Vous êtes sur la page 1sur 99

À lire également en

Que sais-je ?
COLLECTION FONDÉE PAR PAUL ANGOULVENT

Michel Troper, La Philosophie du droit, no 857.


Muriel Fabre-Magnan, Introduction au droit, no 1808.
Stefan Goltzberg, Les Sources du droit, no 4061.
Muriel Fabre-Magnan, Le Droit des contrats, no 4118.
ISBN 978-2-13-081140-4
ISSN 0768-0066

Dépôt légal – 1re édition : 2019, novembre

© Que sais-je ? / Humensis, 2019

170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


À mon maître,
Christian Atias, qui m’a initié au droit civil
et à l’art du questionnement.
Introduction

Au sens technique, le droit civil régit les rapports entre les personnes
qu’elles soient physiques (individus) ou morales (sociétés, associations). Il se
distingue des « droits civils et politiques » qui renvoient aux libertés
fondamentales que doit respecter l’État à l’égard des individus (liberté
d’expression, de réunion, de se marier, de devenir propriétaire, etc.). Les « droits
civiques » découlent plus spécifiquement de la qualité de citoyen comme le droit
de vote, l’éligibilité, le droit d’exercer une fonction juridictionnelle, de servir
dans l’armée, etc. Si les droits civils et civiques ne relèvent pas du droit civil,
c’est parce qu’ils visent prioritairement une relation envers l’État, personne
publique. Par opposition au droit public, le droit civil est ainsi une matière de
droit privé, c’est-à-dire relevant des relations entre particuliers.
Le droit civil est à la base des relations quotidiennes qui peuvent se nouer
entre les individus : mariage, divorce, propriété, contrats, responsabilité,
successions font partie des grandes catégories du droit civil. À la différence des
autres branches du droit, le droit civil ne saurait être réduit à sa seule
signification technique : il a une dimension fondatrice. Le droit civil ne se
résume pas à ses concepts : il est porteur d’institutions et de symboles qui
reflètent une prise de position sur le sens essentiel de l’être et de l’avoir. Le droit
civil traduit ainsi dans son propre langage les jugements de valeur du législateur
ou du juge sur les intérêts sociaux, économiques ou moraux à faire prévaloir. En
permanente tension avec l’éthique et la politique, le droit civil s’en distingue
toutefois en raison de sa technique propre, façonnée par une histoire qui l’a érigé
en véritable modèle théorique et culturel du droit.
Au sens historique, le droit civil est à l’origine du droit, son prototype et son
modèle de pensée. Il forme le cœur du droit romain car il n’y a pas de différence
à Rome entre le droit et le droit civil qui est simultanément droit de la cité et de
ses citoyens. Ce droit savant a servi de modèle pour maints systèmes juridiques
ultérieurs. Aujourd’hui encore, le Code civil français adopté en 1804 (Code
Napoléon) témoigne de l’unité politique de la nation. Il demeure la « véritable
Constitution de la France » selon la formule de Jean Carbonnier1. Le Code civil
a toutefois fait l’objet de profondes réformes depuis une quarantaine d’années ;
elles se poursuivent actuellement.
Au sens théorique, le droit civil est une matrice. Le droit pénal, le droit du
travail, le droit des affaires, le droit de la consommation, le droit administratif
ont affirmé progressivement leur autonomie mais en puisant leurs ressources
dans le droit civil. La quasi-totalité de ces droits spéciaux doit se positionner au
regard des concepts du droit civil pour savoir dans quelle mesure ils s’en
démarquent. C’est pourquoi, même à l’intérieur des droits spéciaux, le droit civil
conserve toujours une vocation à être appliqué de façon subsidiaire : c’est l’idée
de droit commun. Le droit privé, voire le droit en général, trouve ainsi son unité
intellectuelle dans le droit civil.
Au sens culturel, le droit civil est une certaine façon de penser le droit et son
rapport à la société. « Civil » vient du latin civilis dont dérive le terme de
« civilisation ». Au sens propre, le droit civil est un élément de civilisation. Les
systèmes juridiques dans le monde sont principalement divisés entre deux
grandes familles. Les pays dits de tradition civiliste (de droit écrit) s’opposent
aux pays de common law dont le droit est d’abord issu des cours et tribunaux.
Par ailleurs, le droit civil est porteur d’une philosophie propre qui consiste à
rechercher une solution juste dans les conflits individuels sans verser dans la
politique ou la morale. Cette logique entre aujourd’hui partiellement en conflit
avec d’autres modes de pensée issus de la montée en puissance des droits de
l’homme, catégorie totalement inconnue de la pensée juridique antique et
classique.
Le droit civil est ainsi une matière fondamentale. Techniquement, il est la
pierre angulaire du droit et le lieu de ses conceptions essentielles ;
historiquement, il est la première pierre de l’édifice du droit ; théoriquement, il
est le creuset de tous les autres droits ; culturellement, il représente un élément
caractéristique de la civilisation occidentale, devenue inséparable de l’idée de
droit. C’est dire l’importance du droit civil pour la compréhension du droit et de
la société.
Aucun enseignement juridique ne peut faire l’économie du droit civil, à
l’instar de la médecine générale dans le domaine de la santé. Le droit civil tient
logiquement une place centrale dans tous les cursus des facultés de droit. Sa
connaissance est incontournable pour toutes les professions du droit : juges,
avocats, notaires, huissiers se doivent d’être civilistes. Quelle que soit sa
spécialité, tout juriste doit en effet connaître et maîtriser les piliers du droit que
sont la famille, la propriété et le contrat.
Ordinairement, l’enseignement du droit civil laisse peu de place à une
réflexion sur le droit civil. En effet, l’exposé magistral dans les amphithéâtres se
concentre plutôt sur les solutions techniques apportées aux problèmes
juridiques, c’est-à-dire à la façon dont le législateur et les juges ont tranché ces
questions. Il serait impensable d’exposer en cent pages ce que même un avocat
ou un juge continuent d’approfondir durant toute leur pratique professionnelle.
Le but sera plutôt de fournir ici une vision d’ensemble des grandes questions qui
agitent le droit civil, de leur évolution récente au contact des mutations sociales
et économiques et des prises de position sous-jacentes dont elles témoignent.
Cette analyse permettra ensuite de dégager la valeur canonique du droit civil,
autrement dit sa valeur de modèle.
Le droit civil présente ainsi essentiellement deux visages qui font sa
spécificité. Il est à la fois une branche du droit (première partie) et un modèle
pour le droit (deuxième partie).
1. J. Carbonnier, « Le Code civil », in Écrits, Puf, 2008, p. 679.
PREMIÈRE PARTIE

UNE BRANCHE DU DROIT

La ligne directrice de cette première partie consistera à exposer les grands


problèmes traités par le droit civil en mettant l’accent sur les conceptions
fondamentales qui les sous-tendent. Par souci de commodité et de clarté, on
étudiera successivement les subdivisions du droit civil telles qu’elles sont
enseignées dans la plupart des facultés de droit françaises. Elles tendent parfois
à se constituer à leur tour en branches autonomes du droit, c’est-à-dire à devenir
des objets de spécialité. Toutefois, ces divisions ne doivent pas tromper : le droit
civil forme une unité. Chacun de ses concepts est en lien avec les autres : la
personne ne peut se comprendre sans le patrimoine, la propriété sans le contrat
ou le mariage sans la filiation et les successions. Tout est lié et forme un
ensemble organique : le droit civil est une totalité cohérente et unifiée.
CHAPITRE PREMIER

Personnes et famille

I. – La personnalité juridique

Le droit des personnes traite de l’être humain ou des groupements


économiques à travers la catégorie technique de la personnalité juridique. Celle-
ci désigne l’aptitude à devenir sujet de droit, c’est-à-dire à détenir et acquérir
des droits patrimoniaux (évaluables en argent) ou extrapatrimoniaux (non
pécuniaires, par ex. le respect de la vie privée). C’est la technique de la
personnalité juridique qui a permis à deux juristes, Charles Aubry et Charles
Rau, de poser une équation fondamentale au cours du XIXe siècle : pour une
personne, il n’y a qu’un patrimoine, entendu comme une universalité de droit
(entité abstraite) où l’actif (l’ensemble des biens) répond du passif (l’ensemble
des dettes). La théorie du patrimoine d’Aubry et Rau est ainsi à la base de
l’autonomie des personnes morales. Les personnes morales sont des êtres de
fiction (elles n’existent que dans la pensée) qui justifient techniquement
l’existence de groupements (sociétés, associations) dotés d’une autonomie
financière et d’un intérêt distinct de leurs membres. Cependant, la société créée
par des concubins qui est propriétaire du logement familial ou l’association de
football du quartier renvoient à des réalités concrètes et palpables. La
particularité du droit est de traduire ces réalités dans le langage de ses propres
catégories.
Ainsi, les personnes physiques (en chair et en os) s’opposent aux personnes
morales (les sociétés et associations). Bien que chacune d’elles ait la
personnalité juridique, leurs finalités diffèrent. Pour les personnes physiques, la
personnalité juridique est une deuxième naissance dans le monde du droit, sous
la forme des droits de l’homme et de l’aptitude à acquérir, vendre ou agir en
justice par soi-même ou par un autre (par ex. les parents représentent leurs
enfants pour les actes juridiques jusqu’à leur majorité). Dans l’Antiquité, les
esclaves, privés de personnalité juridique, n’étaient pas sujets de droit : ils ne
pouvaient ni se marier ni être propriétaires. La finalité des personnes morales est
de mettre en relation un but avec une masse patrimoniale : l’association de
défense des jardins de la ville sera soutenue par les cotisations de ses membres
tout comme la société civile immobilière achètera un bien grâce aux apports des
associés. L’intérêt de créer une personne morale est de rendre son but
indépendant de celui des membres ou associés qui la composent. Cette
technique est ainsi à la base de l’organisation de toutes les copropriétés : elles
sont toutes structurées par l’existence d’une personne morale (le syndicat de
copropriété) représentée et gérée par une personne distincte (le syndic) pour
administrer les parties communes. La fonction de syndic est assurée par un
copropriétaire bénévole ou – le plus souvent – par un professionnel.

L’embryon a-t-il la personnalité juridique ?


C’est une fameuse controverse en droit civil, dont l’enjeu direct est
l’avortement. En effet, si l’embryon acquiert la personnalité juridique dès sa
conception, il devient alors instantanément titulaire de droits dont le droit à la
vie consacré par la Convention européenne des droits de l’homme.
C’est l’article 725 du Code civil relatif aux successions qui alimente la
question. La loi dispose que l’enfant simplement conçu peut hériter s’il est né
viable. Bref, même si l’embryon n’a qu’une ou deux semaines, il peut hériter
si, par exemple, son père décède. Cet article, qui date de 1804, est en outre
conforté par un principe général du droit « l’enfant conçu est réputé né
chaque fois qu’il y va de son intérêt ». Faut-il voir dans les deux cas une
simple fiction (on fait comme si l’enfant était né) ou bien l’affirmation plus
fondamentale que le droit reconnaît que la vie commence dès la
conception ? On le voit, la disposition technique recouvre un vrai débat
éthique. La Cour de cassation a par exemple considéré que la mère
enceinte de jumeaux doit percevoir un capital d’assurance-vie majoré de
deux enfants si son mari décède (Cour de cassation, 1re chambre civile,
10 déc. 1985, no 84-14328). Pourtant, l’avortement n’est pas remis en cause
et la Cour de cassation ne traite pas en droit pénal le fœtus comme une
personne : elle refuse de qualifier d’homicide involontaire le fait de causer la
mort d’un fœtus dans un accident (Cour de cassation, Assemblée plénière,
29 juin 2001, no 99-85973). Tout se passe comme si l’accouchement était le
seul vrai moment de vérité pour la protection de la vie mais non pour les
intérêts financiers. Ces deux éléments ne sont pas simples à articuler. Ils le
sont d’autant moins qu’aujourd’hui, certains plaident pour l’extension
de la personnalité juridique aux animaux (pour les protéger) ou aux robots
dotés d’intelligence artificielle (pour les rendre responsables).
Techniquement, la solution est parfaitement possible mais il y a une vraie
réticence à la déconnecter de toute considération éthique. Le droit romain
nous a légué la distinction des personnes et des choses. Derrière la
technique de la personnalité juridique se profile un vrai choix des valeurs à
protéger.

II. – L’état civil

L’état civil est un moyen d’identification des personnes : nom, prénom, âge,
sexe, filiation, nationalité y sont recueillis, le mariage comme le divorce y sont
portés en marge. Tenu et géré par l’administration, l’état civil ne relève pourtant
pas du droit administratif. Il touche en effet aux droits fondamentaux de la
personne lesquels sont protégés par le juge judiciaire. L’état civil est organisé
autour du principe de l’indisponibilité de l’état des personnes qui signifie que les
personnes ne peuvent modifier par leur seule volonté leur état civil. De la même
façon, ses éléments ne sont pas dans le commerce : on ne peut vendre son nom
ou désigner par contrat un autre père que celui qui nous a été assigné par la loi.
Il faut cependant relativiser cette affirmation : la mutabilité de l’état civil est
organisée sous le contrôle du juge qui vérifie l’existence d’un intérêt légitime.
C’est ainsi que la technique de l’adoption plénière permettra (le plus souvent à
des orphelins) de faire comme si les adoptants étaient les vrais parents : ils
apparaissent comme tels sur l’état civil en raison du jugement d’adoption.
L’adoption simple permettra à un enfant issu d’un premier mariage de porter le
même nom que celui du nouveau mari et, en vertu d’un double lien de filiation,
héritera tant de son père naturel qu’adoptif. Autre signe de l’influence de la
volonté, une personne peut faire modifier un prénom ou un nom qui serait
ridicule. Depuis quelques années, le nom de la mère peut être transmis à la place
du nom du père et, peuvent même être transmis des noms composés des deux
comme « Martin-Dupont ».
Le procureur de la République (qui n’a pas seulement une fonction pénale)
exerce au civil un contrôle dans l’attribution des prénoms. Ainsi, des choix trop
extravagants ou inopportuns sont régulièrement condamnés par les tribunaux,
comme le fait d’appeler ses jumeaux « Bâbord » et « Tribord » ou que Monsieur
Vaisselle prénomme sa fille Aude1. En revanche, Monsieur et Madame Renaud
ont finalement pu appeler leur fille Mégane2 et « Zébulon » a été accepté
notamment au motif qu’il était la forme française d’un personnage de la Bible3.
Aujourd’hui, les débats les plus intenses se focalisent autour de la mention
du sexe. La Cour de cassation a longtemps refusé que le transsexuel ayant subi
un traitement chirurgical définitif et ayant l’apparence physique et sociale de
l’autre sexe puisse obtenir une mention différente de son sexe de naissance. La
Cour européenne a reconnu de façon très extensive un respect à la vie privée4,
qui s’est soldé par le changement de solution par les juges de cassation en 1992
centré autour de l’idée d’apparence anatomique, physique et sociale5. Cette
solution qui a constitué à l’époque une révolution dans le monde du droit civil
paraît très pâle au regard des revendications actuelles. La Cour de cassation a
ainsi refusé la création d’un troisième genre, le sexe neutre, pour une personne
qui avait, de naissance, les attributs simultanés des deux sexes6. Techniquement,
le droit positif ne connaît que deux catégories (féminin et masculin) et le juge
doit les respecter, au risque de prendre la place du législateur.
Dans le même ordre d’idée, la volonté a très peu d’emprise sur la filiation.
Les actions en contestation ou en recherche de paternité ou maternité sont
strictement encadrées dans le temps et dans leurs conditions d’exercice. La plus
grande place faite à la volonté en droit civil français reste l’accouchement sous
X : une mère peut conserver un anonymat total, ce qui n’est pas sans poser des
problèmes médicaux (quid des maladies génétiques ?). La question a fait l’objet
d’analyses passionnantes et passionnées par des sociologues et des
psychanalystes, mais la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas remis
en cause cet anonymat en dépit d’un « droit à connaître ses origines »7. Le droit
civil conserve pour l’instant son pari qui est que l’anonymat décourage
l’accouchement hors institution, l’avortement tardif voire l’infanticide.

III. – La vie privée

Le respect de la vie privée comprend le droit à l’image, tout comme la


possibilité de s’opposer à la divulgation d’informations sur sa santé, son
patrimoine, son domicile. Il appartient aux droits de la personnalité. Les juges
ont surtout à connaître des coups d’éclat de la presse à scandale qui vise des
personnalités publiques très en vue. On notera cependant que ce droit est mis en
balance dans une dialectique constante avec la liberté d’expression de la presse
et l’information nécessaire dans une société démocratique pour un débat
d’intérêt général. C’est ainsi qu’il a été jugé illicite par les juridictions françaises
de divulguer l’existence des enfants hors mariage du prince Albert de Monaco
en l’absence de débat d’intérêt général8, tandis que, dans la même affaire, la
Cour européenne des droits de l’homme a jugé le contraire9.

IV. – Les incapacités

C’est un pan très technique du droit des personnes que celui qui touche aux
mineurs et aux majeurs devenus incapables, soit pour raison de maladie et de
faiblesse liée au très grand âge, soit pour des raisons médicales comme le coma
ou les troubles psychiques. Il s’agit évidemment pour les majeurs d’une mesure
attentatoire à la liberté de gérer leur patrimoine puisque toute personne majeure
est censée être juridiquement autonome dans ses décisions. Toutefois, la
personne majeure protégée conserve sa capacité de jouissance : elle n’est pas
privée de la personnalité juridique (la mort civile, c’est-à-dire l’extinction de la
personnalité juridique, a été abrogée au XIXe siècle), mais c’est un autre qui
exercera ses droits à sa place. Une réforme de 2006 (suivie d’autres textes) a
aménagé des mesures de protection qui répondent à l’intensité du besoin : de la
tutelle complète à la sauvegarde de justice qui laisse la personne autonome mais
rend plus facilement annulables les actes qu’elle passe. C’est à la sagacité du
juge (et des experts judiciaires) qu’il incombe de trouver la bonne mesure : la
réforme a renforcé la place centrale de l’expertise médicale. Une dépression très
intense reconnue par un médecin peut conduire le juge à prendre une mesure de
protection. C’est également un des rares domaines où le juge peut s’autosaisir
(mais la pratique est rare) lorsque la situation l’impose, spécialement pour les
enfants en danger.
Le droit des incapacités repose sur le mécanisme fondamental de la
représentation : le représentant agit pour le nom et pour le compte du représenté.
Les droits naissent directement sur la tête du représenté. C’est la situation de
principe pour les mineurs. Les parents font plus que les assister : ils gèrent
directement le patrimoine de leurs enfants. L’enjeu peut être de taille pour les
enfants artistes ou pour les jeunes héritiers d’une grande fortune. La
représentation a donc soit une source légale soit conventionnelle (le mandat).
Elle suppose le pouvoir de décider pour autrui, ce qui la distingue par exemple
de la technique du porte-fort où une personne s’engage à recueillir le
consentement d’une autre sans être certaine de son acceptation. Dans la
représentation, les décisions du représentant engagent directement le représenté.
L’équilibre de tout le droit des incapacités repose sur une distinction : celle
des actes d’administration et de disposition dont la liste a été fixée de façon très
détaillée par décret. L’idée est que le représentant gère le patrimoine mais qu’il
ne prenne pas sans l’avis du juge les décisions les plus graves comme la vente
d’un immeuble ou le changement de bénéficiaire d’une assurance-vie. Enfin, en
dehors des mineurs, il faut noter que certains droits très fortement attachés à la
personne comme le fait de se marier ou de faire son testament échappent à tout
contrôle du représentant.

V. – Le couple et le mariage

Le mariage a longtemps été le modèle incontesté de l’organisation juridique


du couple et de la famille. N’en déplaise aux romantiques, le mariage n’a jamais
été conçu en droit comme un acte d’amour. En 1999, la loi française a pris en
compte le concubinage, bien qu’il ne soit qu’une simple situation de fait, et a
créé le pacte civil de solidarité (PACS), principalement à l’époque pour
permettre aux personnes de même sexe de bénéficier d’avantages fiscaux et
patrimoniaux semblables à ceux des personnes mariées. En 2013, la loi a posé
que la différence de sexe n’était plus un obstacle pour se marier. Le paradoxe en
la matière est que la loi antérieure ne comportait pas comme condition explicite
la différence de sexe tant celle-ci paraissait évidente au législateur ! Des
analyses ont bien mis en lumière que le « mariage pour tous » était surtout
symbolique. En effet, sur un plan patrimonial, l’organisation conventionnelle du
PACS assurait déjà l’égalité des droits10. Surtout, le mariage a été un premier
pas politique pour affirmer l’égalité de droits extrapatrimoniaux, spécialement
en matière de filiation pour ouvrir totalement l’adoption à deux personnes de
même sexe.
L’histoire récente du mariage et du couple (environ depuis 1970) peut
s’écrire comme la montée en puissance de la volonté sur des éléments jadis
considérés comme d’ordre public et donc intangibles. En raison de l’influence
du christianisme, le mariage a longtemps été considéré comme indissoluble :
seul un défaut de formation (violence, erreur sur la personne) pouvait conduire à
son annulation, c’est-à-dire le retour à la situation antérieure au mariage. Le
divorce n’a d’abord été introduit qu’en raison d’une faute de l’un des conjoints.
C’était principalement l’adultère (qui a été longtemps un délit pénal), mais le
contentieux donnait lieu à des hypothèses parfois cocasses comme la zoolâtrie
(vie commune impossible avec une personne qui élève huit chiens, plus de vingt
chats, outre des oiseaux et lapins11 !) ou le mari de soixante-dix ans harcelant
plusieurs fois par jour sa femme pour avoir des rapports sexuels12. En 1974, le
législateur a consacré le divorce par consentement mutuel. En 2004, il a fait du
divorce la prise d’acte de l’échec du couple avec la possibilité pour le conjoint,
même fautif, d’imposer le divorce pour rupture du lien conjugal (c’est-à-dire
l’absence de vie commune depuis deux ans). En somme, il suffit désormais de
partir du foyer conjugal et de ne plus revenir pour obtenir le divorce. L’abandon
de famille, délit pénal, ne joue qu’en matière pécuniaire lorsque le père ou la
mère cesse d’entretenir ses enfants ou ne paie plus de pension alimentaire.
En 2016, le législateur a franchi un nouveau cap en créant la possibilité de
divorcer sans juge devant un notaire en étant assisté d’avocats. Cette dernière
concession faite aux volontés privées s’explique surtout par un souci
d’économie : plus de la moitié de l’activité au fond des tribunaux de première
instance est en effet absorbée par le divorce13. L’espoir est ainsi de libérer au
maximum les magistrats de ce contentieux.
Une question classique du droit civil était de discerner dans le mariage ce
qui relevait de l’institution (son essence) et du contrat (l’aspect volontaire).
Techniquement, le mariage est institutionnel : c’est un acte solennel qui doit, à
peine de nullité, être célébré par un officier d’état civil. Néanmoins, l’aspect
contractuel prédomine puisque le régime du divorce est de plus en plus aligné
sur celui du contrat. La dernière affaire ayant renouvelé la question fut celle
d’un jeune homme ayant demandé la nullité du mariage pour erreur sur la
virginité de la mariée14. En arrière-plan existaient des motifs d’ordre religieux
car, à la différence du divorce, la nullité du mariage consacre son inexistence et
non sa dissolution. Pour le dire autrement, la nullité permet de considérer que les
personnes n’ont jamais été mariées tandis que le divorce est la rupture d’une
union ayant déjà existé. Si le mariage est annulé, le deuxième mariage contracté
sera en réalité le seul d’un point de vue juridique. En faisant basculer le
problème de la séparation vers les catégories du divorce, les juges ont manifesté
que les questions de vertu n’appartenaient plus aux mœurs de notre époque.
Les différences essentielles qui existent actuellement entre le mariage, le
PACS et le concubinage relèvent des modalités de rupture et surtout des effets
patrimoniaux. Le mariage se dissout par divorce, le PACS par volonté
unilatérale déclarée au greffe du tribunal et le concubinage sans aucune forme.
Le mariage donne le statut de conjoint survivant qui ouvre droit à une pension
de réversion (maximum 50 % de la retraite de la personne décédée) et à une part
dans la succession (généralement un quart des biens du défunt) ce qui n’existe
pas pour les autres formes d’union. Surtout, le divorce permet d’exiger de l’un
des conjoints une prestation compensatoire lorsque la rupture influe trop
lourdement sur le niveau de vie de l’autre. Auparavant versée sous forme de
rente, elle continuait à être payée par les héritiers du débiteur. Pour cette raison,
le principe est désormais le versement d’un capital. Pour résumer, la stabilité et
la protection du conjoint sont plus élevées dans le mariage que dans les autres
formes d’union, spécialement lors de la dissolution, qu’elle se fasse par divorce
ou par décès.

VI. – Le couple et l’enfant

La filiation a longtemps été liée au mariage. Seuls les enfants nés dans le
mariage étaient légitimes : ils pouvaient hériter et porter le nom du père. Le
mariage était également le lieu emblématique de la présomption de paternité qui
faisait que les infidélités de la femme étaient couvertes par le principe selon
lequel le mari est présumé père. La paix sociale et la paix des familles
comptaient alors plus que la vérité biologique. Désormais, cette présomption de
paternité n’a plus qu’un rôle résiduel, voire nul dans le cas de personnes mariées
de même sexe.
La distinction entre les enfants légitimes (nés dans le mariage) et les enfants
naturels (nés hors mariage) reposait sur un évident jugement de valeur et sur
l’idée que le mariage devait rester le mode d’union préférable. Cette distinction
a longtemps été maintenue pour les enfants adultérins, c’est-à-dire nés de
l’infidélité conjugale du père ou de la mère. La Cour européenne des droits de
l’homme a condamné la France pour avoir maintenu cette distinction entre
enfants naturels et légitimes, conduisant les enfants adultérins à n’avoir qu’une
demi-part dans l’héritage15. Désormais, le fait prime le droit : il n’y a pas plus de
différence en matière de filiation, d’autorité parentale et de successions que les
enfants soient nés dans le cadre d’un concubinage, d’un PACS ou d’un mariage.
Le droit civil a cédé ici à l’appel de la sociologie qui fait primer l’existence
factuelle du couple sur sa consécration juridique. C’est en vérité opérer un
transfert de pouvoirs sur fond de relativité : c’est aux individus qu’il appartient
d’organiser leur vie de couple et non à l’État de désigner le modèle préférable.
Comme le disait Jean Carbonnier, éminent juriste universitaire du XXe siècle, qui
a été à l’origine des réformes dès 1970 en matière familiale : « À chacun sa
famille, à chacun son droit16. »
Reste à savoir où se situent les limites du relativisme en matière de filiation.
En témoigne la question actuelle de la gestation pour autrui qui consiste à
demander à une femme de donner naissance à un enfant puis de le laisser
définitivement entre les mains d’une autre personne, le plus souvent le père
naturel ou la mère dite d’intention qui n’a pas accouché. Ce type de contrat est
strictement interdit par la loi en droit français. Il apparaît au législateur comme
une forme de marchandisation de l’être humain puisque le transfert de l’enfant
se fait le plus souvent moyennant une contrepartie financière. Pour contourner
l’interdiction française, des femmes et des hommes ont eu recours à cette
gestation pour autrui dans les pays où elle est autorisée ou tolérée puis ont
demandé la transcription sur l’état civil français de cette réalité juridique
étrangère. Toutefois, les personnes de nationalité française restent soumises à la
loi de la République, et l’interdiction qui leur est faite subsiste même en
territoire étranger. Ce qui a parfois été interprété comme une punition des
nourrissons (ils étaient privés d’état civil en France) n’était que l’application de
la loi française. Le problème a pris un tour encore plus technique avec l’entrée
en jeu des personnes mariées de même sexe, des binationaux et des couples aux
nationalités mixtes. Le droit international privé a permis de trouver les
ressources techniques nécessaires pour imposer à l’État français de transcrire les
actes d’état civil établis à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui
organisée par un homme français avec une femme russe17 : de l’art et de la
manière d’exploiter habilement la technique juridique ! Il existait pourtant des
ressorts pour contrer la manœuvre, notamment ce qu’on appelle la fraude à la
loi, lorsqu’une personne manipule les règles de conflit de loi pour « faire son
marché » comme il lui plaît (l’expression consacrée est le « forum shopping »).
La Cour de cassation a dernièrement consulté la Cour européenne des droits de
l’homme grâce à une nouvelle procédure d’avis pour savoir si la solution de la
transcription se limitait au père ou devait s’étendre à la mère d’intention,
désignée la plupart du temps à l’étranger comme « mère légale ». Selon les juges
européens, l’État français doit reconnaître le lien de filiation entre la mère
d’intention et l’enfant né d’une mère porteuse à l’étranger18. Toutefois, le lien
peut être créé par l’adoption sans imposer la transcription directe de l’acte d’état
civil étranger sur les registres français. En d’autres termes, les solutions
actuelles consacrent la possibilité de violer en connaissance de cause la loi
française sans en assumer les conséquences puisque l’enfant aura malgré tout
une filiation conforme au projet de gestation pour autrui.
Ces dernières évolutions témoignent de l’emprise croissante de la volonté en
matière de filiation et posent la question de la différence entre les personnes et
les choses, entre les sphères de l’être et de l’avoir. En évinçant tous les éléments
autres que la volonté des individus et l’aspect politique du droit, on se condamne
à ne traiter et à ne voir qu’une seule partie du problème. L’interdiction de la
gestation pour autrui frustre certainement les désirs d’enfants, mais elle a le
mérite d’affirmer par ailleurs que l’être humain échappe à une logique
marchande, qu’il s’agisse de vente ou de don.
1. Ph. Malaurie, Les Personnes, Defrénois, 10e éd., 2018, p. 61, no 19.
2. Cour d’appel de Rennes, 4 mai 2000, JurisClasseur périodique, 2001, IV, 2655.
3. Cour d’appel de Besançon, 18 nov. 1999, Recueil Dalloz, 2001, p. 1113.
4. Cour européenne des droits de l’homme, 25 mars 1992, no 13343/87.
5. Cour de cassation, Assemblée plénière, 11 déc. 1992, no 91-11900, no 91-12373.
6. Cour de cassation, 1re chambre civile, 4 mai 2017, no 16-17189.
7. Cour européenne des droits de l’homme, 13 févr. 2003, no 42326/98.
8. Cour de cassation, 1re chambre civile, 27 févr. 2007, no 06-10393.
9. Cour européenne des droits de l’homme, 10 nov. 2015, no 40454/07.
10. V. Egéa, Droit de la famille, LexisNexis, 2016, p. 53.
11. Cour de cassation, 1re chambre civile, 23 févr. 2011, no 09-72079.
12. Tribunal de grande instance de Dieppe, 25 juin 1970, Gazette du Palais, 1970, II, 343.
13. Statistiques du ministère de la Justice, http://www.justice.gouv.fr/art_pix/
Stat_Annuaire_ministere-justice_2016_chapitre12.pdf, consulté le 27 sept. 2019.
14. Cour d’appel de Douai, 17 nov. 2008, no 08/03786.
15. Cour européenne des droits de l’homme, 1er févr. 2000, no 34406/97, arrêt Mazureck.
16. J. Carbonnier, Essai sur les lois, Defrénois, 1979, p. 175.
17. Cour de cassation, Assemblée plénière, 3 juill. 2015, no 14-21323.
18. Cour européenne des droits de l’homme, 10 avr. 2019, avis consultatif
no P16-2018-001.
CHAPITRE II

Contrats et responsabilité

I. – Droit des obligations

Les contrats et la responsabilité civile forment ensemble le droit des


obligations, une partie essentielle et fondamentale du droit qui irrigue toutes les
relations patrimoniales. Le droit des obligations régit toutes les opérations
économiques de base comme louer, vendre ou acheter (droit des contrats) et la
réparation des dommages matériels et corporels (accidents de la route,
dommages médicaux, atteintes aux choses, etc.).
Le droit des obligations repose sur une catégorie fondamentale : la notion
d’obligation. Elle est définie depuis le droit romain comme un lien de droit
(vinculum iuris) entre un créancier et un débiteur. L’objet de l’obligation
détermine ce que le créancier doit recevoir et ce que le débiteur doit payer au
sens juridique du terme, c’est-à-dire l’exécution attendue de lui. L’obligation
peut avoir ainsi pour objet une somme d’argent mais encore des prestations
propres comme construire une maison, s’abstenir d’exercer une activité,
procurer la jouissance d’une chose. Le contrat produit parfois également des
effets purement juridiques (ils n’impliquent aucun comportement) comme
l’extinction d’une dette, le transfert de la propriété, la renonciation à un droit ou
l’octroi d’un pouvoir de représentation.
Le trait essentiel qui distingue le droit des contrats de la responsabilité est le
caractère volontaire du transfert de valeurs. Alors que les contrats sont librement
et volontairement conclus par les parties pour produire des effets juridiques,
l’obligation qui naît du dommage causé à autrui n’est jamais recherchée pour
elle-même, même si le dommage peut être volontairement infligé. L’obligation
naît alors du jugement qui ordonne la réparation. Cette distinction correspond à
deux grandes catégories du droit qui sont l’acte juridique (acte de volonté en vue
de produire des effets de droit) et le fait juridique (acte volontaire ou
involontaire donnant naissance à une obligation de réparation). Le quasi-contrat
est une hypothèse intermédiaire (voir infra, § VIII).

Sources des obligations

II. – Droit commun des contrats

Le droit commun des contrats correspond à la partie générale des contrats,


celle qui en constitue le genre par opposition à ses espèces comme la vente, le
bail, l’entreprise, le mandat ou le prêt. C’est la raison pour laquelle on parle dans
ce dernier cas de contrats spéciaux.
Sauf disposition particulière, le droit commun des contrats a vocation à régir
tous les contrats et même les contrats qui ne seraient pas strictement civils
comme les contrats commerciaux (distribution, cession de fonds de
commerce, etc.) ou les contrats du droit de la consommation (vente à distance,
crédit à la consommation, etc.). Le droit commun des contrats est structuré par
de grandes idées : la force obligatoire du contrat (les parties doivent respecter
leur accord, le juge ne peut modifier le contenu du contrat)1, l’effet relatif des
conventions (le contrat n’oblige que ceux qui y ont consenti)2, et la liberté
contractuelle (nul ne peut être contraint de contracter)3.
Ces principes ont connu des érosions sous l’impulsion d’impératifs
économiques ou sociaux : en dépit de la force obligatoire, le juge a diminué les
honoraires excessifs des mandataires4 ; en dépit de l’effet relatif, il a admis
qu’une faute contractuelle puisse être invoquée par des tiers5. Malgré la liberté
contractuelle, le législateur a décidé que la conclusion de certains contrats serait
obligatoire, comme l’assurance automobile6.
Le droit commun des contrats présente une exceptionnelle stabilité
historique. Ses catégories léguées par le droit romain ont été affinées dans
l’ancien droit pour être en définitive inscrites dans le Code civil de 1804. La
dernière réforme d’ampleur est récente, elle date seulement de 2016, et encore,
elle s’est le plus souvent contentée d’intégrer dans la loi les solutions dégagées
par la jurisprudence et discutées par la doctrine.

III. – Formation et exécution des contrats

Le droit des contrats est structuré par une distinction fondamentale qui
oriente toute la jurisprudence. Soit le contrat est critiqué car il a été mal formé
soit il est critiqué car il a été mal exécuté. Cette distinction ne se trouve pas telle
quelle dans la loi mais a été théorisée par la doctrine. Le défaut de formation du
contrat renvoie à sa validité. Le Code civil énonce un ensemble de conditions
nécessaires : le consentement, la capacité, un contenu licite et certain7. Le défaut
d’exécution renvoie à l’inexécution du contrat. Par analogie avec la
responsabilité civile qui consiste à réparer un dommage, les auteurs du début du
XXe siècle ont pensé l’inexécution comme une responsabilité contractuelle, un
fait générateur d’une obligation de réparer le dommage causé. Cette façon de
procéder a été fortement critiquée à la toute fin du XXe siècle car elle donnait du
contrat une vue partielle et déformée en n’insistant que sur l’attribution des
dommages-intérêts8. La réforme de 2016 a réaffirmé l’unité de l’exécution en
regroupant dans un même article toutes les sanctions juridiques de
l’inexécution9. De même, elle n’a pas qualifié l’inexécution de faute comme le
proposait le courant doctrinal de la « responsabilité contractuelle ».
La critique de la formation du contrat ouvre sur une sanction propre : la
nullité, nécessairement prononcée par un juge. La nullité consiste à anéantir
rétroactivement l’acte juridique, ce qui emporte comme conséquence pratique
les restitutions. Ainsi, la vente annulée est un véritable contrat renversé où
l’acheteur restitue la chose et le vendeur restitue le prix. L’objectif est de revenir
au statu quo ante, c’est-à-dire à la situation qui existait avant la conclusion du
contrat.
L’inexécution du contrat ouvre sur une palette de sanctions judiciaires bien
plus variées : l’exécution forcée permet par exemple d’obtenir un bien qui
n’aurait pas été livré, les dommages-intérêts peuvent réparer le retard ou
l’absence d’exécution, la résolution du contrat a le même effet qu’une nullité (ce
qui ne manque pas de soulever des perplexités sur leur distinction) et permet de
restituer une chose qui ne procure pas satisfaction, la résiliation permet de
mettre fin pour l’avenir aux contrats à exécution successive (comme un bail
d’habitation), la réfaction permet une diminution du prix de vente. Avant de
saisir le juge, le créancier dispose également de remèdes d’attente : la
suspension de l’exécution, appelée exception d’inexécution, ou plus
radicalement le refus de s’exécuter. Le juge statue alors ensuite sur le bien-fondé
de l’attitude.
La distinction de la formation et de l’exécution crée un problème particulier
de qualification lorsque la situation peut se rattacher à chacune des deux
périodes du contrat. L’enjeu est souvent le délai pour agir en justice qui est plus
ou moins long. Ainsi, l’action en nullité est en général de cinq ans tandis que la
garantie des vices cachés dans la vente est une action relevant de l’inexécution
et soumise à un délai de deux ans. Le cas somme toute assez banal de l’achat
d’un terrain inconstructible ouvre une véritable difficulté de catégorisation10.
Doit-on considérer que l’acheteur a fait une erreur sur une qualité essentielle du
terrain (l’acheteur pensait le terrain constructible) ou bien doit-on considérer au
contraire qu’il s’agit d’un vice caché (le vendeur devait livrer un terrain
constructible) ? L’annulation postérieure à la vente des autorisations de
construction accordées par une commune conduit vers une plus grande
perplexité encore car au moment de la vente ni l’acheteur ni le vendeur ne
pouvaient se douter que le terrain serait déclaré postérieurement
inconstructible ! La loi ne règle pas ce genre de difficultés et il appartient au
juge, aidé par la doctrine, de proposer les solutions les plus cohérentes possible
au regard de la diversité des cas soumis.

IV. – Validité du contrat

La formation du contrat répond à la question de sa validité : soit le contrat


est valable soit il est nul. Quatre conditions essentielles de validité sont posées
par la loi : le consentement, la capacité, la certitude du contenu du contrat et sa
licéité11.
Le contrat peut d’abord être annulé en raison d’un vice du consentement.
L’une des parties a fait une erreur sur une qualité de la chose, l’autre contractant
l’a sciemment trompée, voire l’a forcée à conclure le contrat. Ce triptyque
renvoie à ce qu’on appelle la « théorie des vices du consentement ». Elle soulève
des discussions d’une grande finesse. Par exemple, l’achat d’un bien dans un but
de défiscalisation peut-il donner lieu à annulation de la vente si, en définitive, le
bien acheté n’est pas éligible au dispositif légal de défiscalisation ? Le problème
est résolu en distinguant le motif, extérieur au contenu du contrat, de l’objet
même du contrat : les juges considèrent que l’acheteur a d’abord voulu devenir
propriétaire et seulement de façon secondaire défiscaliser12. Toutefois, il en irait
autrement si l’autre partie mettait en œuvre des manœuvres ou gardait le silence
sur l’une des caractéristiques, même secondaire, de l’opération. Les juges ont
ainsi décidé que l’acheteur pouvait obtenir l’annulation de la vente en raison du
silence gardé par le vendeur sur la construction prochaine d’une porcherie au
pied de l’immeuble13. Enfin, la violence qui vise l’hypothèse d’une contrainte
physique ou morale n’est pas toujours évidente : la dépendance économique
peut-elle conduire à une annulation lorsque la personne accepte par exemple une
indemnisation très faible de son assureur en raison d’un besoin pressant
d’argent ? Les juges l’ont admis14, et la loi parle depuis la réforme de 2016
d’abus de l’état de dépendance15.
Le contrat peut ensuite être annulé pour un défaut de capacité : la personne
était mineure et non représentée ou bien la personne qui a contracté n’avait pas
le pouvoir de le faire. Cette hypothèse renvoie par exemple à une personne qui
n’est pas le dirigeant d’une société ou d’une personne qui contracte au nom
d’une société en formation sans avoir effectué les formalités de reprise des actes.
Le contrat peut enfin être annulé pour des raisons d’ordre public lorsque son
contenu, son objet ou son but sont contraires à l’intérêt général ou aux bonnes
mœurs. Cette cause d’annulation recoupe des hypothèses très variées. Parmi les
objets illicites, il y a les cas assez évidents de vente d’organes ou de drogue mais
encore l’exposition de cadavres « plastinés », c’est-à-dire soumis à un traitement
pour les rendre imputrescibles (exposition « Our Body » à Paris en 2009)16.
En 1965, le cas d’une convention rémunérant une femme pour qu’elle joue seins
nus au ping-pong au bord de la plage a même été porté devant la Cour de
cassation17 ! Parmi les buts illicites, le juge a jadis connu des cas de vente de
matériel pour pratiquer l’occultisme18 ou encore de donations consenties à sa
maîtresse par un homme marié pour maintenir une relation adultère. Signe de
l’évolution des mœurs, ces deux motifs sont considérés aujourd’hui comme
licites : on peut désormais faire profession de sorcier ou de devin et la Cour de
cassation a pu considérer dans une affaire très commentée que la donation à une
jeune femme – qui était soixante-quatre ans plus jeune que son donateur –, ayant
déclaré à ce dernier « Pas d’argent, pas d’amour », n’était pas contraire aux
bonnes mœurs et n’encourait donc pas l’annulation19. En revanche, le juge se
montre bien plus vigilant dans le domaine économique : les fraudes fiscales de
toute sorte, les interdictions de faire concurrence insérées dans un contrat de
travail sans contrepartie financière et, de façon générale, les clauses portant
atteinte à la liberté du travail ou à des législations économiques comme celles
des baux d’habitation ou des baux ruraux sont systématiquement annulées.
La validité se distingue en principe de l’existence du contrat qui nécessite la
rencontre d’une offre et d’une acceptation. Le contrat se définit en effet comme
un accord de volontés en vue de produire des effets de droit. Cette définition a
été codifiée par la réforme de 201620 en intégrant une construction
jurisprudentielle de grande ampleur sur le moment de la rencontre des volontés,
sa preuve, le caractère ferme et définitif de l’offre, sa durée et les hypothèses
d’acceptation explicite et implicite.
Techniquement, le défaut d’accord de volontés est soumis à la même
sanction de la nullité. L’enjeu principal qui s’attache à la preuve de l’existence
d’un contrat est d’en demander l’exécution, spécialement en droit de la vente où
le vendeur sera obligé de délivrer le bien.

V. – Forme du contrat

En droit français, le contrat n’est soumis à aucune forme, sauf exception


comme le mariage, les donations et les hypothèques soumis à la forme
authentique, c’est-à-dire établis par un officier public, le plus souvent le notaire.
C’est le principe du consensualisme qui domine : il suffit d’établir le
consentement des deux parties, un écrit n’est pas nécessaire. Bien que cela soit
surprenant pour les profanes, un bail, une vente et même un contrat de travail
peuvent être oraux : la preuve de leur existence sera souvent rapportée par leur
exécution et par des témoignages.
Lorsqu’une forme particulière est requise, elle l’est soit à titre de preuve
(ad probationem) soit à titre de validité (ad validitatem). Ainsi, le contrat qui
fixe le régime matrimonial des futurs époux doit-il être sous forme notariée,
c’est une condition de validité qui s’ajoute à celles précédemment évoquées. En
revanche, certains contrats doivent être rédigés par écrit (le bail à usage
d’habitation par ex.) mais l’absence d’écrit ne remet pas en cause sur le fond
l’existence du contrat. Les règles de preuve peuvent permettre de le prouver par
un autre moyen (les témoignages par ex.).

VI. – Exécution du contrat

Le contrat peut être mal exécuté. Cette expression recouvre des situations
extrêmement variables qui peuvent causer toutes sortes de préjudices. Un bien
peut être livré avec du retard, la couleur de la voiture peut ne pas être conforme
à celle demandée, l’ordinateur peut être atteint d’un vice caché, la chose louée
peut avoir des défauts graves ou mineurs, la maison construite peut présenter des
finitions insatisfaisantes, l’emprunteur ou le locataire peuvent ne pas payer leurs
échéances, l’acheteur ne pas régler le solde du prix et ainsi de suite. La sanction
de l’inexécution du contrat doit procurer au créancier de l’obligation la
satisfaction qu’il aurait dû retirer de l’exécution. Le fait pour un restaurateur de
ne pas voir ses dindes de Noël livrées à temps ne lui cause pas seulement une
perte de chiffre d’affaires : elle peut encore atteindre son image et sa réputation.
Les dommages et intérêts devront alors réparer à la fois le retard, la perte de
bénéfices et le préjudice moral. Le montant des dommages-intérêts dépend ainsi
essentiellement de ce qu’a prévu la convention des parties, des obligations
qu’elles ont souscrites et donc du contenu du contrat.
En 1911, la Cour de cassation a initié ce qu’on a qualifié plus tard de
« forçage » du contrat en incluant dans celui-ci des obligations que les parties
n’avaient pas négociées et spécialement des obligations de sécurité21. Les
transporteurs, puis les exploitants de manèges, de restaurants, de téléskis, de
magasins ont été soumis à une obligation contractuelle de veiller à l’intégrité
corporelle de leurs clients. Le contrat, opération économique par excellence, a
été traité comme une garantie pour la sécurité corporelle des clients. Cet artifice
s’est aggravé au cours du XXe siècle au point de rendre le droit de la
responsabilité difficilement compréhensible. C’est ainsi qu’il a fallu considérer
que l’obligation de sécurité ne profitait pas seulement à celui qui contracte mais
encore aux membres de sa famille. Par exemple, des enfants peuvent se blesser
dans des jeux de plein air attenant au restaurant sans consommer eux-mêmes de
nourriture et donc sans voir conclu de contrat22. Mais surtout, c’est la reprise
d’une distinction doctrinale entre des obligations de moyens et de résultat qui a
rendu définitivement incompréhensibles les solutions. Lorsque l’obligation est
de moyens, le créancier doit prouver la faute (cas typique des prestations de
conseil) ; lorsque l’obligation est de résultat, il doit prouver que le résultat n’est
pas atteint (cas typique du transport de personnes : le minimum est d’arriver au
bon port sans dommage !). Des auteurs n’ont pas hésité à railler la
jurisprudence23 qui s’appuie sur cette distinction qualifiée par certains de
« diabolique ». En effet, alors que l’organisateur d’un stage d’initiation au
karting est soumis à une obligation de moyens, l’exploitant d’un manège d’autos
tamponneuses est soumis à une obligation de résultat. Si l’organisateur d’un
stage de saut en parachute relève d’une obligation de moyens, le moniteur d’un
vol en parapente a quant à lui une obligation de résultat. Enfin, plus subtil
encore, l’organisateur d’une promenade à dos d’âne est soumis à une obligation
de résultat mais pour une promenade à dos de chameau il s’agira seulement
d’une obligation de moyens : difficile de savoir si cette différence tient au fait
que le chameau est vu comme moins têtu qu’un âne…
À cette déroutante subtilité s’est ajoutée la nécessité de tracer une frontière
entre la réparation des dommages corporels fondée sur le contrat et celle existant
en dehors de tout contrat. Les juges ont dû inventer – avec le secours de la
doctrine – le principe du non-cumul, qui signifie que la responsabilité
contractuelle ne peut se cumuler avec la responsabilité civile (dite encore
extracontractuelle). L’enjeu réside le plus souvent dans l’assurance : si certains
professionnels ne sont pas assurés dans tous les cas de responsabilité
contractuelle, les particuliers ne le sont presque jamais. Il a ainsi fallu se
demander si un frère qui aide un autre à élaguer un arbre à la tronçonneuse a
conclu avec lui un contrat24, si deux personnes qui partagent les frais d’essence
pour se rendre en Italie ont conclu un contrat de transport25 pour déterminer
quelle responsabilité (contractuelle ou délictuelle) devait s’appliquer.
L’ensemble de ce mode de raisonnement a été critiqué dans un article
majeur de Philippe Rémy qui a dénoncé la responsabilité contractuelle comme
un faux concept26. Cette position a ouvert une controverse nourrie27 qui s’est
étendue au Québec28.

La responsabilité contractuelle :
un faux concept ?
L’histoire du concept de responsabilité contractuelle procède d’une fausse
symétrie : voir dans l’inexécution une faute contractuelle. Or la loi ne parle
jamais de faute contractuelle ! Le contrat est avant tout une opération
économique qui n’a pas vocation à assurer la sécurité des personnes –
 domaine qui relève de l’obligation générale de prudence qui s’impose à tous
et plus spécialement aux professionnels. Le concept de responsabilité
contractuelle brouille deux fonctions distinctes des dommages et intérêts :
procurer au créancier contractuel un équivalent de l’exécution attendue du
contrat (inexécution) et réparer le dommage causé à la victime
(responsabilité). Le contrat relève de l’ordre économique et c’est artifice que
d’y faire entrer les « bras cassés et les morts d’hommes » selon l’expression
de Jean Carbonnier29.
En posant le principe de l’unité des fautes, la doctrine du début du XXe siècle
a ouvert la boîte de Pandore. Alors que la responsabilité civile, depuis
Rome, avait toujours été délictuelle (fondée sur le délit civil, la faute), la
responsabilité contractuelle lui fait désormais concurrence. La terminologie
s’est brouillée et la responsabilité civile peut renvoyer à différentes
conceptions. Selon la conception historique, la responsabilité est forcément
délictuelle. Selon la conception moderne, elle se distingue en responsabilité
contractuelle et extracontractuelle, créant un problème de distinction qui
n’avait encore jamais existé et nécessitant d’inventer une kyrielle d’autres
concepts : non-cumul des responsabilités, non-option entre les
responsabilités, distinction des obligations de moyens et de résultat,
responsabilité contractuelle du fait d’autrui, du fait des choses.
La réforme des contrats en 2016 laisse le problème intact : en unifiant le
régime des sanctions contractuelles et en s’abstenant de parler de faute, elle
paraît nier la pertinence du concept de responsabilité contractuelle. Mais en
introduisant la terminologie de « responsabilité extracontractuelle », elle
paraît reconnaître qu’elle existe bel et bien…

VII. – Responsabilité civile délictuelle

La responsabilité civile délictuelle fait naître pour son auteur une obligation
de réparer le dommage causé en dehors de tout contrat conclu avec la victime.
L’exemple moderne caractéristique est celui des accidents de la route qui sont
désormais régis par une loi spéciale (loi du 5 juillet 1985). La responsabilité
délictuelle s’applique encore avant la conclusion d’un contrat (cas de la rupture
brutale des pourparlers) ou même pendant un contrat pour des dommages qui lui
sont étrangers – par exemple un entrepreneur qui casse un vase avec son échelle
ou un bailleur qui renverse son locataire sur la chaussée. Il reste néanmoins des
zones incertaines lorsque deux qualifications s’appliquent simultanément : le
propriétaire de l’immeuble entier qui loue le rez-de-chaussée à un locataire et
inonde son local peut être responsable à la fois sur le fondement du bail (contrat)
et sur le fondement de sa propriété (responsabilité du fait des choses)30.
Le terme « délictuel » renvoie à la notion de faute. Il a été popularisé par le
droit pénal où le délit est une catégorie d’infraction moins grave que le crime.
Historiquement, il paraissait impensable de rendre responsable une personne qui
n’était pas fautive tant pour des raisons morales et philosophiques. La réparation
du dommage agissait à la fois comme la garantie pour la victime de retrouver un
équivalent pécuniaire et pour l’auteur elle était dissuasive car elle créait une
charge financière parfois très importante pour son patrimoine.
Le Code civil de 1804 reflétait cette conception modeste et individuelle de la
responsabilité. La ruine des bâtiments et les animaux errants étaient les seuls cas
de responsabilité du fait des choses ; ils attestaient en réalité d’une faute
préalable du propriétaire (défaut d’entretien ou défaut de surveillance). Il en
allait de même pour la responsabilité du fait d’autrui : la responsabilité des
parents pour leurs enfants, des maîtres pour leurs élèves et de l’employeur pour
ses employés reposait sur l’idée d’une faute préalable de surveillance ou de
choix de la bonne personne.
La naissance de la société industrielle au tournant du XXe siècle a fait
apparaître des formes de dommages jusqu’alors inconcevables : explosion de
machines dans les usines, premiers accidents de la circulation et développement
jusqu’à aujourd’hui de tous les dommages causés par l’automation : escaliers
mécaniques, portiques, barrières de parking et autres systèmes semblables.
Le législateur n’étant pas intervenu, la doctrine a fortement accompagné et
soutenu les juges dans un mouvement de réforme du droit de la responsabilité
civile. Il a fallu ainsi théoriser une responsabilité non plus pour faute mais pour
risque. Le fondement s’est progressivement déplacé vers un système de
solidarité représenté aujourd’hui par celui de l’assurance obligatoire qui dilue la
charge financière du risque. D’un contentieux individuel et semi-punitif, la
responsabilité civile est devenue un contentieux de masse entre assureurs.
Les évolutions contemporaines ont achevé cette mutation. Les préjudices
écologiques de masse causés par les marées noires31 et les dommages en série en
matière sanitaire (vaccins, médicaments) ont donné une coloration politique à ce
droit originairement censé régler les litiges entre particuliers. Il faut plutôt
aujourd’hui se tourner vers les querelles de voisinage pour retrouver le cachet
désuet des disputes sur l’élagage des arbres, des bruits ou des odeurs
désagréables.
La réforme de la responsabilité civile actuellement en cours prévoit, comme
ce fut le cas en matière de droit des contrats, d’intégrer dans le Code civil les
innovations jurisprudentielles. Le seul véritable changement de grande ampleur
porterait sur la fonction des dommages et intérêts. Alors que pour l’heure ils ont
une fonction strictement réparatrice (ils compensent la perte constituée par le
dommage subi), les textes intégreraient des dommages et intérêts punitifs visant,
comme aux États-Unis, à sanctionner les fautes moralement scandaleuses qui
sont commises en toute conscience lorsque l’illégalité rapporte plus qu’elle ne
coûte. L’exemple le plus célèbre outre-Atlantique a été celui du constructeur
automobile qui avait fait le savant calcul que le rappel des voitures coûterait plus
cher que l’indemnisation des morts qui seraient causées par un réservoir
d’essence défectueux32. Les dommages et intérêts punitifs qui ne sont pas
calculés en fonction du dommage brisent ce type d’anticipation rationnelle.

VIII. – Le triptyque « fait générateur-causalité-dommage »

Pour engager la responsabilité d’une personne physique ou morale, il faut


prouver de façon constante trois éléments : un fait générateur de responsabilité,
un dommage et un lien de causalité entre eux. Ces éléments s’évincent d’un
article emblématique du Code civil de 1804 disposant que « tout fait quelconque
de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est
arrivé à le réparer33 ». Faute, dommage et causalité ne sont pas définis par la loi,
ce qui donne lieu à des interprétations de plus en plus extensives qui ont
profondément marqué l’évolution du droit civil de la responsabilité.
 
1. Fait générateur. – Le fait générateur s’est progressivement élargi, pour
ne pas dire dilué. Le Code civil de 1804 prévoit la faute intentionnelle (qui
souvent se double d’une responsabilité pénale) et la simple négligence ou
maladresse qui va du pot de fleurs qui tombe de la fenêtre au refus de délivrer un
document ou de rendre impossible l’accès à des lieux dangereux. Peu importe
que la faute soit d’action ou d’omission, volontaire ou involontaire. Il faut
prouver que l’auteur n’a pas respecté une norme quelconque : obligation légale
ou réglementaire, règlement de copropriété ou plus largement tout
comportement que la conscience collective réprouve. Bien qu’aucun texte ne
l’interdise formellement, il a été jugé fautif que l’époux en instance de divorce,
connaissant la perte d’autonomie intellectuelle de son épouse, omette d’informer
le notaire de cette situation lors de la vente du domicile conjugal34. Mais sans
cadre fixe d’appréciation, les solutions peuvent être très variables selon les
domaines. C’est ainsi que les juges considèrent par exemple qu’il n’y a pas de
faute de la part d’une personne qui s’installe dans une relation adultère avec un
homme marié au vu et au su de tous les amis du couple35.
Le fait générateur a été considérablement élargi à la suite de l’arrêt
Jand’heur qui a posé en 1930 le principe d’une responsabilité générale du fait
des choses pour indemniser une fillette renversée par un camion36. La preuve de
la faute a été rendue inutile par la preuve du fait de la chose qui suppose
seulement d’identifier un gardien, qui n’est pas forcément le propriétaire mais
celui qui a le pouvoir de contrôle et de direction (arrêt Franck c. Connot de
1941 : c’est le voleur et non le propriétaire qui est gardien du véhicule au
moment de l’accident37). La responsabilité du fait des choses a connu une
fortune qui ne se dément pas : de l’éboulement de terrains aux portiques
automatiques qui sonnent de façon intempestive en passant par les sols trop
glissants des grandes surfaces ou les vitres brisées par le choc causé par des
passants inattentifs. Peu importe que la chose soit inerte ou en mouvement,
qu’elle soit dangereuse ou non : il suffit qu’elle ait été « l’instrument du
dommage38 ».
La responsabilité du fait d’autrui a connu une évolution similaire : alors
qu’auparavant les parents pouvaient écarter leur responsabilité en montrant
qu’ils avaient bien éduqué leurs enfants (absence de faute), le simple fait d’un
mineur engage désormais leur responsabilité qu’il s’agisse de deux enfants qui
se télescopent dans la cour de récréation39 ou de manipulations d’allumettes dans
une grange (un classique)40. La condition légale de cohabitation, qui servait à
apprécier la possibilité d’exercer l’autorité parentale, a été effacée dans les faits :
les parents sont responsables même si l’enfant habite de façon permanente chez
la grand-mère et même s’il s’agit d’une adolescente de seize ans, enceinte, qui
se met en concubinage avec le père de l’enfant puis effectue un braquage avec
lui41, sans doute inspirée par l’histoire de Bonnie et Clyde…
Par symétrie avec l’arrêt Jand’heur, la responsabilité du fait d’autrui est
devenue un principe général qui s’applique aux associations prenant en charge
de façon permanente certains publics et aux associations sportives, déclarées
automatiquement responsables des faits de leurs membres. C’est ainsi qu’un
jeune garçon devenu tétraplégique à la suite d’une mêlée de rugby sans auteur
identifié du dommage a pu engager la responsabilité de son club42.
Dans toutes les hypothèses précitées, c’est le risque créé qui sert de
justification à la responsabilité retenue. L’activité sportive ou l’usage de choses
sont en soi des activités dangereuses, comme l’activité d’un enfant ou d’un
adolescent. L’existence de l’assurance de responsabilité civile permet de
garantir une indemnisation certaine et quasi automatique. Le problème n’est
donc plus aujourd’hui de savoir si l’on est responsable mais si l’on est assuré.
 
2. Lien de causalité. – Le lien de causalité fait partie des problèmes fameux
du droit de la responsabilité. La question apparemment simple « est-ce tel fait
qui a causé tel dommage ? » peut considérablement se compliquer. Que décider
en effet en cas de cascades de faits générateurs ? Est-ce le chirurgien qui rate son
opération sur un élève accidenté qu’il faut blâmer ou bien le grutier qui en a
causé l’hospitalisation, voire l’enseignant qui a permis à cet élève de quitter le
cours dix minutes plus tôt que prévu ? Deux façons de raisonner se combinent
savamment : la causalité adéquate (le fait déterminant du dommage) et
l’équivalence des conditions (n’importe quel fait qui a concouru au dommage).
À ce problème il faut encore ajouter celui de la responsabilité des groupes de
chasseurs qui tirent sur des promeneurs ou celui des personnes qui détraquent
collectivement un ascenseur. Dans ces cas, tous seront responsables, à charge
pour le groupe de trouver ensuite entre eux le bouc émissaire, celui dont l’action
a été réellement décisive, afin de lui faire supporter la totalité de la réparation du
dommage.
Seule la preuve d’une force majeure (événement imprévisible et irrésistible)
exonère le responsable car elle établit que le dommage est dû à une autre cause :
le plus souvent ce sera un phénomène naturel (tempête ou autre) voire la faute
de la victime lorsque cette faute est la cause exclusive du dommage (drogue,
prise de risques, etc.).

Le régime dérogatoire des accidents


de la circulation
Une exception notable est le droit des accidents de la circulation. En 1985,
le législateur a décidé que même si le conducteur ne pouvait éviter le
dommage, il serait tout de même responsable. La notion de causalité a été
remplacée par celle, encore plus floue, d’« implication » et a donné lieu à
des applications assez déroutantes. Des voitures licitement garées
(Cass. civ. 2e, 23 mars 1994, no 92-14296) ou ayant simplement surpris un
piéton en effectuant un virage à allure normale (Cass. civ. 2e, 2 avril 1997,
no 95-13303) se sont trouvées impliquées dans l’accident, ce qui était loin
d’être une évidence. Parmi les cas les plus extrêmes on peut citer l’histoire
rocambolesque d’un cheval affolé par l’alarme d’une voiture en
stationnement et qui percutera après maintes péripéties un autre véhicule
avec des passagers à bord mais à plusieurs kilomètres de distance : le
propriétaire du premier véhicule a été déclaré responsable (Cass. civ. 2e,
13 juill. 2000, no 98-21530) ; une solution alarmante !
Tous ces exemples illustrent une lourde tendance du droit contemporain de
la responsabilité civile qui est celui de l’indemnisation des victimes à tout prix.
L’assurance aidant, chaque dommage doit trouver sa réparation, fût-ce parfois
au prix d’analogies périlleuses et d’extensions douteuses des catégories.
 
3. Dommage. – La qualification de dommage est la dernière qualification
emblématique de la responsabilité civile. Elle illustre d’ailleurs à elle seule la
faveur croissante pour un mouvement d’indemnisation des victimes. La
jurisprudence n’a cessé d’élargir le concept de dommage à des situations de plus
en plus variées. Le préjudice corporel est désormais éclaté dans une multitude de
chefs de préjudice : pertes fonctionnelles (bras cassé, jambe paralysée…), pertes
des revenus du travail, souffrance morale (pretium doloris), perte des agréments
de la vie (par exemple, natation ou équitation devenues impraticables), préjudice
esthétique (par ex. la balafre sur le visage), dépression, chocs post-traumatiques,
voire ce qui était couvert du voile d’un silence pudique et intime il y a encore
quelques années, l’impossibilité ou la difficulté d’avoir des relations sexuelles43.
Le principe fondamental non écrit de la responsabilité civile est
l’équivalence de la réparation et du dommage : les sommes allouées ne doivent
causer ni perte ni profit aux victimes. Il s’agit du principe de réparation
intégrale. Seulement, il y a une grande part de fiction – certains diront
d’indécence – à réparer la souffrance d’une mère qui pleure la mort de son fils
par une somme d’argent, la joie de vivre ou encore l’honneur par des sommes en
définitive parfois minces. L’argent paie tout : c’est lui qui équilibre l’autre
plateau de la balance où l’on pèse la souffrance.
Il n’existe pas de tarif officiel pour évaluer les dommages. Tout est affaire
d’appréciation judiciaire, aidée en cela par des expertises qui chiffrent les
dommages sur une échelle abstraite de gravité. Sans le mentionner dans leurs
décisions, les tribunaux appliquent des barèmes bien connus des assureurs.
Considérée comme une question de fait (et non de droit) cette indemnisation
relève du pouvoir souverain des juges du fond et n’est pas contrôlée par la Cour
de cassation. Ainsi, les sommes allouées seront toujours trop faibles pour
satisfaire les victimes et toujours trop importantes du point de vue des assureurs.

IX. – Quasi-contrats
Catégorie complexe et originale issue du droit romain, les quasi-contrats ne
sont ni des contrats (l’obligation n’est pas volontaire) ni des cas de
responsabilité (il n’y a rien d’illicite). Le Code civil en mentionnait deux en
1804 et un troisième cas, d’origine jurisprudentielle, a été ajouté en 2016 dans la
loi.
Les quasi-contrats couvrent les hypothèses de transferts de valeur injustifiés.
On compte parmi eux la gestion d’affaires (par ex. le voisin altruiste qui répare
la toiture de l’immeuble contigu), la répétition de l’indu (par ex. les prestations
sociales versées en excès) et l’enrichissement sans cause, dégagé en 1898 dans
une affaire où les juges ont posé en principe que personne ne doit s’enrichir
indûment au détriment d’autrui44. Sur cette base, le concubin qui a rénové tout
l’appartement de sa concubine, pourra lors de la rupture de la relation récupérer
au moins le prix des matériaux employés, à défaut de capter la valeur ajoutée à
l’immeuble : c’est la règle de la plus faible des deux sommes.
Au début des années 2000, les juges ont créé de façon inattendue et de
toutes pièces une catégorie très particulière échappant aux critères
susmentionnés : la loterie publicitaire trompeuse. Tout organisateur d’une loterie
à des fins de publicité et laissant croire que la personne destinataire a gagné une
somme ou un bien doit délivrer ce lot si le message a pu légitimement provoquer
une telle croyance chez le destinataire45. On se doute que cette solution a
largement tari ce type de pratique irritante qui peut aussi être sanctionnée
pénalement si elle est agressive46. Ici se dévoile très nettement l’objectif
politique de la sanction d’un comportement jugé inopportun mais qui ne pouvait
être qualifié ni de contrat, ni de dommage, ni même de quasi-contrat.

X. – Régime général de l’obligation

Quelle que soit sa source (contractuelle ou délictuelle), l’obligation est


soumise à un régime général, c’est-à-dire à un ensemble de règles communes.
Elles encadrent de façon très technique et minutieuse la circulation de
l’obligation (cession de créance, de dette, de contrat) ses modalités d’exécution
(obligation avec plusieurs débiteurs ou créanciers), les modes d’action du
créancier (protection contre la fraude, recouvrement dans les mains d’un tiers) et
ses formes d’extinction (paiement, compensation, prescription, etc.). Cette partie
souvent méconnue du droit civil en raison de sa haute technicité a subi une
importante refonte à l’occasion de la réforme des contrats en 2016.
L’innovation la plus frappante a été la création de règles propres pour les
restitutions faisant suite aux contrats annulés ou résolus : les parties se livrent
alors à un véritable « contrat inversé » avec un système de comptes
particulièrement complexe47. Cette partie du droit illustre surtout son aspect
structurant : le droit des affaires, le droit du travail et les opérations
économiques sont fondés sur les mécanismes issus du régime général.
1. Code civil, art. 1103.
2. Code civil, art. 1109.
3. Code civil, art. 1102.
4. Cour de cassation, 1re chambre civile, 3 juin 1986, no 85-10486.
5. Cour de cassation, Assemblée plénière, 6 oct. 2006, no 05-13255 (premier arrêt d’une
longue série jurisprudentielle).
6. Code des assurances, art. L 211-1.
7. Code civil, art. 1128.
8. Ph. Rémy, « La responsabilité contractuelle : histoire d’un faux concept », Revue
trimestrielle de droit civil, 1997, no 3, p. 323 sq.
9. Code civil, art. 1217.
10. F. Rouvière, « L’inconstructibilité : entre non-conformité, erreur et vices cachés »,
Revue de droit immobilier, 2010, no 5, p. 253 sq.
11. Code civil, art. 1128.
12. Cour de cassation, 3e chambre civile, 24 avr. 2003, no 01-17458.
13. Cour de cassation, 3e chambre civile, 2 oct. 1974, no 73-11901.
14. Cour de cassation, 1re chambre civile, 30 mai 2000, no 98-15242.
15. Code civil, art. 1143.
16. Cour de cassation, 1re chambre civile, 16 sept. 2010, no 09-67456.
17. Cour de cassation, chambre criminelle, 22 déc. 1965, no 65-91997.
18. Cour de cassation, 1re chambre civile, 12 juill. 1989, no 88-11443.
19. Cour de cassation, Assemblée plénière, 29 oct. 2004, no 03-11238, arrêt Galopin.
20. Code civil, art. 1101, 1113-1118.
21. Cour de cassation, chambre civile, 21 nov. 1911, inédit.
22. Cour de cassation, 1re chambre civile, 28 juin 2012, no 10-28492.
23. D. Mazeaud, « La distinction obligation de résultat – obligation de moyens : le saut
dans le vide ? », Recueil Dalloz, no 4, 2017, p. 198-203. Tous les exemples cités
proviennent de cette contribution.
24. Cour de cassation, 1re chambre civile, 27 janv. 1993, no 91-12131.
25. Cour de cassation, 1re chambre civile, 6 avr. 1994, no 91-21047.
26. Ph. Rémy, « La responsabilité contractuelle : histoire d’un faux concept », art. cité.
Même constat en comparant droit français et anglais : D. Tallon, « Pourquoi parler de
faute contractuelle ? », in J. Beauchard et P. Couvrat (dir.), Droit civil, procédure,
linguistique juridique. Écrits en hommage à Gérard Cornu, 1994, p. 429 sq.
27. V. parmi les nombreuses répliques : É. Savaux, « La fin de la responsabilité
contractuelle ? », Revue trimestrielle de droit civil, no 1, 1999, p. 1 sq. ; G. Viney, « La
responsabilité contractuelle en question », Le Contrat au début du XXIe siècle. Études
offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 291 sq.
28. D. Gardner et B. Moore, « La responsabilité contractuelle dans la tourmente »,
Les Cahiers de droit, vol. 48, no 4, 2007, p. 543 sq. ; P.-G. Jobin, « Amputer la
responsabilité contractuelle ? Une tourmente inutile et néfaste », Les Cahiers de droit,
vol. 50, no 1, 2009, p. 3 sq.
29. J. Carbonnier, Droit civil, t. IV, Les Obligations, Puf, 2000, 22e éd., p. 520.
30. Cour de cassation, 3e chambre civile, 14 mai 1997, no 95-14517.
31. Cour de cassation, chambre criminelle, 22 mars 2016, no 13-87650.
32. Grimshaw vs Ford Motor Co., 1981, 117, répertoire 348.
33. Code civil, ancien art. 1382 devenu art. 1240.
34. Cour de cassation, 1re chambre civile, 2 oct. 2013, no 12-24754.
35. Cour de cassation, 2e chambre civile, 4 mai 2000, no 95-21567.
36. Cour de cassation, chambres réunies, 13 févr. 1930, Bulletin, no 34.
37. Cour de cassation, chambres réunies, 2 déc. 1941, Bulletin, no 292.
38. Formulation utilisée depuis un arrêt de la Cour de cassation, 2e chambre civile, 30 oct.
1964, Bulletin, no 668.
39. Cour de cassation, 2e chambre civile, 6 nov. 1996, no 94-22196.
40. Cour de cassation, 2e chambre civile, 23 févr. 1977, no 75-14620.
41. Cour de cassation, chambre criminelle, 28 juin 2000, no 99-84627.
42. Cour de cassation, Assemblée plénière, 29 juill. 2007, no 06-18141.
43. Cour de cassation, 2e chambre civile, 17 juin 2010, no 09-15842.
44. Cour de cassation, chambre des requêtes, 15 juin 1892, arrêt Boudier c. Patureau-
Mirand, Dalloz périodique, 92, 1, p. 596.
45. Cour de cassation, 1re chambre civile, 18 mars 2003, no 00-19934.
46. Code de la consommation, art. L 132-2, L. 132-11.
47. Code civil, art. 1352 à 1352-9.
CHAPITRE III

Biens et sûretés

I. – Propriété et garanties

Les biens sont toutes les choses qui font l’objet d’un droit de propriété ou de
l’un des droits qui en sont dérivés. On distingue ainsi les droits réels qui portent
sur des choses et les droits personnels qui sont des relations entre personnes. La
propriété est l’exemple type du droit réel et s’oppose ainsi à l’obligation qui est
le représentant type des droits personnels. Les deux catégories peuvent être
complémentaires. Ainsi, la vente transfère la propriété et la propriété peut être
parfois source d’obligations et de charges.
Les sûretés sont une affectation de droits réels ou personnels pour garantir
l’exécution d’une obligation. Les sûretés ne se conçoivent ainsi que sur la base
d’un rapport d’obligation préexistant. L’hypothèque est la sûreté la plus
connue : si par exemple je ne rembourse pas mon prêt, le prêteur pourra saisir
mon immeuble et le vendre aux enchères pour être payé. Les sûretés se classent
en fonction de leur objet : les hypothèques portent sur des immeubles, les gages
sur des choses mobilières (comme une voiture) le nantissement sur un meuble
incorporel (comme le fonds de commerce). Les sûretés peuvent encore être
personnelles, c’est-à-dire utiliser la technique de l’obligation. L’exemple le plus
connu est celui du cautionnement où la caution s’engage à payer à la place du
débiteur principal défaillant : les parents cautions vont ainsi payer à la place de
leur enfant locataire et pourront être poursuivis sur leurs propres biens s’ils ne le
font pas.

II. – Meubles et immeubles
Le droit des biens est traversé par une distinction fondamentale entre les
choses meubles (qui peuvent être déplacées) et les choses immeubles (qui sont
fixes). Un terrain est immeuble, une montre est un meuble. Les meubles au sens
courant du terme (les tables, les chaises et le mobilier de maison) sont appelés
« meubles meublants ».
Les meubles sont soumis à des règles moins strictes que les immeubles. La
propriété des immeubles doit être déclarée à la publicité foncière pour opposer
son droit aux tiers. Le tribunal du lieu de situation de l’immeuble est compétent
pour les litiges, le prix de la vente d’immeuble peut être réévalué en cas de
lésion du vendeur (vente à un prix très bas). Par fiction, certains meubles sont
assimilés à des immeubles lorsqu’ils dépendent d’une unité économique : ainsi
les tracteurs et le bétail d’une exploitation agricole seront traités comme
immeubles avec la terre sur laquelle ils sont1.

III. – Concept de propriété

La propriété est indissociable de l’idée de patrimoine : l’actif est composé


de tous les biens dont une personne est propriétaire.
La propriété est définie dans la loi comme « le droit de jouir des choses de la
façon la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois
et les règlements2 ». Cette formule ne donne qu’une idée vague de la complexité
du concept de propriété. Il se décompose en trois prérogatives pour le
propriétaire : l’usus, le fructus et l’abusus. L’usus renvoie à l’usage : le
propriétaire est libre d’affecter son bien à un usage personnel ou de le concéder
à d’autres (par un bail ou un prêt). Le fructus est le droit de retirer les fruits de
son bien. Ces fruits peuvent être naturels (la récolte de raisin ou de blé) ou civils
(le loyer d’un appartement, les intérêts d’un placement). L’abusus est le droit
d’user au point de détruire la chose soit physiquement (la nourriture
consommée, la voiture utilisée jusqu’à la panne ultime) soit juridiquement par le
transfert contractuel de la propriété (vente ou donation) ou plus radicalement par
son abandon (le bien jeté à la poubelle).
La propriété est perpétuelle, elle ne se perd pas par le non-usage. Les juges
ont pu considérer qu’un terrain recouvert par un étang puis à nouveau asséché a
pu revenir à son propriétaire initial et n’était pas tombé dans le domaine public
(affaire de l’étang Napoléon)3. La propriété n’est donc affectée d’aucune limite
dans le temps et se transmet entre autres par l’héritage.
La propriété est un droit, elle se distingue ainsi de la possession qui est une
situation de fait. Comme le propriétaire est généralement possesseur de la chose,
il est parfois plus simple de se défendre sous cet aspect. Il existe un régime légal
particulier de protection contre les troubles possessoires, par exemple si mon
chemin est soudainement barré par des débris posés par le voisin. Parfois, le
possesseur d’une chose n’est pas propriétaire, il exerce seulement en fait les
pouvoirs du propriétaire. Il bénéficie ainsi de la protection accordée au
possesseur. Par exemple, le fait de labourer un champ laissé apparemment à
l’abandon ou de se garer sur une place de parking privée qui est inoccupée
depuis des années relève de la possession et est protégé même si la personne est
de mauvaise foi – c’est-à-dire même si elle sait pertinemment qu’elle n’est pas
propriétaire (ce qui est également le cas de la chose volée). Le vrai propriétaire
pourra alors faire une action en revendication qui lui permettra de retrouver la
possession de la chose. Cette action se heurte à une double limite. En matière de
choses meubles, la possession suffit à établir la preuve de la propriété. En
matière immobilière, le possesseur peut bénéficier au bout d’un certain temps de
la prescription acquisitive : elle lui donne la qualité de propriétaire en cas de
possession ininterrompue pendant dix ou trente ans selon les cas.
La possession se distingue encore de la détention, situation où la personne
tient son pouvoir sur la chose d’un titre, par exemple un contrat de bail ou un
prêt. En ce cas, il n’est jamais présumé propriétaire : dès lors, il ne peut acquérir
par prescription ni défendre sa possession à l’égard du propriétaire car c’est de
lui qu’il la tient.

IV. – Limites de la propriété

Le caractère absolu de la propriété doit être tempéré en raison des


nombreuses limites qui lui sont apportées. D’abord, il existe de nombreuses
restrictions qui dépendent du droit de l’urbanisme : le droit de construire, de
creuser son propre terrain est soumis à une législation spéciale, volumineuse et
complexe. Ensuite, le propriétaire peut être exproprié lorsque le bien est destiné
à être affecté à l’intérêt général. Pour construire une autoroute ou une université,
une personne morale de droit public peut forcer un particulier à céder sa
propriété contre une indemnité. Enfin, les juges sanctionnent l’usage fautif du
droit de propriété. L’affaire emblématique est celle de Coquerel c. Bayard en
1913 qui a permis à la Cour de cassation de dégager l’idée d’abus de droit4. En
l’espèce, le propriétaire d’une bande de terrain longue mais inutilisable car très
étroite avait échafaudé une clôture de seize mètres de haut avec des piques
acérées afin que les ballons dirigeables de son voisin viennent s’y crever. Si
l’analyse classique met l’accent sur l’intention de nuire, certains auteurs ont fait
remarquer que l’intention du propriétaire était spéculative : il tentait de forcer
son voisin à acheter un terrain dont il n’avait aucune utilité5. L’arrêt n’a pas eu
un grand héritage, car l’intention de nuire est difficile à prouver et les juges ont,
dans les années 1970, inventé l’idée de trouble anormal de voisinage6.
Lorsqu’un propriétaire subit une nuisance quelconque (odeurs, perte
d’ensoleillement, fumée, bruits, etc.), il peut engager la responsabilité du
propriétaire voisin indépendamment de la preuve d’une faute en établissant que
le trouble subi excède les inconvénients normaux de voisinage. Cette
responsabilité d’origine purement jurisprudentielle a servi à sanctionner les
impacts de balles de golf perdues7, à faire déplacer des bottes de paille8, voire à
sanctionner les effets d’antennes relais téléphoniques9, contentieux distincts de
celui de l’implantation et relevant du juge administratif.

V. – Démembrements de la propriété

Le propriétaire a la possibilité de démembrer son droit, c’est-à-dire de


répartir les différentes prérogatives de la propriété entre des titulaires différents.
Le cas le plus fréquent est celui de l’usufruit qui réunit à la fois l’usus et le
fructus, d’où son nom. L’usufruitier agit comme un propriétaire mais, à sa mort,
c’est le nu-propriétaire (propriétaire temporairement privé de l’usage) qui
redevient plein propriétaire. Cette dissociation temporaire de la propriété peut
servir des buts d’optimisation fiscale (le nu-propriétaire n’est pas imposé à la
taxe foncière ou à l’impôt sur la fortune immobilière), de transmission
patrimoniale ou d’autres buts précis comme l’habitation temporaire des enfants.
En dehors de la figure de l’usufruit, il existe toute une variété de
démembrements : il est possible de conférer seulement l’usage précis d’une
chose (comme l’habitation) ou seulement ses fruits, voire de conférer des droits
de construction ou d’exploitation pour une longue durée (généralement quatre-
vingt-dix-neuf ans). On conclut alors des baux emphytéotiques ou des baux à
construction qui sont des techniques de gestion à long terme. Par exemple, le
titulaire d’un droit réel de longue durée va construire un hôtel et l’exploiter,
puis, à la fin du contrat, le propriétaire récupérera un terrain bâti (règle de
l’accession). Les personnes morales de droit public usent de ce procédé pour
éviter de céder la propriété tout en valorisant des biens qu’elles ne peuvent
exploiter elles-mêmes.
Il existe encore la technique des servitudes qui est une charge imposée à un
immeuble au profit d’un autre. Le propriétaire du fonds servant est privé d’une
partie de son usage exclusif : une personne aura, par exemple, un droit de
passage chez son voisin ou bien pourra contraindre ce dernier à ne pas construire
au-delà d’une certaine hauteur pour continuer à profiter d’une belle vue.
Ces dernières années, la question s’est posée de savoir s’il pouvait exister
des démembrements perpétuels. Le problème a émergé en 2012 à travers une
affaire singulière dite Maison de Poésie10, affaire qui a connu de multiples
rebondissements. Le propriétaire avait vendu une maison tout en se réservant
l’usage exclusif de l’une des dépendances sans limitation de durée. Ce type de
configuration tend à s’installer durablement en jurisprudence. Pourtant, tout
démembrement est temporaire puisque le titulaire de l’usage devra normalement
en faire retour au véritable propriétaire. Un droit de jouissance perpétuel semble
contredire totalement cette hypothèse. Aberration juridique ou innovation
louable ? Le débat fait rage entre les spécialistes du droit des biens11. L’intérêt
pratique réside dans la création de nouveaux modes d’usage des biens. L’enjeu
théorique est le bouleversement des catégories traditionnellement reçues avec à
terme un risque de déséquilibre entre les différentes formes de droit réel voire
une confusion des situations.

VI. – Indivision

L’indivision est la concurrence entre plusieurs propriétaires : chacun détient


une fraction abstraite du droit de propriété avec toutes les prérogatives qui y sont
attachées (usus, abusus, fructus). C’est là une grande différence avec le
démembrement qui consiste à répartir les prérogatives entre des titulaires
différents. Dans l’indivision, c’est le droit de propriété lui-même qui est réparti
entre plusieurs personnes sans pour autant diviser matériellement la chose, d’où
le terme « indivision ». Selon l’expression consacrée, dans l’indivision « chacun
en a sa part et tous l’ont tout entier », une définition que Victor Hugo a d’ailleurs
empruntée pour parler de l’amour maternel12.
L’indivision trouve sa source soit dans le contrat soit dans la loi. Des
personnes qui achètent à plusieurs un même bien sans créer de société
deviennent chacune propriétaire du bien proportionnellement à leur financement.
C’est typiquement le cas en matière de concubinage, de PACS ou entre époux
séparés de biens. L’héritage est également source d’indivision en cas de pluralité
d’héritiers. Tant que le partage des biens n’est pas demandé (pour faire cesser
l’indivision), les héritiers doivent s’entendre sur l’usage commun des biens.
Comme l’usage simultané n’est pas possible, soit le temps de jouissance est
partagé (mais qui va profiter, l’hiver, du chalet à la montagne ?), soit celui qui
use de la chose au-delà de son droit va verser une indemnité de jouissance pour
rééquilibrer les comptes de partage. L’idée est que chacun retrouve à la fin de
l’indivision une valeur en argent ou en nature qui correspond strictement à son
droit.
L’originalité de l’indivision tient également dans le fait qu’elle n’est pas une
société. Elle n’a donc pas la personnalité juridique (voir Première partie,
chap. I). Cela signifie qu’aucun indivisaire ne peut agir au nom de l’indivision
tout entière. Pour tenir compte des conflits, le Code civil pose une série de règles
de majorité graduées selon la gravité de la décision à prendre : la vente des biens
exige en général l’unanimité, les actes de gestion comme la location une
majorité des deux tiers et les actes urgents (pour éviter la ruine des biens)
peuvent être accomplis sans recueillir l’accord des autres indivisaires.
Il existe des régimes spéciaux et complexes d’indivision comme celui des
parties communes dans la copropriété des immeubles bâtis. En outre,
l’immeuble est géré par le syndicat des copropriétaires qui a la personnalité
juridique.

VII. – Sûretés et privilèges

Le droit des sûretés permet essentiellement de traduire juridiquement les


problèmes liés au crédit et à la confiance. Si je prête de l’argent à une personne,
rien ne m’assure qu’elle me paiera, même si elle est solvable. Je peux donc
prendre des garanties supplémentaires visant à primer les autres créanciers. En
effet, nous vivons tous perpétuellement endettés : dettes de prêt immobilier ou
de consommation, dettes de loyer, dettes de contrats d’assurance, dettes de
divers contrats. En principe, tous les créanciers sont à égalité : ils peuvent saisir
les biens du débiteur, le plus souvent après une décision de justice, pour être
remboursés. Les créanciers sans sûretés ni privilèges particuliers sont dits
chirographaires ce qui signifie littéralement « ceux qui n’ont pas d’écrit
(graphein) de la main (chiro) du débiteur ».
La loi peut accorder à certains créanciers des privilèges : dans la course au
paiement, ils pourront être payés en priorité. Ces privilèges sont très importants
en cas de faillite d’une société, par exemple. Les salaires font partie des créances
dites super-privilégiées qui passent avant le paiement de tout le reste. Le
privilège témoigne ainsi explicitement d’un jugement de valeur de la loi sur les
créanciers à privilégier dans tous les sens du terme.
Parallèlement, le débiteur peut consentir au créancier des sûretés :
l’hypothèque, le gage sur meubles (par ex. sur une voiture ou un compte
épargne) ou encore le cautionnement font partie des techniques les plus connues.
La pratique des affaires a donné naissance à des figures originales que la loi a
consacrées comme la lettre d’intention (par exemple, une société promet de faire
des efforts pour aider une de ses filiales en cas de difficultés) ou la garantie
autonome qui est radicalement efficace puisque, dès la première demande – que
le débiteur soit défaillant ou non –, le garant doit payer sans discuter.
Le droit des sûretés fait souvent naître un contentieux spécifique lié au
paiement de la dette d’autrui. En effet, lorsque c’est un tiers qui consent une
sûreté (cas typique du cautionnement), il ne paie pas sa propre dette mais la
dette du débiteur principal. Il dispose ainsi d’un recours en remboursement.
Cette technique appelée subrogation personnelle est également à la base du droit
des assurances et des fonds légaux d’indemnisation. L’idée est de payer la
victime du dommage puis de tenter d’obtenir le remboursement auprès du
responsable. Le droit des sûretés est en grande partie organisé autour de cette
logique et donne lieu à des analyses très abstraites et techniques.
1. Code civil, art. 517.
2. Code civil, art. 544.
3. Cour de cassation, Assemblée plénière, 25 mai 1970, no 70-12960.
4. Cour de cassation, chambre des requêtes, 3 août 1915, no 00-02378.
5. Ch. Atias, Les Biens, LexisNexis, 9e éd., p. 92.
6. Cour de cassation, 3e chambre civile, 4 févr. 1971, no 69-14964.
7. Cour de cassation, 3e chambre civile, 22 nov. 2006, no 05-16719.
8. Cour de cassation, 2e chambre civile, 24 févr. 2005, no 04-10362.
9. Cour de cassation, 1re chambre civile, 17 oct. 2002, no 10-26854.
10. Cour de cassation, 3e chambre civile, 31 oct. 2012, no 11-16304.
11. W. Dross, « Que reste-t-il de l’arrêt Maison de Poésie ? », Revue trimestrielle de droit
civil, no 2, 2015, p. 413 ; J.-L. Bergel, « Le “droit réel de jouissance spéciale” ne peut pas
être perpétuel », Revue de droit immobilier, no 4, 2015, p. 175 ; L. Andreu et
N. Thomassin, « Précision jurisprudentielle sur la durée du droit de jouissance spéciale »,
Répertoire du notariat Defrénois, 2015, p. 419 ; B. Mallet-Bricout, « Droits réels de
jouissance spéciale : premier signe de rejet de la perpétuité », Recueil Dalloz, no 10/7635,
2015, p. 599.
12. V. Hugo, « Ce siècle avait deux ans », Feuilles d’automne, 1831.
CHAPITRE IV

Régimes matrimoniaux et successions

I. – Droit patrimonial de la famille

Les régimes matrimoniaux règlent les rapports pécuniaires entre époux.


Depuis la création du PACS, il existe également un régime « pacsimonial ». Les
concubins ne disposent d’aucun régime spécifique pour solder leurs différends
financiers. Les successions règlent quant à elles la dévolution des biens du
défunt. Pour toutes ces raisons, on parle de droit patrimonial de la famille car il
s’agit de trancher des différends liés à l’argent au sein de la famille, entendu que
celle-ci commence en droit dès qu’il y a deux personnes. Par opposition, le droit
extrapatrimonial règle par exemple les questions de filiation ou de mariage (voir
chap. I).
Le droit patrimonial de la famille a connu des modifications profondes
durant tout le XXe siècle qui se poursuivent actuellement. Son histoire pourrait
être écrite comme la volonté d’égaliser tous les rapports par toute une série de
lois. Qu’on en juge : alors que la femme mariée était encore incapable
juridiquement en 1938 et que son mari prenait toutes les décisions relatives aux
biens à sa place (conformément à une longue tradition provenant du droit
romain et de l’autorité du père de famille), elle devait encore solliciter de celui-
ci une autorisation pour travailler ou ouvrir un compte bancaire jusqu’en 1965 et
elle n’a acquis la totale maîtrise de ses biens qu’en 1985.
La recherche de l’égalité a concerné aussi les enfants en droit des
successions. L’enfant né hors mariage (par exemple dans un concubinage)
n’avait droit qu’à une demi-part d’héritage en cas de concurrence avec un enfant
né dans le mariage. La règle a été maintenue jusqu’en 1972 où elle a été limitée
aux seuls enfants adultérins, à savoir ceux nés d’une infidélité pendant le
mariage. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné cette
distinction dans l’arrêt Mazureck1, et la loi du 3 décembre 2001 assure
désormais une égalité totale entre les enfants lors de l’héritage.
La distinction entre régime matrimonial et succession repose historiquement
sur la distinction entre l’alliance et le sang. En cas de décès, le conjoint
survivant était gratifié au titre du mariage tandis que les enfants, les parents, les
frères ou les sœurs relevaient des règles successorales. Cependant, il est toujours
possible, par testament ou par donation, de transmettre à son conjoint une partie
de ses biens. Cette pratique était tellement répandue que le législateur, par la loi
de 2001 déjà citée, a conféré au conjoint survivant la qualité d’héritier.
Concrètement cela signifie que désormais, le conjoint survivant peut prendre une
part des biens qui forment la succession. Il faut rappeler que seule une personne
mariée est un conjoint survivant en cas de décès, ce qui fait du mariage la
technique de protection la plus aboutie au sein du couple.

II. – Les différents régimes matrimoniaux

Les régimes matrimoniaux ne concernent que les personnes mariées et ils se


décomposent en deux corps de règles : le régime primaire, légal, dit régime
impératif de base et commun à tous les mariages et le régime proprement dit,
conventionnel, choisi par les époux par défaut ou par rédaction d’un contrat.
Le régime primaire ne tranche que des questions de pouvoir. Son objectif
essentiel est d’assurer une certaine protection des époux en cas de crise et des
garanties envers les créanciers. Parmi les règles les plus notables et importantes
dans la pratique, on notera celle de la cogestion (dite encore gestion conjointe)
du logement familial, c’est-à-dire de la résidence habituelle de la famille, qui
interdit à l’un des époux de vendre seul le bien même s’il en est le seul
propriétaire. L’idée est de garantir une stabilité même en cas de mésentente
grave entre les époux. Le régime primaire comporte également une solidarité
pour les dettes ménagères. Concrètement, un époux qui contracte seul une dette
pour les besoins de la famille ou l’éducation des enfants (ce qui peut aller de
l’achat d’une machine à laver au règlement des dépenses des vacances d’été)
engage simultanément le patrimoine de son conjoint. C’est une façon de donner
au créancier une garantie supplémentaire et d’affirmer l’unité de la famille pour
ses besoins essentiels. Le régime primaire contient également toute une série de
règles visant à assurer l’assistance et la représentation du conjoint lorsqu’il ne
peut plus prendre de décisions (coma, démence, absence prolongée, etc.).
Le régime matrimonial proprement dit est celui qui décide de la répartition
des biens entre époux. Il tranche donc des questions de pouvoir et surtout de
propriété. Si les époux ne rédigent pas de contrat devant notaire avant le
mariage, la loi leur attribue automatiquement le régime de la communauté
réduite aux acquêts. Ce régime consiste à créer, outre les biens propres des
époux, une masse de biens communs qui sont gérés de façon commune. Ils sont
destinés à être partagés en principe pour moitié à l’issue du mariage. Le terme
« acquêts » signifie que seront communs tous les biens achetés ensemble ou
séparément par les époux, leurs gains et salaires à l’exclusion des biens qu’ils
reçoivent à titre gratuit ou qui sont spécialement attachés à leur personne
(comme la réparation d’un dommage corporel, par exemple).
Les époux sont libres d’imaginer tous les principes de répartition de leurs
biens entre deux extrêmes : tout mettre en commun (communauté universelle),
ou rien du tout (séparation). La loi leur fournit de grands modèles : la séparation
de biens, sans masse commune et dans laquelle les achats en commun obéissent
à l’indivision ; la participation aux acquêts qui fonctionne comme un régime de
séparation mais se liquide comme un régime de communauté. En général, les
commerçants et les professions financièrement à risque préfèrent la séparation
de biens. Quant à la participation aux acquêts, elle n’est en pratique quasiment
jamais conseillée par les notaires en raison d’une liquidation incertaine. Elle est
donc adoptée de façon extrêmement rare.
Toute la complexité des régimes matrimoniaux se révèle lors de la
liquidation : pour tenir compte des flux financiers entre les différentes masses, la
loi a organisé pour les régimes communautaires un système de récompenses,
forme d’indemnités qui visent à conserver en valeur la consistance des masses
communes et propres. De même, l’intérêt d’adopter une masse commune est de
pouvoir accorder au conjoint un droit exclusif en cas de décès : ce transfert de
biens ne sera pas regardé comme une donation mais comme une règle de
liquidation du régime. Bien que laissé dans l’oubli au moment de se marier, le
droit des régimes matrimoniaux est la technique par excellence de protection de
la famille. Il n’est jamais trop tard pour y songer : les conjoints peuvent toujours
changer de régime en cours de mariage en faisant établir un acte devant le
notaire et en accord avec le juge aux affaires familiales dans une procédure
gracieuse, c’est-à-dire non contentieuse.
III. – Successions et libéralités

À défaut de testament ou de donations faites par le défunt, la dévolution des


biens du défunt est totalement organisée par la loi. C’est alors une succession
dite ab intestat, c’est-à-dire sans libéralités. Elle classe les héritiers en fonction
de leur proximité par le sang : enfants, parents et grands-parents, frères et sœurs,
oncles et tantes, etc.
Toute personne a la liberté de transmettre à titre gratuit ses biens de son
vivant par contrat de donation (irrévocable) ou après sa mort par testament, acte
unilatéral ne nécessitant que la volonté de son auteur et librement révocable
jusqu’à sa mort. La seule limite légale à la liberté du donateur est la réserve
héréditaire au profit de ses enfants qui, comme son nom l’indique, réserve une
partie des biens à leur égard. Il n’est donc pas possible, comme c’est le cas aux
États-Unis, de déshériter totalement ses enfants, ce qui est en revanche possible
pour les autres membres de la famille. Ceux qui auraient la volonté tenace
peuvent le faire par des moyens indirects, en contractant un maximum de dettes
(par exemple avec des prêts viagers hypothécaires) ou en liquidant leurs actifs
pour jouer au casino… La réserve interdit de donner, non de vendre ou de
dilapider.
L’institution de la réserve héréditaire a été historiquement le moyen de
contrer le droit d’aînesse où un seul emportait tous les biens du défunt.
Actuellement, elle a pris un relief particulier dans les successions
internationales. En effet, lorsque l’un des époux est étranger ou lorsque les
époux ont vécu à l’étranger, ils peuvent être soumis à une loi étrangère.
Cependant, les biens immeubles qui se trouvent sur le territoire français restent
soumis à la loi française et donc à la réserve héréditaire. Le défunt ne peut donc
les transmettre librement à son épouse ou un tiers : il doit tenir compte de la part
réservée aux enfants.
La réserve dépend du nombre d’enfants : de moitié pour un enfant, elle est
de deux tiers pour deux enfants et de trois quarts pour trois enfants et plus. Le
reste des biens est appelé « la quotité disponible » ; le défunt l’affecte à qui il
l’entend : à parts égales entre ses enfants, à son conjoint, à un seul de ses enfants
ou à n’importe quelle autre personne. Le seul frein est celui de la fiscalité : les
impôts sur la transmission des biens à titre gratuit peuvent être très élevés –
 notamment pour les personnes hors de la famille (60 %) –, sauf pour certaines
associations reconnues d’utilité publique qui sont totalement exonérées.
Le caractère intouchable de la réserve héréditaire subit toutefois des
infléchissements notables face aux droits du conjoint survivant. En effet, celui-ci
peut bénéficier d’un usufruit de la totalité des biens composant la succession.
Cette technique de droit des biens déjà évoquée (voir Première partie, chap. III)
va lui assurer l’usage des choses et retarder l’entrée des héritiers dans la pleine
propriété jusqu’à la mort du conjoint. Cette situation est souvent assez mal
vécue en cas de second mariage, car l’épouse en deuxièmes noces reste maître
des biens de son défunt mari et dame le pion aux enfants de celui-ci. L’attente se
prolonge pour eux, montrant que la loi et la pratique n’ont eu de cesse d’affirmer
la primauté du lien d’alliance sur celui du sang. De façon générale, l’une des
tendances du droit contemporain est de faire primer la volonté sur l’ordre
naturel.
1. Cour européenne des droits de l’homme, 1er févr. 2000, no 34406/97.
SECONDE PARTIE

UN MODÈLE POUR LE DROIT

L’idée directrice de cette deuxième partie est de montrer que la notion de droit
civil dépasse sa seule signification technique. D’un point de vue historique, il est
à la fois archétype et prototype du système juridique romain. Sa primauté
temporelle l’a institué par la force des choses en patron de pensée et modèle
exemplaire, il est le paradigme du droit tout entier, son modèle historique
(chap. I). Les branches du droit postérieures ne peuvent ignorer sa valeur
fondatrice. Le droit civil est ainsi un modèle intellectuel qui le constitue en droit
de référence dans tout raisonnement. À son égard, tous les autres droits sont
spéciaux et dérogatoires (chap. II). Pour toutes ces raisons, le droit civil a acquis
progressivement la valeur d’un modèle culturel : toutes les civilisations qui ont
fait du droit un de leurs rouages essentiels (ce qui est particulièrement vrai des
démocraties occidentales) ont gardé l’empreinte d’une façon romaine de penser
l’organisation politique de la cité (chap. III).
CHAPITRE PREMIER

Un modèle historique

I. – La formation du corpus romain

Le droit romain est le paradigme du droit civil. Il est son premier type
achevé et connu grâce aux textes qui nous sont parvenus et à l’institution
particulière du préteur.
 
1. Un texte : le Corpus iuris civilis. – Le droit romain trouve son acte de
naissance dans la Loi des Douze Tables datée par les spécialistes aux alentours
de 442 av. J.-C. Au tout début du XXe siècle, la découverte de la stèle juridique
babylonienne d’Hammourabi, datée de 1750 av. J.-C, a laissé penser qu’il
s’agissait d’une forme encore plus ancienne de droit. Cependant, cette stèle a été
analysée par les assyriologues comme une forme de glorification politique du
pouvoir établi et non comme un système juridique. En effet, ce qui fait
l’originalité du droit romain n’est pas le fait qu’il soit un ensemble de règles ou
de normes, mais qu’il ait donné lieu à une forme particulière d’analyse et
d’interprétation. Le droit (ius) est alors considéré comme un savoir autonome
construit à partir de règles autoréférentes et d’une technique capable de
s’autolégitimer. En cela se trouve toute l’originalité du droit romain qui traite de
l’ensemble de la cité : il est donc civil au sens propre du terme (« civil » partage
une même racine avec « cité » et « citoyen »).
La spécificité du droit romain se signale grâce au Corpus iuris civilis
(littéralement « le corps écrit du droit civil »), la fameuse compilation de
Justinien réalisée en 528 au tout début de son règne. Celle-ci se compose de trois
grandes parties : un code des constitutions impériales qui poursuit le travail de
son prédécesseur (Code de Théodose), les Institutes, manuel d’enseignement
comprenant des consultations juridiques rédigées pour les procès et enfin le
fameux Digeste (en grec : Pandectes) qui comprend des extraits des opinions et
des sentences des grands juristes romains. C’est cette dernière partie qui forme
le cœur du droit romain et du droit civil. Il fonde le droit romain comme droit
savant c’est-à-dire comme un droit essentiellement issu de la discussion, de
l’interprétation et de l’argumentation sur des textes, créateur de catégories
nouvelles. L’opposé d’un droit savant est un droit fondé sur le pouvoir, bref un
droit imposé par une force ou une puissance politique. En ce sens, le Code
d’Hammourabi semble plus ressortir de cette dernière catégorie. Il est important
de comprendre que tout le droit civil français trouve sa source savante dans le
corpus iuris civilis. On entend par là que si le contenu du droit civil a forcément
évolué en même temps que la société (la filiation, le mariage, les contrats et
même la propriété se distinguent évidemment aujourd’hui des règles romaines),
les catégories et les classifications du droit civil, sa structure conceptuelle, les
définitions des notions fondamentales ont traversé les siècles et ont participé à
structurer l’ancien droit (grosso modo celui du Moyen Âge central et tardif) et
même le droit moderne lors de la promulgation du Code Napoléon en 1804.
Ainsi, le droit romain a légué au droit civil moderne des formes de raisonnement
à travers l’usage de concepts propres comme la servitude, la garantie des vices
cachés en matière de vente, le principe de la filiation adoptive, la création et
l’extinction des obligations par la novation, etc. On mesure à quel point le droit
romain a été le berceau du droit civil, l’a enfanté et porté à maturité par
l’expérience des siècles.
La loi des Douze Tables définissait les actiones legis (« actions de la loi »)
c’est-à-dire l’ensemble des cas dans lesquels un citoyen pouvait saisir un juge
d’un litige et obtenir une mesure mettant fin à son trouble. Ce pouvait être des
actions portant sur la nullité d’une donation ou d’un prêt, sur la réparation
consécutive au fait qu’une vache achetée soit tombée malade ou à un conflit
portant sur le partage d’une succession. Ce document mémorable, dont la
légende veut que les enfants aient dû l’apprendre par cœur sous Cicéron,
représente la première publication du droit. Les Douze Tables étaient affichées
sur les places publiques des grandes villes.
Ce texte est pour l’époque très original car il réalise la première laïcisation
du droit. Le droit n’appartient plus au secret des dieux, il n’est plus dans les
mains des prêtres mais devient connaissable et ouvert à tous. Le droit romain est
donc le modèle de la rationalité juridique occidentale. Certes, le droit romain a
longtemps porté la trace de ses origines religieuses : les pontifes sont devenus
jurisconsultes (consultants juridiques), les formules religieuses sont devenues
des formules juridiques. Mais c’est précisément cette laïcisation et ce mode
propre d’accès au procès et au juge qui signent l’autonomie de la pensée civiliste
romaine.
 
2. Une procédure : la figure du préteur. – Le procès romain se déroulait
en deux phases. Dans la première, un magistrat décidait si une action pouvait
être accordée au demandeur. Ce magistrat élu par le peuple était un consul, puis
le préteur a été créé pour le seconder spécialement dans le domaine judiciaire.
Cette procédure est dite « formulaire » car le préteur accordait une formule pour
régler le litige. Pour convaincre le préteur, les parties avaient alors recours à un
jurisconsulte c’est-à-dire à un expert du droit qui, à partir de la Loi des Douze
Tables et des actions déjà accordées, proposait la création de nouvelles actions
et formules. Loin d’être figé dans le marbre, le droit romain était caractérisé par
une grande souplesse et une grande faculté d’adaptation à toute la variété des
situations conflictuelles de la vie dans la cité. Ce sont précisément les opinions
et les analyses de grands jurisconsultes (Julien, Gaius, Papinien, Ulpien…) qui
forment l’essentiel du Digeste dont il a été question plus haut.
Dans la deuxième phase, l’affaire était débattue devant un juge qui était un
citoyen choisi sur une liste. Ce dernier n’avait pas de compétence juridique
particulière : il devait trancher le litige en appliquant la formule déterminée par
le préteur. Devant ce juge-citoyen se réglaient alors essentiellement des
questions de preuve : telle ou telle formalité a-t-elle bien été accomplie ? La
vache achetée est-elle réellement malade ?
Toute la particularité du droit civil romain tient dans le rôle du préteur qui
élargissait les actions prévues par la loi et créait de nouvelles actions qui
venaient enrichir le corpus existant. Ce sont précisément les pontifes, puis les
jurisconsultes, qui fournissaient les arguments propres à justifier l’extension
d’actions existantes ou la création de nouvelles actions. Vers la fin du IIe siècle
de notre ère, la loi reconnaît directement aux prêteurs un pouvoir de création
d’actions inédites et c’est ainsi qu’est née la pratique d’un edictum, une liste
reconduisant d’année en année les actions accordées par le prêteur précédent et
indiquant les innovations éventuelles. Les prêteurs ont ainsi élaboré un droit
« prétorien » qui est venu compléter et corriger le droit des citoyens (ius civile).
En ce sens, on parle aujourd’hui de « jurisprudence prétorienne » pour désigner
des innovations quasi législatives.
Le prêteur romain est la figure fondatrice du juge civil, véritable juge naturel
du conflit civil qui est résolu en disant le droit et en tranchant les litiges. Il s’agit
littéralement d’une iurisdictio une « diction du droit » d’où le terme moderne de
« juridiction » est directement dérivé. On mesure ainsi l’ampleur et l’importance
du droit civil romain comme modèle historiquement fondateur du droit. Il
apparaît comme la première manifestation d’une façon propre et originale de
concevoir un champ de l’espace social soustrait à la volonté politique (car le
droit civil est avant tout savant) et religieuse (car le texte et la juridiction
romaine sont autonomes à l’égard des prêtres).

II. – La tradition savante de l’ancien droit

Pendant près de cinq siècles, c’est-à-dire de la chute de l’Empire romain


(476) jusqu’au XIe siècle, le droit romain connaît une relative éclipse en
Occident. Ce sont les coutumes germaniques adoptées par les Francs qui
tiennent lieu de régulateur social. La fameuse loi salique qui emprunte en partie
au droit romain est essentiellement axée sur des compensations pécuniaires en
matière pénale : les pertes d’un œil, d’un bras, d’une vie sont toutes tarifées pour
éviter une escalade de la vengeance entre des clans. À compter du XIe siècle en
Italie, le Digeste constitue à nouveau un objet d’intérêt. C’est l’acte qui fonde le
début de l’ancien droit dont l’application se poursuit jusqu’à la Révolution
française. Bien que les coutumes aient survécu dans les différentes régions de
France, le droit romain s’est imposé comme ratio scripta, une « raison écrite »,
base sur laquelle tout juriste devait s’appuyer pour régler les difficultés en cas de
lacune ou d’insuffisance des coutumes.
Le droit civil a ainsi été à travers les âges le vecteur privilégié de
l’élaboration du savoir et de la technique juridique, ce qui en fait un droit au
pouvoir évocateur particulièrement puissant. On peut ainsi distinguer plusieurs
phases qui forment une histoire de l’interprétation du Corpus iuris civilis.
La première phase est celle de la glose qui naît en Italie et dont le
représentant le plus célèbre en France est Bartole (1313-1356). Le mot « glose »
signifie en grec « mot » ou « langue ». Il s’agit ainsi d’expliquer le sens des
mots présents dans le corpus romain. Les premiers commentateurs sont à
l’origine des héritiers des grammairiens qui ajoutent des commentaires entre les
lignes du texte original ou dans la marge (gloses marginales) afin d’en éclairer le
sens. Tout l’art de la glose réside dans une casuistique qui consiste à montrer
que des textes en apparence contradictoires redeviennent compatibles en
distinguant les cas auxquels ils s’appliquent. Progressivement, les gloses se
feront de plus en plus hardies et viseront à adapter le vieux texte romain aux
conditions de vie de l’époque. Le mouvement de la glose va s’éteindre lorsqu’il
en arrivera à gloser sur lui-même : au bout de cinq siècles, tout avait été dit ou
presque.
La deuxième phase est celle de l’humanisme juridique dont la figure de
proue est Jacques Cujas (1522-1590). L’humanisme est un courant de pensée
plus vaste qui consiste dans la redécouverte des auteurs de l’Antiquité grecque
ou romaine et la croyance en une possibilité de rendre l’homme plus humain par
la culture. Ce retour aux sources va engendrer la méthode historique qui tentera
de dépasser les contradictions et les obscurités du droit civil romain en utilisant
des sources externes au Corpus iuris civilis. Cette méthode produira des
résultats indéniables en retraçant la pensée de chaque auteur dans un souci de
vérité historique. Elle va retenir l’attention des praticiens surtout pour affirmer
devant les tribunaux les prérogatives du souverain et de l’État.
Au mos italicus (méthode italienne de la glose) et au mos gallicus (méthode
française de Cujas) succède le mos geometricus, approche mathématique du
droit par Jean Domat (1625-1696), ami du philosophe Pascal et contemporain de
Descartes. Son idée est de trouver, comme dans les mathématiques, des
axiomes, c’est-à-dire des points de départ indémontrables mais certains pour le
raisonnement. Pour cela, il s’élève au-dessus de la diversité des cas pour
atteindre la généralité sous forme de règles. C’est par une telle méthode qu’il va
créer des principes qui seront repris dans le Code civil de 1804 et qui sont
encore en vigueur aujourd’hui. Il pose notamment comme principe pour tous les
contrats qu’ils « tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » (rédaction actuelle
de l’article 1103 du Code civil). On perçoit ici le poids et l’importance de
l’héritage savant dont le droit civil bénéficie, ce qui le distingue assurément
d’autres branches du droit qui n’ont parfois que quelques dizaines d’années
d’existence (comme le droit des faillites désigné par l’appellation technique de
« procédures collectives »).
Cette longue chaîne de méthodes employées pour interpréter le corpus
romain trouvera son terme dans l’œuvre de Robert-Joseph Pothier (1699-1772),
qualifié de « père du Code civil ». En effet, celui-ci va réaliser une synthèse de
très grande ampleur en purifiant le droit civil de tous les débats théoriques afin
d’en présenter une version simple et facile d’accès. Il procède en exposant des
définitions courtes qu’il illustre par des exemples. Sa synthèse irremplaçable va
servir de réservoir inestimable pour la création du Code civil de 1804. Plus que
jamais, le droit civil moderne, et même contemporain, s’affirme comme un
produit de l’histoire.
III. – L’enracinement politique :
le Code de 1804

L’histoire est connue pour sa dimension emblématique : Napoléon


Bonaparte veut rompre avec la diversité des coutumes sur le territoire français
afin de confirmer l’unité politique nationale et la puissance de son règne. Aussi
aurait-il déclaré « ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ;
Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires ; ce que rien n’effacera, ce qui
vivra éternellement, c’est mon Code civil1 ».
Napoléon fit tout pour que l’œuvre soit enfantée en seulement quarante-trois
mois, allant jusqu’à intervenir personnellement dans la discussion de certains
articles, comme ceux relatifs à la vente lésionnaire – car il ne pouvait concevoir
que les Français puissent brader le territoire national, c’est-à-dire vendre la terre
à vil prix.
Napoléon eut la perspicacité de composer une équipe éclectique de quatre
juristes représentant chacun une tendance du droit français : Félix Julien Jean de
Bigot de Préameneu, ancien avocat au parlement de Rennes pour la coutume de
Bretagne, François Denis Tronchet, président du Tribunal de cassation et ancien
avocat au parlement de Paris, également issu d’un pays de droit coutumier et
représentant du droit parisien, Jacques de Maleville, ancien avocat au parlement
de Bordeaux, représentant le Périgord connaissant les coutumes romanisées, et
enfin Jean-Étienne-Marie Portalis, ancien avocat au parlement d’Aix-en-
Provence, représentant les pays de droit écrit influencés par le droit romain.
Sous la pression de Napoléon, ils achevèrent le projet en à peine quatre mois.
Cet exploit de célérité ne peut se comprendre qu’en raison des très larges
emprunts faits dans l’œuvre de Domat et Pothier et par l’excellence certaine de
ces quatre grands noms du droit. « Le Code civil des Français », selon son
intitulé initial, s’annonce ainsi comme une œuvre modérée et équilibrée. En
effet, elle met en balance l’ancien droit et le droit révolutionnaire, la coutume et
le droit écrit. Le Code civil est le seul à s’appeler « Code Napoléon » ou « Code
napoléonien » alors que les codifications napoléoniennes vont ensuite s’étendre
à la procédure civile (1806), au commerce (1807), à l’instruction criminelle (la
procédure pénale, 1808) et au droit pénal (1810).
À la différence du droit civil romain, le droit civil est compris de façon
étroite : les peines, la procédure et le commerce font l’objet de législations
distinctes. Le droit civil ne contient plus l’intégralité du droit mais demeure le
socle et le modèle des autres branches du droit. Le Code civil réintègre par
ailleurs la question du mariage qui était jusqu’alors du ressort de l’Église (droit
canon). Le plan du Code civil de 1804 reste à ce jour inchangé, il est formé de
trois grandes parties intitulées « Des personnes » (qui couvre en réalité tout le
droit de la famille) ; « Des biens et des différentes modifications de la
propriété » ; et enfin « Des différentes façons d’acquérir la propriété » (le livre le
plus vaste qui comprend tous les contrats, la responsabilité, les régimes
matrimoniaux, les successions et les sûretés).
Le Code civil de 1804 va susciter pendant tout le XIXe siècle une grande
effervescence intellectuelle : les auteurs le commentent article après article
comme l’on commenterait les versets de la Bible. Pour cette raison, ils ont été
raillés par les auteurs du début du XXe siècle comme étant une « école de
l’exégèse », ce terme désignant normalement l’interprétation des textes sacrés.
Ainsi, les auteurs du XIXe siècle (Demolombe, dénommé « le prince de
l’exégèse », Troplong, Toulier, Marcadé, Demante, Duranton, Delvincourt,
Laurent, etc.) ont été décrits par leurs successeurs comme des lecteurs serviles
de la lettre du Code civil, étant supposés avoir à son égard la même déférence
que pour un texte sacré. Or, les auteurs les plus critiques du début du XXe siècle,
comme François Gény (1861-1959) ou Julien Bonnecase (1878-1950), n’ont pas
réussi à imposer un modèle réellement différent. En pratique, Marcel Planiol
(1853-1931) va publier en 1899 son Traité élémentaire de droit civil qui
consacre la méthode employée par les exégètes strasbourgeois Charles Aubry et
Charles Rau. Il s’agit d’exposer le droit en vigueur à un moment donné (dit
« droit positif ») sous la forme de théories générales qui forment le cœur de
l’exposé. C’est une œuvre doctrinale désignée comme étant une dogmatique,
encore un terme relevant du domaine théologique. La dogmatique juridique
consiste à décrire les solutions admises en droit positif de façon systématique et
abstraite en construisant des théories générales.
Le point le plus remarquable dans l’évolution du droit civil tout au long du
XXe siècle sera la redécouverte de l’importance de la jurisprudence dans
l’argumentation. Adhémar Esmein (1848-1913) fonde en 1902 la Revue
trimestrielle de droit civil qui s’applique à commenter les arrêts rendus par la
Cour de cassation comme on commenterait la loi. Le droit civil ne se réduit plus
à la législation civile : il intègre dans l’analyse les décisions de justice de la plus
haute juridiction française. Les auteurs parviennent par cette voie à rénover la
compréhension d’un texte qui est déjà centenaire en incitant les juges à faire
œuvre prétorienne au sens romain du terme, c’est-à-dire à créer de nouvelles
règles. C’est l’époque des grands arrêts de la jurisprudence civile avec
l’explicitation de principes considérés comme sous-jacents dans le Code civil :
l’interdiction de l’enrichissement sans cause pour pallier les transferts de valeur
injustifiés (arrêt Patureau c. Boudier, 1892), la création de l’abus de droit qui
limite la toute-puissance du propriétaire (arrêt Coquerel c. Bayard, 1913), la
création d’une responsabilité générale du fait des choses pour faire face aux
premiers accidents de la circulation (arrêt Jand’heur, 1930) et la découverte de
l’interdiction des troubles anormaux de voisinage (bruits, fumées, odeurs, etc.)
dans les années 1960 qui permet d’engager la responsabilité du voisin sur la
base de la seule preuve du dommage. Henri Capitant (1865-1937) accompagnera
le début de ce mouvement en créant un Recueil des grands arrêts de la
jurisprudence civile (1934) qui s’inspire des casebooks (études de cas) usités à
la même époque aux États-Unis.

IV. – Les réformes contemporaines

Par ses analyses, la doctrine juridique s’affirme comme un contrepoids


politique face au législateur en influençant et inspirant l’interprétation des juges.
Georges Ripert (1880-1958) est l’auteur phare pour l’expression d’une vraie
force politique de la doctrine. Le doyen Carbonnier (1908-2003), ayant voulu
insuffler dans l’analyse juridique une dimension sociologique, se verra confier le
soin de réformer le droit civil des régimes matrimoniaux (1965), des incapacités
(1968) de la filiation et du divorce (1975). Aujourd’hui encore, bien des auteurs
voient dans la possibilité de tenir la plume législative le couronnement et la
consécration de toute une œuvre.
Ainsi, on peut décrire le droit civil de la deuxième moitié du XXe siècle
comme celui des réformes, elles ne vont que s’accélérer et remplacer
progressivement des pans entiers du Code civil comme l’on rénove planche par
planche le bateau de Thésée. L’idée maîtresse de la plupart des mouvements de
réforme est celle d’égalité. Ainsi l’égalité entre époux est totalement consacrée
en 1985 à propos des pouvoirs et de la propriété des biens dans le cadre du
mariage. En 1999, la loi soumet au même régime fiscal les concubins (union de
fait) et les mariés ou pacsés (unions de droit), première porte d’entrée qui a
permis de justifier l’extension du mariage aux personnes de même sexe en 2013.
Depuis 2001, le droit successoral ne distingue plus entre les enfants nés d’un
adultère et les enfants légitimes du mariage. Le divorce a été facilité et l’idée de
faute n’a plus désormais qu’une portée symbolique (2004). Le divorce par
consentement mutuel peut même se faire sans juge depuis 2018, simplement
avec des avocats et devant un notaire. Le droit des sûretés, élément fondamental
du crédit, a été refondu en 2006, puis la prescription civile en 2008. L’une des
dernières réformes d’ampleur, celle du droit des contrats et du régime général
des obligations a été conçue dans les bureaux de l’exécutif (par ordonnance) sur
délégation du parlement en 2016. Les chantiers en cours sont ceux de la
responsabilité civile et du droit des biens qui feront sans doute disparaître les
derniers contenus du Code civil de 1804.
Cependant, il ne faut pas s’y tromper : les réformes du droit civil
patrimonial ne bouleversent que très peu la structure et l’économie du
raisonnement. Le plus souvent, la codification se fait à droit constant, c’est-à-
dire que le législateur se contente d’intégrer les innovations jurisprudentielles
dans la loi pour leur donner plus de pérennité.
1. Ch. F. T. de Montholon, Récits de la captivité de l’empereur Napoléon à Sainte-
Hélène, 1847, t. I, p. 401.
CHAPITRE II

Un modèle intellectuel

I. – Une matrice pour les autres branches du droit

Alors qu’à Rome le droit civil était droit de la cité et donc comprenait à ce
titre l’intégralité du droit, l’histoire a permis l’affirmation progressive de
l’autonomie de certains pans de la vie économique et sociale. L’époque
contemporaine est devenue celle de la pulvérisation du droit en domaines de
spécialités de plus en plus étroits : on parle aujourd’hui d’un droit immobilier,
d’un droit de la santé ou d’un droit de la consommation et déjà d’un droit du
numérique.
L’enjeu de l’existence d’une branche du droit est son autonomie – c’est-à-
dire sa capacité à créer des concepts propres pour le raisonnement, mettant à
l’écart les régimes usuels du droit civil et permettant de dessiner une autre forme
de cohérence. L’exemple le plus frappant à cet égard est celui du droit pénal
moderne traversé par le principe de légalité des délits et des peines (toute
infraction et toute peine doivent être définies préalablement par la loi), alors que
la faute civile ne fait l’objet d’aucune définition précise et peut être librement
retenue par le juge. On peut encore prendre comme exemple le droit
administratif qui va développer un régime de responsabilité autonome et des
notions propres comme celle de service public. Le droit commercial va assouplir
certaines exigences de preuve et proposer des séries de règles propres mieux
adaptées à la vie économique. Les exemples pourraient être multipliés, mais ce
qui doit retenir l’attention est la façon dont le droit civil a durablement structuré
la façon de penser chaque nouvel objet juridique.
Le droit civil est le lieu de naissance d’une certaine façon de penser :
résoudre les conflits en les transformant en litiges à l’aide de catégories propres.
L’invention romaine du litige (du latin litigium « la contestation, la dispute »)
permet de civiliser le conflit dans la cité, c’est-à-dire de le formuler dans les
catégories du droit. Le conflit de personnes (potentiellement violent) devient un
conflit d’objet (relevant d’une argumentation rationnelle). Toutes les autres
branches du droit peuvent être explicitées et comprises à partir de ce modèle
fondamental.
Le droit pénal est sans conteste l’exemple le plus significatif. À Rome, il
existait des peines qui étaient intégrées dans le procès civil : en cas de vol, il y
avait par exemple restitution au double ou au quadruple, ce qui excédait la seule
réparation du dommage. Sous l’Ancien Régime et jusqu’à la Révolution
française existaient encore des lettres de cachet servant à l’incarcération d’une
personne sur ordre du roi. Le droit pénal moderne va précisément naître lorsque
la punition infligée par le souverain sera pensée dans les formes du droit civil,
c’est-à-dire comme un litige entre le prévenu et l’État. L’innovation réside dans
ce que le procès n’oppose plus deux personnes privées mais bien un particulier
et l’État, personne publique par excellence qui représente l’intérêt général de la
société. La punition est ainsi techniquement légitimée par le droit grâce à
l’existence d’infractions qui permettent de définir le litige entre le prévenu et le
souverain. Le procureur du roi – aujourd’hui de la République – se fait l’avocat
de l’intérêt commun et requiert une peine. En face, l’avocat de la personne jugée
argumente contradictoirement sur les faits et le droit pour innocenter son client.
La véritable victime du crime ou du délit n’est ainsi plus nécessairement
présente au procès pénal, il faut qu’elle se constitue « partie civile » – un terme
évocateur – pour que la réparation de son dommage soit ordonnée par le juge
pénal qui tranche ainsi un second litige. Sinon, la victime devra faire une
procédure parallèle classique devant le juge civil. Le procès pénal se dote d’une
procédure autonome pour la recherche de la vérité : c’est l’instruction criminelle
et tout le régime complexe de l’enquête. Le droit pénal qui fait aujourd’hui
figure d’exemple caractéristique du droit est pourtant issu du croisement de la
technique civile du procès et d’un acte de puissance souveraine qui consiste à
maintenir l’ordre. À cet égard, la procédure pénale est un véritable rempart
contre l’arbitraire du pouvoir et légitime en même temps l’exercice de ce
pouvoir. Pour cette raison, le droit pénal a toujours suscité une difficulté de
classification : est-il du droit privé (entre personnes privées) ou du droit public
(entre une personne privée et une personne publique) ? La réponse paraît claire :
il est du droit public par son objet (punir pour maintenir l’ordre) et du droit privé
par sa technique issue du droit civil.
Cette idée de croisement entre la technique civiliste privée et la puissance
publique éclaire tout le développement du droit public. Si juger l’administration
n’est plus administrer mais bien trancher un litige, le juge administratif gagne
une indépendance au regard du pouvoir politique comme ce fut le cas du préteur
romain (voir Seconde partie, chap. I). Ainsi, le droit administratif peut s’affirmer
comme une juridicisation du gouvernement des citoyens qui deviennent des
administrés : la contestation des décisions de n’importe quelle instance
administrative prendra la forme du recours pour excès de pouvoir visant à faire
juger que l’autorité administrative a excédé (c’est-à-dire dépassé) la compétence
qu’elle tenait de la loi ou des règlements. Toute la relation du citoyen à l’égard
de l’administration est pensée selon le modèle du litige civil : de la mutation
d’un fonctionnaire aux dommages causés par les travaux publics en passant par
les permis de construire ou le droit fiscal.
L’avènement du Conseil constitutionnel en tant que véritable juridiction
chargée de contrôler la conformité de la loi à la Constitution signe une fois
encore une limitation du pouvoir par les catégories du droit. Il ne faut pas
oublier que la loi sur le mariage pour tous a aussi fait l’objet de contestations
strictement juridiques et d’un débat de spécialistes. Passé inaperçu dans
l’opinion publique, ce débat portait sur la possibilité pour le législateur
d’adopter une loi qui contrevenait à un principe fondamental reconnu par les lois
de la République (appartenant à la Constitution) consacrant la différence de sexe
dans le mariage. Cette juridicisation de la politique par le droit constitutionnel a
été amplifiée depuis la création en 2009 d’une question prioritaire de
constitutionnalité (la QPC, filtrée par le juge civil) où les particuliers peuvent
dans chaque procès contester la constitutionnalité des lois sur la base desquelles
leur litige est jugé, y compris et surtout en droit pénal.
Dans le même mouvement, les droits de l’homme sont une juridicisation de
l’éthique, c’est-à-dire une façon de penser le conflit de valeurs dans les formes
du droit. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme, juridiction supra-
étatique chargée de veiller à l’application de la Convention européenne des
droits de l’homme, juge toujours un litige entre un citoyen et l’État. Elle peut
être saisie par un citoyen français depuis 1981 alors qu’elle a été créée en 1950.
La décision de justice rendue par le juge français est analysée par le juge des
droits de l’homme comme un acte de puissance publique qui ne doit pas
contrevenir aux droits de l’homme : l’euthanasie, la succession de l’enfant
adultérin, la pénalisation des relations sexuelles sadomasochistes ou encore la
liberté de la presse d’informer font partie des problèmes qui sont examinés par
la Cour européenne des droits de l’homme. Le droit se fait juge du droit, car le
droit étatique en vigueur est jugé à partir des droits de l’homme.
Enfin, la recherche de la paix entre États peut se penser juridiquement selon
le modèle du litige civil, il devient alors un droit des conflits armés et des
relations diplomatiques où la Cour internationale de justice se prononce sur la
violation des traités passés entre États. Il est tout à fait remarquable que ce droit
international se soit souvent vu dénier la qualité de droit au XXe siècle au
prétexte qu’il n’était pas assorti de sanction, bref qu’il n’émanait pas d’une force
politique mondiale, un « État mondial » propre à l’imposer et le faire respecter.
C’est pourtant confondre le droit avec la force et ne pas voir l’autonomie de sa
structure technique : par ses modes de raisonnement, le droit international est,
comme toutes les autres branches du droit, un héritier de la technique civiliste
romaine.
À cette liste, il faudrait encore ajouter le droit de l’Union européenne où la
Cour de justice de l’Union européenne est chargée de faire respecter les traités
fondateurs dont ceux de Maastricht (1992) et de Lisbonne (2009) qui affirment
notamment les principes de libre circulation des personnes, des choses et des
services. On retrouve toujours la même structure du procès, de la procédure et
des catégories permettant à la fois de formuler le litige et de le résoudre selon le
modèle intellectuel légué par le droit romain.
En dehors du droit public, dont le développement s’est affirmé depuis
seulement environ deux cents ans, d’autres branches du droit sont nées dans un
souci de spécialisation de certains secteurs naturellement régis par le droit civil.
La procédure civile est devenue une matière propre, de même que certains pans
de l’activité économique en raison des enjeux qui s’y attachent. Le droit
commercial (notamment le droit des sociétés et la faillite) a fait l’objet d’une
législation autonome et spécialisée tout comme le droit du travail et de la
sécurité sociale. Enfin, le droit international privé a été quasi exclusivement
construit par la jurisprudence pour déterminer la loi applicable en présence d’un
conflit faisant intervenir un élément étranger (mariage conclu par un Français en
Chine, accident de la circulation subi en Italie par un Français, etc.). Il est le
prolongement sur le plan international de la technique et des catégories du droit
civil.
Ce qu’il faut comprendre est que les germes de toutes les législations
spéciales de droit privé étaient déjà présents dans le droit civil qui traite du
contrat de société, des obligations en général et même du louage de services,
ancêtre du contrat de travail. Pour cette raison, l’autonomie des matières
spéciales n’est jamais totale et leurs concepts conservent toujours un lien
organique avec les catégories fondamentales du droit civil. De la même façon, le
droit public n’a pu se penser et s’élaborer qu’en raison du modèle intellectuel du
droit civil.
II. – Une vocation universelle :
l’idée de droit commun

L’idée de droit commun provient du droit romain (ius commune). Elle a une
double signification. Le droit commun renvoie d’une part au socle commun de
concepts qui a permis aux autres branches du droit d’être édifiées. En ce sens, il
est le dénominateur commun de toutes les autres branches du droit et permet
leur interprétation. D’autre part, le droit commun est le droit de référence : toute
question qui n’est pas tranchée par un droit spécial relève du droit commun
c’est-à-dire du droit civil qui est le droit commun de principe en raison de son
antériorité historique et logique.
Une confusion doit être évitée. En effet, chaque droit spécial a son propre
droit commun en tant que droit général à vocation subsidiaire et dénominateur
commun de tous les autres. Par exemple, l’ensemble des délits et des crimes en
droit pénal obéissent tous à la même structure de l’élément légal (définition de
l’infraction), matériel (les faits) et moral (l’intention). S’il existe ainsi un droit
pénal commun de l’infraction il fera lui-même appel, en cas de besoin, au droit
civil, droit commun de principe. Le droit civil est donc bien le tronc donnant
sens aux autres branches du droit et permettant au besoin de les compléter.
 
1. Combler les lacunes. – Le droit civil permet de combler les lacunes de la
loi écrite car il est subsidiaire. Cette subsidiarité signifie que toute question qui
n’est pas tranchée par un droit spécial relève de son domaine. Elle est l’envers
d’un principe d’interprétation fondamental selon lequel le droit spécial déroge
au droit plus général (specialia generalibus derogant). Ainsi, en l’absence de
dispositions spécifiques, c’est le droit civil qui s’applique.
Le droit civil permet de trouver une solution face aux situations nouvelles
auxquelles le législateur n’avait pas pu songer. C’est spécialement le cas des
innovations techniques. Par exemple, que décider si un algorithme, c’est-à-dire
un programme informatique, crée une œuvre originale1 ? On pourrait imaginer
par exemple un programme qui compose automatiquement une mélodie ou bien
un robot qui peint un tableau. À qui faut-il attribuer la propriété de l’œuvre ?
Est-ce au concepteur du logiciel ou bien est-ce au propriétaire de la machine,
voire aux deux ? En effet, il ne s’agit pas d’une création assistée par ordinateur
mais bien d’une création autonome par une intelligence artificielle. Le droit de la
propriété intellectuelle ne considère que les œuvres de l’esprit donc réalisées par
un être humain. En d’autres termes, le droit spécial ne peut trouver à s’appliquer
car le droit d’auteur n’est attaché qu’aux personnes physiques. La solution
consiste à tirer les conséquences de la nature juridique de l’algorithme : c’est
une chose immatérielle (un bien) et toutes les richesses qu’il peut produire
appartiennent alors à son propriétaire. C’est la règle de l’accession prévue par
l’article 546 du Code civil : « On appelle accession le droit en vertu duquel le
propriétaire d’une chose acquiert la propriété de tout ce qui s’unit ou s’incorpore
à sa chose, soit naturellement, soit artificiellement. » Cette règle est elle-même
issue du droit romain : elle visait originellement l’hypothèse des récoltes qui
poussent dans un champ. La formulation très générale de la règle permet
aujourd’hui de traiter le cas inédit de l’intelligence artificielle, cas de figure
impensable en droit romain comme en 1804, date de consécration de la règle
dans le Code Napoléon. À cet égard, le droit civil fait office de droit commun et
permet de trouver une solution à un éventuel litige en l’absence de loi spéciale
qui régit ce cas particulier.
La lacune peut également se dévoiler lorsque aucune règle, même à
l’intérieur du droit civil, n’est appropriée. Par exemple, le contrat de coffre-fort,
contrat usuel proposé par les banques, ne fait l’objet d’aucun régime juridique
particulier dans le droit bancaire. Il doit donc être traité par rattachement à l’une
des grandes figures contractuelles du droit civil : la location ou le dépôt.
Cependant, aucune de ces qualifications ne convient réellement. Dans un bail
(ou location), le locataire a un accès libre à la chose. Or l’accès au coffre-fort ne
peut se faire qu’avec le concours de la banque : même si le client paie un loyer,
il n’est pas juridiquement locataire du coffre-fort. De même, la banque n’est pas
dépositaire des choses gardées dans le coffre-fort car son contenu reste en
principe secret pour elle. Le dépositaire qui reçoit une chose pour la restituer
ultérieurement doit connaître la chose laissée en dépôt. Ce n’est clairement pas
le cas ici. Certains auteurs ont ainsi conclu que le contrat de coffre-fort était
inclassable, qu’il suivait son propre genre (sui generis). Pourtant, les juges ont
pu résoudre un litige dans lequel, à la suite d’un incendie partiel de la banque,
une cliente ne pouvait accéder à son coffre-fort2. Pour cela, ils ont raisonné sur
les concepts les plus généraux du droit des contrats au cœur du droit civil. La
question devient alors de savoir si l’impossibilité d’accès au coffre-fort était une
force majeure, c’est-à-dire un événement imprévisible et irrésistible qui
empêche le débiteur d’une obligation de l’exécuter. Le droit civil permet ainsi
de toujours trouver une solution adaptée par une montée en généralité rendue
possible en raison du fait qu’il contient les catégories universelles du droit : le
contrat, la responsabilité, la propriété, la famille. Ainsi, en droit, il n’existe pas à
proprement parler de vide juridique ou de lacune puisque les concepts et les
règles du droit civil permettent toujours de trouver une solution. Le fait de
pointer les vides ou les lacunes relève d’une évaluation des textes : on peut les
trouver insatisfaisants ou bien déplorer que la législation ne soit pas plus précise.
En réalité, les lacunes du droit sont avant tout traitées par les juges comme étant
formelles, en considérant que le droit peut résoudre ses problèmes de façon
autonome, autrement dit à partir de ses propres outils conceptuels.
Le droit civil rayonne même au-delà du droit privé. Il peut avoir vocation à
s’appliquer à des droits totalement autonomes comme le droit administratif qui
relève en France d’un ordre de juridiction distinct de l’ordre judiciaire. Par
exemple, le juge administratif applique directement les dispositions du Code
civil relatives à la garantie des vices cachés aux marchés publics de fournitures3,
en reprenant même parfois l’interprétation du juge judiciaire sur la nature et
l’interruption du délai de prescription4. En droit de la construction, le juge
administratif s’est inspiré des articles du Code civil en la matière pour créer un
droit analogue. Il retient ainsi la responsabilité décennale des constructeurs qui
les rend responsables pendant dix ans des défauts qui compromettent la solidité
ou l’usage de l’ouvrage (art. 1792 sq. du Code civil). Depuis peu, le juge
administratif ne fait plus formellement référence « aux principes dont s’inspirent
les articles 1792 et 2270 du Code civil ». Si l’autonomie de l’analyse demeure,
la jurisprudence judiciaire elle-même continue d’avoir une influence5. Même si
le droit civil ne s’applique pas directement pour combler les lacunes, il permet
de façonner toute une partie d’un droit spécial.
 
2. Interpréter le droit spécial. – Même lorsqu’une législation spéciale
s’applique, le droit civil est toujours présent en toile de fond. Il permet
d’interpréter le droit spécial et participe à résoudre ses difficultés d’application.
C’est une autre signification du caractère de droit commun du droit civil : il
n’est pas seulement un droit subsidiaire mais également le droit de référence
pour la compréhension des droits spéciaux dont les branches restent attachées au
tronc du droit civil.
Un premier exemple peut être pris dans la loi du 5 juillet 1985 relative aux
accidents de la circulation. L’objectif du législateur était de rompre avec l’idée
de causalité qui, en droit civil, permettait au conducteur de s’exonérer de sa
responsabilité s’il n’avait pas été la cause du dommage de la victime. Ainsi, en
cas d’accidents complexes, la dernière voiture qui heurte les voitures déjà
accidentées ne peut être causalement à l’origine du dommage subi par le piéton
percuté par le premier véhicule. Le législateur eut donc l’idée en 1985 de
rompre avec le concept de causalité et d’introduire l’idée d’implication : tout
véhicule qui intervient dans l’accident doit réparation au piéton, y compris la
dernière voiture qui n’a pas joué un rôle causal et dont le conducteur n’était pas
nécessairement fautif. L’indemnisation est rendue par ailleurs possible par le jeu
de l’assurance obligatoire spécifique en matière automobile. Néanmoins,
l’interprétation autonome de la loi de 1985 n’a jamais été possible, bien que la
notion d’implication ait été voulue comme originale et distincte de la causalité.
En effet, les juges ont admis que si le véhicule avait joué un rôle causal, il était
forcément impliqué (l’inverse n’est pas vrai). Ainsi, la causalité permet de
présumer l’implication : le choc avec un véhicule en mouvement établit
forcément l’implication. Bref, la notion de causalité, inscrite dans le droit civil,
permet d’interpréter une notion de droit spécial. Elle a même permis de
compléter la loi sur des points obscurs comme le recours entre coresponsables
(hypothèse du carambolage) : le rôle causal de chaque véhicule a permis aux
juges de désigner, une fois la victime indemnisée, qui doit supporter la charge
finale de la dette. Par cette voie, la loi spéciale garantit certes une indemnisation
plus rapide à la victime mais elle ne fait pas échapper l’auteur à l’origine de
l’accident à toute responsabilité. Cet exemple illustre le double rôle du droit
civil qui est à la fois modèle d’interprétation pour le droit spécial et droit
subsidiaire.
Un deuxième exemple du modèle d’interprétation que constitue le droit civil
peut être pris en droit pénal. En effet, aussi surprenant que cela puisse paraître,
le droit civil peut se situer en arrière-plan pour la compréhension des infractions
pénales. On peut prendre le cas de l’infraction très courante de vol simple qui est
définie par la loi comme « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui »
(art. L 311-1 du Code pénal). L’idée même de soustraction implique celle de
déplacement. Ainsi, le champ d’application de l’infraction s’éclaire grâce à la
distinction civiliste des meubles et des immeubles : les premiers sont des choses
mobiles (voitures, denrées, marchandises, etc.), les seconds sont des choses fixes
(terres, immeubles bâtis, etc.). Les concepts de droit civil participent ainsi de la
définition des cas de vol et de la distinction avec l’abus de confiance. Ainsi, les
juges ne peuvent condamner sur cette base un locataire qui ne remettrait pas les
clés à l’issue de son bail : un appartement ne pouvant être soustrait (car
« immeuble » au sens civil du terme), il ne peut être volé. Cette interprétation
traditionnelle a pu s’affirmer car les pénalistes du début du XXe siècle ont puisé
dans le droit civil6. Dans la même veine, c’est le concept civiliste de détenteur
précaire qui permet de définir le champ de l’abus de confiance, infraction dans
laquelle la chose est remise volontairement (le détenteur a un titre juridique :
mandat, dépôt, prêt, etc.). Là encore, c’est l’idée de détenteur précaire qui
éclaire une situation très courante, celle où le client d’un magasin part sans avoir
payé à la caisse : sans la conclusion du contrat de vente, il n’a aucune propriété
et la soustraction frauduleuse est caractérisée par l’idée même de possession. Le
droit pénal ne s’interprète pas nécessairement de façon autonome mais en
fonction des concepts fondamentaux du droit civil qui gardent pleine valeur de
modèle pour éclairer les ambiguïtés d’un droit ou d’une législation spéciale.
C’est dire que le droit civil n’est pas un droit comme les autres car il sert de
référence constante dans le raisonnement même en dehors de son champ naturel
d’application en tant que branche du droit (voir Première partie).
1. P.-Y. Gautier, « De la propriété des créations issues de l’intelligence artificielle », La
Semaine juridique. Édition générale, no 37, 10 sept. 2018, p. 1570-1573.
2. Cour de cassation, chambre commerciale, 11 oct. 2005, no 03-10.975.
3. Conseil d’État 24 nov. 2008, Centre hospitalier de la région d’Annecy, no 291539.
4. Conseil d’État 7 avr. 2011, Société Ajaccio Diesel, no 344226.
5. J. Martin « Requiem pour les “principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du
Code civil” », Actualité juridique de droit administratif, no 32, 2015, p. 1819 sq.
6. P.-Y. Gautier, « Émile Garçon et le droit civil », in Une certaine idée du droit.
Mélanges offerts à André Decocq, Litec, 2004, p. 270-273.
CHAPITRE III

Un modèle culturel

I. – Une identité : civil law et common law

En droit comparé, on désigne certains systèmes juridiques comme étant de


tradition civiliste (civil law) pour les opposer aux droits de common law
(littéralement de « droit commun ») qui sont historiquement issus du droit
anglais et que l’on retrouve notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis.
L’expression « tradition civiliste » montre bien la dimension culturelle.
D’ailleurs, les pays de droit civil sont encore appelés « de droit romano-
germanique », « de droit romano-civiliste » ou « de droit continental ». Par cette
dénomination, on veut marquer le fait qu’il s’agit de pays de droit écrit qui se
sont développés sur la base de l’héritage historique romain et de la référence
centrale au Corpus iuris civilis (voir Seconde partie, chap. I). Le droit du
continent est alors mis en parallèle avec le droit outre-Manche et outre-
Atlantique. Cela ne veut bien sûr pas dire que les pays de common law ne
comportent aucune règle en matière de responsabilité, de contrat, de famille et
de propriété. La principale différence tient au fait que les pays de common law
ont pour source première du droit les précédents (décisions de justice faisant
autorité) – et ce malgré la multiplication des codifications –, tandis que les pays
de droit écrit préfèrent comme source la loi, tout en reconnaissant un rôle
important à la jurisprudence. Schématiquement, il est possible d’indiquer ce qui
est admis comme leurs principales différences dans un tableau.

Système civiliste et système de common law

Système civiliste
Système de common law

Source principale du droit

Législation

Jurisprudence (précédents)

Institution centrale

Législateur

Juge

Figure du juge

Anonyme

Personnage public

Opinions des juges

Protégées par le secret du délibéré

Publiées avec possibilité d’opinions dissidentes

Figure du professeur

Centrale

Secondaire

Outils de raisonnement

Catégories et concepts

Faits et cas

Caractères du système
Stabilité et prévisibilité

Souplesse et adaptation

Procédure

Distincte du droit substantiel

Unie au droit substantiel

Procédure pénale

Inquisitoire

Accusatoire

Droit privé et public

Séparés

Unis

Il est certain que les deux systèmes juridiques ont une origine historique
différente : le droit romain pour les pays civilistes et, pour les pays de common
law, le fait que Guillaume le Conquérant, couronné roi d’Angleterre au
XIe siècle, ait institué des juges itinérants chargés de déclarer le droit commun à
tout le royaume. Il ne faut pas non plus sous-estimer le rayonnement culturel de
la codification napoléonienne, consacrant la primauté de l’écrit comme a pu
l’être jadis le droit romain, véritable « raison écrite » (ratio scripta) propre à
argumenter des solutions pour les conflits de chaque époque. Ainsi, la
codification s’est diffusée dans le monde (par exemple le Code civil du Québec
en vigueur depuis 1994 ; Code civil des Pays-Bas en vigueur depuis 1992). Les
pays d’Afrique francophone, dont en dernier lieu Djibouti (loi du 12 avril 2018),
ont nettement subi l’influence codificatrice tout comme les pays de l’ex-bloc
soviétique.
En dehors des différences, les systèmes de tradition civiliste et de common
law convergent, non dans le contenu, mais au regard de leur esprit et de leur
méthode. Les modèles exercent l’un sur l’autre une influence croisée. Ainsi, le
droit administratif français s’est entièrement élaboré sur la base du précédent et
le common law connaît une augmentation de la réglementation et du règne de la
loi (statute law). La jurisprudence est devenue un argument central en droit civil
au XXe siècle à tel point que les revues françaises actuelles contiennent pour une
part écrasante (sans doute plus de 80 %) des commentaires d’arrêts et des
articles faisant la synthèse de la jurisprudence. La Cour européenne des droits de
l’homme tend à imposer aux juridictions nationales son propre mode de
raisonnement par cas qui tient compte des singularités de chaque espèce.
Pourtant, la Cour de justice de l’Union européenne, chargée de faire respecter
les traités de l’Union, conserve une façon de penser plus générale et abstraite.
De notre point de vue, la véritable opposition se situe plutôt entre les droits
occidentaux ayant adopté la figure du procès et du droit savant et les droits
d’Orient. En effet, le développement historique du common law ressemble à s’y
méprendre au droit romain tant du point de vue procédural (importance du cas)
que pour le développement des analyses doctrinales (droit savant). En revanche,
des pays comme la Chine ou le Japon répugnent depuis longtemps à un mode
purement savant de résolution des conflits sur la base du procès et préfèrent une
forme de médiation politique et sociale ancrée dans des valeurs culturelles et
traditionnelles. Le contre-modèle évident est celui des États-Unis où la figure du
procès est un rouage essentiel de la construction démocratique. À cet égard, le
modèle culturel du droit civil est celui d’une technique qui consiste à confier au
juge le soin de traiter des conflits politiques et moraux à partir d’une sphère
constituée pour les besoins de la cause comme autonome. Le droit civil est bien
modèle et prototype de la rationalité juridique occidentale.

II. – Une philosophie : le juste partage

L’aspect le plus profond qu’illustre le droit civil est la philosophie du juste


partage. Celle-ci résulte du croisement de la logique romaine du procès et de la
spéculation philosophique grecque. Selon Aristote, la justice tend à « rendre à
chacun le sien » qu’il s’agisse d’argent, de charges ou d’honneurs. L’art
juridique est donc avant tout un art du partage et non une logique de droits
politiques à opposer à la cité ou à l’État. Le droit civil romain est ainsi censé
respecter l’ordre des choses soit en le prolongeant (justice commutative : une
chose en échange d’une autre) soit en le rétablissant s’il a été rompu (justice
distributive : rendre à chacun le sien). À cet égard, le droit paraît impensable
sans la figure du juge qui donne corps au procès civil et d’où la logique
législative procède.
 
1. Le procès civil. – Le procès civil est une institution spécifique réglée par
une procédure propre qui permet de saisir le juge. En droit romain, l’action
précédait le droit. Dans le droit contemporain, l’action en justice est une liberté,
le droit d’accès à un tribunal est consacré comme un droit de l’homme à travers
l’idée de procès équitable. L’idée commune reste que le juge est un tiers
impartial et désintéressé. Littéralement, il ne prend pas de part dans le partage à
effectuer (impartial). L’office du juge est de dire le droit et de trancher les
litiges, et pour cela, il s’appuie sur une connaissance experte du droit qui
privilégie une interprétation autonome. Le droit savant est le prolongement
intellectuel de l’impartialité statutaire et morale du juge. Bien que participant à
la vie politique, le juge est rarement élu et, lorsque c’est le cas, ce n’est que par
un cercle d’experts ou de professionnels (juridictions consulaires en droit
commercial ; prud’hommes en droit du travail).
Pour cette raison, les juristes de droit civil sont historiquement apparus
comme recherchant équité et justice à travers des règles et concepts qui étaient
censés en être le reflet. Cette forme idéalisée est restée dans la mémoire
collective du droit et structure de façon durable notre rapport au juge et sa place
dans la société. Cette logique a irrigué tous les droits spéciaux qu’ils soient
privés ou publics.
Toutefois, par un curieux retournement, cette philosophie juridique
multiséculaire tend à être remise en cause. Le XXe siècle a vu se développer aux
États-Unis le courant intellectuel du réalisme juridique qui dénonce le droit
comme un artifice masquant les véritables intérêts politiques en conflit. En
France, la critique commence à pénétrer les esprits et prend la forme d’un débat
sur la façon de raisonner du juge : doit-il se conformer à l’art de l’équitable et du
juste en maniant règles et principes ou bien son office est-il de mettre en balance
les intérêts privés qui sont derrière ces mêmes règles ? Un arrêt rendu par la
Cour de cassation le 4 décembre 2013 a fait éclater au grand jour cette question.
Les juges ont écarté la nullité du mariage entre alliés prévue par la loi (art. 161
du Code civil) alors que la belle-fille était devenue épouse de son beau-père.
Celui-ci étant forcément plus âgé (il était grand-père du petit-fils et devenu son
beau-père), il décède avant son ex-belle-fille. L’ex-mari voit alors son ex-épouse
entrer avec lui en concurrence pour la succession de son père ! Or la nullité pour
les mariages consanguins ou entre alliés peut être demandée pendant trente ans
et, en l’espèce, le mariage avait duré vingt-deux ans. Sur la base du fait que
personne n’avait sollicité la nullité de cette union et en invoquant le respect de la
vie privée, la Cour de cassation a refusé d’annuler le mariage – annulation qui
aurait entraîné selon elle des conséquences disproportionnées. Cette décision a
été suivie d’autres mettant en avant cette logique de balance des intérêts dans
divers domaines, dont le refus de démolition d’un ouvrage mal construit1 et une
mesure d’interdiction du territoire pour un condamné pénal2. Si le juge s’est
défendu d’avoir remis en cause le mariage entre alliés (via un communiqué de
presse), c’est pourtant bien ce qu’il a fait ! Il a traité la demande en nullité du
requérant comme une ingérence étatique dans la vie privée du défendeur. Ce qui
est remarquable dans cette nouvelle façon de penser le procès civil (et même le
procès en général) est que le juge traite prioritairement sa propre décision de
justice comme une intervention dans les libertés des citoyens. Pourtant, la
logique civiliste traditionnelle est horizontale et non verticale. Elle intéresse un
arbitrage de rapports privés dans le souci d’une justice proportionnée et non une
appréciation de la proportionnalité de l’ingérence d’un pouvoir public.
Cependant, trancher un litige entre particuliers consiste forcément à porter
atteinte à une liberté (la propriété et la vie privée recouvrent à peu près
l’intégralité du champ patrimonial et extrapatrimonial). Toute action en justice
est en soi une ingérence dans les libertés de chacun. D’ailleurs, le droit de
propriété de l’ex-mari n’était-il pas atteint par l’existence même de cette union
illégale ? Cette logique est celle des droits de l’homme, droits subjectifs
(détenus par un sujet de droit) qui sont censés permettre de résister face au
pouvoir étatique et à ses oppressions possibles. Que cette logique soit transposée
dans un litige entre particuliers marque un changement de philosophie où la
question n’est plus l’équité mais la liberté. On ne saurait donc transposer
mécaniquement le contrôle de proportionnalité (mode de protection des libertés
à l’égard des pouvoirs publics) pour arbitrer les conflits entre particuliers sans
modifier la philosophie du procès civil.
Le propre de la philosophie civiliste est en effet le respect de la loi écrite.
S’il existe un délai (ici de trente ans) à respecter formellement pour demander la
nullité du mariage, c’est bien pour que le juge n’exerce pas une appréciation
arbitraire. En d’autres termes, il n’appartient pas au juge civil de peser à
nouveau ce que le législateur a lui-même déjà estimé. Cette mission de contrôle
de la loi est normalement dévolue au Conseil constitutionnel qui exerce ce
contrôle a priori (avant que la loi soit votée) et désormais a posteriori lors d’un
procès par la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité.
Cependant, ce dernier mécanisme de droit interne entre partiellement en conflit
avec le champ d’application de la Convention européenne des droits de l’homme
dont le juge est supranational. La Cour de cassation se trouve ainsi à la fois juge
de l’opportunité de transférer les questions prioritaires de constitutionnalité au
Conseil constitutionnel et soumise à la pression hiérarchique de la Cour
européenne des droits de l’homme. Finalement, la Cour de cassation est tentée
d’exercer un office semblable. Alors que le droit civil s’est construit comme une
sphère contiguë et séparée de la politique, il semble qu’on se dirige
progressivement vers une politisation du juge. Si la tendance devait se
poursuivre, ce serait indéniablement un changement culturel profond dont toutes
les conséquences n’ont pas encore été analysées.
 
2. La législation civile. – La législation civile est encore un autre domaine
fortement marqué par une philosophie du juste. C’est au terme d’une longue
évolution que la charge de dire le juste en général est devenue une prérogative
des pouvoirs politiques. L’une des caractéristiques premières de la législation
civile est de poser des règles générales. La tendance actuelle est à la
réglementation et à la législation de détail, ce qui dénote une volonté d’utiliser le
droit comme un outil d’administration et non de justice.
La question se pose alors de savoir si la législation civile peut être
seulement vue comme un acte de pure volonté ? Selon les mots célèbres de
Portalis, « les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de
sagesse, de justice et de raison3 ». Les juristes médiévaux s’étaient déjà inquiétés
de la toute-puissance de la technique romaine de la fiction qui permettrait de
déclarer père un homme plus jeune que la personne adoptée4. Ils souhaitaient
que le modèle naturel forme une limite face à la volonté. Un mot célèbre attribué
à Jean-Louis Delolme au XVIIIe siècle va dans le même sens lorsqu’il écrit que
« le Parlement anglais peut tout faire sauf changer un homme en femme ».
Le face-à-face entre le pouvoir de la loi et l’être des choses ou des personnes
est étonnamment actuel. L’animal a été introduit dans le Code civil comme un
« être vivant doué de sensibilité5 ». Si la disposition est pour l’heure symbolique
car elle ne modifie pas les règles applicables à l’animal (il est traité comme une
chose dont on est propriétaire), elle marque une prise de position du législateur
sur sa place et son statut et prépare la création d’un nouveau corps de règles,
peut-être une troisième catégorie entre les choses et les personnes. Ce problème
est aussi celui de la personnalité juridique des robots : doivent-ils être
juridiquement traités comme des personnes comme le propose le Parlement
européen ? Il existe pourtant déjà des cas extrêmes puisque la personnalité
juridique a été reconnue à une idole en Inde, ce qui lui a permis d’agir en justice
pour récupérer des biens considérés comme injustement aliénés6. La cour
d’appel de Londres a accepté un appel formé au nom du dieu Shiva contre une
société ayant acquis une statuette de la divinité7. La Haute Cour d’un État indien
a jugé le 30 mars 2017 qu’un fleuve pouvait être titulaire de droits
fondamentaux en tant que personne vivante8. Enfin, une loi bolivienne a accordé
la personnalité juridique à la nature9. Les catégories juridiques incitent à traiter
comme des réalités ce qui ne relève pourtant que d’une construction
intellectuelle. En reconnaissant la personnalité juridique aux robots, le droit
ferait bien plus que proposer une solution technique, il validerait une nouvelle
réalité. La loi tend à susciter et à créer ce qu’elle déclare, à savoir que les robots
sont des personnes puisqu’ils sont traités comme tels par le droit.
Derrière chaque volonté de changer la législation civile, il y a ainsi une
certaine philosophie qui ne dit pas forcément son nom. La reconnaissance d’un
sexe neutre (ni homme ni femme) a été argumentée comme devant répondre à la
souffrance d’individus s’en revendiquant10. Mais le but de la loi est-il de
répondre à la souffrance d’individus ou bien de trancher des litiges ? Un trouble
s’installe sur le sens et la place de la législation. De même, c’est au nom d’une
égalité de principe que le mariage a été étendu aux personnes de même sexe. Un
mariage entre personnes de même sexe ouvre forcément vers une conception
volontariste de la filiation si l’on veut respecter jusqu’à son terme la logique de
l’égalité. Le modèle du sang doit être renversé au profit de la volonté et ainsi la
filiation naturelle cèderait le pas à une filiation volontaire11. Il n’est guère besoin
d’approfondir pour comprendre qu’un tel type de changement ne relève pas
d’une simple modification technique mais engage directement une réponse à la
question de savoir ce que nous sommes en tant qu’êtres, parents, couple et
famille.
Ainsi, la législation civile ne peut se contenter de s’adapter aux faits et de
les valider12. Elle a une fonction instituante et dit ce que les choses doivent être
en dépit de comportements ou d’attitudes contraires. Elle a indéniablement une
visée évaluative et reflète plus qu’un choix de société : elle affirme une certaine
conception de l’homme et de son rapport au monde.
La législation civile est bien le lieu privilégié où se forgent les valeurs
fondamentales et se dénouent des choix philosophiques cruciaux. Le droit civil a
assurément la valeur d’un modèle culturel, lui-même fondé sur un modèle de
pensée légué par l’histoire. Plus que jamais, il ne peut se réduire à n’être qu’une
branche du droit. Il est l’arbre dont le fruit est censé nourrir en retour toute la
société qui l’a cultivé et le symbole de ses aspirations profondes.
1. Cour de cassation, 3e chambre civile, 15 oct. 2015, no 14-23612.
2. Cour de cassation, chambre criminelle, 3 juin 2015, no 14-86507.
3. J. M. E. Portalis, Discours préliminaire du premier projet de Code civil [1801],
Éditions Confluences, 2004, p. 14.
4. Voir, au sujet de la fiction dans le droit romain, Y. Thomas, « Fictio legis. L’empire de
la fiction romaine et ses limites médiévales », Droits. Revue française de théorie
juridique, no 21, 1995, p. 48.
5. Code civil, art. 515-14.
6. D. Mouralis, « Une idole hindoue doit-elle être dotée de la personnalité juridique ? Une
critique de l’arrêt Mullick vs Mullick », in Droit civil, civilité des droits. Mélanges en
l’honneur de Jean-Louis Mouralis, 2011, p. 207.
7. Bumper Development Corp., Ltd vs Commissioner of Police of the Metropolis, 1991,
1 WLR 1362.
8. MCC 139/2017, Lalit Miglani vs State of Uttarakhand.
9. Loi sur les droits de la terre mère, no 071, 21 déc. 2010.
10. M. Gobert, « Le sexe neutre ou de la difficulté d’exister », La Semaine juridique
édition générale, no 25, 2017, 922.
11. F. Rouvière « Le concept d’homoparentalité : une analyse méthodologique », Gazette
du Palais, 6 et 7 mars 2013, p. 5 sq.
12. Ch. Atias, D. Linotte, « Le mythe de l’adaptation du droit au fait », Recueil Dalloz,
1977, p. 251 sq.
GLOSSAIRE

Arrêt. – Décision de justice émanant d’une cour.


Conseil d’État. – Juridiction la plus élevée de l’ordre administratif qui contrôle
en dernier ressort les décisions des tribunaux administratifs et des cours
administratives d’appel. Exceptionnellement, il dispose d’une compétence
réservée pour certains litiges en premier ressort ou en appel.
Cour de cassation. – Juridiction la plus élevée de l’ordre judiciaire en droit
interne qui contrôle exclusivement les questions de droit traitées par les
cours d’appel et parfois les tribunaux de première instance, à l’exclusion des
questions de fait. Elle comporte trois chambres civiles, une chambre
commerciale, une chambre sociale et une chambre criminelle. Elle comporte
également une formation solennelle qui les réunit toutes, l’Assemblée
plénière, ou certaines d’elles (chambre mixte) pour statuer sur les cas et les
questions les plus importants. Auparavant, elle comportait d’autres
formations spéciales comme les chambres réunies ou la chambre des
requêtes.
Cour d’appel. – Juridiction supérieure statuant en fait et en droit sur les recours
formés contre les décisions de première instance (principe du double degré
de juridiction).
Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). – Juridiction
supranationale qui peut être saisie après épuisement des voies de recours
internes pour statuer sur l’éventuelle violation par l’État des droits garantis
dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés
fondamentales. Ses arrêts peuvent condamner l’État mais ne modifient pas
directement le droit positif de l’État concerné.
Doctrine. – Ensemble des auteurs et de leurs écrits analysant et commentant le
droit positif.
Droit positif. – Droit en vigueur à un moment donné dans un système juridique
donné.
Jurisprudence. – Le terme renvoie soit à l’ensemble des décisions de justice (la
jurisprudence), soit à une solution précise sur un problème donné (une
jurisprudence) soit à une série de décisions réitérant une même solution
(jurisprudence constante).
Loi. – Norme générale édictée par le Parlement dans des domaines réservés par
la Constitution (droit civil, droit pénal, libertés, impôts,
nationalisations, etc.).
Patrimonial. – Qui relève des relations évaluables en argent (créances,
propriétés) par opposition à l’extrapatrimonial qui relève des relations qui ne
sont pas pécuniaires (filiation, autorité parentale, état civil, droits de
l’homme, etc.).
Règlement. – Norme générale édictée par le pouvoir exécutif (Président,
Premier ministre, autorités administratives indépendantes, collectivités
territoriales, préfets, maires) en dehors du domaine de la loi.
Tribunal de grande instance (TGI). – Juridiction de première instance de droit
commun chargée principalement de trancher les litiges civils à charge
d’appel. Au 1er janvier 2020, il est devenu le « Tribunal judiciaire ».
BIBLIOGRAPHIE

La bibliographie sur le droit civil est immense. Nous signalons seulement ici
les grandes références pour approfondir les thèmes abordés. Les traités
exposant le droit en vigueur aux XIXe ou XXe siècles ne sont pas cités
pour se concentrer sur le droit civil actuel. De même, les références déjà
citées en notes de bas de page ne sont pas reprises.

PRINCIPAUX TRAITÉS,
OUVRAGES ET MANUELS DE DROIT CIVIL

Aubert (J.-L.) et Savaux (É.), Introduction au droit et aux thèmes


fondamentaux du droit civil, Sirey, 17e édition, 2018.
Buffelan-Lanore (Y.) et Larribau-Terneyre (V.), Droit civil. Introduction,
biens, personnes, famille, Sirey, 20e édition, 2017.
Capitant (H.), Terré (F.) et Lequette (Y.), Les Grands Arrêts de la
jurisprudence civile, t. I, Introduction, personnes, famille, Dalloz, 13e
édition, 2015.
Capitant (H.), Terré (F.), Lequette (Y.) et Chénedé (F.), Les Grands Arrêts
de la jurisprudence civile, t. II, Obligations, contrats spéciaux, sûretés,
Dalloz, 13e édition, 2015.
Carbonnier (J.), Droit civil, Puf, « Quadrige manuels », 2017.
Desgorces (R.), Aubry (H.) et Naudin (E.), Droit civil. Les grandes
décisions de la jurisprudence, Puf, « Thémis », 2011.

Personnes
Cornu (G.), Droit civil. Les personnes, Montchrestien, 13e édition, 2007.
Malaurie (Ph.), Droit des personnes, Défrénois, 10e édition, 2018.
Terré (F.) et Fenouillet (D.), Droit civil. Les personnes, Dalloz, « Précis » »,
8e édition, 2012.
Teyssié (B.), Droit des personnes, LexisNexis, 20e édition, 2018.
Zenati-Castaing (F.) et Revet (Th.), Manuel de droit des personnes, Puf,
« Droit fondamental », 2006.

Famille

Cornu (G.), Droit civil. La famille, Montchrestien, 9e édition, 2006.


Egéa (V.), Droit de la famille, LexisNexis, 2e édition, 2018.
Malaurie (Ph.) et Fulchiron (H.), Droit de la famille, Defrénois, 6e édition,
2018.
Terré (F.), Fenouillet (D.) et Goldie-Genicon (Ch.), Droit civil. La famille,
Dalloz, « Précis », 9e édition, 2018.

Droit des obligations

Bénabent (A.), Droit des obligations, Montchrestien, 17e édition, 2018.


Billau (M.) et Loiseau (G.), Le Régime des créances et des dettes, LGDJ,
« Traité de droit civil », 2005.
Brun (Ph.), Responsabilité civile extra-contractuelle, LexisNexis, 5e édition,
2018.
Fabre-Magnan (M.), Droit des obligations, t. I, Contrat et engagement
unilatéral, Puf, « Thémis », 4e édition, 2016.
Fabre-Magnan (M.), Droit des obligations, t. II, Responsabilité civile et
quasi-contrats, Puf, « Thémis », 4e édition, 2019.
Flour (J.), Aubert (J.-L.) et Savaux (É.), Droit civil. Les obligations, t. I,
L’Acte juridique, Sirey, 17e édition, 2019.
Flour (J.), Aubert (J.-L.) et Savaux (É.), Droit civil. Les obligations, t. II,
Le Fait juridique, Sirey, 15e édition, 2019.
Flour (J.), Aubert (J.-L.) et Savaux (É.), Droit civil. Les obligations, t. III,
Le Rapport d’obligation, Sirey, 10e édition, 2020.
Loiseau (G.) et Serinet (Y.-M.), La Formation du contrat, t. I, Le Contrat –
 Le Consentement, LGDJ, « Traité de droit civil », 4e édition, 2013.
Loiseau (G.) et Serinet (Y.-M.), La Formation du contrat, t. II, L’Objet et la
Cause – Les Nullités, LGDJ, « Traité de droit civil », 4e édition, 2013.
Mekki (M.), Fenouillet (D.) et Malinvaud (Ph.), Droit des obligations,
LexisNexis, 14e édition, 2017.
Sériaux (A.), Manuel de droit des obligations, Puf, « Droit fondamental »,
3e édition, 2018.
Terré (F.), Simler (Ph.), Lequette (Y.) et Chénedé (F.), Droit civil. Droit des
obligations, Dalloz, « Précis », 12e édition, 2018.
Viney (G.), Introduction à la responsabilité, LGDJ, « Traité de droit civil »,
3e édition, 2008.
Viney (G.), Jourdain (P.) et Carval (S.), Les Conditions de la responsabilité,
LGDJ, « Traité de droit civil », 4e édition, 2013.
Viney (G.), Jourdain (P.) et Carval (S.), Les Effets de la responsabilité,
LGDJ, « Traité de droit civil », 4e édition, 2017.
Zenati-Castaing (F.) et Revet (Th), Cours de droit civil. Contrats. Théorie
générale – Quasi-contrats, Puf, « Droit fondamental », 2013.
Zenati-Castaing (F.) et Revet (Th), Cours de droit civil. Obligations.
Régime, Puf, « Droit fondamental », 2013.

Contrats spéciaux

Bénabent (A.), Droit des contrats civils et commerciaux, Montchrestien,


12e édition, 2017.
Collard-Dutilleul (F.) et Delbecque (Ph.), Contrats civils et commerciaux,
Dalloz, « Précis », 9e édition, 2011.
Malaurie (Ph.), Aynès (L.) et Gautier (P.-Y.), Droit des contrats spéciaux,
Defrénois, 10e édition, 2018.
Seube (J.-B.) et Raynard (J.), Droit des contrats spéciaux, LexisNexis,
9e édition, 2017.
Zenati-Castaing (F.) et Revet (Th), Cours de droit civil. Contrats. Vente,
échange. Droit commun français et européen, Puf, « Droit
fondamental », 2016.

Biens
Atias (Ch.), Droit civil. Les biens, LexisNexis, 12e édition, 2014.
Dross (W.), Droit des biens, Montchrestien, 4e édition, 2019.
Dross (W.), Droit civil. Les choses, LGDJ, 2012.
Bergel (J.-L.), Bruschi (M.) et Cimamonti (S.), Les Biens, LGDJ, « Traité de
droit civil », 2e édition, 2010.
Malaurie (Ph.) et Aynès (L.), Droit des biens, Defrénois, 7e édition, 2017.
Malaurie (Ph.), Aynès (L.) et Stoffel-Munck (Ph.), Droit des obligations,
Defrénois, 10e édition, 2018.
Strickler (Y.), Les Biens, Puf, « Thémis », 2006.
Terré (F.) et Simler (Ph.), Droit civil. Les biens, Dalloz, « Précis »,
10e édition, 2018.

Sûretés

Barthez (A.-S.) et Houtcieff (D.), Les Sûretés personnelles, LGDJ, « Traité


de droit civil », 2010.
Malaurie (Ph.) et Crocq (P.), Droits des sûrêtés, Defrénois, 12e édition,
2018.
Picod (Y.) Droit des sûretés, Puf, « Thémis », 3e édition, 2016.
Pétel (Ph.), Cabrillac (S.), Mouly (Ch.) et Cabrillac (M.), Droit des sûretés,
10e édition, 2015.
Simler (Ph.) et Delbecque (Ph.), Droit civil. Les sûretés. La publicité
foncière, Dalloz, « Précis », 7e édition, 2016.
Zenati-Castaing (F.) et Revet (Th), Cours de droit civil. Sûretés
personnelles, Puf, « Droit fondamental », 2013.

Régimes matrimoniaux

Cabrillac (R.), Droit des régimes matrimoniaux, Montchrestien, 10e édition,


2017.
Malaurie (Ph.) et Aynès (L.), Droit des régimes matrimoniaux, Defrénois,
6e édition, 2017.
Terré (F.) et Simler (Ph.), Droit civil. Les régimes matrimoniaux, Dalloz,
« Précis », 7e édition, 2015.
Successions

Grimaldi (M.), Droit des successions, LexisNexis, 7e édition, 2017.


Malaurie (Ph.) et Brenner (C.), Droit des successions et des libéralités,
Defrénois, 8e édition, 2018.
Pérès (C.) et Vernières (Ch.), Droit des successions, Puf, « Thémis », 2018.
Terré (F.), Simler (Ph.), Lequette (Y.) et Gaudemet (S.), Droit civil. Les
successions. Les libéralités, Dalloz, « Précis », 4e édition, 2013.
Zenati-Castaing (F.) et Revet (Th), Cours de droit civil. Successions, Puf,
« Droit fondamental », 2012.

MONOGRAPHIES

Arnaud (A.-J.), Les Origines doctrinales du Code civil français, LGDJ,


1969.
Carbonnier (J.), Droit et passion du droit sous la Ve République,
Flammarion, « Champ essais », 2008.
Carbonnier (J.), Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur,
LGDJ, 10e édition, 2013.
Halpérin (J.-L.), L’Impossible Code civil, Puf, 1992.
Jestaz (Ph.) et Jamin (Ch.), La Doctrine, Dalloz, « Méthodes du droit »,
2004.
Jamin (Ch.) et Melleray (F.), Droit civil et droit administratif. Dialogues sur
un modèle doctrinal, Dalloz, « Méthodes du droit », 2018.
Schiavone (A.), Ius. L’invention du droit en Occident, trad. G. et
J. Bouffartigue, Belin, 2009.

ARTICLES ET CONTRIBUTIONS À DES OUVRAGES


COLLECTIFS

Ancel (P.), « Le droit civil, modèle disciplinaire ? », dans Audren (F.) et


Barbou des Places (S.) (dir.), Qu’est-ce qu’une discipline juridique ?,
LGDJ, 2018, p. 227 sq.
Atias (Ch.), « La civilisation du droit constitutionnel », Revue française de
droit constitutionnel, no 7, 1991, p. 435 sq.
Libchaber (R.), « Le dépérissement du droit civil », dans Audren (F.) et
Barbou des Places (S.) (dir.), Qu’est-ce qu’une discipline juridique ?,
LGDJ, 2018, p. 243 sq.
Calais-Auloy (J.), « L’influence du droit de la consommation sur le droit
civil des contrats », Revue trimestrielle de droit civil, 1994, p. 239 sq.
Legendre (P.), « Revisiter les fondations du droit civil », Revue trimestrielle
de droit civil, 1990, p. 639 sq.
Martin (X.), « L’insensibilité des rédacteurs du Code civil à l’altruisme »,
Revue historique de droit français et étranger, vol. 60, no 4, 1982,
p. 589 sq.
Mathieu (B.), « Droit constitutionnel et droit civil : de vieilles outres pour
un vin nouveau », Revue trimestrielle de droit civil, 1994, p. 59 sq.
Rémy (Ph.), « Éloge de l’exégèse », Droits, no 1, 1985, p. 115 sq.
Rémy (Ph.), « Les civilistes français vont-ils disparaître ? », Revue de droit
de McGill, vol. 32, no 1, 1986, p. 152 sq.
Rouvière (F.), « La vulnérabilité de la science du droit : histoire d’une
science sans méthode », dans Le Droit à l’épreuve de la vulnérabilité,
Bruylant, 2011, p. 537 sq.
Sériaux (A.), s.v. « Droit civil », dans Alland (D.) et Rials (S.) (dir.),
Dictionnaire de la culture juridique, Puf/Lamy, « Grands
dictionnaires », 2003.
Tallon (D.), « Réflexions comparatistes sur la distinction du droit civil et du
droit commercial », dans Études offertes à Alain Jauffret, Faculté de
droit et de science politique d’Aix-Marseille, 1974, p. 649 sq.
Thireau (J.-L.), « La doctrine civiliste avant le Code civil », dans
Poirmeur (Y.) et Bernard (A.), La Doctrine juridique, Puf, 1993,
p. 17 sq.

PRINCIPALES REVUES UNIVERSITAIRES DE DROIT CIVIL

Actualité juridique – Contrats, mensuel, Dalloz.


Actualité juridique – Famille, mensuel, Dalloz.
Contrats, concurrence, consommation, mensuel, LexisNexis.
Droit de la famille, mensuel, LexisNexis.
Droit et patrimoine, mensuel, Lamy.
Responsabilité civile et assurance, mensuel, LexisNexis.
Revue de droit immobilier, mensuel, Dalloz.
Revue des loyers, mensuel, Lamy
Revue juridique personnes et famille, mensuel, Wolters Kluwer
Revue Lamy de droit civil, mensuel, Wolters Kluwer
Revue des contrats, trimestriel, Lextenso
Revue trimestrielle de droit civil, trimestriel, Dalloz

SITES INTERNET

https://www.legifrance.gouv.fr/
https://www.courdecassation.fr/
TABLE DES MATIÈRES

Introduction

Première partie - Une branche du droit


Chapitre premier - Personnes et famille
I. – La personnalité juridique
II. – L'état civil
III. – La vie privée
IV. – Les incapacités
V. – Le couple et le mariage
VI. – Le couple et l'enfant
Chapitre II - Contrats et responsabilité
I. – Droit des obligations
II. – Droit commun des contrats
III. – Formation et exécution des contrats
IV. – Validité du contrat
V. – Forme du contrat
VI. – Exécution du contrat
VII. – Responsabilité civile délictuelle
VIII. – Le triptyque « fait générateur-causalité-dommage »
IX. – Quasi-contrats
X. – Régime général de l'obligation
Chapitre III - Biens et sûretés
I. – Propriété et garanties
II. – Meubles et immeubles
III. – Concept de propriété
IV. – Limites de la propriété
V. – Démembrements de la propriété
VI. – Indivision
VII. – Sûretés et privilèges
Chapitre IV - Régimes matrimoniaux et successions
I. – Droit patrimonial de la famille
II. – Les différents régimes matrimoniaux
III. – Successions et libéralités

Seconde partie - Un modèle pour le droit


Chapitre premier - Un modèle historique
I. – La formation du corpus romain
II. – La tradition savante de l'ancien droit
III. – L'enracinement politique : le Code de 1804
IV. – Les réformes contemporaines
Chapitre II - Un modèle intellectuel
I. – Une matrice pour les autres branches du droit
II. – Une vocation universelle : l'idée de droit commun
Chapitre III - Un modèle culturel
I. – Une identité : civil law et common law
II. – Une philosophie : le juste partage

Glossaire

Bibliographie
www.quesaisje.com

     

Vous aimerez peut-être aussi