Paris c/TGI
de Paris).

Le juge administratif gabonais confirme la compétence du juge judiciaire en matière de voie de


fait. Dans une décision du 18 décembre 1981, Bobebe, la Chambre administrative a considéré
« qu’il appartient à l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, de statuer sur les
conséquences de tous ordres des atteintes arbitraires à cette liberté, celles-ci ayant par elles-
mêmes le caractère d’une voie de fait » (CACS, 18 décembre 1981, Bobebe, Rep. n°207).

Dans une autre décision, Bernard, du 25 juin 1982, le juge administratif a estimé « qu’en
l’espèce (…), il s’agit d’une atteinte à la propriété privée et d’une voie de fait qui sont de la
compétence des tribunaux judiciaires » (CACS, 25 juin 1982, Bernard, Rep. n°83).

La doctrine distingue la voie de fait par manque de droit (la décision grossièrement illégale)
et la voie de fait par manque de procédure (exécution gravement illégale d’une décision elle-
même légale).

Dans la décision du Tribunal des Conflits, Action française du 8 avril 1935 étaient cumulées
les deux variétés ou facettes de la voie de fait :

100
• par manque de droit (la décision grossièrement illégale

• par manque de procédure (exécution gravement illégale d’une décision elle-même


légale);

La décision illégale de saisir le journal et l’exécution matériellement irrégulière de cette


décision.

On l’aura compris, la commission d’une voie de fait par l’administration entraîne la compétence
du juge judiciaire. Cette atteinte à la compétence du juge administratif s’explique par le
caractère « monstrueux » de la voie de fait. L’illégalité commise par l’administration est
tellement flagrante, évidente, insensée que la compétence du juge administratif ne se justifie
pas. L’illégalité grossière ici prive l’administration de son privilège de juridiction. Dans le cas
de la voie de fait, le juge judiciaire a une plénitude de compétences alors que dans le cas de
l’emprise irrégulière, son intervention est limitée à l’indemnisation.

La théorie jurisprudentielle de la voie de fait a connu des évolutions majeures ces dernières
années. Par une ordonnance rendue le 23 Janvier 2013 Commune de Chirongui, le Conseil
d’Etat a estimé que le juge de référé-liberté était compétent pour faire cesser une atteinte
grave et manifestement illégale au doit de propriété en cas d’urgence « quand bien même cette
atteinte aurait le caractère d’une voie de fait » (même en cas de voie de fait).

Quelques mois après dans un arrêt du 17 juin 2013, M. Bergoend c/ Société ERDF Annecy
Léman, le Tribunal des conflits, tout en conservant les deux hypothèses de la voie de fait, à
savoir lorsque « l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions
irrégulières, d'une décision, même régulière, soit a pris une décision manifestement
insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative », en a
délimité le domaine d’application et, partant, la compétence du juge judiciaire, aux atteintes à
la liberté individuelle, en conformité avec l’article 66 de la Constitution, et au droit de propriété,
exclusivement en cas d’extinction définitive de ce droit, par analogie avec la compétence
reconnue à ce juge judiciaire en matière d’expropriation. Ainsi, il donne une nouvelle définition,
plus restrictive, de la notion de voie de fait. Alors que le juge des Conflits définissait la voie de
fait comme une « atteinte grave à la propriété privée ou à une liberté fondamentale » (TC, 19
novembre 2001, Mlle Mohamed c. /Ministre de l’intérieur), dorénavant, celui-ci la définit
comme une « atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de
propriété ». En outre, le Tribunal des conflits énonce que l’implantation, même sans titre, d’un

101
ouvrage public sur le terrain d’une personne privée, ne procède pas d’un acte manifestement
insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l’administration.

De toute évidence, le Tribunal des Conflits redessine les contours de la voie de fait. Celle-
ci désormais n’est constituée « que dans la mesure où l’administration soit a procédé à
l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision même régulière, portant
atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété, soit a pris
une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit
de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant
à l’autorité administrative ». Il convient de noter que cette nouvelle définition se traduit par un
resserrement à un double titre. On passe ainsi de l’atteinte grave au droit de propriété à
l’extinction de celui-ci et de l’atteinte à une liberté fondamentale à l’atteinte à la liberté
individuelle. L’ancienne définition de la voie de fait était en effet la suivante: « il n’y a voie de
fait justifiant par exception au principe de séparation des autorités administratives et
judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire que dans la mesure où
l’administration soit a procédé à l’exécution forcée dans des conditions irrégulières d’une
décision même régulière portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté
fondamentale, soit a pris une décision ayant l’un ou l’autre de ces effets à la condition toutefois
que cette dernière décision soit elle-même manifestement insusceptible d’être rattachée à un
pouvoir appartenant à l’autorité administrative » (TC, 23 Septembre 2000, Boussadar).

En réalité, avec le développement des pouvoirs du juge administratif et notamment le


pouvoir d’injonction et le référé-liberté, le Tribunal des Conflits tout en conservant les deux
hypothèses de la voie de fait, en a délimité le domaine d’application, le champ d’application et
a limité la compétence du juge judiciaire aux atteintes à la liberté individuelle et au droit de
propriété exclusivement en cas d’extinction définitive de ce droit.

Dans l’affaire BERGEOND était en cause l’installation par ERDF d’un poteau électrique
sur une parcelle privée sans l’autorisation du propriétaire en application de la procédure prévue
par la loi. En jugeant que: « une implantation même sans titre d’un ouvrage public sur le terrain
d’une personne privée ne procède pas d’un acte manifestement insusceptible de se rattacher à
un pouvoir dont dispose l’administration », le Tribunal des Conflits a exclu que la simple
illégalité dans la mise en œuvre par l’administration d’un pouvoir qui lui est reconnu par la loi
puisse être qualifiée de voie de fait.

102
Dans un second arrêt rendu le 9 Décembre 2013, Pannizon c/ commune de Saint-Palais-
sur-Mer, le Tribunal des Conflits considère que dans la mesure où seule la dépossession
définitive donne compétence au juge judiciaire pour réparer le préjudice résultant d’une
dépossession, l’atteinte au droit de propriété caractérisée soit par une dépossession temporaire
soit par une altération ponctuelle de ses attributs ne peut faire échec au principe de séparation
des autorités administratives et judiciaires. Le Tribunal des Conflits, revenant sur sa
jurisprudence antérieure, retient en conséquence la compétence du juge administratif
pour statuer sur une demande d’indemnisation du préjudice né d’une emprise irrégulière.
Jusqu’alors la jurisprudence traditionnelle retenait qu’en présence d’une emprise
irrégulière l’indemnisation du préjudice qui en résultait rassortissait à la compétence du
juge judiciaire

Sur le plan procédural, il est jugé que la simple production d’une transaction conclue sous
condition ne suffit pas à priver d’objet la question de compétence renvoyée au Tribunal des
conflits dès lors qu’il n’est pas justifié de la réalisation de la condition et, partant, du désistement
effectif du demandeur. Quant à la question de compétence, dans la logique de sa décision
redéfinissant la voie de fait et aussi dans le souci d’une bonne administration de la justice, le
Tribunal considère que, dans la mesure où seule la dépossession définitive donne compétence
au juge judiciaire pour réparer le préjudice résultant d’une telle dépossession, l’atteinte au droit
de propriété caractérisée soit par une dépossession temporaire soit par une altération ponctuelle
de ses attributs ne peut faire échec au principe de séparation des autorités administratives et
judiciaires, en sorte que le juge administratif est compétent pour statuer sur une demande
d’indemnisation du préjudice né d’une emprise irrégulière.

Cette décision traduit par ailleurs l’objectif d’une bonne administration de la justice pour
éviter que le justiciable, après avoir dû demander au juge administratif l’annulation de l’acte
ou de la décision de droit public à l’origine de l’emprise irrégulière et l’injonction d’y mettre
fin, soit contraint d’aller ou de retourner devant le juge judiciaire pour obtenir réparation du
préjudice qui en est résulté.

Il restait à trancher la question de la notion d’atteinte à la liberté individuelle. C’est chose faite
dans l’arrêt du Tribunal des Conflits du 3 Février 2014 qui concerne le recours formé par
Madame P. à l’encontre de l’arrêté du Préfet de Police qui a prononcé la fermeture d’un studio
au motif que ce local était mis à la disposition de personnes se livrant à la prostitution et aurait
fait apposer à un cheval sur la porte de ce studio et du mur adjacent une affiche indiquant la
fermeture administrative du lieu.
103
Comme la fermeture administrative d’un local servant à la prostitution ne constitue pas une voie
de fait, le recours contre cette décision de fermeture relève de la compétence du juge
administratif. Le Tribunal des Conflits rappelle qu’il y a voie de fait de la part de
l’administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives
et judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour en ordonner la cessation
ou la réparation, lorsque l’administration soit :

• a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même
régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit
de propriété,
• a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou
d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être
rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative.

En l’espèce, le Tribunal des Conflits considère que l’arrêté par lequel le préfet de police a
prononcé la fermeture d’un local appartenant à Madame P n’est pas manifestement
insusceptible d’être rattaché à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative, d’une part, et
que l’apposition de l’affiche ne constitue pas l’exécution forcée de la mesure de police. La
requérante n’est dès lors pas fondée à se prévaloir de l’existence d’une voie de fait.

Dans ses conclusions sous cet arrêt du 3 Février 2014, Monsieur Bertrand DACOSTA,
Commissaire du Gouvernement, rappelle que « la voie de fait a été inventée pour que les
comportements de l’administration gravement attentatoires à une liberté ou au droit de
propriété puissent être sanctionnés, en urgence, par un juge qui ne pouvait alors être que le
juge judiciaire, le juge administratif ne disposant pas des outils nécessaires. Cette exception
au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ne se justifie plus par un
souci d’efficacité » et de conclure qu’il n’y a dès lors aucune justification à renvoyer à la
compétence du juge judiciaire, d’autres questions que celles relatives à l’extinction du droit de
propriété et l’atteinte à une liberté fondamentale ou à la liberté individuelle. A défaut, la
compétence ressortira du juge administratif.

Enfin, il convient de préciser que c’est à l’aune du principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires que doit être comprise l’évolution récente de la notion de voie de
fait. Ce principe nécessite d’articuler les compétences des deux ordres de juridiction afin
d’atteindre trois objectifs, parfois antagonistes, qu’il convient de mettre en balance :

• la garantie des droits des justiciables ;


104
• la spécialisation du juge dans la pratique du droit applicable ;
• la bonne administration de la justice.

Le premier objectif est désormais, comme on l’a montré, est aussi bien assuré par le juge
administratif que par le juge judiciaire. Le juge des conflits tend aujourd’hui à concilier le
second et le dernier, sans toutefois totalement occulter le premier. La solution Bergoend
s'inscrit donc dans un mouvement global de simplification, initié par le Tribunal des
conflits en 2011 permettant d'assouplir la procédure des questions préjudicielles. Par souci de
bonne administration de la justice, on permet à l'une et l'autre des juridictions de connaître des
matières qui par nature relèveraient de l'autre juridiction. Pour le régime des questions
préjudicielles, le juge judiciaire peut désormais faire l’économie d’un renvoi lorsqu’il peut
appliquer une « jurisprudence établie » , dans un objectif de « bonne administration de la justice
»; tandis que pour le régime inhérent à la voie de fait le juge administratif ne doit décliner sa
compétence qu’en cas d’atteinte à une liberté individuelle ou d’extinction du droit de propriété.

Ainsi, dans le premier cas la spécialisation de la juridiction administrative est maintenue pour
toute question nouvelle ou non clairement tranchée, mais la bonne administration de la justice
l’emporte le reste du temps. Dans le second cas, la spécialisation du juge judiciaire est précisée
et resserrée autour de son « noyau dur de compétences », afin d’éviter une complexité inutile et
préjudiciable. Les décisions récentes du juge des conflits s'emploient donc à fixer les modalités
de la mise en œuvre du principe de séparation dans des conditions qui ne léseraient pas ou peu
le justiciable, tout en assurant son respect. Bien que les objets nouveaux de la voie de fait soient
certes de nature civile, sa justification pratique a disparu. Alors, si le souci de bonne
administration de la justice doit guider les nouvelles constructions juridiques, la voie de fait ne
devrait-elle pas définitivement mourir ?

B. La compétence du juge judiciaire en matière de propriété privée

En France comme au Gabon, des nombreux textes mentionnent la compétence du juge judiciaire
pour prononcer l’expropriation et fixer l’indemnité :

• La loi n°6/61 du 10 mai 1961 réglementant l’expropriation pour cause d’utilité


publique et instituant servitudes pour exécution de travaux publics (articles 5, 11 et
suivants).
• L’ordonnance n°52/70/ PR du 12 octobre 1970 relative à l’expropriation en cas
d’insuffisances de mise en valeur des parcelles concédées.

105
Il convient d’ailleurs de préciser que le juge administratif gabonais a déjà eu l’occasion de
censuré la violation de textes de loi par les autorités administratives. Il en va ainsi dans la
décision du 6 avril 1979, Compagnie Agricole Forestière dans laquelle la Chambre
administrative prononce l’annulation d’un décret d’expropriation en relevant que « l’autorité
administrative ne pouvait (…) à défaut d’accord amiable se substituer à l’autorité judiciaire
compétente en vertu des articles 5 et suivants du 10 mai 1961 pour prononcer l’expropriation
et fixer l’indemnité » (CACS, 6 avril 1979, Compagnie Agricole Forestière, Rep. n°50).

Pour justifier son incompétence, le juge administratif évoque l’existence des textes particuliers
consacrant une réserve de compétence au profit du juge judiciaire.

Dans une décision du 23 mai 1966 (CACS, 23 mai 1966, SOGERCO), le juge administratif
gabonais considère que: « qu’en l’état de la législation gabonaise, pour assurer l’unité de la
jurisprudence, il est nécessaire de retenir les principes (…) prévus par la loi (française) du 31
décembre 1957… »: à propos des dommages survenus à la suite d’un accident de bac. On le
sait, la loi française du 31 décembre 1957 attribue compétence aux tribunaux judiciaires en
matière de dommages causés par les véhicules. Les dispositions de cette loi seront reprises par
la suite dans la loi gabonaise n°17/70 du 17 décembre 1970 dont l’article 1er dispose que: « les
tribunaux de l’ordre judiciaire sont seuls compétents pour statuer sur toute action en
responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule
quelconque. Cette action sera jugée conformément aux règles de droit civil ».

C. Les litiges relatifs aux réparations de dommages résultants de l’action de la police


judiciaire

Dans un arrêt du 24 mars 1987, Dame Maganga, (CACS, 24 avril 1987, Dame Manganga)le
juge administratif gabonais a jugé à propos d’une femme blessée par une balle tirée par les
agents de la police que: « l’opération déclenchée par les agents de la police de Port-Gentil
tendait à la recherche et à l’arrestation des présumés auteurs d’un crime en vue de les déferrer
aux autorités judiciaires compétentes ; considérant que les litiges relatifs aux réparations des
dommages subis du fait des agents de l’Etat à l’occasion d’une opération relevant, comme dans
le cas présent, de la police judiciaire sont de la compétence des tribunaux de l’ordre
judiciaire ».

En France, (CE, Sect., 11 mai 1951, Consorts Baud: Personne mortellement blessée au cours
d’une opération de police ayant pour objet « d’appréhender des individus signalés comme
faisant partie d’une bande de malfaiteurs »). La police administrative cherche à assurer le

106
maintien de l’ordre public, prévenir et surveiller (TC, 7 juin 1951, Noualek: personne à sa
fenêtre blessée par un coup de feu tiré à l’occasion d’une visite domiciliaire, opération de
maintien de l’ordre non dirigée vers la recherche d’une infraction). Cette distinction emporte
des conséquences contentieuses, le juge administratif étant compétent pour les activités relevant
de la police administrative et le juge judiciaire pour celles incombant à la police judiciaire.

En cas de difficultés, le juge recherche quelle était l’intention de l’agent de police. Par exemple
dans l’arrêt du Tribunal des conflits du 15 juillet 1968 (TC, 15 juillet 1968, Consorts Tayeb),
un officier de police croyait avoir affaire à un délinquant au comportement suspect et tire des
coups de feu. Le juge qualifie l’opération de police judiciaire, même si le suspect s’était avéré
ne pas être l’auteur d’une infraction. Même solution dans l’arrêt du Tribunal de conflits du 5
décembre 1977 (TC, 5 décembre 1977, DlleMotsch) rendu à propos des coups de feu contre
une voiture dont le conducteur avait forcé un barrage de police.

D. Les litiges relatifs au fonctionnement du service public de la justice

Dans le domaine des actes du service public de la justice, le Tribunal des conflits délimite les
compétences des juges administratif et judiciaire en distinguant l’exercice des fonctions
juridictionnelles (juge judiciaire) de l’organisation du service judiciaire (juge administratif).

TC, 22 novembre 1952, Préfet de Guyane: « Considérant que les actes incriminés sont
relatifs non à l'exercice de la fonction juridictionnelle mais à l'organisation même du service
public de la justice ; que l'action des requérants a pour cause le défaut de constitution des
tribunaux de première instance et d'appel dans le ressort de la Guyane, résultant du fait que le
gouvernement n'a pas pourvu effectivement ces juridictions des magistrats qu'elles
comportaient normalement ; qu'elle met en jeu la responsabilité du service public
indépendamment de toute appréciation à porter sur la marche même des services judiciaires ;
qu'il appartient dès lors à la juridiction administrative d'en connaître et que c'est à bon droit
que le préfet a élevé le conflit dans l'instance ».

En application du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires se refuse à


connaître des litiges relatifs à l’exercice de la fonction juridictionnelle. Autrement dit, il ne
relève pas de sa compétence d’apprécier les litiges relatifs au fonctionnement des services
judiciaires (CE, 7 juin 2002, Alandji Raphael c. /Etat Gabonais).

107
Cette incompétence concerne l’ensemble des décisions de justice, de fond ou de procédure. A
propos des litiges relatifs aux dysfonctionnements des tribunaux judiciaires le juge administratif
gabonais a considéré « qu’en vertu du principe de séparation de la séparation des pouvoirs,
tout recours dirigé contre un acte se rattachant au fonctionnement des tribunaux judiciaires
échappe à la compétence du juge administratif ;

Considérant que la non dactylographie du factum et la perte du dossier par un greffier révèlent
un mauvais fonctionnement de la juridiction concernée et échappe (…) à la compétence de la
Cour administrative » (CA. Ass. 27 février 1998, Edzodzomo Ella c. / Ministère de la
Justice).

E. La compétence du juge judiciaire en matière d’interprétation et d’appréciation de


la légalité des actes administratifs

On s’intéresse ici aux mécanismes des questions préjudicielles constituant un obstacle à la


célérité de la justice. Le législateur gabonais n’ayant pas expressément, explicitement traité la
problématique des questions préjudicielles entre les ordres juridictionnels administratifs et
judiciaires, les juges des deux ordres considérés, à propos de l’interprétation et de l’appréciation
de la validité des actes administratifs se tournent notamment vers la jurisprudence française
(TC, 16 juin 1923, Septfonds).

Dès lors, le juge judiciaire a-t-il le pouvoir d’interpréter un acte administratif réglementaire ?

En l’espèce, il s’agissait de l’examen par le juge judiciaire saisi, du sens à donner à un arrêté
interministériel réglementant le transport des marchandises par chemin de fer.

En la matière, un conflit existe entre deux principes :

• Le premier est celui de la séparation entre les deux ordres de juridiction : il pousse
à denier toute compétence au juge judiciaire pour connaître de l’interprétation des actes
administratifs.
• Le second principe est celui en vertu duquel le juge de l’action est juge de
l’exception : il incite, au contraire, à reconnaître au juge judiciaire le pouvoir
d’interprétation des actes administratifs à l’occasion de litiges dont il est compétemment
saisi.

108
La Cour de cassation (24 octobre 1817) suivant les réquisitions du procureur général Merlin,
posa, pour concilier ces exigences contradictoires, la distinction entre les actes administratifs
individuels et les actes réglementaires.

Le Tribunal des conflits a combiné la distinction entre précédente avec celle entre
interprétation des actes administratifs et appréciation de leur légalité. La loi pénale a, en partie,
modifié ces éléments jurisprudentiels à compter du 1er mars 1994.

1. Interprétation des actes administratifs

Les juridictions de l’ordre judiciaire sont toujours compétentes pour interpréter les actes
administratifs réglementaires : c’est la solution de l’arrêt du Tribunal des conflits du 16 juin
1923 (TC, 16 juin 1923, « Sepfonds »). Dans cette décision le juge des Conflits pose le
principe du droit du juge judiciaire à interpréter les actes administratifs à caractère
réglementaire et impose un renvoi pour l’appréciation de la légalité : « si l’arrêté constitue
un acte administratif en raison du caractère des organes dont il émane et si dès lors, à ce titre,
il appartient à la juridiction administrative seule d’en contrôler la légalité, il participe
également du caractère de l’acte législatif, puisqu’il contient des dispositions d’ordre général
et réglementaire, et qu’à ce dernier titre, les tribunaux judiciaires chargés de l’appliquer sont
compétents pour en fixer le sens, s’il se présente une difficulté d’interprétation au cours d’un
litige dont ils sont compétemment saisi ».

En revanche, les juges judiciaires ne pas en principe interpréter les actes administratifs
individuels ainsi que les actes collectifs non réglementaires, sauf lorsqu’est en cause un acte
réglementaire portant atteinte aux libertés individuelles ou au droit de propriété (TC, 30
octobre 1947, « Barinstein »).

Il convient ainsi de distinguer :

• Les juridictions répressives sont toujours compétentes pour interpréter les actes
individuels et réglementaires (article 111-5 du Code pénal) : « le juge de l’action étant
le juge de l’exception ».Précisons aussi que la simplification opérée par l’arrêt du
Tribunal des conflits du 17 octobre 2011 (TC, 17 octobre 2011, « SCEA du
Chéneau ») limitant les renvois préjudicielles s’agissant d’apprécier la validité des
actes administratifs s’applique aussi lorsque se pose un problème d’interprétation d’un
acte réglementaire ou individuel.

109
• Les juridictions civiles ne peuvent pas se livrer à une telle interprétation, sauf dans deux
cas : l’acte administratif à interpréter n’est pas détachable d’un litige principal que la loi
confie au juge judiciaire (TC, 27 octobre 1931, Pannier), l’acte à interpréter est clair
en lui-même (TC, 10 février 1949, Roubaud).
2. Appréciation de la légalité des actes administratifs

Le pouvoir d’appréciation de la légalité d’un acte administratif est plus important que le
précédent puisqu’il peut aboutir à paralyser, priver l’acte de ses effets (s’il est jugé illégal), ce
pouvoir est donc rarement, plus parcimonieusement accordé au juge judiciaire. Dès lors, une
distinction intervient en la matière selon qu’il s’agit des juridictions civiles ou répressives.

• Les juridictions civiles sont normalement incompétentes pour apprécier la légalité d’un
acte administratif réglementaire, sauf si celui-ci porte atteinte « à l’inviolabilité du
domicile privé, et par suite, à la liberté individuelle ainsi qu’au respect dû au droit de
propriété » (TC, 30 octobre 1947, Barinstein); il est toujours incompétent pour les
actes individuels.
• Le juge répressif est toujours compétent pour apprécier la légalité d’un acte
administratif, qu’il soit réglementaire (TC, 5 juillet 1951, Avranches et Desmarets :

« il résulte de la nature de la mission assignée au juge pénal que celui-ci a, en principe,


plénitude de juridiction sur tous les points d’où dépend l’application ou la non application des
peines ») ou individuels (article 111-5du code Pénal). Cette position est justifiée par la
nécessité de ne pas retarder le cours de la justice pénale qui met fin à une longue controverse
jurisprudentielle).

En matière de contrat administratif, les questions sont toujours préjudicielles et doivent être
renvoyées au juge administratif (TC, 16 juin 1997, Société « Les fils de Mme Giraud, Cass.
1er civ. 14 novembre 2006).

Au Gabon, la jurisprudence est constante sur ce point.

On peut à cet égard mentionner l’arrêt Adande (CACS, 26 juin 1963, Adande)

En l’espèce, il s’agissait d’un renvoi du tribunal du travail vers la Chambre administrative de


la Cour suprême en vue de l’appréciation de la validité d’un décret réglementaire. C’est
incontestablement un exemple de l’admission implicite au profit du juge judiciaire d’un pouvoir
d’interprétation des actes réglementaires et de l’appréciation de leur validité lorsqu’ils sont
constitutifs de voie de fait ou d’emprise irrégulière.

110
Il importe de relever qu’en règle générale, le juge judiciaire gabonais a souvent respecté la
compétence exclusive du juge administratif en matière d’interprétation et d’appréciation de la
validité des actes non réglementaires. Précisons aussi que les incidents de procédure soulevés
depuis lors devant le juge judiciaire n’ont quasi exclusivement porté que sur l’appréciation de
la validité des actes administratifs individuels, ce qui exclut en conséquence l’intervention du
juge judiciaire (CACS, 21 mai 1982, Dame Ondeto c./ Cadastre ; CACS, 17 février 1984,
Ndaot c./ Dame Arondo ; CACS 9 décembre 1988, Dame Mpemba).Il en est de même pour
les actes réglementaires non constitutifs d’une voie de fait ou d’une emprise irrégulière (CACS,
26 juin 1963, Adande)

Section 3 : L’intervention directe du juge constitutionnel gabonais en matière


administrative

En quelques années, la Cour constitutionnelle gabonaise est devenue juge du contentieux des
actes réglementaires. Autrement, il existe dans le droit positif gabonais une partie entière du
contentieux administratif réservée au juge constitutionnel gabonais. Cette situation trouverait à
la fois son fondement dans le contenu formel et matériel de l’article 84 al. 1 de la Constitution
du 26 mars 1991 et dans l’interprétation faite par la Cour de cette disposition.

I. Le contenu formel et matériel de l’article 84 al. 1 de la Constitution du 26 mars


1991 avant la dernière révision 82

Aux termes de l’article 84 al. 1 de la Constitution : « la Cour constitutionnelle statue


obligatoirement sur la constitutionnalité (…) des actes réglementaires censés portés atteinte
aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques ». L’analyse de cette
disposition appelle quelques remarques :

• Elle mentionne expressément l’exercice par la Cour constitutionnel d’un « contrôle de


constitutionnalité » et non celui de « légalité ».

Or, cette distinction est essentielle et révèle le champ d’intervention des juridictions
administrative et constitutionnelle : le contrôle de constitutionalité pour le juge constitutionnel
et le contrôle de légalité pour le juge administratif.

82
Loi n°001/2018 du 12 janvier 2018 portant révision de la République Gabonaise

111
En même temps, la frontière entre ces deux contrôles distincts n’est pas très étanche, rigide. En
effet, il est déjà arrivé au Conseil d’Etat français de sanctionner, en l’absence de loi-écran, des
actes administratifs contraires à la Constitution (CE, 26 juin 1959, Syndicat général des
ingénieurs-conseils : à propos du respect du domaine de la loi et du règlement déterminés par
les articles 34 et 37 de la Constitution) ou aux conventions internationales (CE, Ass., 30 mai
1952, Dame Kirwood).

Inversement, en plus du contrôle de constitutionnalité des lois, le juge constitutionnel peut être
admis à exercer un contrôle de constitutionnalité des actes administratifs. Dirigé contre les actes
réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés publiques, ce
contrôle constitue un prolongement et un enrichissement du contrôle de légalité. Ce contrôle
dans ses multiples facettes (recours direct en annulation ou par voie d’exception
d’inconstitutionnalité (article86 al. 1er) fait du juge constitutionnel gabonais le principal
protecteur des droits fondamentaux et des libertés publiques.

II. L’interprétation extensive et contestable de l’article 84 al.1-1 de la Constitution du


26 mars 1991 (avant la dernière révision)

En réalité, la Cour constitutionnelle gabonaise est devenue juge d’attribution du contentieux


des actes administratifs à caractère réglementaire. Deux décisions de la Cour traduisent
parfaitement cet état de droit jurisprudentiel car elles consacrent la compétence exclusive de la
Cour constitutionnelle en matière de « contrôle de la régularité juridique des actes
réglementaires ».

• La décision n°16/CC du 15 septembre 1994 sur la Cour administrative

Dans cette décision, la Haute instance considère « qu’aux termes de l’article 84-1° de la
Constitution, la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité des lois
organiques, des lois ordinaires, avant leur promulgation, et des actes réglementaires censés
porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques ; qu’il
en résulte que le contrôle de la régularité juridique des actes réglementaires relève de la haute
instance ».

En l’espèce, la Cour était appelée à se prononcer sur la conformité à la Constitution de l’article


35 de la loi organique sur la Cour Administrative qui mentionnait la compétence de la haute
juridiction administrative « en matière contentieuse, en premier et dernier ressort, des recours

112
pour excès de pouvoir formés contre les décrets à caractère réglementaire et les actes
administratifs unilatéraux réglementaires ».

• La décision n°144/CC du 28 octobre 2002 sur le Conseil d’Etat

Cette décision reprend le raisonnement de la Cour constitutionnelle de 1994.

En définitive, cette auto-attribution du contentieux des actes réglementaires par le juge


constitutionnel gabonais obscurcit davantage et rend encore plus complexe la répartition des
compétences ou d’attributions juridictionnelles.

113
Chapitre 4: Le service public

La notion de service public fait partie de l’identité française. Elle est actuelle dans le débat
politique où la défense du service public relève des revendications sociales face aux
programmes libéraux mais revêt aussi une importance historique: la théorie du service public a
été formulée pour justifier l’existence de l’Etat et le service public constitue selon le Professeur
Jacques CHEVALLIER « un mythe légitimant »83 de l’intervention de l’Etat. D’ailleurs, le
Professeur Didier TRUCHET relève que la signification du concept de service public varie
selon les circonstances de son emploi: il est devenu un label qui recouvre des réalités juridiques
variées 84.

Au contraire, le statut, le régime du service public semble échapper à toute contingence. En


clair, on ne saurait pas ce qu’est un service public, mais on saurait quelles sont les règles qui
lui sont applicables. Cette situation traumatisante pour l’intellect est également soulignée par
Pierre NICOLAY qui fut vice-président du Conseil d’État, prévient : « Ce n’est pas la modestie
mais la sagesse qui commande de s’abstenir de définir le service public. »4 L’optimisme vient
de la commissaire du gouvernement Célia VEROT : « l’identification des services publics
n’est pas […] entièrement subjective, le service public n’est pas une pure étiquette » -
conclusions sur CE, Sect., 22 février 2007, Association du Personnel Relevant des
Établissements pour Inadaptés (A.P.R.E.I.), n° 264541.

Dans le même esprit, René CHAPUS considère que la notion de service public reste
étroitement liée à celle de l’Administration et partant, à celle de l’Etat. Ainsi, « les services
publics sont la raison d’être de l’administration, qui ne dispose de prorogatives de puissance
publique que pour les assurer au mieux… L’administration n’a de légitimité que et dans la
mesure où ses activités ont le caractère de service public »85. D’après la formule de Léon
DUGUIT la notion de service public désigne « toute activité dont l’accomplissement doit être
assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants, parce que l’accomplissement de cette activité est
indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’elle est
de telle nature qu’elle ne peut être réalisée complètement que par l’intervention de la force

83
CHEVALLIER (J.) « Le service public : du mythe à la réalité », Projet n°188, sept.-oct. 1984, p. 8.
84
TRUCHET (D.), « Nouvelles récentes d’un illustre vieillard : label de service public et statut de service public »,
A.J.D.A. 1982, pp. 427-439.
85
CHAPUS (R.), Droit administratif général, Tome I, Montchrestien, 1998, p. 376.

114
gouvernementale »86. Léon DUGUIT est le premier représentant de ce qu’on a appelé « Ecole
du service public », également connue sous le nom d’« Ecole de Bordeaux ».

Précurseur, « d’une théorie juridique de l’Etat et du droit », de la doctrine du service public,


Léon DUGUIT va appuyer sur l’arrêt Blanco (TC, 8 février 1873, Blanco) qui énonce que «
la responsabilité qui peut incomber à l’Etat pour les dommages causés aux particuliers par le
fait des personnes qu’il emploie dans le service public ne peut être régie par les principes […]
dans le Code civil ». A compter de cette date, une jurisprudence ferme a fait du service public
le critère essentiel du droit administratif. Pourtant ce rôle central de la notion de service public
a décliné, au point d’être remise en cause.

On considère généralement que la notion de service public présente un certain paradoxe. En


effet, si la notion service public joue un rôle central, elle ne bénéficie pas d’une définition
précise, univoque et dispose d’un régime juridique disparate.

Section 1 : La notion de service public

Pour reprendre les termes du Professeur Didier TRUCHET, la définition du service public est
malaisée car «personne n’a jamais réussi à donner du service public une définition
incontestable: le législateur ne s’en est pas soucié, la doctrine ne l’a pas pu, le juge ne l’a pas
voulu »87.

On peut toutefois, retenir la définition suivante : le service public est une activité d’intérêt
général exercée par une personne publique ou par une personne privée sur laquelle
l’administration exerce un certain contrôle et soumise à un régime particulier. Dès lors, le
service public est défini par l’existence de trois éléments :

• une activité d’intérêt général,


• gérée par une personne publique soit directement, soit indirectement par le
truchement d’une personne privée
• et soumise à un régime juridique spécifique, application du droit administratif et
compétence du juge administratif.

86
DUGUIT (L.), Traité de droit constitutionnel, Fontemoing, 2e éd., 1911, p. 71.
87 TRUCHET (D.), in les « Nouvelles récentes d’un illustre vieillard », AJDA, 1982, p. 427-439.

115
I. Une activité d’intérêt général

Le service public concerne une activité, l’exercice d’une activité d’intérêt général. Là encore,
il est malaisé de donner de façon suffisamment claire et précise une définition de ce qu’est
l’intérêt général. On peut seulement relever, la spécificité, la diversité des activités et des
finalités poursuivies.

A. La spécificité de l’activité

On admet généralement que les individus perçoivent ce qui est conforme à leur intérêt
individuel ou particulier, mais un problème se pose dès lors qu’on aborde la question de l’intérêt
collectif ou de l’intérêt général. A la tradition utilitariste, qui présente l’intérêt général comme
la somme ou la combinaison des intérêts particuliers, s’oppose une autre tradition volontariste
qui considère que c’est l’Etat qui est porteur de l’intérêt général.

Dès 1928, le célèbre juriste Léon DUGUIT considère que relève du service public, « toute
activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants, parce
que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement
de l’interdépendance sociale, et qu’elle ne peut être réalisée complètement que par
l’intervention de la force gouvernante »88. Ch. STOFFAES souligne pour sa part que « l’idée
persiste d’un service public caractérisé comme activité d’intérêt général, assumée par une
personne publique ou privée, et soumise pour partie à un régime exorbitant du droit commun
»89.

La jurisprudence considère en effet qu’une activité privée qui concourt à une mission d’intérêt
général relève du juge administratif. Cette conception du service public « va de pair avec une
vision proprement française de l’intérêt général : celle d’un intérêt public transcendant les
intérêts privés, plutôt qu’un intérêt commun immanent aux intérêts particuliers ». Cependant,
la plupart des spécialistes soulignent que cette notion d’intérêt général reste imprécise et
évolutive.

B. La diversité des activités et des finalités du service public

S’il est malaisé de donner une définition de ce qu’est l’intérêt général, on peut seulement relever
la diversité des finalités poursuivies. On sait en effet que certains services publics ont pour

88
LEVEQUE (F.), « Economie de la réglementation », La Découverte, Coll. Repères, 1998.
89
STOFFAES (CH.), Services publics, question d’avenir, Odile Jacob/La documentation française, 1995, p. 53

116
finalité le maintien de l’ordre et la régulation des activités privées (justice, police, lutte
contre l’incendie, réglementation des activités privées confiées aux organismes comme les
ordres professionnels); d’autres ont une finalité sociale (aide sociale, sécurité sociale, emploi),
d’autres ont une vocation éducative et culturelle (enseignement éducation, communication,
culture; d’autres encore sont des services publics industriels et commerciaux électricité,
transports).

En conséquence, des activités ne poursuivant pas un intérêt général ne peuvent pas être
qualifiées de service public (Loto, (CE, 27 octobre 1999, Rolin).

II. Une activité maîtrisée ou prise en charge par une personne publique
A. La nécessité d’une personne publique

Le service public est directement rattaché à une personne publique. L’activité peut être assurée
directement par l’Etat, une collectivité territoriale ou établissement public. Ainsi, un service
public peut être géré :

• En régie directe par la personne publique : par exemple, le service public de la justice
est assuré par l’Etat.
• Par un établissement public : l’établissement public est un service public
institutionnalisé, c’est-à-dire doté d’une personnalité morale de droit public et rattaché
à une collectivité locale ou à l’Etat. Ainsi une université, un hôpital sont établissement
publics.
B. Le rattachement indirect à une personne publique

L’activité de service public peut aussi être confiée à une personne privée tout en restant sous le
contrôle d’une personne publique (CE, 28 juin 1963, Narcy). Cette intervention privée peut
résulter d’une habilitation unilatérale (par la loi ou un acte réglementaire) ou par délégation
contractuelle (l’existence d’un acte de délégation). Concrètement différents cas de figure
peuvent se rencontrer. Un service public peut être géré :

• Par une personne privée par habilitation textuelle

La loi ou le règlement peuvent confier l’exécution d’une mission de service public à une
personne privée. Le principe a notamment été consacré par un arrêt d’Assemblée du Conseil
d’Etat du 13 mai 1938 (CE, Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire aide et protection). A partir
de cette décision, il est admis qu’une personne privée puisse gérer un service public et qu’elle
dispose, à cet effet, des prérogatives attachées à l’exécution d’un tel service. Les ancêtres des

117
caisses de sécurité sociale sont des organismes de droit privé chargés par la loi d’une mission
de service public, la protection sociale. Le service des assurances sociales est un service public,
et sa nature de service public n’est pas affectée par le fait qu’il est confié, notamment, à des
caisses primaires. La personne privée est désormais en mesure de gérer directement un service
public sans qu’il soit besoin d’une intervention préalable d’une collectivité publique.

Les deux sortes de services publics peuvent d’ailleurs se rencontrer : une personne privée peut
gérer

• soit un service public administratif (CE, Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire aide et
protection; CE, 4 mars 1983, Association familiale rurale de circuit et de transport
des élèves de la région de Meslay-du-Maine).
• soit un service public à caractère industriel ou commercial.

L’arrêt du 13 mai 1938 ouvre la voie à une jurisprudence particulièrement abondante.


Elle a laissé place à un foisonnement, parfois vertigineux, d’organismes privés déclarés
gestionnaires d’un service public. En dehors du domaine de sécurité sociale, on peut citer celui
des sports (CE, 25 juin 2001, Société à Objet Sportif Toulouse Football Club, à propos de
la Fédération française de football), le domaine de l’agriculture (CE, 13 janvier 1961,
Magnier), le domaine de l’enseignement (CE, 15 octobre 1982, Mardirossian), de la Banque
(TC, 25 mai 1988, Société G. Mauer), des loisirs (Chasse: TC, 24 septembre, 2002, Bouchot-
Plainchant), celui de télécommunications (France Telecom est une société anonyme investie
par la loi du service public).

• La soumission du service public à un régime de droit public

Le service public, en tout ou partie, est soumis à des règles différentes de celles existant dans
les relations privées (prérogatives de puissance publique).

Section 2 : La dualité de catégories de services publics

La classification des services publics remonte à l’arrêt du Tribunal des conflits du 22 janvier
1921 (TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’ouest africain). Cette décision marque
un bouleversement du droit administratif en faisant surgir, au sein des services publics, à côté
des services qualifiés de services publics administratifs (SPA), la catégorie des services publics
à caractère industriel ou commercial (SPIC). Selon le Commissaire du Gouvernement
MATTER, il arriverait que l’Etat exerce des activités qui doivent être soumise au droit privé,
par opposition à ses activités traditionnelles et régaliennes, lesquelles sont soumises au droit

118
administratif. En quelque sorte, lorsque les personnes publiques agissent comme des
entrepreneurs, elles doivent être soumises au droit commun.

Au Gabon, la loi n°20/2005 du 3 juin 2006 fixant les règles de création, d’organisation et
de gestion des services de l’Etat (article 37) consacre l’existence de quatre catégories de
services publics :

• Les établissements à caractère administratif ;

• Les établissements à caractère professionnel ;

• Les établissements à caractère industriel et commercial ;

• Les établissements publics à caractère culturel, scientifique technologique et


environnemental.

Mais au-delà de leur diversité, ces quatre catégories d’établissements publics sont en réalité
chargées de gérer deux types de services publics : les SPA et les SPIC

I. La distinction des services publics administratifs et des services publics à caractère


industriel ou commercial
Les services publics sont soumis soit à la gestion privée (SPIC), soit à la gestion publique
(SPA).
A. Le mécanisme de la distinction des services publics

Le service à caractère industriel ou commercial est l’une des notions les plus difficiles du droit
administratif. En principe, un service public est un service public administratif (TC, 20
décembre 2006, Société EGTL), par exception ce sera un service public à caractère industriel
ou commercial. La distinction entre les services publics administratifs et les services publics à
caractère industriel ou commercial repose soit sur un critère jurisprudentiel, soit sur une
qualification textuelle.

1. La qualification jurisprudentielle du service public à caractère industriel ou


commercial

En France, le critère jurisprudentiel a été dégagé par un l’arrêt du Conseil d’Etat du 18


novembre 1956 (CE, 18 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques). En
l’absence de toute qualification textuelle, tout service public sera présumé être de nature

119
administrative. La jurisprudence tant administrative que judiciaire, utilise alors un faisceau
d’indices pour déceler la volonté des personnes publiques de créer un service public à caractère
industriel ou commercial.

Dès lors, le juge retient trois critères : un service public est reconnu comme industriel ou
commercial que si, au regard de son objet, de l’origine de ses ressources et de ses modalités
d’organisation et de fonctionnement, il ressemble à une entreprise privée.

Au Gabon, le Conseil d’Etat rappelle la compétence du juge judiciaire en matière de litiges


entre les SPIC et leurs personnels. Dans une décision du 11 janvier 2002 (CE, 11 janvier 2002,
Liamidi c./SNBG), « (…) le Conseil d’Etat observe que le requérant, agent d’un service public
industriel et commercial (…) est régi par les dispositions du droit privé ; que le litige qui lui
oppose à son employeur (…) relève de la compétence du juge judiciaire ».

a) La condition relative à l’objet du service

L’objet du service public doit être économique : production ou vente de biens ou de services,
comparables aux activités privées (TC, 15 janvier 1979, Caisse de crédit municipal de
Toulouse). En d’autres termes, pour être qualifié de service public à caractère industriel ou
commercial, le service accordé aux usagers doit être semblable à celui qui pourrait être accordé
par une personne privée.

b) La condition relative au mode de financement, aux ressources du service

Les ressources du service public à caractère industriel ou commercial doivent provenir, au


moins, en partie, de sommes prélevées sur les usagers ou les bénéficiaires du service (CE, 20
janvier 1988, SCI La Colline). Le service doit puiser l’essentiel de ses ressources dans les
redevances payées par les usagers en contrepartie de la prestation accordée. Autrement dit, le
service doit être financé par le prix payé par les usagers et non par des taxes ou subventions.
Dans ces conditions, la gratuité exclut le service public à caractère industriel ou commercial
(TC, 21 mars 2005, Alberti-Scott).

c) La condition relative aux modalités d’organisation du service

Le mode de gestion et de fonctionnement constitue peut-être le critère le plus décisif. Le service


public à caractère industriel ou commercial est organisé et fonctionne selon le modèle de
direction, de commandement et de rapports humains qui se rencontre habituellement dans les
entreprises privées (CE, 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques).
Le service public à caractère industriel ou commercial doit se rapprocher au maximum des
120
conditions rencontrées dans les entreprises privées. Il existe des indices qui permettent d’écarter
le caractère industriel ou commercial : le monopole, la gratuité, la soumission aux règles de la
comptabilité publique.

2. Le caractère cumulatif des critères jurisprudentiels de reconnaissance du service


public à caractère industriel ou commercial

Lorsque les trois conditions de reconnaissance d’un service public à caractère industriel ou
commercial ne sont pas réunies, le droit commun administratif reprend son empire. En d’autres
termes, le service public est un service public administratif (TC, 22 novembre 1993,
Martinucci).

B. Les conséquences juridiques de la distinction des SPA et SPIC

Il convient de retenir la distinction suivante : le droit applicable aux services publics


administratifs (SPA) est principalement, essentiellement le droit administratif (les rapports d’un
service public administratif avec ses usagers, son personnel et les tiers sont en principe régis
par le droit public) alors que le droit applicable aux services publics à caractère industriel ou
commercial (SPIC) est principalement le droit privé (droit civil, commercial). Cela signifie
que le contentieux des (SPA) relève principalement du juge administratif et que le contentieux
des (SPIC) est principalement judiciaire.

Autrement dit, en matière des services publics à caractère industriel ou commercial, le principe
est la soumission au droit privé. Cela concerne les litiges portant sur :

• Les actes unilatéraux des SPIC

A l’exception de ceux qui, à la fois sont pris en vertu d’une prérogative de puissance publique
sur habilitation expresse des statuts ou de la loi et pour l’organisation de l’ensemble du service
(TC, 15 janvier 1968, Compagnie Air France c. / Epoux Barbier).

• Les contrats :

Sauf s’ils remplissent les conditions exigées pour qu’un contrat soit administratif, et ne sont pas
passés avec les usagers (TC, 24 mai 2005, Société régionale de distribution d’eau).

121
• Le personnel :

Sauf deux agents : le directeur général du SPIC (CE, 26 janvier 1923, de Robert Lafrégeyre;
TC 15 janvier 2007, Lacroix) et le comptable en chef, s’il est comptable public ;

• La responsabilité extracontractuelle du SPIC :

Si le dommage, à la fois, est un dommage de travaux publics et a été causé à un tiers (TC, 2
mars 1987, Compagnie La Lutèce c. / EDF ; TC, 1er juillet 2002, Labrosse c. / GDF).

• Les usagers du SPIC :

Ils sont en vertu d’un « bloc de compétence » dans un rapport de pur droit privé (CE, 20 janvier
1988, SCI La Colline ; CE, 4 novembre 2005, Ville de Dijon) et sont soumis au code de la
consommation (CE, 11 juillet 2001, Société des Eaux du Nord).

II. Les qualifications textuelles du service public à caractère industriel ou commercial

Le critère jurisprudentiel de reconnaissance d’un service public à caractère industriel ou


commercial ne vaut que dans le silence de la loi. Si le législateur a qualifié expressément un
service public à caractère industriel ou commercial, le juge s’incline et ne peut requalifier le
service public ainsi créé. En revanche, pour les qualifications instituées par voie réglementaire,
le juge recherche si elles sont conformes à la nature du service.

Au Gabon des nombreux services publics n’ont rien avoir avec la souveraineté, ils permettent
la mise en œuvre de la politique du gouvernement. Par ailleurs, on est confronté à la lisibilité
des textes relatifs à la création des agences.

Certaines de ces agences sont directement rattachées à la Présidence de la République (ANGT,


AGEOS). Le 29 janvier 2015 en Conseil de ministres, est créée l’Agence nationale des grands
travaux et d’infrastructures (ANGTI). Cette agence est issue d’une fusion entre deux structures
l’Agence nationale des grands travaux (ANGT) et le fonds routier (FR). Elle a pour mission
d’exécuter la politique publique en matière de grands travaux d’infrastructures et de mettre en
œuvre le schéma directeur national d’infrastructures.

D’autres agences continuent d’avoir une tutelle technique de certains ministères. Par exemple,
le décret du 27 janvier 2011 portant création et organisation de l’ANINF (Agence nationale des
infrastructures numériques et des fréquences) dont l’article 2 prévoit que ce service est un
service public administratif. C’est également le cas de l’ordonnance n°02/2010 du 25 février
2010 portant création de l’Agence gabonaise d’étude et d’observation spéciale (AGEOS)

122
qui prévoit que cette agence est un établissement public à caractère scientifique, technologique
et environnemental. On peut également citer l’ordonnance n°15/2010 du 25 février 2010
portant création et organisation de l’Institut gabonais de l’image et du son (IGIS).
L’ordonnance n°17/2010 du 25 février 2010 portant création et attribution de l’autorité
de régulation ferroviaire (ARTF).

Toutes ces agences s’inscrivent dans le cadre de la gestion rationnelle des moyens alloués par
l’Etat. Elles ont vocation à exécuter correctement et efficacement sur le terrain les projets de
l’Etat.

III. Rejet des services publics sociaux

Dans un arrêt du 22 janvier 1955 (TC, 22 janvier 1955, Naliato), le Tribunal des Conflits se
prononce sur l’accident survenu au jeune Naliato dans la colonie de vacances organisée par
l’Etat, où il séjournait. Le juge des conflits procède à la création d’une nouvelle catégorie
juridique de service public, le service public social, en considérant que cette colonie fonctionne
exactement comme une colonie (privée mais elle poursuit un but d’intérêt social ce qui n’est
pas le cas de toute les colonies privées). Selon le juge, les services publics sociaux, sont
caractérisés par le « but d’intérêt social » que visent les collectivités publiques.

Cette notion, d’abord apparue dans les secteurs des colonies de vacances, fut ensuite étendue à
d’autres domaines (TC, 13 janvier 1958, Dlle Berry, à propos d’une œuvre sociale au profit
d’enfants réfugiés). L’idée du juge était d’isoler ces services en raison des traits particuliers
affectant les activités à caractère social. Le but d’intérêt conduisait à y voir des services publics
normalement soumis au juge judiciaire dans la mesure où l’organisation et le fonctionnement
de ces services ne se distinguent pas « juridiquement des organisations similaires relevant de
personnes ou institutions de droit privé ». L’idée de base qui sous-tend la création de ces
services se heurte à un obstacle insurmontable, elle ne présente guère d’intérêt pratique ou
juridique et fait surgir des nombreuses difficultés. Ou bien ces services sont purement et
simplement assimilables aux activités des personnes privées et il y a lieu d’appliquer le droit
privé ; ou bien ils sont entièrement administratifs et doivent être rangés dans la catégorie des
(SPA); ou bien, enfin, ils sont hybrides et ne se distinguent point des SPIC. Il n’existe ni de
juge ni droit spécifiques pour le service public social. On comprend que les deux ordres de
juridiction n’ont pas manifesté aucun empressement à suivre le Tribunal des conflits, c’est le
moins que l’on puisse dire. Le Tribunal des Conflits s’est finalement résolu à enterrer la «
funeste jurisprudence Naliato ». Dans un arrêt du 4 juillet 1983, (TC, 4 juillet 1983, Gambini

123
C. / Ville de Puteaux), le Tribunal des Conflits considère qu’un « service public social géré
par une personne publique est présumée de façon irréfragable ne pas fonctionner dans les
mêmes conditions qu’une activité privée similaire ». Il s’ensuit que le service « social » est,
normalement, un service public administratif, sauf s’il ne fait naître avec ses adhérents ou ses
usagers que des rapports de droit privé (CE, 5 février 1954, Association El Hamidia).

Section 3 : Le régime juridique des services publics

Les règles applicables aux services publics s’analysent selon le déroulement de l’existence : la
création et la suppression des services publics.

I. La création et la suppression des services publics


La création et la suppression des services publics relèvent de la compétence des personnes
publiques qui doivent néanmoins respecter les principes du droit de la concurrence.
A. Les titulaires du pouvoir de création des services publics

En principe, la création de services publics est un pouvoir réservé aux personnes publiques.
Mais les règles différent selon les personnes publiques concernées. En tout état de cause deux
principes semblent conditionner la légalité de la création du service public par la puissance
publique: le respect du principe de spécialité et celui du droit de la concurrence.

L’Etat dispose d’une compétence discrétionnaire pour créer les services publics. Le principe de
spécialité ne s’applique pas à l’Etat mais certaines limitations s’imposent à lui. En France, il en
va ainsi des interdictions fondées sur l’article 1er de la Constitution. Il doit respecter les
transferts de compétence auxquels il a procédé au profit des collectivités territoriales. Depuis
la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, s’ajoute à cela le principe de subsidiarité (article
72 de la Constitution).

Concernant la compétence pour créer des services publics de l’État, il faut distinguer la situation
avant 1958 et depuis 1958. Avant 1958, c’était toujours le législateur qui était compétent pour
créer un service public. Depuis 1958, on applique la distinction des articles 34 et 37 de la
Constitution. L’article 34 prévoit la compétence du législateur pour les services publics de la
défense, de l’enseignement et de la sécurité sociale. Dans les autres cas, il devrait s’agir de
services publics règlementaires. L’article 34 dispose que le législateur est compétent lorsqu’il
s’agit des libertés. Or, la création d’un service public heurte certaines libertés, telles que la
liberté du commerce et de l’industrie. Sous cet angle, la compétence appartient au législateur.

124
Lorsqu’on dit que l’Etat a une compétence discrétionnaire, il faut noter que certains services
publics sont obligatoires en vertu de la loi. C’est le cas des services publics constitutionnels,
régaliens (défense, affaires étrangères police, justice, monnaie) et ceux du Préambule de 1946
(Enseignement, Santé, Aide et Sécurité Sociale).

Le principe de spécialité s’impose aux collectivités territoriales et aux établissements publics.


Le service public local sera créé par un acte de l’organe délibérant de la collectivité territoriale.
Les collectivités territoriales ne peuvent créer des services publics uniquement que pour la
satisfaction des besoins locaux.

Mais il faut distinguer le cas des services publics obligatoires et celui des services publics
facultatifs.

• Les services publics obligatoires sont ceux qui correspondent aux compétences
déléguées par les grandes lois de décentralisation.
• Les services publics facultatifs sont beaucoup plus variés. Les collectivités
territoriales se fondent sur la clause générale de compétences.

Il y a une assez grande latitude d’action lorsque l’objectif pour la personne publique est de
satisfaire ses propres besoins ou lorsque ces activités sont le prolongement d’un service public
reconnu. Ainsi les résidences universitaires sont le prolongement du service public de
l’enseignement supérieur. On parle alors de « socialisme municipal » pour évoquer la tendance
des communes à développer de plus en plus d’activités en affirmant qu’il s’agissait de services
publics. Le problème est que cette tendance heurte la liberté du commerce et de l’industrie.

En ce qui concerne les établissements publics, la création des services publics doit
nécessairement être au moins compatible avec leur mission première. En principe, les
établissements publics ne constituent que des modes de gestion des services publics. Seulement,
il arrive qu’un établissement public auquel une collectivité territoriale ou l’État a confié un
service public crée lui-même, par l’intermédiaire de son organe délibérant, des services publics
dérivés. Ces services publics dérivés vont heurter et devront respecter le principe de spécialité.
Un établissement public est créé pour remplir une mission précise et il doit la respecter (CE,
avis 1994, EDF-GDF : les établissements publics sont autorisés à développer des activités
économiques annexes à leur mission statutaire principale à deux conditions :

• ces activités annexes doivent constituer le complément normal de la mission


statutaire principale.

125
• ces activités annexes doivent être d’intérêt général et directement utile à
l’établissement public.
B. La mise en œuvre du pouvoir de création des services publics

Deux principes conditionnent la légalité de la création du service public par la puissance


publique : le respect du principe de spécialité et celui du droit de la concurrence.

1. L’approche traditionnelle du respect du principe de la liberté du commerce et de


l’industrie

Pendant longtemps, la création des services publics été strictement cantonnée, encadrée par le
juge. Au nom du principe de la liberté du commerce et de l’industrie issu de l’article 7 de la
loi portant suppression de tous les droits d’aides, de toutes les maîtrises et jurandes et
établissement des droits de patente, des 2-17 mars 1791 (Décret d’Allarde), l’intervention
des personnes publiques sur un marché concurrentiel était conditionnée par la carence ou
l’insuffisance de l’initiative privée.

À cet égard, le Conseil d’État a graduellement établi que la création des services publics locaux
devait être motivée par l’existence « des circonstances exceptionnelles »90 , c'est-à-dire « des
événements aussi graves que la guerre »91 , ou encore par l’existence des « circonstances
particulières de temps et de lieu »92 . Dans un arrêt de Section du 30 mai 1930, (CE, Sect., 30
mai 1960, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers du 30 mai 1930), le Conseil
d’État pose le principe selon lequel « les entreprises ayant un caractère commercial restent, en
règle générale, réservées à l’initiative privée et que les conseils municipaux ne peuvent ériger
des entreprises de cette nature en services publics communaux que si, en raison de
circonstances particulières de temps ou de lieu, un intérêt général justifie leur intervention »93.
En l’espèce, il n’est pas exagéré d’affirmer que le juge administratif adopte une approche plutôt
restrictive du critère de la carence ou de l’insuffisance de l’initiative privée. De toute évidence,
ce souci de protection du marché s’inscrit dans la tradition libérale suivant laquelle les sphères
politique et économique doivent être clairement séparées. Alain-Serge MESCHERIAKOFF

90
CE, Sect., 29 mars 1901, Casanova, Rec., p.333 ; S. 1901, p. 373, note HAURIOU.
91
DELVOLVE (P.), GENEVOIS (B.), Commentaire sous CE, Sect., 30 mai 1930, Chambre syndicale du
commerce en détail de Nevers, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 15e édition, Dalloz, Paris,
2005.
92
CE, Sect., 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détaille de Nevers, Rec., 583 ; S. 1931, p. 373,
Concl., JOSSE, note ALIBERT.
93
Ibid.

126
remarque affirme à juste titre qu’« il ne fallait pas qu’avec leurs prérogatives de puissance
publique, les personnes publiques viennent perturber la libre initiative des particuliers »94.

Si le juge administratif reste très attaché au principe de la liberté du commerce et de l’industrie,


celui-ci a paradoxalement contribué au développement du phénomène du « Socialisme
municipal ». En effet, l'interprétation extensive des critères traditionnels de la carence ou de
l’insuffisance de l’initiative privée par le juge administratif a favorisé la création de nombreux
services publics dans des domaines relevant traditionnellement de l’initiative privée. Force est
de constater que le Conseil d’État propose une approche pragmatique de la notion de carence
ou de défaillance de l’initiative privée. Il s’ensuit que la carence de l’initiative privée peut être
qualitative ou quantitative. Par exemple, dans l’hypothèse de la carence ou la défaillance
quantitative de l’initiative privée, le Conseil d’État a considéré que la création et l’exploitation
d’un camping par une commune répondaient à un intérêt public communal parce que « pendant
la saison balnéaire, le nombre des estivants désirant camper à Merville-Francheville était
chaque année de plus en plus important et que les campings ouverts par des sociétés privées ne
comportaient pas de places suffisantes pour faire face à leurs besoins »95 . Il a également estimé
que l’intervention des collectivités territoriales dans le domaine économique peut être justifiée
par la défaillance qualitative de l’initiative privée. Il ainsi jugé que la création d’un cabinet
dentaire municipal en raison des prix élevés des praticiens privés 96 . De même, les juges du
Palais-Royal ont estimé qu’« en créant une piscine pour améliorer l’équipement de la ville, le
conseil municipal use des pouvoirs qu’il tient de la loi. Le principe de la liberté du commerce
et de l’industrie ne peut pas faire obstacle à une intervention municipale en de domaine »97 .

Précisons aussi que l’assouplissement des conditions de l’intervention des personnes publiques
dans la sphère économique a évolué quasiment en concomitance avec l’émergence des services
publics industriels et commerciaux. Mais, il importe uniquement de s’attarder instant sur
l’importance historique des lois de décentralisation dans la structuration de la territorialisation
de l’action publique économique. En ce sens, il est utile de rappeler que la loi n°82-213 du 2
mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions

94
MESCHERIAKOFF (A.-S.), Droit public économique, Paris, PUF, « Droit fondamental », 2e édition, 1996,
p.43.
95
CE, 17 avril 1964, Commune de Merville-Francheville, Rec., p. 231 ; AJDA, 1964, p. 288, chron., FOURRE et
PUYBASSET
96
CE, Sect., 20 novembre 1964, Ville de Nanterre, Rec., p. 563 ; AJDA, 1964, p. 686, chron. PUYBASSET et
PUISSOCHET
97
CE, Sect., 23 juin 1972, Société La plage de la forêt, req. n°81486 : Lebon, p. 477 ; AJDA, 1972, I, p. 452 et II,
p. 462

127
autorise expressément les collectivités territoriales et leurs groupements à intervenir en
matière économique. Son article 5 dispose que « sous réserve du respect du principe de la
liberté du commerce et de l’industrie, du principe d’égalité des citoyens devant la loi ainsi que
les règles de l’aménagement du territoire définies par la loi approuvant le Plan, la commune
peut intervenir en matière économique et sociale dans les conditions prévues au présent
article.(…) »98 . Cette loi prévoit la même chose pour les départements. Quant aux
établissements publics régionaux, ils devront « contribuer au développement économique,
sociale et culturel de la région ». Dans le même esprit, l’article 1er de la loi 83-8 du 7 janvier
1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les
régions précise que ces entités infra-étatiques décentralisées règlent par leurs délibérations les
affaires d’intérêt local et « à ce titre, elles concourent avec l’État à l’administration et à
l’aménagement du territoire, au développement économique, social et culturel, ainsi qu’à la
protection de l’environnement et à l’amélioration du cadre de vie ». Cette dynamique positive
a été renforcée par la loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à
l’organisation décentralisée de la République qui reconnaît la valeur constitutionnelle du
principe de l’autonomie financière des collectivités territoriales. En application de l’article 72
de la Constitution « les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent
disposer librement dans les conditions fixées par la loi. Elles peuvent recevoir tout ou partie
du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le
taux dans les limites qu’elle détermine. Les recettes fiscales et les autres ressources propres
des collectivités territoriales représentent pour chaque catégorie de collectivités, une part
déterminante de l’ensemble de leurs ressources ».

2. Une question renouvelée par l’émergence du droit de la concurrence

Le développement du droit de la concurrence semble faire évoluer l’approche traditionnelle de


la liberté du commerce et de l’industrie. En effet, le principe de la liberté du commerce et de
l’industrie et les règles du droit de la concurrence deviennent des éléments du bloc de légalité
administrative. « Gardien administratif de la légalité », le Conseil d’État a procédé à une
extension du bloc de légalité administrative en précisant les modalités de l'interventionnisme
économique des personnes publiques est soumis au respect des principes de liberté du
commerce et de l'industrie et des règles de concurrence. Le juge administratif établit clairement

98
Article 5 de la loi n°82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des
régions, JO du 3 mars 1982, p. 730

128
une distinction99 entre les actes indispensables à la réalisation des missions de service public,
qui en raison de leur nature, échappent à l’application des règles et des principes de la
concurrence et les interventions économiques des personnes publiques qui sont soumises « tant
au respect de la liberté du commerce et de l’industrie que du droit de la concurrence » tant
interne que communautaire.

Le droit de la concurrence s'applique aux personnes publiques dans les limites prévues par la
législation nationale, les textes communautaires et dans les conditions fixées par la
jurisprudence administrative et communautaire. A en croire l’avis du Conseil d’Etat du 8
novembre 2000 (CE, Avis 8 novembre 2000, Jean Louis Consultants), les contrats de marché
public ou de délégation de service public passés entre deux personnes publiques sont soumis au
respect des règles de la concurrence. Le Conseil d’Etat a même jugé que tous les actes
administratifs, y compris les mesures de police, doivent « prendre en compte la liberté du
commerce et de l’industrie et les règles de concurrence » (CE, Ass., 22 novembre 2000,
Société L et P Publicité). Il y aurait donc désormais une égalité entre personnes publiques et
privées, sous réserve du respect de la libre concurrence. L’action économique publique se
heurte à la réglementation communautaire relative aux aides publiques aux entreprises et
marchés publics. Ainsi, l’octroi des compensations de service public versées aux entreprises
chargées de la gestion des services d’intérêt économique général est également subordonné aux
respect des règles communautaires de la concurrence.

Dans son rapport public 2002 intitulé « Collectivités publiques et concurrence », le Conseil
d’Etat souligne qu’« au-delà de la technicité des questions qu’elle conduit à évoquer, la
confrontation des concepts de concurrence et de collectivités publiques amène à un constat
simple: la concurrence est une composante de l’intérêt général qu’il appartient aux collectivités
publiques de protéger et, le cas échéant, de cantonner, dans leur mission de mise en œuvre des
droits fondamentaux ». Dans le même esprit, le juge constitutionnel a rappelé « le principe
constitutionnel d’égalité d’accès à la commande publique » (Décision n° 6 décembre 2001, 29
août 2002, 26 juin 2003). A cela, il faut ajouter la loi « Sapin » du 29 janvier 2003 relative à
la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures
publiques.

99
CE, Ass., 31 mai 2006, Ordre des Avocats au Barreau de Paris.

129
II. La diversité dans la gestion des services publics

Le service public peut être géré dans des cadres juridiques différents. Cela renvoie au problème
des modes de gestion des services publics. Mais, au-delà de leur diversité, ces modes de gestion
le service public obéit à quelques grands principes de gestion.

A. La diversité des modes de gestion des services publics

Sauf si la loi dispose autrement, l’autorité administrative apprécier les modalités de gestion
d’un service public. Concrètement plusieurs cas de figures peuvent se rencontrer :

1. La régie directe

Dans la régie la gestion du service public est assurée par une personne publique. Il s’agit du
mode traditionnel de gestion des services publics et notamment de certains services comme
ceux correspondant aux activités régaliennes. Par exemple, le service public de la justice est
assuré par l’Etat. Il existe des formes particulières de régies :

• La régie intéressée : la gestion du service est confiée à une personne privée qui est
intéressée financièrement à l'exploitation qui se fait néanmoins au nom de la personne
publique.
• La régie personnalisée où les organes du service public sont dotés de la personnalité
juridique.
2. L’établissement public : Il s’agit d’un service public institutionnalisé, doté de la
personnalité morale de droit public et rattaché à une collectivité locale ou l’Etat. Ainsi,
une université, un hôpital sont des établissements publics.
3. La délégation de service public

L’administration peut confier par contrat à une autre personne l’exécution d’un service public.
Il s’agit d’un contrat dont « la rémunération est substantiellement assurée par les résultats
de l’exploitation d’un service public ». La délégation de service public peut être une
concession, un affermage ou une régie intéressée. Beaucoup d’autoroutes, de transports en
commun, de services de distribution d’eau, sont assurés par délégation contractuelle. La
délégation de service public doit être distinguée des marchés publics c’est-à-dire des « contrats
conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l’article 2 et des opérateurs
économiques publics ou privés pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de
fournitures ou de services ». Il existe ainsi, dans l’ordonnancement juridique français, trois
catégories de marchés publics. Les délégations de service public doivent également être

130
distinguées de la subvention qui constitue « une contribution financière de la personne publique
à une opération justifiée par l’intérêt général, mais qui est initiée et menée par un tiers. Il
s’agira d’une subvention si l’initiative du projet vient de l’organisme bénéficiaire et si aucune
contrepartie directe (ou équivalente) n’est attendue par la personne publique du versement de
la contribution financière (…) ».

B. La diversité des lois du service public

Tous les services publics sont régis par des principes mis en lumière par le Professeur Louis
Rolland dans l’entre-deux-guerres. Dans la continuité des travaux de DUGUIT, Louis
ROLLAND a, dans ses cours entre 1934 et 1946, cherché à systématiser, synthétiser ce qui lui
apparaissait constituer le « noyau de principes qui s’imposent à tout service public », les grands
principes communs à toutes les activités de service public. Il s’agit des « lois de Rolland ».
Elles ont vocation à former un corps de règles communes à tous les services publics et, d'une
certaine façon, à préciser le régime juridique qui leur est applicable. Sont ainsi formulés par la
doctrine publiciste les principes de continuité, d'adaptation, d'égalité et de gratuité. Toutefois,
le principe de gratuité ne peut pas être retenu, ne serai-ce que parce qu’un des éléments
d’identification des services publics à caractère industriel ou commercial est la perception d’une
redevance. Quant aux services publics administratifs, nombreux sont ceux qui demandent à
l’usager de participer au financement de la prestation (frais d’inscription à l’université, à une
bibliothèque ou à une piscine municipale…). Si certains services publics administratifs sont
gratuits, c’est en vertu de dispositions législatives (école, état civil, justice).

Evoquer les « lois du service public aujourd'hui » c'est donc s'attacher aux règles de
fonctionnement qui régissent les services publics actuels. Dès lors, il convient de relever que la
permanence des principes traditionnels du service public s'accompagne d'une prise en compte
de nouvelles considérations.

1. La permanence des principes du service public

Les principes de continuité, d'adaptation, d'égalité sont toujours les principes qui commandent,
régissent le fonctionnement actuel des services publics et certains d’entre eux ont même été
revalorisés.

a) Le principe d’égalité devant le service public

Le principe d’égalité devant les services publics est la conséquence du principe d’égalité devant
la loi. Il a des fondements textuels solides (art. 1er de la Déclaration des droits de l'homme

131
et du citoyen); il est aussi consacré en tant que principe général du droit par le juge administratif
(CE, Sect., 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire). Dans cette décision, la
formule utilisée par le juge est très large : l’égalité régit le « fonctionnement du service public
». Ainsi, le principe d’égalité renvoie par exemple à l’égalité fiscale qui découle indéniablement
de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes
duquel « la contribution commune (…) doit être également repartie entre tous les citoyens, en
raison de leurs facultés ». Le principe constitutionnel de l’égalité peut aussi prendre la forme
de l’égalité devant la loi. Celui-ci découle non seulement de l’article 1er de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui établit que « les hommes naissent et demeurent
libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité
commune », mais aussi l’article 6 du même texte qui prévoit que « la loi est l’expression de la
volonté générale. Tous les Citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs
représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle
punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités,
places et emplois publics, selon leur capacité, et sans distinction que celle de leurs vertus et de
leurs talents ».

Erigée au rang d’un principe général du droit, l’égalité devant le service public n’est qu’un cas
particulier d’illustration du principe constitutionnel d’égalité. Dans sa décision n°73-51 DC
du 27 décembre 1973, loi de finances pour 1974, le Conseil constitutionnel se réfère
expressément pour la première fois « au principe d’égalité devant la loi contenu dans la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et solennellement réaffirmé par le
préambule de la Constitution ».

Il faut dire que dans cette décision, le juge constitutionnel consacre la valeur constitutionnelle
du principe d’égalité de tous les citoyens et intègre par la même occasion la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789 dans le « bloc de constitutionnalité ».

Caractérisée par son importante plasticité pratique et évolutive, le d’égalité devant les services
publics présente diverses déclinaisons. L'égalité d'accès au service public est encore aujourd'hui
reconnue; qu'il s'agisse de l'accès aux concours (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel et autres) ou
aux services publics proprement dits (CE, Sect., 9 mars 1951, Société des concerts du
conservatoire). En clair, toute personne, usager, collaborateur ou encore candidat doit être
placée dans une position égale à l'égard du service public. Personne ne doit bénéficier d'un
avantage particulier ou subir une discrimination injustifiée.

132
Il est aussi intéressant de souligner que les juges constitutionnel et administratif proposent une
lecture, une interprétation renouvelée de l’idée d’égalité. Dans cette perspective, en même
temps qu’il précise qu’« à situations semblables il soit fait application des solutions semblables
», il indique à l’inverse que « des situations différentes ne puissent faire l’objet de solutions
différentes » ou encore que « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce qu’à des situations
différentes puissent être appliquées des règles différentes ». Il s’ensuit que des différences de
traitement peuvent être acceptées si elles sont fondées sur des différences de situation
appréciables entre usagers ou justifiée par l'intérêt général en rapport avec les conditions
d’exploitation du service ou de l’ouvrage (CE, Sect., 10 mai 1974, Denoyez et Chorques).

En outre, il convient de relever que le principe d’égalité devant les services publics a pour
corollaire le principe de neutralité du service, qui interdit de prendre en considération les
convictions politiques ou religieuses des usagers ou des agents du service. Il s’apparente aussi
au principe de laïcité, qui interdit au service d’afficher une orientation religieuse quelconque.
Autrement dit, la laïcité est comprise dans l'exigence traditionnelle de neutralité du service
public. Ainsi, un agent du service public est soumis à une obligation de réserve et de neutralité
(CE, Sect., 11 janvier 1935, Bouzanquet) qui se traduira notamment, par l'obligation de ne
pas porter de signes religieux ostentatoires. Cette obligation se distingue des nombreuses et
diverses obligations de nature professionnelle auxquelles les agents publics peuvent être
astreints dans l’exercice de leurs fonctions (CE, 29 décembre 2000, Syndicat du Sud
Travail)

Enfin, il est tout aussi utile de noter que tous ces principes ont été rappelés tout récemment,
dans le cadre scolaire, à propos de « l’affaire des foulards islamiques ». En ce domaine, la
jurisprudence extrêmement nuancée. Cela s’explique par le fait qu’on est en présence de
principes très contradictoires: principe de neutralité et liberté de conscience. Le port de signes
religieux est possible dans le service de l’enseignement sauf dans un certain nombre de cas: en
cas de prosélytisme, en cas d’atteinte à la santé ou à la sécurité, lorsque ce port de signe religieux
porte atteinte au déroulement normal des enseignement, en cas d’atteinte à la dignité ou à la
liberté de l’élève, enfin, lorsque le port de signe religieux entraîne un risque de trouble à l’ordre
dans l’établissement. Le Conseil d’Etat a jugé que le port de foulards par des élèves musulmanes
n’était pas en soi incompatible avec la laïcité du service dès lors qu’une telle manifestation ne
troublait pas l’ordre public, ne perturbait pas le bon déroulement des enseignements et ne
marquait pas une volonté de prosélytisme (CE, Avis, 27 novembre 1989 ; CE, 2 novembre
1992, Kherroua). En revanche, le principe de laïcité s’oppose à ce qu’une surveillante de

133
cantine scolaire puisse manifester par un foulard ses convictions religieuses (CE, avis, 3 mai
2000, Delle Marteaux). La laïcité sera analysée plus en détail plus loin. De même, des
dispenses d’assiduité motivées par des raisons religieuses peuvent être accordées dans la mesure
où elles sont compatibles avec l’organisation des études et le respect de l’ordre public dans
l’établissement (CE, Ass., 1995, Koen et consistoire central des Israélites de France).

Par ailleurs, une réflexion a été lancée sur le sujet. Elle a abouti à l’adoption de la loi de 2004
qui interdit le port de signe ostensible dans les établissements publics d’enseignement.

b) Le principe de continuité du service public

Ce principe impose le fonctionnement ponctuel et régulier du service public. C’est le but


d’intérêt général qui justifie ce principe. Toutefois, cette exigence s’apprécie différemment
selon l’objet du service public. Certains services publics doivent être permanents (services
d’urgences hospitalières, lutte contre l’incendie, police, armée…), d’autres se satisfont d’une
couverture encadrée par la réglementation. Ainsi, peut se poser la question de la conciliation
avec le droit de grève. Le principe de continuité du service public a valeur constitutionnel selon
le Conseil constitutionnel (Décision n°79-105 du 25 juillet 1979, Droit de grève à la
télévision et à la radio). Jusqu’à la Constitution de 1946, le droit de grève n’était pas reconnu
aux agents des services publics (CE, 7 août 1909, Winkell). Par la suite, le préambule de la
Constitution de 1946 énonce que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le
réglementent ». Désormais, il s’agit d’un principe général du droit (CE, 13 juin 1980,
Bonjean).

En l’absence de législation d’ensemble sur l’exercice du droit de grève, le Conseil d’Etat a pris
acte du fait que la grève est désormais licite mais a rappelé qu’elle ne doit pas être contraire aux
exigences de l’ordre public et conduire à instaurer un « Etat à éclipse » (CE, Ass., 7 juillet
1950 Dehaene). Le Conseil d’Etat considère que c’est au législateur d’intervenir en ce domaine,
mais c’est pour constater aussitôt la carence législative, une incurie législative. La formulation
du texte constitutionnel impose au législateur d’intervenir, en raison de la nécessité de
sauvegarder les intérêts nationaux, dont le principe de continuité des services publics. Dès lors,
en l’absence de dispositions législatives, il incombe « au gouvernement et à chaque autorité
fonctionnelle », pour son propre service, de réglementer le droit de grève, de fixer la nature et
l’étendue des limitations de ce droit. Le juge administratif pose ainsi quelques principes
généraux et reconnaît la compétence des chefs de service pour éventuellement réglementer ce
droit. Cette solution sera maintes fois rappelée (CE, 8 novembre 2002, Société

134
TiscaliTélecom). Elle est même retenue dans des termes similaires par le Conseil
constitutionnel (Décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979, Droit de grève à la télévision et à
la radio). Pour le Conseil constitutionnel, deux principes de valeur constitutionnelle sont en jeu
: le droit de grève et le principe de continuité (Décision n°2004-501 DC du 5 août 2004,
Service public de l’électricité et du Gaz).

Par ailleurs, il convient de relever que si la solution de l’arrêt Dehaene se justifie pratiquement,
elle aboutit à un résultat curieux: une compétence accordée au pouvoir réglementaire alors que
la Constitution habilite expressément le législateur. En effet, si pour le Conseil d’Etat, comme
pour le Conseil constitutionnel, c’est le législateur, en vertu du texte même de la Constitution,
qu’il revient d’opérer techniquement la conciliation du droit de grève et de la continuité du
service public, les deux juridictions divergent sur la mise en œuvre effective du texte
constitutionnel. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel a réaffirmé à plusieurs reprises qu’il
appartient « au seul législateur » de réglementer le droit de grève (Décision n°80-117 DC du
22 juillet 1980 ; Décision n°82-144 DC du 22 octobre 1982), mais le Conseil d’Etat maintient
intacte la solution Dehaene (CE, 18 janvier 1980, Syndicat CFDT des P. et T. du Haut-Rhin
; CE, 17 mars 1997, Hotz et autres).

Au-delà, il est régulièrement question dans le débat politique d’instaurer par voie législative un
service minimum dans les services publics de transports en commun (SNCF, RATP), afin de
concilier droit de grève et continuité du service public.

c) Le principe de mutabilité ou d’adaptation du service public

Le principe d'adaptation ou de mutabilité repose sur une idée traditionnelle selon laquelle les
administrés n'ont aucun droit au maintien d'un service public mais peuvent toutefois poursuivre
le « bon fonctionnement » de ces services. La création ou la suppression d'un service public
national relève plutôt de la compétence du législateur. Pour les services publics locaux, le
pouvoir réglementaire local (d'exécution des lois) pourra supprimer ou créer des services
publics facultatifs prévus par des lois.

Il s’ensuit que le service public doit fournir des prestations adaptées aux besoins. Il doit donc
tenir compte des modifications juridiques techniques et économiques. Au début du XXe siècle,
le passage de l'éclairage public au gaz à un éclairage public électrique a provoqué de nombreux
contentieux (CE, 10 janvier 1902 Compagnie nouvelle du gaz de Deville-lès-Rouen). Le
principe d'adaptation des services publics va alors déboucher sur la théorie de la mutabilité
générale des contrats administratifs. Dans une décision du 21 mars 1910 (CE, 21 mars 1910,

135
Compagnie générale française de tramways), le Conseil d’Etat relève qu’existe « pour
l’administration le droit, non seulement d’approuver les horaires des trains au point de vue de
la sécurité et de la commodité de la circulation, mais encore de prescrire les modifications et
les additions nécessaires pour assurer, dans l’intérêt du public, la marche normale du service
». Le fondement de ce droit de modification unilatérale réside dans le pouvoir de
l’administration, conformément au principe de mutabilité des services publics, de faire varier
la consistance, le contenu, la forme et la durée des clauses contractuelles en fonction des
variations de l’intérêt général en vue d’assurer leur adéquation à cet effet.

Enfin, seules des considérations strictement tirées de l’intérêt général peuvent justifier le
recours par l’administration à son pouvoir de modification unilatérale, à défaut, la modification
serait illégale. Le principe de mutabilité recouvre alors l’idée de fonctionnement efficace du
service. Il s’agit d’adapter le service public afin d’être performant.

2. Le renouvellement ou la reformulation des lois du service public

Les lois du service public sont toujours applicables, mais dans leur portée elles ont
progressivement évolué. En d’autres termes, des nombreuses considérations semblent traverser
actuellement le droit des services publics en stimulant l’émergence de nouveaux principes
communs à tous ces services. L’examen des facteurs de renouvellement des « lois du service
public » permet de mieux percevoir leur contenu.

Les facteurs de renouvellement des « lois du service public » sont essentiellement de deux
ordres : le droit communautaire qui repose sur des considérations de libre concurrence et, de
manière plus générale, le développement des « droits des citoyens ».

• Le développement du droit communautaire

En étant fondé sur des principes de libre concurrence, de libre circulation… le droit
communautaire (qui prime la loi nationale) a évidemment été considéré comme une menace
pour de nombreux services publics (surtout ceux gérés en monopoles).

La menace était réelle mais la « conception française » des services publics (si tant est qu'elle
ait une réelle existence) n'a pas été bouleversée. Un exemple aura trait à la reconnaissance, par
le droit communautaire, du « service d'intérêt économique général » auquel des aides peuvent
être, dans certaines hypothèses, apportées par les Etats (article 86 et 87 du Traité sur l'Union
Européenne). Certes, la notion de « service d'intérêt économique général » semble plus
136
restrictive que celle de « service public » mais on considère aujourd'hui que « le noyau dur »
des services publics français et de leur mode de fonctionnement- n'est pas remis en cause. Un
renouvellement des sources du droit des services publics est cependant constaté. Le droit
communautaire n'est pas étranger à cette évolution. Ainsi, le droit de la concurrence est
désormais pris en compte dans le droit des services publics ainsi que le droit de la
consommation.

• Le développement des « droits du citoyen » dans ses relations avec administration

Le service public a-t-il changé de destinataire ? Pendant longtemps, les « administrés », ont été
considérés comme des usagers parfois qualifiés de « consommateurs » voire de « clients ».
Aujourd’hui, ils sont en relation avec ces services. La mutation n'est évidemment pas
uniquement sémantique. Les premières étapes de cette consécration des droits des usagers sont
: la loi du 17 juillet 1978sur l'accès aux documents administratifs ainsi que celle du 11
janvier 1979 sur la motivation des actes administratifs. De même, la loi du 12 avril 2000
relative « aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration » participe de
cette même idée : une meilleure transparence et efficacité du service public.

3. L’émergence des nouvelles « lois du service public »


a) Le principe d’égale concurrence

Après avoir, en principe, refusé aux personnes publiques qu'elles puissent concurrencer des
activités relevant de personnes privées (CE, Sect., 29 mars 1901, Casanova) ; s'agissant de la
création par une commune d'un service médical), le juge administratif a nuancé cette
interdiction. En 1930, dans l'arrêt Chambre syndicale de commerce de Nevers (CE, Sect., 30
mai 1930, Chambre syndicale de commerce de Nevers), le Conseil d'Etat accepte que des
personnes publiques interviennent dans des activités où une carence ou une insuffisance,
défaillance de l'initiative privée est constatée. Cette position permettra la création de très
nombreux services publics locaux (piscines, bibliothèques, cinémas municipaux)

Aujourd'hui, après avoir intégré dans les sources de la légalité le droit de la concurrence, le juge
administratif a précisé que lorsqu'une personne publique gère une activité économique ou
souhaite candidater à un marché public, elle est soumise à un principe d'égale concurrence (CE,
2000, Blanchisseries de Pantin). Ainsi, une activité d'une personne publique, même qualifiée
de service public, ne doit pas créer de distorsion entre les différents acteurs d'un même « marché
». Les éventuels avantages fiscaux de certains services publics, ou des aides financières
apportées par l'Etat, peuvent ainsi être rediscutés si l'activité en cause est déjà concurrentielle

137
(et donc exercée par d'autres personnes notamment privées). Tel est l'exemple actuel des
télécommunications.

b) Les principes d’efficacité et de transparence

La transparence dans la gestion des services publics a déjà été consacrée. La loi du 12 avril
2000 a davantage concrétisé le droit d'accès des usagers aux documents administratifs
(compétences étendues de la Commission d'accès CADA et la redéfinition simplifiée des «
documents communicables »). Ce souci de transparence se manifeste évidemment dans le droit
des marchés publics et dans la réglementation des délégations de service public. En la matière,
la loi « Sapin » de 1993, a réellement mis en place un système où la concurrence et la
transparence dans la gestion de nombreuses activités de services publics sont garanties (aux
futurs cocontractants de l’administration souhaitant gérer une activité de service public ainsi «
déléguée ». Plus généralement, l'efficacité dans la gestion des services publics est autant un but
économique, un principe politique que, progressivement, une « loi du service public ». La mise
en place de comptabilités d'exercice, de gestion des dépenses par « missions » et objectifs
répond à cette recherche. De toute évidence, l'aboutissement de l'entreprise de codification des
textes applicables aux services publics et, surtout, la mise en place de ce qu'on appelle les «
téléprocédures » permettront d'encore mieux consolider ces principes d'efficacité et de
transparence.

On note alors une permanence des « lois du service public » et une réelle prise en compte des
nouvelles exigences de la société : elles sont donc elles-mêmes soumises au principe
d'adaptation.

Section 3 : La remise en cause du service public

D’une façon générale, la notion de service public est définie comme une activité d’intérêt
général, assurée par une personne publique au moyen de procédés exorbitants du doit commun.
Cette définition renvoie donc à trois éléments

• Un élément organique c’est à dire un ensemble de moyens qu’une personne


publique affecte à une tâche
• Un élément matériel : des activités du type prestation qui sont développées dans
un but d’intérêt général.
• Un élément d’ordre juridique : l’existence d’un régime de droit public.

138
Il est évident aujourd’hui que le service public n’est plus critère pertinent, décisif du droit
administratif. Ceci apparaît très clairement dans la décision consacrant la compétence
constitutionnelle du juge administratif qui retient comme critère du droit administratif, « les
décisions prises dans l’exercice des prérogatives de puissance publique » (Décision n°86-224
DC, 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence).

Il convient successivement de relever que ces différents critères ont été remis en cause à une
époque ancienne par la jurisprudence interne et à une époque plus récente par les
développements du droit européen.

I. La remise en cause du service public comme critère nécessaire du droit


administratif
La remise en cause de la notion de service public est d’une certaine manière liée à l’influence
du droit de l’Union européenne. Plus précisément est en cause la confrontation du « service
public à la française », facteur de cohésion sociale, à la notion de service d’intérêt économique
général qui est issue des traités.
A. L’introduction du droit privé dans les services publics
• La dichotomie de la notion service public (SPA/SPIC) vient obscurcir la ligne de
partage entre droit administratif et droit civil.

Dans une décision du 22 janvier1921 (TC, 22 janvier 1921 Société commerciale de l’Ouest
africain), le Tribunal des Conflits a reconnu l’existence d’une nouvelle catégorie de services
publics : les services publics à caractère industriel ou commercial (SPIC).

En l’occurrence, la colonie de Côte d’Ivoire exploitait un bac qui coula au fond de la lagune
d’Ebrié. Dans cette affaire, le Tribunal des Conflits « estime que la colonie exploite un service
de transport dans les mêmes conditions qu’un industriel ordinaire ». Dans ces conditions le
juge judiciaire est compétent et le droit privé s’applique. Par la suite, le Conseil d’Etat va
dégager trois critères (CE, Ass., 16 nov. 1956 « Union syndicale des industries
aéronautiques »): l'objet du service public, l’origine des ressources, les modalités de
fonctionnement.

• Les services publics sociaux

Dans un arrêt du 21 janvier 1955 (TC, 21 janvier 1955, Naliato), le Tribunal des conflits
consacre une nouvelle catégorie juridique de service public, le service public social, soumise

139
au droit privé. Mais, elle devait définitivement disparaître avec l’arrêt du 4 juillet 1983(TC, 4
juillet 1983, Gambini c. / Ville de Puteaux).

B. La gestion des services publics par des personnes privées

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat va admettre que des personnes privées puissent être
investies de prérogatives de puissance publique en l’occurrence le droit d’expropriation (CE,
Ass., 20 décembre 1935 Etablissements Vézia). En admettant qu’un service d’intérêt public
correspondant à la satisfaction de certains besoins généraux essentiels devait bénéficier des
prérogatives de puissance publique, le Conseil d’Etat « amorçait la dissociation entre le service
public entendu comme une institution… et le service public entendu comme une mission ».

Dans ces conditions, il a pu admettre quelques années plus tard qu’une personne privée puisse,
en dehors de tout contrat de concession, par la simple soumission partielle à un régime de droit
public, gérer un service public (CE, Ass., 13 mai 1938 Caisse primaire aide et protection).
Dans le prolongement de cette jurisprudence, de nombreuses catégories de personnes privées
se verront reconnaître la même possibilité (CE, 31 juillet 1942 Montpeurt, CE, 2 avril 1943
Bouguen, CE 5 mai 1944 Compagnie maritime de l’Afrique orientale, CE 13 janv. 1961
Magnier, etc.).

II. La remise en cause du service public par le droit européen

Le droit européen ignore la notion de service public, il ne connaît que des « services d’intérêt
général », dont le noyau dur est constitué par la « notion de service universel ».

A. La notion de service d’intérêt général

Le droit de l’Union européenne n’emploie pas le terme de service public mais celui de services
d’intérêt économique général (SIEG). Cette notion est utilisée pour justifier des dérogations à
l’interdiction des monopoles (CJCE, 19 mai 1993, Corbeau). Peuvent être considérés comme
des services d’intérêt général et économique des « activités de service, marchands ou non,
considérées d’intérêt général par les autorités publiques et soumises pour cette raison à des
obligations de service public ». Il s’agit alors des activités de service marchand remplissant des
missions d’intérêt général et soumises de ce fait à des obligations spécifiques de services
publics. En conséquence, seuls les services d’intérêt général marchand ou économique sont

140
soumis aux règles de la concurrence sans toutefois qu’elles puissent les empêcher d’accomplir
leur mission (CJCE 27 avril 1994 Commune d’Almélo).

Aux termes de l’article 36 de la Charte des droits fondamentaux : « l’Union reconnaît et


respecte l’accès aux services d’intérêt économique général … afin de promouvoir la cohésion
sociale et territoriale… ».

B. La notion de service universel

Le droit communautaire a importé des Etats-Unis la notion de service universel. Cette notion
est comprise comme « le noyau dur des exigences d’intérêt général ». Il s’agit d’un « service
de base offert à tous dans l’ensemble de la Communauté à des conditions tarifaires abordables
et avec un niveau de qualité standard », raisonnable (service universel des télécommunications
(loi du 26 juillet 1996), de la Poste (lois du 25 juin 1999 et du 20 mai 2005). Dès lors, le
service universel inclurait un minimum de principes de gestion commun à tous les services
d’intérêt général marchand ou non.

141
Chapitre 5 : La police administrative

Le terme police revêt plusieurs sens :

• Au sens organique, il fait référence aux forces de l’ordre qui se répartissent au sein de
l’Etat, entre la gendarmerie (force militaire) et la police nationale.

A côté, il existe une organisation municipale (gardes champêtres et agents de police


municipale); leur statut pose un certain nombre de problèmes, en raison du risque de
concurrence avec les forces de l’Etat.

• Au sens matériel, le terme police désigne la compétence reconnue à certaines autorités


publiques de prendre des décisions juridiques pour maintenir l’ordre public.

Traditionnellement, la police administrative se définit comme l'activité visant à assurer le


maintien de l'ordre public. Cette définition est bien simpliste voire laconique, imprécise.

• La définition fait référence à une notion abstraite, celle de l'ordre public.


• Elle ne fait pas apparaître ce qui fait la spécificité de la police administrative.

La question est de savoir qui peut prendre de telles mesures ? Quelles mesures peuvent être
prises et dans quel but ? Il s’agit bien évidemment de questions essentielles dans un Etat de
droit. Pour y répondre, il convient d’analyser successivement la notion de police administrative,
les finalités de la mesure de police et les autorités de police administrative et le contrôle
juridictionnel exercé sur les mesures prises.

Section 1 : La notion de police administrative

L’examen des catégories variées de police et de ses différents titulaires permet de mieux cerner
la notion.

I. Les catégories de police

La police administrative est une activité administrative qui a pour objet de protéger ou de
restaurer l’ordre public. Mais, il existe différentes activités de police qu’il faut distinguer.

142
A. Police administrative et police judiciaire

Il est important de distinguer ces deux sortes de police pour des raisons liées à la compétence
juridictionnelle. En principe le critère de distinction de ces deux types de police est simple. Il
est relatif aux fins poursuivies. Toutefois, dans certaines opérations relativement complexes le
critère peut être d’une utilisation délicate.

1. Les finalités de la police administrative

La police administrative a un but : la protection, à titre préventif de l’ordre public.

a) La protection de l’ordre public

Les autorités de police administrative doivent intervenir pour la protection de l’ordre public. Il
s’agit d’un objectif de valeur constitutionnelle (Décision n°82-141 DC du 27 juillet 1982,
Communication audiovisuelle et la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité
quotidienne a qualifié la sécurité de droit fondamental.

La notion d’ordre public repose sur la défense de diverses finalités, fixées par les textes. Comme
l’intérêt général, l’ordre public, par son contenu évolutif et variable, incarne le reflet d’un
certain consensus social, à un moment donné. La notion d’ordre public est prévue à l’article 6
du Code civil : « on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois et règlements
qui intéressent l’ordre public ». Autrement dit, l’ordre public désigne l’ensemble des règles
impératives auxquelles les individus ne peuvent déroger ni dans leurs conventions ni dans leurs
comportements.

En vertu de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales : « la police


municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».
L’ordre public en droit administratif est donc normalement un ordre matériel et extérieur 100,
selon la formule de Maurice HAURIOU, et correspond à la trilogie: sécurité, tranquillité,
salubrité publiques consacrée par la loi municipale du 4 avril 1884 et actuellement reprise par
l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales. Il s’agit bien d’un ordre
matériel et non moral.

100
« L’ordre public, au sens de la police, est l’ordre matériel et extérieur considéré comme un état de fait opposé
au désordre, l’état de paix opposé à l’état de trouble…(La police) ne pourchasse pas les désordres moraux, elle
est pour cela radicalement incompétente : si elle l’essayait, elle verserait immédiatement dans l’inquisition et
l’oppression des consciences à cause de la lourdeur de son mécanisme », Maurice HAURIOU, Précis de droit
administratif.

143
• Exemple d’atteinte à la sécurité : immeuble menaçant ruine qu’il faut évacuer et
consolider, route dangereuse qu’il faut signaler.
• Exemple d’atteinte à la tranquillité : interdiction de tondre la pelouse le dimanche ;
limitation du volume sonore des véhicules à moteur, déviation du passage d’une
manifestation.
• Exemple d’atteinte à la salubrité : interdiction de déposer les ordures dans la journée
dans les sacs plastiques et obligation d’utiliser des bennes à ordures ; interdiction de
rejets polluants dans les cours d’eau, interdiction des baignades sur les plages polluées.

Dans tous ces cas de figure, les autorités de police administrative peuvent réglementer une
situation de nature à porter atteinte à l’ordre public ainsi défini et limiter les libertés en imposant
une attitude, un comportement aux administrés.

2. L’extension de la notion d’ordre public

Mais la notion d’ordre public n’est pas figée et limitée aux troubles matériels et extérieurs. Elle
peut aussi prendre en compte certains éléments plus immatériels et intimes. Ainsi, la question
se pose de savoir si les autorités de police peuvent, par exemple, interdire certains
comportements au nom de la protection de la moralité publique.

Exemple : si la présence des prostituées dans un quartier est de nature à troubler la tranquillité
publique (en provoquant des attroupements ou des embouteillages), elle peut être interdite. Mais
l’autorité de police peut-elle interdire la présence de prostituées en l’absence de troubles à la
tranquillité et seulement parce que cette activité est jugée immorale ?

Il faut dire que pendant longtemps, la jurisprudence n’avait retenu qu’une conception matérielle
de l’ordre public. Toutefois, certaines solutions ont atténué le principe.

Ainsi, dans un arrêt de Section du 18 décembre 1959 (CE, Sect., 18 décembre 1959, Société
Les Films Lutétia), le Conseil d’Etat a reconnu la possibilité pour un maire d’interdire un film
sur le territoire de la commune en raison de son immoralité si la projection du film, au regard
de circonstances locales particulières, était susceptible de troubler l’ordre public. Comme
exemple de « circonstances locales particulières », le Conseil d’Etat admettait la présence de
nombreux lycées de jeunes filles ou bien de nombreux croyants dans un village de pèlerinage.
De même, dans un arrêt1du 19 juin 1974 (CE, 19 juin 1974, Broutin), le Conseil d’Etat
relevait que le maire tient de ses pouvoirs de police le droit de contrôler les dénominations de

144
toutes les voies et d’interdire toutes celles qui seraient contraires à l’ordre public et aux bonnes
mœurs.

Il convient de souligner que la doctrine était partagée sur cette insertion de la moralité publique
au sein de la notion d’ordre public, mais la controverse n’avait pas d’ampleur particulière
jusqu’en 1995, avec l’affaire « du lancer de nain ». Dans un arrêt d’Assemblée du 27 octobre
1995, (CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge et Aix-en-Provence),
saisi de la question de savoir si une activité exercée en discothèque pouvait être interdite en
raison de son goût douteux, mais en l’absence de troubles matériels à l’ordre public, le Conseil
d’Etat affirme alors que « le respect de la dignité humaine est une des composantes de l’ordre
public, l’autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l’absence de
circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porterait atteinte à la dignité
de la personne humaine ».

Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de la décision du Conseil constitutionnel reconnaissant au


principe du respect de la dignité de la personne humaine une valeur constitutionnelle (Décision
n°94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative
au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale
à la procréation et au diagnostic prénatal). Il faut aussi noter la consécration par le Conseil
d’Etat d’un principe général du droit relatif au respect de la personne humaine même après sa
mort (C.E. Ass., 2 juillet 1993, Milhaud). En 2008, la Haute juridiction a repris ce principe à
propos du respect dû aux dépouilles de soldats (CE, 26 novembre 2008, Syndicat mixte de la
Vallée de l'Oise). En revanche, dans cette dernière décision, le juge administratif a refusé
d’intégrer dans le principe du respect de la dignité humaine l’exigence du devoir de mémoire,
considérant probablement qu’il s’agit là plus d’une exigence morale que juridique.

La décision de 1995 (CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge et Aix-


en-Provence) pose deux principes :

• L’insertion du respect de la dignité de la personne humaine comme une


composante de l’ordre public.

Ainsi, à côté de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publique, la dignité de la personne


humaine constitue le 4e pilier de la notion d’ordre public.

• L’abandon du critère de « circonstances locales particulières » en matière de


respect de la dignité de la personne humaine.

145
Toutefois, les arrêts semblent nuancer cette solution. Dans un arrêt du 8 décembre 1997 (CE, 8
décembre 1997, Commune d’Arcueil), le Conseil d’Etat considère que seules des
circonstances locales particulières peuvent permettre au maire d’interdire l’affichage
publicitaire en faveur des messageries roses. Il rejette ainsi l’argument tiré de l’atteinte à la
dignité de la personne humaine. Le Conseil d’Etat retient la même solution dans un arrêt
Commune de Taverny (CE, 1996, Commune de Taverny), rendu à propos de l’interdiction
de la diffusion des tracts publicitaires. Le Conseil d’Etat semble donc prudent et peu désireux
de consacrer une sorte d’ordre moral trop attentatoire aux libertés.

b) Le caractère préventif de la police administrative

La police administrative doit être nécessairement distinguée de la police judiciaire qui tend elle
aussi d'une autre façon à la garantie de l'ordre public. Il convient alors d’envisager la police
administrative comme l'activité qui vise à assurer le maintien de l'ordre public sans toutefois
rechercher et poursuivre les auteurs d'infraction car cela relève de la compétence des autorités
de police judiciaire. Il s’ensuit que l’action de la police administrative est plutôt de nature
préventive, celle de la police judiciaire plutôt de nature répressive101. L’intérêt de la
distinction est évident : la police administrative relève d’un régime juridique et contentieux
de droit administratif, alors que la police judiciaire relève du juge judiciaire.

La jurisprudence relative à la distinction entre police administrative et police judiciaire est


nuancée et complexe, et se fonde pour l’essentiel sur un critère finaliste : la police judiciaire
intervient lorsqu’une infraction a été commise et orientée vers la répression pénale. Il s’agit
d’identifier les auteurs d’une infraction et de réunir les preuves afin de permettre l’action pénale
(CE, Sect., 11 mai 1951, Consorts Baud : Personne mortellement blessée au cours d’une
opération de police ayant pour objet « d’appréhender des individus signalés comme faisant
partie d’une bande de malfaiteurs »). La police administrative cherche à assurer le maintien
de l’ordre public, prévenir et surveiller (TC, 7 juin 1951, Noualek: personne à sa fenêtre
blessée par un coup de feu tiré à l’occasion d’une visite domiciliaire, opération de maintien
de l’ordre non dirigée vers la recherche d’une infraction). Cette distinction emporte des
conséquences contentieuses, le juge administratif étant compétent pour les activités relevant de
la police administrative et le juge judiciaire pour celles incombant à la police judiciaire.

101
Décision n°2005-532 DC du 19 juin 2006 (article 14 du code de procédure pénale qui définit les buts de la
police judiciaire : constatation des infractions, recherche des épreuves et des coupables, exécution des ordres du
juge d’instruction).

146
Dans un arrêt du 24 mars 1987, Dame Maganga, (CACS, 24 avril 1987, Dame Manganga) le
juge administratif gabonais a jugé à propos d’une femme blessée par une balle tirée par les
agents de la police que: « l’opération déclenchée par les agents de la police de Port-Gentil
tendait à la recherche et à l’arrestation des présumés auteurs d’un crime en vue de les déferrer
aux autorités judiciaires compétentes ; considérant que les litiges relatifs aux réparations des
dommages subis du fait des agents de l’Etat à l’occasion d’une opération relevant, comme dans
le cas présent, de la police judiciaire sont de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire
» (rejet pour incompétence).

En cas de difficultés, le juge recherche quelle était l’intention de l’agent de police. Par exemple
dans l’arrêt du Tribunal des conflits du 15 juillet 1968 (TC, 15 juillet 1968, Consorts Tayeb),
un officier de police croyait avoir affaire à un délinquant au comportement suspect et tire des
coups de feu. Le juge qualifie l’opération de police judiciaire, même si le suspect s’était avéré
ne pas être l’auteur d’une infraction. Même solution dans l’arrêt du Tribunal de conflits du 5
décembre 1977 (TC, 5 décembre 1977, Demoiselle Motsch) rendu à propos des coups de feu
contre une voiture dont le conducteur avait forcé un barrage de police.

Pour comprendre l'essence même de l'activité de police administrative, il faut repartir de la


distinction posée par Charles EISENMANN entre les fonctions de l'Administration. Il existe
donc une distinction, pour ne pas dire une summa divisio entre la fonction de prestation à
laquelle se rattache le service public et la fonction normative, à laquelle se rattache la police
administrative.

• La police administrative agit par voie de prescriptions : il s’agit d’interdire, de


soumettre à autorisation, de réglementer.
• Le service public agit par voie de prestation : il s’agit de fournir certains biens et
services.

Selon Charles EISENMANN, la fonction normative et la fonction de prestation


constituent les deux fonctions sociales de l’Administration 102. Cette distinction a le mérite
de la clarté. Mais elle pêche par son manichéisme conceptuel. Les deux fonctions sont, en fait,
étroitement liées. La fonction de prestation est remplie dans le cadre d'une réglementation.

B. Police administrative générale et police administrative spéciale

102EISENMANN (C.), Cours de droit administratif professé à l’École nationale des Ponts et Chaussées, Éditions
Eyrolles, 1976.

147
1. Les autorités de police administrative

Les titulaires du pouvoir de police administrative sont toujours des représentants d'une personne
publique. La jurisprudence refuse en effet qu'on puisse confier un tel pouvoir à une personne
privée. En d’autres termes, la police administrative est une activité de service public qui ne peut
faire l’objet de délégation à une personne privée (ainsi en matière de stationnement si
l'exploitation du stationnement payant souterrain et en surface peut être déléguée, la convention
de délégation ne peut prévoir mettre à la disposition du délégataire les agents municipaux
chargés de constater les infractions (CE, 1er avril 1994, Commune de Menton), l’exercice de
la police municipale et notamment en vue de la sécurité sur les voies publiques ne peut être
déléguée (CE, 29 décembre 1997, Commune d'Ostricourt ) comme l’exercice d’une police
spéciale (celle des installations classées par exemple (CE, 8 mars 1985, Les amis de la terre)

En application des articles L.2212 et suivants du Code général des collectivités territoriales,
la police administrative générale est principalement exercée au nom :

• de l’Etat par le Premier ministre et le préfet.

Dans arrêt du 8 août 1919 (CE, 8 août 1919, Labonne), le Conseil d’Etat reconnaît un pouvoir
réglementaire de police au Chef de l’Etat en considérant qu’« il appartient au chef de l’Etat,
en dehors de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer
celles des mesures de police qui doivent être appliquées sur l’ensemble du territoire ».
Autrement dit, le Conseil d’Etat consacre au profit du chef de l’Etat un pouvoir de police
administrative générale à l’échelon national. En fait, pour parvenir à cette solution, le juge
administratif semble s’être basé sur la loi constitutionnelle du 25 Février 1875 qui prévoit en
son article 3: « le Président de la République … surveille et assure l’exécution des lois ». La
Haute juridiction a déduit de cet article qu’il incombait au chef de l’Etat d’assurer tant
l’exécution des lois prises individuellement que, plus généralement, le respect de l’ordre public
sans le lequel l’exécution des lois dans leur ensemble ne serait pas possible.

Cette jurisprudence relative aux pouvoirs propres en matière de police a été confirmée par la
suite sous les Quatrième et Cinquième Républiques (CE, Ass, 13 mai 1960, SARL Restaurant
Nicolas ; CE, 2 mai 1973, Association cultuelle des Israélites nord-africains de Paris) mais
le bénéficiaire des pouvoirs est devenu le Premier ministre, et non le président de la République.

148
Le Conseil constitutionnel a considéré que « l'article 34 de la Constitution « n’a pas retiré au
chef du gouvernement les attributions de police générale qu'il exerçait antérieurement en vertu
de ses pouvoirs propres » (Décision n° DC du 20 février 1987, Code rural).

Ainsi, sous la Constitution du 4 Octobre 1958, c’est le chef du Gouvernement qui est chargé
d’assurer le maintien de l’ordre public au niveau national. Ce pouvoir s’exerce, comme par le
passé, en exécution d’une loi déterminée, ou en l’absence de loi. Mais, dans la seconde
hypothèse, des différences existent avec les deux régimes antérieurs. En effet lorsque le Premier
ministre intervient dans une matière qui lui est réservé par l’article 37 de la Constitution, les
règlements adoptés sont dits autonomes et sont théoriquement protégés des incursions du
pouvoir législatif par le texte constitutionnel lui-même (article 41 de la Constitution), ce qui
n’était pas le cas par le passé. Autre particularité par rapport à la IV e République, le chef de
l’Etat est associé à l’exercice de ce pouvoir de police lorsqu’il signe les décrets délibérés en
Conseil des ministres. Il dispose, par ailleurs, d’un pouvoir de police propre lorsqu’il décide de
recourir à l’article 16 de la Constitution. Notons, enfin que, comme par le passé, les ministres
ne disposent pas, en principe, du pouvoir règlementaire et qu’il faut un texte pour qu’ils puissent
exercer un tel pouvoir. Dès lors, le ministre de l’Intérieur, dont relève les personnels de police
d’Etat, ne saurait édicter une mesure de police à portée nationale sans habilitation du chef de
l’Etat ou du Gouvernement.

• de la commune par le maire

Le pouvoir de « police municipale » fait du maire le gardien de l'ordre public local. Au nom de
la commune, il peut prendre toutes les mesures qui sont de nature à préserver la tranquillité, la
sécurité, la salubrité ou la moralité publiques. En conséquence, il peut interdire les réunions
susceptibles de troubler l'ordre publie (CE, Ass., 19 mai 1933, Benjamin) ou réglementer
l’usage en plein air d’outils à moteur tels que les tondeuses à gazon (CE, 2 juillet 1997, Bricq),
il exerce la police de la circulation sur les routes communales (article L. 2212-2 CGCT), ainsi
que sur les sections de routes départementales ou nationales situées à l'intérieur des
agglomérations (article L. 2213-1 CGCT).

Quant aux polices administratives spéciales, elles s’appliquent à certaines catégories


d’administrés (nomades, étrangers) ou certaines activités chasse, jeux, affichage). Elles existent
qu’en vertu de textes spéciaux qui désignent leur titulaire. A titre d’exemple, le Ministre de
l’Intérieur et le préfet sont compétents en matière de police des étrangers, le ministre des
transports pour la police des chemins de fer etc.…

149
2. Les concours de police

L’expression « concours de police » désigne l’utilisation simultanée de deux polices pour régir
une même situation. Il peut s’agit du concours de deux polices administratives générales ou du
concours de la police administrative générale avec une police administrative spéciale.

a) Concours entre deux polices administratives générales

Dans ce cas, le préfet peut se substituer au maire en cas d’inaction ce dernier et après mise en
demeure restée sans résultat. De même, les autorités locales de police conservent le pouvoir de
particulariser les mesures générales des autorités de police étatique : les autorités locales, et
notamment les maires, peuvent qu’ajouter aux mesures prises en les rendant plus
contraignantes. Ainsi, dans un arrêt du 18 avril (CE, 18 avril 1902, Maire de Néris-Les-
Bains), le Conseil d’Etat était amené à répondre à la question suivante : le maire pouvait-il aller
plus loin que le préfet en édictant, au lieu d’une interdiction partielle, une interdiction totale ?
En d’autres termes, la question posée était de savoir si le maire pouvait intervenir sur un même
objet et dans le même ressort territorial, alors que le préfet était déjà intervenu. A cette question,
la Haute juridiction administrative répond positivement en considérant que « si l'art. 99 autorise
le préfet à faire des règlements de police municipale pour toutes les communes du département
ou pour plusieurs d'entre elles, aucune disposition n'interdit au maire d'une commune de
prendre sur le même objet et pour sa commune, par des motifs propres à cette localité, des
mesures plus rigoureuses ». Dans cette affaire, le préfet avait interdit les jeux d’argent dans
tous les lieux publics, sauf dans les villes thermales. Par la suite, le maire de Néris-les-Bains
reprit la même interdiction, mais sans prévoir de dérogation. Le Conseil d’Etat fixe alors la
règle selon laquelle l’exercice par le représentant de l’Etat de son pouvoir de police
administrative générale n’exclue par l’intervention du maire, autorité de police administrative
générale dans la commune. Toutefois, il faut noter que la Haute juridiction administrative
n’admet ce concours de police administrative que dans le sens de l’aggravation. Cela signifie
que l’autorité inférieure ne peut intervenir que pour prendre une mesure plus sévère, et cette
aggravation doit être justifiée par des circonstances locales particulières.

Il en va ainsi lorsqu’un maire décide de limiter la circulation à 30 Km/h dans une rue de la
commune, au lieu de 50 km/h comme le prévoit le code de la route. En d’autres termes,
l’autorité de police géographiquement la plus étroite peut aggraver une mesure de police prise
par l’autorité de police générale ayant une compétence géographique plus large, à condition que
des circonstances locales justifient cette aggravation. Autrement dit, bien que le maire fût une

150
autorité administrative inférieure au préfet, il pouvait aggraver la mesure de police générale du
préfet. L’autorité subornée peut toujours aggraver la mesure de police prise par l’autorité
supérieure, en revanche, elle ne peut jamais atténuer la gravité d’une telle mesure. La carence
du supérieur permet au subordonné d’agir en ses lieu et place (CE, 23 octobre 1959, Doublet).

b) Concours entre police administrative générale et police administrative spéciale

En principe, la police administrative spéciale écarte la police administrative générale.


Autrement dit, lorsque l’autorité de police administrative spéciale détient les compétences,
l’autorité de police administrative générale ne peut pas intervenir dans ce domaine de
compétence. Néanmoins, il y a quelques exceptions lorsque deux autorités différentes
détiennent les compétences de police administrative générale et de police administrative
spéciale. A cet égard, il convient de citer l’affaire des Films Lutécia. En l’espèce, le ministre
de la culture a en charge la police administrative spéciale du cinéma au niveau national et
délivre des visas d’exploitation nécessaires à la projection des films en salle. Le visa attribué,
le film est diffusé sur l’ensemble du territoire. Mais, dans certains cas, la projection du film
dans une commune peut être de nature à provoquer des réactions particulières de la population.
Au regard de ces circonstances locales particulières, le maire peut, en vertu de son pouvoir de
police administrative générale, peut interdire la projection du film dans les salles de la
commune.

Section 2 : Le régime juridique des mesures de police administrative

Dans la mesure où l’activité de la police administrative est susceptible de porter atteinte à


l’exercice de nombreuses libertés (liberté d’aller et venir, liberté du commerce et de l’industrie,
la liberté de manifestation…), le juge exerce un contrôle approfondi sur les mesures édictées.
Il tient ainsi compte des circonstances de temps et de lieu, et l’importance accordée aux
libertés affectées. Il convient alors d’opérer une distinction entre le régime juridique normal et
les régimes d’exception.

I. Le régime juridique normal des mesures de police administrative

Le juge administratif exerce un contrôle très vigilant sur les mesures de police administrative.
Selon une jurisprudence constante, deux grands princes pèsent sur les autorités de police

151
administrative : d’une part l’obligation d’édicter les mesures de police, d’autre part l’obligation
d’adapter les mesures de police.

A. L’obligation d’édicter des mesures de police administratives


1. Le contenu des mesures de police administrative

Il y a une variété de mesures de police administrative :

a) La réglementation

Cette mesure de police administrative renvoie à des règles nécessairement législatives ou


réglementaires qui encadrent une activité et à laquelle quiconque souhaitant s’y livrer doit se
soumettre (l’affichage ou de la circulation automobile).

b) La déclaration

Avec cette mesure de police administrative, l’activité concernée ne peut être exercée qu’après
déclaration préalable de cette activité à l’autorité de police. Deux hypothèses doivent cependant
être distinguées.

• Simple mesure d’information comme en matière d’association ;


• Subordination de l’activité concernée à une déclaration préalable ;

Dans ce cas, la déclaration peut avoir des conséquences plus fâcheuses pour le déclarant. La loi
peut prévoir qu’informée par une déclaration, l’autorité de police puisse réagir par une
interdiction (les cortèges sur la voie publique qui sont soumis à déclaration depuis un décret-
loi du 22 octobre 1935). Dans d’autres cas encore la déclaration pourra déboucher sur des
mesures à mettre en œuvre pour poursuivre l’activité comme en matière d’installation classée.

c) L’autorisation

Le principe n’est plus la liberté, puisqu’il faut une autorisation préalable. Cette autorisation peut
prendre plusieurs formes (licence, agrément, permis). Il peut ainsi s’agir du permis de
conduire, du permis de construire ou encore de la licence d’officine ou enfin de l’autorisation
d’ouvrir une installation classée.

d) Les interdictions

L’interdiction est une mesure de police administrative encore plus limitative de la liberté
individuelle (l’interdiction de la projection de films, de la tenue de réunions, de l’exposition ou
de la vente de certaines revues). Se pose surtout le problème du régime de la dissolution

152
ordonnée par une autorité de police à l’encontre d’un groupe ou d’une association qui menace
l’ordre public et qui entre dans la classification des milices armées.

e) L’injonction de réaliser

Elle correspond à une mesure de police administrative de plus en plus fréquente. Elle est
souvent justifiée par les dangers qui sont encourus dans certains domaines. Il en va ainsi de
l’injonction de réaliser des travaux sur des édifices menaçant ruine ou encore de l’injonction de
réaliser des travaux en matière d’installations classées.

2. L’obligation de maintenir l’ordre public

Le principe apparaît de façon certaine : les autorités de police administrative ont pour obligation
de chercher protéger l’ordre public. Dès lors, lorsqu’une mesure de police a été édictée et qu’elle
régulière, l’autorité de police est tenue de l’appliquer. Par ailleurs, lorsqu’une mesure de police
n’a pas été prise, il existe une obligation de prendre une mesure de police si la mesure s’avère
indispensable pour faire cesser un péril grave résultant d’une situation particulièrement
dangereuse pour l’ordre public. En d’autres termes, l'autorité de police est obligée d'édicter un
règlement de police lorsque celui-ci est nécessaire pour faire cesser un trouble grave à l'ordre
public (CE, 23 octobre 1959, Doublet) ou d'appliquer les règlements légaux en vigueur (CE
Sect., 14 décembre 1962, Doublet) ou d’édicter des actes individuels de police (arrêté de
péril). Les autorités de police administrative sont obligées de plus de prendre toutes les mesures
matérielles nécessaires pour faire face à l’éventualité d’accidents, d’autant que par ailleurs leurs
responsabilités pénales seront fréquemment recherchées. La responsabilité de l’autorité
administrative en cas d’abstention sera sanctionné aussi par le juge administratif (CE, 22
décembre 1971, Commune de Mont de Lans : responsabilité d’une commune du fait de la
faute du maire en matière de police des pistes de ski).

Mais, il ne suffit pas que les autorités administratives prennent les mesures juridiques de police
qu’appelle la situation, encore faut-il qu’elle elle veille à l’effectivité des mesures qu’elles ont
prises. Dans un arrêt du 20 octobre 1972 (CE, 20 octobre 1972, Ville de Paris c/ Marabout),
rappelle cette obligation en considérant que «les difficultés que la police de la circulation
rencontre à Paris n'exonèrent pas les services municipaux de l'obligation qu'ils ont de prendre
des mesures appropriées, réglementaires ou d'exécution, pour que les interdictions édictées
soient observées et pour que le droit d'accès des riverains soit préservé ». En l’espèce, le
riverain d’une voie très encombrée ne pouvait plus rentrer chez lui en raison du stationnement

153
anarchique des véhicules, l’autorité municipale a interdit le stationnement mais n’a envoyé
aucun agent pour veiller à l’effectivité de la mesure de police.

Toutefois, des solutions jurisprudentielles conduisent à s’interroger sur la nature de cette


obligation d’édicter des mesures de police administrative. Les autorités de police doivent
s’abstenir d’agir lorsque leur action risquerait d’entraîner des troubles à l’ordre public. En
d’autres termes, si les autorités administratives ont le devoir de maintenir l’ordre public, elles
disposent du choix des moyens et ne sont pas tenues de le rétablir à n’importe quel prix.

Par ailleurs, les autorités de police administrative doivent prendre en compte les
développements de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour
de justice de l’Union européenne.

Dans son arrêt Hornsby c. / Grèce de 1997, la Cour européenne des droits de l’homme
considère qu’une décision judiciaire ne demeure pas « inopérante au détriment d’une partie »
et que « la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent
l’obligation pour l’Administration de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par une
juridiction ». De son côté, la Cour de justice de l’Union européenne a constaté par un arrêt
Commission c./ République française de 1997, le manquement de la France pour ne pas avoir
pris pendant plusieurs années des mesures propres à empêcher certains groupes d’agriculteurs
de faire obstacle à la vente de produits agricoles en provenance des autres Etats membres.

B. La subordination de la légalité des mesures de police administrative à leur


nécessité

Le contrôle juridictionnel exercé sur les mesures de police montre que celles-ci doivent être
adaptées. En d’autres termes, les interdictions générales et absolues sont prohibées et les
mesures prises doivent l’être conformément à la loi. Les conditions générales de légalité des
mesures de police administrative sont celles de tout acte administratif : l'auteur doit être
compétent, les formes et procédures prévues pour leur édiction doivent être respectées. Ces
mesures doivent aussi avoir été prises en vue du maintien de l'ordre public et conformément
aux règles de fond du droit qui leurs sont applicables. A cet égard, tout le principe de légalité
leur est applicable, comme l’a rappelé le juge administratif en soumettant l’exercice d’une
police spéciale au respect du droit de la concurrence (CE sect. Avis, 22 novembre 2000, Sté
L&P publicité).

1. Le contrôle des buts poursuivis par les autorités de police administrative

154
Les interdictions générales et absolues sont proscrites. Pour être légale, la mesure de
police doit être adaptée, proportionnée et nécessaire aux risques de trouble à l’ordre
public. Ce principe ressort d’une jurisprudence toujours confirmée (CE, Ass., 19 mai 1933.
Benjamin). En effet, dans un Etat de droit, « la liberté est la règle et la restriction,
l’exception »103. L’intervention de police n’est justifiée que pour des considérations
d’ordre public (CE, 19 février 1909, Abbé Olivier ; TC, 8 avril 1935, Action française). En
conséquence, la menace de trouble à l’ordre public doit être réelle et sérieuse ; lorsqu’elle cesse,
la mesure de police doit également prendre fin (CE, 30 juin 2004, Commune de Bertrange)
car le juge ne se satisfait pas de simples allégations. En tout état de cause, le juge administratif
recherchera :

• Si une telle activité est bien de nature à troubler l’ordre public et donc si la mesure
est bien nécessaire ;
• Si l’interdiction est bien proportionnée à ce risque et annulera notamment une
interdiction étendue à tout le territoire de la commune car trop générale.
2. L’interdiction des mesures de caractère général

L’autorité de police peut réglementer même sévèrement des activités privées, elle ne doit
pas en principe aller jusqu’à des interdictions générales et absolues. Plusieurs exemples
montrent que les interdictions générales et absolues sont presque toujours jugées illégales :

• l’interdiction de vendre des journaux « aux abords » du stade Roland-Garros


pendant le tournoi (CE, 22 juin 1984, Soc. Le monde du tennis).
• l’interdiction des activités musicales et les attractions de toute nature dans
toutes les voies et places de Paris réservées aux piétons (CE Sect, 4 mai 1984,
Préfet de police c./Guez ).
• l’interdiction de la « mendicité » dans tout le centre-ville (TA Pau, 22 novembre
1995, M. J. Couveinhes et association Sortir du fond).
• l’interdiction pour les mineurs de moins de 12 ans non accompagnés de
circuler entre 0 heures et 6 heures (CE ordonnance du 4 août 1997 Ville de
Dreux).

Toutefois, le principe de l’interdiction des mesures générales peut être écarté dans le cas où il
est impossible de maintenir l'ordre public par des mesures moins contraignantes (CE, 24

103
Conclusions Corneille sur CE, 1917, Baldy).

155
octobre 1986, Fédération française des Sociétés de protection de la nature ou CE, 13 mars
1968, Epoux Leroy104).

3. L’interdiction des mesures non-proportionnelles

Le juge administratif veille à ce que les autorités de police administrative générale ne portent
pas atteinte à l'exercice d'une liberté publique, au-delà de ce qui est nécessaire au maintien de
l'ordre. Autrement dit, il doit toujours y avoir proportionnalité entre la gravité de la menace de
trouble à l’ordre public et la mesure de police censée y apporter remède. Le juge veille tout
particulièrement au respect de cette dernière exigence. Afin d'empêcher tout arbitraire de
l’administration en la matière, le juge administratif soumet les mesures de police à un contrôle
très strict, un contrôle dit « maximum » (CE, 22 juin 1951, Daudignac105; CE, 30 juin 2000
et 4 février 2004, Association Promouvoir). Ce contrôle consiste à vérifier la proportionnalité
de la mesure de police attaquée par rapport au motif invoqué par l'autorité administrative pour
la justifier. Toute disproportion, même légère, entraîne la censure de la mesure de police
administrative (CE, Ass., 19 mai 1933, Benjamin). Il faut encore rappeler ici que pour le juge
administratif « la liberté est la règle et la restriction de police l'exception » Il va ainsi vérifier
que le cas d’espèce des mesures moins sévères n’auraient pas été suffisantes pour le maintien
de l’ordre public. Si des mesures moins contraignantes ne sont pas possibles, alors le juge peut
admettre la légalité d’une interdiction (par exemple de l’ouverture nocturne d’un magasin (CE,
21 janvier 1994, Commune de Dannemarie-les-lys106).

II. Le régime juridique des mesures de police en période exceptionnelle

Il importe de préciser que dans des nombreuses hypothèses exceptionnelles l’administration est
dispensée du respect de la légalité. Plus précisément, dans ces cas la légalité est comprise de
manière extensible. Cela concerne les prévus par des textes, ce sont des régimes d’exception.
D’autres cas sont prévus par la jurisprudence, il s’agit de la théorie des circonstances
exceptionnelles.

104
Le Conseil d'État juge que l'interdiction est légale parce qu'il apparaît que cette activité pratiquée dans ces lieux
présente des dangers «auxquels il n'était pas possible de remédier par une mesure moins contraignante ».
105
Le Conseil d'État a annulé des décisions contraires à la liberté du commerce et de l'industrie, parce que, au lieu
de limiter cette interdiction à certains lieux encombrés ou à certaines heures ou encore à l'assentiment des
personnes photographiées, quelques maires avaient tout bonnement interdit l'activité, c'est-à-dire pour certains
photographes, l'exercice de l'essentiel de leur profession.
106
Les atteintes à l’ordre public ne peuvent pas être évitées par des mesures moins contraignantes.

156
A. La théorie des circonstances exceptionnelles

Par circonstances exceptionnelles, il faut entendre « certaines situations de fait qui ont le double
effet de suspendre l’autorité des règles ordinaires à l’égard de l’administration, et de
déclencher l’application à ces actes d’une légalité particulière » sous le contrôle du juge
administratif. Il s’agit d’une expression purement jurisprudentielle qui renvoie à toute
perturbation grave de la vie sociale entraînant en particulier l’impossibilité pour les pouvoirs
publics de respecter toutes les exigences de la légalité. La théorie des circonstances
exceptionnelles a été élaborée à la suite des périodes de guerre, de troubles politiques graves ou
catastrophes naturelles ayant conduit les pouvoirs publics à prendre des mesures excédant les
pouvoirs normalement reconnus aux autorités administratives, pour faire face aux
circonstances.

Dans un arrêt du 28 février 1919 (CE, 28 février 1919, Dames Dol et Laurent), le Conseil
d’Etat décide que « les limites des pouvoirs de police dont l’autorité publique dispose pour le
maintien de l’ordre et de la sécurité (…) ne saurait être les mêmes dans le temps de paix et
pendant la période de guerre où les intérêts de la défense nationale donnent aux principes de
l’ordre public une extension plus grande, exigent pour la sécurité publique des mesures plus
rigoureuses ».

Il s’ensuit que cette décision apporte une contribution magistrale à la théorie des
« circonstances exceptionnelles ». Ont ainsi été considérées comme telles :

• Une grève générale des chemins de fer (CE, 18 avril 1947, Jarrigion) ;
• La situation en Indochine en 1951-1952 (CE, 10 décembre 1954, Andréani) ;
• La situation à Madagascar en 1947 (CE, 7 janvier 1955, Andriamiseza) ;
• La situation de l’Algérie en 1960 (CE, 15 octobre 1965, Union fédérale des
magistrats et Sieur Reliquet).
• Une menace d’éruption volcanique (CE, 18 mai 1983, Félix Rodes) ;

Après analyse de la jurisprudence relative aux circonstances exceptionnelles, celles-ci peuvent


:

• Justifier des dérogations aux règles de forme, de compétence (l’irrespect des règles
de forme ne sera pas sanctionné).

157
Ainsi, une autorité normalement incompétente pourra validement édicter certains actes (CE, 16
avril 1948, Laugier), des particuliers sans mandat pourront agir comme fonctionnaires de fait,
levant des impôts (CE, 7 janvier 1944, Lecoq). Il en va de même des particuliers opérant des
réquisitions alimentaires (CE, 5 mars 1948, Marion) ou encore substitution des particuliers
aux autorités administratives (CE, Commune de Saint-Valéry-sur-Somme). Dans ces
conditions, la théorie des circonstances exceptionnelles légitime la méconnaissance des
règles de compétence.

• Des dérogations soient apportées aux règles de procédure ;

A titre d’exemple, la suspension de la règle de communication du dossier aux fonctionnaires en


matière disciplinaire pendant la période de guerre ; suspension de garanties disciplinaires
instituées par la loi (CE, 28 juin 1918, Heyriès) 107.

• Les dérogations aux règles de fond ;

Des mesures qui, en temps normal, seraient des voies de fait en raison de leur grave irrégularité,
seront jugées valides. Il en va ainsi exécution d’office irrégulière (CE, 19 mai 1954, Office
publicitaire de France) ou de l’incarcération sans intervention d’un juge (CE, 19 février 1947,
Bosquain).

De façon générale, en application de la théorie des circonstances exceptionnelles, des actes qui
seraient irréguliers en période normale seront valides. Le juge administratif contrôle strictement
l’existence des circonstances exceptionnelles, la proportionnalité des mesures par rapport à la
gravité de la crise et coïncidence entre la crise et durée de l’état d’exception. Il faut également
noter que cette notion jurisprudentielle a été reprise par des nombreux textes sous des formes
variées (état de siège, état d’urgence, organisation de la nation pour le temps de guerre).

B. L’état de siège et l’état d’urgence

L’état de siège est prévu par les lois du 9 août 1849 et du 3 avril 1878. Il ne peut être décidé
que par décret en Conseil des ministres et pour une durée maximum de 12 jours. Passé ce délai,
son prolongement doit être décidé par le Parlement. L’état de siège est décidé pour faire face à

107
Un décret avait suspendu pendant la durée des hostilités l’application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905
qui oblige à communiquer à tout fonctionnaire son dossier avant que ne soit prise à son encontre une mesure
disciplinaire. Le Sieur Heyriès se plaignait d’avoir été révoqué de ses fonctions sur la base de ce décret. Pour
rejeter ce recours, le Conseil d’Etat va systématiser le fondamental principe de continuité du service public qui
signifie qu’un service public ne saurait connaître d’éclipses ou d’interruptions dans son fonctionnement. La règle
de communication préalable de son dossier à tout agent public faisant l’objet d’une mesure disciplinaire est, ici,
tenue en échec par le prise de continuité (hypothèse de crise grave, guerre).

158
« un péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection à main armée ».
Dès lors, il aboutit à un transfert des pouvoirs de police à l’autorité militaire et des restrictions
aux libertés publiques allant au-delà de ce qu’autorise le droit commun.

Quant à l’état d'urgence, il est organisé par une loi du 3 avril 1955 et par un décret du 15
avril 1960. Il ne peut être décidé que par les mêmes autorités et pour les mêmes durées que
l'état de siège. Dans ce cadre, des pouvoirs de police accrus sont confiés au gouvernement et au
préfet, pour faire face à un « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou «
d'événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamités publiques ».

Au Gabon, en vertu de l’article 25 de la Constitution « le Président de la République peut,


lorsque les circonstances 1'exigent, après délibération du Conseil des Ministres et consultation
des bureaux de l'Assemblée Nationale et du Sénat, proclamer par décret l'Etat d'urgence ou
1'Etat de siège, qui lui confèrent des pouvoirs spéciaux, dans les conditions déterminées par la
loi ».

C. L’article 16 de la Constitution française et l’article 26 de la Constitution gabonaise

Ces dispositions énoncent le principe suivant lequel « à période de crise, pouvoirs de crise ».
Elles permettent ainsi à l’administration de déroger momentanément au principe de légalité. En
d'autres termes le Président de la République doit pour sauver le régime pouvoir exercer une
véritable dictature légale. Cette dérogation est cependant soumise au contrôle strict du juge.

1. Les conditions du recours à l’article 16 (CF) et 26 (CG)

a) Les conditions de fond

Deux conditions cumulatives sont nécessaires :

• Une menace grave et immédiate sur les institutions de la République ou sur


l’indépendance de la Nation ou sur l’intégrité du territoire ou enfin sur l’exécution
des engagements internationaux. C’est l’Etat même dans son existence même qui est
en cause.
• Cette menace ne suffit pas à elle seule. Encore faut-il qu’elle provoque «
l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels ».
Tout est ici une question d’appréciation. Or c’est le Président de la République qui seul
apprécie.
b) Les conditions de forme

159
Le chef de l’Etat doit dans une telle situation et préalablement à sa décision procéder à une
triple consultation officielle :

• Celle du Premier ministre


• celle des Présidents des assemblées
• celle du juge Constitutionnel. L’avis du Conseil étant motivé et publié, ce qui lui
donne une autorité de fait qui ne doit pas être négligée.

Enfin, le Président de la République doit s’adresser à la Nation.

2. Les pouvoirs du Président dans le cadre du régime d’exception l’article 16 de la


Constitution

Les pouvoirs relativement étendus du Président dans la cadre des articles 16 (CF) et 26 (CG)
soulèvent la question du contrôle exercé sur eux. Il est ainsi intéressant d’examiner aussi bien
le domaine que les limites de ces pouvoirs.

En ce qui concerne le domaine, les articles 16 (CF) et 26 (CG) précisent que le Président de la
République peut prendre « les mesures exigées par ces circonstances ». Dès lors, il dispose des
pouvoirs de l'exécutif et des pouvoirs du Parlement.

S’agissant des limites :

• les mesures prises par le Président de la République « doivent être inspirées par la
volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels … les moyens d'accomplir
leurs missions ».
• le Président de la République ne peut dissoudre l'Assemblée nationale, il ne peut
réviser la Constitution. C'est ce qui ressort de l'expression « pouvoirs publics
constitutionnels ».

En définitive, l’administration doit toujours agir conformément à la légalité. Il s’agit d’une


garantie fondamentale pour les citoyens ; l’action administrative doit respecter des règles de
droit applicables, des règles de référence préétablie. Mais cette exigence n’est pas d’application
rigide ou absolue tant il existe des assouplissements et des limites au principe de légalité.

160
Chapitre 6 : Les actes administratifs unilatéraux

L’intervention de l’administration se fait selon deux procédés : la police administrative et le


service public. Elle utilise pour cela deux types d’actes juridiques : l’acte administratif unilatéral
et le contrat (ou acte plurilatéral. En d’autres termes, pour l’accomplissement de sa mission
d’intérêt général, l’administration dispose pour agir de deux types de moyens, d’actes juridiques
:

Le contrat est un acte plurilatéral, fruit d’un accord entre l’administration et les personnes
privées.

L’acte unilatéral doit son nom à la façon dont il est élaboré. Parmi les prérogatives dont dispose
l’administration, la plus importante est certainement celle de disposer du privilège de la décision
unilatérale, c’est-à-dire de faire naître unilatéralement des obligations ou des droits à la charge
ou au profit des administrés. Autrement dit, les destinataires de l’acte n’interviennent pas dans
le processus de son élaboration, l’acte leur sera par conséquent imposé, sans leur consentement.
Exemple : Le maire de la commune d’Owendo peut réglementer le stationnement sans
demander l’avis des habitants.

De toute évidence, l’acte unilatéral est l’expression même de la puissance publique. Il traduit
les prérogatives exorbitantes du droit commun qui caractérise l’action de l’État et de son
administration. Le caractère exécutoire des décisions administratives constitue une « règle
fondamentale du droit public », et le sursis à exécution n’est qu’une simple faculté, alors même
qu’existent des moyens sérieux d’annulation et un préjudice difficilement réparable (CE, Ass.,
2 juillet 1982, Huglo).

Précisons aussi que le terme de « décision exécutoire » est parfois employé pour désigner l’acte
par lequel l’administration met en œuvre le pouvoir de modification unilatérale des situations
juridiques. En réalité, ce terme est ambigu car exécutoire ne signifie pas la possibilité
d’exécution d’office. Aussi faut-il dès à présent éviter de l’employer.

Dans le cadre de ce chapitre, il convient d’une part de relever que l’acte administratif unilatéral
se caractérise par un régime juridique particulier et d’autre part de souligner que sa définition
ou ce que l’on appelle parfois sa théorie n’en est pas moins délicate.

Section 1: La notion d’acte administratif unilatéral

161
Tout d’abord, les actes administratifs unilatéraux peuvent être définis comme étant des actes
juridiques émanant d’une personne publique et susceptibles de recours pour excès de pouvoir,
c’est-à-dire d’un recours en annulation devant le juge administratif. Il s’agit des actes issus de
la seule volonté de l’administration, des « actes émis unilatéralement par l’Administration
susceptibles de modifier par eux-mêmes l’ordonnancement juridique et exécutoires sans
recours préalable à l’autorité judiciaire ». L’acte administratif désigne donc un acte juridique
adopté unilatéralement par une autorité administrative, portant sur l’ordonnancement juridique
et affectant les droits ou les obligations des tiers sans leur consentement. Cette définition est
approximative et souffre de nombreuses exceptions.

Ensuite, on est tout de suite tenté de penser que le critère décisif de l’acte administratif unilatéral
est le critère organique. En clair, tous les actes pris par l’Administration seraient des actes
administratifs, relevant à ce titre de la compétence du juge administratif. En réalité, le critère
organique n’est pas du tout pertinent, décisif.

I. Les critères de l’acte administratif unilatéral

L’acte administratif unilatéral peut se caractériser par son auteur, par son contenu ou par sa
forme.

A. Le critère introuvable de l’acte administratif unilatéral ou la non-pertinence du


critère organique (auteur de l’acte)
En principe, l’auteur de l’acte administratif est une personne publique, mais dans un certain
nombre de cas, ce peut être une personne privée.

1. Les actes pris par les personnes publiques


Sont exclus de la catégorie des actes administratifs unilatéraux, les actes pris par les organes
administratifs en dehors de la fonction administrative ainsi que les actes pris par des organes
non administratifs.

a) L’exclusion de certains actes d’autorités administratives


Tous les actes pris par les personnes publiques ne sont pas des actes administratifs unilatéraux.
Certains actes ne sont pas des actes administratifs unilatéraux en raison de leur objet. Ainsi, le
juge administratif exclu de la catégorie des actes administratifs unilatéraux, les actes de
gouvernement.

✓ Les actes de gouvernement :

162
Certains actes pris par les autorités administratives suprêmes sont considérés comme ne se
rattachant pas à l’action administrative. Dès lors, ils ne sont pas susceptibles de recours pour
excès de pouvoir.

A l’origine, cela concernait les actes relevant d’un mobile politique, « traduction de la raison
d’Etat ». Il s’agit d’une vieille théorie jurisprudentielle selon laquelle les actes relatifs aux
relations entre le gouvernement et le Parlement ainsi que ceux concernant les relations entre la
France et les gouvernements étrangers et les organisations internationales, et plus largement les
rapports internationaux de la France, échappent au contrôle de tout juge. (CE, 19 février 1875,
Prince Napoléon).

Le prince Napoléon-Joseph Bonaparte avait été nommé général de division en 1853 par
Napoléon III, dont il était le cousin. L'Annuaire militaire, qui reparut pour la première fois,
après la chute de l'Empire, en 1873, ne mentionna pas son nom sur la liste des généraux. Il
demanda alors au ministre de la guerre s'il s'agissait là d'une inadvertance ou d'une omission
volontaire. Le ministre lui répondit que son nom n'avait pu être porté sur l'Annuaire, parce que
sa nomination, irrégulière au regard des textes, « se rattache aux conditions particulières d'un
régime politique aujourd'hui disparu et dont elle subit nécessairement la caducité ». C'est cette
décision refusant de rétablir son nom sur la liste des généraux que le prince Napoléon déféra au
Conseil d'Etat.

Le ministre de la guerre opposa au recours le caractère politique de la mesure attaquée, qui en


faisait, selon lui, un acte de gouvernement échappant au contrôle juridictionnel du Conseil
d'Etat. Le commissaire du gouvernement David combattit cette thèse, en exposant ainsi la
théorie des actes de gouvernement : « il est, en effet, de principe, d'après la jurisprudence du
Conseil, que, de même que les actes législatifs, les actes de gouvernement ne peuvent donner
lieu à aucun recours contentieux, alors même qu'ils statuent sur des droits individuels. Mais si
les actes qualifiés, dans la langue du droit, actes de gouvernement, sont discrétionnaires de
leur nature, la sphère à laquelle appartient cette qualification ne saurait s'étendre
arbitrairement au gré des gouvernants ; elle est naturellement limitée aux objets pour lesquels
la loi a jugé nécessaire de confier au gouvernement les pouvoirs généraux auxquels elle a
virtuellement subordonné le droit particulier des citoyens dans l'intérêt supérieur de l'Etat. Tels
sont les pouvoirs discrétionnaires que le gouvernement tient en France, soit des lois
constitutionnelles, quand elles existent, pour le règlement et l'exécution des conventions
diplomatiques, soit des lois de police... Il suit de là que, pour présenter le caractère exceptionnel

163
qui le mette en dehors et au-dessus de tout contrôle juridictionnel, il ne suffit pas qu'un acte,
émané du gouvernement ou de l'un de ses représentants, ait été délibéré en Conseil des
ministres ou qu'il ait été dicté par un intérêt politique. »

Le Conseil d'Etat consacra implicitement cette théorie dans sa décision, en examinant le recours
au fond. Le commissaire du gouvernement affirma que cette doctrine pouvait être dégagée de
la jurisprudence antérieure du Conseil d'Etat.

En réalité, cette jurisprudence était fondée sur « la théorie traditionnelle du mobile politique »
comme critère des actes de gouvernement, c'est-à-dire des actes échappant à tout contrôle
contentieux. Pour ne prendre que deux exemples, le Conseil d'Etat rejeta, sous la Restauration,
le recours du banquier Laffitte qui demandait le paiement d'arrérages d'une rente que lui avait
cédée la princesse Borghèse, membre de la famille Bonaparte, par le motif que « la réclamation
du sieur Laffitte tient à une question politique dont la décision appartient exclusivement au
gouvernement » (CE, 1er mai 1822, Laffitte); de même, sous le Second Empire, la saisie d'un
ouvrage du duc d'Aumale et le refus de restituer les exemplaires saisis furent considérés comme
« des actes politiques qui ne sont pas de nature à nous être déférés pour excès de pouvoir en
notre Conseil d'Etat par la voie contentieuse » (CE 9 mai 1867, Duc d'Aumale et Michel
Lévy).

Il convient surtout de relever que l'arrêt Prince Napoléon induit un abandon de « la théorie
du mobile politique ». En d’autres termes, cet arrêt marque une étape extrêmement importante
dans l'extension du contrôle des actes administratifs par le Conseil d'Etat. Le but ou le mobile
politique sera bien souvent, par la suite, un motif d'annulation pour détournement de pouvoir
ou erreur de droit, l'administration ne devant pas prendre ses décisions, en règle générale, en
fonction de considérations de cette nature.

En 1954, le commissaire du gouvernement Letourneur et le Conseil d'Etat ont réaffirmé avec


force qu'un candidat ne peut être exclu d'un concours donnant accès à la fonction publique en «
raison de ses opinions politiques » (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel).

Cette limitation très étroite du domaine des actes de gouvernement s'insère dans le cadre
d'une politique jurisprudentielle qui, à la même époque et dans la période suivante, accrut
la portée et l'efficacité du recours pour excès de pouvoir et de l'action contentieuse du
Conseil d’Etat :

164
• admission du détournement de pouvoir comme moyen d'annulation, cas d’ouverture du
recours pour excès de pouvoir (CE, 26 novembre 1875, Pariset).
• abandon de la théorie du ministre-juge (CE, 13 décembre1889, Cadot).
• élargissement de la notion d'intérêt pour agir (CE, 29 mars 1901, Casanova).
• admission du recours contre les règlements d'administration publique (CE 6 décembre
1907, Chemins de fer de l'Est)
• contrôle, révolution contentieuse par l’introduction du contrôle de la qualification
juridique des faits en excès de pouvoir (CE 4 avril 1914, Gomel) et de leur exactitude
matérielle (CE, 14 janvier 1916, Camino).
Toutefois, l'arrêt Prince Napoléon n'a pas supprimé complètement les actes de
gouvernement. Il s’est simplement borné à en éliminer le critère ancien, excessivement
large, tiré du mobile politique.

Il convient également de relever que les actes de gouvernement n’ont fait


jusqu’aujourd'hui l'objet d'une définition générale et théorique, mais seulement d'une
liste établie d'après la jurisprudence. Sur cette liste figuraient:

• les actes accomplis par le chef de l'Etat dans l'exercice du droit de grâce (CE, 30 juin
1893, Gugel).

Toutefois, cette jurisprudence a été abandonnée par l'arrêt Gombert (CE, 28 mars 1947,
Gombert), qui écarte, certes, la compétence du Conseil d'Etat en la matière, mais en se fondant
sur le caractère judiciaire de ces décisions, et non plus sur la théorie des actes de gouvernement.
Une telle approche a été confirmée dans la période récente à propos des grâces collectives
accordées par le président de la République à l'occasion du 14 juillet (CE 30 juin 2003,
Observatoire international des prisons-Section française).

• Par la suite, le Conseil d’État va restreindre, réduire sans cesse le domaine, le champ de
l’acte de gouvernement (par le recours à la théorie de l’acte détachable, (CE, 15 octobre
1993 colonie royale de Hong-Kong).

Malgré la réduction significative de leur champ, leur domaine, un certain nombre d’actes
de gouvernement demeurent non susceptibles de recours pour excès de pouvoir. Ces actes
de gouvernement bénéficiant d’une totale immunité juridictionnelle se rencontrent dans
deux hypothèses :

165
Il peut s’agir des actes qui concernent les relations entre les pouvoirs publics
constitutionnels (les actes concernant les rapports de l’exécutif avec le parlement):

• la décision du Président de la République de recourir à l’article 16 de la Constitution


(CE, Ass., 2 mars 1962, Rubin Servens)
• la décision de nommer un membre du Conseil constitutionnel (CE, Ass., 9 avril 1999
Mme Bâ)
• la nomination d’un parlementaire en mission (CE, 25 septembre 1998, M. Mégret)
• refus de demander au Conseil constitutionnel de statuer d’urgence (CE, 9 octobre,
2002, Meyet et Bouget),
• le droit à pension des parlementaires (CE, 4 juillet 2003, Papon),
• l’empêchement du président de la République (CE, 8 septembre 2005, Hoffer).
• De même, la décision de soumettre un projet de loi à référendum constitue un acte de
gouvernement (CE, Ass., 19 octobre 1962, Brocas).
En revanche, le décret par lequel le Premier ministre charge un parlementaire d’une mission est
détachable des rapports exécutif-législatif (CE, Sect., 25 septembre 1998, Mégret). De même,
le refus de saisir le Conseil constitutionnel sur la base de l’article 37-2 de la Constitution ne
constitue pas un acte de gouvernement et est donc susceptible de recours pour excès de pouvoir.

Les actes de gouvernement peuvent aussi être des actes de l’exécutif pris en matière de
relations avec les puissances étrangères et non détachables des relations internationales
(les actes mettant en cause les rapports du gouvernement avec un Etat étranger ou un organisme
international).

Traditionnellement, l'ensemble de l'activité diplomatique de la France échappe au


contrôle des juridictions françaises. La jurisprudence a cependant sensiblement atténué la
portée de cette orientation et les limites de l'acte de gouvernement en cette matière sont assez
délicates à déterminer.

En la matière, les actes de gouvernement concernent la conduite des relations


diplomatiques (conclusion des traités ou suspension d’accord). Par exemple, ont été
qualifiés d’actes de gouvernement :

166
• la décision de reprendre les essais nucléaires dans un contexte lié à la discussion d'un
engagement international qui interdirait de tels essais (CE, Ass., 29 septembre. 1995,
Association Greenpeace France)
• la création d'une zone de sécurité autour de l’Atoll de Mururoa dans les eaux
internationales pendant des essais nucléaires (CE, Ass., 11 juil. 1975, Paris de
Bollardière),
• la décision d'engager des forces militaires en Yougoslavie en liaison avec les
événements du Kosovo (CE, 5 juillet 2000, Mégret et Mekhantar)
• la décision d'autoriser les avions militaires américains et britanniques accomplissant des
missions en Irak à emprunter l'espace aérien français (CE, 30 décembre 2003, Comité
contre la guerre en Irak)
• la décision d’instaurer un embargoà l’encontre de la Libye, en application d’une
résolution du Conseil de sécurité (CE, 29 décembre 1997, Société Hélie Union).
Parmi les actes échappant à ce titre au contrôle juridictionnel une mention spéciale doit être
faite des traités et accords internationaux. Le juge administratif refuse, en effet, de connaître de
la légalité des conditions de signature de ces accords (CE Sect., 1er juin 1951, Société des
étains et wolfram du Tonkin), ainsi que de la décision de ne pas procéder à la publication d'un
traité (CE 4 novembre 1970, de Malglaive).

Une solution identique vaut pour les actes d'exécution des traités qui sont indissociables, non
détachables des rapports internationaux ou considérés comme tels :

• le vote du ministre français au Conseil des Communautés européennes (CE, Ass., 23


novembre 1984, Association « Les Verts »),

• la décision de suspendre l'exécution d'un traité (CE, Ass., 18 décembre 1992, Préfet
de la Gironde c./Mahmedi)

• la décision de suspendre la coopération scientifique et technique avec l'Irak, pendant la


première guerre du Golfe

• l'interdiction d'inscription des étudiants irakiens dans les universités (CE, 23


septembre 1992, GISTI)

Il convient enfin, de souligner qu’en matière de droit international, la théorie des actes de
gouvernement connaît une double limite.

167
D'une part, les traités internationaux constituent depuis 1946, en application de la Constitution,
une source de la légalité nationale: les requérants sont donc recevables à invoquer leur violation
par un acte administratif (CE, Ass., 30 mai 1952, Dame Kirkwood) au même titre que la
violation de la loi (CE, Ass., 20 octobre 1989 Nicolo). Le juge administratif est par là-même
conduit à exercer un contrôle sur les modalités d'introduction du traité dans l'ordre juridique
interne.

En affirmant l’autorité juridique qui s’attache aux engagements internationaux par rapport aux
lois, la Cour constitutionnelle gabonaises rappelle les conditions qui encadrent leur insertion
dans l’ordre juridique interne. Précisément, l’insertion des traités internationaux dans l’ordre
juridique interne doit respecter une procédure particulière. En ce qui concerne les conditions
formelles, en application de l’article 113, alinéa 1 et de l’article 114, alinéa 1 et 2 de la
Constitution gabonaise, les traités de paix, les traités de commerce, les traités relatifs à
l’organisation internationale, les traités qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui modifient
les dispositions de nature législative (…) ne prennent effet qu’après avoir été régulièrement
ratifiés et publiés. Dans un arrêt 17 janvier 1962, Maugein, le tribunal administratif de
Libreville relève une absence d’effet juridique d’une convention internationale en raison de son
défaut de publication dans un journal officiel 108; Cour constitutionnelle, 22 juin 2000, Accord
de coopération en matière de pêche maritime entre le Gouvernement de la République
Gabonaise et celui du Royaume du Maroc (inconstitutionnalité d’un accord international en
raison de la non-observation des procédures constitutionnelles), CE, 18 décembre 1998, SARL
du Parc d’Activités de Blotzheim (examen du respect des conditions d’autorisation de
ratification et de publication). En ce qui concerne les conditions matérielles, exigence de
conformité des clauses des traités à la Constitution (articles 84 et 87 de la Constitution).

D'autre part, bien avant même la Constitution de 1946, le juge administratif a accepté de
connaître des mesures qu'il considère comme détachables des relations diplomatiques ou des
conventions internationales, c'est-à-dire des mesures qui peuvent être appréciées
indépendamment de leurs origines ou de leurs incidences internationales (CE 5 février 1926,
Dame Caraco, CE, Sect., 16 décembre 1955, Epoux Deltel).

b) L’exclusion des actes pris par les organes non administratifs :

108
Voir également, CCAS, 7 février 1964, Sammarcelli ; CCAS, 24 février 1964, NzuéNkogué (tout en
rappelant les conditions d’insertion des conventions internationales dans l’ordre juridique interne, le juge
administratif gabonais a toujours admis même de manière implicite, la supériorité des traités sur les lois et partant
sur les actes administratifs.

168
• Les actes législatifs.

Les actes émanant des organes législatifs ne sont pas de la compétence du juge administratif
(CE, 6 novembre 1936 Arrighi). Une seule exception doit être relevée : les actes du Parlement
concernant uniquement le personnel des assemblées. Le juge administratif pourra donc les
contrôler. Il convient également de préciser que les actes édictés par les autorités
administratives sur habilitation législative sont des actes administratifs (CE 6 décembre 1906
Compagnie des chemins de fer et autres, CE 24 novembre 1961, Fédération nationale des
syndicats de police).

• Les actes pris par les organes juridictionnels

Les actes du service public de la justice ne relèvent pas de la compétence du juge administratif
(TC, 27 novembre 1952 préfet de la Guyane). Mais, ceux qui concernent l’organisation et le
fonctionnement des juridictions sont des actes administratifs (CE 17 avril 1953 Falco et
Vidaillac).

2. Les actes pris par les personnes privées (exercice de prérogatives de puissance
publique)
Il s’agit ici des actes administratifs unilatéraux pris par des personnes extérieures à
l’administration. Certaines personnes extérieures à l’administration peuvent prendre des actes
administratifs unilatéraux.

a) La théorie des fonctionnaires de fait


En vertu de cette théorie, le juge va qualifier des actes pris par des personnes extérieures à
l’administration (des fonctionnaires de fait, et non pas de droit) d’actes administratifs. Cette
qualification peut être justifiée ou bien par l’urgence, ou bien par les apparences.

La théorie de fonctionnaire de fait est fondée sur l'idée de nécessité et sur la notion
d'apparence. En période exceptionnelle, tout fonctionnaire irrégulièrement nommé (aux
fonctions qu'il occupe) doit être regardé comme légalement investi des fonctions tant que
sa nomination n'a pas été annulée. Pour le dire autrement, en période de circonstances
exceptionnelles, le principe de légalité peut connaître certains assouplissements (entorses).
Le Conseil d'Etat a ainsi considéré que de simples particuliers qui s'étaient substitués aux
autorités compétentes comme des fonctionnaires de fait. Dans un arrêt du 5 mars 1948 (CE,
5 mars 1948, Marion), le Conseil d’Etat a admis qu’en cas de carence de l’autorité
administrative, de simples particuliers puissent la suppléer en prenant les mesures exigées par
169
les circonstances, jouant ainsi le rôle de « fonctionnaires de fait ». En l’espèce, le maire et la
plupart des conseillers municipaux ayant pris la fuite, des habitants ont créé une municipalité
de fait chargée d’assurer le fonctionnement des services publics ainsi que l’administration de
la ville. En conséquence, ils décident de réquisitionner les stocks des magasins afin d’éviter le
pillage, assurer le ravitaillement et la reprise de l’activité économique. Le Conseil d’Etat retient
les circonstances exceptionnelles pour qualifier les actes litigieux d’administratifs, justifier la
légalité de ces actes et reconnaître la qualité de « fonctionnaire de fait » aux membres de la
communauté.
La réquisition n’est pas un mode de gestion ordinaire des difficultés matérielles,
organisationnelles voire financières rencontrées par les personnes publiques. Elle est
l’expression de la prérogative de puissance publique, elle s’intègre dans une procédure
exceptionnelle. L’administration ne peut régulièrement recourir à la réquisition que lorsqu’elle
manque de moyens matériels propres, en cas d’urgence ou encore si elle est dans l’impossibilité
de mobiliser ses propres moyens pour faire face aux circonstances :

• Le manque de moyens doit s’entendre d’un manque de moyens matériels et non


financiers (CE, 9 avril 1948, Société Immobilière marseillaise).

• L’urgence doit être comprise comme une circonstance entraînant l’incapacité pour les
autorités administratives de réunir dans un délai utile les moyens dont elles pourraient
disposer.

b) Application de la théorie des apparences :

En marge de la théorie de fonctionnaire de fait, la théorie des apparences a également inspiré la


jurisprudence. Au-delà de la réalité complexe et mystérieuse de la notion d’apparence, cette
théorie renvoie au principe explicatif de la jurisprudence administrative relative à la validation
des actes des agents publics irrégulièrement nommés ou élus. Dans un arrêt d’Assemblée du 2
décembre 1983 (CE, Ass., 2 décembre 1983, Charbonnel), la décision prise par un maire dont
l’élection a été ensuite ultérieurement annulée revêt un caractère administratif. En d’autres
termes, les décisions adoptées par des autorités ayant l’apparence d’une autorité compétente
sont légales.

c) Les décisions prises par des personnes de droit privé gérant des SPIC.

170
Exceptionnellement les actes édictés par les personnes privées peuvent être administratifs. Dans
un premier temps, le Conseil d’État a reconnu que des personnes qui n’étaient ni publiques ni
privées pouvaient édicter des actes administratifs dans la mesure où elles étaient chargées d’une
mission de service public (CE, 31 juillet 1942, Montpeurt, CE, 2 avril 1943, Bouguen).

Par la suite, le Conseil d’État a admis que l’acte d’une personne privée exerçant une mission de
service public comportant des prérogatives de puissance publique présente le caractère d’acte
administratif (CE 13 janvier 1961 Magnier).

Enfin, l’acte d’une personne privée gérant un service public à caractère industriel et
commercial est un acte administratif s’il est relatif à l’organisation du service (TC 15 janvier
1968 Epoux Barbier). Cela ne concerne que les seuls actes administratifs réglementaires
relatifs à l’organisation du service public. Ainsi en est-il du règlement établi par le Conseil
d’administration de la Compagnie Air France qui, fixant les conditions d’emploi (en relation
avec l’exécution du service) de certains personnels (exigence du célibat pour les hôtesses de
l’air) contient « des dispositions qui apparaissent comme de éléments de l’organisation du
service public exploité ».

Trois conditions sont alors exigées par la jurisprudence pour que les actes unilatéraux des
personnes privées soient des actes administratifs.

• Il faut que la personne privée gestionnaire ait été habilitée, par la décision institutive du
service qu’elle gère, à édicter de tels actes unilatéraux (Epoux Barbier).

• Il faut que ces actes unilatéraux concernent l’organisation de l’ensemble du service


(Epoux Barbier)

• Il faut que l’organisme en cause soit doté de prérogatives de puissance publique (CE,
13 janvier 1961, Magnier).

A défaut de mission de service public, une personne privée ne peut pas prendre d’actes
administratifs (CE, 27 octobre 1999, Rolin).

d) Les actes pris par les ordres professionnels

171
Un ordre professionnel est une personne morale de droit privé. Il a en charge une mission
de service public : l’organisation d’une profession (SPA). Les décisions prises pour
l’exercice de sa mission de service public, qu’elles soient réglementaires (exemple : élaboration
d’un code de déontologie à destination de ses membres), ou individuelles (exemple: inscription
au tableau, recouvrement des cotisations), sont des actes administratifs susceptibles de recours
pour excès de pouvoir (CE, 2 avril 1943, Bouguen).

Les actes des personnes privées gérant un service public administratif sont administratifs
s’ils se rattachent à la mission de service public administratif confiée à l’organisme et s’ils
traduisent la mise en œuvre ou l’exercice de prérogatives de puissance publique. Il peut
s’agir aussi bien d’actes réglementaires que d’actes individuels. En revanche, toutes les
décisions relatives au fonctionnement interne sont privées: le juge considère qu’elles
concernent l’institution privée et non son activité. Dans cette hypothèse, en effet, le pouvoir de
décision n’est pas mis en œuvre au titre de l’exécution du service public, mais à celui des
rapports internes à l’institution. Ces principes sont, à l’origine, posés par deux arrêts peu
explicites : (CE, 31 juillet 1942, Montpeurt, CE, 2 avril 1943, Bouguen). Ils seront, par la
suite, complétés par un arrêt beaucoup plus clair quant à lui : CE, sect., 13 janvier 1961,
Magnier.

On le sait, les ordres professionnels (médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes,


pharmaciens, vétérinaires, géomètres-experts, experts comptables, architectes, infirmiers,
masseurs, kinésithérapeutes) exercent deux types d’activités : les unes sont placées sous
l’empire du droit privé (gestion de leur patrimoine, œuvres sociales), les autres sont
soumises au droit public (organisation de la profession). Dans ce dernier cadre, leurs actes
sont des actes administratifs, soit à caractère réglementaire (édiction des codes de déontologie,
clauses essentielles de contrats-types (CE, 14 février 1969, Association nationale des
syndicats de médecins), soit individuels (décisions d’inscription d’un postulant au tableau de
l’ordre après avoir apprécié s’il remplit les conditions légales et présente les garanties requises
de moralité et d’indépendance). Dans ces hypothèses, les conseils nationaux (ou supérieurs) des
ordres qui prennent les décisions définitives, sont considérés comme des autorités
administratives (CE, 29 juillet 1950, Comité de défense des libertés professionnelles des
Experts comptables).

Cependant, lorsqu’ils statuent en matière disciplinaire, les Conseils des ordres sont considérés
comme des juridictions. Lorsqu’ils prononcent des sanctions pour manquement à la discipline

172
professionnelle, leurs décisions définitives (qui sont rendues par les organes nationaux des
ordres) sont susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat
(CE, 12 décembre 1953, De Bayo).

On relèvera que l’arrêt Bouguen conserve tout son intérêt, toute sa valeur pratique
aujourd’hui en raison de la persistance des ordres professionnels comme mode
d’organisation de certaines professions libérales.

e) Les actes pris par les organismes sportifs.

En distinguant les fédérations agréées des fédérations délégataires, la loi du 16 juillet 1984
suscite de nouvelles applications. Le juge administratif n’est pas compétent pour connaitre
la légalité d’une décision d’une fédération sportive délégataire qui n’est pas prise pour les
besoins de l’exécution de sa mission de service public. Dans sa décision de 1974 (CE, 22
novembre 1974, Fédération des industries françaises des articles de sport), le Conseil
d’Etat considère que les décisions prises par une fédération sportive en application de la
délégation et qui constitue l’usage d’une prérogative de puissance publique constituent des
décisions administratives relevant de la compétence de la juridiction administrative. Il en va
ainsi des sanctions disciplinaires décidées par une fédération. Ainsi, quels sont les critères
permettant à un organisme d’avoir accès au régime juridique administratif ?

Les critères qui conduisent à la dérogation de droit commun : la gestion d’une mission de service
public, les prérogatives de puissance publique; le régime spécial appliqué, application du droit
administratif.

Dans un arrêt du 3 avril 2006 (CE, 3 avril 2006, Société Nike). Il est rappelé qu’en application
de l’article L. 131-14 du Code du sport, la Fédération française, association loi 1901, est
délégataire de service public. En cette qualité, la Fédération organise les compétitions sportives
procède aux sélections correspondantes et propose l’inscription sur les listes de sportifs,
d’entraîneurs, d’arbitres et juges de haut niveau.

En l’espèce, le conseil d’Etat sanctionne la disposition du règlement de la Fédération française


de football obligeant les équipes participant à la coupe de France de revêtir des tenues de
l’équipementier partenaire de la Fédération. Il a considéré à cet effet que l’exclusivité octroyée
à un équipementier n’était pas justifiée par un intérêt général au regard de la mission de service
public confiée à la Fédération française de football et qu’elle constituait alors un détournement
de pouvoir.

173
Concernant les fédérations sportives, le Conseil d’Etat a considéré que « dans le cadre de
l’exécution de leur mission de service public, les décisions prises par les délégataires
mentionnés à l’article L. 131-14 sont des décisions administratives dès lors qu’elles procèdent
de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique conférées à cette personne pour
l’accomplissement de la mission de service public qui lui a été confiée » (CE, 8 avril 2013,
Fédération française des sports de glace (Il est juridiquement possible de contester la
sélection nationale).

Enfin, dans un arrêt du 11 janvier 2008, (CE, 11 janvier 2008, Société Canal+ et Société
Kiosque Sport, le Conseil d’Etat juge que « le choix (…) fait par la Ligue de football
professionnelle, personne morale de droit privé, de produire elle-même les images des matchs
dont elle commercialise les droits d’exploitation audiovisuelle en vertu de la loi du 1er août
2003 ne met en œuvre aucune prérogative de puissance publique. Ainsi, la contestation de ce
choix ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative ».

De ce qui précède, il en résulte qu’il n’existe pas de critère de l’acte administratif unilatéral :
sont des actes administratifs unilatéraux tous les actes que le juge administratif qualifie comme
tels, ou même plus largement, tous les actes pour lesquels il se reconnaît compétent.

II. La variété des actes administratifs unilatéraux

A. La distinction des actes administratifs réglementaires et des actes administratifs


individuels

1. La distinction

Au sein des actes administratifs unilatéraux, il faut distinguer deux catégories d’actes.

D’une part les actes administratifs réglementaires qui ont une portée générale et impersonnelle,
à l’instar des lois. Ils présentent la caractéristique, la spécificité, la particularité de viser toujours
une catégorie abstraite d’individus (les citoyens gabonais, les handicapés, les étrangers en
situation irrégulière, les personnes âgées, les chômeurs...).

D’autre part, les actes administratifs individuels qui visent une ou plusieurs personnes
déterminées (la décision de nomination d’un fonctionnaire, une sanction disciplinaire).

174
Il convient de noter que les décrets et les arrêtés ou encore les délibérations peuvent aussi bien
être individuels que réglementaires. Il est tout aussi utile de relever que dans la hiérarchie des
normes, les décisions individuelles sont soumises aux règlements.

Dans un arrêt du 3 juillet 1931 (CE, 3 juillet 1931, Ville de Clamart), le Conseil d’Etat a jugé
que la hiérarchie des autorités ne l’emporte pas sur la répartition légale des compétences entre
autorités administratives. Dès lors, un ministre peut être tenu de se conformer à des arrêtés
municipaux. En l’espèce, un règlement municipal pouvait déroger à un acte individuel
ministériel.

Au sein du pouvoir réglementaire, il faut distinguer: le pouvoir réglementaire général


(articles 13 et 21 de la Constitution française: Premier Ministre et Président de la
République). Au Gabon, l’article 29 de la Constitution du pouvoir réglementaire du
Premier ministre. Une autre remarque porte sur le fait que depuis la Constitution du 4
octobre 1958, il existe deux types d’actes réglementaires relevant du pouvoir
réglementaire général : les actes réglementaires d’exécution des lois (article 21 C) et les
règlements autonomes pris dans le cadre de l’article 37 de la Constitution.

Dans cette sa décision n°017/CC du 27 octobre 1992, Décrets n°1733/PR, 1735/PR et


1736/PR., la Cour constitutionnelle gabonaise a d’abord rappelé que sa compétence est
strictement limitée par la Constitution. En effet, aux termes des articles 85 de la Constitution
et 35 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, le contrôle de constitutionnalité des
textes par voie d’action ne vise exclusivement que les lois organiques, les lois ordinaires,
les ordonnances et les actes réglementaires. Ensuite, elle a considéré que les textes attaqués,
en l’espèce, ne comportaient pas des dispositions générales et impersonnelles qui caractérisent
les actes réglementaires.

3. Le pouvoir réglementaire spécial


Les ministres n’ont pas le pouvoir général de prendre des règlements pour régler les affaires
relevant de leurs attributions. Dans un arrêt de Section du 23 mai 1969, Société « Distillerie
Brabant et Cie, le Conseil d’Etat a jugé que lorsque l'organisation ou le fonctionnement du
service n'est plus en cause et qu'aucune disposition n'habilite le ministre à prendre un règlement,
il ne peut en édicter. Il a été ainsi conduit à dénier au ministre des finances le pouvoir de fixer
les critères d'octroi des agréments fiscaux. Mais, à défaut d'un pouvoir général de
réglementation, le Conseil d'Etat a reconnu aux administrateurs le droit de « définir des

175
orientations générales par voie de directives » (CE, 11 déc. 1970, Crédit foncier de France
c/ Delle Gaupillat et Dame Ader).

Dans un arrêt de Section du 7 février 1936, (CE, Sect., 7 février 1936, Jamart), si le Conseil
d’Etat refuse l’octroi d’un pouvoir réglementaire aux ministres, il leur reconnaît un
pouvoir de direction du service et de leurs agents. En d’autres termes, les ministres ont
seulement un pouvoir réglementaire spécial en tant que chef de service. Ils peuvent à ce
titre prendre des règlements nécessaires pour l’organisation du service. Le principe étant
que le pouvoir de disposer par voie de mesures à caractère général et impersonnel
n’appartient au niveau national qu’au Chef de l’Etat et/ ou au Chef du gouvernement. On
sait que sous la Ve République, le Premier ministre est l’autorité réglementaire nationale de
droit commun et que dès lors, le Président de la République n’exerce que résiduellement un tel
pouvoir. En revanche, la Constitution n’attribue aucun pouvoir réglementaire aux ministres,
même sous leur participation au conseil de ministres. Cependant, ils sont les supérieurs
hiérarchiques des agents placés sous leur responsabilité, et sont responsables de la marche
des administrations à la tête desquelles ils se trouvent. Ils peuvent en outre prendre des
règlements si la loi les habilite à le faire ou si le Premier ministre leur délègue sa compétence.
Les autorités administratives indépendantes peuvent également disposer d’un pouvoir
réglementaire spécial (qui leur est spécialement conféré par la loi qui les a créées). Les
collectivités territoriales disposent aussi d’un pouvoir réglementaire dans les conditions
déterminées par la loi (article 72 de la Constitution).

4. Le pouvoir réglementaire de police du Premier Ministre


Sous l’empire de la IIIe République, le Président de la République est l’autorité nationale
détentrice du pouvoir de police administrative. Cette autorité tenait directement ce pouvoir de
la Constitution elle-même, en vertu de l’article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875
qui confie au Chef de l’Etat le soin de veiller à l’exécution des lois, donc au bon ordre, à la
sécurité publique, à la tranquillité publique, à la salubrité publique…

Par l’arrêt Labonne (CE, 8 août 1919, Labonne) le Conseil d’Etat a considéré que l’autorité
titulaire du pouvoir réglementaire général disposait, en l’absence de toute habilitation
législative d’une compétence pour édicter des mesures de police à caractère général et
s’appliquant sur l’ensemble du territoire. Le Conseil d’Etat a estimé que le Président de la
IIIe République était une telle autorité, à la double condition que les mesures à prendre soient

176
d’intérêt national et qu’elles concernent l’un des buts que la police administrative peut
poursuivre.

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a déterminé quels sont les détenteurs nationaux du pouvoir
de police et fixer les règles en cas de concours des compétences en matière de police
générale. Le Conseil d’Etat a reconnu que le chef de l’Etat était habilité à édicter des
règlements de portée nationale en dehors de toute habilitation législative en matière de
police administrative. Mais sous la Ve République, c’est le Premier Ministre qui est titulaire
de ce pouvoir réglementaire de police administrative (CE, 13 mai 1960, SARL Restaurant
Nicolas). L’article 21 de la Constitution confère à cette autorité la prérogative et le devoir
d’assurer l’exécution des lois. Il résulte de cette attribution de principe de pouvoir national de
police administrative que cette autorité, dont la compétence trouve sa source dans la
Constitution, n’a besoin d’aucune permission légale pour intervenir, agir en ce domaine : il
s’agit d’un pouvoir largement spontané. La seule limite consiste dans l’obligation faite au
Premier ministre de respecter le domaine propre de la compétence assignée au législateur.
Cet arrêt présente un intérêt car il opère une combinaison entre les pouvoirs de police de
l’autorité nationale et ceux des autorités locales. Les règlements édictés au niveau national ne
retirent pas aux autorités locales la compétence qu’elles tirent de la loi pour prendre des mesures
de police complémentaires dans leur ressort territorial pour lequel elles sont compétentes. Mais
leur pouvoir trouve des limites : les autorités locales ne peuvent qu’aggraver les mesures
édictées par les autorités nationales, sans pouvoir ni les modifier ni, bien sûr, les réduire ;
encore faut-il que cette aggravation soit dictée par l’intérêt public et justifiée par les
circonstances locales. En d’autres termes, l’autorité locale de police n’est fondée à agir ainsi
que si elle invoque des circonstances particulières justifiant en ce cas précis une mesure plus
sévère que celle adoptée au niveau supérieur (CE, 18 avril 1902, Commune de Néris-les-
Bains). La jurisprudence Néris-les-Bains s’inscrit dans le cadre d’une plus large d’une
admissibilité extensive de la qualité pour agir. Elle est applicable dans toutes les hypothèses de
concours entre polices générales appartenant à des autorités administratives sous la dépendance
les unes des autres (CE, 7 octobre 1977, Nungesser).
L’expression concours de police désigne l’utilisation simultanée de deux polices
administratives générales ou le concours de la police générale avec une police spéciale.
L’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 18 décembre 1959 (CE, Sect., 18 décembre 1959
Société des Films Lutétia) l’illustre très bien: le ministre de la culture a en charge la police

177
(spéciale) du cinéma au niveau national et délivre des visas d’exploitation nécessaires à la
projection des films dans en salle. Le visa attribué, le film est diffusé sur l’ensemble du
territoire. Mais dans certains cas, la projection d’un film dans une commune peut être de nature
à provoquer des réactions particulières de la population. Au regard des circonstances locales
particulières, le maire, en vertu du pouvoir de police générale, peut interdire la projection du
film dans sa commune.

Toutefois, les interdictions générales et absolues sont proscrites. Pour être légale, la
mesure de police doit être adaptée, proportionnée et nécessaire aux risques de troubles à
l’ordre public (CE, Ass., 19 mai 1933, Benjamin). L’intervention de l’autorité de police
administrative doit être justifiée par des considérations d’ordre public, il doit toujours y avoir
proportionnalité entre la menace de trouble et la mesure de police censée y apporter remède.

B. Les mesures d’ordre intérieur (lato sensu)

Par mesures d’ordre intérieur, on entend « des mesures dont l’objet se situe à l’intérieur de
l’administration soit parce qu’elles visent l’aménagement interne des services soit parce
qu’elles concernent le fonctionnement des services »109Les mesures d’ordre intérieur
désignent alors des actes unilatéraux internes aux services et que le juge considère non
susceptibles de recours pour excès de pouvoir et bénéficient d’une immunité contentieuse
en raison de leur faible importance110. Ces actes ne sont pas destinés à modifier les droits et
les obligations des administrés. Ainsi, la punition d’un écolier, l’ordre donné à un fonctionnaire
par son supérieur hiérarchique sont qualifiés de mesures d’ordre intérieur.

Pendant longtemps, le juge administratif, par une jurisprudence quelquefois choquante a


entendu largement cette catégorie d’actes. Certains auteurs ont vivement critiqué cette
attitude, en évoquant un « déni de justice » ou « une sérieuse exception à l’application du
principe de légalité ».

Les critiques les plus vives ont été formulées lorsque le Conseil d’Etat dans un arrêt
d’Assemblée du 27 janvier 1984 (CE, Ass., 27 janvier 1984, Caillol), a considéré que le
placement dans un quartier de haute sécurité n’était pas susceptible de recours pour excès de
pouvoir. Il faut dire que les établissements pénitentiaires et les enceintes militaires restaient des

109
R. Andersen, F. Delperée et M. Verdussen, op.cit., p.18
Hauriou s’étonnait d’ailleurs, « voilà qu’il va falloir ouvrir un chapitre sur la vie intérieure des administrations
110

publiques et sur les mesures d’administration intérieure ».

178
institutions où le juge administratif, sous couvert de la notion de mesure d'ordre intérieur, ne
faisait que des incursions prudentes dans les rares cas où les critères caractérisant la mesure
d'ordre intérieur, entendus restrictivement, étaient remplis.

Depuis, la jurisprudence a évolué. Par deux décisions rendues en assemblée du contentieux le


17 février 1995, Hardouin et Marie (CE, Ass., 17 février 1995, Marie ; CE, Ass., 17 février
1995, Hardouin), le Conseil d'Etat a largement ouvert les portes de ces institutions, en
acceptant de connaître de sanctions prises à l'encontre d'un détenu et d'un militaire. Il est ainsi
revenu sur une jurisprudence très ancienne selon laquelle, en vertu de l'adage latin maintes fois
cité de minimis non curatpraetor, le juge de l'excès de pouvoir n'a pas à entrer dans des litiges
subalternes, voire insignifiants. Une autre justification de la notion de mesure d'ordre intérieur
réside dans la nécessité d'assurer l'efficacité des services publics, fondée notamment sur la
discipline de ceux qui y servent et qui justifie que les autorités responsables y disposent d'une
autorité indiscutée, concrétisée, selon les termes du président ODENT, par « une marge de
pouvoirs dont elles peuvent user discrétionnairement, arbitrairement même, sans aucun
contrôle juridictionnel »111.

La notion d’ordre intérieure demeure délicate à appréhender, « à circonscrire et à justifier


». Elle apparaît comme un acte administratif doté de qualificatifs peu élogieux, laudatifs
: pointilleuse voire « confinant à l’impressionnisme juridique »6 .La notion apparait pour des
nombreux auteurs comme hétéroclite, sans critères précis au regard de la jurisprudence
administrative qui l’a écarté du prétoire. Néanmoins, il semble que deux critères permettent
désormais de cerner les mesures d’ordre intérieur : d’une part l’existence d’un pouvoir
d’organisation interne à l’administration, d’autre part l’absence d’effets juridiques sur la
situation des destinataires de l’acte. En d’autres termes, la décision doit avoir un caractère
interne à l'administration qui en est l'auteur et n'avoir aucun effet sur la situation juridique de
son destinataire. Les décisions d'Assemblée du 17 février 1995 (Marie, Hardouin) n'ont pas
modifié ces critères. Elles les ont seulement appliqués plus souplement qu'auparavant.
L’analyse de l’évolution de la jurisprudence permet de montrer un rétrécissement, une
réduction du domaine, du champ des mesures d'ordre intérieur.

Des nouvelles jurisprudences ont apporté des clarifications nécessaires et utiles entre les
mesures qui ne sont pas susceptibles de recours pour excès de pouvoir (organisation du

111
ODENT, Cours de
droit. 6 M. GUYOMAR

179
service, émission de remontrances…) et celles qui ont des conséquences sur la situation de
l’agent (diminution des attributions des responsabilités). Le Conseil d’Etat apporte des
nouvelles précisions sur la recevabilité d’un recours formé contre le changement
d’affectation d’un agent lequel « ne présente pas le caractère d’une sanction disciplinaire
déguisée et dont il n’est ni démontré ni même soutenu qu’il traduirait une discrimination (…)
qu’il n’a entraîné ni diminution de ses responsabilités, ni perte de rémunération (…) qu’il est
intervenu au sein de la même commune ». En conséquence, « et alors même que cette mesure
de changement d’affectation a été prise pour des motifs tenant au comportement de Mme B.,
elle présente le caractère d’une mesure d’ordre interne, qui ne fait pas grief et n’est donc pas
susceptible de recours pour excès de pouvoir ».

Dans le domaine scolaire et universitaire, la distinction entre la mesure d’ordre intérieur


ou non repose sur l’incidence de la mesure sur la situation de l’usager et qui n’emporte
pas de conséquence sur la scolarité de l’élève, l’étudiant. Ainsi, sont considérées comme des
mesures d’ordre intérieur, une simple punition scolaire (CE, 8 mars 2006, Fédération des
conseils des parents d’élèves des écoles publiques) l’affectation dans telle ou telle classe
alors que le refus dans la classe supérieure ou un changement d’orientation fait grief à l’usager
et est susceptible de recours contentieux.

Le domaine de la mesure d’ordre intérieur a progressivement connu un drastique


rétrécissement dès lors que la mesure pouvait constituer une atteinte à la liberté. Ainsi,
des mesures courantes propres à l’institution carcérale ont été considérées comme faisant
grief selon l’importance de leurs effets sur la situation des détenus, particulièrement dès
qu’étaient mis en cause leurs libertés et droits fondamentaux « mise à l’isolement,
inscription sur le répertoire des détenus particulièrement signalés, changement d’affectation
d’une maison centrale à une maison d’arrêt… ». Par un arrêt en date du 25 avril 2006, la Cour
administrative d'appel de Bordeaux a jugé qu'un tel transfert constituait une mesure d'ordre
intérieur dès lors qu'elle « ne modifie pas de façon substantielle le régime de détention
applicable ».

L’institution militaire a connu la même évolution, par exemple, en raison de « l’atteinte


d’une liberté d’aller et venir du militaire en dehors du service, un refus de permission ».

Le Professeur CHAUVET relève une rationalisation imparfaite de la théorie des mesures


d’ordre intérieur. En effet, malgré des avancées en la matière, le juge administratif ne disposait
toujours pas d'une grille de lecture favorisant opportunément la distinction entre les différents

180
actes pris par l'administration et ce afin d'établir avec précision les mesures susceptibles ou non
de recours pour excès de pouvoir. Cette constatation admettant dès lors l’existence d'un
préjudice tant pour le juge administratif chargé des requêtes qui lui sont adressées que pour le
justiciable, la plus Haute juridiction administrative ne pouvait pas laisser demeurer une telle
insécurité juridique.

Afin d'apporter une précision pérenne sur le partage entre les mesures d'ordre intérieur et les
décisions susceptibles d'être déférées au juge, l'Assemblée plénière du Conseil d’Etat a rendu
trois arrêts de principe en date du 14 décembre 2007 (CE, Ass., 14 décembre 2007, Payet ;
CE, Ass., 14 décembre 2007, Garde des sceaux, Ministre de la Justicec/ M.Boussouar ;
CE, Ass., 14 décembre 2007, Planchenault).

Par ces trois arrêts rendus en Assemblée plénière, le Conseil d’Etat confirme l’inexorable
réduction du domaine de la catégorie des mesures d’ordre intérieur. Ces trois arrêts portent
tous sur des décisions édictées en milieu carcéral, pénitentiaire, milieu traditionnellement
propice aux mesures d’ordre intérieur.

• L’arrêt Payet (CE, Ass., 14 décembre 2007, Payet) est relatif à des mesures
constituant une « rotation de sécurité ».

Elles consistent à prévenir notamment les tentatives d’évasion en changeant très régulièrement
l’affectation du détenu.

• L’arrêt Boussouar (CE, Ass., 14 décembre 2007, Garde des sceaux, Ministre
de la Justicec/ M.Boussouar), porte sur une décision de changement d’affectation d’un
détenu d’un établissement pour peine vers une maison d’arrêt à titre préventif.
• L’arrêt Planchenault (CE, Ass., 14 décembre 2007, Planchenault), concerne le
déclassement d’emploi édicté par la directrice d’une maison d’arrêt à l’encontre d’un
détenu auxiliaire cuisinier.

Il convient de relever que dans chacune de ces espèces, le Conseil d’État exclut la décision
attaquée de la catégorie des mesures d’ordre intérieur. Dans ces conditions, le conseil d’Etat
consacre un assouplissement des critères permettant de distinguer les mesures d’ordre
intérieur des décisions susceptibles de recours pour excès de pouvoir. Nous disposons
désormais d'une grille de lecture non exhaustive de mesures considérés comme d'ordre
intérieur et donc insusceptibles de contrôle par le juge administratif.

181
Afin d'appréhender cette évolution, il convient d'analyser le rôle du juge administratif eu égard
aux mesures d'ordre intérieur et la tentative de définition de celles -ci au travers des avancées
jurisprudentielles et conventionnelles.

En ce qui concerne le rôle du juge administratif eu égard aux mesures d'ordre intérieur,
il convient d’observer que celui-ci recherche un juste point d'équilibre entre des exigences
contradictoires telles que le respect des droits du citoyen et l'intérêt général qui s'attache
à la préservation de la discipline et de l'ordre public.

S’agissant du respect des droits du citoyen, les mesures d’ordre intérieur posent problème.
Selon Professeur ODENT, les mesures d'ordre intérieur sont insusceptibles de recours
contentieux car elles sont d’un part exclusivement interne à l'administration qui les prend,
et d'autre part, elles n'ont aucun effet juridique sur ceux qui les subissent. Cependant, dans le
cadre d'un citoyen en détention, il est nécessaire de conserver un équilibre entre le respect
de l'autorité légitime dérivée du pouvoir de l'administration et le justiciable détenu qui
n'en demeure pas moins un usager d'un service public, et ce même si ce dernier est subi.
Cette exigence a entraîné le juge à considérer que le recours pour excès de pouvoir pouvait être
fondé dans la mesure où il visait à lutter contre les abus de l'administration, et que s'il ne
modifiait évidemment pas l'ordonnancement juridique général, il modifiait cependant
profondément la situation du requérant.

La confusion engendrée par les jurisprudences différentes rendues par les tribunaux
administratifs et les Cour administratives d'appel ont conduit la haute juridiction
administrative à tenter de définir les mesures susceptibles d'être qualifiées d'ordre
intérieur et de faciliter ainsi leur reconnaissance par le juge. On note ainsi des tentatives de
définition des mesures d'ordre intérieur au travers des avancées de la jurisprudence et du droit
européen.

Dans cette perspective, si les arrêts Hardouin et Marie ont déterminé la recevabilité des
recours portés contre les mesures d'ordre intérieur en raison de leur nature et de leur
gravité, il est revenu au Conseil d’Etat dans l'affaire Frérot du 31 juillet 2003 de faire
référence aux effets concrets de la mesure et surtout aux arrêts de principe rendus le 14
décembre 2007 rendus par le Conseil d’Etat en assemblée d'établir une grille de lecture facilitant
la détermination des mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours devant le juge de l'excès
de pouvoir.

182
La frontière tracée par la jurisprudence entre les mesures d'ordre intérieur et les
décisions susceptibles de faire grief n'a eu de cesse de se déplacer au cours de ces dernières
décennies, à tel point qu'elle a fini par se brouiller, et que l'assemblée plénière du Conseil
d’Etat s'est prononcée en date du 14 décembre 2007 afin d'apporter les précisions
nécessaires quant à leurs distinctions.

Les trois arrêts d’Assemblée, Payet, Garde des sceaux/Boussouar et Planchenault (CE, Ass., 14
décembre 2007, Payet ; CE, Ass., 14 décembre 2007, Garde des sceaux, Ministre de la
Justicec/ M.Boussouar ; CE, Ass., 14 décembre 2007, Planchenault) poursuivent la réflexion
initiée en 1995 et définissent une grille de lecture applicable aux différentes espèces qui sont
soumises au juge administratif. Il lui appartient ainsi d'apprécier désormais in concerto la
sanction, et d'apprécier si elle porte ou non sensiblement atteinte aux conditions de vie de la
personne punie, à sa situation statutaire, à sa carrière, ou, eu égard à la nature et à la gravité de
la mesure pour estimer qu'elle est susceptible d'un recours.

Précisément, le juge administratif va contrôler tant les mesures réglementaires que les
décisions individuelles. Il rappelle que toute administration doit justifier de ses choix quant
aux contraintes qu'elle exerce et doit donner au juge les moyens du contrôle qu'il exerce au nom
du peuple français. Garant du bon fonctionnement d'un service public, le juge va s'attacher au
respect des droits et obligations applicables aux citoyens en détention.

Il est tout aussi utile de relever que ces trois arrêts interviennent dans un contexte très
favorable. En effet, le Conseil d’État, rompant avec ses précédentes décisions (CE, 28 février
1996, Fauqueux), estime désormais que le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré
ne s’analyse plus en une mesure d’ordre intérieur (CE, 30 juillet 2003, Garde des sceaux,
Ministre de la Justice c/ Remli). Les trois arrêts d’assemblée contribuent à réduire encore la
catégorie des mesures d’ordre intérieur en donnant toute sa portée à la jurisprudence Marie
laquelle énonce qu’une punition de cellule constitue une décision faisant grief « eu égard à la
nature et à la gravité de cette mesure » (CE Ass., 17 février 1995, Marie). De la même
manière, les arrêts Planchenault et Boussouar qualifient respectivement une mesure
pénitentiaire d’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir
« eu égard à sa nature et à l’importance de ses effets sur la situation des détenus ».
Incontestablement, la confrontation de ces décisions montre un assouplissement
jurisprudentiel concernant les deux critères permettant de distinguer les mesures d’ordre

183
intérieur des décisions susceptibles de recours juridictionnel. L’un est relatif à la nature de la
décision, l’autre à ses effets.

• En ce concerne le premier critère, le Conseil d’Etat dans l’arrêt Payet considère


que toute mesure instituant un « régime de détention spécifique » est susceptible d’être
exclue de la catégorie des mesures d’ordre intérieur.

Et cela simplement en raison de sa nature objective. En effet, le juge énonce laconiquement


« qu’une telle décision, qui institue un régime de détention spécifique, ne constitue pas une
mesure d’ordre intérieur ». Le juge applique ainsi un raisonnement mis en œuvre notamment
au sujet d’un blâme adressé à un militaire (CE, 12 juill. 1995, Monfroy). En revanche, le juge
considère que la seule nature préventive d’une décision non disciplinaire ne suffit pas à
identifier une mesure d’ordre intérieur (Boussouar et Planchenault), revenant ainsi sur sa
jurisprudence antérieure (CE, 12 mars 2003, Ministre de la justice c/ M. Frérot).

• Le critère des effets de la mesure donne lieu à un examen, une appréciation


in concreto par le juge administratif.

Il faut ici rappeler que l’arrêt Hardouin faisait même prédominer, avec beaucoup de
pragmatisme, les effets concrets de la mesure, qu’ils affectent directement « la liberté d’aller
et venir du militaire », ou indirectement sa carrière du fonctionnaire (CE, Ass., 17 février 1995,
Hardouin ; CE, 18 mars 1998, Druelle). Précisons que sur ce point, le critère des effets de la
mesure est assoupli par les trois décisions d’Assemblée du 14 décembre 2007. Il n’est plus
requis que les effets produits par la mesure soient particulièrement graves, mais simplement
« importants », pour que celle-ci devienne susceptible de recours.

Enfin, il apparaît que ces critères sont essentiellement, principalement cumulatifs et


exceptionnellement alternatifs. Il faut dire que le juge examine en premier lieu la nature
de la décision. Celle-ci peut suffire à exclure la décision des mesures d’ordre intérieur (CE,
Ass., 14 décembre 2007, Payet). Si tel n’est pas le cas, le juge procède alors à l’examen concret
des effets de la mesure (CE, Ass., 14 décembre 2007, Planchenault). En tout état de cause, le
juge ne peut pas se dispenser de ces critères (CE, Ass., 14 décembre 2007, Garde des sceaux,
Ministre de la Justicec/ M.Boussouar). Par conséquent, commet une erreur de droit la cour
administrative d’appel « se fondant exclusivement sur l’existence et le contenu des dispositions
législatives et réglementaires » pour qualifier une mesure d’ordre intérieur sans se référer à ces
critères.

184
En somme cette réduction du domaine de la catégorie des mesures d’ordre intérieur ne
signifie pas son extinction. Le Conseil d’État assure fort logiquement que « des refus opposés
à une demande d’emploi ainsi que des décisions de classement » restent des mesures d’ordre
intérieur (CE, Ass., 14 décembre 2007, Planchenault). Pour autant, il ne subsiste des mesures
d’ordre intérieur que les décisions les plus infiniment minimes. Ces jurisprudences réduisent au
strict nécessaire les mesures d’ordre intérieur et mettent fin à un archaïsme incompatible avec
la conception contemporaine de l’Etat de droit.

Les trois arrêts d’Assemblée du Conseil d’Etat du 14 décembre 2007(CE, Ass., 14 décembre
2007, Payet ; CE, Ass., 14 décembre 2007, Garde des sceaux, Ministre de la Justicec/
M.Boussouar ; CE, Ass., 14 décembre 2007, Planchenault) permettent une meilleure prise
en compte de la situation factuelle des administrés qui sont en l'espèce les détenus. Dans le
cadre de son contrôle, le juge administratif prendra désormais en considération les effets
concrets des mesures d'ordre intérieur conditionnant leur recevabilité.

1. Les circulaires
En théorie, les circulaires ont une portée qui reste interne au système administratif, en
effet seuls les agents subordonnés sont obligés par les dispositions qu'elles vont formuler.
Dans la pratique, certaines circulaires vont poser de nouvelles règles juridiques au
bénéfice ou à la charge des administrés. Elles permettent aux chefs de services de rappeler
à leurs subordonnés les principales dispositions en vigueur et la manière de les mettre en
œuvre. Par conséquent elles ne modifient pas l’ordre juridique. La loi du 17 juillet 1978
relative à l’accès aux actes administratifs prévoit leur publication. Des nouvelles circulaires
vont poser des problèmes dès le début des années 1950. Il s’agit des circulaires créatrices de
droit que le conseil d'Etat. Ces circulaires ajouteraient par inadvertance ou non des
prescriptions et des dispositions nouvelles. A cet égard, elles seront considérées comme
des circulaires à caractère réglementaire et deviendraient ainsi des actes administratifs.

Autrement dit, le conseil d'Etat distingue entre les circulaires règlementaires qui sont
considérées comme étant des décisions exécutoires qui peuvent être soumises à l'excès de
pouvoir et les circulaires interprétatives qui sont les plus nombreuses et elles procèdent
du droit commun des circulaires. Ce ne sont pas de décisions exécutoires et par conséquent
insusceptibles de recours pour excès de pouvoir. Cette distinction est imparable mais cependant
l'application de cette distinction va poser problème (CE, Ass., 29 janvier 1994, Institution
Notre-Dame du Kreisker).

185
On le sait, en principe, les circulaires et instructions de service, sont des actes normalement
non décisoires (non susceptibles de recours pour excès de pouvoir) car n’étant là a priori
pour rappeler l’état du droit existant et l’expliquer aux fonctionnaires et agents. Si la
circulaire dépasse ce cadre et contient des dispositions réglementaires nouvelles c’est-
àdire si l’auteur a modifié l’ordonnancement juridique en ajoutant certaines dispositions,
la circulaire devient susceptible de recours pour excès. Il s’agit d’une solution réaliste
retenue par le juge, en l’espèce.

La jurisprudence va évoluer progressivement. L’état du droit en matière de circulaires est


aujourd’hui fixé par l’arrêt de 2002, Mme Duvignères(CE, Sect., 18 décembre 2002, Madame
Duvignères). Seront désormais susceptibles de recours pour excès de pouvoir, non plus
seulement les circulaires réglementaires (c’est-à-dire contenant des règles de droit
nouvelles) mais plus largement, les circulaires contenant des dispositions impératives à
caractère général. Parmi les circulaires impératives à caractère général, on doit
distinguer :

• Les circulaires impératives innovatoires, comportant une règle nouvelle


(elles correspondent aux circulaires réglementaires de la jurisprudence Notre-
Dame du Kreisker).

Les dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle. Cette circulaire sera
annulée pour incompétence (exemple : le ministre prend une circulaire comportant une règle
nouvelle. En principe : incompétence car le ministre n’a pas de pouvoir réglementaire sauf dans
des hypothèses limitées). Elle peut aussi être annulée pour d’autre motif, pour toute violation
d’une règle de droit supérieure.

• Les circulaires impératives non innovatoires, ne rajoutant rien au droit existant.


La circulaire impérative rappelle un état du droit existant mais celui-ci n’est pas en
conformité avec les exigences de la hiérarchie des normes.

L’interprétation que la circulaire prescrit d’adopter « méconnaît le sens et la portée des


dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter » ou bien « réitère une
règle contraire à une norme juridique supérieure ». L’administration ne rajoute rien au droit
existant, aux règles en vigueur mais elle ordonne de mettre en œuvre des règles illégales. La
circulaire est annulée pour contradiction avec les règles supérieures. Exemple, l’ordre
d’appliquer un décret en contradiction avec une directive européenne.

186
2. Les directives
Une autorité administrative traite souvent de nombreux dossiers individuels, au contenu
proche, alors que les textes la laissent libre de choisir la solution la plus adéquate grâce au
pouvoir discrétionnaire dont elle dispose. La directive a pour objectif de permettre un
traitement plus rapide et plus égalitaire des dossiers. L’administration détermine à
l’avance une « ligne de conduite » à suivre pour la délivrance d’une série de décisions
individuelles semblables (par exemple, une série de subventions à accorder). Les directives
sont des instructions adressées, dans un domaine où l’administration dispose d’une marge
d’appréciation, c’est-à-dire d’un pouvoir discrétionnaire, par les autorités titulaires du pouvoir
réglementaire à leurs subordonnées, pour leur indiquer le contenu des décisions qu’ils devront
prendre. Pour le Conseil d’Etat, cette pratique est légale : l’administration peut se référer à de
telles directives dans des domaines où elle est investie du pouvoir de prendre de façon
discrétionnaire des décisions individuelles, si et dans la mesure où la directive énonce des
orientations générales, tout en autorisant l’administration à y déroger si des circonstances
particulières ou un motif général justifient une solution différente… Les directives doivent
être publiées et les particuliers peuvent contester leur légalité, non pas directement, mais
à l’occasion d’un recours dirigé contre une décision individuelle qui en constitue
l’application

Dans décision du 11 décembre (CE, 11 décembre 1970, Crédit foncier de France), le juge
administratif va créer une nouvelle catégorie d'actes administratifs à savoir les directives qu'il
va identifier comme étant un ensemble de normes définissant des orientations générales en vue
de diriger les interventions du fonds d'aide. La référence qui est faite à ces normes n'entache
pas la décision de refus, d'une demande d'aide d'une erreur de droit.

• La directive est considérée comme étant un procédé normal de l'action de


l'administration, encore faut-il qu'elles restent applicables à un secteur donné et en
fonction de buts déterminés.
• La directive n'est pas un acte règlementaire, pas de recours pour excès de pouvoir
sauf s'il s'agit d'une directive impérative (règlementaire), dans ce cas, il y a illégalité
pour incompétence de l'auteur.

187
Dans une décision du 19 septembre (CE, 19 septembre 2014, Agence pour l’enseignement
français à l’étranger (AEFE), était contestée devant le juge administratif, des « instructions
spécifiques » prises par l’Agence pour l’enseignement à l’étranger fixant les critères
d’attribution des bourses aux enfants français scolarisés à l’étranger. Précisément, ces
instructions visaient la « prise en considération de la situation patrimoniale des parents qui
sollicitent une bourse pour l’enfant ». Le Conseil d’Etat a considéré que l’Agence n’a pas de
pouvoir réglementaire. Mais « l’instruction en cause a énoncé, à l’intention des commissions
locales, des lignes directrices, sans fixer de normes à caractère général qui serait imposée de
manière impérative à ces commissions ». « Le décret du 30 août 1991 n’a pas conféré à l’AEFE
le pouvoir de déterminer les conditions d’attribution des bourses scolaires pour les enfants
français scolarisés à l’étranger, mais a seulement prévu qu’elle édicte des instructions fixant
des lignes directrices auxquelles il appartient aux commissions locales de l’agence de se
référer, tout pouvant y déroger lors de l’examen individuel de chaque demande si des
considérations d’intérêt général ou les circonstances propres à chaque situation particulière le
justifient ». Le Conseil d’Etat a ainsi décidé de renommer les actes qui entrent dans le champ
des directives administratives en « lignes directrices ».

C. Les mesures d’ordre intérieur stricto sensu

Les mesures d’ordre intérieur sont des décisions qui sont considérées comme d’importance trop
minime pour que le juge administratif puisse en connaître: de minimis non curatpraetor. Le
domaine des mesures d’ordre intérieur a longtemps concerné les décisions prises en matière de
discipline dans les écoles, les prisons, l’armée.

CE, 20 octobre 1954, Chapou: interdiction dans un lycée de jeunes filles de venir en classe en
pantalon de ski sauf par temps de neige. Cette décision est considérée comme une mesure
d’ordre intérieur et donc insusceptible de recours pour excès de pouvoir.

CE, Ass., 27janvier 1984, Caillol: La décision de placement d’un détenu en « quartier haute
sécurité » est également considérée comme une mesure d’ordre intérieur, ce qui apparaît assez
choquant dans un Etat de droit.

Le Conseil d’Etat a cependant étendu son contrôle et la catégorie des mesures d’ordre
intérieur constitue aujourd’hui une « peau de chagrin ». Par deux décisions rendues en
assemblée du contentieux le 17 février 1995, Hardouin et Marie, le Conseil d'Etat a
largement ouvert les portes de ces institutions, en acceptant de connaître de sanctions prises à

188
l'encontre d'un détenu et d'un militaire. Il a ainsi admis la recevabilité du recours pour excès de
pouvoir contre une sanction de 8 jours infligée à un militaire (Hardouin) et contre une sanction
de 8 jours en cellule de punition avec sursis infligée à un détenu (Marie). Que reste-t-il des
mesures d’ordre intérieur ? Deux critères permettent désormais de cerner les mesures
d’ordre intérieur: l’existence d’un pouvoir d’organisation interne à l’administration (les
mesures d’ordre intérieur relatives aux agents des service notes adressées à un fonctionnaire en
lui rappelant ses obligations, les mesures d’ordre intérieur relatives aux usagers et l’absence
d’effets juridiques sur la situation des destinataires de l’acte (l’atteinte aux droits et prérogatives
des agents, première limite aux mesures d’ordre intérieur, la modification du statut de l’usager
(deuxième limite) (CE, 17 février1995, Marie/Hardouin).

Section 2: Le régime de l’acte administratif unilatéral

Par régime juridique, il faut entendre les règles qui s’appliquent à l’élaboration de l’acte
administratif unilatéral, à son exécution ainsi qu’à son application dans le temps.

I. L’élaboration de l’acte administratif unilatéral

Les actes administratifs unilatéraux sont élaborés par les autorités administratives souvent en
informant le ou les destinataires mais aussi, de plus en plus, en sollicitant les avis d’organismes
divers. Ainsi se développent des procédures contradictoires et des procédures consultatives.

• Les règles relatives à la compétence de l’auteur: compétence rationetemporis,


rationeloci et ratione materiae et régime des délégations (délégation de pouvoirs,
délégation de signature, subdélégation).
• Le respect de la procédure contradictoire : principe des droits de la défense (C.E.,
Sect., 05 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier).
II. l’exécution de l’acte de l’acte administratif unilatéral

• Respect de règles d’entrée en vigueur et d’opposabilité de l’acte.

Il existe un principe général du droit au terme duquel l’acte administratif unilatéral ne peut pas
avoir d’effet rétroactif (C.E., Ass., 25 juin 1948, Sté du journal «L’Aurore»).

Respect de la règle du «privilège du préalable», «règle fondamentale du droit public» :


présomption de légalité de l’acte (recours non suspensif) et sanctions si elles sont prévues par
la loi.

189
• L’exécution forcée (TC, 02 décembre1902, Sté immobilière de Saint-Just)
La décision de l’exécution forcée n’est légale que si l’on se trouve dans l’une de ces trois
hypothèses :
- Ou bien l’exécution forcée est expressément prévue par la loi (CE, 23
janvier

1925, Anduran), ainsi en va-t-il de l’article 21 de la loi du 3 juillet 1877 sur les
réquisitions militaires.
- Ou bien aucune autre sanction, notamment pénale n’existe en cas
d’impossibilité d’obtenir l’exécution (CE, 17 mars 1911, Abbé Bouchon).
Dans cet arrêt, le juge administratif emploie la formule suivante: « à défaut de
toute procédure pouvant être utilement employée».
- Ou bien il y a urgence (CE, 4 décembre, 2003, Niakate). A cet égard,
le juge emploie de nombreuses formules: « urgence caractérisée », « danger
grave et imminent », « nécessité publique urgente » « extrême urgence » (TC,
19 mai 1954,
Office publicitaire de France ; CE, 20 juin 1980, Commune d’Ax-les-
Thermes. Dans le même sens, il faut citer la décision du Conseil constitutionnel
du 9 janvier 1980.

Ensuite, trois conditions doivent être réunies cumulativement pour que soit jugée légale
l’exécution forcée matérielle d’un acte administratif :

- L’exécution forcée à laquelle le particulier est forcé doit trouversa


source dans un texte de loi précis.
- L’administration doit se heurter à « une mauvaise volonté caractérisée
»

- L’exécution forcée ne doit tendre qu’à la réalisation d’une opération


prescrite par la loi, c’est-à-dire que l’usage de la contrainte ne doit pas excéder
ce qui eststrictement indispensable pour assurer l’obéissance à la loi.

III. L’abrogation et le retrait de l’acte administratif unilatéral

Il y a plusieurs possibilités pour retirer un acte administratif. Tout d’abord, le retrait et


l’abrogation de l’acte administratif, mais aussi lorsque l’acte prévoit, à la fin de son caractère

190
exécutoire. Un acte administratif doit être retiré/ abrogé pour perdre son caractère exécutoire
dans le cas où la fin de ce caractère n’est pas prévu. Enfin, on peut annuler un acte
administratif par le biais d’une décision de justice, c’est une annulation contentieuse au nom
du respect du principe de l’état de droit.

• L’abrogation renvoie à la disparition juridique de l’acte uniquement pour


l’avenir, pour des raisons de sécurité juridique.

• Le retrait désigne la disparition juridique de l’acte pour l’avenir comme


pour le passé. L’acte disparaît dès son origine. L’acte sort de l’ordonnancement
juridique de manière rétroactive, le retrait se rapproche de l’annulation contentieuse, à
la différence que le retrait procède de l’administration elle-même.

A. L’abrogation : la sortie en vigueur non rétroactive de l’acte

L’administration doit s’adapter à l’intérêt général : un concept mouvant qui évolue dans le
temps, de ce fait l’administration ne doit pas être figée et adapter ses actes à la population…

L’abrogation découle du fait que l’acte a été révélé illégal, elle annule pour l’avenir. Elle peut
être prononcée par l’autorité qui a pris l’acte, ou par une autorité hiérarchique supérieure.
L’abrogation peut être totale ou partielle.

1. Abrogation des actes réglementaires.


a) L’abrogation à l’initiative de l’administration

Les actes réglementaires peuvent toujours faire l’objet d’une abrogation totale ou
partielle parce qu’ils n’ont pas vocation à créer des droits acquis à leur maintien, de ce
fait l’administration peut toujours les abrogés. La seule hypothèse dans laquelle
l’administration ne peut pas abroger, c’est lorsqu’une disposition législative l’interdit
expressément. Le pouvoir réglementaire à « le droit d’apporter au règlement initial les
modifications que l’expérience ou des circonstances nouvelles ont révélé comme nécessaire
pour assurer l’exécution de la loi » (CE, 6 décembre 1907 Compagnie des chemins de fer de
l’Est). L’adaptation du pouvoir réglementaire nécessite cette possibilité de modifier et

191
d’abroger un règlement. L’administration peut abroger un règlement à tous moment (parce qu’il
n’y a pas de droit acquis au maintien du règlement).

b) L’abrogation à l’initiative des administrés

Le changement de circonstance

Les administrés sont fondés à demander l’abrogation de l’acte de l’administration quand les
circonstances qui justifiaient l’adoption de l’acte ont changé.

Il convient de rappeler que dès 1930, la jurisprudence administrative a admis la possibilité pour
tout administré, de solliciter de l’administration l’abrogation d’un règlement devenu illégal
postérieurement à sa signature par suite de changement de circonstances de droit, lorsque ce
changement rend illégal le règlement. Cette possibilité peut même se transformer en obligation
pour l’Administration d’abroger l’acte réglementaire si l’acte est illégal ou bien à la suite d’un
changement dans les circonstances de fait ou de droit. Dans sa décision du 10 janvier 1930,
Despujol, le Conseil d’Etat enferme cette faculté de l’abrogation dans le délai de deux mois à
partir du moment où s’était produit le changement de circonstances de droit.
Par la suite, le juge administratif décida la suppression de tout délai pour demander l’abrogation
(CE, 12 mai 1976, Leboucher et Tarandon) avant de revenir sur le délai prévu dans l’arrêt
Despoujol (CE, 30 juin 1981, Ministère du Travail c/ Société Afrique France Europe). C’est
dans ce contexte que le décret du 28 novembre 1983, article 3, avait décidé que « l’autorité
compétente saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal est tenue d’y
déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit l’illégalité résulte
de circonstances de droit » (CE, 10 octobre 2003, Commune de Rilleux-la-Pape) ou de fait
postérieurs à cette date.

Ensuite, dans l’arrêt Alitalia, le Conseil d’Etat pose, énonce le principe général du droit à
l’abrogation des règlements illégaux (CE, Ass., 3 février 1989, Compagnie Alitalia): «
l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est
tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès sa signature, soit que l’illégalité
résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ». En l’espèce, le Conseil
d’Etat confirme une jurisprudence bien établie mais en conférant au principe de l’abrogation

192
des règlements illégaux la nature d’un principe général du droit et une extension considérable
à ce principe puisqu’il l’applique aux directives.

• L’entrée en vigueur de directives communautaires peut constituer un


changement dans les circonstances de droit de nature à fonder ce droit à abrogation dès
lors qu’un acte réglementaire de droit interne est susceptible d’en devenir, par voie de
conséquence, illégal.

• Le Conseil d’Etat n’applique pas seulement ce principe à l’égard des incidences


découlant des termes mêmes d’une directive, mais encore à celles découlant directement
des objectifs d’une directive (CE, 3 décembre 1999, Association Ornithologique et
mammalogique de Saône-et-Loire).

Cette obligation ne pèse sur l’administration que lorsqu’elle est saisie d’une demande en ce sens
présentée par un administré ayant intérêt à obtenir l’abrogation du règlement (CE, 20
décembre1995, Mme Vedel et M. Jannot). L’extension du droit à abrogation est importante.
Cette solution a même été étendue, comme principe général du droit, à l’abrogation des
décisions non réglementaires (CE, 30 novembre 1990, Association Les verts).

3. L’abrogation de l’acte individuel.


Rappelons que lorsque l’acte a été obtenu par fraude, il ne crée pas de droit, une décision
obtenue par fraude ne crée pas de droit (CE, Sect., 17 juin 1955, Silberstein). Par une
décision du 30 mars 2016, Société Diversité TV France (CE, Sect., 30 mars 2016, Société
Diversité TV France), le Conseil d’Etat érige en principe général du droit le fait que le retrait
des actes obtenus par fraude peut intervenir à tout moment et précise ainsi, dans ce cadre, que
l’existence de la fraude doit être démontrée par la personne publique, au besoin d’un faisceau
d’indices.

Rappelons encore que lorsqu’un acte administratif irrégulier a créé des droits au profit d’un
individu, le principe du respect du droit, de la légalité pousse à admettre largement le pouvoir
de l’administration de revenir de revenir sur cet acte, celui du respect des droits acquis
individuels pousse à admettre l’intangibilité de l’acte. Le juge administratif a tenté un délicat
équilibre entre ces deux exigences, impératifs (CE, 3 novembre 1922, Dame Cachet). Cet
équilibré a été ensuite malmenée par la jurisprudence postérieure (CE, 6 mai 1966, Ville de
Bagneux), qui a fait prévaloir le respect du droit, du principe de légalité sur le souci de sécurité
juridique.

193
Le code des relations entre le public et l’administration donne pour la première fois une
définition textuelle à l’abrogation d’un acte administratif qui est « sa disparition juridique pour
l’avenir » (L. 240-1 CRPA L’abrogation consiste alors à faire cesser de produire effet à un acte
administratif, pour l’avenir seulement. Le principe est que les règlements qu’ils soient
irréguliers ou réguliers peuvent toujours être abrogés, ou modifiés, par l’autorité compétente
(CE, 17 mars 1911, Blanchet). Dans un arrêt de Section (CE, Sect., 27 janvier 1961,
Vannier), le Conseil d’Etat pose le principe de l’absence de droit acquis au maintien d’un
règlement en considérant que «…les usagers d’un service public administratif n’ont aucun droit
au maintien de ce service ; qu’il appartient à l’administration de prendre la décision de mettre
fin au fonctionnement d’un tel service lorsqu’elle l’estime nécessaire, même si un acte
administratif antérieur a prévu que ce fonctionnement serait assuré pendant une durée
déterminée, à la condition, toutefois, que la disposition réglementaire relative à cette durée soit
abrogée par une mesure de même nature émanant de l’autorité administrative compétente ». Il
s’agit ici de l’application de la théorie ou de la doctrine de l’adaptation constante ou encore
de mutabilité des actes et contrats administratifs (CE, 10 janvier 1930, Despujol). Cette règle
ne régit que les actes réglementaires et non les actes individuels créateurs de droits.

On le sait, désormais, plus sensibles à l’exigence de sécurité juridique, la jurisprudence


administrative et le législateur ont tenté un nouvel équilibre. Par un arrêt Coulibaly (CE, 6 mars
2009, Coulibaly), le Conseil d’Etat a procédé, dans la droite ligne de l’arrêt Ternon (CE, 26
octobre 2001, Ternon), à l’unification des délais de retrait et d’abrogation des décisions
administratives individuelles créatrices de droit. Il est ainsi intéressant de noter le parallélisme
des considérants entre ces deux décisions.

Dans l’arrêt Ternon (CE 26 octobre 2001, Ternon), le Conseil d’Etat, de façon prétorienne,
définit les conditions de retrait des actes administratifs individuels créateurs de droit en
affirmant que « sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors
le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une
décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre
mois suivant la prise de cette décision ».

Dans son arrêt du 6 mars 2009 (CE, 6 mars 2009, Coulibaly), le Conseil d’Etat va définir le
régime de l’abrogation des actes administratifs individuels créateurs de droit en précisant que «
sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est
satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer ou abroger une décision

194
expresse individuelle créatrice de droits que dans le délai de quatre mois suivant l'intervention
de cette décision et si elle est illégale ».

On reconnaît ici la formulation qu’avait été adoptée par la Haute juridiction administrative dans
l’arrêt Ternon et notamment la condition relative au délai de 4 mois suivant l’intervention de
cette décision. Il y a alors unification des régimes juridiques du retrait et de l'abrogation. Les
délais relatifs à l’abrogation et au retrait des actes administratifs individuels créateurs de droit
illégaux sont désormais unifiés. L’arrêt du 6 mars 2009 ne concerne évidemment que les
décisions individuelles, explicites, illégales et créatrices de droit. Il n'en demeure pas moins
qu'il s'agit d'une grande avancée pour la sécurité juridique des administrés.

Il résulte de cette jurisprudence que la sécurité juridique est renforcée puisque passé un délai
de 4 mois, à compter de la prise de décision, de l’édiction de l’acte, son bénéficiaire ne plus
être privé de ses effets, quand bien même cet acte serait illégal, la collectivité publique n'ayant
plus la possibilité d'abroger une décision individuelle illégale si le bénéficiaire 112 n'en fait pas
la demande. Cette nouveauté constitue un prétexte intéressant pour rappeler qu'il ne faut pas
perdre de vue qu'en application des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000,
relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations: « Exception
faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être
motivées en application des articles 1er et 2 de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la
motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le
public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des
observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne
peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L'autorité
administrative n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par
leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique».

En somme, depuis le 1er juin 2016, le retrait et l’abrogation d’un acte créateur de droit est
possible uniquement en cas d’illégalité et dans un délai de 4 mois après son édiction, ce
qui reprend la solution de l’arrêt Coulibaly (L. 242-1 du code des relations entre le public
et l’administration (CRPA). L’abrogation devient obligatoire sur demande présentée par le

L’autorité administrative ne peut abroger une décision non-réglementaire créatrice de droit en l’absence de
112

demande expresse de l’intéressé, que dans les cas de figure ou la loi et les règlements l’y autorisent (CE, 30 juin
2006, Société Neuf Telecom). Il y a un abandon de la jurisprudence qui disait que si l’acte administratif illégal
créateur de droit est abrogeable dans le délai du recours contentieux (CE 1911 Pain).

195
bénéficiaire de l’acte dans le délai de 4 mois (L.243-3 CRPA), cela semble une innovation la
jurisprudence ne l’ayant jamais expressément consacrée. En clair, le retrait et l’abrogation des
décisions administratives créatrices de droits, expresses ou implicites, ne peuvent intervenir
qu’en raison de leur illégalité et ceci, dans un délai maximal de 4 mois à compter de leur
édiction.

Au-delà de ce délai de 4 mois, l’abrogation d’un acte créateur de droits, légal ou non, reste
possible dans certains cas : si un recours préalable obligatoire le permet (L. 242-5 CRPA), cette
solution existait déjà pour le retrait (article 20-1 de la loi du 12 avril 2000), le codificateur
l’étend à l’abrogation ; si le bénéficiaire le demande pour une décision encore plus favorable et
sous réserve des droits des tiers (L. 242-3 CRPA) ou si une condition qui subordonnait l’acte
n’est plus remplie (L. 242-2 CRPA), ce que permettait déjà l’arrêt Coulibaly.

L’abrogation est possible à tout moment pour les actes administratifs non-créateurs de
droits légaux, l’administration doit cependant veiller à l’assortir, le cas échéant, de mesures
transitoires au nom du principe de sécurité juridique (L. 243-1 CRPA). L’abrogation devient
même obligatoire si les actes non créateurs de droits sont illégaux. Cette obligation vaut pour
les illégalités qui apparaissent ab initio(CE, Ass., 3 février 1989, Compagnie Alitalia) ou
après un changement de circonstances de fait ou de droit pour un acte réglementaire (CE, Sect.,
10 janvier 1930, Despujol), et seulement à la suite d’un changement de circonstances pour les
actes non réglementaires (L. 243-2 CRPA). Cette subtilité, marquée par les jurisprudences
Alitalia (CE, 3 février 1989 et Association « Les Verts » CE, 30 novembre 1990), a été
reprise telle quelle par le Code. L’obligation disparait si l’illégalité n’existe plus au moment où
l’administration se prononce sur l’abrogation, comme l’évoquait déjà la jurisprudence (CE, 10
octobre 2013, Fédération Française de Gymnastique).

IV. Le régime du retrait des actes administratifs unilatéraux

L’administration peut se tromper, elle peut se rendre compte de son erreur et vouloir y mettre
fin. Le retrait est la reconnaissance du droit à l’erreur de l’administration, dans le délai limité.
Il est rétroactif et efface les effets antérieurs, par ce fait il constitue une exception majeure au
principe de non-rétroactivité des actes administratifs.

Rappelons que le régime du retrait des actes administratifs unilatéraux a été fixé par la
jurisprudence. Mais le Code des relations entre le public et l’administration donne pour la

196
première fois une définition textuelle au retrait d’un acte administratif qui est « sa disparition
juridique pour l’avenir comme pour le passé » (L. 240-1 CRPA)

Le retrait d’un acte administratif (créateur ou non de droits ; explicite ou implicite ;


réglementaire ou non réglementaire) est possible si l’acte en cause est illégal et uniquement
dans un délai maximal de 4 mois après son édiction. Ici, l’innovation majeure se situe dans la
perte d’utilité de nombreuses distinctions qui rendaient le régime du retrait difficilement lisible.
Désormais l’illégalité de l’acte constitue la pierre angulaire du retrait des actes administratifs,
ce qui a pour conséquence d’interdire par principe le retrait des actes réguliers et d’orienter,
dans certains cas, l’administration vers l’abrogation plutôt que vers le retrait, l’abrogation étant
moins attentatoire à la sécurité juridique. Ajoutons que le retrait est parfois obligatoire si le
bénéficiaire de l’acte créateur de droits illégal le demande dans le délai de 4 mois (L. 243-3
CRPA, innovation au même titre que pour l’abrogation).

Néanmoins, la disparition rétroactive d’un acte administratif demeure possible au-delà du délai
de 4 mois pour l’acte non créateur de droits qui constitue une sanction (L. 243-4 CRPA). Pour
les actes créateurs de droits cela est également possible dans plusieurs cas: si un recours
préalable obligatoire le permet (L. 242-5 CRPA, reprenant l’article 20-1 de la loi du 12 avril
2000), si les conditions d’octroi d’une subvention ne sont pas respectées (L. 242-2 CRPA,
reprise d’une lecture a contrario de l’arrêt CE, 25 juillet 1986, Société Grandes Distilleries «
les fils d’Auguste Peureux »), si le bénéficiaire le demande pour une décision encore plus
favorable et sous réserve des droits des tiers (L. 242-3 CRPA, reprenant l’arrêt Ternon).

Notons aussi qu’une sanction infligée par l’administration peut toujours être retirée (article
L.243-4 du CRPA).

197
Chapitre 7 : Le contrat administratif
L’administration, pour remplir ses missions, agit sur la base d’actes juridiques qu’elle a été
habilitée à édicter. A côté du droit privé auquel elle recourt le cas échéant, les actes qui relèvent
du droit administratif sont de deux sortes.

Tout d’abord, l’administration peut décider unilatéralement, prendre des actes administratifs
unilatéraux qui s’imposent aux administrés même contre leur volonté. L’acte unilatéral affecte
l’ordonnancement juridique par la seule volonté de l’administration. Par exemple, le maire peut
interdire le stationnement le long d’une voie publique sans avoir obtenu l’accord des habitants.

Par ailleurs, l’administration peut utiliser le contrat. Il s’agit alors d’agir moins avec la
puissance et plus avec le dialogue. Le contrat est un procédé traditionnel et ancien de l’action
administrative. Dès le XVIe siècle en France, des conventions furent passées avec des
particuliers, pour la construction et la gestion des canaux par exemple.

La contractualisation de l’action publique a connu un essor sans précédent avec le


développement de la décentralisation et l’extension de l’intervention des opérateurs publics
dans la sphère économique:« des procédures contractuelles sont apparues dans les domaines
de protection de l’environnement, des interventions culturelles, les politiques sociales et de la
santé, les actions de développement local, les politiques d’insertions et de lutte contre le
chômage (…) peu ou prou aujourd’hui toutes les politiques sont concernées par des contrats,
des chartes et autres conventions »113. Or, au départ il y avait « une sorte de timidité congénitale
à recourir à ces formes de coopérations qui ne paraissaient pas naturelles et inspiraient une
méfiance certaine à l’autorité de tutelle »114. Depuis la loi n°82-653 du 29 juillet 1982 portant
réforme de la planification : « l’État peut conclure avec les collectivités territoriales, les
régions, les entreprises publiques ou privées et éventuellement d’autres personnes morales, des
contrats de plan comportant des engagements réciproques des parties ». En précisant ainsi les
règles relatives aux contrats de plan État-régions, cette loi consacrait « l’intégration du plan
dans le droit »115. Dans sa décision n°83-160 DC du 19 juillet 1983 116 portant approbation
d’une convention fiscale avec le territoire d’outre-mer de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil
constitutionnel a considéré qu’« aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne s’oppose

113
Cf. GAUDIN (J.-P.), « Le sens du contrat dans les politiques publiques », Esprit 2/2001, p. 113.
114
PONTIER (J.-M.), « Coopération contractuelle et coopération institutionnelle », Revue administrative, 1994,
p. 164.
115
MIAILLE (M.), « De la nature du plan. A propos de la réforme de la planification », Etudes en l’honneur du
Doyen Georges PEQUIGNOT, Montpellier, C.E.R.AM. Tome 2, 1984, pp. 489-503.
116
Décision n°83-160 DC du 19 juillet 1983 portant approbation d’une convention fiscale avec le territoire
d’outre-mer de la Nouvelle-Calédonie, Rec., p. 43 ; JO du 21 juillet 1983, p. 2251.

198
pas à ce que l’État passe des conventions avec les diverses collectivités territoriales de la
République telles que les communes, les départements, les régions et les territoires d’outremer
», puis de préciser qu’« aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne s’oppose à ce
que de telles conventions aient pour objet d’harmoniser l’action des administrations
respectives de l’État, d’une part, et des collectivités territoriales d’autre part, dans l’exercice
des compétences qui leur sont dévolues en vertu de la Constitution et de la loi ». Il convient
surtout d'observer que la contractualisation l’action publique a toujours été marquée par une
superposition des techniques contractuelles dans divers domaines. Les préoccupations
inhérentes à l’aménagement du territoire français ont conduit à une multiplication des
partenariats entre l’État et les collectivités territoriales.

Au-delà de leur hétérogénéité, la mise en œuvre des contrats de plan État-région vise à garantir
l'égalité des territoires. On peut remarquer que dans le cadre des premières générations des
contrats État-régions, l’État « avait paru entériner les disparités régionales et mener une simple
politique d’accompagnement des politiques des collectivités locales »117, en adaptant son
enveloppe financière proportionnellement aux propositions de financement des différentes
régions. Il semble que désormais, la modulation de la contribution financière de l’État en
fonction des besoins régionaux est inspirée par les nécessités d’équité et de solidarité entres les
territoires. Dans le même temps, on constate que e développement des contrats de plan État-
région a entrainé une multiplication des contrats de pays, des contrats de ville, des contrats
d’agglomération, des contrats de réseaux, des conventions d’aménagement et de
développement.

Aujourd’hui la contractualisation de l’action publique connaît un essor sans précédent. Plus


important encore, « l’essor contractuel marque le passage d’une contrainte imposée (l’acte
unilatéral) à une contrainte consentie (le contrat). Il ne signifie pas pour autant un déclin de la
tutelle étatique »118. L’outil contractuel présente de nombreux avantages. Cette idée est très
clairement exprimée dans le Rapport « Vivre ensemble » qui observait que « l’utilité de la
procédure contractuelle est incontestable pour l’adaptation de l’action administrative à la vie
moderne »119. Pour sa part François GROSRICHARD indique que la contractualisation «

117
CHEREQUE (J.), Rapport sur les contrats de plan Etat-régions, rapport au Premier ministre, Gaz. Comm.,
n°32-31, août 1998, pp. 48-73 point (I-3).
118
MARCOU (G.), RANGEON (F.), THIEBAULT (J.-L.), « Le gouvernement des villes et les relations
contractuelles entre les collectivités publiques », in Francis GODARD (Dir.), Le Gouvernement des villes.
Territoire et pouvoir, Edition Descartes et Cie, 1997.
119
GUICHARD (O.), Vivre ensemble, Rapport de la Commission de développement des responsabilités locales,
Paris, La documentation française, 1976.

199
obéit au souci des gouvernants de marier les prérogatives régaliennes de l’État avec les
aspirations générales de la société moderne vers un plus libéralisme »120.

On relève de même que le processus de contractualisation de l’action publique s’inscrit dans un


vaste mouvement de rationalisation et modernisation de l’action publique. En adaptant, les
politiques publiques aux réalités du territoire, l’outil contractuel permettrait d’aboutir à une
meilleure rationalisation de l’action publique. Comme « technique de gestion des affaires
publiques »121, la contractualisation de l’action publique instille l’émergence d’un nouveau
mode de gouvernance permettant une offre dynamique et stimulante de services publics de
qualité dans une perspective de cohésion sociale et de solidarité nationale. Pour Gérard
MARCOU, « le contrat constitue (…) l’un des moyens de maintenir ou de créer de la cohérence
dans l’action publique même dans un système où l’on a assez largement décentralisé les
compétences »122. Le contrat « évoque un nouveau type de rapports fondés sur le dialogue et la
recherche du consensus plutôt que sur l’autorité »123. « En un mot, agir par voie contractuelle
est un signe de modernité […] Le succès de ce mouvement est tel que les personnes publiques
(État, collectivités locales, établissements publics) n’hésitent plus à contracter entre elles, dans
leurs champs de compétence respectifs, pour organiser leurs relations. Cette prolifération et
cette banalisation – des accords entre personnes publiques n’est pas sans susciter des
interrogations, sinon certaines craintes, de la part du juriste qui manque d’éléments d’analyse
à leur propos »124.

Le recours accru aux mécanismes contractuels vise à donner une certaine souplesse à l’action
publique, à mobiliser des ressources financières suffisantes. La contractualisation de l’action
publique correspond alors à l’idée d’« un droit néo-moderne », c'est-à-dire un droit « dont les
concepteurs ont dû renoncer à la généralité de la loi pour renforcer son aptitude à agir plus
profondément sur une réalité sociale mouvante »125. Les pouvoirs publics privilégient une
approche fondée sur « la polycentricité des formes de régulation du social et du politique »126.
De plus en plus, l’État agit « par une offre d’institutionnalisation de scènes et de procédures de

120
GROSRICHARD (F.), « Le contrat, nouveau mode emploi de la politique », Le Monde, 1er février 2000, p.
19.
121
RICHER (L.), « La contractualisation comme technique de gestion des affaires publiques », AJDA, 2003, pp.
973-975.
122
MARCOU (G.), « Les contrats entre les entre l’État et les collectivités territoriales », AJDA, 2003, p. 985.
123
CHEVALLIER « la gouvernance et le droit », in Mélanges Amselek, Bruyant, Bruxelles, 2005, p. 199.
124
DREYFUS (J.-D.), « Actualité des contrats entre personnes publiques », AJDA, 20 juillet 2000, p. 575.
125
MORAND (C.-A.), Le droit néo-moderne des politiques, Paris, LGDJ, « Droit et Société », 2000, 224p.
126
COMMAILLE (J.), JOBERT (B.), « La régulation politique : le point de vue d’un politiste », in Jacques
COMMAILLE, Bruno JOBERT (Dir.,) Les métamorphoses de la régulation politique, Paris, LGDJ, coll., « Droit
et Société », 1998, vol 24, p. 15.

200
négociations »127. On assiste alors à l’émergence d’« un État négociateur »128. De toute
évidence, l’État « n’est plus le pilote ni le grand ordonnateur, mais l’accompagnateur voir « le
négociateur » du social »129. La contractualisation de l’action publique exprime la manifestation
d’un « État stratège », c'est-à-dire un État qui s’organise autour de l’optimisation de l’action
publique. Cette recherche de la valeur optimale de l'action publique apparaît pour beaucoup
d’observateurs comme un « processus utilisé dans le cadre de contractualisation pour
sélectionner l’offre la plus avantageuse, en évaluant l’offre et en comparant les facteurs, en
plus des traditionnels coûts et prix »130. Dans un contexte marqué par la multiplication des
interventions des opérateurs publics dans la sphère économique, il devient essentiel de «
prouver que le service public a un bon coût-efficacité, c'est-à-dire aussi efficient et efficace que
ses compétiteurs »131.

Dans le même temps, le mouvement de contractualisation de l’action publique soulève quelques


difficultés. Luc ROUBAN remet en question l’efficacité de ce mécanisme de gouvernance
lorsqu’il écrit que « jusqu’à présent on a toujours pas démontré que ce qui était contractuel
était en soi plus efficace »132. De surcroît on observe que le développement de la
contractualisation des politiques publiques a entrainé une multiplication d’acteurs publiques et
privés. Pour sa part, Myriam BACHIR explique que « si la contractualisation aboutit à la
multiplication des acteurs pertinents des politiques publiques, elle accroît également les
possibilités de contradictions et de conflits entre différentes logiques d’intervention pouvant
nuire à l’émergence d’une action publique concrète »133. Il convient ainsi d’indiquer que la
contractualisation de l’action publique est un facteur d’enchevêtrement des compétences et de
financements croisés. En clair, « les mécanismes contractuels incitent les collectivités à la
dépense.[…]Outre les contrats “interministériels” tels que les contrats de plan État-Région, se
sont également multipliés les chartes, conventions, contrats directement conclus entre un
ministère et une collectivité particulière et qui ont tous ou presque le même but, allier

127
Ibid., p. 17.
128
MC CARTHY (P.), « Les politiques nationales désordonnées mais non autistes », in Anne-Marie Le
GLOANNEC (dir.), Entre union et nations. L’Etat en Europe, Paris, Presses de la FNSP, 1998.
129
LAZAR (M.), « La République à l’épreuve du social », in Marc SADOUN (Dir.), La démocratie en France,
Tome 2 Limites, Paris, Gallimard, 2000, p.400
130
PATERSON (P.), cité par HALACHMI (A.), MONTGOMERY (V.-L.), « Valeur optimale et responsabilisation
: questions et observations », Revue Internationale des Sciences administratives (RISA), 2000, vol. 66, n°3, p.
461-487.
131
TROSA (S.), Quand l’État s’engage. La démarche contractuelle, Paris, Editions, d’Organisation, 1999, p. 122
132
ROUBAN (L.), Le Pouvoir anonyme : les mutations de l’Etat à la française, Paris, Presses de la fondation
nationale des sciences politiques, 1994, 240 p. 577
133
BACHIR (M.) « Décentralisation et contractualisation-Région Picardie », Colloque « Décentralisation et
contractualisation : clarifier les règles du jeu », Institut de la décentralisation, Région Nord-Pas-de-Calais-Lille
du 13 septembre 1999.

201
concertation et incitation financière par le biais de financements croisés, mais qui peuvent aussi
n’être que des déclarations d’intention à domaine médiatique »134.

On peut également évoquer le rapport de la Commission Mauroy, Refonder l’action publique


locale qui « remet en cause la systématisation de la procédure contractuelle qui intervient en
tout domaine. Outre la confusion qui en résulte, une telle multiplication des contrats induit une
mobilisation d’énergies injustifiées, un engrenage de réunions pour des résultats limités. […].
Les élus n’ont plus le temps nécessaire à consacrer à de telles réunions. Si la contractualisation
est positive, sa systématisation a des effets pervers. L’usager, l’électeur, ne sait plus qui fait
quoi. Les responsabilités sont diluées »135. Il est tout aussi vrai que la propension des pouvoirs
publics à recourir à l’outil contractuel intervient dans un contexte marqué par une « crise de
l’État-providence et des techniques de gestion keynésiennes ». Une crise qui se caractériserait
notamment par « l’importance des acteurs décisionnels, associatifs ou privés […],
l’affaiblissement des partis politiques classiques, la moindre capacité de mobilisation des
idéologies traditionnelles, la technicité accrue des processus de gouvernance moderne, enfin
les défis posés à l’État par l’intégration européenne d’une part, par la globalisation
économique de l’autre »136.

En conclusion, la contractualisation de l’action publique est un vecteur de la territorialisation


du droit. L’action publique s’est ainsi transformée autour des partenariats et coopérations de
sorte que « les maîtres mots […] sont désormais coordination et décloisonnement ». 137
Initialement conçue comme « un instrument susceptible de dépasser les contradictions entre
centralisation et décentralisation »138 la contractualisation des politiques publiques contribue
au renforcement de l’illisibilité de l’action publique par la multiplication des acteurs et la
multiplicité de centres d’émission normative.

Précisons tout de même que tous les contrats de l’administration ne sont pas des contrats
administratifs. L’administration recourt à de nombreux contrats qui peuvent relever, selon les

134
GROSHENS (J.-C.), WALINE (J.), « À propos de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 », in Mélanges,
Paul AMSELEK, Bruyant, 2005, p. 425-427.
135
Refonder l’action publique locale, Rapport au Premier ministre, Pierre MAUROY, Paris, La Documentation
française, Coll. des rapports officiels, janvier 2000, p. 58.
136
ALISTAIR (C.), « Les réseaux et l’espace public. Leçons de France et de Grande-Bretagne », in Bastien
FRANCOIS, Erik NEVEU, Espaces publics mosaïques. Auteurs, arènes et rhétoriques, des débats publics
contemporains, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « ResPublica », 1999, p. 250.
137
GAUDIN (J.-P.), Gouverner par contrat, l’action publique en question, Paris, Presses de Sciences Po, 2e
édition, Dalloz 2007, p. 8.
138
POULET-GIBOT LECLERC (N.), « La contractualisation des relations entre les personnes publiques »,
RFDA, 1999, p. 559.

202
cas du droit public et donc de la compétence du juge administratif, ou bien du droit privé et de
la compétence du juge judiciaire. Il faut donc identifier au sein des contrats de l’administration
ceux qui sont soumis au droit administratif.

L’administration peut avoir recours, pour l’exécution de ses missions à des procédés
contractuels. Les contrats conclus par l’administration lui permettent soit de fournir des
prestations, soit d’en obtenir, soit d’organiser le service public. Certains de ses contrats sont des
contrats administratifs, qu’il faut définir avant d’en analyser le régime juridique.

Section 1 : La notion de contrat administratif

Dans certaines hypothèses, l’administration peut conclure des contrats de droit privé, identiques
comparables à ceux que deux particuliers pourraient passer, adopter. Il en va ainsi d’un contrat
d’abonnement à l’électricité conclu entre l’Université Omar Bongo et la SEEG. Un tel contrat
est soumis au juge judiciaire. Dans des très nombreuses hypothèses, l’administration conclut
des contrats de droit public, c’est-à-dire des contrats relevant de la compétence du juge
administratif. La qualification de contrat administratif peut résulter de la volonté du législateur
(I). En cas de silence de la loi, il revient au juge de déterminer la nature administrative ou civile
du contrat litigieux. Pour ce faire, il utilise des critères jurisprudentiels (II).

I. Les contrats administratifs par détermination de la loi

Le législateur est intervenu pour qualifier certains contrats d’administratifs ou, au contraire de
droit privé. Cette qualification s’impose alors au juge. Parmi les contrats administratifs par
détermination de la loi se trouvent :

• l’ensemble des contrats relatifs à l’exécution des travaux publics (article 4 de la loi du
28 pluviôse an VIII).
• les contrats d’occupation du domaine public passés par l’Etat, les collectivités locales,
les établissements publics et même les concessionnaires (personnes privées) de travaux
ou de services publics qui utilisent le domaine public (Décret-loi du 17 juin 1938,
article L.84 du domaine de l’Etat):

Exemple : un contrat autorisant l’installation d’un kiosque à journaux sur le trottoir.

• l’ensemble des marchés publics qui entrent dans le champ d’application du Code des
marchés publics. Les marchés passés en application du code des marchés publics ont le

203
caractère de contrats administratifs (article 2 de la loi MURCEF du 11 décembre
2001) :

Il s’agit des « contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l’article
2 et des opérateurs économiques publics ou privés pour répondre à leurs besoins en matière de
travaux, de fournitures ou de services ». Il existe ainsi trois catégories de marchés publics : Les
marchés publics des travaux qui correspondent "aux contrats ayant pour objet la réalisation de
tous les travaux de bâtiments ou de génie civil à la demande d'une personne publique exerçant
la maîtrise d'ouvrage", les marchés publics de fournitures "ayant pour objet l'achat mais
également la prise en charge de crédit-bail, la location ou la location-vente de produits ou
matériels" et les marchés publics de services "ayant pour objet la réalisation des prestations de
services".

Ensuite, il convient de distinguer le marché public d’une subvention qui constitue « une
contribution financière de la personne publique à une opération justifiée par l’intérêt général,
mais qui est initiée et menée par un tiers. Il s’agira d’une subvention si l’initiative du projet
vient de l’organisme bénéficiaire et si aucune contrepartie directe (ou équivalente) n’est
attendue par la personne publique du versementde la contribution financière (…) »139. Ils
doivent également être distingués de la délégation de service public dont "la rémunération
est substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation d'un service public". Elle est
définie comme « un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion
d’un service public dont elle a responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la
rémunération est substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation du service. Le
délégataire peut être chargé construire des ouvrages ou acquérir des biens nécessaires au
service »140. Il en résulte alors deux critères principaux entre les deux catégories de
contrat.

▪ Le rôle du cocontractant : si le cocontractant de l’administration effectue des prestations


qui sont seulement pour l’administration des moyens lui permettant d’exécuter elle-
même le service, il y a marché public.

En revanche, si le cocontractant est chargé d’exécuter au bénéfice des usagers avec lesquels il
est en relation les prestations qui sont l’objet du service, il y a délégation du service public.

139
Circulaire du 3 août 2006 portant manuel d’application du code des marchés publics, JO n°179 du 4 août 2006,
p. 11665.
140
La distinction résulte de l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône c/Commune
de Lambesc, confirmé par l’article 3 de la loi MUCERF du 11 décembre 2001.

204
▪ La rémunération du contractant : lorsque la rémunération cocontractant est constituée
par un prix qui lui est versé, il y a marché.

Lorsque la rémunération résulte substantiellement de redevances payées par les usagers,


il délégation de service public. La rémunération du délégataire doit être assurée par les
résultats de l’exploitation (c’est-à-dire les usagers) et non en fonction de ces résultats (ce qui
aurait pu autoriser un paiement par la collectivité publique contractante). L’idée principale est
que, dans le cadre d’une délégation de service public, le cocontractant court un risque financier.

• Les contrats de partenariat.

Aux termes de l’article 1er de l’ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat: « Les
contrats de partenariat sont des contrats administratifs par lesquels l'Etat ou un établissement
public de l'Etat confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée
d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission
globale relative au financement d'investissements immatériels, d'ouvrages ou d'équipements
nécessaires au service public, à la construction ou transformation des ouvrages ou
équipements, ainsi qu'à leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ou leur gestion, et,
le cas échéant, à d'autres prestations de services concourant à l'exercice, par la personne
publique, de la mission de service public dont elle est chargée ».

En cas de silence de la loi, il appartient au juge de déterminer la nature administrative ou civile


du contrat administratif. Il a ainsi recours à des critères jurisprudentiels.

II. La qualification jurisprudentielle du contrat administratif

Pour qu’un contrat soit administratif, deux conditions doivent remplies : le critère organique (la
nature des cocontractants), le critère matériel (le contenu du contrat).

A. Le critère organique
1. Les contrats conclus entre personnes privées

Le principe est qu’au moins l’une des parties au contrat doit être une personne publique.
En d’autres termes, en application du critère organique, un contrat entre personnes privées
ne peut pas être administratif même si l’une d’elle est chargée de l’exécution d’un service public
(CE, Sect., 13 décembre 1963, Syndicat des praticiens de l’art dentaire du Nord).

205
Dans un arrêt Société interprofessionnelle du lait et de ses dérivés Interlait (TC, 3 mars 1969,
Interlait), le Tribunal des conflits apporte une limite à la jurisprudence Peyrot (TC, 8
juillet 1963) tout en réaffirmant le principe selon lequel un contrat conclu entre deux personnes
privées ne peut être qualifié de contrat administratif même si l’un des cocontractants est chargé
d’une mission de service public. Le Tribunal des conflits retient qu’une société de droit privé
intervenant en matière de régularisation de prix exerce une mission de service public, mais que
toutefois, elle se livre librement à des opérations commerciales soumises aux règles de droit
privé. Par suite, les litiges opposant cette société à ses clients ou à ses fournisseurs relèvent de
la compétence du juge judiciaire.

Dans cette affaire, le Tribunal des conflits distingue les missions appartenant par nature
à l’Etat comme la construction des routes (hypothèse de l’arrêt Peyrot) et les activités
étatiques nouvelles de caractère économique et social.

Il est acquis qu’un contrat passé entre personnes privées est un contrat de droit privé. Une
exception est toutefois dégagée par l’arrêt du Tribunal des Conflits du 8 juillet 1963, Société
Entreprise Peyrot. Précisément, la jurisprudence admet certaines atténuations au critère
organique, lorsque l’une des personnes privées agit de façon étroitement liée avec
l’administration. Autrement dit, le contrat conclu entre deux personnes privées peut être
administratif s’il apparaît comme ayant été conclu « pour le compte » d’une personne publique.

Il peut s’agir d’un mandat explicite : dans ce cas, le mandataire, personne privée, agit au nom
et pour le compte de la personne publique et reste donc transparent (CE, 2 juin 1961, Leduc,
marché de travaux conclu par une société coopérative « par mandat et pour le compte de la
commune »).

Il peut aussi s’agit d’un mandat implicite : Le Conseil d’Etat estime que le critère organique
est rempli quand, d’un faisceau d’indices, on peut conclure que la personne privée a agi pour le
compte de la collectivité (CE, Sect., 30 mai 1975, Soc. D’équipement de la région
Montpelliéraine).

En somme, un contrat entre deux personnes privées peut être administratif s’il apparaît
qu’en réalité derrière l’un des cocontractants, apparaît en filigrane, une personne
publique. La construction des routes nationales appartenant par nature à l’Etat et étant
traditionnellement exécutée en régie directe, il n’y a pas lieu de distinguer selon que la
construction est assurée de manière normale par l’Etat ou, à titre exceptionnel par un
concessionnaire agissant en pareil cas pour le compte de l’Etat.

206
Précisons tout de même que par sa décision du mars 2015 (TC, 9 mars 2015, Compagnie
générale des eaux c/Ministre de l’écologie et du développement), le Tribunal des Conflits
revient sur sa jurisprudence Peyrot, en décidant de la compétence du juge judiciaire en cas de
litige relatif à l’exécution d’un contrat de travaux conclu entre une société concessionnaire
d’autoroute et une autre personne privée. Désormais, il considère que « qu’une société
concessionnaire d’autoroute qui conclut avec une personne privée un contrat ayant pour objet
la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute ne peut, en l’absence de conditions
particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l’Etat ». Ainsi, « les litiges nés
de l’exécution de ce contrat relèvent des juridictions de l’ordre judiciaire ».

Cette solution s’explique par le fait que la construction des autoroutes est maintenant
concédée par l’Etat à sociétés privées pour la plus grande majorité d’entre elles. Par
ailleurs, cette nouvelle jurisprudence s’inscrit dans le sens dans le sens de l’évolution de la
jurisprudence récente du Tribunal des Conflits en matière contractuelle selon laquelle lorsqu’un
opérateur privé agit en tant que concessionnaire, il agit pour son propre compte et non pour
celui de la personne publique avec laquelle il a conclu la convention de concession. Par suite,
les contrats relatifs à la construction d’un ouvrage conclus avec deux autres sociétés par le
concessionnaire, personne morale de droit privé agissant pour son compte, sont des contrats de
droit privé. Le litige né de leur exécution ressortit, dès lors, à la compétence des juridictions de
l’ordre judiciaire (TC, 9 mars 2015, Rispal c/ Autoroutes du Sud de la France).

Le revirement de jurisprudence s’accompagne pour la première fois d’une modulation


dans le temps. En effet, une telle évolution concernant la modification du régime d’exécution
des contrats n’est pas applicable pour les contrats conclus antérieurement au revirement du 9
mars 2015. Il s’ensuit que pour le cas d’espèce, le juge administratif est encore compétent. Pour
les contrats conclus postérieurement au revirement, le juge judicaire sera compétent pour
tous les contrats passés par les sociétés concessionnaires d’autoroute, en dehors de la
concession elle-même.

2. Les contrats conclus entre personnes publiques

Un contrat passé entre personnes publiques est un contrat administratif. Dans un arrêt
Union des Assurances de Paris (TC, 21 mars 1983, UAP), le Tribunal des Conflits rappelle
qu’un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt un caractère administratif et que
seule juridiction administrative est compétente pour connaître des litiges relatifs à son
exécution. Le Tribunal des conflits relève toutefois que cette présomption

207
d’administrativité est réfragable ou peut être renversée au regard de l’objet du contrat,
lorsque celui-ci ne fait naître entre cocontractants, les parties que des rapports de droit
privé. Cette présomption est renversée « dans les cas où les rapports qu’il fait naître entre
les cocontractants sont des rapports de droit privé » (exemple : contrat d’abonnement à
l’électricité et au gaz conclu entre une université et EDF-GDF).

Dans un arrêt Commune de Morestel (CE, 1er mars 2000, Commune de Morestel), le Conseil
d’Etat considéré qu’un contrat conclu entre deux personnes publiques est un contrat de
droit privé eu égard à son objet. Il s’agissait d’une convention de prêts octroyés par la caisse
de l’énergie à une collectivité territoriale. Il en résulte que dans le cas des contrats conclus
entre une personne publique et une personne privée, le critère organique est inopérant.
Ces contrats ne sont administratifs que s’ils apparaissent comme des actes de gestion publique,
et cela en raison de clauses exorbitantes du droit commun, soit de leur objet.

B. Le critère matériel (contenu du contrat)

Pour déterminer la nature administrative ou civile du contrat, la jurisprudence se réfère ensuite


au contenu du contrat. Le contrat est un contrat administratif si son objet, c’est-à-dire
l’opération qu’il permet de réaliser (des travaux, une vente, une embauche…) est en lien avec
le service public.

Il faut distinguer 3 cas de figure :

1. L’objet du contrat est en lien avec le service public

Plusieurs situations peuvent se présenter. Il faut distinguer trois cas de figure :

a) Le contrat confiant l’exécution même du service public

Un certain nombre d’arrêts célèbres illustrent cette solution.

• CE, 6 février 1903, Terrier : affaire de la capture des vipères.


• CE, 4 mars 1910, Thérond : affaire de la capture des chiens errants.
• CE, 20 avril 1956, Epoux Bertin : hébergement des réfugiés russes au centre de
rapatriement de Meaux dans l’après-guerre.
Le juge administratif a également retenu le critère de la participation à une mission de
service public (CE, 3 avril 2002, Mvé Allogo C/Centre d’Appui Technique à
l’Hévéaculture : à propos de la nature juridique d’un contrat liant un agent en

208
détachement à un établissement public administratif), (CE, 11 mars 2005, Cabinet A.U.A
C/ Etat gabonais (OPT). La Haute juridiction administrative gabonaise estime que dès lors
qu’une convention conclue par une personne publique a pour objet l’exécution d’un service
public, elle est administrative, sans qu’il importe que ladite convention comporte ou non des
clauses exorbitante de droit commun ( CE, 11 mars 2005, Cabinet A.U.A C/ Etat gabonais
(OPT)/
b) Le contrat constituant une modalité même de l’exécution du service public

Le contrat permet à l’administration de prendre en charge l’exécution du service public.


Ainsi, par exemple, un contrat conclu par l’Etat avec des particuliers pour permettre à la
personne publique de reboiser des terrains privés.

• CE, 20 avril 1956, Grimouard:

Une loi de 1946 a créé le service public de conservation, de développement, de mise en valeur
et d’exploitation de la forêt. « L’une des modalités de l’exécution même de ce service » réside
dans les opérations de boisement entreprises par l’administration sur des terrains privés.
L’administration conclut des contrats avec les propriétaires privés portant sur des opérations de
reboisement. Ce n’est plus le cocontractant qui joue un rôle essentiel mais bien l’administration
pour laquelle le contrat devient un moyen privilégié de remplir sa mission.

• CE, 26 juin 1974, Société « La Maison des isolants de France »

De même un contrat conclu entre une commune et une société pour que cette dernière délocalise
son siège social en échange de diverses aides. Le contrat est administratif car la commune a
assuré l’exécution d’une mission de service public à travers cette opération de décentralisation
industrielle.

c) Les contrats faisant travailler une personne physique pour le compte d’un service
public administratif:

Pendant longtemps, la jurisprudence a considéré que le contrat de travail de l’agent


travaillant pour le compte d’un service public administratif constituait un contrat
administratif uniquement si ce contrat faisait participer l’agent à l’exécution même du service
public.

• TC, 25 novembre 1963, Dame Veuve Mazerand :

209
Dans cette affaire, le Tribunal des Conflits a considéré qu’une employée ne participait pas à
l’exécution du service public lorsqu’elle nettoyait la classe d’une école primaire. Elle était liée
à la commune de Jonquière par un contrat de privé, et, pour cette période, devait porter le litige
financier devant le juge judiciaire.

En revanche, son activité supplémentaire de gardienne, de la surveillance des enfants a été jugée
faire comme la faisant participer à l’exécution d’une mission de service public. Elle avait donc
pour cette période, la qualité d’agent contractuel de droit public et devait porter son litige
pécuniaire devant le juge administratif.

Le juge des Conflits distinguait assez arbitrairement et de façon subtile entre des tâches
comparables pour estimer s’il y avait ou non une participation à l’exécution du service public.
Cette jurisprudence concernait des agents occupant des fonctions modestes et les obligeait à
patienter plusieurs années pour connaître l’ordre de juridiction compétent pour statuer sur les
litiges pécuniaires représentant souvent quelques centaines de francs.

Le Tribunal des conflits a mis fin à cette jurisprudence, ces solutions complexes.
Désormais, tous les contrats des agents travaillant pour le compte d’un service public
administratif sont des contrats administratifs, « quel que soit leur emploi ».

• TC, 25 mars 1996, Berkani

Dans cet arrêt, le Tribunal des Conflits juge que les personnels non statutaires travaillant
pour le compte d’un service public administratif sont des agents contractuels de droit
public « quel que soit leur emploi ». Le contentieux concernant ces agents relèvent donc du
juge administratif. Ainsi, le Tribunal des Conflits abandonne le critère de la participation à
l’exécution d’une mission de service public, qui s’applique à la généralité des contrats passés
par l’administration. Les agents d’un service public administratif sont des agents contractuels
de droit public quel que soit leur emploi (à propos d’un aide cuisinier qui, en application de la
jurisprudence ancienne, aurait été jugé ne pas participer à l’exécution même du service public,
et qui, en application du nouveau critère, a été jugé posséder la qualité d’agent contractuel de
droit public).

Toutefois, le Tribunal des Conflits a rappelé que ce principe ne s’applique pas aux contrats de
droit privé par détermination de la loi (TC, 22 mai 2006, Préfet des Bouches du Rhône).

210
2. Le contrat contenant une clause exorbitante du droit commun ou soumis à un
régime exorbitant du droit commun

Un contrat, auquel une personne publique est partie, est administratif s’il contient une
clause exorbitante du droit commun et dès lors critère organique est satisfait. En clair,
même si un contrat n’a pas pour objet l’exécution même du service public, le juge peut le
qualifier d’administratif si les rapports des cocontractants sont dérogatoires au droit
privé, ce qui peut résulter soit des clauses du contrat, soit de son régime. Cette solution résulte
d’une jurisprudence ancienne du Conseil d’Etat.

• CE, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges

En l’espèce, un marché de fournitures de pavés avait été conclu entre la Ville de Lille et une
société des granits porphyroïdes des Vosges; à la suite d’un retard dans les livraisons,
l’administration a prononcé des sanctions qui furent contestées par le fournisseur.

Le Tribunal des Conflits relève que « le marché passé entre la ville et la société, était exclusif
de tous travaux à exécuter par la société et avait pour objet unique des fournitures à livrer
selon les règles et conditions des contrats intervenus entre particuliers ».Le Conseil d’Etat va
analyser les clauses du contrat et relève que qu’en l’occurrence ce qui permet de se prononcer
sur la qualité du contrat c’est le fait qu’il contienne ou non des clauses exorbitante de droit
commun. Or, le contrat passé par la ville de Lille pour l’achat de pavés devant être livrés selon
les règles de droit commun n’en contient pas.

Une clause exorbitante de droit commun est une disposition qui confère des droits aux
parties ou met à leur charge des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont
d’être librement consentis par quiconque dans le cadre du droit civil et commercial. Il
s’agit des dispositions exclues des relations privées, soit des dispositions conférant à la personne
publique une position de supériorité. Par exemple, une exonération fiscale est impossible en
droit privé, de même, une clause révélant la poursuite d’un but d’intérêt général sera considérée
comme inhabituelle en droit privé et de nature à imprimer au contrat une « couleur
administrative ». La clause exorbitante du droit commun est définie par le Conseil d’Etat dans
l’arrêt Stein (CE, 20 octobre 1950, Stein): Il s’agit d’une clause « ayant pour objet de conférer
aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangers par leur nature à
ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois
civiles et commerciales ». Cette définition a été reprise par certaines juridictions judiciaires
(Civ. 1er, 20 septembre 2006) et par le Tribunal des Conflits (TC, 15 novembre 1999,

211
Commune de Bourisp). En même temps, il faut relever que cette définition a souvent fait
l’objet de critiques.

Dans un arrêt du 13 octobre 2014 (TC, 13 octobre 2014, SA AXA France IARD c/MAIF), le
Tribunal des Conflits donne une définition positive à la notion de clause exorbitante de droit
commun. En l’espèce, il s’agissait de déterminer, pour le Tribunal des Conflits, la nature d’un
contrat de mise à disposition d’un ensemble immobilier destiné à la pratique de l’aviron, conclu
entre une commune et une association.

Dans cette affaire, le Tribunal des Conflits a donné compétence au juge judiciaire car « le
contrat litigieux ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à
la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général,
qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ».

Les clauses exorbitantes de droit commun sont « non seulement celles qui déterminent le
caractère administratif du contrat mais également des clauses qui, dans des contrats demeurant
de droit privé, imposent à l’une des parties des obligations ou lui confèrent des droits au-delà
des prévisions légales ou des usages ».Le Tribunal des Conflits définit désormais la clause
exorbitante du droit commun comme celle qui implique dans l’intérêt général, que le
contractant relève du régime exorbitant des contrats administratifs. Il fait ainsi référence
à la jurisprudence Société d’exploitation de la rivière du Sant qui a fait naître le régime
exorbitant comme critère de qualification des contrats administratifs. Ce critère
correspond à un faisceau d’indices dont les clauses exorbitantes ne sont qu’un élément de
preuve.

Il convient surtout de relever que cette nouvelle définition place l’intérêt général au centre
de la qualification des contrats administratifs et donc de ‘activité administrative. Le
critère devient finaliste. Les clauses ne sont plus définies par leur contenu, mais par leur
but. Pour être reconnue comme exorbitante, une clause doit ainsi répondre à deux
conditions cumulatives :

• Elle doit satisfaire un intérêt général


• Conférer la personne publique, des prérogatives ou avantages exorbitants, soit imposé
à son cocontractant des obligations ou des sujétions exorbitantes.

Un contrat peut alors contenir des clauses anormales sans pour autant être exorbitant.
Dans la mesure où la présence de ces clauses n’implique pas l’intérêt général. Cette définition

212
rapproche la notion de clause exorbitante du régime général des contrats administratifs. Ensuite,
elle met un terme aux hésitations jurisprudentielles à l’égard du contenu matériel de la notion
de clauses exorbitantes. La définition est recentrée sur les clauses inégalitaires, ce qui
reprend la jurisprudence habituelle. L’étude de la jurisprudence révèle trois sortes de clauses
exorbitantes : celles qui donnent à l’administration un pouvoir de contrôle et de direction, celles
qui lui donnent un pouvoir de modification et celles qui lui donnent un pouvoir de résiliation.
Cette nouvelle définition met le droit administratif en cohérence avec le droit international,
notamment le droit européen de la concurrence. Les contrats administratifs sont soumis au
respect des règles communautaires. Les notions d’abus de position dominante, d’aide d’Etat
et de clauses abusives entraînent l’annulation des clauses inégalitaires dans les relations
contractuelles avec l’administration. Cela constituait une menace pour le critère des clauses
exorbitantes. Il faut en effet rappeler que le droit européen ne tolère le déséquilibre dans les
clauses contractuelles que lorsqu’elles poursuivent un but d’intérêt général. Ainsi, les contrats
devront désormais s’y référer de façon à coller à la définition élaborée par le Tribunal des
Conflits.

Est également administratif le contrat passé par une personne publique soumis à un régime
exorbitant du droit commun. Cette hypothèse ne concerne qu’un petit nombre de cas. C’est le
cadre dans lequel s’inscrit le contrat qui conduit à la qualifier de contrat administratif. Ainsi,
dans l’arrêt de 1973, Société d’exploitation électrique de la rivière du Sant, a été qualifié
d’administratif un contrat où EDF achetait la totalité de la production d’une microcentrale. Les
textes encadraient fortement la conclusion de ce contrat (EDF était obligée d’acheter
l’électricité) et l’exécution de la convention (pouvoir d’arbitrage du ministre de l’Economie)
(CE, 19 janvier 1973, Société d’exploitation de la rivière du Sant).

Section 2: L’exécution des contrats administratifs

La mission d’intérêt général qu’a en charge l’administration conduit à une certaine inégalité
dans les rapports contractuels.

I. Les prérogatives de l’administration

La personne publique les détient, en tout état de cause, en vertu des règles générales applicables
aux contrats administratifs.

A. Le pouvoir de direction et de contrôle

213
En matière d’exécution des contrats, l’administration dispose d’un certain nombre de
prérogatives: droit de direction et de contrôle, droit d’édicter des sanctions, droit de
modification unilatérale, droit de résiliation unilatérale.

1. Le pouvoir de sanction

Le pouvoir de sanctionner les manquements du cocontractant à ses obligations contractuelles a


été consacré par l’arrêt du Conseil d’Etat Deplanque (CE, 31 mai 1907, Deplanque).

Les sanctions susceptibles d’être infligées sont pécuniaires ou coercitives.

• Sanctions pécuniaires connaissent deux modalités tantôt il s’agit de pénalités


contractuelles (amendes), parce que l’administration a pris soin d’insérer de telles
causes dans le contrat, tantôt il s’agit sanctions non prévues mais qui sont néanmoins
de droit, tels que les dommages-intérêts.

Le cocontractant peut avoir à payer des pénalités, calculées de façon forfaitaire car elles ne font
que constater que le retard pris dans l’exécution du contrat. Il doit aussi verser des dommages
et intérêts pour réparer le préjudice causé de son fait.

• Sanctions coercitives (mise sous séquestre, mise en régie, déchéance):

Elles visent à surmonter la défaillance provisoire du cocontractant par le recours à un tiers


ou par substitution de l’administration à son cocontractant pour la poursuite de l’exécution du
contrat, cela afin d’éviter l’interruption même brève, du service public qui est l’objet du
contrat : mise en régie dans les marchés de travaux, achat par défaut dans les marchés de
fourniture, mise sous séquestre dans les concessions. Une entreprise est substituée à
l’entrepreneur initial qui supporte cependant les risques de l’opération.

• Résiliation unilatérale: en cas de faute grave du cocontractant.

Cette sanction est impossible dans les concessions car des investissements trop considérables
sont en jeu: seul le juge peut prononcer la rupture du contrat de concession (CE, 17 novembre
1944, Ville d’Avallon).

Néanmoins, sauf en matière de pénalités, le prononcé des sanctions, qui doit être motivé,
doit être précédé d’une mise en demeure d’exécuter.

2. Le pouvoir de modification unilatérale

214
Rappelons qu’en vertu de l’article 1134 du code civil: « les conventions légalement formées
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Rappelons encore que le pouvoir de modification
unilatérale va permettre à l’administration de faire évoluer le contrat en fonction des nécessités
de l’intérêt général. Il s’agit là d’une application du principe de mutabilité des services publics
consacré par l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 janvier 1902, Compagnie nouvelle du gaz de
Deville-lès-Rouen.

Ce pouvoir de modification unilatérale des contrats, dans l’intérêt du service public, existant
même sans texte, est clairement reconnu par le juge (CE, 2 février 1983, Union des transports
publics et urbains).

La modification ne doit pas porter atteinte à l’équilibre financier du contrat.

• Le cocontractant peut obtenir des dommages-intérêts supplémentaires en cas de


modification non justifiée par des motifs d’intérêt général, ou même demander la
résiliation, le cas échéant aux torts de l’administration, en cas de modification trop
importante des stipulations contractuelles (CE; 12 mars 1999, SA Méribel).
• Le cocontractant peut aussi obtenir des dommages-intérêts lorsque la modification
des clauses du contrat par l’administration a entraîné des dépenses inutiles.
B. Le pouvoir de résiliation pour des raisons d’intérêt général

L’administration peut mettre un terme au contrat en dehors de toute faute du


cocontractant. La résiliation unilatérale constitue l’une des plus importantes prérogatives de
l’administration. Elle peut être prononcée en cas de grave du cocontractant, et même en
l’absence de faute, dans l’intérêt du service.

Dans un arrêt du 22 mai 1958 (CE, Ass., 22 mai 1958, Distillerie de Magnac Laval), le
Conseil d’Etat a jugé que : « l’administration peut en tout état de cause, en vertu des règles
applicables aux contrats administratifs, mettre fin avant terme à des marchés de fournitures
sous réserve des droits à indemnité des intéressés ». Ce droit qui se justifie par le principe
de mutabilité ou d’adaptation du service public, doit toutefois reposer sur un motif
d’intérêt général (CE, 2 février 1987, Société TV6). Le pouvoir de résiliation unilatérale pour
motif d’intérêt général est le type même de la clause exorbitante du droit commun quand elle
est prévue par le contrat. Le cocontractant a droit à indemnisation intégrale des pertes
subies.

II. Les droits des cocontractants

215
Le cocontractant bénéficie de certains droits et notamment le droit au paiement du prix
convenu et le droit à une indemnisation en cas d’aléa économique. Il a différents droits dans
l’exécution du contrat : droit à ce que l’administration exécute correctement le contrat ; droit
de retirer les avantages financiers résultant du contrat.

La spécificité essentielle du contrat administratif est le fait que le cocontractant bénéficie


d’un droit au rétablissement de l’équilibre financier du contrat. L’exécution du contrat est
en effet susceptible de se dérouler dans des hypothèses qui n’avaient pas été prises en compte
par ces stipulations. En cas de changement de circonstances, le cocontractant doit continuer à
exécuter le contrat. Seule une impossibilité absolue, force majeure ou fait de la personne
publique, est admises comme cause de non-exécution.

A. L’aléa économique ou la théorie de l’imprévision

La théorie de l’imprévision correspond à un changement des circonstances de fait. Elle entraîne


l’obligation pour l’administration d’aider financièrement le cocontractant à exécuter le contrat
lorsqu’un évènement imprévisible et étranger à la volonté des parties a provoqué le
bouleversement économique de l’économie du contrat. Il en résulte que l’exigence de continuité
du service public l’emporte sur le principe de l’intangibilité des dispositions contractuelles en
cas de bouleversement des circonstances économiques dans lesquelles a été conclu le contrat.

• CE, 30 mars 1916, Compagnie du Gaz de Bordeaux

Dans cette affaire, le cocontractant avait rencontré des difficultés majeures pour exécuter un
contrat de livraison de gaz en raison de la hausse vertigineuse des prix, du charbon après
l’occupation des mines de Lorraine par les troupes allemandes. De toute évidence, la théorie de
l’imprévision entre en jeu quand un évènement (guerre, crise économique, catastrophe
naturelle…) imprévisible et extérieur aux parties (indépendant de leur volonté) entraîne un
véritable bouleversement du contrat (véritable déficit qui met en péril l’exécution du contrat).
Même dans ces conditions, le cocontractant doit continuer l’exécution. Mais pour pouvoir
respecter ses obligations, il reçoit une indemnité qui équivaut en principe à 90 % de l’aléa
économique.

La constatation de circonstances imprévisibles entraîne le versement par l’administration à son


cocontractant, d’une indemnité d’imprévision dite encore indemnité pour charges
exceptionnelles. Il s’agira tout d’abord de déterminer la « période extracontractuelle » qui
correspond à la durée des effets de l’imprévision et constitue une sorte de suspension du contrat

216
originaire. Ensuite, il faudra calculer « la charge extracontractuelle », c’est-à-dire le surcoût
financier que les événements imprévus imposent au cocontractant de supporter. Cette charge
n’est souvent ni le simple montant du déficit (CE, 18 février 1921, Compagnie générale
d’éclairage de Castelnaudary) ni le simple manque à gagner. En particulier, le juge
administratif tient compte de l’ensemble des recettes que le cocontractant a pu réaliser du fait
du même contrat passé avec la collectivité (CE, 27 juin 1919, Ville de Paris, CE, 10 août
1923, Ville d’Oloron). Enfin, il conviendra d’effectuer le « partage de la charge
extracontractuelle » entre l’administration et son cocontractant.

Quatre conditions doivent être réunies pour que cette théorie joue (CE, 14 juin 2000,
Commune de Staffelfelden).

• Les circonstances perturbatrices du contrat doivent excéder l’aléa normal


(économique, commercial, administratif) (CE, 4 mai 1949, Ville de Toulon) ou même
naturel (CE, 15 juillet 1949, Ville d’Elbeuf)
• Elles doivent alors revêtir un caractère anormal et imprévisible « déjouant tous les
calculs que les parties ont pu faire au moment du contrat »
• Les circonstances imprévues doivent entraîner un véritable bouleversement de
l’économie du contrat et non un simple déficit, même important (CE, 8 novembre
1944, Compagnie du Chemin de fer d’Enghien)
• Les circonstances imprévues doivent avoir un caractère temporaire et non définitif,
en ce dernier cas jouerait l’exception de force majeure (CE, 9 décembre 1932,
Compagnie des tramways de Cherbourg; CE, 14 juin 2000, Commune de
Staffelfelden).
B. L’aléa administratif ou la théorie du fait du prince

La théorie du fait du prince ou la force majeure administrative correspond à un changement des


circonstances de droit. Lorsque l’administration modifie unilatéralement les conditions
d’exécution du contrat, ceci, peut ouvrir droit à indemnisation au profit du cocontractant (CE,
9 décembre 1932, Compagnie française des tramways). Ainsi, dans cette hypothèse de «
force majeure administrative », l’exécution du contrat n’est pas forcément rendue impossible.
A force d’efforts financiers, le cocontractant pourrait encore la poursuivre. A défaut d’un accord
amiable sur une réorientation de l’exploitation, le cocontractant peut demander au juge
administratif la résiliation du contrat, avec indemnité s’il y a lieu. La résiliation s’accompagne
d’une indemnisation calculée comme en matière d’imprévision. La théorie de la force majeure

217
administrative permet ainsi au cocontractant de sortir d’un contrat devenu manifestement
inéquitable en cours d’exécution.

• CE, 14 juin 2000, Commune de Staffelfelden

Dans cette affaire, était en cause un contrat de distribution d’eau potable. La pollution chimique
très grave de la nappe phréatique avait rendu cette dernière inutilisable. La survenance cet
évènement imprévisible a justifié l’application de la théorie de l’imprévision.

Il faut distinguer trois situations :

- Lorsque le bouleversement résulte d’une mesure prise par l’administration contractante en


tant que partie au contrat, il n’est pas besoin de faire appel à la théorie du fait du prince. Il s’agit
du pouvoir de modification du contrat (CE, 1983, Union des transports publics urbains et
régionaux).

- Lorsque une autre personne publique que celle qui est partie au contrat prend des mesures qui
ont pour effet d’aggraver les conditions d’exécution du contrat – par exemple une loi ou un
décret suspendant l’emploi de certains produits, suspendant certaines importations-, il s’agit
d’un fait extérieur au contrat qui ne donne donc pas droit au rétablissement de l’équilibre
financier du contrat. Néanmoins, il est possible de faire jouer la théorie de l’imprévision. (CE,
1949, Ville de Toulon / Ville d’Elbeuf : augmentation du prix du gaz suite à une
réglementation)

-La théorie du fait du prince peut jouer lorsque la mesure est prise par la personne publique
contractante mais en une autre qualité que celle de partie au contrat : si les effets de la mesure
frappent spécialement le cocontractant, il aura droit au rétablissement de l’équilibre financier
du contrat. Il aura droit à une indemnisation totale des pertes subies.

Exemple : une commune confie par contrat la gestion des transports urbains. La création par le
maire d’un sens interdit en vertu de ses pouvoirs de police est un fait du prince

218
Section 3: Le contentieux des contrats administratifs

Le contentieux de la commande publique a connu d’importantes et profondes mutations ces


dernières années. Toutes ces évolutions s’inscrivent dans la perspective d’une meilleure
conciliation entre d’une part la protection du principe de légalité qui régit l’action
administrative et qui implique en la matière le respect de la liberté d’accès à la commande
publique, l’égalité de traitement des candidats et la transparence, d’autre part, l’objectif de
stabilité des relations contractuelles qui participe du principe de sécurité juridique.

I. Recours pour excès de pouvoir et contrats administratifs


A. L’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les contrats (principe)

Un contrat administratif n’est pas susceptible du recours pour excès de pouvoir tout
comme un recours pour excès de pouvoir contre un acte administratif unilatéral ne peut
pas se fonder sur la violation d’une disposition contractuelle sauf quand celle-ci a un caractère
réglementaire (CE, 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires et contribuables du
quartier Croix de Seguey Tivoli).

Toutefois cette solution de principe n’a pas empêché le développement du recours pour excès
de pouvoir en matière contractuelle.

B. Les exceptions
1. La recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables.

La théorie des actes détachables a permis de multiplier les recours pour excès de pouvoir
contre les actes unilatéraux relatifs à la conclusion et à l’exécution du contrat. Jusqu’en
1905, le Conseil d’Etat déclarait irrecevable tout recours pour excès de pouvoir dirigé
directement contre un contrat ou contre tout acte unilatéral préparatoire ou relatif à la formation
du contrat. Mais dans un arrêt du 4 août 1905, (CE, 4 août 1905, Martin), le Conseil d’Etat
admet que l’acte par lequel la personne publique décide de conclure un contrat est un acte
administratif unilatéral susceptible de recours pour excès de pouvoir. Dès lors, tout tiers au
contrat qui y a intérêt peut demander son annulation y compris les cocontractants. Une précision
s’impose à savoir, l’annulation de l’acte n’entraîne pas l’annulation du contrat. Depuis cet arrêt
Martin, le recours pour excès de pouvoir est ouvert contre tous les actes administratifs
unilatéraux antérieurs au contrat et détachables de celui-ci.

Cela concerne :

219
• La décision de passer le contrat (CE, 9 novembre 1934, Chambre de commerce de
Tamatave)
• La décision approuvant le contrat (CE, 31 octobre 1969, Syndicat de défense des
canaux de la Durance)
• Décision d’adjudication d’un contrat (CE, 5 décembre 1958, Secrétaire d’Etat à
l’Agriculture c/ Union des pêcheurs à la ligne et au lancer de Grenoble et du
Département de l’Isère).

Le recours pour excès de pouvoir n’est, en revanche, pas ouvert contre les actes d’exécution du
contrat, considérés comme non détachables de celui-ci (CE, 14 février 1930, Chemin de Fer
de la Turbie ; CE, 6 mai 1955, Société des Grands travaux de Marseille).

Il convient surtout de relever que la « jurisprudence Martin »et la théorie des actes détachables
a fortement élargi la recevabilité du recours pour excès de pouvoir en matière contractuelle,
parfois assorti du recours en astreinte (CE, 7 octobre 1994, Epoux Lopez). Précisions tout
d’abord qu’à la suite de l’arrêt Martin, la qualité de tiers au contrat permet de contester en excès
de pouvoir non seulement les actes préparatoires au contrat mais encore certains actes
d’exécution du contrat (CE, 24 avril 1964, SA de livraisons industrielles et commerciales).

Par ailleurs, il convient de relever que lorsqu’il n’existe contre l’acte d’exécution du contrat
aucun recours à fins indemnitaires, le recours pour excès de pouvoir est possible (CE, 30 juin
1979, Dame Veuve Bourgeois). En outre, le juge du contrat peut sur le recours pour excès de
pouvoir du contractant prononcer à certaines conditions, l’annulation d’une décision qui a
résilié le contrat (CE, 19 mars 1976, Ministre de l’économie et des finances c/Bonnebaigt).

2. Contre les clauses réglementaires d’un contrat administratif

La violation des stipulations contractuelles, qui traditionnellement ne pouvait pas être invoquée
à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir, est désormais possible lorsque celles-ci ont un
caractère réglementaire (CE, 10 juillet 1996, Cayzeele).

3. Contre les contrats de recrutement des agents publics

Cette solution résulte d’un arrêt du Conseil d’Etat du 30 octobre 1998 (CE, 30 octobre 1998,
Ville de Lisieux).Les contrats par lesquels une collectivité publique procède au recrutement
d’agents non titulaires sont susceptibles de recours d’excès de pouvoir.

220
II. L’ouverture d’un recours de plein contentieux aux tiers lésés de la conclusion d’un
contrat administratif

Les récentes évolutions du contentieux contractuel ont eu pour effet ou objectif de remédier aux
inconvénients en la matière grâce à un élargissement de la palette d’outils et d’instruments de
droit dont les requérants et le juge. En effet, le Conseil d’Etat a progressivement ouvert aux
tiers des voies de recours leur permettant de contester devant le juge du contrat la validité des
clauses contractuelles, du contrat administratif.

A. La recevabilité du recours de plein contentieux en contestation de la validité d’un


contrat administratif par un tiers lésé
1. Le principe de la nouvelle voie de droit ouverte aux tiers lésés

Dans un premier temps, par la décision d’Assemblée, Société Tropic Travaux Signalisation,
16 juillet 2007, le Conseil d’Etat a permis à tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat
administratif de former devant le juge administratif un recours de pleine juridiction contestant
la validité de ce contrat ou certaines clauses qui, en sont divisibles. Ce recours peut être assorti,
le cas échéant, de demandes d’indemnités. Par cette décision importante, le Conseil accentue
fortement les évolutions ou les transformations du contentieux en matière contractuelle en
admettant que des personnes évincées d’un contrat administratif contestent les stipulations de
celui-ci au moyen d’un recours de plein contentieux et sans possibilité pour elles de recourir à
la technique de l’acte détachable. En clair, par cette décision, le Conseil d’Etat a admis que
l’action d’un tiers évincé à l’encontre de la passation d’un contrat ne sera plus cantonnée,
limitée au recours pour excès de pouvoir contre l’acte détachable autorisant la signature (CE,
04 août 1905, Martin) ou encore la décision implicite de signer le contrat administratif (CE, 9
novembre 1934, Chambre de commerce de Tamatave). On retient aussi que cette action est
réservée aux seuls candidats évincés, alors même que le Commissaire du Gouvernement
proposait de l’ouvrir aux tiers.

Dans un second temps, par sa décision d’Assemblée du 04 août 2014 (CE,Ass. 4 avril 2014,
Département Tarn-et-Garonne), le Conseil d’Etat a remplacé le recours « Tropic » par une
nouvelle voie de recours ouverte non plus seulement aux concurrents évincés, mais à tous les
tiers susceptibles d’être lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par
la passation d’un contrat administratif ou les clauses de ce contrat. Dans cette décision, le
Conseil d’Etat pose le principe du recours du plein contentieux permettant aux tiers lésés de
contester la validité d’un contrat administratif. La Haute juridiction administrative opère une

221
véritable révolution du contentieux contractuel, plus particulièrement au recours « Tropic » non
seulement en généralisant ledit recours à « tout tiers au contrat administratif susceptible d’être
lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation » mais aussi
en encadrant strictement les moyens invocables.

2. La clarification nécessaire de l’application dans le temps des modalités du nouveau


recours

Le Conseil a précisé les conditions d’application dans le temps du nouveau recours. Il ainsi
décidé de différer dans le temps les effets de sa décision en énonçant qu’en raison de «
l’impératif de sécurité juridique tenant à ce qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive aux
relations contractuelles en cours, le recours [Tarn-et-Garonne]ne pourra être exercé par les
tiers qui n’en bénéficiaient pas et selon les modalités précitées qu’à l’encontre des contrats
signés à compter de la lecture de la présente décision », à savoir le 4 avril 2014.

Il en résulte un renouveau de l’office du juge dans le contentieux administratif. En effet, le juge


dispose désormais de pouvoirs très étendus lui permettant de protéger efficacement le principe
de légalité tout en évitant de porter des atteintes excessives à la stabilité des relations
contractuelles mais aussi à l’intérêt général s’attachant à la poursuite de l’exécution du contrat.
Il faut d’ailleurs rappeler que dans le cadre de son contrôle de l’action de l’administration, le
juge administratif est de plus en plus sensible à l’exigence de sécurité juridique. Il s’agit d’un
principe général du droit (CE, Ass. 24 mars 2006, KPMG).

Dès lors, le Conseil d’Etat va apprécier tout particulièrement l’importance des vices et les
conséquences à en tirer. Il a ainsi considéré qu’il lui appartient « après avoir pris en
considération la nature de ces vices, soit décider que la poursuite de l’exécution du contrat est
possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il
fixe, soit de résilier ou résoudre le contrat ; qu’en présence d’irrégularités qui ne peuvent être
couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution
du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié
que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit résiliation du
contrat, soit le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve qu’un vice de consentement ou de
tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit en relever d’office, l’annulation totale
ou partielle de celui-ci » ( CE Ass. 4 avril 2014, Département Tarn-et-Garonne, CE Sect. 5
février 2016, SMTC Hérault Transport c/ Société « Voyages Guirette »).

222
Il convient d’ailleurs de rappeler un arrêt d’Assemblée du 11 mai 2004, Association AC !,
par lequel la Haute juridiction administrative a estimé que le juge peut moduler l’effet dans le
temps de son annulation et à le limiter lorsque l’effet rétroactif est de « nature à emporter des
conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que l’acte illégal a produits et
des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant
s’attacher au maintien temporaire de ses effets ». Enfin, il convient de relever que si le juge
l’estime fondé, le recours pourra permettre au tiers lésé d’obtenir une indemnisation de son
préjudice en raison de l’atteinte de ses droits lésés et ce indépendamment des effets sur le
contrat.

Il est aussi utile de préciser qu’un arrêt du 5 février 2016 (CE Sect. 5 février 2016, SMTC
Hérault Transport c/ Société « Voyages Guirette ») est venu préciser l’application dans le
temps les conditions, les modalités de l’application dans le temps de la jurisprudence
Tarn-et-Garonne aux concurrents évincés. Le Conseil d’Etat parviendra ainsi à remédier aux
difficultés inhérentes à l’application dans le temps du nouveau recours. La question étant de
savoir si la jurisprudence d’Assemblée du avril 2014, Tarn-et-Garonne était-elle
d’application immédiate, et en particulier applicable aux contentieux fondés sur le
recours « Tropic » ?

A cette interrogation, l’arrêt du 5 février 2016 apporte une certaine clarification en


précisant que « le recours défini par ledit arrêt ne trouve à s’appliquer (…) quelle que soit la
qualité dont se prévaut le tiers, qu’à l’encontre des contrats signés à compter de la lecture de
cette même décision ; qu’il résulte que le recours de la société Voyage Guirette, formé le 7 août
2009 devant le tribunal administratif de Montpellier, doit être apprécié au regard des règles
applicables avant ladite décision qui permettaient au requérant qui aurait eu intérêt à conclure
un contrat administratif d’invoquer tout moyen à l’appui de son recours contre le contrat».
Cette précision est particulièrement importante vu les différentes applications dans le
temps du nouveau recours. Si la tendance d’une grande partie des juges du fond est clairement
dans le sens d’une telle interprétation (TA Versailles 1er juillet 2014, SARL Quadria,
n°108410 ; CAA Marseille 2 février 2015, Société AutocardsRigon et fils) certains tribunaux
continuaient de faire une interprétation inverse (TA Nancy, 17 novembre 2015).

En résumé, les recours des concurrents évincés dirigés contre les contrats signés avant le 4 avril
2014 restent régis par la jurisprudence « Tropic». Le Conseil d’Etat ayant clairement énoncé
que le recours en contestation de la validité du contrat ouvert par sa décision du 4 avril 2014 ne
peut être exercé qu’à l’encontre des contrats signés postérieurement à cette date.
223
Il apparaît très clairement que le régime du contentieux du contrat administratif est au cœur de
la recherche par le juge administratif d’un réel équilibre entre d’une part respect du principe de
légalité, l’impératif de l’égalité et la protection des droits des tiers et d’autre part la préservation
de la stabilité des relations contractuelles. Cette évolution historique s’explique à la fois par un
élargissement de la palette d’outils, d’instruments et de pouvoirs dont disposent le juge
administratif et l’influence du droit de l’Union européenne.

B. La recevabilité conditionnée du nouveau recours exercé par les tiers lésés


1. Une approche extensive de la notion de tiers au contrat

L’analyse de l’évolution du contentieux de la commande publique révèle une approche


extensive de la notion de tiers au contrat. Il faut tout d’abord rappeler que le juge administratif
avait au départ une approche très étroite du tiers dans le cadre des recours ouverts à l’encontre
des contrats administratifs. Depuis l’arrêt d’Assemblée du 16 juillet 2007 (CE, Ass., 16 juillet
2007, Société Tropic Signalisations), tout tiers, « concurrent évincé » dès lors qu’il justifie
d’un intérêt à agir suffisant peut intenter un recours de pleine juridiction à l’encontre d’un
contrat administratif. Par cette décision, le Conseil d’Etat admettait que l’action d’un tiers à
l’encontre de la procédure de passation d’un contrat ne sera plus cantonnée, limitée au recours
pour excès de pouvoir contre les actes détachables autorisant la signature (CE 4 aout 1905,
Martin) ou encore contre la décision implicite de signer le contrat (CE 9 novembre 1934,
Chambre de commerce de Tamatave). Le Conseil d’Etat avait ainsi ouvert une nouvelle voie
de droit au profit de tiers à l’encontre d’un contrat administratif ou certaines de ses clauses en
contentieux de pleine juridiction. Toutefois, il convient de souligner que cette action était
réservée aux seuls candidats ou concurrents évincés de la conclusion du contrat alors même que
le Commissaire du Gouvernement proposait de l’ouvrir à tout tiers.

Il convient également de remarquer que la rédaction de l’arrêt d’Assemblée du 16 juillet 2007,


soulevait quelques difficultés inhérentes à l’identification même du « concurrent évincé ». En
effet, lorsque les mesures de publicité et de mesures de mise en concurrence sont obligatoires,
le tiers au contrat est aisément identifiable. Or, en raison de la faible importance financière du
contrat, de telles mesures ne sont pas requises. Dans ces conditions, pouvait-il tout de même
exister un tiers ayant la qualité de concurrent évincé ?

La jurisprudence a progressivement apporté des précisions utiles sur la notion de concurrent


évincé et plus encore elle a opéré une extension de cette notion. Tout d’abord, par un avis du
11 avril 2012 (CE, Avis, 11 avril 2012 Société Gouelle), le Conseil d’Etat a précisé que tous

224
contrats sont susceptibles de faire l’objet d’un recours de pleine juridiction intenté par un tiers
évincé. Ensuite, dans son arrêt d’Assemblée, Tarn-et-Garonne, il a remplacé le recours «
Tropic » par une nouvelle voie de droit ouverte non plus seulement aux concurrents évincés,
mais à tous les « tiers susceptibles d’être lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment
directe et certaine » par la passation d’un contrat administratif ou les clauses de ce contrat.

Il en résulte non seulement une extension substantielle des tiers ayant la qualité de tiers
lésés mais un encadrement strict du nouveau recours. L’intérêt à agir ne suffit plus pour
pouvoir intenter un recours contre un contrat. Toute cette évolution traduit bien une certaine
politique jurisprudentielle par laquelle le juge administratif accueille une conception plus ou
moins large, extensive du tiers au contrat tout en prescrivant strictement l’intérêt à agir, les
moyens à invoquer dans le cadre du nouveau recours.

2. Des précisions utiles sur les moyens susceptibles d’être invoqués par les tiers lésés
au contrat

Il est désormais acquis que par son arrêt d’Assemblée Tarn-et-Garonne du avril 2014, le Conseil
d’Etat a remplacé le recours « Tropic » par une nouvelle voie de recours ouverte non plus
seulement aux concurrents évincés, mais à tous les tiers susceptibles d’être « lésés dans leurs
intérêts de façon suffisamment directe et certaine » par la passation d’un contrat administratif
ou les clauses de ce contrat.

Il convient surtout de relever que cette évolution jurisprudentielle est marquée par un
durcissement significatif de la possibilité pour les tiers de contester des contrats et ce d’autant
plus que leur intérêt à agir était auparavant apprécié de manière libérale. La Haute juridiction
administrative conditionne la recevabilité du nouveau recours au fait que les tiers établissent
avoir été « lésés de façon suffisamment directe et certaine par la passation ou par les clauses
du contrat ».

Il en résulte alors que les tiers ne peuvent invoquer que des vices particulièrement graves ou
en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent, ou ceux d’une gravité telle que le
juge devrait les relever d’office, à l’exception des préfets et élus locaux qui peuvent
invoquer toutes les irrégularités. De toute évidence, l’extension des tiers au contrat
s’accompagne non seulement d’un encadrement strict de moyens susceptibles d’être invoqués
et mais aussi d’une délimitation stricte de l’intérêt pour agir.

225
Dans ces conditions, il est alors possible de penser que le succès de la nouvelle voie de droit
ouverte aux tiers lésés reste subordonné à l’interprétation plus ou moins stricte à laquelle se
livrera le juge administratif du caractère suffisamment direct certain de l’intérêt susceptible
d’être lésé dont le tiers se prévaut. La juge vérifiera impérativement l’intérêt à agir et
l’inviolabilité des moyens du requérant eu égard à l’intérêt lésé.

3. La consécration d’une nouvelle voie de recours au profit des tiers à l’encontre de


la décision de refus de l’administration de résilier un contrat

Toujours dans le cadre de la poursuite des mutations du contentieux des contrats de la


commande publique, le Conseil d’Etat vient d’admettre un recours formé contre le refus opposé
au tiers de résilier le contrat. Dans un arrêt de section du 30 juin 2017 (CE, Sect., 30 juin
2017, Sociétés France Manche et The Channel Tunnel Group), le Conseil d’Etat a opéré un
revirement de jurisprudence concernant le recours des tiers contre un acte d’exécution du
contrat. Plus précisément, il permet désormais aux tiers de demander directement au juge de
plein contentieux la résiliation d’un contrat. Le Conseil d’État consacre une nouvelle voie de
droit au profit des tiers à l’encontre de la décision de refus de l’administration de résilier un
contrat administratif, à la faveur d’un abandon d’une jurisprudence ancienne réservant ce
recours aux actes détachables (CE, 24 avril 1964, SA de Livraisons industrielles et
commerciales).

Dans la continuité de la refonte des pouvoirs du juge du contrat, le Conseil d’Etat a décidé de
faire un pas de plus vers l’unification du contentieux contractuel devant le juge du contrat. Il
faut en effet rappeler qu’une grande étape avait déjà été franchie avec l’arrêt Département de
Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014, permettant aux tiers de contester la validité d’un contrat
devant le juge de plein contentieux. Cette décision avait alors fermé aux tiers la voie du recours
pour excès de pouvoir contre les actes détachables antérieurs au contrat. Le Conseil d’Etat suit
aujourd’hui le même raisonnement concernant les actes d’exécution du contrat: les tiers ne
pourront plus les contester devant le juge de l’excès de pouvoir.

En revanche, les tiers pourront désormais demander au juge du contrat de résilier un contrat. La
haute juridiction administrative a limité ce revirement de jurisprudence aux seules décisions de
refus de résiliation d’un contrat.

En l’espèce, les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group avait demandé au
président du syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (SMPAT) de résilier un
contrat. Conclu avec la société Louis Dreyfus Armateurs SAS, le contrat en question était une

226
délégation de service public (DSP) relative à l’exploitation d’une liaison maritime entre Dieppe
et Newhaven. Les sociétés requérantes, exploitant le tunnel sous la Manche, estimaient que
cette délégation de service public, de par la concurrence qu’elle créait, lésait leur intérêt
commercial. Toutefois, le président n’a pas répondu à leur demande de résiliation et son silence
gardé pendant plus de deux mois a fait naître une décision implicite de rejet. Les sociétés
requérantes ont alors saisi le tribunal administratif de Rouen.

Il convient ainsi de relever un changement de nature du recours, changement ou une


transformation de l’office ou de pouvoir du juge. Jusqu’alors, en vertu de la jurisprudence
Société LIC (CE, 24 avril 1964, Société SA de Livraisons industrielles et commerciales
(LIC)), les tiers au contrat pouvaient demander l’annulation d’un acte d’exécution du contrat
devant le juge de l’excès de pouvoir. En cas d’illégalité, ce dernier ne pouvait donc procéder
qu’à l’annulation de l’acte attaqué, sans que cela impacte directement la validité et l’existence
du contrat.

En l’espèce, les sociétés avaient donc demandé au juge de l’excès de pouvoir l’annulation du
refus implicite du président du SMPAT de résilier la délégation de service public. Suite au rejet
de leur demande, les sociétés ont alors saisi la cour administrative d’appel (CAA) de Douai.
Cette dernière a quant à elle annulé la décision litigieuse et enjoint au président du SMPAT de
résilier la DSP dans un délai de six mois. Saisi d’un pourvoi en cassation par le SMPAT, le
Conseil d’Etat a dans un premier temps ordonné le sursis à exécution de l’arrêt d’appel jusqu’à
ce qu’il se soit prononcé sur le pourvoi.

Suivant les conclusions de Gilles PELLISSIER, rapporteur public sur cette affaire, le Conseil
d’Etat a décidé de procéder à un revirement de jurisprudence. Cette affaire fut pour lui
l’occasion de « poursuivre l’œuvre de redéfinition des recours devant le juge du contrat ».
Désormais, les recours présentés par des tiers contestant un refus de résiliation d’un
contrat relèveront de l’office du juge du contrat. Jusqu’à présent, le juge de l’excès de
pouvoir pouvait uniquement annuler une décision de refus de résiliation du contrat, sans que
cela ait une incidence sur le contrat lui-même. Dans un souci de pragmatisme, les tiers
peuvent désormais « former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant
à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat ». En vertu de cette décision, les tiers n’ont donc
plus à contester la décision rejetant leur demande de résiliation mais doivent désormais
directement présenter leur demande devant le juge.

227
En ce concerne la détermination du régime, notons qu’en faisant passer ce recours de l’excès
de pouvoir au plein contentieux, le Conseil d’Etat a élargi les pouvoirs du juge quant aux
demandes des tiers relatives à la résiliation d’un contrat. Cela s’accompagne toutefois de
certaines limites, afin d’assurer la sécurité juridique des contrats. En conséquence, le Conseil
d’Etat apprécie strictement les conditions de recevabilité du recours formé contre le refus
opposé au tiers de résilier le contrat.

D’une part, l’objet du nouveau recours est d’obtenir la résiliation du contrat c’est-à-dire de
mettre fin à son exécution. S’exerçant devant le juge du contrat, la liaison du contentieux est ici
nécessaire. Il appartiendra donc au tiers d’en faire préalablement la demande à l’administration,
conformément à l’article R. 421-1 du code de justice administrative, puis, en cas de décision
de refus de résilier le contrat, de porter l’affaire devant le juge du plein contentieux.

D’autre part, et nonobstant le silence de la décision commentée sur ce point de recevabilité, le


délai de recours contentieux applicable est celui de droit commun prévu par l’article R. 421-2
du code de justice administrative. Un délai de deux mois courra à compter de la notification
d’une décision expresse ou après la naissance d’une décision implicite de rejet à la demande de
résilier le contrat.

• L’intérêt à agir

La décision doit être commentée dans la lignée du recours Tarn-et-Garonne car elle pose des
conditions strictes de recevabilité tenant à l’intérêt pour agir du requérant. En effet, la haute
juridiction administrative a calqué sa position sur celle déjà adoptée pour le recours Tarn-et-
Garonne. Pour que sa demande de résiliation soit recevable, le tiers devra donc être
« susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine » par la
décision de refus de résiliation.

Sont ainsi visés par la décision les tiers à un contrat administratif, les parties au contrat, elles,
en demeurent exclues 141. Le juge administratif a ainsi précisé que les tiers, pour exercer ce
recours, devront être susceptibles d’être lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment directe
et certaine par une décision refusant de faire droit à leur demande de mettre fin à l’exécution du
contrat. Précisons que le choix d’un « intérêt lésé » n’est pas nouveau, on le retrouve en matière

141
Alors que les actes antérieurs à la conclusion du contrat étaient également détachables pour les parties au contrat
(CE, 11 décembre 1903, Cne de Gorre, Rec. p. 770).

228
d’excès de pouvoir142, et permet ainsi d’aboutir à un degré d’exigence supplémentaire à l’égard
de certains tiers requérants.

A nouveau, les termes « susceptibles d’être lésés » renvoient donc à la notion de lésion qui était
apparue dans la jurisprudence SMIRGEOMES143, signifiant qu’il convient d’être atteint dans
ses propres droits. Mais la lésion ne doit pas, a priori, être certaine et acquise, une lésion
potentielle pourrait suffire.

La lésion ne provient pas ici d’une illégalité en tant que telle mais du refus de résilier un contrat,
donc autrement dit, elle résulte de l’exécution même du contrat.

La décision SMIRGEOMES marquait la nécessité d’être lésé par le manquement. Quant à Tarn-
et-Garonne, la lésion se caractérise par la passation du contrat. La décision ainsi commentée
transpose le raisonnement existant lorsque le tiers est lésé par l’exécution du contrat. En
l’espèce, le juge a considéré que la qualité de « concurrent direct » ne permettait pas de justifier
que le tiers était lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par l’exécution
du contrat

• Les moyens invocables

Le tiers ne pourra soulever que trois types de moyens. Le premier est tiré de ce que la personne
publique était obligée de mettre fin au contrat du fait de dispositions législatives. Le second
moyen s’attache aux irrégularités du contrat qui font obstacle à sa poursuite et que le juge
devrait relever d’office. Enfin, le troisième moyen invocable est tiré de ce que la poursuite du
contrat serait manifestement contraire à l’intérêt général.

A noter que les membres des assemblées délibérantes ainsi que les préfets de département
peuvent également introduire, suite à un refus de résiliation d’un contrat, un recours tendant à
ce qu’il soit mis fin à un contrat conclu par une collectivité territoriale ou un groupement de
collectivités.

En somme, à l’appui de leurs recours tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, les
tiers requérants pourront soulever des moyens tirés, d’une part, de ce que la personne publique
contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives

142
CE, 11 mai 2011, Société Lyonnaise des Eaux France : « Considérant, en premier lieu, que si des tiers peuvent
poursuivre l’annulation des actes détachables d’un contrat, la recevabilité d’un tel recours est subordonné à la
condition que les stipulations du contrat en cause soient de nature à les léser dans leurs intérêts de façon
suffisamment directe et certaine (...) »
143
CE, sect., 3 octobre 2008, Syndicat Mixte Intercommunal de Réalisation et de Gestion pour l’Elimination des
Ordures Ménagères du secteur Est de la Sarthe (SMIRGEOMES).

229
applicables aux contrats en cours. Précisons sur ce point qu’en principe la loi nouvelle ne
s’applique pas aux contrats en cours d’exécution sauf à ce que le législateur l’ait prévu 144.

D’autre part, le moyen tiré de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à
faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office. On retrouve
ici l’idée de vices tenant au caractère illicite du contenu du contrat, à l’existence d’un vice du
consentement ou à une irrégularité d’une particulière gravité que le juge devrait relever d’office.

Enfin, les tiers au contrat contestant le refus opposé à leur demande de mettre fin à l’exécution
du contrat pourront utilement invoquer le moyen tiré de ce que la poursuite de l'exécution du
contrat est manifestement contraire à l'intérêt général. Etant précisé que pour ce dernier moyen,
les tiers pourront se prévaloir par exemple de l’inexécution d’obligations contractuelles qui, par
leur gravité, compromettraient manifestement l’intérêt général. L’inexécution des obligations
contractuelles n’étant invocable que si elle est manifestement contraire à l’intérêt général, cette
condition vise à empêcher les tiers de s’immiscer dans l’exécution des relations contractuelles
des parties au contrat.

Ce nouveau recours ne permet cependant pas de soulever une irrégularité qui tiendrait aux
conditions et aux formes dans lesquelles la décision de refus de résilier le contrat a été prise. En
effet, c’est bien l’exécution du contrat qui doit léser les intérêts du requérant. De plus, de telles
irrégularités, si elles auraient permis d’obtenir l’annulation pour excès de pouvoir de la décision
de refus de résilier sous l’empire de l’ancienne jurisprudence, elles n’auraient certainement pas
conduit le juge à prononcer une injonction de résilier le contrat. En outre, l’objet du nouveau
recours concerne la résiliation.

Enfin, à l’exception des tiers privilégiés, les moyens soulevés devront être en rapport direct
avec l’intérêt lésé dont les tiers se prévalent. Cette notion est difficile d’interprétation car la
notion de « rapport direct » ne doit pas être confondue avec celle de « lien de causalité directe
», la première étant plus souple.

144
CE, Ass, 8 avril 2009, Commune d’Olivet: « Considérant que, dans le cas où elle n'a pas expressément prévu,
sous réserve, le cas échéant, de mesures transitoires, l'application des normes nouvelles qu'elle édicte à une
situation contractuelle en cours à la date de son entrée en vigueur, la loi ne peut être interprétée comme autorisant
implicitement une telle application de ses dispositions que si un motif d'intérêt général suffisant lié à un impératif
d'ordre public le justifie et que s'il n'est dès lors pas porté une atteinte excessive à la liberté contractuelle ; que,
pour les contrats administratifs, l'existence d'un tel motif d'intérêt général s'apprécie en tenant compte des règles
applicables à ces contrats, notamment du principe de mutabilité » (cons. 4).

230
Pour autant, au regard des moyens susceptibles d’être soulevés, la démonstration du « rapport
direct avec l’intérêt lésé » n’apparait pas aisée. Les requérants privilégiés n’étant, eux, pas
limités quant aux moyens qu’ils peuvent soulever compte tenu des intérêts dont ils ont la charge.

En prenant une telle position, à l’instar de la décision Tarn-et-Garonne, le Conseil d’Etat adopte
une logique semblable à celle initiée par la décision « SMIRGEOMES»145 [8] selon laquelle
l’entreprise requérante ne peut se prévaloir que des manquements susceptibles de l’avoir lésée
ou qui risquent de la léser. Toutefois, une telle position en 2008 se justifiait par l’existence d’un
texte législatif146 et était également réfutée en 2012 147 par l’absence de telles dispositions
permettant d’y recourir. Il ressort donc de cette jurisprudence qu’à chaque catégorie de tiers
appartient une série de moyens invocables.

Précisons aussi que l’office du juge du contrat se caractérise par la palette de pouvoirs qui lui
est donnée. Toutefois, la question qui lui est ici posée, à savoir l’exécution du contrat doit-elle
ou non se poursuivre, impose une réponse binaire.

Dans la décision Tarn-et-Garonne, le juge devait apprécier l’importance des vices invoqués et
mettre en œuvre ses pouvoirs les plus adaptés à la nature de ces vices. Se dessinait très
clairement une logique de survie du contrat c’est-à-dire que le juge doit prendre, en fonction
des circonstances, la mesure la moins grave pour permettre la survie du contrat et sa
régularisation. La question de la résiliation se posait seulement s’il ne pouvait pas sauver le
contrat, et sous réserve que l’intérêt général ne s’y opposait pas. L’annulation du contrat étant
le dernier remède offert au juge du contrat.

Le juge du contrat doit ici apprécier si les moyens soulevés permettront que ce dernier ordonne
ou non la résiliation du contrat, sous réserve bien évidemment que sa décision ne porte pas une

145
CE, section, 3 octobre 2008, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l’élimination des
ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe (SMIRGEOMES): l’entreprise requérante ne peut se prévaloir que
« des manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont
susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise
concurrente ».
146
Article L. 551-1 CJA : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en
cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation
par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de
fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit
d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une
société d'économie mixte à opération unique.
Il peut également être saisi en cas de manquement aux mêmes obligations auxquelles sont soumises, en application
de l'article L. 521-20 du code de l'énergie, la sélection de l'actionnaire opérateur d'une société d'économie mixte
hydroélectrique et la désignation de l'attributaire de la concession.
Le juge est saisi avant la conclusion du contrat »
147
CE, avis, 11 avril 2012, Société Gouelle.

231
atteinte excessive à l’intérêt général, et le cas échéant avec un effet différé. En outre, les moyens
soulevés ne devraient pas être de nature à justifier que le juge fasse droit à la demande de
résiliation dans l’hypothèse d’une irrégularité régularisable.

Enfin, il est important de garder à l’esprit que « pour décider la résiliation, le juge ne devra pas
seulement tenir compte de la raison qui peut la rendre nécessaire ; il devra aussi vérifier qu’elle
s’impose immédiatement, c'est-à-dire que la personne publique ne dispose, au regard des
impératifs de l’intérêt général, d’aucune possibilité, matérielle et temporelle, de poursuivre
l’exécution du contrat »

Il résulte de tout ce qui précède que le recours ouvert aux tiers n’est pas un recours contre la
décision de refus de résilier, ce qui conserverait alors la logique du recours pour excès de
pouvoir de la jurisprudence Société LIC, mais bien un recours tendant à la résiliation du contrat,
ce qui traduit, par ce revirement de jurisprudence, une mutation des voies de recours.

Concernant l’application dans le temps de ce nouveau recours, le Conseil d’Etat a estimé que
les nouvelles règles qu’il a fixées ne portaient pas d’atteinte à la substance du droit au recours
des tiers de sorte qu’elles sont d’application immédiate. Ce revirement de jurisprudence doit,
en pratique, être relativisé car il n’a pas vocation à encombrer les prétoires. En effet, d’une part
et on le sait, le nombre de recours Tarn-et-Garonne n’a pas explosé depuis le 4 avril 2014 et,
d’autre part, le contentieux pour excès de pouvoir issu de la jurisprudence Société LIC était lui-
même résiduel148.

En outre et bien que l’arrêt reste silencieux sur ces deux points, ce nouveau recours de plein
contentieux devant le juge du contrat ne devrait pas faire obstacle à ce que les tiers engagent
parallèlement un référé tendant à la suspension de l’exécution du contrat une fois la décision de
refus de résilier intervenue. Puis, ce recours tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du
contrat pourrait s’accompagner, à titre subsidiaire, de prétentions indemnitaires visant à réparer
le préjudice causé par le maintien du contrat si le juge s’opposerait à sa résiliation malgré
l’illégalité avérée de la décision de refus de le résilier.

En définitive, la décision commentée est cohérente avec la refonte du contentieux des contrats
de la commande publique opérée par la décision Tarn-et-Garonne, laquelle a notamment
marqué le déclin du recours pour excès de pouvoir en fermant cette voie à l’encontre des actes
détachables antérieurs au contrat. Le commissaire du gouvernement concluant sur l’arrêt SA

148
PELLISSIER (G.), sous l’arrêt CE, 30 juin 2017.

232
LIC rappelait que sont détachables « les actes par lesquels l’administration décide de
contracter » contrairement aux « actes pris en vertu du contrat et dans le cadre de celui-ci ».

L’ensemble des pouvoirs à disposition du juge du contrat lui permet d’individualiser le litige,
de le subjectiviser, en dressant la solution la plus adaptée au recours. En cela, en tant qu’il
préserve la sécurité juridique, les droits individuels, et les conséquences économiques et
financières de la solution, le juge du contrat est guidé par la recherche permanente d’un juste
équilibre entre le principe de légalité et la stabilité des relations contractuelles.

Pour autant, les mêmes critiques formulées à l’encontre de la décision Tarn-et-Garonne peuvent
être émises. En effet, l’admission même d’un recours pour excès de pouvoir en 1905 contre
l’acte détachable antérieur au contrat, et en 1964 contre l’acte détachable relatif à l’exécution
du contrat, révèle la présence de norme contestable au sein du contrat au nom du principe de
légalité.

De toute évidence, le juge administratif, quelle que soit son office, a pour finalité première le
respect de la légalité en tant qu’il est conduit à contrôler le respect de normes juridiques internes,
européennes ou internationales par le contrat149.

Chapitre 7: Le principe de la légalité administrative

Au-delà de la question de l’identification, de l’indication des sources de la légalité


administrative, de la définition du rapport de l’administration à la légalité, il y a le problème de
la portée du principe de légalité.

149
PELLISSIER (G.), sous l’arrêt CE, 30 juin 2017: « Les décisions par lesquelles vous avez fait application de
cette jurisprudence sont infiniment moins nombreuses que celles ayant appliqué la jurisprudence Martin. Elles se
comptent sur les doigts d’une main ».

233
Il convient de relever que l’application stricte et rigoureuse du principe de légalité peut entraîner
une paralysie de l’action administrative. Dès lors, des assouplissements et des inflexions ont été
apportés au principe de légalité. Toutefois, pour éviter tout arbitraire de l’administration, ces
assouplissements doivent être circonscrits dans les limites très étroites et bien définies.

Dans le cadre de ce chapitre, la première section sera consacrée à l’adaptation du principe de


légalité à la compétence discrétionnaire reconnue à l’administration. La seconde section traitera
quant à elle de l’adaptation du principe de légalité aux circonstances exceptionnelles.

Section 1: La distinction des différents contentieux

L’idée de contentieux n’est pas spécifique, propre au droit administratif. Elle est commune à
toutes les branches du droit (civil, droit pénal, droit constitutionnel…). Elle renvoie à la
contestation ou encore au litige, c’est-à-dire à l’opposition entre deux prétentions. Le terme
contentieux signifie aussi le règlement juridique du litige ou différend.

Il n’existe pas de définition univoque, exclusive de la notion de contentieux administratif. En


d’autres termes, les définitions de la notion de contentieux administratifs sont nombreuses et
variées. Cela s’explique par la complexité même de la matière dont l’ampleur, le degré et les
formes varient suivant les pays.

Selon une approche étroite et technique, René CHAPUS définit le contentieux administratif
comme l’« ensemble des litiges dont le règlement appartient aux juridictions administratives
en application des règles de droit administratif »150. L’auteur précise que ce sont les litiges
administratifs qui sont l’objet du droit du contentieux administratif. Il s’agit « du droit qui régit
à la fois l’organisation, la procédure des juridictions administratives et la détermination du
domaine de compétence de ces juridictions »151.

Il est aussi utile de préciser que la classification des contentieux administratifs a été entreprise
par la doctrine publiciste en vue d’introduire, d’établir un certain ordre, une certaine clarté dans
la présentation et l’étude de ceux-ci.

I. Les classifications historiques proposées par la doctrine publiciste

Classiquement, dans la doctrine publiciste, administrativiste, deux classifications du


contentieux administratif dominent ou se sont imposées: la typologie formelle ou quadripartite

150
CHAPUS (R.), Droit du contentieux administratif, 8e éd., Montchrestien, 1999, p. 5.
151
CHAPUS (R.), Droit du contentieux administratif, op. cit., p.8.

234
proposée Edouard LAFERRIERE152 et la typologie matérielle ou bipartite de Léon DUGUIT 153
et Marcel WALINE.

A. La typologie formelle ou quadripartite de LAFERRIERE

Edouard LAFERRIERE distinguait quatre branches du contentieux administratif comportant


différentes catégories de litiges. A ce propos, il énonçait la classification suivante: le
contentieux de pleine juridiction, le contentieux de l’annulation, le contentieux de
l’interprétation et le contentieux de la répression. Cette classification repose essentiellement sur
la seule considération des pouvoirs du juge à l’occasion de l’élaboration de la décision qu’il est
appelé à prendre. D’après LAFERRIERE « les pouvoirs des tribunaux administratifs n’ont
pas la même nature et la même étendue dans toutes les matières contentieuses. Ce sont selon
les cas, des pouvoirs de pleine juridiction comportant l’exercice d’un arbitrage complet de fait
et de droit sur le litige; ou des pouvoirs d’annulation limités au droit d’annuler des actes
entachés d’illégalité sans que le juge administratif ait le pouvoir de les réformer et de leur
substituer sa propre décision; -ou des pouvoirs d’interprétation, consistant uniquement à
déterminer le sens et la portée d’un acte administratif ou à apprécier sa valeur légale sans faire
application de l’acte aux parties intéressées ; ou enfin, des pouvoirs de répression consistant à
réprimer les infractions commises aux lois et règlements qui protègent le domaine et assurent
la destination légale »154.

Ces différents contentieux sont composés, constitués d’une diversité de catégories de litiges.

• Le contentieux de pleine juridiction: le contentieux de pleine juridiction englobe le


contentieux des contrats, de la responsabilité et le contentieux électoral.
• Le contentieux de l’annulation : ce contentieux regroupe le recours pour excès de
pouvoir, les recours en cassation.
• Le contentieux de l’interprétation et de l’appréciation de la légalité: il recouvre les
questions préjudicielles d’interprétation ou de validité des actes administratifs.
• Le contentieux de la répression : ce contentieux concerne essentiellement les atteintes
portées au domaine et aux ouvrages publics et exceptionnellement la juridiction
administrative est compétente pour connaître d’infractions spéciales, des contraventions
de grande voirie.

152
LAFERRIERE (E.), Traité de la juridiction administrative et de ses recours contentieux, LGDJ, 1989, p. 15.
153
DUGUIT (L.), Traité de droit constitutionnel, tome 2, 3e éd., E. Boccard, 1928, p. 475 et s.
154
LAFERRIERE (E.), Traité de la juridiction administrative et de ses recours contentieux, op. cit.

235
Bien que très ancienne et même encore mentionnée dans les ouvrages administratifs, cette
classification n’a pas échappé à la critique d’une partie de la doctrine qui lui reprochait et lui
reproche encore de s’attacher uniquement au caractère de la décision juridictionnelle au
détriment de la nature de la question posée au juge.

B. La classification matérielle, dualiste ou bipartite de Léon DUGUIT, Marcelle


WALLINE

Il faut préciser que les tentatives de classification de recours contentieux d’après la nature de la
question posée au juge ont été nombreuses, variées et diverses 155. On ne retiendra ici que celle
proposée par Léon DUGUIT. Ce dernier distingue deux grandes catégories de contentieux : le
contentieux objectif et le contentieux subjectif. Cette distinction se fonde sur la nature de la
question posée au juge. Soit le juge confronte une décision administrative à la légalité
(contentieux objectif), soit il détermine l’existence d’un droit subjectif (contentieux subjectif).

1. Le contentieux objectif

Dans le cadre du contentieux objectif, s’inscrivent les différents recours permettant de vérifier
objectivement la conformité d’un acte administratif aux normes supérieures. Dans cette
perspective, il regroupe, englobe tous les recours contentieux qui invoquent la violation d’une
règle de droit ou encore ceux qui ont pour objet le rétablissement de la légalité. Il convient ainsi
de mentionner:

• Le recours pour excès de pouvoir qui permet de prononcer l’annulation d’un acte
administratif.
• Le contentieux de l’appréciation de la légalité ou le recours en appréciation de la validité
qui permet au juge administratif, sur renvoi du juge judiciaire, de déclarer légal ou pas
un acte administratif sans pouvoir l’annuler.
• Le contentieux de l’interprétation qui permet au juge administratif d’en préciser le
contenu, le sens, la portée de l’acte lorsqu’il est obscur.

2. Le contentieux subjectif

JEZE (G.), « L’acte juridictionnel et la classification du contentieux », RDP, 1909, p. 667 ; WALINE (M.), «
155

Vers un reclassement des recours contentieux ? », RDP, 1935, p. 305 ; LAMPUE (P.), « La distinction des
contentieux. Les principes et les techniques du droit public », Etudes en l’honneur de Georges SCELLE, t.1, LGDJ,
1950, p. 285.

236
Dans le cadre du contentieux subjectif, le juge administratif statue sur droits subjectifs des
requérants. Il regroupe :

Le plein contentieux appelé aussi contentieux de pleine juridiction. Ce contentieux administratif


comprend :

• le contentieux contractuel
• le contentieux fiscal
• les actions en responsabilité
• ainsi que le contentieux de grande voierie, voie de droit particulière permettant la
condamnation des auteurs de dégradations du domaine public.

Bien qu’intéressante, cette distinction fondée sur la question posée au juge est complexe, en
particulier lorsqu’il s’agit de déterminer avec clarté, précision le contenu des branches des
contentieux objectifs et subjectifs. En témoigne, les divergences des différents auteurs quant
aux modalités de qualification de ces contentieux.

On comprend alors pourquoi aujourd’hui que l’on se situe dans la doctrine publiciste moderne
ou au niveau du droit positif, le contentieux administratif s’articule autour de la distinction entre
le contentieux de pleine juridiction ou le contentieux de l’excès de pouvoir. C’est la tendance
observée aussi bien dans le droit positif français que gabonais.

II. La distinction pratique entre excès de pouvoir et plein contentieux


A. Le contentieux de pleine juridiction

Le contentieux de pleine juridiction permet au juge de statuer sur les droits subjectifs des
requérants. Il ne s’agit pas ici de faire un exposé exhaustif sur le contentieux de pleine
juridiction. Nous limiterons notre analyse à la distinction des différents recours susceptibles
d’être formés devant les juridictions administratives, en particulier gabonaises.

Il importe ainsi de se souvenir que le contentieux électoral (recours en matière d’élections autres
que les élections politiques), le contentieux contractuel, le contentieux fiscal (recours en matière
fiscal, assiette, taux ou recouvrement), sont des recours de plein contentieux.

On doit également mentionner:

• Les actions en responsabilité dirigées contre l’Etat ou les établissements publics à raison
d’actes ayant occasionné un préjudice à autrui. Cela vise essentiellement des demandes
d’indemnités.

237
• Les litiges relatifs aux avantages pécuniaires ou statutaires accordés aux agents et
fonctionnaires des diverses administrations.
• Les litiges portant sur les contrats passés par l’Etat, les collectivités publiques ou les
établissements publics.

Il en résulte que le recours de pleine juridiction vise la protection des droits subjectifs des
requérants. Mais, il faut également souligner que le juge administratif étend son contrôle de
l’action de l’administration au moyen par le biais du recours pour excès de pouvoir.

B. Le contentieux de l’excès de pouvoir


1. La spécificité du contentieux de l’excès de pouvoir

Il convient de préciser que le recours pouvoir (REP) est une voie de recours permettant
d’obtenir du juge administratif l’annulation pour illégalité d’un acte administratif. Ce recours
incarne, traduit un contentieux particulier, celui de la légalité, par opposition à d’autres
contentieux que le juge peut être amené à mettre en œuvre. Le recours pour excès de pouvoir
ne s’analyse pas seulement comme une voie de recours permettant au requérant d’obtenir la
satisfaction d’un intérêt individuel, c’est aussi un moyen, un instrument forgé, élaboré par le
juge pour s’assurer que l’Administration respecte la loi. Par conséquent, le recours pour excès
de pouvoir peut être considéré comme la pierre angulaire, l’épine dorsale de l’Etat de droit. Il
faut d’ailleurs souligner qu’il peut être intenté contre tout acte administratif par toute personne
ayant un intérêt même moral à son annulation. S’il est un recours en annulation par excellence,
il ne peut en revanche, être intenté ni pour demander une indemnité, ni pour solliciter la
rectification d’une décision attaquée.

En droit positif gabonais, ce recours est recevable aussi bien contre les actes administratifs
réglementaires que contre les actes administratifs individuels pris par les autorités
administratives nationales ou locales, contre les décisions administratives et disciplinaires
prises par les organismes collégiaux à compétence nationale et les ordres professionnels 156. Par
ailleurs, le juge administratif gabonais se reconnaît à certaines occasions le pouvoir
d’interpréter ou d’apprécier des actes administratifs. Dans le cadre d’un système de dualité de
juridictions, rien ne semble s’opposer à la compétence ou au pouvoir du juge administratif pour
interpréter et apprécier la légalité des actes administratifs. Ce sera le cas lorsqu’il est saisi de
recours en interprétation ou en appréciation de validité des actes administratifs dans le cadre de

156
Cf. Loi n°17/84 du 29 décembre 1984 portant code des Juridictions Administratives, art. 35 ; Loi n°05/2002 du
27 novembre 2002 sur le Conseil d’Etat, art. 38.

238
mécanismes de questions préjudicielles. Il est d’ailleurs intéressant de relever que l’appréciation
de la validité ou l’interprétation des actes administratifs s’inscrit dans le sillage de la
jurisprudence française157. Dans une décision du 6 mai 1983, la Chambre administrative, a
jugé qu’après une décision de renvoi du juge judiciaire à son profit, le juge administratif peut
pleinement affirmer sa compétence en matière d’appréciation de la légalité d’actes
administratifs (CACS, 6 mai 1983, Dame Ondeto, Rep. n°51).

Jusqu’à présent, le juge administratif n’a pas encore réellement fait l’expérience d’un recours
direct en interprétation, un recours que le Conseil d’Etat français a strictement encadré, entouré
de conditions restrictives 158. On peut tout de même relever qu’en 1978, dans un arrêt Bittini,
le juge administratif gabonais en mettant un terme à la contestation d’un agent public se fondait
sur la détermination du sens d’un décret individuel et sanctionnait en réalité une requête aux
fins d’annulation (CACS, 3 février 1978, Bittini, Rép. n°41).

Le contentieux de l’excès de pouvoir présente des nombreuses spécificités. Il correspond en


réalité à trois catégories de recours: Le recours pour excès de pouvoir (le plus exercé), le recours
en appréciation de légalité et le recours en déclaration d’inexistence (les deux derniers recours
n’aboutissent pas à une décision d’annulation, mais à une décision de reconnaissance de la
valeur d’un acte (CE, 31 mai 1957, Rosan Girard: sanction des empiètements de
l’administration sur les attributions du juge).

De manière concrète, le contentieux du recours pour excès de pouvoir est un recours qui vise
l’annulation d’une décision administrative et repose ou se fonde sur la violation par cette
décision d’une règle de droit. Il s’agit d’un recours objectif, d’utilité publique et d’ordre public.

• Un recours objectif

Le recours pour excès de pouvoir ne porte pas sur une contestation sur les droits subjectifs. Il
s’agit selon Edouard LAFERRIERE, « d’un procès fait à l’acte », « un procès fait à un acte
administratif unilatéral ». Le juge administratif ne tranche pas entre une opposition des
prétentions appuyées sur des droits subjectifs. Il se prononce sur une question de légalité
objective. Dès lors, sont invocables à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir uniquement
les moyens tirés de la violation du droit objectif (Constitution, convention, internationale, loi
règlement…). Sont exclus les clauses contractuelles dont la méconnaissance ne peut donner

157
TC, 16 juin 1923, Septfonds ; TC, 30 juin 1947, Barinstein.
158
Voir J-M. AUBY, R. DRAGO, Traité de contentieux administratif, LGDJ, 1984, t2, pp. 110-115.

239
lieu qu’à un droit subjectif. En d’autres termes, le recours pour excès de pouvoir est irrecevable
lorsqu’il formé contre un contrat administratif.

Il y a néanmoins deux exceptions en droit français: le déféré préfectoral (recours contre un


contrat d’une collectivité territoriale) et l’hypothèse développée dans la jurisprudence Ville de
Lisieux (CE, 30 octobre 1998: possibilité pour les tiers de former un recours direct contre le
contrat d’engagement d’un agent public, les contrats relatifs à l’embauche de personnel). Il faut
également lire l’arrêt Cayzeele (CE, Ass., 10 juillet 1996).

En résumé, le recours pour excès de pouvoir concerne les actes administratifs unilatéraux.
Ainsi, seuls les moyens tirés de la légalité objective sont recevables devant le juge, les moyens
tirés de la violation des clauses contractuelles étant par principe, irrecevables.

• Un recours d’utilité publique

Le recours pour excès de pouvoir permet, contribue à apurer l’ordonnancement juridique. Il a


but d’intérêt général. Indépendamment de sa volonté, lorsque le requérant forme un recours
pour excès de pouvoir, il agit, se comporte comme un défenseur de la légalité. De son côté, le
juge lorsqu’il annule l’acte attaqué, faisant grief,

• Un recours d’ordre public

Cela signifie que tout particulier ne peut définitivement renoncer à l’exercice de ce recours. Le
requérant qui, en cours d’instance a manifesté son désistement peut revenir sur celui-ci. On le
sait, devant le juge de l’excès de pouvoir, le justiciable dispose de divers moyens juridiques
pour contester la légalité d’une décision. Il s’agit des cas d’ouverture du recours pour excès
pouvoir.

Dans un arrêt d’Assemblée du 17 février 1950 (CE, Ass., 17 février 1950, Ministre de
l’Agriculture c./ Dame Lamotte), le Conseil d’Etat reconnaît le caractère d’ordre public du
recours pour excès de pouvoir car il vise l’abrogation d’un acte illégal. Le recours pour excès
de pouvoir existe « même sans texte » et « a pour effet d’assurer, conformément aux principes
généraux du droit, le respect de la légalité ». En d’autres termes, ce recours est de droit ; il
existe sans qu’il soit besoin d’un texte en ce sens, et il ne peut être supprimé que sous de
restrictives conditions. De plus, étant un principe général du droit, le recours pour excès de
pouvoir échappe au pouvoir normatif des autorités administratives puisqu’il s’impose aux
autorités détentrices du pouvoir réglementaire (CE, 26 juin 1959, syndicat général des
ingénieurs-conseils).

240
Le recours pour excès de pouvoir permet de déférer au juge tous les actes unilatéraux, à
l’exception des actes de gouvernement-mais l’on sait que le nombre de ces actes est allé en se
rétrécissant: l’acte de gouvernement n’est plus qu’une catégorie résiduelle. Ce recours assure
la soumission au droit des actes pris par les autorités administratives. Il garantit, enfin, le respect
de la légalité par toutes les personnes privées gestionnaires d’un service public, dotées à cet
effet des prérogatives de puissance publique, et dont les actes unilatéraux sont fréquemment
des actes administratifs. Le recours pour excès de pouvoir est ainsi placé, par le juge, hors de
tout pouvoir de l’administration, et assez haut pour qu’il soit difficile au législateur d’y porter
sérieusement atteinte.

S’il y a un recours devant le juge, outre l’annulation, le juge peut faire des injonctions à
l’administration mais aussi lui imposer des astreintes (condamner l’administration à verser une
somme d’argent avec somme fixée par jour, semaine ou mois de retard). Le recours a aussi un
caractère objectif et d’autorité publique, c’est un recours contre un acte/ un objet. Seul sont
invocable la violation d’un droit objectif (violation d’une norme constitutionnel, d’une loi, d’un
règlement s’il n’y a pas de loi écran).

• Un recours en annulation

Les conclusions (principales et subsidiaires) d’un recours pour excès de pouvoir ne peuvent que
viser que l’annulation totale ou partielle d’un acte administratif unilatéral. Le dispositif du
jugement rendu sur telles conclusions décide soit du rejet de la requête, soit de l’annulation
totale ou partielle de l’acte attaqué.

En principe, l’annulation d’un acte administratif unilatéral à un effet rétroactif. L’acte déclaré
illégal est censé n’avoir jamais existé. Dans un arrêt Rodièredu 26 décembre 1925, le Conseil
d’Etat français pose le principe de l’effet rétroactif des annulations pour excès de pouvoir ou
encore des annulations contentieuses. Selon le Conseil d’Etat, les décisions rendues sur
recours pour excès de pouvoir entraînent « nécessairement certains effets dans le passé, à
raison même de ce fait que les actes annulés pour excès de pouvoir sont réputés n’être jamais
intervenus ». Le principe applicable aux décisions du juge administratif est que l’annulation a
un effet rétroactif car « l’acte n’est réputé n’avoir jamais existé ».

Dès lors, l’administration doit autant que possible rétablir la situation telle qu’elle aurait été si
l’acte annulé n’avait jamais existé. Autrement dit, pour éviter toute rupture de la continuité,
l’administration doit prendre les mesures nécessaires, adéquates pour combler le vide résultant
de l’annulation. On comprend alors pourquoi, par exception au principe de non-rétroactivité

241
des actes administratifs, les décisions administratives qui tirent les conséquences d’une
annulation contentieuse sont nécessairement de caractère rétroactif (CE, 11 juillet 1958,
Fontaine). De même, l’annulation d’un acte fait revivre celui qu’il remplaçait ou abrogeait.
L’autorité qui s’attache à la chose jugée oblige l’administration à tirer toutes les conséquences
découlant de la décision de justice, mais seulement ces conséquences-là. En l’espèce,
l’annulation au tableau d’avancement imposait de ne pas nommer les agents y figurant. Mais
n’interdisait pas de leur octroyer les avancements normaux survenus dans l’intervalle séparant
la publication des deux tableaux successifs.

Il convient de souligner que l’évolution postérieure a notablement réduit la portée de cette


décision dans un souci de sécurité juridique. En clair, on observe une certaine tendance à
l’atténuation de la rétroactivité des annulations contentieuses. Ce principe, qui donnait un effet
rétroactif aux revirements jurisprudentiels, soulevait une difficulté au regard de la sécurité
juridique en remettant en cause des situations acquises depuis plusieurs années. Il faut donc
désormais compter avec le principe de sécurité juridique, devenu un principe général du droit
(CE, Ass., 24 mars 2006, KPMG et autres). La jurisprudence a d’abord indiqué dans les
motifs de ses décisions, ainsi revêtus de l’autorité absolue de chose jugée, de quelle manière et
dans quel délai l’administration doit les exécuter (CE, Ass., 29 juin 2001, Vassilikiotis: le juge
administratif donne un mode d’emploi à l’administration pour l’exécution de ses décisions;
CE, 5 mars 2003, Titran).

Ensuite, la jurisprudence a limité voire même supprimé les effets rétroactifs d’une annulation
contentieuse (CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC! et autres) lorsque les conséquences
apparaissent excessives en raison de leur rétroactivité (CE, 25 février 2005, France Telecom ;
CE, 11 janvier 2006, Association des familles victimes du saturnisme). Le Conseil
constitutionnel a suivi ce mouvement et fait sienne cette position (Décision n°2005-528 DC du
15 décembre 2005). Il en va de même pour certains effets attachés aux décisions rejetant une
demande d’annulation (CE, Sect., 27 octobre 2006, Société Techna). Enfin, le Conseil d’Etat,
à l’instar de la Cour de cassation, accepte de ne pas donner une portée rétroactive à certains de
ses revirements de jurisprudence (CE, 16 juillet 2007, Société Tropic Signalisations).

Cette « révolution » demeure étroitement cantonnée, très encadrée. Le principe énoncé en 1925
par l’arrêt Rodière est maintenu: « l’annulation d’un acte administratif implique en principe
que cet acte est réputé n’être jamais intervenu ». Désormais, dans certains cas, la règle sera
écartée. Pour ce faire, le juge doit opérer une balance :

242
• Il doit prendre en considération à la fois « les conséquences manifestement excessives »
d’une annulation rétroactive au regard des effets produits et des situations engendrées
par l’acte litigieux, et l’intérêt général, qui peut exiger le maintien temporaire des effets
d’un tel acte.
• Il doit prendre en compte les inconvénients qu’une limitation dans le temps des effets
d’une annulation pourrait avoir au regard du principe de juridicité comme du droit des
justiciables à un recours effectif.

C’est au terme de cette confrontation que le juge pourra déroger au principe –qui continue
d’exister-de l’effet rétroactif des annulations contentieuses, en décidant soit que certaines
situations demeureront acquises malgré leur irrégularité, soit même que l’annulation ne prendra
effet qu’à une date ultérieure qu’il fixe .

Précisons tout de même que dans la pratique, la reconstitution ou le rétablissement des


situations entraînent souvent des difficultés considérables (CE, 25 février 2005, France
Telecom ; CE, 11 janvier 2006, Association des familles victimes du saturnisme). Cette
solution vaut également pour les décisions de rejet (CE, Sect., 7 octobre 2006, SocitéTechna).
Enfin, suivant en cela la Cour de cassation (Cass., plén. 21 décembre 2006), le Conseil d’Etat
se reconnaît le pouvoir de ne donner effet que pour l’avenir à certains revirements de
jurisprudence ; de ne pas donner une portée rétroactive aux revirements de jurisprudence (CE,
Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Signalisations).

Toutes ces décisions se situent dans un vaste mouvement d’émancipation complète du juge
administratif et de conquête d’un statut dans l’Etat de droit.

2. La frontière brouillée entre le recours pour excès de pouvoir et le recours de plein


contentieux.

Traditionnellement, la jurisprudence considérait que les recours ayant un objet pécuniaire


relevaient du plein contentieux. Précisément, le conseil d’Etat avait posé le principe selon lequel
les litiges relatifs à des décisions à objet pécuniaire (refus d’attribuer une somme par exemple)
relèvent du plein contentieux en raison de ce qui est demandé au juge de faire: condamner
l’administration au versement d’une somme. Ainsi, lorsqu’un requérant contestait une décision
a objet pécuniaire, il devait former un recours de plein contentieux. Le recours de plein
contentieux présente toutefois un inconvénient majeur. Le ministère d’avocat y est en principe
obligatoire, contrairement au contentieux de l’excès de pouvoir qui s’en trouve dispensé. Le
contentieux de plein contentieux représente ainsi un coût financier susceptible de dissuader les

243
requérants lorsque le litige porte sur des petites sommes. Pour remédier à cette situation, le
Conseil d’Etat leur a ouvert la voie du recours pour excès de pouvoir. Dans un arrêt du 8 mars
1912 (CE, 8 mars 1912, Lafage et Schlemmer), le Conseil d’Etat a ouvert le recours d’excès
de pouvoir contre les décisions à objet pécuniaire. Dès lors, il suffit au requérant de formuler
différemment sa demande : au lieu de réclamer la condamnation de l’administration au
versement de la somme litigieuse, il doit demander l’annulation de la décision refusant cette
somme159. En cas de succès du recours, le requérant parvient au même résultat : tenue de se
conformer à la décision d’annulation, l’administration doit verser la somme réclamée.

• Le champ d’application de la jurisprudence Lafage.

Dégagée à propos des contentieux pécuniaires intéressant les agents publics 160, la jurisprudence
Lafage s’applique en principe à toute décision à objet pécuniaire : décision assujettissant un
administré à une redevance (CE, Sect., 19 février 1954, Société Marius Martin), lui refusant
une prime (CE, 9 février 1968, Société La foncière des Champs-Elysées) ou encore décision
lui imposant une participation financière (CE, 8 octobre 1993. District urbain de
l’agglomération alençonnaise).

• Les confirmations et extensions de la jurisprudence Lafage

Comme le relève René CHAPUS, si la jurisprudence Lafage a émergé dans le contentieux des
agents publics, « il ne faut pas, pour autant, croire que la jurisprudence Lafage est limitée au
contentieux pécuniaire de la fonction publique»161.

159
Si le requérant réclame la condamnation de l’administration, et non pas l’annulation de la décision litigieuse,
son recours est analysé comme un recours de plein contentieux et se trouve alors assujetti à la règle du ministère
d’avocat (CE, Sect., 19 février 1954, Société les établissements Botton) ou encore (CE, 16 mai 1976, Gibelin).
En revanche, le requérant peut assortir sa demande d’excès de pouvoir de conclusions aux fins d’injonction visant
à obtenir du juge qu’il ordonne à l’administration de tirer les conséquences de l’annulation (par exemple., verser
les sommes dues ainsi que les intérêts attachés à ces sommes) sans perdre le bénéfice de la jurisprudence Lafage.
En d’autres termes, l’ensemble de ces conclusions (excès de pouvoir et injonction) est dispensé du ministère
d’avocat (CE, Sect., 9 décembre 2011, Marcou).
160
S’agissant des agents publics, la jurisprudence Lafage ne présente plus le même intérêt depuis le décret n°2010-
164 du 22 février (article R. 431-3 du Code de justice administrative), les litiges individuels relatifs aux agents
publics (y compris les litiges pécuniaires) que le décret confie dans leur ensemble aux tribunaux administratifs,
étant toujours dispensé du ministère d’avocat. En revanche, la jurisprudence Lafage conserve tout son intérêt en
appel, seules les conclusions présentées en excès de pouvoir par les agents publics étant dispensés d’un tel
ministère (article R. 811-7 du Code de justice administrative), ce exclut les demandes présentées sur le terrain
du plein contentieux assujetties, elles, au ministère d’avocat.
161
CHAPUS (R.), Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 2006, p.719.

244
Tout d’abord la jurisprudence Lafage a été étendue aux agents contractuels de la fonction
publique (CE, Sect., 5 février 1971, Mégard) et aux militaires (CE, 8 décembre 1999,
Chassey).

Le juge est allé plus loin par la suite. Il a appliqué la jurisprudence Lafage à des litiges
concernant une décision refusant au requérant une somme d’argent à laquelle il estime avoir
droit en vertu de dispositions législatives ou réglementaires. Par exemple, elle a été étendue au
recours contre le refus de subvention à une association (CE., 7 juillet 1950, Œuvre de Saint-
Nicolas), au recours contre le refus de versement d’indemnités de rapatriement (CE, 1er juillet
1970, Teboul), au recours contre le refus de versement d’une prime à la construction (CE, 16
décembre 1966, Société civile immobilière de Basse-Yutz).

Peuvent également bénéficier de l’option ouverte par la jurisprudence Lafage les requérants
contestant des décisions mettant à leur charge certaines sommes, en application de textes
législatifs ou réglementaires. Il peut s’agir par exemple d’un recours contre une décision
assujettissant une entreprise à une redevance obligatoire (CE, Sect., 19 février 1954, Société
Les établissements Botton), contre une décision imposant une participation financière à une
entreprise (CE, 11 mai 1968, Société Immobilière de la Croix-Rouge).

Pendant un certain temps, les amendes et sanctions administratives se voyaient également


appliquer la jurisprudence Lafage (Conseil d’Etat, Assemblée, 1er mars 1991, n°112820, Le
Cun, Recueil Lebon p.71). Dorénavant, les sanctions administratives relèvent entièrement de la
pleine juridiction (Conseil d’Etat, Assemblée, 16 février 2009, Société Atom, n° 274000,
Recueil Lebon p. 25 ; José Martinez-Mehlinger, Vers l’ « atomisation » du recours pour excès
de pouvoir dans le contentieux des sanctions administratives, RFDA 2012, p.257).

La jurisprudence Lafage est donc l'instigatrice de ce mouvement de rétrécissement de la


frontière entre le recours de plein contentieux et le recours pour excès de pouvoir, mais
également les nombreuses jurisprudences qui, par la suite, sont venues la confirmer et l’étendre
à de nouvelles situations juridiques. Certaines de ces jurisprudences seront, au surplus, abordées
parce qu’elles subliment la jurisprudence Lafage, et donnent au courant Lafage un sens et une
portée inaltérée.

245
3. Les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir.

La requête doit contenir l’exposé d’un certain nombre de moyens, c’est-à-dire la présentation
de griefs. Ceux-ci sont appelés « cas d’ouverture » du recours pour excès de pouvoir et se
divisent en moyens de légalité externe et interne. Les premiers permettent d’effectuer un
contrôle formel de l’acte attaqué, les seconds un contrôle matériel.

a) Le contrôle de la légalité externe.

Le contrôle de la légalité externe porte sur la compétence de l’auteur de l’acte pour prendre
cette décision et sur la régularité de la forme et de la procédure suivie pour l’édiction de cet
acte.

• Le contrôle de la compétence de l’auteur.

Il y a compétence quand une autorité administrative prend une décision sans être juridiquement
habilitée à le faire. Certains vices particulièrement graves sont assimilés à l’incompétence.

• Le contrôle de la régularité de la forme et de la procédure.

Il y aura vice de forme quand, par exemple, l’acte n’a pas été motivé alors qu’il aurait dû l’être.
Il y aura vice de procédure quand, par exemple, la procédure contradictoire n’a pas été
respectée. Toutefois, les vices forme et de procédure n’entraînent l’annulation que si la
formalité oubliée était substantielle.

b) Le contrôle de la légalité interne.

Le contrôle du juge sur la régularité matérielle de l’acte s’effectue à deux points de vue. Le juge
se place tout d’abord d’un point de vue objectif : le contenu de l’acte, indépendamment de
l’intention de son auteur, est-il conforme au droit ? Le juge se place aussi d’un point de vue
subjectif: l’auteur de l’acte a-t-il poursuivi les buts que la loi assigne aux actes de cette
catégorie ?

➢ Le contrôle objectif (vérification de l’objet de l’acte).

Le contenu de l’acte viole-t-il directement la loi ? Son illégalité peut résulter de différentes
causes.

• Soit d’une erreur de fait.

Dans un arrêt du 14 janvier 1916 (CE, 14 janvier 1916, Camino), le Conseil d’Etat relève une
inexistence des faits en estimant qu’il lui appartient de vérifier la matérialité des faits et annule
246
la sanction du gouvernement (révocation d'un maire). L’acte se fonde sur des faits
matériellement erronés (inexistant ou faux).Dans un arrêt du 11 novembre 1979 (CE, 30
novembre1979 Léon), l'administration invoque l'épilepsie d'un marin pour le déclarer inapte à
la navigation. Les expertises médicales prouvent qu'il n'est pas épileptique. Le Conseil d’Etat
annule la décision attaquée. Dans une autre décision du 20 janvier 1922 (CE, 20 janvier 1922
Trepont), le Conseil d’Etat rappelle que si l'administration invoque un fait (même inutile), il
doit obligatoirement être exact.

• Soit d’une erreur de qualification juridique des faits.

Pour qu’une décision soit légale, il faut que les faits à l’origine desquels cette décision a été
prise soient de nature à justifier juridiquement. En d’autres termes, la qualification juridique
des faits doit être exacte, les faits doivent être de nature à justifier la décision. Dans un arrêt du
Conseil d’Etat du 4 avril 1914 (CE, 4 avril 1914, Gomel), un recours pour excès de pouvoir
avait été formé contre un refus de permis de construire du préfet de la Seine, au motif que la
construction projetée portait atteinte à « une perspective monumentale ». La légalité de la
décision est donc inséparable de la qualification juridique de « perspective monumentale ». Le
juge doit donc se demander si, juridiquement, la place peut être qualifiée de « perspective
monumentale ». Le Conseil d’Etat ayant répondu par la négative, la qualification juridique est
erronée, il annule le refus de permis de construire. Mais le Conseil d’Etat avait reconnu son
caractère de « perspective monumentale », il aurait été amené à se demander si la construction
projetée lui portait atteinte.

Un autre exemple peut être tiré de l’affaire Benjamin (CE, 19 mai 1933, Benjamin). La réunion
est-elle de nature à troubler l’ordre public ? Là encore, il s’agit de qualifier juridiquement les
faits. L’intervention de police n’est justifiée que pour des considérations d’ordre public. La
menace de trouble à l’ordre public doit donc être réelle. Il doit y avoir proportionnalité entre la
menace de trouble et la mesure de police censée y apporter remède. Enfin, les interdictions
absolues et générales sont presque toujours jugées illégales.

Cette erreur peut être régularisée: le juge opère une substitution de motif dans le cas où
l'administration se trouve dans un domaine de compétence liée, ou si un motif substituable
existe. Quand plusieurs motifs sont applicables, le juge administratif estime qu'un seul suffit.
Dans un arrêt du 13 février 1985 (CE, 13 février 1985, Debizet), deux motifs sont présentés,
mais l'un d'eux est erroné. Le Conseil d’Etat examine si la décision aurait été prise si l'auteur
s'était fondé sur le seul motif juridiquement exact.

247
➢ Le contrôle subjectif: le contrôle du but de l’acte.

Ce contrôle conduit le juge à examiner les intentions subjectives de l’auteur. S’il apparaît que
l’acte été effectué pour des raisons qui n’étaient pas celles que la loi retient, l’acte est illégale
car entaché de détournement de pouvoir.

Le détournement de pouvoirs est un cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir. Il se


produit quand l’administration use ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui
ont été attribués. Le juge recherche alors quel but poursuivait l’auteur de l’acte au moment où
il a pris celui-ci. C’est un contrôle de l’intention subjective de l’auteur de l’acte. L’existence
d’un contrôle du détournement de pouvoir, et son affirmation dans l’arrêt Pariset (CE, 26
novembre 1875, Pariset: admission du détournement de pouvoir comme moyen
d'annulation) montrent le degré de raffinement du contrôle juridictionnel. La subjectivité de
ce moyen explique la difficulté à prouver l’existence d’un détournement de pouvoir,
l’administration ne révélant pas toujours les véritables mobiles de ses décisions. C’est pourquoi
le juge se contentera parfois de présomptions sérieuses (CE, 28 mai 1954, Barel) en l’absence
de véritable preuve. Par rapport aux autres cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir,
le grief de détournement de pouvoir ne joue qu’un rôle subsidiaire. Il est examiné en dernier
par le juge.

Deux hypothèses se rencontrent principalement.

Tout d’abord, l’autorité administrative utilise ses pouvoirs dans un intérêt privé. En
d’autres termes, l’acte a été pris en raison des buts d’ordre privé. La poursuite d’un but
complètement étranger à l’intérêt public. Cette hypothèse est rare.

Cet intérêt peut être un intérêt personnel à l’auteur de l’acte. Dans un arrêt du 14 mars 1934
(CE, 14 mars 1934, DlleRault), un maire décide d'interdire le fonctionnement d'un dancing en
semaine, il ferme les débits de boissons concurrents à son établissement. Ses pouvoirs de police
l'y autorisent en cas de trouble à l'ordre public, mais en l'espèce, le Conseil d’Etat annule la
décision attaquée car il s'est aperçu que le maire était propriétaire d'une salle concurrente et que
sa décision n'était donc pas prise dans l'intérêt public. Il l'a annulé.

Dans un arrêt de 1995 (CE, 1995, Syndicat autonome des inspecteurs généraux de
l’Administration), modification du statut d’un corps des hauts fonctionnaires à la seule fin de
pouvoir intégrer le chef de cabinet d’un ministre.

248
Il peut aussi être l’intérêt d’une autre personne privée (CE, 4 mars 1964, Dame Veuve
Borderie) ou un intérêt idéologique ou politique (CE, 11 février 1927, Abbé Veyras).

• Ensuite, il peut y avoir détournement de pouvoir lorsque l’autorité administrative utilise


ses pouvoirs dans un but d’intérêt général autre que celui qu’elle pouvait légalement
poursuivre. L’acte a été pris en considération d’un intérêt public mais inadapté. La
poursuite d'un but d'intérêt public, mais pas celui pour lequel les pouvoirs lui ont été
conférés.

Ce sera le plus souvent, un intérêt financier (CE, 26 novembre 1875, Pariset). Il n’y aura, en
ce cas, détournement de pouvoir que si le mobile financier a joué un rôle véritablement
déterminant dans la prise de décision, non si ce mobile n’y a joué qu’un certain rôle, même
important.

Dans un arrêt du 4 juillet 1924 (CE, 4 juillet 1924, Beaugé), le maire de Biarritz interdit aux
baigneurs de se changer sur la plage en dehors des cabines de bain. Son but étant de faire rentrer
de l'argent, car les cabines de bain sont payantes

Dans un arrêt du 13 juillet 1962 (CE, 13 juillet 1962 Breart de Boisanger), le Conseil d’Etat
a annulé la révocation par le gouvernement de l'administrateur de l'Académie Française. Pour
éviter d'avoir à le réintégrer, le gouvernement modifie le statut de l'Académie Française. Un
autre exemple : utilisation du pouvoir de police pour faire évacuer une association (CE, 19
janvier 1979 Ville de Viry-Chatillon).

Le détournement de pouvoir pose un certain nombre de problèmes. La preuve est difficile à


apporter: le juge administratif essaye de trouver des présomptions de preuve par l'étude des faits
antérieurs,… Si l'administration se trouve dans un domaine de compétence liée, peu importe le
mobile de la décision. L'auteur d'une décision administrative peut poursuivre plusieurs buts: si
un est légal, il n'y a pas détournement de pouvoir. Si le but incorrect est le but déterminant, la
décision sera annulée.

249
Section 2: L’étendue du contrôle juridictionnel

Dans un Etat de droit, la nécessité de contrôler les actes et les décisions pris par la personne
publique s’impose. Précisément, «le principe de légalité soumet donc l'action administrative à
la règle de droit, c'est-à-dire tout à la fois, à la loi formelle, aux règles jurisprudentielles, et
même aux règles que l'exécutif élabore lui-même; mais la règle est morte si le juge ne la vivifie
pas; il n'y a pas d'Etat de droit sans recours donné au particulier pour faire sanctionner la
violation de la légalité par l'administration. La seconde pièce du système, après la loi, c'est le
juge; l'Etat de droit, c'est l'Etat dans lequel les violations de la légalité par l'administration
peuvent être constatées et sanctionnées par un juge »162. Ainsi, l'action administrative n’étant
pas sans conséquence pour les droits et libertés des administrés, un contrôle juridictionnel
s’impose. Prolongement direct du principe de légalité, le contrôle juridictionnel a pour de
protéger les administrés face à l’arbitraire de l’autorité administrative. Le juge administratif est
alors le garant de l’Etat de droit dans la mesure où il s’assure que l’administration respecte le
« bloc de légalité » qui s’impose à elle.

Notons aussi que l’étendue du contrôle juridictionnel dépend de la nature du pouvoir exercé par
l’auteur de l’acte. Ce contrôle sera plus strict dans l’hypothèse de compétence liée qu’en cas de
d’exercice de pouvoir discrétionnaire.

I. L’adaptation du principe de légalité à la compétence discrétionnaire reconnue à


l’administration

Le juge de l’excès de pouvoir, saisi d’un recours recevable, doit annuler tout acte administratif
illégal même lorsque l’Administration est investie d’un pouvoir discrétionnaire.

A. La distinction pouvoir discrétionnaire et compétence liée.


1. La notion de pouvoir discrétionnaire et l’étendue du contrôle juridictionnel

L’idée que l’administration détermine par avance la conduite à tenir lorsqu’elle dispose d’un
large pouvoir d’appréciation, est une bonne idée pour la sécurité juridique des administrés et
pour la cohérence de l’action administrative, mais elle vient se heurter à un principe
fondamental qui régit le pouvoir discrétionnaire : l’obligation pour l’administration d’opérer,
dans chaque cas d’utilisation de son pouvoir discrétionnaire, un examen particulier des

RIVERO (J.), « L’Etat moderne peut-il être encore un Etat de droit ? », Annales de la Faculté de droit de Liège,
162

1957, p. 78.

250
circonstances. En effet, si elle dispose de pouvoir discrétionnaire, c’est afin de pouvoir, dans
chaque cas, effectuer un examen particulier des circonstances.

Le pouvoir discrétionnaire est souvent présenté comme une limite au principe de légalité. Cette
approche est contestable car la traduction du principe de légalité serait que « l’administration
ne disposerait d’aucune liberté, que le contenu de l’ensemble de ses actes, réglementaires et
individuels, serait déjà fixé par le contenu des règles supérieures (constitutionnelles,
internationales, communautaires, législatives) ; les actes administratifs et l’action
administrative en général ne seraient que la déduction logique de ces règles supérieures.
L’administration ne serait qu’une sorte de machine automatique à exécuter dans le cas concret
des injonctions déjà précisément définies par des textes de valeur au moins législative. Cette
représentation, traditionnelle, est la traduction d’un idéal politique classique, celui du
gouvernement des lois »163. Mais les lois ne s’exécutent pas elles-mêmes: elles ont besoin des
hommes pour être interprétées et concrétisées. Il faut encore ajouter que le pouvoir
discrétionnaire ne signifie pas pouvoir arbitraire. Il désigne le pouvoir reconnu à une autorité
administrative de choisir entre deux décisions également conformes à la légalité. Il s’agit d’une
liberté de choix dont dispose l’Administration entre plusieurs décisions elles-mêmes légales.
En d’autres termes, l’autorité administrative dispose d’un pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a
la faculté de choisir entre plusieurs décisions, qui sont toutes conformes à la légalité. L’autorité
administrative est libre d’apprécier en opportunité, en fonction de circonstances, la solution qui
lui paraît la mieux adaptée à la situation. La nécessaire souplesse de l’action administrative
implique qu’elle ne se comporte pas comme un automate, un robot mais dispose d’un choix en
opportunité. Dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, l’administration a le pouvoir d’agir
ou de s’abstenir. Elle a également le pouvoir de choisir entre plusieurs mesures.

Toutefois, la décision prise par l’autorité administrative « ne doit pas reposer sur des faits
matériellement inexacts, sur une erreur de droit, sur une erreur manifeste d’appréciation ou
être entachée de détournement de pouvoir » (CE, Ass. 29 mars 1968, Sté du Lotissement de
la plage de Pampelonne164: annulation de permis de construire délivrés par le préfet du Var
pour erreur manifeste dans l’appréciation du caractère des lieux avoisinants).

163
JOUANJAN (O.), Cours de Droit administratif, 1er semestre, 2007 (Université de Strasbourg).
164
CE, Ass. 29 mars 1968, Sté du Lotissement de la plage de Pampelonne: « Considérant qu’aux termes de
l’article 1er du décret du 31 décembre 1958 : « Le permis de construire peut être refusé ou n’être accordé que
sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leurs dimensions
ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier…sont de nature à la salubrité ou à la
sécurité publiques, au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains
ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ou si ces constructions impliquent la réalisation par la

251
D’après Alain BOCKEL: « il y a pouvoir discrétionnaire toutes les fois qu’une autorité agit
librement sans que la conduite à tenir lui soit dictée à l’avance par une règle de droit » 165.

Toutefois, il convient de relever qu’il n’existe pas d’actes administratifs entièrement


discrétionnaires. En d’autres termes, l'administration n'a pas de pouvoir totalement
discrétionnaire. Il est en effet difficile d’imaginer un acte administratif à l’égard duquel le droit
n’imposerait aucune condition, et qui échapperait à tout contrôle juridictionnel. C’est la
position de principe du juge administratif français depuis le début du XX e siècle (CE, 31
janvier 1902, Grazietti: à propos du contrôle de la légalité du décret de dissolution d’un conseil
municipal).

Tous les actes de l'administration sont soumis au contrôle juridictionnel, car seul l'agent qui en
a reçu expressément compétence peut faire un acte ; l'acte administratif doit toujours être pris
dans l'intérêt public. Les motifs sur lesquels l'administration se fonde doivent toujours être
matériellement exacts. En matière de sanctions disciplinaires à l’encontre d’un fonctionnaire
ayant commis des fautes. L’Administration peut choisir de fermer les yeux, tout comme, si elle
décide de sanctionner le fautif, elle peut choisir entre plusieurs types de sanctions. Le fait pour
l’Administration de méconnaître cette liberté de choix et s’estimer tenue de prendre une
décision est constitutif d’une erreur de droit.

Les textes peuvent toujours réduire le pouvoir discrétionnaire de l'administration. Exemple: le


jury d'un examen universitaire est souverain et a donc un pouvoir discrétionnaire d'admettre ou
d'ajourner. Seul le jury peut décider mais il doit être régulièrement composé et les motifs
doivent être matériellement exacts: un ajournement pour mauvaise copie alors que ce n'est pas
la copie du candidat en question. Le jury doit se prononcer dans un but d'intérêt public et pas
pour favoriser un candidat, mais en fonction du niveau général.

En ce qui concerne l’étendue du contrôle juridictionnel, il convient de souligner qu’à


l’origine, en face d’une décision prise en vertu d’un pouvoir discrétionnaire, le juge se limitait
à un contrôle restreint c’est-à-dire au contrôle de la légalité externe et au contrôle de l’erreur de

commune d’équipements nouveaux non prévus » ; que si, lorsqu’il accorde le permis de construire demandé, le
préfet exerce en opportunité le pouvoir que lui reconnaît la disposition réglementée précitée, la décision qu’il
prend doit ne pas reposer sur des faits matériellement inexacts, sur une erreur de droit, sur une erreur manifeste
d’appréciation ou être entachée de détournement de pouvoir ; qu’il résulte de l’instruction qu’en accordant à la
société anonyme du lotissement de la plage de Pampelonne le permis de construire qu’elle avait sollicité, le préfet
du Var a commis une erreur manifeste dans l’appréciation du caractère des lieux avoisinants ; qu’ainsi ses arrêtés
étaient entachés d’illégalité ; que, dès lors, le ministre de la construction, usant de son pouvoir hiérarchique, a pu
légalement prononcer le retrait desdits arrêtés préfectoraux ».
165
BOCKEL (A.), « Contribution à l’étude du pouvoir discrétionnaire de l’administration », AJDA, 1978, p.356.

252
droit, de fait et du détournement de pouvoir. Il ne contrôlait donc pas la qualification juridique
des faits. Dans un arrêt d’Assemblée du 28 mai 1954 (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel), après
avoir rappelé le principe en vertu duquel il n’existe pas pour une personne un droit à concourir,
le Conseil d’Etat estime que l’autorité compétente dispose d’un pouvoir discrétionnaire en la
matière mais ce n’est pas un pouvoir arbitraire car il est soumis au respect du droit. Il est à
cet effet intéressant d’étudier la méthode utilisée par le juge à l’égard du pouvoir
discrétionnaire. Il examine la légalité externe de l’acte (incompétence et vice de forme) et une
partie de la légalité interne: erreur de droit, exactitude matérielle des faits, erreur manifeste
d’appréciation et détournement de pouvoir.

Tout en reconnaissant au ministre une large latitude pour apprécier « dans l’intérêt du service,
si les candidats présentent les garanties requises pour l’exercice des fonctions auxquelles
donnent accès les études poursuivies à l’Ecole nationale d’administration…», le juge exerce
un contrôle sur les différents points indiqués ci-dessus. En particulier, il exige de l’autorité
administrative la communication des motifs à la base de sa décision, ce qui lui permet d’en
vérifier la matérialité ainsi que leur adéquation à ladite décision. En somme, une prérogative
discrétionnaire permet à son détenteur d’agir avec une grande marge de liberté et interdit au
juge de porter atteinte à cette liberté dès lors qu’elle s’exerce régulièrement.

A partir des années 1960, le juge a ajouté le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation,
c’est-à-dire une censure des erreurs évidentes, des solutions déraisonnables. Ainsi, par exemple,
en matière de sanctions disciplinaires dans la fonction publique, le juge recherche si la sanction
infligée au fonctionnaire n’est pas manifestement disproportionnée par rapport à la faute
commise. Dans un arrêt du 9 juin 1978 (CE, 9 juin 1978, Lebon), le Conseil d’Etat estime que
la révocation d’un instituteur pédophile n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation.
Par contre la révocation d’un gendarme qui avait commis un vol dans un supermarché est
entachée d’erreur manifeste d’appréciation (CE, 1990, Kiener).

La jurisprudence sur l’erreur manifeste d’appréciation repose sur un considérant usuel: « s’il
l’autorité exerce en opportunité ses attributions lorsqu’elle dispose du pouvoir discrétionnaire,
la décision qu’elle prend ne doit pas reposer sur des faits matériellement inexacts, sur une
erreur de droit, sur une erreur manifeste d’appréciation ou être entachée de détournement de
pouvoir ».

Il convient également de relever que le contrôle du juge de l’excès de pouvoir sur les décisions
administratives à caractère économique est d’un maniement délicat car les textes accordent à

253
l’administration économique un pouvoir largement discrétionnaire. Ils se bornent à fixer une
finalité à laquelle l’administration adapte à peu près librement les instruments juridiques dont
ils disposent. En présence d’une légalité aussi « minimale », le contrôle du juge est difficile
même si existe une obligation de motivation. S’il s’en tient à la lettre des textes, tout contrôle
réel est exclu ; l’action de l’administration échappe au droit. S’il prétend exercer un réel
contrôle, en ajoutant au droit existant, il risque de verser dans un pur contrôle d’opportunité. Le
Conseil d’Etat essaie de bâtir et d’asseoir un contrôle contentieux, un modèle satisfaisant
de contrôle contentieux. Dans son arrêt de Section du 26 janvier 1968 (CE, Sect., 26 janvier
1968, Société Maison Genestal), le Conseil d’Etat confirme l’étendue du contrôle exercé par
le juge sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration: sont ainsi examinés, outre la légalité
externe, tous les éléments de la légalité interne moins la qualification juridique, mais plus
l’erreur manifeste d’appréciation. Le juge exerce désormais un contrôle normal sur les décisions
de police économique (CE, 27 juin 2007, Syndicat de défense des conducteurs du taxi
parisien). Le juge administratif a même édifié une jurisprudence souple, afin de tenir compte
des impératifs contradictoires (CE, 12 décembre 1997, Office national interprofessionnel
des fruits, des légumes et de l’horticulture).

Toutefois, il existe des hypothèses où le juge n’exerce même pas ce contrôle restreint, comme
les délibérations des jurys d’examens et de concours ou l’appréciation par les juges et arbitres
des performances des sportifs (CE, 1991, Vigier).

En somme, le problème de l’intensité du contrôle juridictionnel se pose tout particulièrement


en présence d’un pouvoir discrétionnaire de l’Administration. En effet, le juge de l’excès de
pouvoir ne peut annuler un acte administratif que pour illégalité. Dès lors, son contrôle de la
légalité des mesures varie selon l’étendue du pouvoir discrétionnaire: en présence d’un acte pris
en opportunité, le juge limitera son contrôle à un contrôle restreint. Dans une décision du 27
juillet 1978(CE, 27 juillet 1978, Vinolay), annulation d’une sanction infligée à un agent d’une
chambre d’agriculture, la faute ne la justifiant pas. Il ne doit pas y avoir de disproportion
manifeste entre les faits et l'appréciation de l'administration. La décision administrative en
question ne doit pas être viciée par une erreur manifeste d'appréciation. Le juge vérifie que les
faits existent, et contrôle l'appréciation des faits émanant de l'administration. Mais comme ce
contrôle est exercé dans le cadre du pouvoir discrétionnaire de l'administration et ne peut
s'exercer qu'en cas d'erreur grossière de l'administration (une erreur simple est insuffisante),
sanction d'une erreur manifeste d'appréciation. Depuis les années 1970, la jurisprudence a fait
progresser cette notion (CE, 2 novembre 1973 SA Librairie François Maspero).

254
Dans les autres cas, il effectuera un contrôle normal.

A. La compétence liée et l’étendue du contrôle juridictionnel


1. La notion de compétence liée

La compétence liée désigne la situation dans laquelle se trouve l’autorité administrative quand
aucune possibilité de choix ne lui est offerte. Elle est tenue d’agir dans un sens déterminé.

Exemples de situations dans lesquelles l’Administration est tenue d’agir dans un sens
déterminé: admission d’office à la retraite d’un fonctionnaire ayant atteint l’âge légal,
délivrance du récépissé d’une déclaration d’association, rejet d’une demande d’admission à
concourir qui ne satisfait pas à la demande de ne pas se présenter plus de trois fois au concours
considéré…

Il y a compétence liée lorsque la constatation des faits commande mécaniquement la décision


de l’Administration.

2. L’intensité du contrôle juridictionnel.


a) Le contrôle normal.

Le juge exerce un contrôle normal si l'administration est dans une hypothèse de compétence
liée ou si elle se trouve dans une hypothèse de combinaison des deux compétences.

b) Le contrôle de proportionnalité.

Dans le passé, il a progressé en matière de police administrative = de façon générale, le juge


administratif est le juge de la légalité, c'est-à-dire qu'il se demande si l'acte a respecté la loi,
mais qu'il ne peut pas examiner si un vote est opportun ou pas. Mais en matière d'acte de police,
l'opportunité fait partie de la légalité, et le juge est donc amené à examiner l'opportunité de la
décision.Le contrôle de proportionnalité est alors le contrôle par lequel le juge vérifie
l’adéquation entre l’intérêt général et les intérêts individuels et entre un objectif, a priori
légitime, et les moyens mis en œuvre pour l’atteindre (il ne faut pas casser une noisette
(but légitime) avec un marteau-pilon (moyen trop puissant).

Face à une mesure donnée de l'administration, le juge compare les avantages et les
inconvénients de cette mesure : si le bilan est globalement positif, la mesure sera déclarée légale,
sinon elle sera déclarée illégale. Cette théorie du bilan est utilisée en matière d'expropriation
pour utilité publique.

255
La théorie du bilan a été inaugurée dans un arrêt du 28 mai 1971 (CE, 28 mai 1951, Ville
Nouvelle Est) en matière d’expropriation. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat affirme qu’« une
opération ne peut légalement être déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété
privée, le coût financier et, éventuellement, les conséquences d’ordre social qu’elle comporte
ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ». Dès lors, en présence d’une
opération d’expropriation, le juge se demande successivement si l’expropriation:

• Est justifiée par un intérêt général


• Est bien nécessaire
• N’entraine pas des inconvénients excessifs par rapport à l’utilité qu’elle présente.

En somme, une opération ne peut être déclarée d'utilité publique que si ses inconvénients
(atteinte à la vie privée, coût financier, effets d'ordre social,…) sont moindres que ses avantages.

Dans cette optique, le juge confronte les avantages et les inconvénients de l’opération. Si les
avantages l’emportent, l’expropriation est justifiée; sinon, elle est illégale. Toutefois, les
annulations sont assez rares pour les projets de grande importance concernant la politique
générale des pouvoirs publics en matière de défense nationale, d’autoroute ou de centrales
nucléaires (un exemple d’annulation : CE, 1997, Autoroutes trans-chablaisiennes: l’utilité de
la construction autoroutière n’était pas suffisante au regard des inconvénients qu’elle générait).

Application de cette théorie aux dérogations en matière d'urbanisme (CE 19 juillet 1973, Ville
de Limoges); application en matière d'autorisation de licenciements concernant les salariés
protégés (représentants syndicaux et représentants du personnel) (CE 5 mai1976 SAFER
d'Auvergne contre Bernette).

256
DEUXIEME PARTIE: LE CONTROLE JURIDICTIONNEL DE
L’ADMINISTRATION

Après avoir examiné, dans une première partie, les aspects fonctionnels du droit administratif,
(les sources constitutionnelles, les sources internationales, les sources jurisprudentielles), étudié
les procédés de l’action administrative (l’activité administrative: police administrative et
service public) ainsi que les principales catégories des actes juridiques de l’administration, il
convient dans cette seconde partie du cours de présenter et analyser les aspects contentieux de
cette matière. Dès lors, on examinera successivement le principe de légalité administrative
(chapitre 1er) et l’engagement de la responsabilité de l’administration: la responsabilité
administrative pour faute (chapitre 2) et la responsabilité administrative sans faute (chapitre
3).

257
Chapitre 7 : La responsabilité administrative pour faute
Initialement, le principe d’une responsabilité administrative a été écarté en vertu d’un adage
ancien: « le roi ne peut mal faire ». En d’autres termes, le principe de la responsabilité
administrative ne s’est pas imposé immédiatement. Il fallait pour être dédommagé se trouver
dans une logique contractuelle ou sur un problème lié à des travaux publics. Il a fallu attendre
l’arrêt Blanco (TC, 8 février 1873, Blanco), pour que le dogme de l’irresponsabilité soit
abandonné et que les contours de la responsabilité administrative se dessinent selon des
dérogatoires au droit civil. Cette décision consacre la spécificité de la responsabilité de la
puissance publique.

En effet, l’Etat multipliant ses activités et donc les dommages causés aux particuliers, cette idée
va évoluer. Dans un premier temps, la responsabilité de l’administration sera admise (TC, 8
février 1873, Blanco) avant d’être généralisée (CE, 10 février 1905, TomasoGrecco).

Section 1 : La notion de faute de faute en droit administratif

Dans le domaine de la responsabilité pour faute, la notion de faute a un sens proche de celui du
droit civil. Il existe toutefois en droit administratif une distinction propre au droit public entre
la faute de service et la faute personnelle (I).

I. Le rôle de la faute en droit administratif


Comme en droit civil, la faute est entendue comme « un manquement à une obligation
préexistante », à « des obligations extracontractuelles » (PLANIOL ». En droit administratif,
la faute s’analyse comme un dysfonctionnement du service, un manquement aux obligations
qui s’imposent à l’administration. Mais toute faute n’est pas de nature à engager la
responsabilité de la puissance publique. On relève encore aujourd’hui quelques vestiges du
dogme de l’irresponsabilité, l’engagement de la responsabilité de l’administration est parfois
soumis à une faute d’une particulière gravité, la faute lourde. En clair, des nombreuses activités
ne pouvaient engager la responsabilité de la puissance publique qu’en vertu d’une faute d’une
particulière gravité : La faute lourde. L’idée est en recul et la faute simple gagne du terrain.

A. Le recul de faute lourde au profit de la faute simple


L’analyse de la jurisprudence administrative montre une réduction du nombre de cas dans
lesquels une faute lourde n’est pas expressément exigée. Désormais, pour diverses activités,
une faute simple suffit à engager la responsabilité de l’administration.

1. Le recul historique de la faute lourde

258
L’exigence d’une faute lourde est toujours requise pour certaines activités.

• Le service public de la justice.


La responsabilité de l’Etat du fait de l’activité juridictionnelle reste soumise à l’exigence de la
faute lourde. L’Etat est tenu de réparer les dommages causés par « le fonctionnement défectueux
de la justice (judiciaire ou administrative) ». Ainsi, dans un arrêt d’Assemblée du 29 décembre
1978 (CE, Ass., 29 décembre 1978, Darmont), le Conseil d’Etat décide qu’« en vertu des
principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde,
commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est
susceptible d’ouvrir droit à une indemnité ». La même position a été adoptée par la Cour de
cassation dans un arrêt d’Assemblée plénière du 23 février 2001 (Cass., Plén. 23 février 2001,
Bolle et Laroche) : pour la justice judiciaire, l’article L. 781-1 du code de l’organisation
judiciaire dispose que l’Etat est ténu de réparer le dommage causé par le fonctionnement
défectueux du service de la justice mais sa responsabilité n’est engagée que par une faute lourde
ou un déni de justice.

• Le service pénitentiaire.
Dans un arrêt du 14 novembre 1973 (CE, 14 novembre 1973, Ministre de la Justice c. Dame
Zanzi), le Conseil d’Etat a estimé que des négligences ayant permis le suicide d’un détenu sont
constitutifs d’une faute lourde engageant la responsabilité de l’administration pénitentiaire.
Ainsi, le Professeur Franck MODERNE écrivait en 1986 qu’« en réalité, la responsabilité du
fait des suicides des détenus en milieu carcéral paraît régie par le seul recours à la faute
lourde » et que le dommage commis par un détenu sur l’un de ses codétenus engageait la
responsabilité de l’Etat pour faute lourde (CE, 5 janvier 1971, Dame veuve Picard). Dès lors,
il fallait considérer que la responsabilité de l’Etat du fait des dommages subis par un usager du
service public pénitentiaire devait être recherchée sur le fondement de la faute lourde. Mais
depuis l’arrêt Chabba (CE, 23 mai 2003, Mme Chabba), ces solutions sont progressivement
remises en cause. Et la responsabilité de l’Etat du fait d’un dommage subi par un détenu dont
l’origine est imputable à un codétenu, doit désormais être recherchée sur le fondement de la
faute simple. Tel est l’enseignement d’arrêts récents qui confirment alors la soumission de la
responsabilité de l’Etat du fait du service public pénitentiaire à l’exigence d’une faute simple.
Ainsi les suicides des détenus caractérisent une surveillance et une sécurité inadaptées qui
engage alors la responsabilité de l’Etat pour faute simple. La rédaction de l’arrêt Chabba est
particulièrement révélatrice à cet égard. Rendu à propos du suicide d’un détenu, le Conseil
d’Etat s’appuie sur toute l’ironie de la situation pour faire émerger une accumulation de

259
dysfonctionnements qui se mue par la suite en une succession de fautes qui engage la
responsabilité de l’Etat. N’ayant pas été informé du prolongement de la durée de sa détention
provisoire, le détenu s’était manifesté auprès du personnel pénitentiaire. Ce dernier omet de lui
indiquer cette prolongation et rétorque alors au détenu d’attendre le lendemain. Se pensant alors
détenu arbitrairement, il finit après de multiples et vaines protestations véhémentes par mettre
fin à ses jours. Cet ensemble de circonstances traduit alors une défaillance de l’Etat qui engage
sa responsabilité.

Le régime de responsabilité pour faute simple va toutefois dépasser le seul cadre de la


responsabilité de l’Etat du fait des suicides et se généraliser indépendamment de la situation de
la victime. Ainsi la responsabilité de l’Etat est engagée pour faute simple du fait du décès d’un
détenu des suites d’une intoxication consécutive à un incendie provoqué par un codétenu. Il
s’agit de la solution retenue par l’arrêt M. Mme Salah Z (CE, 17 décembre 2008, Garde des
Sceaux, ministre de la justice c. M. et Mme Zaouiya).Cet arrêt revient sur la solution retenue
dans l’arrêt Wachter (CE, 26 mai 1978, Garde des Sceaux Ministre de la Justice c. Cts
Wachter), au terme duquel ce dommage ne pouvait engager la responsabilité de l’Etat que si
une faute lourde était rapportée. Il faut alors considérer que la responsabilité de l’Etat est
engagée pour faute simple du fait d’un dommage subi par un usager du service public
pénitentiaire. Que ce dommage ait pour origine un fait de la victime (suicide) ou soit imputable
à un autre usager (hypothèse du codétenu).

Dans certains cas, le Conseil d’Etat a retenu la faute simple pour engager la responsabilité de
l’Etat (CE, Ass., 28 juin 2003, Magiera : durée excessive de la procédure contentieuse).

260
• Les activités de contrôle soumises à la faute lourde.
L’engagement de la responsabilité d’une autorité administrative à raison d’activité de
contrôle et de tutelle est toujours partiellement soumis à l’exigence de faute lourde.

Il en va ainsi s’agissant du contrôle de la légalité des actes des collectivités locales par les
préfets. En matière de contrôle de légalité des actes des collectivités locales seule une faute
lourde du préfet est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat (CE, 21 juin 2000,
Commune de Roquebrune Cap-Martin).

Le contrôle de légalité exercé par le préfet trouve son fondement dans la vague décentralisatrice
du début des années 1980 qui va substituer un contrôle administratif à l’ancienne tutelle exercée
par les Commissaires de la République sur les collectivités. Il est doté de la possibilité de déférer
au tribunal administratif les actes des collectivités territoriales dont il reçoit, pour partie d’entre
eux, obligatoirement transmission et qui ne sont exécutoires qu’à cette condition. Si les débats
se sont portés sur la question de savoir si le préfet disposait d’une compétence liée ou
discrétionnaire pour l’exercice de cette attribution, une appréhension pragmatique et « réaliste
» des conditions entourant l’exercice de cette activité de contrôle tend néanmoins à lui
reconnaître un pouvoir discrétionnaire en la matière 166. Ainsi le refus du préfet de déférer un
acte local devant juge administratif est une décision insusceptible de faire l’objet d’un recours
en excès de pouvoir 167. Revenant sur une interprétation implicite en faveur de l’admission du
recours en excès de pouvoir168, le Conseil d’Etat fait alors ressortir l’opportunité qui entoure la
décision de saisir ou non le juge administratif 169

En outre dans un arrêt du 18 février 2002 (CE, 18 février 2002, Groupe Norbert
Dentressangle), le Conseil d’Etat relève qu’«…il est institué une commission de contrôle des
assurances chargée de contrôler les entreprises …; que dès lors, eu égard à la nature des
pouvoirs qui sont dévolus à la commission de contrôle des assurances, (la responsabilité de
l’Etat) ne peut être engagée qu’en cas de faute lourde ».

Enfin, il convient de rappeler que dans un arrêt d’Assemblée du 30 novembre 2001 (CE, 30
novembre 2001, Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie c. Mme Kechichian

166
BON (P.), note sous l’arrêt CE, 21 juin 2000, Ministre de l’Equipement, des Transports et du Logement c.
Commune de Roquebrune-Cap-Martin, RFDA 2000, p.1096.
167
CE, sect., 25 janvier 1991, Brasseur, JCP 1991, II, 21564, note MOREAU (J.) ; AJDA 1991, p.351, chr.
SCHWARTZ (R.) & MAUGÜE (Ch.) ; RFDA 1991, p.587, concl. STIRN (B.), note DOUENCE (J.Cl.).
168
CE, 18 novembre 1987, Marcy.
169
Il procède en cela à l’extension d’une jurisprudence qui consacrait cette opportunité pour saisir un juge pénal :
CE, ass., 20 mars 1974, Ministre de l’aménagement du territoire, de l’équipement, du logement et du tourisme c.
Navarra, p.200.

261
et autres), le Conseil d’Etat a considéré que l’engagement de la responsabilité de l’Etat à raison
de son activité de contrôle sur les autorités de régulation est soumis à la faute lourde.

B. L’extension de l’exigence de la faute simple

Désormais, la faute lourde a été abandonnée dans des nombreuses activités. En d’autres termes,
pour diverses activités, une faute simple suffit à engager la responsabilité de l’administration.

a) Les services de secours et de sauvetages:


L’exigence de la faute lourde a été abandonnée que pour les dommages liés à l’organisation et
au fonctionnement de services de secours et de sauvetages que pour les services de lutte contre
les incendies.

• En matière d’activités, de services d’aide médicale et d’urgence, SAMU (CE, 20 juin


1997, Theux).
• En matière de services de lutte contre les incendies (CE, 29 avril 1998, Commune de
Hannapes).
b) Le service hospitalier
Le recul de la faute lourde est particulièrement avéré en matière de responsabilité hospitalière.
Auparavant, les actes médicaux n’engageaient la responsabilité de l’hôpital que si une faute
lourde avait été commise. Depuis un arrêt du Conseil d’Etat du 10 avril 1992 (CE, 10 avril
1992, Epoux V.), cette exigence a été abandonnée, « la faute de nature à engager la
responsabilité de l’hôpital », n’est plus nécessairement une faute lourde. Ainsi, lorsqu’il s’agit
de dommages causés, provoqués par les conditions d’organisation et de fonctionnement d’un
service hospitalier, la faute simple suffit. D’ailleurs, dans un arrêt du 27 juin 1997, le Conseil
d’Etat a relevé « qu’en jugeant qu’une faute avait été commise, mais que seule la faute lourde
aurait été de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier, la Cour a méconnu les
règles qui régissent l’engagement de la responsabilité des personnes publiques ; que dès lors,
l’arrêt attaqué doit être annulé ».

c) Les activités de contrôle soumises à la faute simple


Hormis celles précédemment mentionnées, le régime juridique des activités de contrôle exercé
par l’Etat relèvent majoritairement de la faute simple.

• Contrôle du gouvernement sur les centres de transfusions sanguines (CE, Ass., 9 avril
1993, M.D).

262
• Contrôle de l’inspection du travail sur le licenciement des salariés protégés (CE, 9 juin
1995, Ministre des Affaires Sociales et de l’Emploi c./Lesprit).
• Contrôle technique de l’administration sur les navires, activités de secours et de
sauvetages en pleine mer (CE, 13 mars 1998, Améon et autres).
d) La responsabilité des services fiscaux ou les activités fiscales
Traditionnellement, les activités fiscales étaient soumises à l’exigence de la faute lourde.
Considérée comme une activité régalienne complexe, le juge administratif semble admettre un
certain droit à l’erreur de l’administration. Il a ainsi, posé un régime en distinguant deux types
d’opérations :

• Les opérations présentant une certaine difficulté dans l’établissement et le recouvrement


de l’impôt sont soumises à l’exigence d’une faute lourde (CE, 21 décembre 1962,
Husson-Chiffre).
• Les activités ne présentant aucune difficulté particulière sont soumises à l’exigence
d’une faute simple.
Dans un arrêt Bourgeois du 27 juillet 1990 (CE, 27 juillet 1990, Bourgeois), le Conseil d’Etat
estime qu’une faute simple suffit pour les opérations « qui, si elles se rattachent aux procédures
d’établissement et de recouvrement de l’impôt, ne comportent pas de difficultés particulières
tenant à l’appréciation de la situation des contribuables ». Mais par un arrêt de Section du 21
mars 2011 (CE, Sect., 21 mars 2011, Kupra), le Conseil d’Etat opère un revirement de
jurisprudence remarquable en acceptant d’engager la responsabilité de l’Administration fiscale
sur la base d’une faute simple.

Il convient de noter qu’en matière de police, le juge distingue entre les activités juridiques, où
une faute simple suffit, et les activités matérielles (sur le terrain), où une faute lourde demeure
nécessaire. Depuis l'arrêt du Conseil d'Etat de 1905 (CE,10 février 1905, TomasoGrecco), la
responsabilité pour les activités matérielles de police ne peut être engagée que pour faute
lourde, sauf dans les hypothèses où peut être mise en jeu la responsabilité pour risque lors de
l'utilisation d'armes à feu par les forces de police (CE, Ass. 1949, Lecomte, Franquette et
Daramy) à condition que les dommages aient été subis «par des personnes ou des biens
étrangers aux opérations de police».

II. La distinction entre faute personnelle et faute de service

263
Cette distinction a été résumée par Edouard LAFERRIERE : « si l’acte dommageable est
impersonnel, s’il révèle un administrateur, un mandataire de l’Etat plus ou moins sujet à
erreur, et non l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences, l’acte reste
administratif et ne peut être déféré aux tribunaux ; si, au contraire, la personnalité de l’agent
se révèle par des fautes de droit commun, par une voie de fait, un dol, alors la faute est
imputable au fonctionnaire, non à la fonction ; l’acte perd son caractère administratif et ne fait
plus obstacle à la compétence du juge judiciaire ». Il en résulte que la faute de service est « un
acte dommageable impersonnel, qui révèle l’administrateur plus ou moins sujet à erreur » alors
que la faute personnelle révèle « l’homme avec ses faiblesses, ses passions et ses
imprudences ». En conséquence, la faute de service engage la responsabilité de l’administration
devant le juge administratif (en principe) tandis que la faute personnelle engage la
responsabilité de l’agent public devant le juge civil.

A. La notion de faute de service

Selon Edouard LAFERRIERE, la faute de service est « un acte dommageable impersonnel,


qui révèle l’administrateur plus ou moins sujet à erreur et non l’homme avec ses faiblesses, ses
passions et ses imprudences »». Il s’agit alors d’une « faute commise dans l’exercice du
service » ou résultant du « fonctionnement défectueux du service » (Jacqueline MORAND-
DEVILLER). Elle peut résulter d’une action ou d’une inaction de la personne publique (CE, 9
juillet 2007, M. Delorme : défaut de surveillance et de contrôle, à propos d’un suicide en
prison ; CE, Ass., 3 mars 2004, Ministère de l’Emploi c. Consorts Thomas : défaut
d’information de l’Etat en matière d’amiante).

Par faute de service, le juge administratif entend soit la faute commise pendant le temps du
service (lien temporel avec le service) soit la faute commise en dehors du service mais non
dépourvue de tout lien avec le service (lien instrumental avec le service).

Dans la première hypothèse, la règle ne souffre que peu d’exceptions car même personnelle, la
faute sera en quelque sorte « couverte » par la faute de service qu’elle présuppose
nécessairement (CE, 26 juillet 1938, Epoux Lemonnier). Il en va ainsi de la faute commise
par un gardien de muséum d’histoire naturelle qui laisse échapper des chimpanzés dont l’un
mord un passant (CE, 11 mars 1938, Corbière) ou encore de la gifle donnée par un enseignant
à un élève (TC, 13 février 1984, Bousmaha).

Dans le second cas, le lien instrumental se révèle par le fait que le service a été l’occasion ou le
moyen de la commission du dommage : accident causé par un militaire au volant d’un véhicule

264
de l’armée alors qu’il s’est détourné du trajet normal (CE, 18 novembre 1949, DlleMimeur) ;
blessure causée par le fils d’un garde des Eaux et Forêts au moyen de l’arme de service de son
père, laquelle comportait des cartouches défectueuses (CE, 19 décembre 1969, Houdayer).

B. La notion de faute personnelle

Selon Edouard LAFERRIERE, la faute personnelle révèle « l’homme avec ses faiblesses, ses
passions et ses imprudences ». Par faute personnelle, le juge administratif entend soit la faute
commise complètement en dehors du service et sans aucun lien ou rapport avec celui-ci, ce cas
étant le plus aisé à traiter, soit mais très rarement, certaines fautes d’une particulière gravité
commises pendant le service ou à propos de l’accomplissement du service. En revanche, le juge
administratif n’établit pas un lien systématique entre la notion de faute personnelle et des
hypothèses voisines. Ainsi, toute voie de fait ne constitue pas forcément une faute personnelle
(saisie des journaux ordonnée par le préfet de police (CE, 8avril 1935, Action française). De
même toute infraction pénale n’est ipso facto une faute personnelle malgré la présence d’un
élément intentionnel nécessaire pour constituer l’infraction (TC, 14 janvier 1935, Thépaz ;
CE, 12 avril 2002, Papon).

La faute personnelle désigne alors de la faute qui se détache de l’exercice des fonctions.
On distingue trois types de fautes personnelles:

a) La faute personnelle exclusive ou la faute personnelle dépourvue de tout lien avec


les fonctions.
Cette hypothèse concerne les fautes commises en dehors du service, matériellement,
géographiquement, instrumentalement et temporellement. Rien ne révèle dans le comportement
de la personne fautive qu’elle est un agent public. Cela correspond à la faute commise dans le
privé sans rapport avec la fonction. Dans ce cas, l’agent en répond devant le juge judiciaire avec
application du droit privé et responsabilité sur son patrimoine personnel. Exemples :

CE, 27 octobre 1944, Ville de Nice : faute personnelle, accident causé par un agent municipal
qui circule en moto.

CE, 23 juin 1954, Veuve Litzler : un douanier qui porte son arme de service profite de son
uniforme alors qu’il n’est pas en fonction. Il arrête une personne en voiture (Litzler) avec qui il
avait des différends personnels. Il la tue. Il y a faute personnelle qui ne peut engager la
responsabilité du service mais a priori cette faute n’est pas dépourvue de tout lien avec le
service : le lien instrumental est annulé par l’intention malveillante. A l’époque, le juge

265
estimait qu’une telle faute pouvait engager la responsabilité de l’administration.
Aujourd’hui, il en est autrement.

CE, 13juillet 1963, Veuve Roustau : un militaire se rend de son domicile à son lieu de travail.
Avant, il entre dans un café, salue le patron avec une arme personnelle alors qu’il n’a pas
l’autorisation de port d’arme. Il tue le patron. Arme personnelle, faute personnelle. Cela aurait
pu être une faute détachable car le Conseil d’Etat aurait pu considérer qu’il était en service.

CE, 13 mai 1991, Société d’assurances Les Mutuelles unies c./ Ville d’Echirolles) : incendie
volontaire provoqué par un pompier. Il ne met pas en jeu la responsabilité de l’administration ;
il y a faute personnelle et pas de lien suffisant avec le service.

b) La faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service


Il s’agit d’une faute commise en dehors du service mais qui n’est pas dépourvue de tout lien
avec le service du fait d’un élément de « rattachabilité » qui est souvent un élément
instrumental car elle est commise grâce aux moyens donnés par le service. Il faut distinguer
quatre grandes hypothèses.

• La faute personnelle mais pas dépourvue de tout lien avec le service car commise
à l’occasion du service:
Accident d’un agent qui détourne un véhicule du service (CE, Ass., 18 novembre 1949,
DlleMimeur). Son intérêt réside dans les options de demandes de réparation ouvertes aux
victimes.

• La faute personnelle commise par les moyens matériels dont dispose l’agent du fait
de ses fonctions.
La faute personnelle regroupe les hypothèses où la faute a été commise en périphérie des
fonctions, mais non sans lien avec le service. Il en va ainsi quand la faute est commise grâce
aux moyens du service (CE, 26 octobre 1973, Saoudi: l’accident mortel causé par un gardien
de la paix, un agent de police, à son compagnon de chambre, en dehors du service, en
manipulant son arme de service, même s’il résulte d’une faute personnelle, engage la
responsabilité de la ville de Paris qui lui fait obligation de conserver son arme en dehors du
service). Dans ce cas de figure, la faute est rattachée au service si le comportement
dommageable est une simple négligence ou maladresse, si le moyen est régulièrement détenu
par l’agent et si le moyen mis à la disposition de l’agent expose les tiers à un risque. Trois
conditions doivent être réunies: le comportement de l’agent doit avoir le caractère d’une
imprudence, d’une négligence, d’une maladresse, le moyen ou l’instrument du dommage est

266
régulièrement détenu par l’agent en application d’un règlement du service, l’instrument expose
les tiers à des risques particuliers de dommage.

• La faute personnelle détachable du service.

Il s’agit de la faute personnelle commise dans l’exercice des fonctions mais qui s’en détache
intellectuellement du service parce qu’elle est particulièrement grave. Il s’agit des hypothèses
où l’agent agit de manière violente ou malveillante ou en excédant spontanément ses
prérogatives et commet un acte d’une particulière illégalité (CE, Ass., 12 avril 2002, Papon :
complicité de crime contre l’humanité pendant la Seconde Guerre Mondiale ; Cass. Crim., 13
octobre 2004 : atteinte à une propriété privée dans l’affaire des paillottes « Chez Francis ».

La faute est commise pendant le service donc elle a vocation à être une faute de service. Elle
est qualifiée de faute personnelle car elle se détache intellectuellement du service du fait de
certains facteurs.

• L’intention ou le mobile extérieur au service


La faute personnelle est inspirée par l’animosité ou par l’intention malveillante par exemple.

TC, 26 octobre 1981, Préfets des Bouches du Rhône: le maire d’une commune, par une
malveillance, qui fait déposer des ordures sur le terrain d’un administré en disant que le terrain
fait partie de la décharge.

CE, 21 avril 1937, Demoiselle Quesnel : une receveuse des postes qui détourne des fonds pour
un enrichissement personnel.

CE, 11 novembre 1953, Oumar Sambar : un gardien de prison accusé de vol.

• Publicité non justifiée par le service donné à l’acte dommageable.


La faute peut résider dans un excès de langage ou d’écrits calomnieux.

TC, 12 juin 1961, Picot : un directeur d’hôpital affirme qu’un médecin a saboté un appareil de
radiologie sans preuve.

TC, 21 juin 1993, Préfet des Alpes Maritimes c./CA d’Aix en Provence : diffusion d’un
rapport administratif qui fait apparaître des erreurs dans le fonctionnement d’un service
hospitalier : ce n’est pas une faute détachable si les écrits sont justifiés par une intention non
étrangère au service ou une malveillance : absence de faute détachable.

• Faute personnelle détachable du fait de son caractère grave et inexcusable.

267
Brutalités et excès de langages.

Quand une faute n’est inspirée par aucune préoccupation d’ordre privé, la faute a vocation à
être une faute de service sauf si elle apparaît comme inexcusable du fait de sa gravité
exceptionnelle (CE, 12 avril 2002, Papon).

CA, Paris, 21 juin 1988, Mme Brebryck: offre d’emploi avec la mention « éviter les
personnes de couleurs ».

Section 2: La répartition de la responsabilité entre l’administration et ses agents


La distinction entre la faute personnelle et la faute de service a une conséquence directe sur
l’action ouverte aux victimes. Ainsi, pour engager la responsabilité de l’administration, il
importe de savoir si c’est l’administration ou son agent qui est à l’origine du dommage. Sur ce
point, le juge administratif a développé la distinction faute de service /faute personnelle (TC,
30 juillet 1873, Pelletier) et retenu les cas de cumul de fautes et responsabilités (CE, 3 février
1911, Anguet ; CE, 26 juillet 1918, Epoux Lemonnier).

I. Le régime juridique du cumul de fautes et de responsabilité

Dans un arrêt du 3 février 1911 (CE, 3 février 1911, Anguet), le Conseil d’Etat développé la
théorie du cumul de fautes. Dans l’espèce, le juge relève l’existence de deux fautes dont le
concours a provoqué la facture de la jambe du sieur Anguet. Il y a tout d’abord une faute de
service puisque le bureau des postes n’avait pas à fermer avant l’heure légale de fermeture. Il y
a aussi une faute personnelle des deux agents qui, pris d’impatience, projetèrent Monsieur
Anguet hors du bureau avec brutalité. Cette décision est importante en ce qu’elle distingue la
faute personnelle de la faute de service et établit le régime juridique de leur cumul.

S’il y a une faute de service, la victime ne pourra pas réclamer réparation du préjudice sur le
patrimoine personnel de l’agent devant la juridiction administrative.

S’il y a faute personnelle, selon la qualification donnée, les actions ouvertes aux victimes
peuvent être différentes : soit le juge judiciaire, soit le juge administratif.

Dans une décision du 30 juillet 1873 (TC, 30 juillet 1873, Pelletier), le Tribunal des Conflits
a estimé que l’agent ne peut être poursuivi devant les tribunaux judiciaires que pour faute
personnelle. Il pose ainsi la distinction entre faute personnelle et faute de service. Dès lors, la
victime peut :

268
• Soit invoquer une faute personnelle et saisir le juge judiciaire.
• Soit invoquer une faute de service et saisir le juge administratif.
Si dans certaines hypothèses, engager seule la responsabilité d’un fonctionnaire fautif est
logique, il n’en demeure pas moins que cette solution pose différents problèmes et notamment
celui de la solvabilité de l’agent ainsi que le risque de poursuites abusives. De sorte que la
jurisprudence administrative à tendance à étendre le champ de la faute de service et minorer
celui de la faute personnelle dans un souci de meilleure indemnisation des victimes.

Parallèlement, il existe des hypothèses de cumul de fautes et de responsabilités. En d’autres


termes, un dommage causé à un tiers peut résulter à la fois d’une faute personnelle de l’agent
et d’une faute de service de l’administration. C’est le problème de la responsabilité simultanée
de l’agent et de l’administration envers un tiers.

Avant la décision Anguet (CE, 3 février 1911, Anguet), il n’y avait pas de double
responsabilité possible. Aujourd’hui, les possibilités de cumul sont largement admises.

En cas de pluralité matérielle de fautes (CE, 3 février 1911, Anguet) : accident causé à la fois
par la fermeture avant l’heure réglementaire du bureau de poste (faute de service) et mauvais
traitements, les coups infligés à un usager ne respectant pas cette fermeture prématurée (faute
personnelle des agents) ; CE, 28 juillet 1951, Delville : accident dû à l’été d’ébriété du
chauffeur et au mauvais état des freins).

Dans l’hypothèse Anguet, la responsabilité de l’administration a été engagée. Ce résultat est


certainement satisfaisant pour la victime, puisque l’Etat est plus solvable que ses employés mais
est choquant sur le plan des principes, les fonctionnaires auteurs des brutalités ne voyant pas
leur responsabilité personnelle engagée.

En cas de faute personnelle commise dans le cadre du service, possibilités de cumul de


responsabilités (CE, 26 juillet, Epoux Lemonnier): accident provoqué par un coup de feu lors
d’une épreuve de tir au cours d’une fête foraine communale et par la grave négligence de
municipal, donc faute personnelle). Le juge admet que puisse être recherchée la responsabilité
de l’administration au choix de la victime devant le juge administratif.

En cas de faute personnelle commise en dehors du service, mais non dépourvue de tout lien
avec celui-ci, le cumul de responsabilité est possible (CE, Ass., 18 novembre 1949, Demoiselle
Mimeur) : un militaire causant un accident avec un véhicule de l’armée en s’écartant de son
itinéraire normal ; CE, Ass., 26 octobre, 1973, Saoudi : l’arme qui a causé un accident a été

269
remis à l’agent par le service. Il en va toutefois autrement lorsque l’utilisation de l’arme a été
causée par un sentiment d’hostilité personnelle (CE, 23 juin 1954, Dame Veuve Litzler).

La théorie du cumul suppose donc que deux fautes distinctes aient été commises, l’une
personnelle et l’autre de service, qui peuvent être décelées à l’origine d’un seul et même
dommage. Le juge procède dans un souci manifeste d’équité, afin de fournir à la victime un
débiteur solvable. L’existence d’un cas de cumul ouvre à la victime un choix entre la poursuite
de l’agent pour faute personnelle devant les juridictions judiciaires appliquant le droit civil, ou
la poursuite de l’administration devant le juge administratif appliquant le droit administratif. La
victime réclamera à la partie poursuivie par elle la réparation de l’intégralité du préjudice subi.
Cette dernière, condamnée pour le tout, est subrogée dans les droits de la victime contre l’autre
débiteur (CE, 25 février 1949, Mme Veuve Augereau). En revanche, il n’est pas possible à
la victime de poursuivre successivement les deux débiteurs pour obtenir un cumul
d’indemnités excédant le dommage total subi. Il n’est pas aussi opportun pour la victime
poursuive à la fois, l’agent et le service public devant chacun des deux ordres de
juridictions pour sa part propre de responsabilité. Cette solution est dangereuse en cas de
désaccord entre les juges.

II. Les actions récursoires entre l’administration et ses agents

En cas de pluralité d’auteurs, chacun n’est responsable que pour la part correspondant à sa
participation. Ainsi, on distingue l’action récursoire des agents contre l’administration (A.) et
celle de l’administration contre ses agents (B.).

A. L’action récursoire des agents contre l’administration

Le fonctionnaire peut se retourner contre l’administration s’il est condamné pour une faute
personnelle alors qu’il y a aussi une faute de service et le partage de responsabilité est ainsi
possible devant le juge administratif (CE, Ass., 28 juin 1951, Delville). Dans l’affaire Delville,
le juge administratif a considéré que l’agent qui a indemnisé une victime pour un dommage
résultant à la fois d’une faute de service et d’une faute personnelle peut se retourner contre son
administration pour obtenir un remboursement de l’indemnisation du préjudice en ce qu’il
résulte d’une faute de service. Toutefois, il ne peut pas se retourner contre l’administration, s’il
n’y a pas de faute de service. Selon l’article 56 alinéa, 3 de la loi n°1/2005 du 4 février 2005
portant statut général de la fonction publique « l’Etat, la collectivité locale ou l’organisme
public personnalisé concerné sont civilement responsables des conséquences dommageables
des actes commis par leur agent dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions,

270
sous réserve d’une action récursoire en cas de faute personnelle ». Par ailleurs, dans
l’hypothèse où le fonctionnaire est condamné pour une faute personnelle par les tribunaux
judiciaires alors qu’en réalité il s’agissait d’une faute de service et que le conflit n’est pas élevé,
l’agent a le droit de se faire rembourser.

B. L’action récursoire de l’administration contre ses agents

Les actions récursoires permettent à la personne condamnée à la place de l’autre de se retourner


contre cette dernière afin d’obtenir qu’elle lui verse la part qu’elle lui doit. En d’autres termes,
lorsque le dommage a été réparé (par l’agent ou l’administration), celui qui a réglé doit se
retourner contre l’autre : c’est la contribution finale. La réparation sera faite conformément aux
parts respectives de responsabilité. Notons aussi qu’au stade de la contribution finale, la
distinction entre faute personnelle et faute de service n’a plus la même signification que dans
les relations avec la victime. Elle prend parfois un caractère quasi-disciplinaire. Il est tenu
compte de l’existence et de la gravité des fautes respectives constatées.

L’action récursoire de l’administration contre ses agents admise lorsque la personne publique a
réparé un dommage causé, en tout ou partie, par une faute personnelle. Cette solution résulte
d’un arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat (CE, Ass., 28 juin 1951, Laruelle). Dans cette
affaire, le Conseil d’Etat a estimé qu’une administration qui a indemnisé intégralement une
victime doit pouvoir se retourner contre son fonctionnaire s’il apparaît qu’une faute personnelle
est à l’origine du dommage. Au Gabon, cette solution de résulte de l’arrêt de principe Mourou
(CACS, 4 juillet 1980, Mourou à propos d’un accident de voiture causé par un commissaire
de police): « considérant qu’il résulte du dossier que l’accident survenu le 1 er août 1975
…incombe à la faute personnelle de Mourou Louis (commissaire de police) qui a refusé la
priorité au cyclomotoriste… ; qu’à cet égard, il y a chose jugée au pénal ; qu’il suit qu’il ne
saurait y avoir en l’espèce faute de service engageant la responsabilité de l’administration.

Que dès lors, l’Etat gabonais qui a été condamné en qualité de civilement responsable à
indemniser la victime était en droit de se retourner contre l’agent responsable personnellement
du dommage et doit supporter les conséquences pécuniaires… ». L’administration peut
éventuellement exercer une action en réparation du dommage qu’elle a subi du fait du
comportement de son agent.

Si un dommage est la conséquence des fautes personnelles de plusieurs agents, la personne


publique ne peut pas réclamer l’entier remboursement à l’un d’eux seulement, ils ne sont pas
tenus solidairement. Chacun n’est tenu que dans la mesure où sa faute a contribué au dommage

271
(CE, Sect., 22 mars 1957, Jeannier ; CE, Sect., 19 juin 1959, Moritz). L’administration doit
couvrir son agent des condamnations civiles prononcées contre lui en raison d’une faute de
service. Cette protection ne s’applique pas en cas de faute personnelle (CE, 30 décembre 2015,
Commune de Roquebrune-sur-Argens).

Enfin, il convient de préciser que l’action récursoire, qu’elle soit intentée par l’administration
contre son agent ou par celui-ci contre elle, est de la compétence exclusive des juridictions
administratives (TC, 26 mai 1954, Moritz), même lorsque le dommage est causé par un
véhicule.

272
Chapitre 3 : La responsabilité sans faute

En l’absence de toute action de l’Administration entraînant un préjudice, la responsabilité de


celle-ci peut-elle être engagée? Rappelons que si en principe, le fait générateur de la
responsabilité est constitué par une faute, la responsabilité de l’Administration peut
exceptionnellement être engagée en l’absence de faute. Il s’agit alors de responsabilité sans
faute. La problématique de la responsabilité sans faute de l’administration est ancienne. Dans
un arrêt Cames du 21 juin 1895 (CE, 21 juin 1895, Cames), le Conseil d’Etat a estimé que
l’Etat doit garantir ses ouvriers contre le risque résultant de travaux qu’il leur fait exécuter. Le
législateur prendra la suite en adoptant une loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail.
Le régime de la responsabilité sans faute a connu un rapide développement. Dans des nombreux
domaines on est passé de la responsabilité pour faute à la responsabilité sans faute et à la
socialisation des risques reposant sur la notion de solidarité nationale. Ainsi, la responsabilité
sans faute repose aujourd’hui sur deux fondements: le risque (Section 1) et la rupture de
l’égalité devant les charges publiques (Section 2).

Section 1 : La responsabilité pour risque


Progressivement, s’est imposé le principe selon lequel l’administration doit nécessairement
répondre des activités qu’elle exerce lorsqu’elles comportent un risque pour l’administré et
entraînent un préjudice. La première admission de la responsabilité sans faute est celle pour
risque professionnel (CE, 21 juin 1895, Cames). Précisons tout de même que cela ne
concernait que les collaborateurs permanents. Aujourd’hui, on distingue le cas de risque spécial
et lorsque les victimes sont des collaborateurs du service public.

I. Les accidents subis par les collaborateurs de l’administration

Cela concerne les agents permanents (A.)et les collaborateurs occasionnels (B.) de
l’administration.

A. Les dommages subis par les agents permanents de l’administration

Les agents permanents de l’administration qui subissent des accidents de service, qui ne sont
couverts ni par la législation des pensions de la fonction publique ni par celle des accidents du
travail, ni par celle assurant aux élus locaux une indemnisation en cas d’accident dans l’exercice
de leur mandat, peuvent bénéficier du régime juridique instauré par l’arrêt Cames (CE, 21 juin
1895, Cames). Il en va ainsi des appelés du contingent effectuant leur service national et leurs
ayants droit, lorsque ces appelés ont subi dans l’accomplissement de leurs obligations un

273
préjudice corporel et que le forfait de pension ne leur est pas opposable (CE, Sect., 27 juillet
1990, Cts Bridet).

B. Les accidents subis par les collaborateurs occasionnels de l’administration

Les collaborateurs occasionnels de l’administration victimes d’un dommage en lui apportant


leur concours, désintéressé ou non, sont indemnisés (CE, Ass., 22 novembre 1946, Commune
Saint-Priest-la-plaine) qu’ils aient été réquisitionnés ou aient agi d’eux-mêmes. La
participation doit être effective et justifiée, et apportée à un véritable service public. Ainsi, es
collaborateurs occasionnels sont indemnisés des dommages subis sur le fondement du risque
encouru par leur participation, le plus souvent bénévole, à l’exécution du service public.
Toutefois, ce concours doit être justifié (urgence…), apporté à un service public (lutte contre
l’incendie, secours aux victimes d’accidents, fêtes communales traditionnelles…) et effectif,
l’intention n’est pas admise (CE, 3 oct. 1980, Gambini).

II. La responsabilité sans fauteen raison d’un « risque spécial » de dommage.

Les activités de la puissance publique constituent traditionnellement le terrain d’élection de la


responsabilité pour risque.

A. La responsabilité fondée sur la dangerosité des choses

Le « risque spécial de dommage » peut trouver son origine dans les choses
dangereuses.Dans un arrêt Regnault-Deroziers (CE, 28 mars 1919, Regnault-Deroziers), le
Conseil d’Etat a considéré que le risque anormal de voisinage engage sans faute, lorsqu’il se
réalise, la responsabilité de l’administration pour compenser la charge inhérente aux choses
dangereuses. En l’espèce, l'explosion d'un dépôt de munitions stockées dans le fort de la
Double-Couronne causa la mort de plusieurs personnes ainsi que de nombreux blessés. Cette
jurisprudence sera étendue à d'autres choses dangereuses (de l'idée de voisinage on passe à
l'idée de chose).

B. Une responsabilité sans faute en raison des méthodes, activités dangereuses

La responsabilité sans faute en raison d’un « risque spécial » de dommage peut aussi trouver
son origine dans les méthodes, activités dangereuses. Ainsi, dans une décision de Section du 3
février 1956 (CE, Sect., Ministre de la Justice c/ Thouzellier du 3 févier 1956), le Conseil
d’Etat a jugé dans un objectif de socialisation du risque que l'Etat devait être reconnu
responsable, même sans faute, des dommages causés par les mineurs délinquants placés.

274
C. La responsabilité sans faute en raison d’un « risque spécial » lié à l’utilisation des
produits dangereux

La responsabilité sans faute en raison d’un « risque spécial » peut aussi trouver son origine dans
l’utilisation des produits dangereux. Dans le cas tragique de la contamination par le virus du
sida, les centres publics de transfusion sanguine qui distribuent les produits contaminés sont
généralement reconnus responsables en l'absence de toute faute vis-à-vis des usagers. Ainsi,
s'ouvrait la responsabilité pour risque du fait des produits dangereux. Dans un arrêt N’Guyen
du 26 mai 1995 (CE, 26 mai 1995, N’Guyen), le Conseil d’Etat a estimé que la responsabilité
d’un centre de transfusion sanguine peut être engagée sans faute du fait des produits sanguins
transfusés entraînant une contamination par VIH, « eu égard aux risques que présente la
fourniture de produits sanguins ».On a plus généralement aujourd'hui une responsabilité pour
« défaillance des produits et appareils de santé ». Dans un arrêt du 9 juillet 2003 (CE, 9
juillet, 2003 Marzouk), le Conseil d’Etat abandonne une jurisprudence bien établie qui retenait
la responsabilité des hôpitaux pour faute dans l’organisation et le fonctionnement hospitalier en
cas de matériel défectueux. Désormais, l’administration est responsable, même en l’absence de
faute, des conséquences dommageables de la défaillance des produits et appareils de santé
qu’elle utilise. En d’autres termes, l’usager du service public hospitalier peut engager la
responsabilité sans faute de l’établissement du fait d’un produit défectueux. Cela concerne
notamment des dispositifs médicaux tels que les instruments, les appareils, équipements,
matières et produits destinés à être utilisés chez l’homme à des fins médicales.

De toute évidence, la promotion de la solidarité nationale mise en avant par la loi du 4 mars
2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé explique la position
nouvelle du juge administratif sur cette question. Afin de couvrir le risque thérapeutique, cette
loi remet en cause la solution dégagée par l’arrêt Bianchi (CE, Ass., 9 avril 1993, Bianchi),
qui avait permis une extension de la responsabilité pour risque au domaine hospitalier.

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat autorise l’indemnisation de l’aléa médical. Il faut entendre par
aléa médical, un événement imprévisible, synonyme de hasard. Dès lors, en matière médicale,
une anesthésie pratiquée dans des conditions irréprochables et dans des circonstances
appropriées peut avoir des conséquences graves voire fatales. Pour le juge administratif,
certains actes médicaux peuvent engager la responsabilité du centre hospitalier même sans faute
lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou traitement du malade présente un risque
dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et le particulier ne semble
pas y être particulièrement exposé (artériographie vertébrale entraînant une tétraplégie). Le
275
Conseil d’Etat avait ainsi subordonné la réparation du préjudice subi par Monsieur BIANCHI
à la réunion de cinq conditions cumulatives:

1. Un acte médical nécessaire au diagnostic ou traitement du malade


2. présente un risque dont l’existence est connu mais dont la réalisation
exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que
3. le patient y soit particulièrement exposé,
4. la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l’exécution de cet acte est
la cause directe de dommages d’une extrême gravité
5. sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état.
Il convient de préciser que par la suite, la loi du mars 2000 a modifié les règles de
l’indemnisation de l’aléa thérapeutique. Lorsque la responsabilité pour faute d’un
professionnel, d’un établissement, service, organisme ou producteur de produit n’est pas
engagée, un accident médical, une affection iatrogène (dommage subi par le patient lié au
traitement délivré) ou une infection nosocomiale (infection qui apparaît au cours ou à la suite
d’une hospitalisation alors qu’elle était absente à l’admission à l’hôpital) ouvre droit à
réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité. Cette indemnisation est opérée par
un fonds public d’indemnisation (régime de solidarité).

Section 2 :La responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques
Certaines activités, certains agissements de l’administration peuvent au nom de l’intérêt général
faire peser, entraîner des charges particulières au détriment de certains membres de la
collectivité. Cette rupture de l’égalité devant les charges publiques est génératrice d’un
dommage qui peut être réparé sur le fondement de la responsabilité sans faute. Dans ce cas, le
dommage doit présenter un caractère spécial et anormal mais en aucun cas, il ne doit avoir un
caractère accidentel. Le dommage peut résulter d’actes normatifs non fautifs ou
d’abstentions non fautives de la puissance publique. Il convient de distinguer trois cas de
responsabilité sans faute sur le fondement de la rupture d’égalité devant les charges publiques:
la responsabilité du fait des décisions administratives régulières, du fait des lois et conventions
internationales et du fait dommages permanents de travaux publics ou ouvrages publics.

I. La responsabilité du fait des décisions administratives

276
Cela concerne les dommages subi du fait des décisions administratives régulières (A.) mais
ceux des travaux publics (B.).

A. La responsabilité sans faute du fait des décisions administratives régulières

Cette responsabilité peut résulter des charges générées par une décision individuelle. Dans une
décision du 30 novembre 1923 (CE, 30 novembre 1923, Couitéas), le Conseil d’Etat admet
une situation de responsabilité pour un défaut d’application d’une réglementation pour des
motifs d’intérêt général. En l’espèce, l’administration refuse d’exécuter une décision de justice.
Le Conseil d’Etat considère que l’autorité de police chargée d’exécuter les décisions de justice
peut être amenée à refuser de prêter son concours pour l’exécution de certaines de décisions
lorsque celle-ci est de nature à provoquer un trouble certain dans la population ou dans la zone
concernée. Pour ce faire, le juge met en balance les intérêts en présence. En ce qui concerne la
sanction de l’inexécution des décisions de justice, le juge estime que lorsque l’administration
refuse, à bon droit, d’aider à l’exécution d’un jugement, elle engage sa responsabilité, et doit
réparer le dommage qui résulte de l’inexécution. Cette décision ouvre droit à réparation aux
bénéficiaires des jugements prescrivant l’expulsion d’occupants sans titre de logements ou lieux
de travail (CE, Ass., 3 juin 1938, Société Cartonnerie Saint-Charles). Par ailleurs, l’arrêt
Commune de Gavarnie (CE, 22 février 1963, Commune Gavarnie ; CE, 4 octobre 2010,
Commune Saint-Sylvain d’Andjou) ouvre droit à la victime d’un règlement légal rompant
l’égalité devant les charges publiques. Cette responsabilité est sans faute puisque
l’administration a eu raison de ne pas procéder à l’exécution de la décision de justice. Cette
solution paraît aujourd’hui condamnée par la CJUE, qui impose aux Etats membres d’assurer
effectivement leurs obligations sans pouvoir invoquer un motif d’ordre public pour s’y
soustraire (CJCE, 9 décembre 1997, Commission c./France). Le Conseil constitutionnel a
précisé que l’indemnisation pour inexécution ne constitue pas l’exécution effective d’une
décision de justice (Décision n°98-403 DC du 29 juillet 1998, loi d’orientation relative à la
lutte contre les exécutions). La CEDH va également dans ce sens en considérant que la justice
est illusoire si la décision n’est pas exécutée (CEDH, 31 mars 2005, Mathieu c. / France).La
jurisprudence Couitéas (CE, 23 novembre 1923, Couitéas) s’applique en cas de refus
d’intervention des autorités de police pour maintenir ou rétablir l’ordre (CE, Sect., 27 mai
1977, AS Victor Delforge), en cas de défaut non fautif d’application d’une réglementation
(CE, Ass., 7 mai 1971, Ministre de l’Economie et finances c./Sastre), d’abandon par une
personne publique d’un projet devenu inutile (CE, 17 mars 1989, V. Paris c./Société
Sodevam), d’étalement dans le temps de la réalisation d’aménagements d’accessibilité aux

277
personnes handicapées de bâtiments administratifs (CE, Ass., 22 octobre 2010, Mme
Bleitrach), ou suspension prolongée d’un praticien hospitalier (CE, 8 juin 2017,
Bozidarevich).

B. La responsabilité du fait des travaux publics

Les ouvrages publics étant construits dans l’intérêt général, il est normal d’indemniser la
minorité qui subit un trouble, conséquence de l’exécution des travaux publics ou de l’existence
de l’ouvrage (CE 16 oct. 1992, SA garage de Garches : transformation d’une voie ouverte à
la circulation automobile en rue piétonnière ayant entraîné la fermeture d’un garage ; a
contrario des aménagements inappropriés ou insuffisants destinés à rendre accessibles les
locaux d’un palais de justice à un avocat handicapé engagent la responsabilité sans faute de
l’État : CE, ass., 22 oct. 2010, Bleitrach). L’installation d’un dépôt d’ordures à proximité d’une
habitation ou la dépréciation de la valeur d’une propriété liée au passage d’une route près de
celle-ci (CE, 22 octobre 1971, Époux Blandin), la réalisation d’un tramway cause d’une
perte d’exploitation subie par un pharmacien entraînent l’indemnisation de la victime sans
qu’elle ait à prouver la faute.

II. La responsabilité du fait des lois et des conventions.

L’idée que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée du fait de sa fonction législative ne va
pas de soi. Il faut dire que la loi est un acte de portée générale et la manifestation par excellente
de la souveraineté, de la volonté générale. Dès lors, elle ne saurait être source de dommages.
Dans un arrêt de principe (CE, 1938, Duchâtellier), le Conseil d’Etat concluait à
l’irresponsabilité absolue de l’Etat législateur. Par la suite, il finira par admettre le principe de
la responsabilité de l’Etat en cas de dommages causés par l’exercice du pouvoir législatif (CE,
Ass., 14 janvier 1938, Société Anonyme des Produits Laitiers (La Fleurette). Examiner la
responsabilité de l’Etat en tant que législateur revient à s’intéresser aux conditions de sa mise
en œuvre ainsi qu’à son régime juridique.

A. Des conditions rigoureuses de mise en œuvre

La responsabilité de l’Etat en cas de dommages causés par l’exercice de la fonction législative


est difficile à mettre en œuvre. Les conditions d’origine de cette responsabilité ont récemment
évolué quand la loi viole le droit international. L’arrêt La Fleurette (CE, Ass., 14 janvier 1938,
La Fleurette), précisé par la jurisprudence ultérieure subordonne la mise en œuvre de cette
responsabilité à plusieurs conditions:

278
• Les conditions tenant à la volonté du législateur ou encore les conditions négatives
de mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat législateur.
Pour plusieurs raisons, la responsabilité de l’Etat législateur peut être exclue par le législateur
lui-même. La réparation ne doit pas avoir été exclue par la volonté du législateur telle qu’elle
résulte, soit des termes mêmes de la loi (CE, 13 octobre 1978, Perthuis et autre), à défaut des
travaux préparatoires de la loi (CE, 22 novembre 1970, Société Etablissement L. Rémusat),
soit à défaut de l’une de ces deux hypothèses, de l’ensemble de circonstances de l’affaire (CE,
3 décembre 1948, Société aéromaritime de l’Atlantique ; CE, 25 septembre 1970,
Commune de Batz-sur-mer).

 En raison de l’activité à laquelle il a porté atteinte.


 En raison du but poursuivi.
Le législateur refusait la réparation du préjudice lorsque l’activité en cause est-elle-même
anormale ou lorsqu’elle est limitée ou supprimée dans un but d’intérêt général.

A titre d’exemple, le droit à indemnité a été écarté lorsque la loi a cherché à réprimer des
activités frauduleuses ou répréhensibles (CE, 14 janvier 1938, Compagnie générale de
grande pêche : exportation frauduleuse d’alcool; CE, 1er mars 1940, Société Chardon et Cie :
répression de fraude alimentaire).

La réparation a également été refusée lorsque la loi a cherché à mettre fin à une activité
dangereuse ou nuisible à la santé publique (CE, 8 janvier 1965, Etablissement Aupinel:
contrôle du transport de la commercialisation des spiritueux en vue de lutter contre la fraude
sur les alcools et de contribuer ainsi à la sauvegarde de la santé publique).

Par ailleurs, la réparation d’un préjudice est écartée lorsque la loi a été prise dans le but d’intérêt
économique et social d’ordre général. Autrement dit, la réparation est exclue lorsque la loi
dommageable intervient dans un but d’intérêt général. La responsabilité de l’Etat législateur
n’a pas été reconnue à l’occasion de l’application des lois intervenues pour lutter contre la
hausse des prix (CE, 15 juillet 1949, Ville d’Elbeuf : blocage des prix du gaz), pour
régulariser un marché ou organiser une production (CE, 21 juin 1957, Société d’exploitation
des Etablissements Pathé-Cinéma : une interdiction de fabriquer des films de certains formats
édictée en vue « d’organiser la production cinématographique, notamment du point de vue du
rendement, de la qualité et du coûts des produits).

• Les conditions tenant aux caractères du préjudice ou les conditions positives de


mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat législateur.

279
Ces conditions sont dites de positives parce qu’elles n’excluent pas la responsabilité, et par
ricochet, l’indemnisation. Il suffit qu’elles soient remplies pour que cette dernière soit octroyée.
A cet égard, le préjudice indemnisable doit, naturellement, répondre aux conditions habituelles
posées par la jurisprudence générale sur la responsabilité de la puissance publique : il doit être
direct et certain (CE, 2 juin 2010, Abolivier ). Mais pour la mise en œuvre de la responsabilité
du fait des lois, la jurisprudence impose des conditions supplémentaires: il faut que le préjudice
soit également spécial et anormalement grave.

 En ce qui concerne le caractère spécial du préjudice, il est à noter que cette exigence qui
a longtemps fait considérer que, par définition, la loi ne pouvait donner lieu à la
responsabilité.
Par caractère spécial, il faut entendre que la loi ne touche qu’une catégorie des personnes et
que le préjudice qui en résulte ne concerne que ces dernières. C’est à cette condition que
s’ouvrira le droit à réparation. Ce qui est extrêmement difficile à établir compte tenu du
caractère général de la loi. Dans l’arrêt La Fleurette (CE, Ass., 14 janvier 1938, La Fleurette),
le Conseil d’Etat a jugé que cette condition était remplie. La jurisprudence a évolué en
consacrant cette application à des cas où il y a une pluralité de victimes, à condition toutefois
que celles-ci constituent une catégorie limitée d’individus (CE, 25 janvier 1963, Bovero).
 Le préjudice doit être anormalement grave, faute de quoi il demeure à la charge de la
victime (CE, 27 janvier 1961, Société des Etablissements Lacaussade).
Comme pour le caractère spécial du préjudice, cette condition est également difficile à remplir.
En effet, certains préjudices nés de la loi ne sont jamais anormaux, car les activités auxquelles
la loi porte atteinte sont-elles-mêmes anormales (activités à caractère immoral, illicite ou
dangereux). Mais lorsque les activités n’ont rien d’anormal, l’anormalité du préjudice résultant
de la loi les restreignant ou les limitant n’est atteinte que s’il est grave.

En somme, le préjudice doit satisfaire, outre les conditions habituelles (telle l’de l’absence de
faute de la victime), à deux conditions spécifiques : il doit être d’une « gravité suffisante »,
donc se situer au-delà des inconvénients normaux de la vie en société (CE, 27 janvier 1961,
Vannier ; CE, 30 juillet 2003, Association Pour le développement de l’aquaculture en
région centre) et « spécial » c’est-à-dire ne touchant qu’un nombre restreint d’individus car
c’est une réparation d’équité.

B. Un régime de responsabilité difficile à définir

280
Depuis un arrêt d’Assemblée du 8 février 2007(CE, Ass., 8 février 2007, Gardedieu), le
Conseil Etat a considérablement fait évoluer les conditions d’origine de cette responsabilité
quand la loi dommageable viole le droit international. En effet, cet arrêt concerne le cas où le
préjudice est causé par une loi du fait qu’elle viole une convention internationale. En l’espèce,
une loi, du fait de sa rétroactivité, portait atteinte au droit à un procès équitable, reconnu par
l’article 6§1 de la Convention européenne de droit de l’homme. S’agit-il d’une responsabilité
pour faute, d’une responsabilité sans faute, ou d’une nouvelle forme de responsabilité
(responsabilité sui generis) ? Si le débat en doctrine n’est pas encore épuisé, il est reproché au
Conseil d’Etat de ne pas, sur ce point, pris position clairement position. L’entier préjudice est
réparable et il n’est pas exigé qu’il revête un caractère « anormal » et « spécial ».

 Le fondement incertain du nouveau de responsabilité de l’Etat législateur.


Consacrée par l’arrêt La Fleurette (CE, 14 janvier 1938, La Fleurette), la responsabilité de
l’Etat du fait des lois a connu un nouveau développement avec l’arrêt Gardedieu rendu le
Conseil d’Etat le 8 février 2007. Tirant les conséquences de l’obligation pour l’Etat de respecter
les engagements internationaux (article 88-1 de la Constitution), le juge admet que la
responsabilité de l’Etat peut désormais être engagée du fait du préjudice causé directement par
une loi à des tels engagements.

Le Conseil d’Etat a ainsi considéré que : « la responsabilité de l’Etat du fait des lois est
susceptible d’être engagée, d’une part sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les
charges publiques, pour assurer la réparation des préjudices nés de l’adoption d’une loi (…),
d’autre part, e raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des
conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l’ensemble des préjudices
qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements
internationaux de la France ».

Il en résulte que le Conseil d’Etat consacre, à côté de la classique responsabilité sans faute du
fait des lois, fondée sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques, une responsabilité
de l’Etat du fait des lois méconnaissant les engagements internationaux de la France,
subordonné exclusivement à l’existence d’un préjudice et à un lien direct de causalité entre ce
préjudice et la méconnaissance de l’engagement international.

 Les divergentes interprétations doctrinales concernant le fondement de la nouvelle


forme de responsabilité du fait des lois.

281
Certains auteurs l’ont analysé comme consacrant un régime de responsabilité pour faute.
M. LOMBARD considère que « la responsabilité du fait des actes irréguliers, y compris en
raison de la violation, par une loi, d’une convention internationale, obéit désormais à un régime
de responsabilité pour faute » (Droit administratif 10e éd., Dalloz, Paris, 2013, p. 594) ; Pour
B. SEILLER, «officiellement rattachée à la responsabilité sans faute par une crainte
révérencielle aujourd’hui surprenante, la condamnation possible de l’Etat est évidemment
fondée sur la faute commise par le pouvoir législatif en ne respectant pas une norme
internationale » (Droit administratif, 2. L’action administrative 3e éd., Flammarion, Paris,
2010, p. 299).

Pour d’autres, il s’agit plutôt d’un cas de responsabilité sans faute (BROYELLE (C.), Note
sous CE, Ass., 8 février 2007, Gardedieu, JCP, 2007, p. 48 ; LEMAIRE (F.), « la
responsabilité de l’Etat en cas de violation de la Convention européenne des droits de
l’homme par une loi : quel fondement ? », RTDH, n°71, 2007, p. 909).

Enfin, d’autres encore y voient un nouveau régime de responsabilité. Autrement dit, il s’agit
d’une responsabilité d’un genre nouveau (ni une responsabilité pour faute ni une responsabilité
sans faute), une responsabilité sui generis. Parmi ces auteurs, on y range CLAMOUR (G.),
« Observations sous CE, Ass., 8 février 2007, Gardedieu, Dalloz, 2007, p. 1219;SIMON (D.),
« Droit communautaire et responsabilité de la puissance publique », AJDA, 1993, p. 241).

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

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édition, 2014.
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• PAMBOU TCHIVOUNDA (G.), Les grandes décisions de la jurisprudence
administrative du Gabon, Paris, Pedone, 1994.
• REMONDO (M.), Le Droit administratif gabonais, Paris, LGDJ, Coll. Bibliothèque
africaine et malgache 1987.
• SAISON (J), Droit administratif, Gualino, 2009
• WEIL (P.), POUYAUD (D), Droit administratif, PUF-QSJ, 2013.

283

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