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Introduction

Pourquoi un cours d’introduction à l’étude du droit ? L’étudiant qui, après ses études
secondaires, choisit d’entreprendre des études juridiques, n’a que, à l’instar de tout novice,
que quelques idées vagues du droit. Il approche la matière par les professions judiciaires
(Avocat, magistrat, notaire, huissier, commissaires-priseurs etc.) ou juridiques (conseil
juridique, agent d’affaires etc.). Il la découvre aussi au travers des représentations qu’en font
les artistes par le théâtre et le cinéma, les auteurs et même les interventions des acteurs
politiques et de certains citoyens à la télévision.
Or, le droit ou ce qu’on pourrait déjà appeler les sciences juridiques constitue un vaste champ
de connaissance et de pratique avec ses personnages, ses outils, son langage, ses codes
d’accès. Il faut pouvoir donc en connaître l’esprit en vue d’une imprégnation facilement
digeste. L’objet du présent cours est de fournir une clé d’accès à la compréhension d’une
discipline si vaste, si variée, en profonde et incessante mutation.
Au sens ordinaire, l’introduction n’est-elle pas « l’action d’introduire, de faire entrer
quelqu’un ». C’est ce qui prépare quelqu’un à la connaissance d’une chose, d’une matière.
C’est une forme d’initiation. L’initié est appelé à approfondir les prérequis qui lui sont
transmis. Et d’autres enseignants viendront, chacun avec sa discipline, vous conduire plus
loin dans la connaissance du droit.
On a évoqué les mots « code » et « initiation ». C’est parce que le droit a son langage propre
auquel il faut dès à présent se familiariser. Une science, (si on peut déjà parler de science
juridique) se construit à partir d’un système d’expression et de communication. Ce langage
qui recense les techniques et la pensée juridique paraît difficile, et, à certains égards,
ésotérique. Le niveau de langue est souvent relevé avec l’emploi fréquent de mots peu usités
(déclinatoire, usucapion, grever de servitude, hypothèque etc.), de verbes défectifs, c'est-à-
dire les verbes dont certaines formes de conjugaison (modes, temps, personnes) ne sont plus
usitées : exemple : seoir (il sied de considérer l’introduction à l’étude du droit comme un
cours fondamental) ; surseoir (obtenir un sursis à statuer ; un sursis à l’exécution d’une peine
etc.). Les locutions latines sont courantes. Exemples : ab initio (dès le début) ; ab intestat
(sans testament : succession ab intestat) ; abusus (le pouvoir de disposition), usus (le pouvoir
d’user une chose) ; fructus (le pouvoir de jouir des fruits d’une chose), etc. Vous vous
familiariserez également aux aphorismes ou adages du droit. L’adage s’appréhende comme
une maxime ancienne et populaire élevée en principes de droit. Exemple : « En amour,
trompe qui peut » (cela veut dire qu’alors que la tromperie est sanctionnée par la loi, dans les
relations sentimentales, elle est parfois admise quand elle fait partie de la séduction).
L’aphorisme est une brève définition, c'est-à-dire une formule concise résumant une théorie et
renfermant un précepte. Ex : « En fait de meubles, la possession vaut titre » (celui qui détient
un bien meuble est présumé avoir le titre de propriété) ; Error communis facit jus (l’erreur
commune devient la règle).
Quel droit introduire ? Lorsqu’on observe la planète terre, c’est la diversité du droit qui est
frappante : le droit américain, le droit français, le droit chinois, le droit ivoirien, le droit
sénégalais, le droit espagnol, suisse ou béninois etc. Quand on emprunte une approche
historique, on évoque le droit romain, le droit babylonien, l’ancien droit français, le droit
coutumier ou traditionnel africain. A la diversité ethnique, géographique et historique,

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correspond une variété juridique. C’est bien en raison de ce que, Ubi societas, ibi jus : pas de
société sans droit. Mais cette diversité juridique ne contrarie-t-elle pas les droits humains,
universels parce que attachés à l’être humain en tant que tel et indépendamment de son
espace de vie, de sa race ou de son ethnie ? Comment construire alors une mondialisation de
l’économie sans une universalisation du droit ? A la vérité, on assiste à la disparition des
barrières de toutes sortes en vue de la formation d’un ordre juridique quasi universel, fondé
sur les principes progressivement établis au profit de tous les peuples (la non-discrimination,
la propriété, la liberté, la protection de la vie etc.).
Le présent cours prendra en considération cette évolution. Il se construira cependant à partir
des systèmes juridiques qui ont produit le droit ivoirien. C’est donc le droit ivoirien qu’il faut
introduire, dans ses composantes, avec son héritage, en prenant en compte la contribution
historique du droit traditionnel et du droit français dans sa formation. On remarquera assez tôt
que ce droit est essentiellement ouvert à toutes sortes d’influence. C’est parce ce que les
barrières juridiques tombent progressivement, avec les barrières politiques. Le droit
communautaire (OHADA, UEMOA, CIMA etc.) sont les instruments que les citoyens
utilisent au quotidien et qui font l’objet d’enseignement et de recherches approfondies dans
nos facultés. Mais le monde s’universalise et le droit aussi. OMC, le statut de Rome instituant
la Cour pénale internationale, les instruments universels et régionaux de protection des droits
humains constituent les principaux outils d’étude du droit.
Indépendamment des orientations futures auxquelles l’étudiant en année de Licence sera
confronté (droit privé, droit public, sciences politiques, histoire du droit), la présente
introduction intéresse le droit dans son ensemble. Elle posera les principes, c'est-à-dire offrira
les clés au moyen desquels la connaissance des différentes disciplines juridiques pourra être
facilitée.
Comment introduire le droit ? Introduire, c’est d’abord présenter les phénomènes du droit
(première partie) avant d’en saisir les composantes à travers le Droit objectif (Deuxième
partie) et les droits subjectifs (Troisième partie).

Plan du cours

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Introduction
Première partie : Les phénomènes du droit
Chapitre 1 : La règle de droit
Chapitre 2 : Les branches du droit
Chapitre 3 : Les fondements du droit
Chapitre 4 : La méthode juridique
Chapitre 5 : Les institutions et l’organisation judiciaires
Deuxième partie : Le Droit objectif
Chapitre 1 : Les sources du Droit objectif (Les sources formelles, Les sources réelles)
Chapitre 2 : Les autorités en droit civil (La jurisprudence, La doctrine)
Troisième partie : Les droits subjectifs
Chapitre 1 : La création des droits subjectifs
Chapitre 2 : La réalisation des droits subjectifs (La réalisation extrajudiciaire des droits
subjectifs La réalisation judiciaire des droits subjectifs)

Première partie : Les phénomènes du droit

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Par phénomènes, il faut entendre les manifestations du droit, c’est-à-dire ce par quoi cette
discipline émerge à la conscience. Ces manifestations sont de divers ordres. On pourrait
retenir : La règle de droit ; les branches du droit ; les fondements du droit ; la méthode
juridique ; les institutions et l’organisation judiciaires. Chacun de ces phénomènes fera l’objet
d’un chapitre.

Chapitre premier : La règle de droit

Qui qu’il soit, l’homme est un être de besoins à satisfaire, de prétentions à exprimer,
d’intérêts à protéger. En première année, les étudiants sont, par exemple, plus de 2 000. A
l’heure du cours de l’introduction à l’étude du droit, chacun serait certainement intéressé à
être devant pour mieux écouter le Professeur. Or, 2000 étudiants ne pourront pas rester aux
premières loges. Comment faire accepter aux uns de rester au fond de la salle, aux autres dans
les escaliers, à certains autres à l’entrée, tout en admettant que d’autres encore puissent se
mettre au premier rang tout en maintenant l’ordre social ?
Dans l’autobus qui conduit les étudiants au cours, les places assises ne suffiront pas à tous,
certains vont nécessairement rester debout. A quel titre d’autres vont s’asseoir ? Et au nom de
quoi, le jeune homme qui est le premier à s’introduire dans le véhicule, et a pu se trouver un
siège, devrait se lever et laisser sa place à la femme enceinte ou au vieil homme resté
debout ?
Les lois ivoiriennes relatives aux droits des personnes et de la famille nous nous enseignent
notamment en matière de mariage que: « Les époux s’obligent à une communauté de vie. Ils
se doivent respect, secours et assistance ». A la mosquée, l’Imam, et à la paroisse, le Curé ou
le Pasteur nous prodiguent le même enseignement. La même loi sur le mariage interdit par
exemple le mariage entre ascendants, descendants, collatéraux, alliés  en raison de l’inceste...
Selon ces mêmes lois civiles, l’enfant devra à tout âge honneur et respect à ses père et mère.
Cette règle est contenue dans le décalogue (dix commandements de Dieu) qui prescrit entre
autres que : « tu honoreras ton père et ta mère », « tu ne tueras point »… Cette dernière
prescription est reprise en droit pénal qui la qualifie d’homicide en ces termes : « l’homicide
commis volontairement est qualifié meurtre ».
On peut retenir que dans l’amphithéâtre (ou amphi) de la première année de droit et de
sciences politiques, les étudiants ont du se conformer à des règles pour se mettre en place et
suivre le cours. On peut aussi affirmer que dans le bus, des règles ont été appliquées afin que
certains restent debout et d’autres assis, et qu’en dépit de son retard, la femme enceinte et le
vieil homme ont pu trouver une place assise. Dans une société humaine, il faut des règles, des
normes. Au sein de notre famille, à l’atelier, à l’usine, au théâtre ou au cinéma, dans une
entreprise, à l’école ou à l’université, tout est organisé au moyen de règles. Pour être possible,
la vie en société appelle des prescriptions, des commandements, un ordre, une organisation.
On peut même dire : organiser, c’est ordonner, c'est-à-dire, mettre en ordre ; donner des
ordres, sous forme de normes et de principes.

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Mais parmi ces règles, il faut encore désigner celles qui sont des règles de droit. A quoi
pourrait-on reconnaître une règle de droit et la distinguer des autres règles de conduite ?
Autrement dit, dans l’autobus des étudiants, dans l’enceinte de l’amphithéâtre, dans les
exemples tirés de la bible, des lois civiles ivoiriennes, du Code civil français, du Code pénal,
quelles sont les règles de droit ?
Pour le savoir, il faut rechercher les caractères de la règle de droit. A cet égard, il faut
distinguer les caractères génériques (en ce qu’ils sont communs à toutes les règles de
conduites (Section première) des caractères spécifiques (Section II)

Section première : Les caractères génériques

Un important auteur, le Doyen Gérard CORNU, relève avec justesse, qu’étymologiquement,


« règle de droit » procède à la fois d’une métaphore et d’un pléonasme. Le mot « règle » vient
du latin « regula ». Il désigne un objet rigide et rectiligne qui empêche de dévier. Le mot droit
vient de « direct », c'est-à-dire du latin « directum, ou dirigere » et signifie à la fois « en ligne
droite » (en suivant les règle) et, au figuré, « conforme à la règle ». Mais il n’en demeure pas
moins que la règle de droit développe des caractères relevant des « gènes » qu’elle a en
partage avec les autres règles de conduites. Il s’agit du caractère obligatoire et du caractère
général.

Paragraphe I : Le caractère obligatoire

Une règle se définit par son caractère obligatoire : elle prescrit un commandement, appelle à
être obéit. Elle contient un ordre, soit en ce qu’elle implique une action : porter secours et
assistance à son conjoint, fournir des aliments à un ascendant dans le besoin ; soit en ce
qu’elle interdise d’en accomplir et, prescrit plutôt une abstention. Exemples : interdiction de
voler, de tuer etc. Mais la règle de droit se distingue aussi par son caractère général.

Paragraphe II : Le caractère général


Si on considère l’espace dans lequel il est édicté, la règle de droit n’a pas vocation à
s’appliquer à un seul individu. Elle envisage de régir tout le groupe pressenti. Exemples : La
Constitution ivoirienne s’applique à l’espace territorial ivoirien. Elle est la loi fondamentale
qui détermine la forme de l’Etat, institue des droits au profit des citoyens, fixe leurs
obligations, crée des organes principaux qui exercent le pouvoir d’Etat et pourvoit à leur
fonctionnement. Les lois civiles ivoiriennes relatives aux droits des personnes et de la
famille régissent le statut de la personne et de la famille de tout ivoirien en Côte d’Ivoire. Le
Code du travail organise les rapports juridiques entre les employeurs et les travailleurs
(encore appelés employés).

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En considérant que la règle de droit a un caractère général, on peut donc retenir qu’elle n’est
pas universelle. Son caractère général est alors relatif : aucune règle ne s’applique, en tant
que telle, à l’ensemble de l’humanité même s’il est vrai que les êtres humains ont en partage
certains droits et principes qui sont considérés comme des droits fondamentaux. Exemples :
le droit à la vie, le droit à la protection de sa vie privée etc.
Le caractère général de la règle de droit implique néanmoins que lorsqu’une loi s’adresse à
une personne, elle n’est pas en réalité une règle : elle est plutôt une norme personnelle. C’est
le cas d’une loi portant immunité personnelle au profit d’un ancien président. Il s’agit plutôt
d’une norme personnelle. Les romains parlent de disposition ad personam. La règle de droit
est un précepte commun, une norme impersonnelle. La règle est générale lorsqu’elle a
vocation à régir un ensemble de sujets.
De la même manière, le caractère général voudrait qu’une règle de droit soit une solution
pour un type de situations et non la décision sur un cas ou une espèce précise : la règle de
droit n’est pas un jugement. Mais ici, il convient de préciser : certaines règles constituent des
principes. Exemples :
Un principe : La liberté d’aller et venir consacrée par la Constitution. Des exceptions à ce
principe : La garde à vue et la détention préventive.
Un autre principe : l’inviolabilité du corps humain. Une exception à cet autre principe :
L’intervention chirurgicale à fin thérapeutique.
Enfin, à l’exception des préceptes religieux, aucune règle de droit n’est destinée à régir la vie
pour l’éternité : la règle de droit étant un outil de régulation de la vie sociale, elle évolue avec
le temps et l’espace, autant que les êtres humains évoluent avec les conditions économiques,
écologiques, sociales, politiques etc. Même si elle ambitionne de maîtriser l’avenir en
constituant un acte de prévision, elle emprunte à l’être humain sa nature mortelle.
Néanmoins, il faut distinguer les règles permanentes, établies sans limitation de temps, des
règles de circonstances, prévues pour des événements déterminés.
La règle de droit ne se distingue pas seulement par ses traits génériques. Elle se mesure aussi
par ses caractères spécifiques.

Section II : Les caractères spécifiques


La règle de droit est aussi caractérisé pas un élément extérieur, sensible et par sa finalité.

Paragraphe premier : L’élément extérieur : la contrainte étatique


La contrainte étatique est la marque la plus caractéristique de la règle de droit. La règle de
droit est alors une règle de conduite ou une norme dont le respect est assuré, quand il le faut,
au moyen de l’intervention de l’autorité publique. Pendant longtemps, dans les sociétés
primitives dont l’organisation sociale était élémentaire, c’est le sujet du droit qui se fait lui-
même justice. Il assure ainsi la sanction de la norme transgressée : c’est la justice privée. Son
expression la plus courante est la vengeance. Mais dans une société organisée, les sujets
renoncent au pouvoir qu’ils tiennent de la force de se rendre justice à eux-mêmes. C’est au

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corps social (Etat, communautés diverses etc.) qu’ils confient ce pouvoir, notamment à
travers le contrat social (la Constitution, la loi fondamentale). En tant que corps social, l’Etat
détient ainsi le monopole de la violence qu’il exerce en organisant la justice, en sanctionnant
les transgressions et violations de la loi, en prêtant cette force au respect de la règle de droit.
Au sein de la société, on imagine difficilement une justice sans recours à la force publique.
Le recours à la justice comprends, d’une part, l’exercice par le citoyen du pouvoir de faire
reconnaître son droit par une action en justice et, d’autre part, le droit d’obtenir l’exécution
forcée, s’il y a lieu, de ce qui aura été jugé, en empruntant les voies légales d’exécution.
La règle de droit n’est donc distincte des autres règles de conduites que par l’immanence de
la sanction étatique. Dans une règle de droit, pèse toujours une sanction en cas de non-
respect.
Dans les cas que nous avons exposés, l’enfant qui n’honore pas ses parents, qui les insulte par
exemple, pourrait être exhéréder, c'est-à-dire privé de droit successoraux. La personne qui tue
sera poursuivie pour meurtre et condamnée à une peine de privation de la liberté individuelle.
Le défaut de cohabitation par les époux pourra être sanctionné par le divorce et le mariage
entre parents proche sera annulé. Les normes qui établissent ces règles de conduites sont des
règles de droit.
En revanche, si dans le bus le jeune garçon ne s’était pas levé pour permettre à la femme
enceinte ou à l’homme plus âgé de s’asseoir, il n’y aura que la réprobation de sa
communauté, de sa société, de ses camarades : son comportement tend au respect d’une règle
de bienséance et non d’une règle de droit. La raison est que, s’il ne se levait pas, il n’y aura
pas de contrainte étatique. De même, l’enfant n’a pas prié avant de se coucher le soir, ou qui
n’a pas fait sa toilette n’enfreint pas une règle de droit. Il s’agirait plutôt d’une règle
religieuse ou d’un précepte pour la protection de son corps. Il n’y aura pas de sanction
étatique pour le contraindre.
Cela dit, les sanctions qui assurent l’effectivité de la règle de droit sont caractérisées par leur
diversité. Il y a des sanctions de nature préventive : un juge ordonne l’apposition des scellés
pour éviter la disparition des pièces ou des preuves à l’occasion d’un décès ; il ordonne le
huis clos pour éviter les troubles à l’audience, ou pour protéger la moralité et la dignité de la
personne qui comparaît (mineur dans une procédure de viol ; époux dans une instance de
divorce pour faute etc.).
D’autres sont de nature répressive. Il s’agit des sanctions pénales : amende, emprisonnement,
peine de mort etc. D’autres encore ont une nature réparatrice : ce sont les sanctions civiles.
Exemples : restitution, annulation d’un contrat contraire à l’ordre public ou aux bonnes
mœurs, remise d’un objet ou bien dégradé dans son état (il s’agit, dans ces cas, d’une
réparation en nature) ; allocation de dommages et intérêt (on dit, dans ce dernier cas, qu’il y a
une réparation par équivalent). La sanction peut également avoir une nature disciplinaire
(révocation d’un magistrat, radiation d’un avocat etc.). Elle s’adresse alors à un professionnel
qui a violé les règles d’exercice de sa profession (on parle de règles déontologiques). La
sanction peut également être fiscale ou administrative.
Il faut néanmoins souligner que la sanction ou contrainte étatique dont la règle de droit est
porteuse n’est appliquée que de manière exceptionnelle, en cas de violation de la norme
protégée et de mise en œuvre de la procédure judiciaire de sanction. Ces cas sont peu

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nombreux, au regard de l’importance de la réalité conflictuelle dans une société. D’autres
mécanismes sont souvent préférés par les citoyens (règlement par le chef de famille,
transaction, intervention d’un responsable de culte etc.). Il est même souhaitable que la
contrainte étatique reste à l’état de menace (on dit que la contrainte étatique a une vertu
comminatoire). La vie humaine serait difficile à vivre si le droit devrait s’appliquer à toutes
les situations.
Outre la contrainte étatique, la règle de droit se caractérise aussi par sa finalité.

Paragraphe II – La finalité de la règle de droit


La vocation de la règle de droit est de faire régner la paix sociale. Or, celle-ci passe par la
régulation des rapports extérieurs que les êtres humains entretiennent. La finalité de la règle
de droit est de régler ces relations extérieures des êtres humains. C’est ce qui distingue la
règle de droit des autres règles de conduite, notamment la religion, la morale et les règles de
bienséance. Il sera alors possible de distinguer entre les sociétés juridiques et les sociétés non
juridiques.

A – La règle de droit et les commandements religieux


Lorsqu’une religion adresse des commandements (des préceptes ou règles) à ses fidèles, c’est
pour enseigner la morale évangélique et, notamment, l’éthique de la charité : aimer son
prochain, éteindre dans son cœur la convoitise, la jalousie. Mais certaines règles religieuses
coïncident avec les règles de droit : tu ne tueras point. On peut constater que la règle de droit
partage la même finalité que les commandements religieux : ils poursuivent la paix sociale.
S’il est interdit de tuer son prochain, c’est pour protéger chaque individu, ainsi que le corps
social. Ces préceptes tendent à prévenir les troubles.
Qu’est-ce qui distingue alors les commandements religieux de la règle de droit ?
La distinction s’opère quant aux domaines d’application des deux corps de règles. Les
commandements religieux établissent un lien, un rapport entre l’être humain et Dieu. Alors
que la règle de droit sanctionne les rapports entre l’être humain et ses semblables.
La distinction s’affirme aussi quant à la sanction attendue de leur violation : dans le
commandement religieux, la sanction n’appartient pas à l’Etat. Elle ébranle plutôt l’espérance
d’une attente spirituelle. Exemple : la vie éternelle.
Ces distinctions devront néanmoins être nuancées : dans certaines sociétés, les préceptes
religieux sont élevés au rang de règles juridiques de sorte que leur effectivité est assurée au
moyen de la contrainte étatique. Il s’agit des Etats théocratiques ou religieux. On en compte
quelques-uns dans le monde : le Soudan, Israël, l’Iran, l’Afghanistan, etc. Ces Etats sont à
distinguer des Etats laïcs comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, La France, au sein desquels la
contrainte étatique n’assure pas l’application des règles religieuses.

B – La règle de droit et les règles de morale

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La règle de droit et les règles de morale visent aussi, avec les commandements religieux, la
paix sociale. Mais à partir de cet objectif général, les distinctions se déclinent aussitôt.

En premier lieu, la distinction est relative aux buts spécifiques : le but du droit est le maintien
de l’ordre social. Le but de la morale est le perfectionnement intérieur de l’être humain. La
liste des devoirs de la morale est plus étendue et les préceptes plus rigoureux que celle du
droit. La règle morale interdit, par exemple, la tromperie sous toutes ses formes. Mais en
droit, notamment en ce qui concerne les fiançailles et le mariage, un principe, sous forme
d’adage ou de maxime juridique : « trompe qui peut ». C’est pourquoi on considère que le dol
(la tromperie) n’est pas une cause de nullité du mariage. La justice poursuivie par le droit est
relative, elle n’a pour objet que de maintenir l’ordre social. Or, la justice recherchée par la
morale est absolue. Alors que la justice poursuivie par le droit est portée par l’impératif
hypothétique (fais ce qui est nécessaire si cela contribue au maintien de l’ordre social), celle
envisagée par la règle morale est dominée par l’impératif catégorique (fais ce que tu dois,
advienne que pourra : peu importe les conséquences, agis conformément à la morale).
En deuxième lieu, elle (la distinction) porte sur l’appréciation du mérite des actions. Le droit
s’en tient, en principe, aux attitudes extérieures. Ce sont elles qui sont sanctionnées. Ainsi,
dans l’adultère par exemple, ce n’est pas le désir, ni la volonté d’entretenir une relation
charnelle avec une personne mariée qui sont réprimés par la loi. Ces attitudes ne sont pas
extérieures. Ce sont plutôt les rapports physiques, les comportements extérieurs qui laissent
supposer ces rapports qui sont sanctionnés par le droit aussi bien en matière civile (annulation
du mariage pour faute) ou pénal. Or, la morale entend pénétrer les cœurs et, dans le cas que
nous venons d’exposer, la simple convoitise, le désir et la volonté de solliciter les faveurs
charnelles de la personne mariée sont soumis à la sanction morale.
En troisième lieu, la différence est notable, en ce qui concerne la sanction. La sanction de la
règle de droit est étatique alors que celle de la règle de morale est essentiellement extérieure :
ici, c’est la voix de la conscience qui parle au sujet. La différence tient aussi à la nature des
deux corps de règles. Le philosophe Emmanuel KANT a mis en évidence cette distinction : il
considère que le droit est hétéronome, qu’on ne peut être, à la fois, juge et partie ; alors que la
morale est autonome, c'est-à-dire qu’en morale, chacun est son premier juge. Il faut
néanmoins souligner que lorsque la violation de la règle de morale n’est pas restée secrète,
c'est-à-dire ignorée des autres membres du groupe, elle fait l’objet de réprobation de la
collectivité. Elle devient alors hétéronome. A l’inverse, le droit laisse un sentiment
d’autonomie aux contractants sur lesquels il exerce une contrainte : ceux-ci sont obligés parce
qu’ils l’ont voulu.
Soulignons que la séparation du droit et de la morale avait été fortement critiquée par un
célèbre auteur : Georges RIPERT (1880-1958). Il a considéré que la morale a fortement
pénétré le droit. Par exemple, le dol (c'est-à-dire la tromperie) peut être une cause de nullité
de certain contrat. La bonne foi des parties est exigée dans l’exécution d’un contrat (art. 1134
al. 3 du Code civil).

C – La règle de droit et les règles de bienséance


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Il y a de nombreuses règles extra juridiques qui ont également pour vocation d’assurer l’ordre
social mais qui ne sont pas des règles de droit. Ces règles de bienséance sont des règles de
civilité ou de courtoisie. Elles correspondent aux codes d’honneur : s’incliner devant une
femme mariée en lui tenant la main ; se lever lorsqu’une autorité entre ; ne pas offenser dans
son discours la morale en employant des mots et expressions desquels sont exclue la
trivialité, la familiarité etc.
La distinction entre les règles de bienséance et la règle de droit ne tient pas en ce que les
premières seraient dépourvues de sanctions : la sanction existe bien dans les règles de
bienséance. Tantôt, c’est la réprobation du corps social, l’exclusion du groupe auquel on
appartient, les représailles, la raclée paternelle etc.
La distinction réside en ce que les règles de bienséance sont dépourvues d’action en justice.
Les règles de bienséance n’ont pas atteint le degré de juridicité nécessaire pour assurer leur
protection par le droit.
D – Sociétés juridiques et sociétés non juridiques
La règle de droit, remplie des caractères qui précèdent, ne règle pas la vie sociale suivant la
même importance dans tous les Etats. Si l’on considère que la contrainte étatique est le trait
de caractère le plus important de la règle de droit, ce sont les sociétés dans lesquelles la
formation de l’Etat atteint son degré d’achèvement qui consacrent la règle de droit dans sa
plénitude. La contrainte suppose d’abord la formation de l’Etat. Or, il y a des sociétés sans
Etats. C’est le cas de certaines nations : les kurdes par exemples. Il y a des sociétés dans
lesquels l’Etat dégénère : c’est le cas de la Somalie. La contrainte suppose en outre la
présence de l’Etat, même si celui-ci est formé. Or, on se rend compte que dans de nombreuses
sociétés africaines, l’Etat n’est pas partout présent. La règle de droit non plus. Dans tous ces
cas, ce sont d’autres normes, comme les règles de morale ou les préceptes religieux qui
assurent, dans une proportion importante, la régulation sociale. On en vient alors à distinguer
les sociétés juridiques des sociétés non juridiques. Au sein de la première catégorie, la règle
de droit à une prééminence dans la régulation sociale : ce sont les sociétés occidentales. Au
sein de la seconde catégorie, ce sont les règles de morale ou les préceptes religieux qui ont la
faveur de la régulation sociale : c’est le cas des sociétés africaines et orientales.
Mais la distinction n’est pas radicale. Il y a un mouvement important qui s’observe même en
occident. C’est la tendance en faveur de la banalisation du droit. On recherche en effet les
faveurs des autres normes. L’une des manifestations est le développement des modes
alternatifs de règlement des conflits (MARC). Il s’agit de la médiation, de la conciliation et,
pour certains, de l’arbitrage. Or, la médiation et la conciliation visent à écarter le droit dans le
règlement du conflit. L’équité, concept à valeur morale, reprend du terrain. L’autre
manifestation de ce courant porté par les sociologues est la déjuridicisation (le fait de ne plus
attacher de valeur juridique à certaines normes afin d’éviter des sanctions de même nature) et
la déjudiciarisation (le fait de ne pas rechercher la sanction judiciaire en cas de transgression
d’une norme). Développés dans les Etats d’Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada), cette
tendance à gagner l’Europe, notamment la France et on a pu remarquer qu’en matière pénale,
les tribunaux peuvent ne pas connaître de certaines infractions lorsque la personne poursuivie
reconnaît l’acte commis. Elle négociera la peine avec les représentants de l’ordre public :

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c’est la procédure du plaider coupable, encore appelée la comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité. C’est une forme de déjudiciarisation.
En revanche, les sociétés africaines et orientales s’éveillent à la modernité par le biais des
activités commerciales. Le droit qui accompagne ces activités gagne ces sociétés. Dans
chaque village africain, il y a un téléphone mobile. L’internet gagne les contrées les plus
reculées. La règle de droit aussi. Sur le terrain des droits humains, c’est toute l’humanité qui
est saisie par la règle de droit. On pourrait retenir qu’au-delà des distinctions, les normes
sociales sont nécessaires à l’organisation et à la survie de toute société humaine.

Chapitre II : Les branches du droit

On reconnaît le droit à travers ses branches. C’est que le droit est un gros arbre constitué de
plusieurs branches. On pourrait également le comparer à une pièce qui, si elle n’est pas en
lambeaux (coupée en plusieurs, de manière non harmonieuse et incohérente) est néanmoins
en rameaux (subdivisée en plusieurs, de manière cohérente et harmonieuse. Chaque pièce fait
partie d’un système, au sein duquel elle joue un rôle important, et en dehors duquel elle
perdrait toute identité, toute spécificité et toute effectivité : il s’agit du système juridique). Le
droit répond ainsi à une division classique, c'est-à-dire traditionnelle (Section première). Mais
il y a lieu de souligner aussi les divisions nouvelles (Section II).

Section première : Les distinctions traditionnelles


On oppose d’abord le droit privé au droit public (Paragraphe premier). On oppose ensuite les
droits substantiels aux droits non substantiels (Paragraphe II).

Paragraphe premier : Distinction entre droit public et droit privé


Dans le système juridique d’inspiration et de tradition française, c’est la division majeure. Le
système juridique anglo-saxon, fondé sur la Common Law échappe quelque peu à cette
division. Mais elle traverse tout le droit ivoirien, avec, néanmoins, quelques atténuations sur
lesquelles il convient de revenir.
Le droit public a pour objet la forme de l’Etat, l’organisation et le fonctionnement des
pouvoirs publics en son sein. Par exemple : l’Etat de Côte d’Ivoire devrait-il être une
monarchie, c’est à dire une Principauté, ou une royauté ? Ou bien l’Etat devrait-il prendre la
forme d’une République ?
Les Constitutions ivoiriennes qui se sont succédé depuis les indépendances ont constamment
réaffirmé la forme républicaine de l’Etat. Elle règle ainsi la question de la forme de l’Etat.
Mais l’Etat doit exercer des pouvoirs pour assurer la protection, la sécurité et
l’épanouissement de ses sujets, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur (l’éducation, l’emploi,
la santé, l’économie etc.). Ce sont les pouvoirs d’Etat au sujet desquels un penseur célèbre,
MONTESQUIEU, affirme qu’il ne faut pas les confier à une seule personne, à un seul
organe. Il faut les séparer : c’est la théorie de la séparation des pouvoirs : le pouvoir exécutif,

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le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire. Mais à quels organes confier ces pouvoirs et
comment vont-ils fonctionner ?
C’est encore le droit public, notamment le droit constitutionnel, qui répond à cette question.
Par exemple : la Constitution ivoirienne confie le pouvoir exécutif au Président de la
République qui l’exerce à travers son gouvernement. Elle confie le pouvoir législatif à
l’Assemblée nationale composée de députés. Elle confie enfin le Pouvoir judiciaire, au plus
haut sommet, à la Cour suprême et à la Haute Cour de justice. Le droit public organise aussi
les rapports juridiques entre l’Etat et les citoyens. Ces rapports sont réglés, en grande partie,
par le droit administratif.
Par contre, le droit privé régit les rapports des particuliers entre eux. C’est le droit des
relations privées, de particuliers à particuliers. Il faut bien comprendre que le particulier peut
être une personne physique comme il peut être une personne morale de droit privé, c'est-à-
dire un groupement auquel la loi a accordé les attributs d’une personne juridique. Exemples :
une société, une association.
Le droit civil est l’une des branches essentielles du droit privé. C’est la branche du droit privé
qui régit les rapports de la personne et de la famille, tant dans ses droits que dans ses
obligations. C’est le droit de la personne dans ses rapports intimes (la conception, la
naissance, la famille, la mort, la succession etc.), et surtout non professionnels. Dans ce
domaine, le droit civil s’applique toutes les fois qu’une disposition de la loi ne renvoie pas la
solution à une autre discipline juridique : on dit que le droit civil est le droit commun.
Exemple, la loi a soumis l’exécution du contrat commercial au droit commercial. Mais la
formation du contrat commercial est régie par le droit civil, à travers le code du même nom
(article 1107 et suivant du code civil).
Le droit commercial est une autre branche du droit privé. Il s’occupe des rapports entre les
particuliers qui exercent une activité commerciale. C’est ainsi qu’il règle le statut du
commerçant, les actes de commerce, les opérations commerciales, le droit des sociétés
commerciales etc. Au droit commercial, se substitue de plus en plus le droit des affaires, qui
regroupe les disciplines voisines à la matière commerciale. Exemple : le droit du travail et de
la sécurité sociale, les procédures collectives d’apurement du passif, les voies d’exécution.
Les instruments juridiques du droit commercial et de son substitut, le droit des affaires sont,
dans les Etats membres de l’espace OHADA, constitués des Actes uniformes. Certains
soutiennent même l’existence d’un droit économique, avec un volet droit public. Ce droit
économique comprendrait, outre les matières du droit des affaires, le droit des biens, celui, en
droit public, des marchés publics ; le droit fiscal etc.

Paragraphe II : Distinction entre droits substantiels ou déterminateurs et droits non


substantiels ou sanctionnateurs

Certains droits sont dits substantiels ou matériels en raison de ce qu’ils définissent, sans
référence à d’autres corps de règles, la matière sur laquelle ils portent. En réalité, les auteurs
ont remarqué que parmi les règles de droit, certaines posent des règles de conduite sociale,
définissent les droits et obligations de chacun, prescrivent ou prohibent certains
comportements. Ils qualifient ces droits de droits déterminateurs en raison de ce que ceux-ci
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déterminent les droits subjectifs substantiels dont un sujet peut se prétendre titulaire. Exemple
: le droit de propriété, le droit de créance etc. Ils sont qualifiés de droits substantiels parce
qu’ils touchent la substance des droits dont ils définissent les conditions d’existence,
d’exercice, de transmission ou d’extinction. C’est le cas du droit civil, du droit administratif,
du droit commercial et même du droit pénal. Tous ces droits définissent des règles de
conduite, en terme d’action ou d’abstention voire de prohibition comme les infractions en
droit pénal.
En revanche, le droit est dit sanctionnateur ou non substantiel lorsque son objet et sa fonction
consistent à assurer la sanction des droits déterminateurs. Le droit sanctionnateur n’a donc
pas d’existence propre. Il est l’accessoire du droit déterminateur ou substantiel dont il assure
l’effectivité ou la jouissance. Le droit sanctionnateur règle l’application du droit
déterminateur (à ce titre, on l’appelle aussi droit régulateur). Il en assure aussi la réalisation (à
ce titre, on l’appelle également droit réalisateur). Jura supra jura, les droits sanctionnateurs
sont les droits sur les droits. Le droit judiciaire privé, la procédure administrative et la
procédure pénale, font partie des droits sanctionnateurs ou non substantiels. Leur existence
dépend, bien entendu, de droit substantiel qu’est le droit civil, pris au sens large. « Servantes
des autres lois », les droits non substantiels ne peuvent être compris ni appliqués dans
l’ignorance de « ces autres lois ». Au demeurant, le législateur fixe, de plus en plus, avec les
règles substantielles, déterminatrices, les règles de procédure, sanctionnatrices. Exemples :
Les lois civiles ivoiriennes, quoiqu’étant l’expression d’un droit déterminateur ne contiennent
pas moins des règles relatives à la procédure, notamment quant à la procédure du divorce.
Au-delà de cette division classique, il existe des branches dont l’objet de réflexion est le droit
lui-même, prise comme une discipline scientifique. On pourrait citer :
1°) La théorie générale du droit. Elle étudie les concepts dont le droit se sert : la faute, la
fraude, le silence, la bonne foi, l’ordre public ; l’Etat, la Nation, la souveraineté etc. Elle fixe
abstraitement la signification des notions courantes (contrat, convention, risque etc.). Pour en
avoir une première idée, il faut rechercher les ouvrages de théorie générale du droit ainsi que
le Vocabulaire juridique de Gérard CORNU, ou encore dans le Lexique des termes
juridiques.
2°) La philosophie juridique. Elle se propose de rechercher les fondements des débats et des
solutions juridiques. Elle vise aussi le sens et la finalité des réflexions juridiques. Il convient
de se référer à la documentation proposée, notamment les ouvrages de philosophie du droit.
3°) La légistique ou la science de la législation. Comment élaborer une norme juridique,
une règle de droit ? Quels sont les outils, les méthodes utilisés. C’est l’objet de la science de
la législation, encore appelée légistique.
Même si les tendances traditionnelles n’ont pas disparu, des divisions nouvelles s’imposent à
la compréhension du droit.

Section II : Les divisions nouvelles


De nouvelles classifications émergent, au gré du développement économique, de la mutation
des rapports sociaux. On pourrait signaler, d’une part, la classification née de l’ouverture des

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disciplines juridiques (Paragraphe premier) et, d’autre part, les classifications de
l’approfondissement des disciplines juridiques (Paragraphe II).
Paragraphe premier : Les classifications nées de l’ouverture des disciplines juridiques
De nouvelles disciplines viennent au droit. Il s’agit, en particulier, de la sociologie juridique,
de l’ethnologie juridique, de la psychologie juridique, de la linguistique juridique. Sciences
sociales par nature, elles développent, en réalité, une anthropologie juridique moderne.
A- La sociologie juridique
Encore appelé sociologie du droit, elle présente les phénomènes juridiques comme des
phénomènes sociaux dont elle vise l’étude. Il faut comprendre néanmoins que le sociologue
du droit n’est pas un juriste. Elle étudie le droit du dehors et non de l’intérieur. Elle étudie
également le droit non pas avec les outils et la méthode juridiques mais plutôt avec les outils
et la méthode de la sociologie générale.
B – L’ethnologie juridique
Elle se présente comme une sociologie juridique spécialisée dans l’étude des systèmes
juridiques des peuples dits primitifs. Elle s’occupe des droits locaux, notamment coutumiers.
Dans un sens strict, l’ethnologie juridique se propose d’étudier le droit de chaque ethnie en ce
qu’il a de spécifique. Elle devient anthropologie juridique lorsqu’elle envisage d’étudier ce
qu’il y a d’essentiel dans l’homme juridique, c'est-à-dire l’être humain vivant en société sous
l’autorité ou la conduite du droit.

C – La psychologie juridique
Elle se propose d’étudier, par l’observation ou l’expérimentation (les tests), les causes
psychiques des phénomènes juridiques (Exemple : elle découvre qu’un enfant qui subit des
violences au foyer devient violent en société et commet des infractions sur les personnes :
violences et voies de fait, viols, homicides etc.).
D – La linguistique économique
C’est la science du langage telle qu’elle est appliquée au langage du droit. Le droit à son
vocabulaire, emploie des mots qui ne sont qu’à lui, dans les formulations qui lui sont propres.
Par exemple : dans ce cours, nous avons déjà découvert certains : légistique, juridicité, ordre
public, bonnes mœurs etc. Nous en découvrirons d’autres. Il faut souligner que la particularité
du langage juridique tient à ce que, dans l’espace d’inspiration juridique française, le droit
apparaît comme le gardien de la langue française. C’est encore en droit, qu’on utilise avec
fréquence les modes peu ordinaire : le subjonctif, le conditionnel ; les verbes défectifs etc.

Paragraphe II : Les classifications nées de l’approfondissement des disciplines juridiques


L’approfondissement des disciplines juridiques classiques conduit à la spécialisation du droit
par voie d’apparition de nouvelles branches.

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On a, par exemple, le droit pénal des affaires. Son objet est d’étudier les infractions pénales
auxquelles pourraient conduire l’exercice d’une activité commerciale : abus de biens sociaux,
défaut de libération de parts sociales etc.
Il y a aussi le droit de la cybercriminalité, du contrat virtuel. Le droit maritime a fini par se
détacher du droit commercial ainsi que le droit des transports aériens. On soulignera aussi le
développement du droit de la propriété intellectuelle ou industrielle etc.

Chapitre III – Les fondements du droit


On a défini la règle de droit comme une règle de conduite nécessaire à la vie en société. Mais
il n’est pas sans intérêt de s’interroger sur les fondements de cette règle. Une question
essentielle se pose : Au-delà du droit, tel que nous le percevons, tel qu’il se décline au travers
des lois, des coutumes, de la jurisprudence, existe-t-il un droit absolu ? Y a – t – il une règle
qui soit au-delà de la règle de droit ? La question occupe encore juristes et philosophes,
notamment les philosophes du droit. Plusieurs tendances se dégagent au niveau de la pensée.
On peut en retenir les deux principales suivant que l’on considère que le droit se suffit et ne
s’explique que par la réalité positive, au contraire, qu’il ne s’explique que par des données,
(ou des idées) qui lui sont supérieures. On distinguera alors les tendances positivistes (Section
première) de celles idéalistes (Section II).
Section première : Les tendances positivistes
Selon les positivistes, le droit ne s’explique que par la réalité positive. Le contenu du droit se
trouverait alors dans les phénomènes par lesquels il se manifeste : la loi, la coutume, la
jurisprudence etc. Ces penseurs nient l’hypothèse de données extérieures à ces phénomènes,
qui justifieraient et qui serviraient de fondements à la règle de droit. Mais comment
déterminer ou fixer le contenu de cette réalité positive ? La réponse à cette question fait
éclater les positivistes en deux grandes écoles. Certains considèrent que cette réalité positive
se trouve dans le droit lui-même ou la norme : c’est le positivisme formaliste (Paragraphe
premier) ; d’autres la recherche dans les faits : c’est le positivisme factualiste (Paragraphe II).

Paragraphe premier : Le positivisme formaliste


On dit du positivisme qu’il est formaliste en ce qu’il fonde la règle de droit dans son
expression formelle, c'est-à-dire au travers des institutions juridiques qui l’incarne. C’est un
positivisme « fermé sur le droit » si l’on emprunte les termes du Doyen CARBONNIER. Il
s’agirait d’un positivisme juridique. Selon les auteurs de cette tendance, il existe un droit

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positif constitué par l’ensemble des règles de droit en vigueur dans un Etat à un moment
donné. Ainsi, lorsqu’on parle du droit ivoirien, on désignera l’ensemble des règles de droit
actuellement en vigueur dans ce pays. Ce sont les règles juridiques effectives. Deux sous-
tendances se profilent : le légalisme et le normativisme.

A – Le légalisme (ou positivisme légaliste)

Le positivisme légaliste fonde le droit dans la loi qu’il a pendant longtemps, considéré
comme ressort exclusif du droit. Si le droit est identifié à la loi, il n’y a que l’Etat qui
produise celle-ci. Le droit procède donc de la volonté de l’Etat ainsi que l’affirme Thomas
HOBBES qui est l’un des auteurs de cette tendance. Un autre auteur du légalisme est le
philosophe HEGEL qui identifie le droit à l’Etat lui-même, d’où le concept de l’Etat de droit.
Puisque c’est l’Etat qui proclame le droit, la règle de droit, alors qu’il est le seul à avoir le
monopole de la force, un grand juriste allemand du XIXème JHERING (prononcer
IHERING) siècle a pu considérer qu’est la politique de la force.
Mais le légalisme est dépassé. On constate que l’Etat n’est plus le seul à produire la règle de
droit (Organisations internationales, droit communautaire, juridictions internationales). Par
ailleurs, la loi n’est plus célébrée comme l’expression exclusive de la règle de droit, comme
cela a pu être le cas au cours de la première moitié du XXe siècle en France avec le régime
d’assemblée en France. C’est pourquoi une autre tendance à la faveur de la doctrine
contemporaine : le normativisme.

Hobbes (1588-1679)

Ce fils de Pasteur occupe dans l’école moderne du droit de la nature une place éminente. Il a
passé sa vie entre une Angleterre et une France également troublée ; c’est un pessimiste. A
l’époque d’Henri IV en France et de Charles Ier en Angleterre, il a observé la nature humaine
à l’œuvre. L’agressivité de l’homme envers ses semblables l’a frappé. L’état de nature a
quelque chose d’infernal. Il est marqué par la guerre permanente, la lutte incessante pour la
possession des choses nécessaires à la survie, à la sécurité : par-là s’exprime le trait essentiel
à l’homme, son instinct de conservation. La société naît d’un besoin impérieux, né du
malheur des premiers temps, non d’une heureuse propension de l’homme à s’assembler. En
tant que faculté de l’esprit, « La raison … n’est rien que le calcul». Son Léviathan est divisé
en quatre parties : « de l’homme », « de l’Etat » « de l’Etat chrétien » « du royaume des
ténèbres » ; c’est une vaste théorie du pouvoir, d’un pouvoir d’une nature particulière, qui se
légitime par son existence et par sa fonction. Il ne laisse, au droit naturel, ni portée ni intérêt,
car il n’y a rien de bon à attendre de la nature humaine. « Le droit de nature…, est la liberté
que chacun a d’user de sa propre puissance, comme il le veut lui-même pour la préservation
de sa propre nature, autrement dit de sa propre vie et, par conséquent, de faire, selon son
jugement et sa raison propres, tout ce qu’il concevra être le meilleur moyen adapté à cette
fin. » Les lois de nature sont des « articles de paix ». Tout est ramené à cet objectif, à sa
réalisation, au maintien de la paix civile. La volonté privée est sans force ; c’est une

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puissance supérieure qui fait sa force : « Si une convention est faite où aucune des parties ne
s’exécute dans l’instant, mais où l’une et l’autre se font confiance, dans l’état de nature … en
cas de suspicion
raisonnable, cette convention est nulle. Mais, s’il y a une puissance commune établie au-
dessus des deux, dotée d’assez de droit et de force pour contraindre à l’exécution de la
convention, alors celle-ci n’est pas nulle. » De même, dans le procès, la « droite raison » à
laquelle les parties au litige s’en remettent, c’est « la raison de quelque arbitre ou juge dont
elles accepteront toutes deux la sentence ». Le Léviathan, « appelé république ou Etat (civitas
en latin) n’est autre chose qu’un homme artificiel, quoique de stature et de force plus grandes
que celles de l’homme naturel, pour la défense et la protection duquel il a été conçu ». Il
dispose de tous les organes qui composent le corps humain. Sa maîtrise est totale. Pour
Hobbes, qui correspondit avec Descartes, le droit naturel ne peut découler de la nature
humaine. Il constitue la réponse que la raison découvre à la menace, toujours présente, d’un
retour à cet état de nature qui est « un état de guerre de tous contre tous ». Chacun est
titulaire de la faculté d’utiliser ses forces à la conservation de son être : tel est le « droit de
nature ». Les hommes y renoncent par contrat au profit du souverain, en entrant en société,
pour obtenir la paix qui caractérise la fin de l’état de nature et conditionne le bonheur.

Hegel (1770-1831)

Dans la présentation habituelle de l’histoire de la philosophie, Georges Guillaume Frédéric


HEGEL suit et prolonge inéluctablement Kant. Hegel est assurément un philosophe de toute
première importance. Comme Kant, Hegel s’est intéressé au droit. Outre son étude de la
constitution de l’Empire allemand (1801-1802) qui ne paraîtra qu’à la fin du siècle, il publie
dans le journal critique de philosophie un article consacré aux « manières scientifiques de
traiter du droit naturel » et, surtout, les principes de la philosophie du droit. Comme Kant,
Hegel se sent « poussé à la science » que doit devenir notamment la philosophie.
Selon Hegel, « l’homme est essentiellement esprit, et l’esprit consiste essentiellement à être
pour soi, à être libre, à s’opposer au naturel, à se dégager de l’être immergé dans la nature, à
se diviser d’avec elle et puis, par cette division, à se réconcilier avec elle … ». Même si elle
se veut concrète, proche des faits et leur mouvement propre, la pensée de Hegel renvoie
inéluctablement le juriste dans les ténèbres extérieures de l’entendement, d’un droit dont il
faudrait s’extraire pour pouvoir accéder à la réflexion philosophique.
Le droit sur lequel Hegel s’efforce de réfléchir est, à la fois, le droit subjectif et la loi morale.
« Le ‘droit de l’Etat’ va l’emporter sur tous les droits subjectifs des particuliers. L’Etat
détient le droit suprême contre ceux des particuliers … Il résulte d’un dépassement de
l’individu sur lui-même (et est) devenu…une réalité autonome ».
JHERING Rudolf Von Aurich (1818 –1892)

JHERING est un auteur du XIXe siècle. De sa doctrine, on peut retenir les idées suivantes.
D’abord quoiqu’ayant été quelque peu influencé, il a combattu l’Ecole historique de Savigny
qui considère le droit comme le produit autonome de la culture d’un peuple. Sur ce point, il a

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estimé qu’il existe une interaction entre les cultures juridiques et, à cet égard, il a fortement
inspiré Raymond SALEILLES qui sera présenté plus loin.
Ensuite, pour JHERING, « La paix est le but que poursuit le droit, la lutte est le moyen de
l’atteindre ». Il relève alors que le droit est dynamique et qu’il n’est pas le produit de
l’évolution progressive d’une conscience. Le droit serait ainsi le résultat des rapports de
force, portés vers un but : « La défense de la personne même et de son sentiment du droit,
d’une lésion personnelle ». Il ajoute que « Le droit est la condition de l’existence morale de la
personne, la défense du droit constitue la conservation morale de la personne ».

Dans le prolongement des idées, il considère aussi que le but est la force motrice du droit. A
ce titre, selon lui, il n’y a pas d’action sans but. La règle de droit comme toute action humaine
est dominée par l’intérêt et surtout par la vie en société. Il prône ainsi l’utilitarisme de la règle
de droit : « Nul n’existe par lui seul, pas plus pour lui seul : chacun existe par d’autres et pour
d’autres ». De ce point de vue, l’impératif catégorique ne tient pas : « Agir sans intérêt est un
non-être, au même titre qu’agir sans but. C’est une impossibilité psychologique ». Le droit a
une fonction utilitaire. Certain reprochent ainsi à JHERING son absence de moral en justice.

Enfin, cet auteur lie le droit à la force : « Le droit est la politique de la force… Il n’est que le
moyen de réaliser un but qui est maintien de la société ». Il lie aussi le droit à la contrainte.
Or c’est l’Etat qui détient la contrainte. Il en déduit que seul l’Etat produit le droit. A la vérité,
il est partisan du positivisme juridique, encore appelé positivisme étatiste.

B – Le normativisme (ou positivisme normativiste)


La tendance normativiste (le normativisme) fonde la règle de droit dans la hiérarchie des
normes. L’ordre juridique interne est considérée comme une parfaite expression de la force
absolue du droit. A l’intérieur de cet ordre, la Constitution s’est imposée comme la norme
juridique supérieure de laquelle se déduit tout le système juridique et politique d’un pays.
Toutes les règles de droit sont fondées dans la Constitution et doivent lui être conforme.
L’expression la plus éloquente de ce normativisme est le contrôle de la Constitutionalité des
lois à laquelle procède une juridiction constitutionnelle. Du point de vue des tenants de
l’école normativiste, la règle de droit s’insère ou intègre un ordre : l’ordre juridique. On
étudiera plus tard l’ordre juridique ou l’ordonnancement juridique. La plus grande figure du
normativisme est le philosophe autrichien Hans Kelsen. Il est l’auteur d’un ouvrage resté
célèbre : « La théorie pure du droit ».

KELSEN (Hans) (1881-1973)

KELSEN est un philosophe du droit. Il est autrichien. On peut résumer en quelques points sa
pensée.

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1°) Il compare les sciences de la nature aux sciences normatives. Dans le premier cas, il
s’agit de ce qui est (en allemand : sein) et dans le second, il s’agit de ce qui devrait être (en
allemand : sollen). Il conclut que les sciences de la nature sont soumises au principe de la
causalité alors que les sciences normatives sont soumises à celle de l’imputation.

2°) La norme juridique se caractérise par cinq éléments : l’impératif hypothétique, la


validité, la contrainte, l’ordonnancement et l’efficacité.
a) Alors que la norme morale est soumise à un impératif catégorique, c'est-à-dire sans
conditions (exemples : ne vole pas, ne mens pas etc.), la norme juridique est assortie de
conditions.
b) A la différence de la norme morale, la norme juridique comporte une contrainte.
c) Pour qu’une norme soit juridique, elle doit être valide, c'est-à-dire accomplie en vertu
d’une norme préétablie qui donne à son auteur le pouvoir de le faire.
d) On en conclut que le droit ne résulte jamais d’une norme unique, mais d’un ensemble de
normes cohérent, constituant un système ordonné. Il en déduit un ordonnancement juridique
que l’on a appelé la « pyramide Kelsenienne ».
e) Enfin, l’ordre juridique n’est valable que si elle est effective. Cette considération légitime
les gouvernements qui arrivent au pouvoir par la force. Il leur suffit d’assurer l’effectivité des
normes qu’ils édictent.
3°) On attribue à KELSEN le monisme juridique. Par cette doctrine, l’Etat s’identifierait au
droit, le droit objectif au droit subjectif, le droit privé au droit public, le droit interne au droit
international.
Paragraphe II – Le positivisme factualiste
Dans le positivisme factualiste, on considère que le fondement de la règle de droit n’est pas la
réalité juridique constituée des phénomènes du droit mais, plutôt, le fait social. On dit de ce
positivisme qu’il est ouvert sur le fait. Auguste COMTE avait déjà établi que le droit, objet
d’une science positive, procède de déterminismes sociaux. A sa suite, SPENCER,
DURKHEIM et, notamment, Léon DUGUIT ont marqué leur différence avec le positivisme
formaliste. Ces auteurs considèrent que le droit n’est pas une volonté plus ou moins arbitraire
de l’Etat. Le fondement du droit devrait être recherché, selon eux, dans le milieu social, c'est-
à-dire les mœurs, les coutumes, les règles corporatives. Ces auteurs développent, en quelque
sorte, un positivisme sociologique.

DURKHEIM Emile (1858- 1917)


Plus que Montesquieu et Auguste Comte, Durkheim est le père de la sociologie française. Il a
enseigné à Bordeaux (1887) puis à Sorbonne (1912). Il a fondé une revue toujours vivante,
L’Année sociologique, et publié un nombre important d’ouvrages : ex. : De la division du
travail social (1893) (sa thèse), Le suicide (1897), Les formes élémentaires de la vie
religieuse : le système totémique en Australie (1912). D’une famille de rabbins, il a rompu
avec le judaïsme à l’Ecole normale supérieure, sous l’influence de ses camarades Jaurès et

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Bergson : il voyait dans les croyances religieuses non seulement des erreurs, mais une forme
de morale confuse et déréglée ; pour lui, tout système religieux a été créé par une société
donnée, ce qui ne peut évidemment être admis par aucun croyant d’une religion quelconque.
Mais il a toujours parlé avec tact de toutes les religions et été fasciné par la distinction du
sacré et du profane, signe pour lui de la réalité religieuse. Il a même vu dans le « fait religieux
» l’origine et le fondement de toutes les institutions sociales : le contrat, la propriété, les
successions, la famille, le testament, l’exécution testamentaire, la condition juridique de la
femme. Il a eu en son temps une autorité considérable, passablement dogmatique et
impérialiste ; pour lui, toutes les activités de l’esprit procédaient de la sociologie. C’est un
positiviste, un scientiste et surtout un rationaliste. Il doit son positivisme à Auguste Comte : «
Les lois des sociétés ne sont pas différentes de celles qui gouvernent la nature et la méthode
qui en permet la découverte n’est pas différente de celle des autres sciences ». Mais il ne
partage pas la foi quasiment dogmatique de Renan en la science : « Nous ne faisons pas de la
science une sorte de fétiche ou d’idole dont les oracles infaillibles peuvent être seulement
reçus à genoux » (L’enseignement philosophique, Rev. philos., 1895, p. 146).
Pourtant, il a une vision scientifique du monde et de la morale : la société est un organisme
vivant et par conséquent les méthodes de la sociologie, sans être calquées sur celles de la
biologie, doivent les rappeler. Son rationalisme est absolu : il est très opposé à une vision
mystique de la vie sociale, comme celle de Bergson, qu’il qualifie de néo catholique : il y voit
une menace d’irrationnel.
Il affirme très fortement la supériorité de la société sur l’individu, parce qu’elle est une
condition nécessaire au développement de l’humanité : la société n’est sans doute rien sans
les individus, mais chacun d’eux est beaucoup plus un produit de la société qu’il n’en est
l’auteur. Il est aussi très attaché à l’individu, qui a une dualité fondamentale, à la fois être
individuel et être social. Il rejette tout à la fois le libéralisme individualiste – que, selon lui,
l’histoire a condamne – et une vision mystique de l’Etat où l’individu ne serait qu’un
instrument de l’Etat. L’Etat n’est pas antagoniste à l’individu : il en est le libérateur. Plus il
est fort, plus l’individu est libre. Ce qui, dans notre histoire contemporaine, a souvent été une
tragique erreur : souvent on a vu que plus l’Etat était fort, moins l’individu était libre.
Section II : Les tendances idéalistes
En droit, l’idéalisme postule l’affirmation d’une valeur supérieure au droit, à laquelle il est
possible de se référer en cas d’injustice. Cette valeur est tellement éminente que le droit
positif doit s’y référer. L’idéalisme juridique est constitué de deux branches principales. Pour
les uns, la nature est la valeur supérieure au droit : c’est l’école du droit naturel encore appelé
le naturalisme. Pour les autres il s’agirait de la raison : c’est le rationalisme.

Paragraphe premier : L’école du droit naturel


L’école du droit naturel part du postulat qu’il y a des lois non écrites, immuables et supérieure
aux lois positives. Le droit positif tire sa validité en ce qu’il est conforme à ce droit naturel, à
ces lois naturelles. SOPHOCLE en a fourni une expression dans Antigone. En effet, Antigone
a désobéi à l’édit de Créon, en donnant une sépulture à son frère, et, pour se justifier, déclare :
« Je ne pensais pas, s’écrie-t-elle, qu’il eût assez de force, ton édit, pour donner à un être
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mortel, le pouvoir de violer les divines lois non écrites que personne ne peut ébranler. Elles
ne sont pas d’aujourd’hui, ni d’hier, mais elles sont éternelles, et personne ne sait quel est leur
passé profond ».
Pour certains, les lois naturelles sont inspirées de la nature cosmique. C’est ainsi que le
philosophe Romain CICERON considère que « le droit a un fondement dans la nature même
». C’est pour cette raison qu’il présente un caractère universel.
En revanche, pour d’autres, les lois ont plutôt une nature divine : elles procèdent de Dieu. La
philosophie chrétienne a développé cette approche. Pour Saint Augustin (philosophe du IVe
siècle), les lois profanes sont injustes car il n’y a pas de justice sans adhésion à Dieu. Chaque
chrétien ne se trouve lié à la cité des hommes que de manière précaire. En réalité, il ressent
beaucoup plus son appartenance à la cité de Dieu, cité supraterrestre et intemporelle. Saint-
Augustin déduit de cette analyse que la source authentique du droit ne peut être cherchée
ailleurs que dans l’Ecriture Sainte.

Paragraphe II : L’école du rationalisme

Plus tard, Saint Thomas d’AQUIN (XIIIe siècle) a nuancé l’approche de son prédécesseur (on
appelle sa doctrine le thomisme). Dans la somme théologique, il a considéré que face à la loi
divine, éternelle et immuable, non saisissable par les sens, existe une loi naturelle présente en
chaque homme dont doit se déduire la loi humaine. Pour lui, le droit est fondé en raison.
Seulement, il existe des degrés. C’est ainsi qu’au sommet, la loi éternelle (lex aeterna)
exprime la raison divine présente dans l’intelligence du monde. A un degré inférieur, Saint-
Thomas situe la loi naturelle (lex naturalis) qui est accessible à l’homme par l’exercice de la
raison spéculative. La lex naturalis marque la relation entre la raison divine et la liberté
humaine, rationnelle.
Enfin, la lex humana correspond à la raison humaine qui élabore les règles pratiques de vie
individuelle et sociale. Elle constitue en réalité le droit positif.
Mais le thomisme annonce plutôt le rationalisme. D’autres auteurs vont faire prospérer ce
courant de penser de l’idéalisme. Il s’agit d’Emmanuel KANT, de GROTIUS et de
PUFENDORF. Ceux-ci contribueront, avec d’autres, à asseoir les droits fondamentaux de la
personne, qui sont, par hypothèse, pré ou ante juridique, c'est-à-dire qui préexistent au droit
positif qui doit leur être conforme.

Chapitre IV – Les particularismes du droit ivoirien


Le droit ivoirien, tel qu’il apparaît aujourd’hui, est, comme le droit dans toute société
humaine, le produit de l’histoire et de la culture. Il convient, dès lors, de présenter le
processus de formation du droit ivoirien (Section première) avant de relever les données qui
influencent, de nos jours, le droit privé (Section II).
Section première : La formation du droit

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Deux éléments sont à la base de la formation du droit privé ivoirien. Le premier est la
rencontre avec l’étranger. Le second est la consolidation de l’héritage colonial.
Paragraphe premier : La rencontre avec l’étranger
L’espace juridique ivoirien est constitué de groupes ethniques et culturels variés. Avec la
colonisation française, le droit de tradition française y a été introduit. La rencontre avec
l’étranger marque une certaine vitalité du droit dans ce pays. Il convient de rappeler le
processus de la rencontre avant de présenter l’un des instruments juridiques introduits : le
Code civil (français).
A – Le processus de la rencontre
Il faut considérer que les sociétés africaines précoloniales n’étaient pas dans l’ignorance du
droit. Il n’y a pas de sociétés humaines sans règles juridiques. Seulement, la règle de droit
était formée à partir de l’une de ses sources principales, la coutume. Chaque groupe humain
était placé sous le régime de plusieurs coutumes. C’est en cet état que la colonisation est
arrivée.
Le droit français avait été alors introduit dans les anciennes colonies. C’est ainsi qu’en droit
privé, le Code civil et le Code du commerce français ont été, en partie importante, introduite
dans le territoire de la Côte d’Ivoire. Par quelle méthode le droit français a-t-il été introduit en
Côte d’Ivoire ?
Le colonisateur avait le choix entre deux options. Soit assimiler le droit français au droit de
l’ancienne colonie. Cela consisterait à déclarer systématiquement applicable en Côte d’Ivoire
tous les textes de droit pris en France : c’est le principe de l’assimilation. Soit , au contraire,
préserver le droit traditionnel africain, en introduisant dans cet espace, au coup par coup, les
textes jugés adaptables aux colonies : c’est le principe de la spécialisation.
Laissant échapper le principe de l’assimilation législative au profit de la spécialité, la
colonisation française a introduit de manière partielle et éparse, les textes émanant de la
législation de ce pays. Comme le souligne M. SOSSA, « En réalité, le principe de
l’assimilation législative n’a jamais prospéré dans les rapports coloniaux franco-africains. On
a plutôt assisté au triomphe de la règle de la spécialité législative ». En vertu de ce principe,
les lois ne sont applicables aux territoires d’outremer que si elles ont été faites précisément en
vue de les régir, à moins d’être spécialement prévues par une disposition contenue dans la loi
elle-même ou dans un autre texte spécifique et postérieur. MM. SOL et HARANGER ont pu,
dans leur « note préliminaire » introductive du Code de procédure civile applicable aux
colonies, déduire de cette situation que : « le règlement de la procédure civile aux colonies est
une des matières des plus confuses, - on peut même dire la matière la plus confuse – de la
législation coloniale. La nécessité de tenir compte à la fois des besoins des justiciables, de la
configuration des divers territoires, des mœurs particulières des habitants, des particularités
de l’organisation judiciaire, etc., a non seulement eu pour résultat de provoquer une grande
diversité des règles de procédure suivant les pays d’outre-mer, mais encore a poussé le
législateur, à rester dans un vague prudent, dans la crainte d’édicter des règles inapplicables
ou contradictoires avec des contingences locales ». Mais à la vérité, la spécialité est de pur
droit puisqu’en fait, c’est le principe de l’assimilation qui a prévalu. Les mêmes auteurs
avaient souligné cet aspect lorsqu’ils ont affirmé : « Cette situation a donné naissance non
point, malheureusement, à une sorte de droit prétorien solidement établi, mais à un amas de

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décisions jurisprudentielles fragmentaires, instables et souvent contradictoires. Sous la
poussée d’impérieuses nécessités, les tribunaux, devant la carence des législations locales, ont
dû, choisissant entre deux maux le moindre, faire fi du principe de la promulgation spéciale
aux colonies et appliquer la législation métropolitaine, invoquée à titre de raison écrite ».
Cette assimilation de fait prévaut encore dans certains Etats qui se sont abstenus de légiférer
dans cette matière après leur accession à l’indépendance. C’est le cas de la Côte d’Ivoire,
notamment en droit des obligations civiles.

B – Présentation du Code civil


On appelle Code, l’ensemble des lois ordonnées, regroupant les matières qui font partie d’une
même branche. Le Code civil français a été promulgué le 21 mars 1804. Il fut l’œuvre de
BONAPARTE (Napoléon BONAPARTE ou Napoléon 1er), qui confia à une commission le
soin de réunir en un seul corps de règles (un Code), l’ensemble de la législation civile
française éclatée dans les différentes coutumes du pays. La commission était présidée par
Jean-Etienne PORTALIS (1745-1807) et composée de : François TRONCHET, Félix Bigot
de PREAMENEU et du Marquis Jacques de MALLEVILLE. PORTALIS et Bigot de
PREAMENEU étaient des avocats ; TRONCHET et MALEVILLE des magistrats. Le projet
qui a été retenu est précédé d’un Discours Préliminaire, sorte d’exposé des motifs que
PORTALIS a présenté. Le Code avait été baptisé Code Napoléon. Il a gagné l’Europe,
notamment la Belgique, la Suisse, l’Allemagne ; l’Amérique Latine et le Québec. Par la
colonisation, il a été introduit en Afrique. Les principales idées du XIXè siècle ont
profondément marqué le Code civil, considéré par certains comme une Constitution civile.
On y sent la présence de la philosophie du droit naturel ; des idées progressistes comme la
liberté, la propriété, l’égalité etc. Certaines idées conservatrices sont néanmoins maintenues
dans le Code. Exemple : la protection de la famille. PORTALIS considérait même que le
mariage n’a d’autre objet que la procréation. Il est vrai que les travaux de certains grands
penseurs français ont influencé l’œuvre de la commission Portalis. Il s’agit, notamment, de
Jean DOMAT (1625-1696). « Il a écrit : Les lois civiles dans leur ordre naturel ». Il s’agit
aussi de Robert-Joseph POTHIER ainsi que du Chancelier Henri-François D’AGUESSEAU
».
Domat Jean (1625 – 1696)
Avocat du roi au présidial de Clermont-Ferrand, Domat s’installa ensuite à Paris. Avec les
Lois civiles (c’est-à-dire le droit romain) dans leur ordre naturel (1689), s’accomplit une
systématisation ordonnée et cartésienne, à la langue claire, précise et exacte –mais un peu
solennelle : l’ordre du grand siècle d’un jardin à la française, elle préfigure la codification de
1804. Boileau qui, pourtant n’était pas tendre avec les juristes (dont il avait souffert),
l’appelait « le restaurateur de la raison dans la jurisprudence ». Il est nourri par une ardente
foi chrétienne et une spiritualité janséniste. Ses Pensées sont pascaliennes : « Le superflu des
riches devait servir pour le nécessaire des pauvres ; mais, tout au contraire, le nécessaire des
pauvres sert pour le superflu des riches ». « Cinq ou six pendards partagent la meilleure
partie du monde et la plus riche ; c’en est assez pour nous faire juger quel bien c’est devant
Dieu que les richesses ». « Quelle machine que mon âme ! Quel abîme de misère et de
faiblesse ! »

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A la différence de Pascal, Domat croit au droit naturel et en la raison : « C’est cette lumière
de la raison, qui, faisait sentir à tous les hommes les règles communes de la justice et de
l’équité, leur tient lieu d’une loi, qui est restée dans tous les esprits au milieu des ténèbres
que l’amour-propre y a répandues. Ainsi tous les hommes ont dans l’esprit les impressions de
la vérité et de l’autorité de ces lois naturelles : qu’il ne faut faire tort à personne ; qu’il faut
rendre à chacun ce qui lui appartient ; qu’il faut être sincère dans les engagements, fidèles à
l’exécution de ses promesses et des autres règles semblables de la justice et l’équité. Car la
connaissance de ces règles est inséparable de la raison, ou plutôt la raison n’est elle-même
que la vue et l’usage de toutes ces règles » (Traité des lois, ch. IX, 5). Il affirme aussi que
l’autorité des lois relève de l’ordre divin. Chapitre I : Des premiers principes de toutes les
lois ,5 : …« La première loi qui est l’esprit de sa religion, est celle qui lui commande la
recherche et l’amour de ce souverain bien(Dieu)… cette (loi) en renferme une seconde qui les
oblige à s’unir et s’aimer entre eux… ».
Son autorité morale, juridique et intellectuelle n’est pas apparue tout de suite. Elle a été
considérable à sa mort. Voici, par exemple, ce qu’en disait d’Aguesseau : « Personne n’a
mieux approfondi que Domat le véritable principe des lois et ne l’a expliqué d’une manière
plus digne d’un philosophe, d’un jurisconsulte et d’un chrétien. Après avoir remonté jusqu’au
premier principe, il descend jusqu’ aux dernières conséquences. Il les développe dans un
ordre presque géométrique : toutes les différentes espèces de lois y sont détaillées avec les
caractères qui les distinguent. C’est le plan général de la société civile le mieux fait et plus
achevé qui ait jamais parue ».
POTHIER Robert Joseph (1699- 1772)
Professeur à l’Université d’Orléans et conseiller au Présidial de cette ville. Au siècle dernier,
on avait dit de lui qu’il était « le plus célèbre jurisconsulte que la France ait connu » ; ou bien
encore : « Il est des hommes si célèbres dans leur genre qu’il suffit de les nommer pour l’idée
de la perfection … Tel a été de nos jours M. Pothier ». L’expression la plus connue c’est qu’il
était « le père du code civil ». Son œuvre, surtout pour les obligations et les contrats, a
beaucoup inspiré les rédacteurs du code, ne serait-ce que parce qu’elle a été la dernière
grande œuvre et le seul traité complet de droit civil de l’Ancien droit à avoir précédé la
Révolution. Mais elle n’a ni la langue, ni le souffle du droit Napoléon.
Il connaît bien le droit romain : il a fait un commentaire du Digeste en le mettant dans un
ordre rationnel ; Pandectes justiniennes rédigées dans un nouvel ordre (1748-1752). Il connaît
bien aussi le droit coutumier (commentaire de la coutume d’Orléans ,1740). Son œuvre la
plus importante et la plus célèbre est le traité des obligations (1761) ; les autres en sont le
développement : Traité… du contrat de rente, du louage, de la vente, des contrats de société,
des contrats maritimes, des contrats de bienfaisance, du contrat de mariage.

PORTALIS Jean Etienne, (1745-1807)


D’abord avocat au parlement d’AIX-EN-PROVENCE, puis ministre des cultes. Son titre de
gloire est d’avoir été un des rédacteurs du code civil et d’avoir rédigé le Discours
préliminaire au projet du code civil (an VIII), le plus beau texte sur la législation qui en tout
temps et en tout lieu ait jamais été écrit.

24
C’est à la rédaction du code civil que son nom est attaché. Pendant le directoire, Portalis
était pourtant hostile à la codification et à l’unification du droit : « Renonçons à la dangereuse
ambition de faire un nouveau code civil » ; et cette réserve apparaît dans le Discours
préliminaire : « L’uniformité est un genre de perfection qui, selon le mot d’un auteur célèbre
(Montesquieu), saisit quelque fois les grands esprits, et frappe infailliblement les petits ». Le
code civil est une œuvre de modération : « Il ne suffit pas, en législation de faire des choses
bonnes : il faut encore n’en faire que de convenable : l’esprit de modération est le véritable
esprit du législateur et le bien politique, comme le bien moral se trouve toujours entre deux
limites (on croirait lire du Montesquieu)…Il ne faut point de lois inutiles … ni tout
simplifier… ni tout prévoir… Ce serait une erreur de penser qu’il pût exister un corps de lois
qui eût d’avance pourvu à tous les cas possibles et qui cependant fut à la portée du moindre
citoyen… On gouverne mal quand on gouverne trop. ». Le code est aussi une œuvre de
réalisme politique ; Portalis est pour le progrès : « Il faut changer, quand la funeste de toutes
les innovations serait, pour ainsi dire, de ne pas innover, on ne doit point céder, à des
préventions aveugles. Tout ce qui est ancien a été nouveau. » Mais il est aussi si prudent qu’il
est presque conservateur : « Nous avons trop aimé dans nos temps modernes les
changements et les réformes : si, en matière d’institutions et de lois, les siècles d’ignorance
sont le théâtre des abus, les siècles de philosophie et de lumière ne sont que trop souvent le
théâtre des excès… L’essentiel est d’inspirer aux institutions nouvelles le caractère de
permanence et de stabilité qui puisse leur garantir le droit de devenir anciennes ». Il sait que
le droit évolue avec le temps et que l’on ne saurait légiférer pour l’éternité : « Comment
enchaîner l’action du temps ? Comment s’opposer au cours des évènements ou à la pente
insensible des mœurs ? Les codes des peuples se font avec le temps, mais à proprement
parler, on ne les fait pas. » Il est, comme tout le monde en son temps, convaincu que le droit
ne tire sa force que de sa conformité à la raison et au droit naturel : « La raison, en tant
qu’elle gouverne indéfiniment les hommes, s’appelle droit naturel ». Il croit en la nécessité du
droit civil, plus sans doute qu’à celle du droit public : « De bonnes lois civiles sont le plus
grand bien que les hommes puissent donner et recevoir … ; elles modèrent la puissance et
contribuent à la faire respecter, comme si elle était la justice elle-même. Elles atteignent
chaque individu, elles se mêlent aux principales actions de la vie, elles le suivent partout ;
elles sont souvent l’unique morale du peuple, et toujours, elles font partie de sa liberté »…
Des quatre membres de la commission de rédaction, c’est lui qui, malgré sa cécité, en a sans
doute le plus marqué l’esprit et la pureté de langue. Les tendances politiques de Portalis se
sont surtout révélées lorsque le projet du code civil a été discuté au conseil d’Etat. Deux
parties se sont alors affirmés : la droite, personnifiée par Bigot de Préameneu – il fallait le
plus possible, maintenir les pratiques et les règles anciennes – et la gauche, représentée par
Treilhard – il fallait, le plus possible un monument législatif complètement neuf.
Généralement, Portalis a appuyé la droite ; mais lorsque la lutte devenait trop vive, il sacrifié
ses convictions et imposé une transaction ; c’est ainsi qu’il fit adopter un régime mixte … sur
les enfants naturels … sur les successions …, sur les contrats de mariage … et sur les
hypothèques. Le rôle prépondérant dans la rédaction du code civil, c’est Portalis.

Paragraphe II – La consolidation de l’héritage colonial


Le droit contemporain ivoirien n’a pas rompu avec l’héritage colonial. Bien au contraire, il a
été renforcé. Avant les indépendances déjà, Le code civil napoléonien avait été rendu

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applicable par décret en Afrique Occidentale Française (AOF) et donc en Côte d’Ivoire, vers
la fin du XIXe siècle. Après les indépendances, non seulement le code civil demeure
applicable dans la plupart de ses dispositions en vertu du principe de la spécialité législative
consacré par l’art. 133 de la Constitution qui dispose que : « La législation actuellement en
vigueur en Côte d’Ivoire reste applicable, sauf l’intervention de textes nouveaux, en ce
qu’elle n’a rien de contraire à la présente Constitution ». Mais aussi, pour la plupart, les
réformes effectuées juste après l’indépendance n’ont fait que reprendre l’état du droit français
au moment de leur intervention. C’est le cas des dix lois de l’année 1964 :
1/ la loi n° 64-373 du 7 octobre 1964 relative au nom modifiée par la loi n° 83-799 du 2 août
1983 ;
2/ la loi n° 64-374 du 7 octobre 1964 relative à l’état civil modifiée par les lois n° 83-799 du
2 août 1983 et 99-691 du 14 décembre 1999 ;
3/ la loi n° 64-375 du 7 octobre 1964 relative au mariage modifiée par la loi n° 83-800 du 2
août 1983 et celle n° 2013-33 du 25 janvier 2013;
4/ la loi n° 64-376 du 7 octobre 1964 relative au divorce et à la séparation de corps modifiée
par les lois n° 83-801 du 2 août 1983 et n° 98-748 du 23 décembre 1998 ;
5/ la loi n° 64-377 du 7 octobre 1964 relative à la paternité et à la filiation modifiée par la loi
n° 83-799 du 2 août 1983 ;
6/ la loi n° 64-378 du 7 octobre 1964 relative à l’adoption modifiée par la loi n° 83-802 du 2
août 1983 ;
7/ la loi n° 64-379 du 7 octobre 1964 relative aux successions ;
8/ la loi n° 64-380 du 7 octobre 1964 relative aux donations entre vifs et aux testaments ;
9/ la loi n° 64-381 du 7 octobre 1964 relative aux dispositions diverses applicables aux
matières régies par les lois sur le nom, l’état civil, le mariage, le divorce et la séparation de
corps, la paternité et la filiation, l’adoption, les successions, les donations entre vifs et les
testaments et portant modification des articles 11 et 21 de la loi n° 61-415 du 14 décembre
1961 sur le code de la nationalité ;
10/ la loi n° 64-382 du 7 octobre 1964 portant fixation des modalités transitoires à
l’enregistrement des naissances et des mariages non déclarés dans les délais légaux lorsqu’un
jugement transcrit sur les registres de l’état civil n’a pas déjà suppléé l’absence d’acte.

A l’époque actuelle, l’influence de la communautarisation du droit portée par les différents


traités d’intégration juridique et/ou judiciaire marque davantage la dépendance du droit
ivoirien de l’esprit du droit français. L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du
droit des affaires (OHADA), l’Union économique et monétaire Ouest Africain (UEMOA)
ainsi que d’autres systèmes d’intégration sont caractérisés par la présence en leur sein de la
majorité de la quasi-totalité des Etats africains francophones de l’espace de référence.

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Section II : Les dimensions nouvelles du droit ivoirien

L’évolution du droit excède les considérations géopolitiques. Le droit français lui-même est
influencé par le droit anglo-saxon qui a les faveurs des acteurs de l’économie mondiale. Un
droit universel prend progressivement corps, dans le domaine des affaires, de la protection
des droits individuels et de la lutte contre la criminalité internationale. Le droit ivoirien est
également ouvert à ces influences nouvelles. On peut retenir que le droit ivoirien se cherche
entre tradition et modernité d’une part (Paragraphe premier) et entre stabilité et dynamisme
d’autre part (Paragraphe II).
Paragraphe premier : Un droit entre tradition et modernité
Le droit est le produit de la culture. Le droit béninois n’échappe pas à cette dimension. Il est
juste de préciser, en effet, que la règle de droit reflète, par endroits, les traditions des peuples
regroupés à l’intérieur du territoire ivoirien. La coutume, source réelle du droit, est présente
dans les corps de règles ainsi que dans l’organisation judiciaire.
C’est ainsi, qu’en matière successorale notamment, le juge tient compte du mode
d’acquisition des biens pour en déduire le régime de leur transmission par voie successorale,
soumettant ainsi les biens lignagers aux coutumes et les autres biens aux règles prévues par la
loi sur les successions. De même certaines pratiques traditionnelles font observer en droit
ivoirien la persistance ou l’existence de coutume contra legem. Contrairement la première
hypothèse où les traditions sont accueillies, dans la deuxième, il y a une contrariété entre le
droit moderne (importé) et les valeurs ancestrales ou traditionnelles.

Paragraphe II : Un droit entre stabilité et dynamisme


Le droit ivoirien est caractérisé par sa lenteur quant aux réformes nécessitées par les
exigences de la modernité. Outre les 10 lois civiles de 1964, modifiées pour certaines en 1983
puis en 2013, et d’autres lois dans certaines matières telles que le droit du travail, le droit
penal, le droit de la fonction publique … la plupart des matières (droit civil en particulier)
sont encore régies par le droit français.
Au-delà de ce constat, le droit ivoirien connaît de plus en plus un dynamisme et une fertilité
porteuse d’efficacité grâce au droit communautaire. Le traité de l’OHADA, celui de
l’UEMOA, celui de la CIMA, celui de l’OAPI (Organisation africaine de la propriété
intellectuelle) contribuent à fournir les raisons de soutenir que c’est un droit en net
progression.

Chapitre V – La méthode juridique


Le droit est constitué de normes dont l’application nécessite une interprétation avisée. Les
juges et les auteurs ne pourraient assurer ou faire assurer une mise en œuvre effective de la
règle de droit sens en rechercher le sens. Pour y parvenir, ils empruntent des mécanismes
intellectuels encore appelés des méthodes juridiques : ce sont des méthodes d’interprétation

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(Section première). Mais leur utilisation répond aux règles pratiques auxquelles elles sont
soumises (Section II).
Section première : Les méthodes d’interprétation
Quand le législateur pose la règle de droit, il n’est plus là pour en fournir le sens au moment
de son application. Dans un régime de séparation des pouvoirs, le législateur n’applique
même pas la norme qu’elle a posée. Ce travail revient au juge. Or, celui-ci est appelé à
interpréter la loi, c'est-à-dire à rechercher et à donner un sens au texte adopté par un autre
organe. Ayant craint les excès du pouvoir judiciaire sous l’Ancien régime français, les
révolutionnaires français avaient exclu toute possibilité, de la part du juge, d’interpréter la
règle de droit. Ils avaient alors institué un référé législatif. C’est une procédure rapide de
saisine de l’Assemblée législative afin que celle-ci fournisse au juge le sens d’une loi. Il est
bien entendu que cette procédure n’a pas survécu au temps et il a fallu bien laisser aux
praticiens le soin d’interpréter la règle de droit. C’est ainsi qu’à l’avènement du Code civil,
les auteurs qui ont entrepris de l’interpréter et d’enseigner le droit qui s’en infère avaient
emprunté une méthode classique que l’histoire a baptisé la méthode exégétique (Paragraphe
premier). C’est en raison de ce que cette méthode classique s’oppose à certaines autres
appelées méthodes modernes (Paragraphe II).
Paragraphe premier : La méthode exégétique
L’exégèse renvoie à une science dont le but est d’établir le sens d’un texte. Elle est pratiquée
par les interprètes des écritures saintes, notamment, la Bible. En droit, l’exégèse a inspiré une
méthode d’interprétation (on parle de méthode exégétique ou d’interprétation exégétique)
dont le principe est de rechercher la volonté de l’auteur du texte à partir de celui-ci, du
contexte de son élaboration, des travaux préparatoires. Le but visé est de dégager le sens
exact de la règle de droit, notamment de la loi et de fixer sa portée.
Contrairement à ce qu’on a pu penser, l’interprétation exégétique ne se résume pas à une
interprétation littérale au sens restreint de ce terme, ce que le Doyen CARBONIER a désigné
par le « littéralisme ». Si ce n’est que cela, on rechercherait le sens du texte à travers une
glose sur chacun des mots qui le constitue. Il est vrai que certains auteurs ont succombé à
cette tentation de sorte que, ce qui faisait partie de « l’école de l’exégèse » au XIXè siècle
faisaient bien, à maints égards, le culte du texte de la loi.
La méthode exégétique recherche plutôt l’esprit de la loi dans le texte lui-même appuyé par
les documents qui l’ont préparé.

Paragraphe II : Les méthodes nouvelles


Les modernes ont formulées des critiques quant à la pertinence de la méthode exégétique. Ils
relèvent notamment que la notion d’intention du législateur paraît bien incertaine. Ils
soulignent aussi le fait que les travaux préparatoires sont parfois hors d’atteinte. Ces griefs
font un écho encore plus fort en Afrique. En effet, les difficultés de constitution et d’entretien
des archives rendent impossibles l’accès aux travaux préparatoires. D’un autre côté,
l’intention du législateur est difficile à rechercher en l’absence d’une légistique fondamentale.
Le développement des lois types, à l’image du prêt-à-porter, rend encore la méthode
exégétique délicate. Aussi bien, certains ont-ils mis en lumière d’autres méthodes, plus

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adaptées, modernes. Parmi les méthodes dites modernes, on peut citer la méthode
téléologique, la méthode historique, la méthode structuraliste, la méthode de la libre
recherche scientifique.
En suivant la méthode téléologique, l’interprète recherche la finalité du texte. Cette méthode
a deux tendances. La première a été expérimentée au début du XXème siècle. Elle considère
que la portée d’une loi se détermine au moyen de deux éléments : la formule littérale du texte
(survivance de l’interprétation exégétique) et le but social poursuivi au moment de son
élaboration (la finalité). La formule littérale est l’élément fixe. Le but social est l’élément
mobile qui peut être réalisé suivant des moyens différents. La seconde tendance de la
méthode téléologique a été l’œuvre de la doctrine contemporaine. Elle recherche plutôt
l’objectif qui a présidé à l’élaboration de la règle de droit. Selon les tenants de cette tendance,
on pourrait en tirer la politique législative qui permettrait d’établir le sens de la règle.
Dans la méthode historique, ou évolutive, l’interprète peut adapter le texte aux nécessités de
son époque. Il rechercherait alors ce qui se passerait si le législateur avait adopté le texte au
moment où il l’interprète. Suivant cette méthode, on pourrait affirmer que ce qui importe, ce
n’est pas l’intention du législateur quand il adoptait le Code civil en 1804, mais ce qu’il dirait
s’il devrait l’adopter en 2010. En suivant la méthode évolutive, un même texte pourrait avoir
des applications différentes selon les époques.
La méthode structuraliste fait revenir l’interprète au texte, mais non en recherchant dans les
éléments exogènes le sens, mais en se référant à la structure du texte : emploi fréquent de
certains vocables, d’expressions anciennes ou argotiques, la symétrie ou la dissymétrie des
dispositions etc. Ici, l’interprète applique à la règle de droit une méthode de science
expérimentale.
Enfin, dans la libre recherche scientifique, inventé par François GENY, l’interprète devra
considérer que la règle de droit ne peut prévoir toutes les situations. A partir d’un moment ou
d’un point, il y a un vide juridique que le juge devra combler. Il recherche les solutions aux
problèmes posés non pas en interprétant la règle de droit (en présence d’un vide, d’un
imprévu), mais en procédant à une libre recherche scientifique. Il fait alors œuvre de
législateur en empruntant les outils les plus adaptés à la situation : histoire, sociologie,
philosophie, cultes etc.

Section II : Les règles d’interprétation


Sur le terrain de la pratique, l’interprète utilise certaines règles au service de sa méthode. On
distingue les procédés d’interprétation (paragraphe premier) des maximes d’interprétation
(paragraphe II).
Paragraphe premier : Les procédés d’interprétation
Suivant le langage ordinaire, le procédé est le moyen pratique pour faire quelque chose et
obtenir un résultat. C’est la technique ou le système qui met en œuvre une donnée
scientifique. Les procédés sont donc aussi les techniques d’interprétation. Ils ont constitué des

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recettes empiriques auxquelles les interprètes ont recours. Sont utilisés, avec fréquence, les
procédés suivants : le raisonnement par analogie, l’argument a contrario, l’argument a
fortiori.
Dans le raisonnement ou l’argument par analogie, on étend l’application de la loi à des
matière ou des cas qu’elle n’a pas prévus. On passe du connu à l’inconnu. A proprement
parler, il ne s’agit pas d’une interprétation mais plutôt d’une extension de la règle aux
hypothèses qui lui étaient restées inconnues au moment de son élaboration. De ce que la loi a
régi une situation, on déduit qu’elle est applicable aux situations semblables. Le raisonnement
par analogie est encore appelé l’argument a pari. Exemple : Les lois civiles sur le mariage
prévoit « la sanction des règles de formation du mariage ». Mais elles n’organisent pas les
effets de l’annulation quant du mariage à l’égard des époux. Le bon sens convie à penser que
l’annulation du mariage éteint les devoirs de fidélité, de secours et d’assistance. Mais le
législateur ne l’a pas décidé ainsi. Que pourrait alors faire le juge face au silence de la loi ?
Le raisonnement par analogie permet de s’inspirer d’une disposition relative à une institution
qui ressemble fort à l’annulation du mariage : le divorce. En effet, les lois civiles règlent, en
partie, les effets du divorce à l’égard des époux. En substance, elles prévoient que le divorce
dissout le mariage, met fin aux devoirs réciproques des époux… On considère donc, par
analogie, que l’annulation dissout le mariage et met fin à toutes obligations entre les parties.
Dans le raisonnement ou l’argument a contrario, on considère que si la règle de droit, (un
texte de loi par exemple), dit quelque chose, elle est censée nier le contraire. Exemple :
l’article 6 du Code civil dispose : « On ne peut pas déroger, par des dispositions particulières,
aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». Le raisonnement ou l’argument
a contrario conduirait à dire : On peut déroger, par des dispositions spéciales, aux lois qui
n’intéressent ni l’ordre public, ni les bonnes mœurs.
L’argument a fortiori est celui par lequel on étend l’application d’une loi à un cas non prévu
en raison de ce que les motifs qui ont conduit à son élaboration sont encore plus justifiés dans
le cas non prévu. Exemple : l’article 113 du Code des personnes et de la famille du Bénin
dispose que les fiançailles sont une convention solennelle. Si le législateur a décidé que les
fiançailles soient consacrées par une convention solennelle, a fortiori, le mariage est
également un acte solennel.

Paragraphe II : Les maximes d’interprétation


Les maximes sont des principes généraux du droit exprimé le plus souvent sous forme
d’adage. Certains servent à l’interprétation de la règle de droit. Sans être exhaustif, on peut
citer celles qui suivent :
1. Exceptio est strictisime interpretationis : Les exceptions sont d’interprétation stricte. Cette
maxime signifie que lorsque le législateur admet une exception, celle-ci doit être comprise de
manière restrictive. Il ne faut pas étendre son application. En outre, l’exception doit être
prévue par un texte.

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2. Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus : Il ne faut pas distinguer là où la loi ne
distingue pas. Cela signifie que l’interprète n’a pas le pouvoir de restreindre l’application
d’une loi conçue en termes généraux.
3. Cessante ratione legis, cessat ejus dispositio : La loi cesse là où cessent ses motifs. Cela
veut dire que la loi ne doit pas être appliquée à des situations qui, tout en paraissant être
prévues par la lettre du texte, se trouvent excluent de son esprit.

Chapitre VI : L’organisation judiciaire ivoirienne


Section 1 : L’organisation des juridictions
Paragraphe 1 : Les principes fondamentaux de l’organisation judiciaire
L’organisation judiciaire Ivoirienne repose sur un certain nombre de principes. Il s’agit du
principe de l’unité juridictionnelle, de la collégialité et du double degré de juridiction.
A - Le principe de l’unité juridictionnelle
Celui-ci signifie qu’en Côte d’Ivoire les mêmes magistrats sont compétents pour connaître de
tous les procès soit civil, commercial, administratif ou fiscal et doivent appliquer l’ensemble
du droit.
Ainsi, tant au 1er degré qu’au 2nd degré, les mêmes magistrats connaissent de toutes les
affaires. Ils sont donc juges de droit commun.

B - Le principe de la collégialité
Selon ce principe, les jugements des tribunaux de première instance sont rendus par des
magistrats délibérant en nombre impair d’au moins trois (03) juges.
De même, les sections détachées siègeront de façon collégiale en matière délictuelle ; lorsque
l’intérêt du litige excède 50.000.000 FCFA et aussi, en cas d’infraction contre la sûreté de
l’Etat…
C - Le principe du double degré de juridiction
C’est le double examen successif d’un litige par les juridictions.
Il s’agit des juridictions de 1 er degré (Tribunaux de Première Instance et leurs sections
détachées) et de la juridiction de 2 nd degré (Cours d’Appel). En d’autres termes, ce principe
signifie qu’une décision rendue par un premier juge peut être contestée devant un autre juge.
Cependant, il faut préciser que les jugements rendus par le tribunal de police (compétent pour
les contraventions) et les arrêts de la cour d’assise échappent à ce principe.

Paragraphe 2 - Les principales juridictions

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Il s’agit des juridictions de l’ordre constitutionnel, de juridictions de l’ordre administratif et
des juridictions de l’ordre judiciaire.
A - Les juridictions de l’ordre constitutionnel
Deux juridictions relèvent de cet ordre. Ce sont la haute cour de justice et le conseil
constitutionnel.
 La haute cour de justice :
Cette juridiction non permanente connaît des actes accomplis par le Président de République
en cas de haute trahison et des faits qualifiés crimes ou délits commis par les membres du
gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions.
Cette cour est composée de députés que l’assemblée nationale élit en son sein et est présidée
par le président de la cour de cassation (actuellement, c’est la cour suprême).
 Le conseil constitutionnel :
Composée de personnalités connues pour leur compétence en matière juridique ou
administrative et désignées par le Président de la République, cette juridiction est juge de la
constitutionnalité des lois et est l’organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics.
Il contrôle la régularité des opérations de référendum et en proclame les résultats. Il statue sur
l’éligibilité des candidats aux élections présidentielle et législative, sur les contestations
relatives à ces élections et proclame les résultats définitifs des élections présidentielles.

B - Les juridictions de l’ordre administratif


Il s’agit des Tribunaux de première instance et de leurs sections détachées et du conseil
d’Etat
 Les Tribunaux et les sections détachées :
Ils connaissent de toutes les affaires y compris celles mettant en cause une personne morale
de droit public.
 Le conseil d’Etat :
Elle est compétente pour trancher en dernier ressort dans les procédures où une personne
morale de droit public est partie sauf en matière répressive. Elle est saisie par la voie du
recours pour excès de pouvoir pour statuer sur l’acte administratif illégal ou faisant grief.
NB : La constitution ivoirienne a prévu pour cet ordre une juridiction nouvelle dénommée
Conseil d’Etat. Mais celle-ci n’est pas encore mise en place car la loi l’organisant n’a pas
encore été votée.

C - Les juridictions de l’ordre judiciaire


Elles sont composées des juridictions civiles et pénales.

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1- Les juridictions civiles
On a les juridictions de 1er degré, les juridictions de 2nd degré et la cour suprême (chambre
judiciaire).
a) Les juridictions de 1er degré 
Elles sont composées des juridictions de droit commun et des juridictions d’exception.
 Les juridictions de droit commun :
On appelle juridictions de droit commun celles qui ont compétence pour juger en première
instance toutes les affaires de droit privé pour lesquelles la loi n’a pas donné expressément
compétence à une autre juridiction.
Elles sont constituées des Tribunaux de Première Instance (TPI) et de leurs sections
détachées. La loi a prévu 13 TPI dont 3 sont encore non fonctionnels.
 Les juridictions d’exception :
Ce sont celles à qui la loi accorde une compétence expresse. On a le Tribunal du travail
(chargé de régler les conflits individuels entre employeur et employé) et également la
juridiction présidentielle (possibilité reconnue au juge par la loi de statuer seul, en matière
gracieuse, dans certains cas d’urgence par voie d’ordonnance).

b) Les juridictions de 2nd degré


Ce sont les juridictions de droit commun au second degré qui sont constituées des Cours
d’Appel. Elles sont au nombre de 03. Il s’agit des Cours d’Appel d’Abidjan, de Bouaké et de
Daloa. La cour d’appel connaît des appels formés contre les décisions des juridictions de son
ressort, qu’il s’agisse des TPI ou des juridictions d’exception. La cour d’appel est une
juridiction collégiale, présidée par un premier président et deux conseillers.

c) La chambre judiciaire de la Cour suprême


Il y a pour toute la Côte d’Ivoire, une Cour de cassation qui est la juridiction placée au dessus
de toutes les autres. Son rôle est de veiller à l’application des lois par toutes les juridictions.
Elle est saisie par un pourvoi, qui peut être formé contre toute décision rendue en dernier
ressort. Elle n’est cependant pas un nouveau degré de juridiction car elle ne juge pas l’affaire
à nouveau. Elle ne fait que vérifier l’application de la loi par la juridiction qui a statué et dont
la décision lui est déférée.
NB : La constitution ivoirienne a prévu pour cet ordre une juridiction nouvelle dénommée
Cour de Cassation. Mais celle-ci n’est pas encore mise en place car la loi l’organisant n’a pas
encore été votée.

2 - Les juridictions pénales ou répressives


Ce sont :

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 Le tribunal de police :
Il est compétent pour statuer sur les contraventions (infractions moins graves sanctionnées
par des peines contraventionnelles).
 Le tribunal correctionnel :
Il statue sur les délits correctionnels. Ex : Le vol
 La cour d’assises :
C’est une juridiction répressive compétente pour juger les crimes (Ex : Assassinat). Elle est
composée de magistrats de la cour d’appel et d’un jury composé de civils. Elle ne siège pas à
tout moment.
 Le tribunal pour enfant :
Il est appelé à statuer sur les délits commis par les enfants délinquants c’est-à-dire ceux âgés
de moins de 18 ans au moment de la commission des faits.
 La chambre judiciaire de la Cour suprême :
Elle connaît des pourvois contre les décisions pénales.

Section 2 : Les principes de la procédure civile et le personnel judiciaire.


Il sera étudié successivement les principes de la procédure civile et le personnel judiciaire.

Paragraphe 1 - Les principes de la procédure civile


Il s’agit des règles de compétence, déroulement du procès et les voies de recours.
A - Les règles de compétence
La compétence est l’étendue du pouvoir de juger qui appartient à chaque juridiction. En face
d’un litige déterminé, quelle est la juridiction compétente ? Il y a donc lieu de rechercher la
compétence d’attribution et la compétence territoriale pour saisir la juridiction qu’il faut pour
trancher le litige.
1 - La compétence d’attribution 
La compétence d’attribution, c’est la compétence d’une juridiction en fonction de la nature
des affaires, parfois aussi de leur importance pécuniaire.
Ainsi, les TPI et leurs sections détachées, connaissent de toutes affaires civiles,
commerciales, administratives et fiscales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée
expressément à une autre juridiction en raison de la nature de l’affaire.
Ces juridictions statuent en toute matière en 1er ressort sur toutes les demandes dont l’intérêt
du litige est supérieur à 500.000 FCFA ou est indéterminé, ainsi que sur celles relatives à
l’état des personnes, celles mettant en cause une personne publique et celles statuant sur la
compétence.

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2 - La compétence territoriale
La compétence territoriale précise, quelle est la juridiction parmi l’ensemble des juridictions
réparties sur le territoire, qui devra connaître de l’affaire.
En matière civile, le tribunal territorialement compétent est celui du domicile du défendeur et,
en l’absence de domicile, celui de sa résidence.
Par dérogation, si le défendeur est Ivoirien établi à l’étranger ou est un étranger n’ayant en
Côte d’ivoire ni domicile ni résidence connue, le tribunal compétent est celui du domicile du
demandeur.
En ce qui concerne les immeubles, le tribunal compétent est celui du lieu de situation de
l’immeuble litigieux.
En matière commerciale, le tribunal compétent est soit celui du domicile du défendeur, soit
celui où la promesse a été faite et la marchandise a été livrée, soit celui dans le ressort duquel
le paiement a été ou devait être effectué.
En matière fiscale, celui du lieu de l’établissement de l’impôt.

B - Le déroulement du procès
Ici, il sera étudié, l’action en justice, les modes de saisine du tribunal et l’audience et le
jugement.
1 - L’action en justice
L’action en justice est le pouvoir légal de saisir les juridictions. Toute personne physique ou
morale peut agir devant les juridictions en vue d’obtenir la reconnaissance, la protection ou la
sanction de son droit. Toutefois, l’action en justice n’est recevable que si le demandeur :
- Justifie d’un intérêt légitime juridiquement protégé, direct et personnel (c’est-à-dire
fondé sur un droit et seul l’individu dont les intérêts sont en cause peut agir) ;
- A la qualité pour agir en justice (c’est-à-dire le titre juridique qui permet à une
personne d’invoquer en justice le droit dont elle demande la sanction);
- Possède la capacité pour agir en justice (c’est-à-dire être capable juridiquement).
NB : En principe, une action en justice suppose un demandeur qui est celui qui prend
l’initiative du procès et un défendeur qui est la personne contre laquelle le procès est engagé.
Quand l’action est portée devant la Cour d’appel, il s’agit de l’appelant et de l’intimé.
Si c’est devant la Cour suprême, ce sont le demandeur au pourvoi et le défendeur au
pourvoi.

2 - Les modes de saisine de la juridiction

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Pour qu’il y ait procès, il faut une demande introductive d’instance qui est l’acte par lequel
une personne exerçant une action en justice prend l’initiative de saisir une juridiction.
Il y a plusieurs modes d’introduction de la demande en justice. Ce sont :
 L’assignation : C’est acte d’huissier de justice adressé par le demandeur au défendeur
pour l’inviter à comparaître devant une juridiction de l’ordre judiciaire.
 La requête : C’est une demande orale ou écrite présentée au greffe de la juridiction
compétente pour connaître de l’affaire par le demandeur en personne ou par son
représentant ou mandataire.
 La comparution volontaire : C’est lorsque les parties se présentent volontairement
devant la juridiction compétente pour être jugées.

3 - L’audience et la décision de la juridiction


Lorsque l’instance est introduite, l’affaire est inscrite au répertoire général c’est-à-dire sur un
registre où sont inscrites chronologiquement toutes les affaires portées devant cette
juridiction. On dit que l’affaire est enrôlée. Le demandeur devra en même temps consigner
une somme d’argent au greffe de la juridiction pour garantir le paiement des frais. Un dossier
est alors ouvert.
Le jour de l’audience, les parties en conflit sont admises à plaider soit par elles-mêmes ou par
l’intermédiaire de leurs avocats.
Si la juridiction s’estime suffisamment éclairée, le président clos les débats et l’affaire est
mise en délibéré. Il lui appartient désormais de rendre sa décision en indiquant les raisons qui
l’ont déterminées.
La décision rendue peut prendre plusieurs dénominations en fonction du degré de juridiction.
Ainsi, si la décision vient des TPI et leurs sections détachées, on parle de jugement, si elle
émane des Cours d’appel et de la Cour suprême, elle est dite arrêt.

C - Les voies de recours


Il faut distinguer les voies de recours ordinaires et les voies de recours extraordinaires.
1- Les voies de recours ordinaires
 L’opposition :
C’est la voie de recours par laquelle une partie condamnée par défaut sollicite de la
juridiction qui a statué, la rétractation, après débats contradictoire, de la décision rendue.
Le délai est 15 jours à compter de la signification de la décision.
 L’appel :

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C’est la voie de recours par laquelle une partie sollicite de la cour d’appel la reformation de la
décision rendue par la juridiction de première instance. Le délai d’appel est 1 mois à compter
de la décision.

2 - Les voies de recours extraordinaires


 L’interprétation et la rectification :
La décision dont les termes sont obscurs ou ambigus peut être interprétée par le juge qui l’a
rendue, à condition qu’elle présente un intérêt pour la partie qui l’a sollicitée et qu’il ne soit
porté atteinte à l’autorité de la chose jugée.
Quant à la rectification, elle concerne les décisions contenant des fautes d’orthographe,
omissions ou erreurs matérielles.
 La tierce opposition :
C’est une voie de recours par laquelle une personne autre que les parties engagées dans
l’instance, peut attaquer une décision qui lui cause préjudice et demander à la juridiction qui
l’a rendue d’en supprimer les effets en ce qui la concerne personnellement.
 La demande en révision :
C’est la voie de recours ouverte aux parties contre les décisions rendues en dernier ressort,
non susceptibles d’opposition, dans le but de les faire rétracter par les juges qui les ont
rendues. Cette demande n’est possible que dans des cas limitativement énumérés par la loi
(manœuvres mensongères ou dissimulations frauduleuses pratiquée sciemment…). Le délai
est 2 mois à compter de la découverte du dol, ou du jour où le faux a été déclaré, ou du jour
où la pièce a été recouvrée.
 Le pourvoi en cassation :
C’est le recours contre une décision en dernier ressort porté devant la Cour suprême et fondé
sur la violation de la loi. Le délai pour saisir la Cour suprême est de 1 mois à compter de la
décision.

Paragraphe 2 - Le personnel judiciaire


Ce sont les magistrats et les auxiliaires de justice qui seront étudiés ici.

A- Les magistrats
Ce sont les représentants de l’autorité publique auxquels la loi confère le pouvoir de rendre la
justice ou de requérir l’application de la loi. On distingue deux catégories de magistrats.
 Les magistrats du « siège » ou les juges :

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Ils rendent la justice en tranchant les litiges portés devant eux par les citoyens ou en punissant
de peines d’amende ou d’emprisonnement les individus traduits devant eux pour avoir
enfreint à la loi. Ils rendent la justice « assis », d’où le nom de magistrature « assise ».
 Les magistrats du « ministère public » ou le parquet :
Ceux-ci forment ce qu’on appelle la magistrature « débout » parce qu’ils requièrent la justice
débout, c’est-à-dire qu’ils se lèvent pour s’adresser au tribunal. Ce sont des agents du pouvoir
exécutif et, en tant que tels, subordonnés à leurs supérieurs hiérarchiques dont le premier est
le garde des sceaux.
Remarques : Les magistrats du « siège » sont inamovibles c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être
destitués, suspendus, ou déplacés que dans les conditions prévues par la loi; ils n’ont pas
d’ordre à recevoir du gouvernement. Les magistrats du parquet font partie du corps judiciaire
mais ne jouissent pas de la prérogative de l’inamovibilité. Ce sont des agents du pouvoir
central qui doivent se plier aux injonctions de leurs supérieurs hiérarchiques, à peine de
sanctions disciplinaires.

B - Les auxiliaires de justice


Ce sont :
 Le greffier :
C’est fonctionnaire chargé de donner l’authenticité aux actes du juge. Ses fonctions
principales sont entre autre l’assistance au juge dans tous les actes de son ministère, la
conservation des minutes des jugements et des procès-verbaux et la délivrance des
expéditions aux justiciables, la détention de certains registres …
 L’avocat :
C’est un juriste assermenté qui fait profession d’aider de ses conseils les justiciables et de
plaider pour eux devant les tribunaux et cours ainsi que devant les organisations
juridictionnelles ou disciplinaires.

 Le commissaire de justice :
C’est un officier ministériel qui est chargé des significations, de dresser procès-verbal des
constatations qu’il a faites et de l’exécution forcée des décisions de justice.
C’est un officier ministériel chargé, dans son ressort, de procéder à la vente publique de
meubles.
 Le notaire :
C’est un officier ministériel chargé de conférer l’authenticité aux actes instrumentaires (actes
juridiques, contrats) et de conseiller les particuliers.
 L’expert :

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C’est une personne ressource à laquelle le juge a recours à titre d’information. Il est dressé
chaque année une liste d’experts par la cour d’appel pris dans diverses spécialités
(agriculture, mécanique, traduction des diverses langues, chirurgie…).

Deuxième partie : Le droit objectif


On définit le Droit objectif (noter que c’est avec D majuscule, par opposition aux droits
subjectifs « d » minuscule) comme l’ensemble des règles de conduites qui s’imposent aux
membres d’une société en ce qu’elles sont assorties de la contrainte du corps social, c'est-à-
dire de la société. En quelque sorte, c’est l’ensemble des règles de droit. C’est le Droit
objectif, c'est-à-dire le droit en relation avec son objet, qui fixe, à l’égard des sujets, les
prérogatives dont chacun dispose, c'est-à-dire les droits subjectifs de chacun.
Pour reconnaître et désigner les règles de Droit objectif, il faut remonter aux sources du droit,
c'est-à-dire à la création du droit : il s’agit de la loi et de la coutume. On les appelle sources
formelles du Droit. Il faut encore rechercher les autorités du droit, c'est-à-dire celles qui
permettent aux règles de droit d’être visibles. Ces autorités assurent l’interprétation du droit.
Il s’agit de la doctrine et de la jurisprudence. Certains les qualifient de sources interprétatives
du droit. Aussi bien, envisagera-t-on successivement les sources formelles (Chapitre
premier) et les autorités (chapitre second) du Droit objectif.

Chapitre premier : Les sources formelles du droit objectif

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Dans un système de droit écrit comme le droit de tradition française, la loi est la source
principale (Section première). La coutume apparaît comme la source secondaire, quoique
importante (Section II).

Section première : La loi


La notion de loi renvoie à deux sens : le sens large et le sens restreint. Lato sensu, la loi est
prise au sens générique : Il s’agira alors de toute règle de droit formulée par un organe
étatique compétent. Que le texte soit pris par le parlement, par le gouvernement ou par une
autorité administrative. Il suffit qu’il soit assorti de contrainte, c'est-à-dire de la force
exécutoire. Mais c’est au sens strict (stricto sensu) que la loi est le plus souvent désignée,
notamment par les chercheurs et les praticiens. Dans ce sens, c’est la règle de droit produite
par l’organe législatif dans un Etat. En Côte d’Ivoire c’est l’Assemblée nationale qui est
l’organe législatif. La règle de droit produite par le pouvoir exécutif et l’administration d’une
manière générale prend le nom de règlement. Nous examinerons les différents types de
règlement dans le paragraphe suivant. Cela dit, un constat s’impose : la multiplicité des
normes dans une société. Comment alors distinguer la loi ? (Paragraphe premier). Ensuite,
deux autres questions : quelle est la force de la loi ? (Paragraphe II) et comment régler les
difficultés de son application dans le temps ? (Paragraphe 3).

Paragraphe premier : La question de la distinction


Lorsqu’il s’agit de résoudre une question relevant du droit privé, l’étudiant, le chercheur, le
praticien ou l’enseignant est confronté à plusieurs textes de droit écrit. Les confusions qui
accroissent les difficultés sont possibles. Elles rendent nécessaires les distinctions. Certaines
distinctions sont propres à la loi telle qu’elle est définie au sens large : elles sont consacrées
par le droit public (A). D’autres sont spécifiques au droit privé (B).
A – Les distinctions propres au droit public
Rappelons qu’au sens large, la loi s’entend de toute règle de droit qui émane d’un organe
étatique et qui peut être mise en exécution par le biais de la contrainte publique. Mais la
Constitution établit une première distinction entre domaine législatif et domaine
réglementaire. Cette distinction relève du droit public, c'est-à-dire de la branche du droit qui
s’occupe de la création, du fonctionnement, des attributions des institutions et pouvoirs
publics ainsi que des relations qu’ils entretiennent, les uns à l’égard des autres. La
Constitution ivoirienne a fait cette distinction en déterminant le domaine de la loi en tant que
règle de droit produite par l’Assemblée nationale. C’est la Constitution qui a défini le
domaine de la loi qui couvre les règles concernant notamment: - La citoyenneté, les droits
civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés

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publiques ; les sujétions imposées, dans l’intérêt de la défense nationale et de la sécurité
publique, aux citoyens en leur personne et en leurs biens ; - La nationalité, l’état et la capacité
des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités ; - La procédure
suivant laquelle les coutumes seront constatées et mises en harmonie avec les principes
fondamentaux de la Constitution ; - La détermination des crimes et délits ainsi que les peines
qui leur sont applicables ; - L’amnistie ; - L’organisation des juridictions de tous ordres et la
procédure suivie devant ces juridictions, la création de nouveaux ordres de juridiction, le
statut de la magistrature, des offices ministériels et des auxiliaires de justice ; - L’assiette, le
taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; - Le régime
d’émission de la monnaie ; - Le régime électoral du Président de la République, des membres
de l’Assemblée nationale et des Assemblées locales ; - La création des catégories
d’établissements publics ; - Le Statut Général de la fonction publique ; - Le statut des
personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés ; - L’organisation générale
de l’administration - L’organisation territoriale, la création et la modification de
circonscriptions administratives ainsi que les découpages électoraux ; - L’état de siège et
l’état d’urgence ». En outre, dans d’autres domaines, la loi pose les principes fondamentaux :
il s’agit, par exemple, de l’organisation de la défense nationale ; de l’enseignement et de la
recherche scientifique ; des nationalisations et dénationalisations d’entreprises du secteur
public au secteur privé ; du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et
commerciales etc.
Toutes les matières qui ne relèvent pas du domaine de la loi sont du domaine des règlements,
c'est-à-dire du pouvoir exécutif. Il faut néanmoins souligner :
1°) les matières qui relèvent de la loi par les principes fondamentaux relèvent également du
domaine réglementaire par leur contenu. On dit de ces matières qu’elles sont partiellement
soumises à la loi.

2°) puisque c’est le domaine de la loi qui est délimité, le domaine réglementaire est plus
large. C’est le domaine de la loi qui est restreint. La sanction de la violation du domaine
réglementaire par le parlement est l’irrecevabilité qui pourrait être opposée à l’examen d’une
proposition de loi à l’Assemblée nationale.
A l’intérieur de la loi, il faut distinguer :
1°) Les lois organiques. Les lois organiques sont celles qui fixent, conformément à la
Constitution, les règles relatives au fonctionnement des pouvoirs publics (Cour
constitutionnelle, Cour suprême, Assemblée nationale). L’adoption de ces lois suit une
procédure spéciale. Les lois qui ne sont pas organiques sont des lois ordinaires.
2°) Les lois de finances déterminent les recettes et les dépenses de l’Etat. On les distingue des
lois de règlement par lesquelles l’Assemblée nationale procède au contrôle de l’exécution des
lois de finance, sous la réserve de l’apurement ultérieur des comptes de la Nation par la
Chambre des Comptes de la Cour suprême.
3°) Les lois programmes déterminent les objectifs de l’action économique et sociale de l’Etat.
A l’intérieur des règlements, il faut distinguer :

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1°) Les ordonnances : ce sont des règlements administratifs, c'est-à-dire des décrets, qui a
pour l’objet une matière relevant du domaine de la loi. C’est une exception à la délimitation
des domaines législatif et réglementaire. Par les ordonnances, le pouvoir exécutif intervient
dans le domaine législatif. Mais cette intervention est encadrée par la Constitution. D’abord
les ordonnances peuvent être prises par le Chef de l’Etat, dans les circonstances
exceptionnelles prévues par la Constitution :

Ensuite, la Constitution permet au Gouvernement d’être autorisé par l’Assemblée nationale, à


prendre par ordonnance pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du
domaine de la loi. Cette autorisation est accordée suivant une loi par l’Assemblée nationale.
Elle permet au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires à l’exécution de son
programme économique sans recourir au parlement.
2°) Il y a ensuite les décrets, pris en conseil des ministres, les arrêtés ministériels,
préfectoraux ou municipaux.

3°) Enfin, sans être exhaustif, on peut citer également les circulaires ou instructions
ministérielles. Ce sont des textes susceptibles d’une application générale et permanente, à
l’instar des décrets et arrêtés. Mais, en principe, ces textes n’ont de protée qu’à l’intérieur de
l’administration concernée.

B – Les distinctions spécifiques au droit privé

A l’intérieur du droit privé, une première distinction oppose les lois impératives aux lois
supplétives. Une seconde distinction détache les lois générales des lois spéciales.

1 – Les lois impératives et les lois supplétives de volonté

Les lois s’adressent aux particuliers qui doivent s’y soumettre. Mais dans certains cas, il est
permis aux particuliers, sujets de droit, de suppléer, c'est-à-dire substituer sa propre volonté à

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celle du législateur : ces lois sont dites supplétives de volonté. En d’autres termes, la loi ne
sera applicable que si les parties n’ont pas exprimé une volonté contraire. Exemple : la loi sur
le mariage a offert aux futurs époux la possibilité de choisir leur régime matrimonial, c'est-à-
dire les règles auxquelles qui vont régir leur patrimoine pendant le mariage. Mais lorsque les
futurs époux n’expriment n’opèrent pas de choix, la loi les répute comme mariés sous le
régime de la communauté des biens.
En revanche, l’application d’une loi peut être rigide et exclure toute volonté contraire du sujet
de droit. On dit d’une telle loi qu’elle est impérative, c'est-à-dire d’ordre public. L’article 6 du
Code civil dispose bien que : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois
qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». Souvent, c’est le législateur qui indique
dans le texte de loi que celle-ci est d’ordre public.

2 – Lois générales et lois spéciales


Une loi peut avoir un domaine plus restreint, une vocation plus étroite. Elle est alors
comparée avec une loi qui a un domaine plus étendu. La première est une loi spéciale, la
seconde, une loi générale. On considère que si le législateur accentue son attention sur une
matière plus étroite, c’est qu’elle lui accorde plus d’importance. Exemple : on sait qu’il y a
des infractions contre les personnes régies par le Code pénal, et particulièrement, les
infractions contre la dignité de la personne (les calomnies, injures, révélations de secrets …).
Mais en marge de ces dispositions générales, la loi sur la presse réprime les délits d’injure, de
diffamation …. L’interprétation des lois spéciales est plus restrictive que celle des lois
générales. Cela dit, si une loi générale intervient avant une loi spéciale, la première ne saurait
déroger à la seconde : on dit que par une loi générale, on ne peut pas déroger aux lois
spéciales (legi speciali per generalem non derogatur). Mais si une loi spéciale intervient avant
une loi générale, on dit que la loi spéciale a partiellement abrogé la loi générale (specialia
generalibus derogant).

Paragraphe II : La force de la loi

On a vu que, règle de droit, la loi a une force obligatoire que lui prête la contrainte étatique.
Cette force se situe entre deux termes : l’entrée en vigueur et l’abrogation. Entre les deux
termes, la loi aura exercé sa force obligatoire.

A – L’entrée en vigueur de la loi

Pour être opposable aux citoyens, la loi doit être connue de ceux-ci, de chaque sujet du droit.
Normalement, les autorités publiques devraient s’assurer que chacun ait connaissance de la
loi ou, au sens général, de la règle de droit. Ainsi, chaque citoyen pourrait éviter (on dit aussi
évincer) l’application d’une loi en alléguant (en affirmant, en se justifiant, en soulevant ou en
excipant de ce…) qu’il n’a pas eu connaissance de cette loi. Il ne pourrait donc pas

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l’appliquer ou se la voir opposer. La personne qui poursuit serait alors conduite à produire la
preuve que celle qui est poursuivie avait été informée de l’existence de la loi. Cette preuve
serait difficile à établir. C’est pour régler cette difficulté qu’il a été posé le principe (principe
général du droit) « nul n’est censé ignorer la loi », ou, en latin : « Nemo censetur legem
ignorare ». Il s’agit d’une présomption de connaissance de la loi qui pèse sur chaque citoyen.
Cela veut dire que chacun est supposé être informé de l’existence de la loi et de la
connaissance de son contenu. En conséquence, nul ne pourra évincer l’application d’une loi
au motif qu’il ignorait son existence ou son contenu. Mais à partir de quand le principe est
valable ? Le principe n’est applicable qu’à partir de l’entrée en vigueur de la loi. La loi entre
en vigueur à partir de l’accomplissement de formalités juridiques successives : la
promulgation, la publication et l’épuisement d’un délai légal d’information des sujets.

1 – La promulgation

La promulgation est l’acte par lequel la loi adoptée est rendue publique. C’est l’acte par
lequel le Président de la République atteste l’existence de la loi votée par l’Assemblée
nationale et donne l’ordre aux autorités publiques de l’observer et la faire observer. C’est
qu’il ne suffit pas que le parlement élabore la loi et l’adopte pour la rendre applicable par les
citoyens et obligatoire. Il faut encore qu’un commandement émane de la plus haute autorité
du pouvoir exécutif pour faire part aux citoyens de l’existence de la loi et les engage à s’y
soumettre. Selon la constitution, le président assure la promulgation des lois dans les quinze
jours qui suivent la transmission qui lui en est faite par Président de l’Assemblée nationale.
Ainsi, lorsque la loi est adoptée (votée) par l’Assemblée nationale, le président de cette
institution la transmet au Président de la République aux fins (en vue de, pour les besoins
de…) de promulgation. Dans les quinze jours qui suivent cette transmission, le Président de
la République a l’obligation de promulguer la loi. Ce délai est même ramené à cinq (5) jours
en cas d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale.
Mais le Président de la République peut éviter la promulgation en demandant à l’Assemblée
nationale de réexaminer la loi : il s’agit de la deuxième lecture. A l’issue de cette deuxième
délibération (ou lecture) la loi est transmise à nouveau et le Président de la République doit la
promulguer dans le même délai. A défaut par lui de le faire, la Conseil constitutionnel, saisi
par le Président de l’Assemblée Nationale, déclare la loi exécutoire, si elle est conforme à la
Constitution.
Le texte de la promulgation se présente généralement comme suit : « L’Assemblée Nationale
a adopté, le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit… ». Puis, à la fin
du texte, on a la formule suivante : « …La présente loi sera promulguée comme loi de l’Etat.
Fait à …, le (la date de la promulgation) ». La loi promulguée a un numéro d’ordre, en ce
qu’elle est inscrite dans une série annuelle. Exemple.
2 – La publication
La publication est le fait de mettre le texte à la disposition du public, c'est-à-dire d’assurer
l’information du public. Il n’y a donc pas de loi promulguée qui soit secrète, ou
confidentielle. La publication est assurée au moyen d’une insertion au Journal Officiel (J.O.).

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B – La force obligatoire de la loi

Une loi entrée en vigueur a une force obligatoire intrinsèque. Elle est, en effet, un
commandement, un ordre de la puissance publique. Disposition générale, elle est permanente
et, surtout, obligatoire. Le caractère obligatoire n’est pas seulement intrinsèque. Elle est
également extrinsèque. En cela, il peut être fait recours à la force publique pour assurer
l’exécution de la loi. C’est ce qui arrive lorsque, en vertu de la loi, une personne condamnée
refuse de payer. Le créancier peut solliciter les voies d’exécution forcée, c'est-à-dire les
huissiers, les agents de sécurité publique, pour faire exécuter la loi. L’effet ou la force
obligatoire de la loi s’exerce à l’égard de tous. On dit que la loi a un effet erga omnes. Ce
principe souffre néanmoins des inflexions que nous avons examinées dans les caractères de la
règle de droit. La loi ne s’adresse pas à tous les êtres humains. Il s’adresse souvent à un
groupe particulier. Exemple : les dispositions de la loi sur le mariage ne s’adressent pas aux
célibataires ! Par conséquent, ces dispositions n’ont un effet obligatoire qu’à l’égard des
personnes mariées.
L’autre inflexion dont souffre le principe de l’effet obligatoire est relative à la distinction
entre lois impératives et loi supplétives. Sous cette distinction, on peut retenir que les lois
supplétives n’ont un caractère obligatoire, une force obligatoire que si les parties n’en n’ont
pas disposé autrement. Tel n’est cependant pas le cas des lois impératives qui ont une force
obligatoire absolue. Dans leur cas, la force obligatoire est absolument irrécusable.
C – L’abrogation de la loi
La vocation de la loi, c’est de garder indéfiniment sa force obligatoire. Mais celle-ci peut lui
être retirée : c’est l’abrogation. Il y a deux modes d’abrogation :

1°) L’abrogation expresse : la loi nouvelle, dans son article final le plus souvent, déclare
formellement abroger les dispositions antérieures qu’elle précise.
2°) L’abrogation tacite : les dispositions de la loi nouvelle sont incompatibles avec celles de
la loi ancienne. Totalement ou partiellement. On verra comment régler les conflits éventuels
entre la loi nouvelle et celle ancienne dans le cadre de l’application de la loi dans le temps.
Certains trouvent dans le non usage de la loi une abrogation tacite qu’ils qualifient de
désuétude. Mais en réalité, la loi ne disparait guère par désuétude. Seule l’abrogation permet
de lui retirer sa force obligatoire.

Paragraphe III – L’application de la loi dans le temps

Lorsqu’une loi nouvelle entre en vigueur, à quelles situations s’applique-t-elle ? Saisit-elle les
situations déjà accomplies ou en cours d’exécution ou s’applique-t-elle aux situations à
venir ? La question ne manque pas d’intérêt. Supposons que, avant le déroulement des

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épreuves de l’examen du baccalauréat, la loi en vigueur disposait que pour devenir boursier
en première année à l’université, il faut avoir une note supérieure ou égale à 14 sur 20 à
l’examen et être âgé de moins de 25 ans. Après la rentrée universitaire, les députés ont voté
une loi nouvelle qui fixe la moyenne à 15/20 et l’âge à moins de 22 ans. Si on décidait que la
loi nouvelle devrait saisir les situations accomplies avant son entrée en vigueur, ceux qui ont
eu le bac avant sa promulgation devront remplir les nouvelles conditions. Mais si on décidait
que la loi nouvelle ne devrait régir que les situations à naître après sa promulgation, ceux qui
ont déjà eu le bac seront soumis aux conditions de l’ancienne loi. Dans le premier cas, on dira
que la loi a un effet rétroactif ; alors que dans le second, elle n’aura eu d’effet que pour
l’avenir.

L’histoire du droit français permet de constater que la Révolution française avait fait des lois
délibérément rétroactives. En 1794, elle avait déclaré applicable dans toutes les successions
ouvertes depuis le 14 juillet 1789, même celles qui étaient déjà liquidées, la nouvelle loi
successorale qu’elle avait promulguée. Il s’ensuivit une remise en cause des droits et des
propriétés ainsi qu’un ébranlement de la sécurité juridique. La législation postérieure a
entendu réagir contre ce souvenir. Déjà, la Constitution du Directoire (Constitution de l’An
III, c'est-à-dire de l’année 1792, parce que selon le calendrier révolutionnaire, l’An I, c’est
1789) avait disposé que aucune loi, ni criminelle, ni civile, ne peut avoir d’effet rétroactif.

C’est en cette circonstance que le Code civil est promulgué en 1804. Elle adopte la solution
formulée par la Constitution de l’An III et, en son article 2, dispose : « La loi ne dispose que
pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». La loi n’est donc pas rétroactive et ne
s’appliquera pas, en principe, aux situations juridiques accomplies avant son entrée en
vigueur : c’est le principe de la non rétroactivité. Mais quelle est la portée de ce principe ?

De la lecture de l’article 2 du Code civil, il convient de retenir deux règles principales : • Le


principe de la non rétroactivité s’impose au juge • Le principe de la non rétroactivité ne
s’impose pas au législateur.

A – Le principe de la non-rétroactivité s’impose au juge

Lorsqu’un juge est saisi d’une nouvelle loi qui ne contient aucune disposition quant à son
application dans le temps, il a le devoir de l’appliquer d’une manière non-rétroactive. C’est le
sens de l’article 2 du Code civil. Si nous reprenons le cas de la nouvelle loi relative à
l’attribution des bourses d’étude, elle ne s’appliquera pas à ceux qui ont eu le bac avant sa
publication au J.O. Ceux-ci resteraient soumis à l’ancienne loi. Le principe de la non-
rétroactivité conduit ainsi à la survie de la loi ancienne qui va empiéter sur la période
postérieure à son abrogation. Comment déterminer alors les terrains successifs de l’ancienne
loi et de la nouvelle ? Deux théories s’affrontent : la théorie classique et la théorie moderne.

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1- La théorie classique

Cette théorie considère qu’une loi nouvelle, à peine d’être rétroactive, ne peut pas toucher
aux droits qui sont déjà acquis au profit d’une personne. En revanche, elle peut modifier ou
supprimer les simples expectatives de cette personne : C’est la théorie des droits acquis. Aux
droits acquis, on oppose les simples expectatives, qui sont des attentes, des espérances. Le
droit acquis est celui qui est entré dans le patrimoine du bénéficiaire, c'est-à-dire du sujet du
droit. Un tiers ne peut le mettre en cause. Pour d’autres, le droit acquis est celui qui peut être
exercé en justice. C’est donc le droit muni d’une action alors que le titulaire d’une simple
expectative ne peut encore agir en justice, même pour la conservation de son espérance. Dans
notre cas, si ceux qui ont obtenu le bac avant la publication de la nouvelle loi avaient déjà
déposé leurs dossiers et été retenus, il y a bien des droits acquis. La nouvelle loi ne peut plus
les remettre en cause sans violer l’article 2 du Code civil. La loi ancienne continue de
recevoir application en dépit de son abrogation par la loi nouvelle : il y a survivance de la loi
ancienne. Mais si les dossiers n’avaient pas encore été déposés et les candidats à la bourse
retenus, il n’y aurait que simple expectative. La loi nouvelle pourrait être appliquée à cette
situation.

2- La théorie moderne

Elle est constituée par la distinction proposée par Paul ROUBIER de l’effet immédiat et de
l’effet rétroactif. Selon cet auteur, toute loi a, en principe, un effet immédiat. Seul l’effet
rétroactif est interdit par l’article 2 du Code civil. En schématisant cette distinction, on peut
retenir que la loi nouvelle saisit immédiatement les situations juridiques en cours mais ne
saurait modifier les conséquences que cette situation a déjà produites.

Quelle que soit la théorie adoptée, on admet que les contrats en cours d’exécution doivent
continuer à être régis par la loi qui était en vigueur au jour où ils ont été conclus. Pour ces
contrats, il y a survie de la loi ancienne : la volonté des contractants qui n’ont connu que cette
loi, tient en respect l’effet immédiat de la loi nouvelle. Il n’en est autrement que lorsque la loi
nouvelle est d’ordre public. La volonté des contractants est impuissante contre l’ordre public.
Il faut également considérer par application de la théorie de l’effet immédiat, la loi nouvelle
de procédure est d’application immédiate. On entend par loi de procédure les lois
d’organisation judiciaire, celles qui sont relatives aux procédures de saisine des juridictions,
celles qui règlent la conduite des procédures ainsi que l’exécution des décisions rendues et les
voies de recours. Enfin, en matière pénale, les lois nouvelles plus douces sont d’application
immédiate.

B – Le principe de la non-rétroactivité ne s’impose pas au législateur

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En raison de ce que le Code civil lui-même, a fortiori l’article 2, est une loi et, en plus, une loi
ordinaire, le législateur peut s’en affranchir ou l’aménager.
• Il peut s’en affranchir de deux manières : soit en édictant des lois expressément rétroactives,
soit en adoptant des lois interprétatives. Dans le premier cas, c’est le législateur qui déclare
que la loi aura des effets rétroactifs. Dans le second cas, le législateur élabore une loi pour
trancher les difficultés d’interprétation qu’avait soulevé le premier texte devant les tribunaux.
La loi interprétative fait corps avec la loi interprétée. Elle a le même domaine d’application
que la loi interprétée. La loi interprétative s’appliquera ainsi aux faits antérieurs à son entrée
en vigueur. • Il peut l’aménager par des dispositions transitoires qui fixent les champs
respectifs d’application de la loi ancienne et de la loi nouvelle.
Il faut néanmoins préciser qu’étant une loi, les règlements devront se conformer à l’article 2
du Code civil. Par conséquent, l’Administration commettrait un abus de pouvoir si elle
conférait à ses décrets ou arrêtés un effet rétroactif : le principe de la non-rétroactivité
s’impose donc au pouvoir exécutif. Il faut encore préciser que contrairement au droit pénal, le
principe de la non-rétroactivité n’a pas une valeur constitutionnelle en matière civile. En
effet, en matière pénale, le principe a une valeur constitutionnelle de sorte que la Cour
constitutionnelle peut déclarer une loi pénale rétroactive contraire à la Constitution. Ce qui
n’est pas le cas en droit civil.

Section II : La coutume

La coutume est définie comme la règle de Droit objectif fondée sur une tradition populaire :
le consensus utentium. La coutume prête à une pratique constante et a un caractère
juridiquement contraignant. Au XIXè siècle, la doctrine avait récusé le fait que la coutume fût
une source de droit en raison du culte de la loi et de la légalité auquel elle procédait. Mais il
est à présent acquis que la coutume est bien une source du Droit objectif. Elle se présente
sous deux formes : la coutume proprement dite, d’origine populaire et la coutume savante,
produit de la pratique des juristes.

Paragraphe premier : La coutume d’origine populaire

La coutume a, en dépit du développement de la culture de l’écriture, un domaine important,


notamment en droit civil. En cette matière, la coutume tient sa légitimité, soit en vertu d’un
renvoi, d’une délégation de la loi, soit en vertu d’un pouvoir propre.

A – Le pouvoir délégué de la coutume

La loi renvoi à la coutume, le règlement de certaines situations. Ce renvoi est tantôt exprès,
tantôt implicite.

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1 – Le renvoi exprès de la loi à la coutume
L’article 1135 du Code civil renvoie expressément au respect des usages conventionnels à
l’occasion de l’exécution des obligations contractuelles. Ce sont les pratiques spéciales à une
profession que les particuliers suivent dans les conventions qu’ils concluent. Ces pratiques
sont tellement habituelles entre les parties que les juridictions considèrent qu’elles sont sous
entendues, les contractants étant censés s’y être implicitement référés, toutes les fois qu’ils ne
les ont pas expressément écartées.
2 – Le renvoi implicite de la loi à la coutume
Au sens large, les coutumes entrent dans l’analyse de certains concepts juridiques. Il s’agit,
par exemple du concept de bonnes mœurs que l’on retrouve dans les articles 6 et 1133 du
Code civil. Il en est également ainsi de la notion de bon père de famille. La définition de ces
concepts prend en compte des références du milieu dans lequel on se place. Même la notion
de faute, de l’article 1182 du Code civil n’échappe pas, pour sa détermination, aux
considérations liées à la coutume. La faute s’appréciant, à certains égards, in concreto, c'est-
à-dire en considération des circonstances de fait qui sont, dans la plupart des cas, liées aux
usages.

B – Pouvoir autonome de la coutume

La coutume est-elle, comme la loi, remplie d’une force obligatoire, hormis les cas de renvoi
explicite ou implicite du législateur ? La question les controverses doctrinales. Les réponses
diffèrent suivant que la coutume prétend aller contre la loi (contra legem) ou celle qui a
vocation de se mettre à côté de la loi pour en combler les lacunes éventuelles (praeter legem).

1 – Le cas des coutumes contra legem

La coutume peut aller contre une loi supplétive ou interprétative de volontés des parties. Elle
peut également aller contre une loi impérative.
En ce qui concerne la loi supplétive ou interprétative il est admis qu’une coutume puisse
prospérer à leur encontre. La raison est que, par hypothèse, les particuliers pourraient stipuler
dans le sens contraire de telles lois. Or, la coutume est l’expression de la volonté répétitive
d’une masse de contractants. On en déduit que la coutume contra legem peut aller contre une
loi supplétive ou interprétative.
En ce qui concerne la loi impératives, il n’est pas admis de dérogation, ni de la part des
particuliers, ni en vertu d’une coutume.

2 – Le cas des coutumes praeter legem

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Il y a des coutumes qui, en quelque sorte, coexiste avec la loi, comblent au besoin, ses
lacunes. C’est ainsi que, pendant longtemps, la coutume qui a voulu que la femme mariée
porta le nom de son mari survit avec la loi sur les personnes et la famille.

Paragraphe II – La coutume d’origine savante

Ce sont des règles inspirées de la tradition juridique. Elles se manifestent de deux manières :
Les maximes juridiques et les principes généraux du droit.

1 – Les maximes juridiques


Ce sont des proverbes ou des adages juridiques. Les maximes sont des formulations brèves et
condensées, d’origines savantes, d’expression latine ou française.
On peut en citer quelques-uns :
• Accessorium sequitur principale (L’accessoire suit le principal)
• En fait de meuble possession vaut titre
• Pacta sunt servanda (Les conventions doivent être respectées)
• Error communis facit jus (l’erreur commune se transforme en droit).

2-Les principes généraux du droit


Ce sont des principes admis par la jurisprudence. Elles relèvent, pour l’essentiel, de la
philosophie du droit naturel. C’est l’expression des droits fondamentaux qui s’imposent
même à la loi. Mais si sous chaque maxime, il y a un principe général du droit, tout principe
général de droit ne constitue pas une maxime. Par exemple, il est admis que nul ne peut
s’enrichir sans cause aux dépens d’autrui. On peut aussi citer le principe du nominalisme
monétaire : Un franc quelle que soit l’époque a la même valeur, en dépit des fluctuations
constatées.

Chapitre II : Les autorités en droit


S’il est vrai qu’on ne saurait établir la règle de droit hors la coutume et la jurisprudence, il est
également admis que celles-ci ne sont pas des sources du droit. Elles constituent plutôt des
autorités en droit. On s’en inspire pour éclairer législateur, décideurs et sujet du droit. Elles
permettent d’enseigner la matière c'est-à-dire d’en transmettre le contenu.

Section première : La jurisprudence


Il faut d’abord définir la jurisprudence avant de rechercher sa force.

50
Paragraphe premier : La définition de la jurisprudence
Si on prenait en compte l’étymologie du mot, on considèrerait que la jurisprudence comme «
la science du droit », c'est-à-dire « prudentia juris ». Au sens concret, la jurisprudence est
l’ensemble des décisions de justice rendues pendant un certaine période, soit dans l’ensemble
du Droit, soit dans une matière déterminée (jurisprudence en matière de divorce) soit dans
une branche précise du Droit (jurisprudence commerciale). Le mot désigne aussi, au sens
substantiel, l’ensemble des solutions apportées par les décisions de justice dans l’application
du Droit. C’est encore la pratique judiciaire, c'est-à-dire l’habitude prise par les tribunaux
d’appliquer une règle de droit d’une certaine façon. C’est une façon habituelle de juger dans
tel ou tel sens. Ainsi on dit d’un jugement ou arrêt important qu’il a fait jurisprudence, si
d’autres juges ont commencé par suivre la solution contenue dans cet arrêt. Quand on évoque
le « revirement » de jurisprudence, c’est qu’une nouvelle décision est venue mettre fin à la
manière habituelle suivant laquelle les décisions étaient rendues ; elle fournit une nouvelle
solution. La jurisprudence peut être « constante », « établie » c'est-à-dire que la même
solution est toujours donnée depuis un temps assez long. La répétition dans le temps est le
premier élément de la jurisprudence. Elle se présente comme une succession de jugements,
c'est-à- dire de décisions de justice.
Mais pour constituer véritablement une jurisprudence, les décisions qui se succèdent dans le
temps doivent être rendues dans le même sens : c’est le second élément de la jurisprudence.
C’est cette similitude de solutions qui crée la jurisprudence. C’est parce qu’elle établit une
manière de juger, qu’elle impose une solution aux espèces (aux cas) de même nature, que la
jurisprudence est une autorité en droit. Mais on évoque déjà sa force.

Paragraphe II : La force de la jurisprudence

Le droit, dans les Etat de tradition juridique française, ne reconnaît pas la jurisprudence
comme une source formelle du Droit. Trois raisons justifient cette proposition :
1°) Le juge est lié par la loi. Il est chargé de dire le droit. Il ne peut pas en créer. L’article 5 du
Code civil dispose même que : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de
disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumise ». Autrement dit, les
juges ne doivent pas procéder comme le législateur. Si un juge agissait ainsi, il aurait
prononcé un arrêt de règlement. Ils se contentent d’appliquer la loi aux espèces qui leur sont
soumises. Le juge statue ainsi en droit, c'est-à-dire ne tranche les litiges qu’en vertu de la loi.
Il est subordonné à la loi. La Cour suprême (Cour de cassation française) veille à ce que le
droit soit respecté par le juge en sanctionnant les décisions qui ne sont pas conformes à la loi.
Elle est alors saisit par voie de pourvoi en cassation. La Cour suprême ou Cour de cassation
française est également soumise à la loi.

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2°) Le juge n’est pas lié par les précédents judiciaire comme dans les Etats anglo-saxons.
Lorsqu’il est saisi, il est libre, en principe, d’apporter la solution qu’il juge appropriée au
litige. C’est le corollaire, c'est-à-dire la conséquence naturelle de la prohibition des arrêts de
règlement de l’article 5 du Code civil. Dans la conception anglo-saxonne, particulièrement
britannique, le précédent judiciaire a une force obligatoire : devant une espèce similaire, le
juge est tenu d’appliquer la solution établie par un autre juge. Il s’en tient à cette solution
dégagée par la décision précédente : c’est ce qu’on appelle la stare decisis.
3°) Pour justifier sa décision, le juge ne peut pas se contenter d’invoquer un précédent
judiciaire. Le précédent ne peut pas servir de fondement à sa décision.
Il faut néanmoins relever, à la suite de ces développements, que le juge ne peut pas refuser de
juger sous prétexte du silence ou de l’obscurité de la loi. C’est cette interdiction que formule,
à son égard, l’article 6 du Code civil. A partir de cette disposition, certains considère que la
jurisprudence met en œuvre le pouvoir d’interprétation du juge. Ce pouvoir d’interprétation
conduit finalement, à l’aide des méthodes et procédés étudiés, à créer le droit, en faisant
œuvre prétorienne. Dans le silence de la loi, le juge statue également en équité. L’équité c’est
l’idéal de la justice. C’est l’égalité parfaite, absolue. C’est la conscience que chacun a de la
justice. Enfin, elle est finalité de la justice, selon les théories du droit naturel. Il est juste
cependant de retenir, que même à cet égard que la jurisprudence reste une autorité. Elle
provoque en fait des réformes, en appelant le législateur à adopter de nouvelles lois.

Section II : La doctrine

On définit la doctrine comme une « opinion communément professée par ceux qui enseignent
le Droit ». C’est ce que les romains appellent la « communis opinio doctorum). La doctrine
s’étend aussi à ceux qui, sans même enseigner le Droit, écrit sur la discipline. C’est suivant ce
sens que la Doctrine s’oppose à la jurisprudence.

Troisième partie : Les droits subjectifs


Le Droit objectif reconnaît aux individus des prérogatives. Ceux-ci peuvent en jouir sous la
protection de l’Etat. Les prérogatives reconnus par le Droit objectif au profit des individus
sont des droits individuels encore appelées droits subjectifs. Ce sont les droits attachés ou liés
à la personne, c'est-à- dire au sujet (droits subjectifs). Pour certains, le droit subjectif est un
pouvoir de vouloir, c'est-à-dire l’aptitude à exprimer par sa volonté, ses besoins et à les
satisfaire. Pour d’autres, c’est un intérêt pris en considération par le droit, un intérêt
juridiquement protégé. Ce qu’on peut retenir, la notion de « droits subjectifs » est si présente
en droit privé qu’en dépit des attaques dont elle a fait l’objet qu’elle en constitue l’un des
piliers. La notion de droits subjectifs a particulièrement été présentée par un auteur célèbre
Paul ROUBIER, qui lui préfère néanmoins celles de « situations juridiques ». L’étude des
droits subjectifs suppose d’abord celle de la création de ces droits (Chapitre premier) puis
celle de leur réalisation (Chapitre II).

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Chapitre premier : La création des droits subjectifs

L’être humain ou l’individu à des pouvoirs, c'est-à-dire, au sens du droit privé, l’aptitude qui
permet d’agir sur la personne ou la chose d’autrui. Parmi ces pouvoirs, (on peut dire aussi «
prérogatives »), certains sont fixés par le Droit objectif : ce sont les droits subjectifs. Mais
d’autres ne relèvent pas de la règle de droit : ce sont des pouvoirs de fait, c'est-à-dire des
maîtrises purement matérielles. L’exemple souvent cité est la possession. C’est la détention
de fait d’une chose par une personne qui se comporte comme le propriétaire. Exemple : le
voleur d’un vélo en usera comme s’il était le propriétaire alors qu’il n’est qu’un simple
possesseur. On oppose la possession à la propriété.
Ce sont les pouvoirs organisés par le Droit objectif qui feront l’objet de la présente section. Il
faut d’abord envisager la création des droits subjectifs en relation avec les différentes
catégories ou espèces de droit (Section première) avant de l’étudier au regard des sources des
droits subjectifs (Section II).

Section première : Les catégories de droits subjectifs

Le pouvoir que réalise un droit subjectif peut tendre vers une personne (droit personnel) ou
vers une chose (droit réel). Les droits personnels et réels permettent de saisir, dans son
concept et son contenu la notion de patrimoine.

Paragraphe premier – Les droits personnels

Si nous reprenons la définition du droit subjectif comme le pouvoir qui admet un individu à
agir sur la personne ou le patrimoine d’autrui, on relève que l’individu peut exercer ce
pouvoir sur une personne. Le droit personnel est celui qu’a une personne (appelée le
créancier) d’exiger d’une autre personne (appelée le débiteur) une prestation, c'est-à-dire une
obligation consistant à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. Le droit personnel est
encore appelé le droit de créance. Il consiste en un rapport de droit entre deux personnes. Ce
qui apparait comme « droit » du point de vue du créancier, est considéré comme « obligation
» ou la « dette » du point de vue du débiteur. « droit » et « obligation » sont alors les deux
faces d’une même pièce. Du côté actif, c’est le droit, du côté passif, c’est l’obligation. Entre
le droit et l’obligation, il y a un rapport juridique, le droit de créance. L’obligation peut être

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définie comme un lien de droit (vinculum juris), en vertu duquel le débiteur se trouve lié, à
l’égard du créancier, et sous la contrainte étatique, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque
chose. Exemple : du contrat de vente, naît, pour le vendeur le droit de recevoir le prix de la
chose vendue et l’obligation de remettre celle-ci à l’acquéreur. Corrélativement, ce contrat
fait naître, pour l’acquéreur, le droit de recevoir la chose et l’obligation de payer le prix.
Il convient de souligner que, comme le droit ne se confond pas avec la morale, l’obligation
juridique ne peut être assimilée au devoir moral. Dans le devoir moral (apporter secours et
assistance à son frère, en lui fournissant une pension alimentaire), il n’y a pas de contrainte
étatique tandis que l’obligation juridique est marquée par la contrainte étatique (ce qui ne
fournit pas secours et assistance à son ascendant dans le besoin peut y être contraint par le
juge).
Néanmoins, celui qui satisfait au devoir moral d’assistance et de secours à l’égard de son
frère dans le besoin accomplit une obligation naturelle que l’on oppose à l’obligation civile
en raison de ce que celle-ci est sanctionnée par les règles du droit civil. Seulement, lorsqu’on
exécute une obligation naturelle, on ne peut pas solliciter la restitution, c'est-à-dire la
répétition de ce qui est payé.
Trois éléments caractérisent le droit de créance ou droit personnel.
Il y a d’abord le pouvoir reconnu au créancier par la règle de droit. Ce pouvoir donne au droit
un caractère très personnel. C’est même pour cette raison qu’on le désigne par droit
personnel.
Ensuite, le sujet passif du droit de créance est déterminé : c’est le débiteur. C’est lui qui a la
charge d’exécuter l’obligation. C’est un droit limité au rapport entre créancier et débiteur. On
dit ainsi que le droit de créance est relatif.
Enfin, le troisième élément est l’objet du rapport de créance, c'est-à-dire la prestation. Il peut
s’agir d’une action (un fait positif) ou d’une abstention (un fait négatif).

Paragraphe II – Les droits réels

Alors que dans le droit personnel ou droit de créance, le pouvoir est exercé sur une personne,
dans le droit réel, le pouvoir est exercé sur une chose. Ce pouvoir permet retirer de la chose
tout ou partie de ses utilités économiques.
On caractérise le droit réel d’abord par le pouvoir du sujet actif : Il a les pouvoirs cumulés de
la propriété que nous définirons dans le paragraphe suivant : l’usus, le fructus et l’abusus. On
caractérise le droit réel aussi par son objet : il s’agit d’une chose, suivant la détermination et
les distinctions proposées au paragraphe suivant.
Enfin, le troisième élément caractéristique du droit réel est le sujet passif. Pour certains
auteurs, dont PLANIOL, le sujet passif est indéterminé. Ce sont les personnes entre les mains

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de qui le bien pourrait se retrouver. Aussi, faut-il bien définir les « choses » et procéder, à
grands traits, à leur classification.

A – Choses et biens : définitions

La chose est un objet matériel susceptible d’être soumis à un rapport juridique. Le bien, c’est
la chose saisie par le droit et qui procure des avantages à l’homme. La chose devient bien
lorsque l’être humain en tire un ou des profits économiques. Si la chose est une donnée de la
nature, le bien est, au premier degré, une émanation de la chose. Le bien est d’abord perçu
comme la chose matérielle susceptible d’appropriation. C’est la chose qui procure une
jouissance, une utilité économique. En quelque sorte, c’est la chose regardée par l’homme,
sous sa maîtrise ou domination, pour son usage et son épanouissement.

B – Choses et biens : classification


La division fondamentale (on parle de summa divisio) a pour siège l’article 516 du Code civil
: « Tous les biens sont meubles et immeubles ». Il s’en dégage l’idée de la division des biens.
Mais si les biens sont réels, les droits qui portent sur eux le sont aussi. Ils font l’objet
également de classification.
1-La classification des biens
Il faut considérer d’abord les immeubles ; il faut considérer ensuite les meubles.
a : Les immeubles
Au titre de l’article 517 du Code civil : Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par
leur destination, ou par l’objet auquel ils s’appliquent ».

Sont immeubles par leur nature, le sol et tout ce qui s’y attache, notamment les bâtiments, les
arbres etc. Ce sont des biens que l’on ne peut mouvoir, c'est-à-dire déplacé et qui ne peuvent
pas non plus être mû.
A cette catégorie, il faut ajouter des biens qui ne sont pas immeubles mais qui sont destinés à
servir ceux-ci. Ce sont les objets qui permettent d’exploiter le sol et les bâtiments. Ils sont si
attachés aux immeubles qu’on ne peut pas en disposer (vendre, saisir…) séparément : ce sont
les immeubles par destination, c’est-à-dire des biens mobiliers destinés à mettre en valeur les
immeubles. En fait, c’est en vertu de la théorie de l’accessoire (accessorium sequitur
principale : l’accessoire suit le principal) qu’on les traite comme des immeubles.
Enfin, la troisième catégorie d’immeuble est beaucoup plus artificielle : il s’agit des droits qui
portent sur les immeubles. Ce sont les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent. Exemple
: Une personne a le droit de percevoir toute sa vie durant des revenus sur un bien. Ce droit est
lui-même regardé comme un bien. S’il porte sur un meuble, il sera mobilier, s’il porte sur un
immeuble, il sera immobilier.

55
b : Les meubles
Tout ce qui n’est pas immeuble, est meuble. L’article 527 du Code civil distingue néanmoins
entre les meubles par nature et les meubles par détermination de la loi. Les meubles par
nature sont les choses mobile, c'est-à-dire « les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un
autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, comme les animaux, soit qu’ils ne puissent
changer de place que par l’effet d’une force étrangère, comme les choses inanimées » (article
528 du Code civil). Exemples : les animaux, les véhicules à moteur, le navire, l’aéronef etc.
Cependant, de manière artificielle, le législateur a décidé que certains droits sont également
des meubles : ce sont des meubles par détermination de la loi. Il s’agit, par exemple, des
droits personnels comme le droit de créance. Il s’agit également des droits des associés dans
une société ainsi que les valeurs mobilières.
C’est la notion de meuble par détermination de la loi qui inspire une autre distinction des
biens : les biens corporels, sensibles au toucher, qui tombent sous le sens (les immeubles et
les meubles selon la réalité physique), et les biens incorporels, dont l’existence, forgée par le
droit est une abstraction. Mais cette abstraction représente pour l’homme une valeur
économique. Il y a les biens incorporels relatifs : ce sont les droits dont l’objet, médiat ou
immédiat, est un bien corporel : l’usufruit, droit de créance. Il y a aussi des biens incorporels
absolus : ce sont des droits qui n’ont aucun support corporels. C’est, par exemple, la clientèle
d’un commerçant ; le droit pour l’écrivain ou l’artiste, d’exploiter son œuvre pour en tirer des
bénéfices (la propriété littéraire ou artistique). Les droits incorporels absolus sont toujours
traités comme des meubles. Mais l’on tente déjà de proposer une classification des droits.

2-La classification des droits

Il s’agit des droits réels, c'est-à-dire ceux qui portent sur une chose. On distingue les droits
réels principaux des droits réels accessoires.

1°) Les droits réels principaux visent l’utilisation directe des choses, prises dans leur
matérialité. Ce sont :
- Le droit de propriété (article 544 du Code civil) : « le droit de jouir et disposer des choses de
la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois et
règlements ». C’est le droit réel le plus connu. Il a trois attributs : l’usus (le droit de se servir
soi-même de la chose : s’asseoir dans ses meubles, conduire sa moto etc.) ; le fructus (le droit
de percevoir les fruits au sens juridique du terme. On appelle fruit les biens de toutes sortes
que rapportent ou produisent certains autres biens (biens frugifères). Somme d’argent, bien en

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nature). Les fruits sont produits périodiquement et n’entament pas la substance du bien. C’est
ainsi qu’ils sont distingué des produits. Ceux-ci entament la substance (le capital) des biens et
peuvent ne pas être périodique. Les fruits peuvent être industriels, civils ou naturels. Le fruit
est industriel lorsque, bien que provenant du bien même qui les produit, ils sont obtenus par
la culture, c'est-à-dire l’activité de l’homme ou son industrie. Les fruits sont naturels lorsque,
provenant du bien même qui les porte, sont le produit spontané de la terre (fruits des arbres).
On les assimile au produit et au croît des animaux. Enfin, les fruits civils sont obtenus grâce
au contrat dont le capital est l’objet : les loyers et autres revenus en argent procurés par une
chose. Enfin, le troisième attribut du droit de propriété est l’abusus. C’est le droit de disposer
de la chose en l’aliénant. - Les démembrements du droit de propriété. C’est d’abord
l’usufruit, le droit d’user et de jouir de la chose. Le titulaire de ce droit est l’usufruitier. Mais
celui-ci ne dispose que deux des trois attributs de la propriété. Le droit de disposer de la
chose appartient au nu propriétaire. Ce sont, ensuite, les servitudes. C’est le droit pour les
propriétaires d’un immeuble de retirer, à perpétuité, certains services d’un immeuble voisin :
servitude de passage, le droit d’aller puiser de l’eau sur le fond voisin.

2°) Les droits réels accessoires. Ils sont l’accessoire des créances dont ils garantissent le
paiement. Ils portent moins sur la matérialité de la chose que sur la valeur pécuniaire qu’elle
représente. C’est le cas de l’hypothèque (sûreté ou garantie immobilière) et du gage ou du
nantissement (sûreté ou garantie mobilière).
On retiendra que le titulaire d’un droit réel, en ce que son droit porte sur une chose, pourrait
poursuivre celle-ci en quelque main qu’elle puisse se retrouver : on dit qu’il un droit de suite.
Mais si la chose est vendue, le titulaire d’un droit réel est, à l’occasion du paiement
(distribution des deniers), préféré à tous autres créanciers dans les conditions prévues par la
loi : on dit qu’il a un droit de préférence. Droit de suite et droit de préférence sont les deux
effets du droit réel que n’a pas le droit personnel ou droit de créance. Mais les droits
personnels et les droits réels constitue ce qu’on pourrait appeler, si on n’est pas juriste, la
fortune d’une personne et qui est, en droit, appréhendé comme étant le patrimoine.

Paragraphe III – Le patrimoine

Le patrimoine est un ensemble de biens, des droits et des obligations envisagés comme
formant un tout, c'est-à-dire une universalité, une unité juridique et attaché à une personne.
La théorie du patrimoine a été conçue par deux auteurs célèbres, Charles AUBRY (1803-
1883) et Charles RAU (1803-1887). Selon la théorie qu’ils élaborent le patrimoine est
composé d’un actif et d’un passif. A l’actif, on retrouve les biens ayant un même
propriétaire, des droits ayant un même titulaire. Mais on n’y intègre que les droits qui ont un
caractère pécuniaire : ce sont des droits patrimoniaux. Les droits qui n’ont pas ce caractère, et
qui ne peuvent pas être évalué en argent sont appelés des droits extrapatrimoniaux
(l’ensemble des droits civils et politiques attachés à la personne humaines : autorité parentale,
droit à l’image, droits à l’honneur etc.). Les droits extrapatrimoniaux sont encore qualifiés de
droits de la personnalité, en ce qu’ils sont intrinsèquement liés à la personne.

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Le patrimoine ne comporte pas que les biens présents. Il est également constitué des biens
futurs. On y comprend les biens dont la personne dispose aujourd’hui ainsi que les biens
qu’elle acquerra par la suite. C’est pour cette raison que les créanciers peuvent lui faire crédit,
en considérant que son patrimoine connaîtra un accroissement. On dit que le patrimoine
d’une personne est le gage général de tous les créanciers. En cas de non- paiement par la
personne débitrice, les créanciers pourront alors se faire payer sur la vente des biens
constituant le patrimoine.
A l’intérieur du patrimoine, il peut y avoir des fluctuations des biens composant le
patrimoine. Quand un bien est vendu, il est remplacé par le produit de la vente ou le bien
acquis par ce produit. En fait, le patrimoine est un contenant, un portefeuille. Le contenu
change, varie, évolue.
Au passif, on inscrit les dettes de la personne, ses obligations. En droit et en fait, les biens, les
droits répondent des dettes. C’est le sens des articles 2093 et 2093 du Code civil.
Dans la théorie classique (celle d’AUBRY et de RAU) on voit le patrimoine comme une
émanation et une attribution de la personnalité. Ainsi, toute personne physique ou morale a un
patrimoine. Par conséquent, le patrimoine ne peut pas être aliéné, sauf transmission pour
cause de mort, par voie de succession. En outre, seules les personnes peuvent avoir un
patrimoine. Enfin, une personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine : c’est le principe de
l’unité du patrimoine. Ce principe exclu par exemple le patrimoine d’affectation, c'est-à-dire
une masse de biens prélevés par une personne de son patrimoine et mise au service d’un but
précis, de sorte que, finalement, un individu aurait deux patrimoines. Le patrimoine
d’affectation est admis dans les Etats anglosaxons. En France, on en trouve une illustration
dans les fondations.
Mais la conception des auteurs classiques est discutée en doctrine (notamment par
PLANIOL), sans cependant être anéantie. Les besoins du commerce ont conduit certains
législateurs, notamment français, à admettre un patrimoine d’affectation.

AUBRY Charles (1803-1883) et RAU Charles (1803-1877)

AUBRY est un universitaire entier et RAU, à la fois un universitaire et un praticien (Avocat).


Ils constituent l’exemple d’une coopération universitaire réussie. Ces deux auteurs sont
connus pour avoir été à l’origine de la théorie du patrimoine. Avant eux, la notion n’existait
pas. Ils la définissent ainsi : « Le patrimoine d’une personne est l’universalité juridique de ses
droits réels et de ses droits personnels proprement dits en tant qu’on envisage les objets sur
lesquels ils portent, sous le rapport de leur valeur pécuniaire, c'est-à-dire comme des biens ».
Cette définition implique que : - Le patrimoine d’une personne comprend tous ses biens. - Le
patrimoine n’est pas un objet extérieur, mais une abstraction. Il met l’individu en rapport avec
ses droits, qui forment ainsi un tout juridique, une universalité. - La personne ne peut, en
principe, n’avoir qu’un seul patrimoine. Mais chaque personne a nécessairement un
patrimoine. - Le patrimoine est un contenant. Peu importe le contenu. L’actif peut dépasser le
passif et vice versa.
Section II – Les sources des droits subjectifs

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Il convient de tenter une classification des sources. A la classification classique du Code civil,
les auteurs contemporains opposent une classification moderne.
Paragraphe premier – La classification classique
Afin de remonter aux droits, le Code civil a traité des obligations. Il est bien entendu que
l’obligation est, en principe, l’envers du droit. On distingue, à cet égard, cinq sources
d’obligations.
1°) Le contrat. C’est un accord de volontés destiné à créer des obligations. Suivant les termes
de l’article 1101 du Code civil « Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs
personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire
quelque chose ».
2°) Le quasi-contrat. C’est un fait volontaire, licite, qui oblige son auteur envers les tiers,
parfois les tiers envers lui. Exemple : le toit de l’appartement d’une personne absente menace
de s’écrouler. Son voisin le répare, sans l’accord, bien évidemment, de la personne absente. Il
n’y a pas « accord de volontés » qui forme un contrat. Mais il y a presque (quasi) un contrat.
On considère que si la personne absente avait été présent, il admettrait la réparation ou
réparerait elle-même le toit.
3°) Le délit (civil). C’est un fait illicite volontaire et même intentionnel. C’est le fait de
causer dommage à autrui avec l’intention de le causer. De cette faute intentionnelle, découle
l’obligation de réparer le dommage ou préjudice. C’est le sens (et le siège de ce délit) de
l’article 1382 du Code civil : « tout fait quelconque de l’homme qui cause dommage à autrui
oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
4°) Le quasi-délit. C’est un fait illicite volontaire mais non intentionnel. C’est la faute de
négligence ou d’imprudence (article 1383 du Code civil). Exemple : en voulant mettre une
chaise dans l’amphi afin de mieux suivre le cours de l’introduction à l’étude du droit, un
étudiant piétine et blesse l’un de ses camarades. En roulant trop vite, un autre tue un piéton.
5°) La loi. Elle fait naître parfois des obligations en dehors de toute volonté. Il en est ainsi des
obligations des père et mère à l’égard de leur enfant mineur.

La doctrine moderne a proposé une autre classification.

Paragraphe II – La classification moderne


Elle se fonde sur la distinction entre acte et fait juridiques.
L’acte juridique est toute manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit. Il
peut s’agir de la manifestation d’une seule volonté : on parlerait d’acte juridique unilatéral.
Exemple : le testament (acte dans lequel une personne exprime ses dernières volontés et
dispose pour le temps ou elle ne vivra plus, de tout ou partie de ses biens au profit d’une ou
de plusieurs personnes). Il peut s’agir de l’accord de plusieurs volontés dirigées vers le même
but (acte juridique bilatéral ou plurilatéral). Exemple : le contrat ou la convention.

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Le fait juridique est, soit un événement purement matériel, vide de tout contenu volontaire (la
foudre, le décès, les éruptions volcaniques etc.), soit d’un agissement animé d’une certaine
volonté, d’où découlent des effets de droit, mais sans que ces effets aient été recherchés
(exemple : le changement de domicile conduit à la substitution d’un tribunal compétent à un
autre).

Chapitre II : La réalisation des droits subjectifs

L’existence des droits subjectifs serait sans pertinence lorsque la règle de droit est sans effet
sur leur réalisation. La réalisation des droits subjectifs devient une donnée importante de leur
protection. Cette protection est nécessaire à la jouissance des droits. La protection est inscrite
dans des délais, c'est-à-dire le temps qui est accordé par la loi en vue de l’exercice d’un droit.
On parle de délai légal. Mais le délai peut être contenu dans un contrat : on parle de délai
conventionnel. Lorsqu’on agit hors le délai, le droit ne se réalise pas. Il n’est pas protégé. Le
titulaire du droit est forclos. La forclusion est la déchéance de la faculté d’agir, à la suite de
l’écoulement du délai prévu par la loi, par le contrat ou une décision de justice, pour
accomplir une formalité, poser un acte juridique, exercer une voie de recours. Dans certains
cas, le sujet frappé de la forclusion peut en être relevé, comme c’est le cas en droit OHADA
en matière de procédures collectives d’apurement du passif, lorsque le créancier n’a pas pu
produire sa créance dans le délai légal.
Le temps agit ainsi sur le droit par l’effet de la prescription. Le délai de prescription est celui
au terme duquel les droits subjectifs s’éteignent à la suite de l’écoulement d’un temps. Le
délai de prescription, en droit commun est de 30 ans. Mais la prescription peut être abrégée.
Cela dit, c’est la preuve qui permet au sujet d’assurer une protection efficace de son droit.
Prouver, c’est établir la vérité d’un acte ou d’un fait et en tirer des conséquences juridiques.
Le droit de la preuve siège dans les dispositions des articles 1315-1349 du Code civil et dans
d’autres textes, notamment le Code des personnes et de la famille. La preuve est également
discutée en matière de procédure. Mais on considère néanmoins que les articles 1315-1349 du
Code civil constituent le droit commun de la preuve.

De l’ensemble de ces dispositions, on peut isoler la preuve extrajudiciaire de la preuve


judiciaire.

Section première : la preuve extrajudiciaire

Dans l’accomplissement des actes de la vie courante, toute personne cherche à prendre
connaissance de la preuve du droit ou du bien pour lesquels elle compte s’engager. Avant
d’acheter un terrain, on cherche à avoir la preuve de la propriété du vendeur. Avant de
conclure un contrat de travail, l’employeur requiert, souvent, la preuve de la nationalité

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béninoise du demandeur d’emploi, quelques fois, la preuve de son état civil pour éviter
d’engager un mineur. La femme établit dans certains cas sa situation de mariée, et l’homme,
dans d’autre, celle suivant laquelle il aurait la charge des enfants au profit desquels il réclame
à l’Etat des pensions. Ce sont des preuves qui sont établie A partir de la décision d’ouverture
de la procédure collective, et jusqu’à l’expiration d’un délai de trente jours après la deuxième
insertion de ladite décision au journal d’annonces légales ou au journal officiel, les
créanciers, chirographaires ou non, sont tenus de produire leurs créances auprès du syndic, à
peine de forclusion (art. 78 et 79 AUPC ; voir également les cas de déchéance établis par
l’art. 297 de l’AUPSRVE). Mais ils peuvent en être relevés par décision motivée du juge-
commissaire pour autant que l’état des créances n’a pas été arrêté (art. 83 AUPC) en dehors
de toutes contestations judiciaires : ce sont des preuves extrajudiciaires. Elles ne soulèvent
pas des difficultés de l’importance des preuves judiciaires.

Section II – Les preuves judiciaires

Il est de principe que la règle de droit n’est pas à prouver, sauf exigence particulière liée au
droit international privé. Exemple, un ressortissant de l’Ukraine veut divorcer au Bénin et le
conflit renvoie le juge béninois à appliquer la loi ukrainienne sur le divorce. Il faut apporter la
preuve de l’existence et de l’authenticité de la loi ukrainienne sur la question. Le demandeur
pourrait la fournir sous la forme d’un certificat de coutume. Mais de ce point de vue, la
preuve de la loi devient une question de fait. En effet, ce sont les faits que l’on prouve.
Sous cette observation, on se pose souvent deux questions : Qui doit prouver et comment
doit-il prouver ? Autrement, qui à la charge de la preuve ? Quels sont les moyens de preuve ?

Paragraphe I – La charge de la preuve


La preuve est un fardeau, une charge, qui pèse sur l’une des parties au procès. L’exigence de
la preuve a pour effet d’imposer un effort supplémentaire de travail à la partie qui formule
une demande en justice. Celle-ci est ainsi tenue de se procurer des éléments de preuve pour
soutenir ses moyens. Mais un autre effet s’attache à l’exigence de la preuve : celui qui ne
prouve pas sa demande, perd son procès et, dans bien des cas, son droit. La solution judiciaire
dépend ainsi de l’établissement de la preuve. En droit, il appartient à chaque partie de
soutenir sa demande par les éléments de preuve. C’est le sens de l’article 1315 du Code civil :
« Celui qui réclame l’exécution d’un obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se
prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de l’obligation ».
La charge de la preuve incombe donc, en premier lieu au demandeur. C’est ce que restitue la
maxime « actori incumbit probatio ». Mais si le demandeur a fini de démontrer son droit, le
défendeur qui veut contester doit aussi fournir la preuve de sa prétention. C’est le sens de
l’alinéa 2 de l’article 1315. Ce système de chaises musicales est très présent en droit civil.
Dans cette matière, le juge est un arbitre neutre du débat entre demandeur et défendeur. C’est
lorsque les parties ont fini d’épuiser leurs moyens de preuve, que le juge tranche.

61
Cependant, dans certains cas, le demandeur est dispensé de prouver. La loi établit alors, dans
ces cas, des présomptions. Suivant les termes de l’article 1349 du Code civil, « les
présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait
inconnu ». L’enfant qui naît dans un ménage où les conjoints sont mariés est dispensé de
fournir la preuve que son père est le mari de sa mère : c’est la présomption de paternité. Le
fait connu, c’est la situation maritale des parents. Le fait inconnu, c’est la paternité de
l’enfant. Puisque les conjoints sont mariés, le père de l’enfant est le mari de la mère.
On distingue les présomptions de fait ou de l’homme, de la présomption légale. La
présomption légale est celle prévue par une loi. Toute présomption qui n’ait pas pour
fondement une loi est une présomption de l’homme. On distingue aussi la présomption
simple (ou juris tantum, de droit seulement) de la présomption irréfragable (juris et de jure :
du droit et concernant le droit). Tandis que la présomption simple admet la preuve du
contraire, la présomption irréfragable exclut toute preuve contraire. La présomption de
l’homme est toujours simple.

Paragraphe II – Les moyens de preuve On a bien posé, sur le fondement de l’article 1315 al.
1er du Code civil, que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». La
réalisation, la satisfaction des droits subjectifs impose au sujet de fournir la preuve de ces
droits. Par quels moyens, alors, peut-on faire la preuve d’un acte juridique ou d’un fait
juridique ? La question a préoccupé (et préoccupe encore) les spécialistes du droit et,
particulièrement le législateur.
Une règle a été préalablement posée par les juges : si on doit prouver l’obligation que l’on
entend voir autrui exécuter, la preuve ne doit pas être constituée par soi-même. Exemple :
Cocou réclame à Jacob le paiement de la somme de F CFA 50 000. Pour l’y contraindre, il
produit l’agenda dans lequel il a inscrit que Jacob lui doit de l’argent. Cette preuve, qui
assurerait la fonction d’un reçu ou d’une décharge, ne sera pas admise parce qu’elle a été
constituée uniquement par Cocou, le créancier présumé, et non établi, avec la volonté de
Jacob, le débiteur, ou une personne ayant la qualité de délivrer des pièces à titre de preuve.
C’est comme le marchand qui produit ses registres pour faire la preuve contre les personnes
non marchandes. Ces registres ne pourront pas assurer cette fonction (art. 1329 du Code
civil). En droit, les preuves autoconstituées, unilatérales, ne sont pas admissibles, à moins de
faire jouer les présomptions.

Sous la réserve de la règle qui précède, il faut distinguer entre les preuves préconstituées, ou a
priori, et les preuves post-constituées ou, a postériori.

A – Les preuves préconstituées ou preuves a priori

Ce sont des écrits. Ils sont destinés à faire la preuve. En ce qui concerne ces écrits, il faut
considérer le document, encore appelé instrumentum ou actes instrumentaires du contenu du
document encore appelé negotium. Lorsque la preuve est établi en considération simplement

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du document, de l’instrumentum, on dit de ce document, de cet écrit, de cet acte, qu’il est
établi ad probationem (à titre de preuve) : exemple : en droit de la famille, le contrat de
mariage ; en droit des successions, le testament, en ce qui concerne les libéralités, la
donation. Ces actes doivent être établis suivant des règles précises et, pour certains, devant le
notaire pour faire la preuve de l’acte juridique (du contenu). Mais lorsqu’on considère que le
document permettrait de connaître le contenu de l’acte juridique, du negotium, on dit qu’il est
établi ad validitatem (pour la vérification de la validité). Ces écrits sont établis à l’avance, au
moment où les parties créent le droit ou de la survenance des événements ayant des effets
juridiques. Ils ont pour vocation, en cas de litige, d’établir la preuve des obligations et,
surtout, de prévenir, voire d’éviter tout procès : en présence de preuve, on n’a pas besoin de
juge.
Deux catégories d’écrits sont destinées à établir la preuve : les actes sous seing privé et les
actes authentiques.
1 – Les actes sous seing privés
Le seing est la signature apposée par un particulier au bas d’un acte. Par extension, un acte
sous seing privé est celui rédigé librement par les particuliers, et signé par eux, sans
l’intervention d’un officier public. La jurisprudence et la doctrine ont dégagé, au gré de
l’interprétation des articles 1322 et suivants du Code civil, le régime juridique des actes sous
seing privé.
Il convient, pour l’essentiel, de retenir :
- La rédaction de l’acte est laissée à la volonté des parties. C’est le principe de la liberté de
rédaction. Aucune précaution particulière n’est exigée.
- La validité de l’acte est néanmoins soumise à certaines conditions :
a. La première est relative aux écrits qui constatent des conventions synallagmatiques, c'est-à-
dire des conventions stipulées entre plusieurs parties à l’égard desquelles les obligations des
unes constituent les droits des autres. Pour ces types de conventions stipulées par acte sous
seing privé, l’article 1325 du Code civil dispose qu’elles doivent être rédigées « en autant
d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct ». C’est ce qu’on désigne sous
l’appellation de la formalité du « double original ». Sur chaque original, il doit être porté la
mention du nombre d’originaux établis : c’est la mention du double. Exemple : deux
personnes ont stipulé un contrat de vente de moto par acte sous seing privé. Puisque les
parties sont au nombre de deux, il y aura deux originaux (la formalité du double) et sur
chacun deux, il sera porté la mention que le contrat a été établi en deux originaux (la mention
du double). Si les parties étaient au nombre de trois, de quatre ou de cinq, il sera établi trois,
quatre ou cinq originaux et sur chacun d’eux, la mention sera faite que l’acte a été établi en
trois, quatre ou cinq exemplaires. L’objectif poursuivi par le législateur est que chacune des
parties dispose de l’original pour pouvoir en établir la preuve sans dépendre d’une autre
personne. Néanmoins, cet objectif pourrait être atteint si les parties établissent un original
qu’elles remettent à un tiers. Celui-ci délivrera une copie, le cas échéant, à la partie qui en
sollicite.

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b. La deuxième consiste en ce que, si l’acte sous seing privé constate un engagement pris par
une seule personne ou partie d’exécuter une obligation ou de fournir une prestation, l’écrit
doit être rédigé de la main de la partie qui s’engage. A défaut, la signature de l’acte doit être
précédée de certains termes écrits de la main de la personne qui s’engage : il s’agit des
engagements unilatéraux, en particulier de la promesse unilatérale de payer une somme
d’argent ou une chose qui peut être évaluée en argent. Les formules exigées sont : « Bon pour
» ou « approuvé » avec l’indication en toutes lettres et en chiffres de la somme qui est l’objet
du paiement. C’est l’article 1326 (version de 1804 et non celle actuellement en vigueur en
France) qui est le siège de la question : « Le billet ou la promesse sous seing privé par lequel
une seule partie s’engage envers l’autre à lui payer une somme d’argent ou une chose
appréciable, doit être écrit en entier de la main de celui qui le souscrit ; ou du moins il faut
qu’outre sa signature il ait écrit de sa main un bon ou un approuvé portant en toutes lettres la
somme ou la quantité de la chose ;
Excepté dans le cas où l’acte émane de marchands, artisans, laboureurs, vignerons, gens de
journée et de service. »
Le législateur entend, par cette disposition, combattre l’abus de blanc seing, c'est-àdire le fait
de signer à blanc et qui permet au bénéficiaire de l’acte d’y introduire, a posteriori, toutes
sortes d’engagement qui finissent par ruiner celui qui est supposé s’être par lui-même engagé.
c. La violation des formalités prescrites par les articles 1325 et 1326 est sanctionnée de la
nullité de l’acte. En réalité, ce sont ces formalités qui assurent la validité ou constituent la
condition de validité de l’acte sous seing privé. On dit qu’elles sont prescrites ad validitatem.
Mais si, en l’absence de ces formalités, l’acte n’est pas valable, que dire du contenu, c'est-à-
dire du negotium ? Celui-ci est-il également anéanti ? Le contenu reste valable si la partie
reste valable à l’égard de la personne qui a exécuté l’acte, en dépit de l’absence des
formalités requises. En outre, la jurisprudence a établi que l’avez judiciaire pourrait permettre
d’établir le contenu de l’acte. Enfin, même si les formalités requises font défaut, l’acte
pourrait servir à titre de commencement de preuve.
d. L’acte sous seing privé a une force probante relative. i. La relativité de la force probante
tient d’abord à l’origine de l’acte. Il faut se rappeler que celui-ci n’est pas rédigé par une
personne qualifiée. Les garanties quant à sa qualité ne sont pas assurées à l’instar de l’acte
authentique. L’acte sous seing privé ne fait alors fois, comme l’acte authentique, que si celui
à qui on l’oppose reconnait formellement son écriture ou sa signature. L’article 1322 dispose,
à cet effet : « L’acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l’oppose, ou légalement
tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l’ont souscrit et entre leurs héritiers et ayant- cause, la
même foi que l’acte authentique ». Mais si la personne à qui on l’oppose refuse de le
reconnaître, ou que ses héritiers ou ayant-cause décident aussi de ne pas le reconnaître, il est
procédé, par voie judiciaire, à une vérification d’écriture.

ii. En ce qui concerne la force probante de la date de l’acte sous seing privé il convient de
retenir, sur le fondement de l’article 1328 du Code civil qu’elle fait foi entre les parties et
leurs héritiers ou ayant-droit respectifs jusqu’à preuve du contraire. Mais à l’égard du tiers, la
date ne fait foi que lorsqu’elle est certaine. Pour rendre certaine la date de l’acte sous seing
privé, le législateur a envisagé trois événements :

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• L’enregistrement de l’acte. Cette formalité a un but fiscal et permet au service de
l’enregistrement, après avoir perçu les droits, de certifier la date.
• La mort de celui ou de l’un de ceux qui ont signé l’acte.
• La constatation du contenu de l’acte par un officier public, un notaire par exemple. L’acte
acquiert date certaine à partir du moment de cette constatation.
2 – Les actes authentiques
L’acte authentique est celui qui est reçu par un officier public compétent dans les formes
requises par la loi. L’article 1317 du Code civil dispose, en effet que : « L’acte authentique est
celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d’instrumenter dans le lieu où l’acte a
été rédigé, et avec les solennités requises ». En France, une réforme est intervenue le 13 mars
2000 pour ajouter un second alinéa à cet article : « Il peut être dressé sur support électronique
s’il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ». Il convient
de retenir que l’acte authentique est celui qui est :
a- Dressé par un officier public… L’officier public est le titulaire d’un « office », c'est-à-dire
d’une étude ou charge non rattachée à l’administration de la justice et appelé à authentifier
des actes en y apposant les sceaux de l’Etat : c’est le cas des officiers de l’état civil (les
maires et leurs adjoints par exemple) ; des notaires. Il faut distinguer l’officier public de
l’officier ministériel (ministère = service) : c’est le titulaire d’une charge, d’une étude, c'est-à-
dire d’un « office » rattaché à l’administration de la justice et appelé à accomplir, pour le
compte de ce service public, des actes de nature à réaliser le droit d’accès à la justice. C’est le
cas des huissiers de justice, des commissaires-priseurs. On considère néanmoins que les
notaires, les huissiers, sont à la fois officiers publics et officiers ministériels.
b- …ayant le droit d’instrumenter dans le lieu où l’acte a été rédigé… Ici, c’est la compétence
territoriale de l’officier public qui est souligné. Un officier public (un notaire) qui aurait
formalisé un acte en dehors de son ressort territorial aurait excédé sa compétence.
c- … et avec les solennités requises. C’est la troisième condition et elle cumule (avec la
conjonction de coordination « et ») avec les deux premières : il faut que le formalisme requis
par la loi dans certaines conditions soit respecté. Ainsi, en raison de ce que le législateur a
exigé la présence de deux témoins qui ne soient pas membres de la famille du testateur dans
le cadre de l’établissement d’un testament authentique, le notaire est tenu par cette « solennité
».
L’acte authentique a une force probante plus élevée que l’acte sous seing privé. C’est en cela
qu’il est plutôt intéressant d’y recourir. En effet, l’acte authentique fait foi jusqu’à inscription
de faux alors que, dans bien des cas, l’acte sous seing privé fait foi jusqu’à preuve du
contraire. L’inscription de faux est une procédure délicate, difficile, longue et dispendieuse
pour le sujet, et aux termes de laquelle celui-ci peut être condamné à des dommages et
intérêts et, le cas échéant, aux amendes. Cette procédure consiste à établir l’existence d’un
faux en écriture. C’est une procédure périlleuse. C’est pourquoi le législateur l’attache
seulement aux actes authentiques. Mais il convient néanmoins de nuancer entre les
énonciations émanant de l’officier lui-même et celles qu’il recueille des déclarants. Lorsque
les constatations ou énonciations émanent de l’officier public lui-même, elles font foi jusqu’à
inscription de faux. Exemple : le notaire constate, dans le testament mystique (celui contenu
dans une enveloppe et porté au notaire sans qu’il ait le droit de prendre connaissance du
65
contenu) qu’il est écrit sur une enveloppe qui lui est remis « ceci est mon testament ». En
revanche, les énonciations émanant de la personne du déclarant font foi jusqu’à preuve du
contraire. Exemple : le contenu de l’enveloppe contenant le testament mystique.
Parmi les preuves préconstituées, il faut également citer les autres écrits.

3 – Les autres écrits.


Il s’agit :
- Des lettres missives. Ce ne sont pas des actes sous seing privé tels qu’ils sont visés par les
articles 1325 et 1326 du Code civil. Il leur manque la formule du double original pour les
conventions synallagmatiques et celles du bon pour en ce qui concerne les actes unilatéraux.
Mais les lettres missives peuvent acquérir une force probante égale à celle des actes sous
seing privé si, au regard des espèces, les jugent en arrivent à cette conclusion.
- Des écrits non signés. Il s’agit des livres et des registres des commerçants. L’article 1329
interdit qu’ils établissent la preuve contre un non commerçant en vertu du principe suivant
lequel nul ne peut se fabriquer une preuve à lui-même. Mais ils peuvent servir de preuve à
l’égard d’un commerçant ou dans certains cas particuliers comme le mariage ou le divorce.
- Enfin, il s’agit des Short messages sent (Sms). La Cour de Cassation française vient de leur
reconnaître une valeur probante, en matière de divorce, lorsqu’il s’agit d’établir la faute du
débiteur d’une obligation (la fidélité et le respect).

B – Les preuves post-constituées ou preuves a posteriori


Ces preuves sont constituées après coup, lorsque le litige naît. Dans ce cas, c’est le juge qui
ordonne ou qui contrôle la production et l’administration de ces preuves. Parmi ces preuves a
posteriori, certaines sont subjectives tandis que d’autres sont de nature objectives.
1 – Les preuves de nature subjective
Ce sont des déclarations qui n’émanent pas des tiers mais de l’un des protagonistes du procès.
Certaines ont une force morale assez prononcée. On range dans cette catégorie l’aveu et le
serment.

a- L’aveu
L’aveu est la déclaration par laquelle, en présence du juge, l’une des parties reconnaît
l’exactitude d’un fait qui lui est défavorable, allégué par son adversaire. L’aveu est le devoir
des honnêtes gens et est présenté comme une présomption légale. On considère (on présume),
en effet, que nul ne peut mentir contre soi-même. Si on fait une déclaration contre ses propres
intérêts, c’est donc vrai. L’aveu doit être spontané. Mais le juge peut le provoquer par ses
interrogations à l’occasion de la comparution personnelle des intéressés. L’aveu judiciaire est,

66
en effet : « La déclaration que fait en justice la partie ou son fondé de pouvoir spécial. Il fait
pleine foi contre celui qui l’a fait ; Il ne peut être divisé contre lui ; Il ne peut être révoqué, à
moins qu’on ne prouve qu’il a été la suite d’une erreur de fait. Il ne pourrait être révoqué sous
le prétexte d’une erreur de droit ».
Le sujet est lié par son aveu. Le juge également. L’indivisibilité de l’aveu tient à ce que la
déclaration doit être prise telle qu’elle, sans retrait ou ajout de propos. Mais il faut distinguer
l’aveu judiciaire pur et simple de l’aveu judiciaire complexe.
L’aveu judicaire pur et simple est la reconnaissance par réponse affirmative à une question.
Exemple : Devez-vous 50 000 à François ? Oui, je dois 50 000 à François.
L’aveu judiciaire complexe est la reconnaissance par réponse qui modifie la question initiale.
Exemple : Devez-vous 50 000 à François ? oui , à titre de prêt à long terme.
Si l’indivisibilité est facile en ce qui concerne l’aveu judiciaire simple, c'est-à-dire sans
réserve, elle est difficile en ce qui concerne l’aveu complexe.

b- Le serment décisoire

Le serment est l’affirmation solennelle par une partie d’un fait qui lui est favorable. Le mot
vient du latin sacramentum qui signifie sacré, duquel résulte aussi « sacrément ». Dans le
serment, il y a le l’honneur, la crainte du parjure, et chez certains, de Dieu ou des mânes des
ancêtres. On distingue deux types de serment. L’un se rapporte à l’avenir et est porteur de
promesses dont il garantit la sincérité : c’est le serment promissoire. L’autre se rapporte au
passé et tend à assurer la vérité d’une affirmation : c’est le serment probatoire. C’est dans le
serment probatoire qu’on distingue deux autres volets. En effet, le serment probatoire peut
avoir vocation de compléter une preuve insuffisante : il prend le nom de serment supplétoire.
Il peut aussi tendre à suppléer (combler) à l’absence de preuve et conduire, de façon
autonome, à la décision : c’est le serment décisoire.
Le serment décisoire est mis en œuvre de la façon suivante : Un créancier qui n’a pas les
moyens de prouver sa créance pourra déférer le serment à son débiteur. Il lui demandera de
jurer que la dette n’existe pas. Si celui-ci le prête, il gagne le procès parce qu’il est
irréfragablement présumé ne rien devoir. S’il décline le serment, et refuse de le prêter, il perd
le procès. Mais il peut s’abstenir de jurer et demander, à son tour, à son adversaire, le
créancier, de prêter le serment, c'est-à-dire de jurer qu’il est titulaire d’une créance sur lui : on
dit qu’il réfère le serment à celui qui l’a déféré : c’est la relation du serment.

2 - Les preuves de nature objective

Il s’agit des constatations effectuées par le juge lui-même, à l’occasion des transports
judiciaires. Le juge pourrait également procéder aux constats par voie de délégation. Il
délègue son pouvoir aux techniciens à qui il confie des missions précises : c’est l’expertise.

67
Il s’agit également de la preuve par témoin, encore appelé preuve testimoniale. Le témoin
n’est pas une partie au procès. Il est supposé être impartial. Il pourrait prêter serment dans les
conditions fixées par la loi. Le témoin est celui qui, par lui-même a vécu l’événement ou
assisté au fait qu’il entend rapporter. Le témoin n’est pas un sachant. Celui-ci est plutôt une
personne qui détient des renseignements sur un fait ou un événement et qui ne l’a pas vécu
lui-même. Les déclarations d’un témoin sont plus importantes que celles d’un sachant. Cela
dit, il est interdit au témoin de mentir : il aurait commis l’infraction punie par la loi pénale
appelée faux témoignage et violé en outre son serment.

EXERCICES D’APPLICATION
1 - Le droit objectif
Sujet 1. Questions de cours
Sujet 2. Questions de cours et Dissertation juridique (plan détaillé)

68
Sujet 3. Questions sur arrêt (Cass. soc., 4 déc. 1996, n° 94-40693 et 94-40701)
Sujet 4. Commentaire d'article : Article 2 du Code civil
Sujet 5. Dissertation juridique : Le législateur et le principe de non-rétroactivité de la loi
Sujet 6. Cas pratique
Sujet 7. Commentaire d'article : Article 4 du Code civil
Sujet 8. Dissertation juridique : Le juge peut-il créer des règles de droit ?
Sujet 9. Questions de cours et Dissertation juridique (plan détaillé)

2 - Les droits subjectifs


Sujet 10. Dissertation juridique : Qu'est-ce que le patrimoine ?
Sujet 11. Questions de cours et Dissertation juridique (plan détaillé)
Sujet 12. Commentaire d'article : Article 9 du Code civil
Sujet 13. Dissertation juridique : Les atteintes au droit à l'image
Sujet 14. Commentaire d'arrêt :Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 15-12403
Sujet 15. Dissertation juridique : La preuve de l'acte juridique
Sujet 16. Cas pratique 91
Sujet 17. Questions sur arrêt (Cass, 1 r civ., 19 oct. 2016, n° 15-27387)
Sujet 18. Commentaire d'arrêt : Cass. req., 3 août 1915, Coqueret c/ Clément-Bayard 100
Sujet 19. Cas pratique
Sujet 20. Questions à réponse courte
Sujet 21. QCM

Pourquoi ce dossier ?
Lorsque vous traitez un sujet lors d'un examen ou d'un TD, vous avez parfois du mal à
comprendre la note qui vous a été attribuée et à savoir ce que vous auriez dû faire pour en
obtenir une meilleure.
L'objectif de ce dossier est justement de remédier à cette situation et de vous faire passer de
l'autre côté de la « barrière », en vous permettant de mieux comprendre ce qu'attend votre
correcteur : la reproduction intégrale de trois copies réelles de valeur différente sur un même
sujet, les indications générales de correction ainsi que les appréciations détaillées portées
dans les marges de chaque copie vont vous permettre d'adopter une démarche comparative et
de comprendre ce qui fait la différence de notation.

69
La reproduction d'une excellente copie (récompensée par un 17/20) vous permet également
de vous rendre compte que le sujet était « faisable » et quels étaient les points
incontournables de son traitement, Elle constitue clairement un exemple à suivre et vous
prouve que la réussite est à votre portée.
Comment utiliser ce dossier ?
Afin que vous puissiez visualiser les pistes que vous devez mettre en œuvre pour améliorer
votre note, chacune des trois copies réelles est annotée, en marge, de toutes les « recettes »,
de nombreux conseils méthodologiques et de « petits plus » qui feront passer votre note de
6/20 à 12/20 puis, avec l'entraînement, de 12/20 à 17/20.
Vous traiterez le sujet suivant :
« Le juge et la loi »
Indications de correction
Ce sont les indications fournies par l'enseignant à l'ensemble de son équipe pédagogique afin
d'harmoniser les corrections et d'éviter les écarts de notes. Elles sont reproduites d. en l'état ».
Il s'agit de réaliser la dissertation suivante : Le juge et la loi.
Indications générales
- Éviter les notes inférieures à 04/20 sauf copie inachevée ou blanche. N'hésitez pas à
sanctionner l'orthographe quand il y a beaucoup de fautes (-1 point sur note finale. Indiquez-
le expressément sur la copie).
- Si une partie est hors sujet : maximum 06/20.
- Si une sous-partie est hors sujet : maximum 08/20.
- Sanctionner les étudiants qui ne respectent pas le sujet et dissertent sur la jurisprudence
source de droit. Noter inférieurement à la moyenne (tout dépend du contenu).
- Valoriser les apports personnels : exemples empruntés à d'autres branches du droit,
citations, connaissance précise des textes...
- Ne pas oublier qu'il s'agit d'une épreuve du premier semestre de première année. Il faut être
juste mais accepter quelques erreurs de « débutant ».
Points indispensables à trouver dans la copie
1) Quant au fond
- Le principe de séparation des pouvoirs : le pouvoir de création de la loi revient au
législateur ; le pouvoir judiciaire applique seulement la loi.
- Les fondements textuels :
• article 4 du Code civil : obligation de juger même en cas de « silence, d'obscurité ou
d'insuffisance de la loi »,

70
• article 5 du Code civil : interdiction aux juges de « prononcer par voie de disposition
générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises » ; interdiction des arrêts de
règlement,
• article 1355 du Code civil : principe de l'autorité relative de la chose jugée.
2) Quant à la forme
- Deux parties et deux sous-parties avec des intitulés.
- Annonce de plan, chapeau et transition.

INTRODUCTION (Éléments indicatifs)


- Accroche : citation de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs OU article 4 du Code
civil qui pose bien les rapports entre la loi et le juge ou toute autre citation pertinente (et non
« ubi societats, ibi jus » ou « dura lex, sed lex » !),
- Définition des termes : attention aux hors sujets les étudiants ont tendance à étaler leurs
connaissances : inutile de décrire les différentes juridictions, le mode d'élaboration de la loi
ou les sources du droit.
- Contexte : références à l'histoire du droit, au droit comparé sur le sujet.
NB : certains étudiants né citent pas dans l'introduction certains de ces éléments pour les
exploiter dans les développements. C'est possible également : ne pas les sanctionner. C'est le
cas notamment de la comparaison avec les précédents obligatoires du système anglo-saxon.
- Problématique : il s'agit d'un sujet de comparaison, il ne faut pas traiter séparément dans
deux parties, la loi puis le juge. Il ne faut pas confondre loi et droit et transformer le sujet : les
étudiants ont tendance à modifier le sujet pour traiter du thème plus classique du rôle de la
jurisprudence. La question n'est pas de savoir si la jurisprudence est source de droit. Elle
interroge sur les rapports entretenus entre le juge et la loi. Y a-t-il des rapports de hiérarchie ?
Peut-il y avoir concurrence ou complémentarité ? Le juge peut-il créer la loi ?
- Annonce de plan : les deux axes du plan sont trouvés avec l'idée d'une subordination du
juge à la loi (1) qui n'empêche pas une certaine liberté (2). On peut ensuite donner un
habillage aux intitulés, par exemple en reprenant l'image du juge, simple « bouche de la loi »
utilisée par, Montesquieu (cf. correction de la très bonne copie).
Dissertation juridique (06/20)
OBSERVATION DU CORRECTEUR
Le plan est mauvais, il conduire à traiter de manière incomplète l’essentiel du sujet dans la
deuxième partie.
Attention au style
Le droit objectif représente l'ensemble des règles qui régissent la vie en société ; cela pouvant
être sanctionné par l'autorité publique. Ce droit objectif se décompose en deux types de
sources les sources formelles comme la loi et les sources informelles comme la coutume. En

71
outre il arrive qu'il y ait des relations entre le droit et la religion ou la morale. La loi est
imprégnée de ces modèles.
La loi étant une source formelle du droit, se caractérise comme une règle dont le rôle revient
au pouvoir législatif. Le juge quant à lui est un professionnel du droit chargé de juger les
litiges.
La loi est applicable partout en France. A travers ceci, chaque État au sein du monde dispose
de lois nécessaires à son organisation politique. Pour garantir le respect de la loi par les
individus, le juge qui est la personne veillant à la bonne application de la loi va appliquer des
sanctions.
La première fonction du juge est d'interpréter la loi.
Il faut donc étudier le juge et la loi. Tout d'abord dans une première partie il faut montrer que
la loi et le juge ont deux domaines différents et dans une deuxième partie il faut souligner
qu'ils peuvent avoir des interférences.
1 • La loi et le juge : deux domaines différents
A) Le domaine de la loi
La loi est générale et impersonnelle et coercitive. Nul n'est censé ignoré la loi, elle doit être
respectée par tous.
Avant tout, elle est adoptée par les deux assemblées. Ensuite elle doit être promulguée et
publiée dans un journal. La loi n'a pas d'effet rétroactif, elle ne dispose que pour l'avenir. Elle
est appliquée pendant un certain temps.
La loi est créée par le législateur et elle s'inscrit dans la pyramide des normes de Kelsen.
b) Le domaine du juge
Le juge est obligé de rendre la justice, il doit trancher les litiges. Il doit appliquer la loi, il ne
peut pas ignorer la loi. Le juge doit apporter une sécurité juridique aux citoyens en appliquant
la loi : gain de sécurité. Le juge statue en équité car la loi n'est pas forcément juste.
Si la loi est silencieuse sur le litige qu'il doit trancher, il doit inventer la règle pour rendre la
justice.
2 • L'interférence des deux domaines
A) Le juge, bouche de la loi
Le Code civil prévoit que le juge qui refuse de juger pour n'importe quelle raison peut être
poursuivi pour déni de justice. Pour rendre la justice le juge est obligé de faite appel à la loi
en visant les textes. Il ci l'obligation de motiver sa décision, c'est en cela qu'il apparaît comme
la simple bouche de la loi.
Le juge a l'obligation d'appliquer la loi, quand elle obscure ou insuffisante il reçoit le pouvoir
de l'interpréter. Il y a plusieurs méthodes d'interprétation
- méthode exégétique
- méthode sociologique

72
- mélange des deux méthodes
B) Le juge créateur de droit
Malgré certains obstacles : obstacles de fait risque de revirement de jurisprudence, instabilité
de la jurisprudence, risque de gouvernement des juges
- obstacles de droit : article 5 le juge ne peut pas rendre un jugement à valeur normative, sa
décision n'a de force obligatoire que pour l'affaire en question. Le juge ne peut pas légiférer
au nom de la séparation des pouvoirs.
La jurisprudence est quand même une source vive du droit. Dans le silence de la loi le juge
va créer une nouvelle règle qui concurrence la loi. Mais une loi peut toujours être votée et
venir casser une jurisprudence.
Le juge et la loi sont indissociables, mais la loi l'emporte sur le juge.
Copie réelle notée (12 /20)
OBSERVATION DU CORRECTEUR
Vous n’allez pas au bout de vos démonstrations.
Les bases sont là mais attentions à ne pas détourner le sujet sur la jurisprudence notamment
dans le 2-B.
Une bonne utilisation de vos connaissances transversale (histoire du droit notamment, droit
constitutionnel).
Pensez à garder du temps pour bien vous relire.
« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » a écrit Montesquieu en 1748 afin de
justifier sa théorie sur la séparation des pouvoirs. Celle-ci conduit à accorder à chacun des
trois pouvoirs une fonction bien précise : le pouvoir exécutif doit appliquer les mesures prises
par le pouvoir législatif tandis que le pouvoir judiciaire doit régler les litiges.
Afin d'éviter l'arbitraire, le juge est tenu de suivre les dispositions prévues par la loi. Dans
son sens formel, la loi désigne l'ensemble des dispositions prises par le pouvoir législatif et
élaborées dans les formes prévues à l'article 34 de la Constitution. Dans un sens matériel, plus
large et plus utilisé, la loi correspond aux textes adoptés par les pouvoirs législatif et exécutif.
Le juge est inévitablement lié à la loi puisqu'il doit la suivre afin de motiver ses décisions. La
loi permet aux individus de jouir d'un double impératif. D'une part elle permet aux individus
de disposer d'une sécurité juridique qui leur permet de connaître les règles à respecter et les
sanctions encourues en cas d'infraction. D'autre part, la loi répond à un critère de généralité
puisqu'elle « considère les hommes en masse, jamais en particulier ». Ainsi, tous les individus
sont égaux et recevront les mêmes droits et sanctions quelles que soient leurs origines, leurs
religions... La loi s'affranchit de toutes considérations particulières des individus. Ce qui
distingue la loi des autres règles de vie que connaît l'homme, c'est son caractère coercitif. La
loi est sanctionnée par la puissance étatique. L'État dispose du monopole de la contrainte
légitime qui est prononcée par le juge.
Il peut donc être intéressant d'étudier les rapports entre le juge et la loi qui sont
inévitablement liés. Quel est le rôle du juge à l'égard de la loi ? Quel est son champ d'action ?

73
L'article 4 du Code civil apporte une première réponse. En disposant que « le juge qui
refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra
être poursuivi comme coupable de déni de justice », il évoque différentes hypothèses :
Si la loi est claire, il suffit au juge de l'appliquer.
Si la loi est obscure, le juge doit en rechercher le sens, l'interpréter.
Si la loi est silencieuse, c'est-à-dire qu'il n'existe aucune disposition légale répondant
précisément au problème posé par les justiciables, le juge devra suppléer cette absence.
À travers ces différentes situations, le rôle du juge, dans le cadre de la loi, est précisé. D'une
part le juge est encadré par la loi (1) et d'autre part il œuvre dans le silence de la loi (2).
1 • L'encadrement du juge par la loi
Dans la plupart des cas, le juge est simplement tenu d'appliquer la loi aux faits (A) mais
certains textes restent flous et nécessitent une interprétation de la part du juge (B).
A) L'application de la loi
La charge confiée au juge est claire : appliquer la loi créée par le législateur. Les juges sont
des professionnels du droit qui participent essentiellement à l'action de dire le droit, la « juris
dictio » des romains. Ils sont chargés d'appliquer la loi. Ils contribuent à sa bonne exécution
dans la mesure où leurs décisions sont dotées de la force exécutoire, issue d'une notion de
droit romain, I'« imperium ».
L'article 4 du Code civil pose une réelle obligation pour le juge. Celui qui refuserait de
statuer sera poursuivi pour déni de justice. Le déni de justice est potentiellement pénalement
condamnable par 7 500 euros d'amende et une interdiction d'exercer des fonctions publiques
allant de cinq à vingt ans. Il faut nuancer cependant car en pratique très peu de juges ont été
réellement condamnés.
Il n'en demeure pas moins que le juge est juridiquement obligé de statuer. Pour cela il
s'appuie sur la loi. Pour trancher le litige, schématiquement le juge a recours à un
raisonnement qui prend la forme d'un syllogisme. Il applique la règle de droit (la majeure)
aux faits (la mineure) pour trouver la solution. Même si ce schéma est souvent insuffisant, il
rappelle l'obligation de motiver. Le juge ne peut pas statuer en équité et doit nécessairement
fonder sa décision sur une règle de droit, en premier lieu une loi.
B) L'interprétation de la loi
L'imprécision ou l'obscurité de la loi ne saurait empêcher le juge de statuer.
Les imperfections de la loi peuvent être involontaires, liées à des maladresses de rédaction,
ou volontaires. Le législateur, même convaincu de la supériorité de la loi, est conscient de son
immobilisme. La loi a vocation à s'appliquer tant qu'elle n'est pas abrogée. Il faut donc
accorder à celui qui doit l'appliquer, le juge, les moyens de l'adapter. C'est pourquoi, la loi
utilise des notions-cadres ou notions abstraites, soumises à l'interprétation des juges.
Rappelons que le Code civil, par exemple, date de 1804. Nombreuses sont ses dispositions
encore en vigueur aujourd'hui alors que les conditions de la société ainsi que les mœurs ont
évolué. Doit-on encore aujourd'hui donner leur donner le même sens ? Le modèle est-il

74
encore le « bon père de famille » ? L'urgence n'est-elle pas relative compte tenu de la rapidité
actuelle des modes de communication ?
En cas, d'imprécision ou d'« obscurité>> de la loi, le juge va donc devoir lui donner un
sens. Il n'a plus à demander l'avis du législateur. Chronologiquement, le juge a connu deux
méthodes d'interprétation de la loi.
La première est celle de l'exégèse. Appliquée au lendemain de l'adoption du Code civil, elle
prône la suprématie de la loi. Le juge n'a qu'à appliquer la loi au fait. Si celle-ci s'avère floue,
il doit rechercher son sens par l'analyse littérale pour respecter les intentions du législateur
lequel ne fait que traduire la volonté générale.
La seconde méthode est la méthode de la libre recherche scientifique (ou méthode
sociologique) qui laisse au juge une marge de manœuvre plus importante. Le juge est libre
d'interpréter la loi en considération de données qui lui sont extérieures. Le juge a la faculté de
déterminer le sens à donner à la loi en dépassant sa lettre. Il peut adapter la loi aux conditions
actuelles. En droit civil, et en particulier en droit de la responsabilité délictuelle, le juge a
ainsi pu faire évoluer le concept de faute, passant dune conception objective à une conception
subjective.
L'interprétation par le juge s'affirme comme un principe inhérent à une bonne application de
la loi et comme un facteur d'évolution du droit. Ce pouvoir d'interprétation du juge se
caractérise également par un aspect contradictoire : il permet de palier la faiblesse de la loi
tout en contribuant à son instabilité. En effet, la diversité et l'évolution possible des
interprétations, au fil du temps et de l'évolution des besoins du contexte social, économique
ou scientifique, sont des facteurs d'insécurité de la loi.
Le juge ne remplace pas la loi, il doit la respecter. Cette mission, déjà compromise par une
interprétation libre de la loi, est rendue encore plus délicate en l'absence de loi.
2 • Le juge dans le silence de la loi
Les pouvoirs du juge sont déterminés par la loi. Son obligation fondamentale d'appliquer la
loi, qu'elle soit claire ou obscure, le contraint à suppléer le silence de la loi (B). Pour autant
cette fonction est en apparence limitée par plusieurs dispositions légales (A).
A) Les obstacles au pouvoir du juge
Au nom de la séparation des pouvoirs, il est impossible pour le juge de créer une loi. Ce rôle
est entièrement réservé au législateur. De ce fait, lorsqu'une loi ne prévoit rien pour un cas
donnée, le juge ne peut créer une règle de droit qui aurait vocation à s'appliquer à toutes les
situations similaires qui apparaîtraient à l'avenir. « Le juge ne peut se prononcer par voie de
dispositions générales sur les causes qui lui sont soumises ». L'article 5 du Code civil interdit
par cette formule la pratique des arrêts de règlement, c'est-à-dire des arrêts solennels rendus
par les cours souveraines de l'Ancien Régime comme le Parlement de Paris. Ces arrêts
avaient la particularité de bénéficier d'une haute légitimité morale issue d'une notion de droit
romain, I'« auctaritas », qui leur donnait force de loi. C'est ce rôle que le législateur a voulu
limiter dans cet article 5.

75
L’interdiction légale des arrêts de règlement trouve son prolongement dans l'article 1355 du
Code civil posant le principe de l'autorité relative de la chose jugée. Cette disposition
contraint les juges à ne statuer que selon les faits qui leur sont présentés.
La portée de la pratique juridictionnelle est donc limitée par la loi car elle peut être source
d'insécurité juridique.
La sécurité juridique est une notion aux contours imprécis en l'absence de définition légale.
Le Conseil d'État dans son rapport public de 2006 l'a cependant défini comme impliquant «
que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables en
mesure de déterminer ce qui est permis ou défendu par le droit applicable ». Ce principe a été
consacré à l'échelle européenne par là Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt
Bosch du 6 avril 1962.
On conçoit alors que la liberté du juge qui n'est pas lié par les précédents judiciaires soit
source d'insécurité juridique. La jurisprudence Subit des revirements. Une interprétation peut
être contredite par une autre ou même par le législateur lui-même, ce qui favorise l'instabilité
du corps juridique. Un exemple type est l'arrêt Perruche rendu par la Cour de cassation qui a
consacré le principe du préjudicie d'être né. Ce principe a été jugé trop dangereux par le
législateur qui s'y est opposé en adoptant la loi Kouchner en 2002 afin d'interdire ce principe.
Contrairement au juge de droit anglo-saxon, bâti sur le système de common law, c'est-à-dire
sur un corpus de décisions jurisprudentielles, le juge français n'est pas lié par la règle du
précédent. Cette règle oblige les juges de common law à se conformer aux décisions rendues
antérieurement dans des cas similaires.
Tous ces obstacles confinent le rôle du juge qui doit rester dans le cadre de sa fonction
judiciaire et donc se contenter d'appliquer, voire d'interpréter la loi. Pourtant, il peut parfois
aller plus loin.
B) La suppléance de la loi
Dès lors que l'interprétation dépasse la simple lecture de la loi, il y a déjà création de droit. Ce
phénomène s'amplifie quand la loi n'existe pas. La jurisprudence devient alors source de
droit.
L'article 4 du Code civil impose bien au juge de juger malgré le « silence de la loi ».
L'absence de loi ne dispense pas le juge de son obligation de statuer. Nous sommes loin de la
société du XIXe siècle où par exemple les automobiles n'existaient pas, encore moins
internet. Les juges peuvent donc être confrontés à des situations d'espèce pour lesquelles il
n'y a pas de loi. Ils doivent alors inventer une solution nouvelle.
Le juge va alors se baser sur les précédents, notamment les arrêts rendus par les cours
supérieures, pour créer une règle de droit. On peut encore trouver un exemple dans le droit de
la responsabilité délictuelle. La jurisprudence a pu dégager de l'ancien article 1384 alinéa 1 er
du Code civil, à l'origine simple chapeau introductif, un principe général de responsabilité du
fait des choses. La jurisprudence est une source de droit quand elle propose une nouvelle
règle. La jurisprudence influence également le législateur qui peut reprendre ses orientations.
Copie réelle noté (17/20)
OBSERVATION DU CORRECTEUR

76
Très bonne copie. Le sujet est compris, les connaissances certaines et utilisées à très bon
escient.
Revoir peut-être les intitulés des différentes parties et sous parties qui sont parfois un peu
faibles.
Attention à la relecture, quelques coquilles.
« Les juges de la Nation ne sont (...) que la bouche qui prononce les paroles de la loi ». La
célèbre formule de Montesquieu tirée de l'Esprit des lois paraît résumer les rapports pouvant
exister entre la loi et le juge.
Il explicite le principe de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir de juger est accordé au juge
chargé de rendre des décisions de justice sur les litiges qui lui sont soumis. Le pouvoir
législatif revient au Parlement qui est le seul habilité à créer des lois. S'il est vrai qu'au sens
matériel, c'est-à-dire au sens le plus large, la loi comprend toutes les règles de droit émanant
du pouvoir législatif ou exécutif, ce qui englobe aussi bien la loi au sens formel que les textes
réglementaires émanant du pouvoir exécutif, en revanche, cette faculté de créer des règles
n'est pas accordée au pouvoir judiciaire. Il y a une séparation nette entre le pouvoir de
légiférer et le pouvoir de juger. Le législateur ne peut pas juger. La loi énonce des règles
générales et impersonnelles qui ont vocation à s'appliquer à tous. Elle est indifférente aux
particularités individuelles. Une fois énoncée, elle est appliquée par les juges à l'occasion des
litiges qui leur sont soumis. Inversement, le juge ne peut pas légiférer. Le juge qui ne fait
qu'appliquer la loi apparaît comme un simple exécutant. Il est lié par la loi qu'il doit mettre en
œuvre.
Le fait que le juge soit la « bouche de la loi » dépend de la qualité de la loi elle-même. Moins
la loi est claire et précise, plus le juge pourra faire œuvre de législateur. Si la loi est claire et
précise, il suffit de l'appliquer aux faits (la démarche du magistrat est décrite sous la forme
d'un syllogisme judiciaire où la règle de droit constitue la majeure, les faits la mineure et
l'application de la règle aux faits, la solution au litige). Si la loi est peu claire, imprécise ou
ambiguë, le juge devra en rechercher le sens, en déterminer les conditions d'application,
l'interpréter avant de l'appliquer. Si enfin la loi est incomplète, silencieuse sur un problème,
les juges ne pourront s'abstenir de rendre le droit et devront recourir à leurs propres lumières
pour suppléer les lacunes de la loi.
Le juge n'est plus seulement la bouche de la loi (1), il peut se libérer de sa parole et participer
à la production du droit au-delà de la loi (2).

1 • Le juge, simple applicateur de la loi


Montesquieu précisait que le juge est un « être inanimé » qui dit et applique la loi sans en
modérer la force et la rigueur. Il ne peut devrait en modifier ni le sens, ni la portée. Le juge
est soumis à la loi qu'il a pour mission d'appliquer. Non seulement la loi détermine la mission
du juge l'empêchant de créer des lois (A), mais le juge étant tenu de respecter les principes de
procédure et de fond établis par la loi, il lui est subordonné (B).
A) L'impossible création de la loi

77
La volonté des révolutionnaires de maintenir le juge dans un rôle passif d'application stricte
de la loi s'est traduite notamment par la mise en place du référé législatif, supprimé en 1837,
obligeant les juges, dans certains cas, à s'adresser au législateur pour toute difficulté
d'interprétation.
La mission du juge est également très encadrée par le Code Civil de 1804, en particulier par
son article 5 qui dispose qu'il « est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition
générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ». Il leur est interdit d'empiéter
sur les pouvoirs du législateur. L'article 5 interdit alors la pratique de l'Ancien Régime des
arrêts de règlement. Les tribunaux ne peuvent plus rendre des arrêts non pas applicables à un
cas déterminé mais constituant une règle applicable par la suite à tous les cas analogues. Ils
ne peuvent plus agir comme législateur. Une fois saisi, le juge doit se prononcer sur le cas
particuliers qui lui est soumis et non édicter des principes généraux, ce qui < explique le
principe de l'autorité relative de la chose jugée et l'impossibilité pour le juge de se saisir
d'office.
La loi empêche donc en principe le juge de créer des normes dans le cadre de son activité
juridictionnelle. Celle-ci apparaît également entièrement dépendante de la loi.
B) La fonction du juge subordonnée à la loi
La loi est nécessaire au juge. Elle détermine les comportements et règles à suivre ainsi que les
sanctions à apporter en cas de violation.
Le rôle du juge est défini par l'article 4 du Code civil. En disposant que « le juge qui refusera
de statuer sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être
poursuivi comme coupable de déni de justice », cet article impose au juge une obligation
légale de juger, et ce dans tous les cas. Que la loi soit silencieuse, obscure ou insuffisante, le
juge doit juger. Mais la fonction du juge est limitée. Le juge ne crée pas la loi, il doit
l'appliquer pour trancher les litiges.
Le juge doit également s'appuyer sur la loi pour rendre son jugement. La motivation est une
obligation légale issue de l'article 455 du Code de procédure civile et de l'article 6 §1 de la
convention européenne des droits de l'Homme telle qu'interprétée par la Cour européenne des
droits de l'Homme. Le juge doit viser la règle de droit dont il assure l'application au cas
particulier. La Cour de cassation elle-même contrôle la motivation des décisions,
sanctionnant pour motifs insuffisants la seule référence à une jurisprudence constante.
Les juges doivent donc suivre la lettre de la loi. Pourtant, ils ne peuvent se limiter à cela. La
loi ne peut pas tout prévoir, tout exprimer, tout préciser. Le juge, lié par son obligation de
juger, est obligé de corriger les erreurs de la loi et de combler ses lacunes. Sa parole se libère
alors de la loi.
2 • Le juge, au-delà de la loi
L'application de la loi n'est jamais aussi simple que la présentation du syllogisme judiciaire le
laisse croire. Les faits sont souvent complexes, les textes à applicables nombreux et leur sens
parfois délicat à trouver. Les juges doivent alors chercher leur signification parfois bien au-
delà de leur lettre. Par l'interprétation et l'application qu'il fait de la loi, le juge peut être
conduit à se substituer au législateur (A) ou l'inciter à adopter une loi (B).

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A) Le Juge, substitut du législateur
Appelé à combler une lacune ou un vide législatif, le juge est amené à faire œuvre de
législateur.
En effet, l'article 4 du Code Civil interdit au juge de ne pas se prononcer « sous prétexte du
silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi ». Lorsque la loi est peu claire, imprécise,
confuse, ou ambiguë, le juge va devoir l'interpréter. Cette fonction d'interprétation permet de
faire dire à un texte plus de choses qu'il ne le prévoyait ou de façon différente. C'est déjà
pratiquement de la création. Le législateur lui-même laisse aux juges le soin d'interpréter ses
textes en considération des situations concrètes et des évolutions de la société en utilisant des
notions floues ou notions-cadres dont l'interprétation est susceptible d'évolution. On peut citer
à titre d'exemple la notion de « faute » qui fonde le principe de responsabilité civile énoncé à
l'article 1240 du Code civil.
Mais plus encore si la loi est muette sur un problème, si aucun texte ne peut être invoqué, le
juge devra avoir recours à ses propres lumières pour compenser cette absence de loi, la
compléter. Le juge est contraint de suppléer la loi. Toute l'couvre créatrice de la jurisprudence
apparaît alors. Le juge est un acteur direct de la production du droit. Il intervient aussi de
façon indirecte dans l'adoption de lois quand il pousse le législateur à agir.
B) Le Juge, provocateur de la loi
Par ses décisions, la jurisprudence comble elle-même les lacunes de loi ou incite le législateur
à intervenir. Ainsi celui-ci, lors du vote des premières lois bioéthiques en 1994 est venu
consacrer l'interdiction de la pratique des mères porteuses prononcée par l'Assemblée plénière
de la Cour de cassation. Avant, c'est une célèbre décision, l'arrêt Desmares, qui a contraint le
législateur à adopter une loi spéciale relative à l'indemnisation des victimes d'accidents de la
circulation leur réservant un régime dérogatoire des règles classiques de la responsabilité
civile. Dans son rapport annuel, la Cour de cassation a d'ailleurs pris l'habitude de formuler
des propositions de modifications de la loi.
La loi elle-même reconnaît l'importance de la participation de la jurisprudence dans le
phénomène normatif. La procédure de la saisine pour avis de la Cour de cassation en est la
meilleure preuve. Saisie pour avis sur une « question de droit nouvelle, présentant une
difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges », la Cour de cassation n'est plus liée
à la logique du procès, elle est directement associée à l'oeuvre législative. La loi précise que
la juridiction qui a formé la demande n'est pas liée par l'avis de la Cour de cassation mais
l'avis est nécessairement communiqué aux parties et la menace d'un pourvoi en cassation par
le jeu des différents recours incitent les juges du fond à se conformer dès l'avis à la position
de la Cour de cassation.

Vous répondrez aux questions suivantes :


Qu'est-ce que le droit naturel ?
Quelle est la force juridique des principes généraux du droit ?
Que sont des principes généraux du droit ?

79
Le droit a-t-il pour fin la justice ?
Faites la distinction entre une règle impérative et une règle supplétive.
OBSERVATION DU CORRECTEUR
Il s'agit de questions de cours classiques du premier semestre d'introduction au droit.
Le principal conseil est de répondre avec précision aux questions, sans perdre de temps car
l'épreuve est en une heure.
N'hésitez pas à citer des exemples pour illustrer vos propos.
QUESTION N°1
Qu'est-ce que le droit naturel ?
Le droit naturel est un ensemble de principes immuables et universels qui s'imposent à
l'Homme.
Il existe, selon les doctrines idéalistes (ou naturalistes), au-dessus des règles qui constituent le
droit effectivement applicable à un moment donné et en un lieu donné (ce que l'on appelle le
droit positif) une justice supérieure et idéale commune à tous les hommes. C'est cette justice
qui dicte et oriente les règles du droit positif, qui les inspire et les limite.
Pour certains auteurs, les principes du droit naturel sont inscrits dans la conscience des
hommes, formant une sorte de morale universelle. Pour d'autres, ils représentent les lois
naturelles de la vie en société que les hommes peuvent découvrir par leur seule raison.
Cette idée est ancienne, puisqu'on la trouve dès l'antiquité gréco-romaine, mais plusieurs
courants doctrinaux se sont opposés quant à la détermination du contenu de ce droit idéal.

Selon les premiers idéalistes, les lois du droit naturel découlaient du plan de la nature
(Aristote) ou du plan de Dieu (Saint Thomas d'Aquin). Grotius et l'école du droit naturel se
référeront ensuite à la nature humaine. Il existe, selon eux, entre les hommes un droit naturel
dicté par la raison. Ainsi, parce que l'homme est un être sociable, il a l'obligation de respecter
les conventions auxquelles il participe (« pac-ta suntservanda ») et toutes les sociétés
reposent sur un pacte, un contrat.
Cette idée de contrat social est la seule qui puisse légitimer l'organisation politique alors que
les hommes vivaient initialement libres et égaux dans l'état de nature. Elle sera reprise par J.-
J. Rousseau qui développera la théorie de la volonté générale, exprimée par la loi, source de
droit. Le droit naturel est conçu alors progressivement comme un ensemble de droits de
l'individu. Les valeurs universelles sont relatives à l'Homme, indépendamment de son
environnement.
C'est cette conception des droits naturels de l'Homme qui a triomphé dans la Déclaration des
droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 consacrant l'existence de droits subjectifs
appartenant à l'Homme par la naissance. C'est pourtant au XIXe siècle qu'elle a connu les
critiques les plus sévères, portées par les tenants de la doctrine positive. Les principales
critiques tiennent à la difficulté de déterminer son contenu, à l'absence de règles
universellement admises ou à la légitimation de la résistance à une loi injuste. Les théories du

80
droit naturel interdisent au législateur d'adopter des règles contraires à celui-ci et permettent
aux individus de résister aux lois injustes. Or, la loi ne peut être écartée que si elle est
contraire à la Constitution et la résistance individuelle aux lois injustes ne peut jouer que si le
pouvoir dont elles émanaient a été renversé par la force. Les caractères insuffisant et inexact
des théories du droit naturel ont été dénoncés par les positivistes.
QUESTION N° 2
Quelle est la force juridique des principes généraux du droit ?
Que sont des principes généraux du droit ?
Les principes généraux du droit sont des règles de droit juridiquement obligatoires bien que
non écrites dans un texte.
Ils sont apparus sous la IVe République grâce à la pratique du Conseil d'État qui se référait à
des principes non posés pour enrichir sa jurisprudence.
Ils ont souvent une valeur juridique universelle et sont communs aux différents systèmes
juridiques occidentaux (par exemple le principe de l'autonomie de la volonté en matière
contractuelle ou la rétroactivité des lois pénales plus douces).
Les principes généraux du droit prennent parfois la forme de maximes ou adages (en latin ou
en français), mais pas nécessairement. Ils viennent souvent d'une longue tradition puisant ses
origines dans l'Ancien droit (par exemple « fraus orn-nia corrumpit » qui signifie « la fraude
corrompt tout » c'est-à-dire que la fraude fait échec à toute règle). Certains principes
généraux ont une existence plus récente, dégagés par la doctrine ou la jurisprudence, tel le
principe de précaution.
Les principes généraux du droit font partie du droit positif à travers le prisme de normes leur
offrant un statut. En effet, ils n'existent que s'ils sont repris par la jurisprudence, par la loi ou
par la volonté des justiciables. Les normes qui les expriment ne les créent pas, mais elles leur
permettent de naître à la vie juridique. Ainsi, certains principes sont repris par la loi, leur
conférant valeur législative. C'est le cas du principe du respect de la personne humaine et de
sa dignité inscrit dans l'article 16 du Code civil ou du principe de la contradiction dans
l'article 16 du Code de procédure civile.
D'autres principes sont révélés par la jurisprudence. Le principe général sert le juge lorsque
la règle lui manque. L'importance des principes généraux a grandi avec le développement des
visas de principe devant la Cour de cassation. On peut citer l'exemple du principe selon
lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Formulé en tant que tel
dans deux arrêts de 1971, il sert aujourd'hui de fondement aux actions en trouble anormal du
voisinage.
Lorsqu'ils sont reconnus par le Conseil constitutionnel, les principes généraux acquièrent
valeur constitutionnelle. Pour certains auteurs, en visant les principes généraux le juge les
révèle. Pour d'autres, il les invente au sens où il les crée et les découvre à la fois.
Les principes généraux du droit présentent une importance plus ou moins grande selon les
branches du droit. Ils sont présents en droit administratif, ils sont alors des règles obligatoires
affirmées de manière prétorienne par le juge administratif. Ils sont importants en droit
international public où ils ont une portée quasi universelle pour être des principes communs

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aux différents ordres juridiques concernés. Ils sont essentiels dans le cadre de l'élaboration du
droit de l'Union européenne. Ils sont tout aussi importants en droit procédural pour formuler
les principes, fondamentaux, directeurs du procès tels que consacrés par la Convention
européenne des droits de l'homme et par le Code de procédure civile français.
QUESTION N° 3
Le droit a-t-il pour fin la justice ?
Le droit n'a pas pour fin la justice, mais la justice est une des fins du droit. Cela signifie qu'il
ne s'agit pas d'une fin absolue et unique. Si la mission principale du droit est d'assurer la
justice, il a d'autres impératifs : assurer l'ordre social, la sécurité des personnes, l'organisation
de l'économie, la protection sociale des individus...
En droit romain, le droit (jus) et la justice (justitia) sont deux notions liées, non seulement
étymologiquement, mais aussi sémantiquement. Les romains (Celse) définissaient le droit
comme « l'art du bon et du juste » (ars boni et aequi). La notion de justice est trop vaste et
floue pour pouvoir constituer autre chose qu'un idéal, qu'il appartient de traduire en règles
techniques : la justice n'est qu'une fin. Le rôle de la justice est de fournir un but vers lequel
doit tendre la règle juridique.
Mais droit et justice ne coïncident pas : la justice n'est qu'une des finalités du droit. Et
encore, faut-il faire attention à bien comprendre la notion de justice. Or, la justice est une
notion aux multiples aspects et selon la forme retenue ses rapports avec le droit peuvent
sensiblement varier.
La justice distributive tend à assurer la meilleure répartition possible des richesses et des
charges par la collectivité. Elle est fondée sur l'égalité géométrique en ce qu'elle tend à
répartir les biens, les emplois et les honneurs entre les membres de la société selon leurs
mérites respectifs.
La justice commutative est fondée sur l'égalité mathématique. Elle a pour objectif de
maintenir ou de rétablir un équilibre antérieur. Chacun doit recevoir l'équivalent de ce qu'il
donne. Elle se traduit par des règles comme l'obligation de réparer le préjudice causé à autrui.
De nombreuses règles juridiques sont fondées sur la justice, qu'elle soit commutative
(comme l'interdiction jurisprudentielle de l'enrichissement de façon injustifiée au détriment
d'autrui) ou distributive (avec l'exemple de la progressivité de l'impôt sur le revenu). Mais
toutes les règles de droit ne traduisent pas cet impératif de justice. Soit les différents aspects
de la justice se contredisent, soit celle-ci est primée par un autre impératif du droit et en
particulier la sécurité juridique qui impose l'application de la règle, quel que soit le résultat au
regard de la justice.
QUESTION N° 4
Faites la distinction entre une règle impérative et une règle supplétive.
Les règles supplétives sont des règles simplement facultatives. Les particuliers peuvent en
écarter l'application. Elles ne s'appliquent que si les sujets de droit n'ont pas exprimé une
volonté contraire ; elles suppléent l'absence de volonté particulière exprimée. En choisissant
une règle spéciale, les particuliers rejettent l'application de la règle supplétive, mais s'ils n'ont

82
exprimé aucun choix, celle-ci s'applique. D'où leur appellation de règles supplétives de la
volonté des individus.
Par exemple, si des époux ne choisissent pas par contrat de mariage un régime matrimonial
particulier, ils seront soumis automatiquement au régime prévu par la loi. À partir du moment
où le choix a été opéré, les règles correspondantes s'imposent obligatoirement. Qu'elles aient
été choisies ou imposées à défaut par la loi, les règles qui s'appliquent sont obligatoires. Leur
non-respect entraine, de la même façon, des sanctions. La règle supplétive est obligatoire
pour les parties qui ne l'ont pas écartée. À défaut de choix, la règle exprimée par la loi reste
obligatoire.
Les règles Impératives se différencient des règles supplétives car elles s'imposent en toutes
circonstances et on ne peut en écarter l'application par des conventions. Comme leur nom
l'indique, elles expriment un ordre auquel chacun doit se soumettre, même si certaines
exceptions restent possibles. Par exemple, les lois qui fixent les conditions de validité du
mariage sont des règles impératives, bien qu'elles connaissent quelques dérogations.
Parmi les règles impératives, certaines ont une force obligatoire renforcée. Ce sont les règles
d'ordre public considérées comme essentielles qui s'imposent pour des raisons de moralité ou
de sécurité dans les rapports sociaux. Il est alors impossible d'y déroger (C. civ, art. 6 « on ne
peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les
bonnes moeurs »). L'ordre public correspond à une conception d'ensemble de la vie en
communauté. Il se manifeste par le développement de la réglementation impérative.
Le plus souvent, le législateur ne précise pas si la loi est impérative ou supplétive. Pour le
déterminer, le juge considère alors l'objectif de la loi : si elle protège un intérêt public, elle est
considérée comme impérative, si elle protège un intérêt privé, comme supplétive.
Question de cours et dissertation juridique (plan détaillé)
Vous répondrez aux questions suivantes :
1. Les caractères de la règle de droit (8 points).
2. Présentez votre réflexion sur le sujet « Le droit et la religion » sous forme de plan
détaillé tout en rédigeant une introduction et vos transitions (12 points).
OBSERVATION DU CORRECTEUR
La question de cours n'appelle aucun commentaire. Il suffit d'y répondre. Toutefois, dans la
mesure ou 8 points peuvent être accordés, il faudra développer votre réponse.
Le second sujet est une dissertation juridique qui doit dépasser la polémique et les
convictions personnelles. Vous devez mobiliser les concepts et fondements juridiques étudiés
en cours. Vous pouvez d'ailleurs trouver utilement des matériaux dans votre cours de droit
constitutionnel.
Le sujet implique une comparaison. Le plan qui traiterait « Le droit » dans une première
partie et « La religion » dans une seconde partie est à proscrire. Il faut trouver une
problématique (et donc un plan) qui confronte les deux notions. C'est tout l'intérêt du sujet.
QUESTION N° 1

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Les caractères de la règle de droit (question de cours).
Le droit est formé de règles. Or, quelles sont les règles qui, parmi toutes celles qui peuvent
assurer l'organisation d'une vie en société, comme des règles morales ou religieuses,
constituent des règles de droit. Quels sont les traits caractéristiques de la règle de droit ?
La règle de droit est une règle de conduite sociale, générale et abstraite, obligatoire et dont la
violation est sanctionnée par la contrainte étatique. Il est ainsi possible de mettre en évidence
trois caractères de la règle de droit : général et abstrait, obligatoire et coercitif.
A) Le caractère général et abstrait

La règle de droit est la même pour tous. Elle est formulée de manière générale et
impersonnelle (« quiconque », « tout fait quelconque », « chacun »...). Le droit est impartial,
abstrait, égalitaire. Ce caractère est une garantie contre l'arbitraire et est rendu nécessaire par
le double impératif d'égalité et de sécurité. Le contenu de la règle est indépendant des
particularités individuelles (condition sociale, professionnelle...). La loi doit être la même
pour tous. Le principe de l'impersonnalité est de ne pas prendre en considération les
spécificités de chacun. Pourtant, cela peut être source d'injustice : l'égalité de droit des
citoyens ne correspond pas forcément à une égalité de fait, de situations. C'est pourquoi des
régimes spéciaux sont prévus pour en tenir compte (cas des mineurs ou des déments par
exemple). Mais la règle juridique est la même pour tous les individus qui sont dans une même
situation au sein de la société (les règles relatives au mariage sont les mêmes pour tous les
individus, mais uniquement les individus mariés). La règle de droit conserve son caractère
général, s'appliquant à tous ceux qui en remplissent les conditions.
La souplesse du caractère général ne conduit pas à sa remise en cause. Toutefois, il n'est pas
propre à la règle de droit. D'autres règles d'organisation sociale, comme les règles morales ou
religieuses, sont aussi générales. Ce caractère ne constitue donc pas le critère du juridique.

B) Le caractère obligatoire

La règle de droit constitue un commandement pour celui auquel elle s'applique et, même si
elle accorde une faculté ou un droit, elle est un ordre adressé à tous les autres de le respecter.
Ce caractère obligatoire se justifie à travers la finalité sociale de la règle : s'y soumettre c'est
garantir une certaine sécurité, une certaine organisation sociale. Ce caractère n'est pas
uniforme, des tempéraments apparaissent autour d'une distinction entre règles impératives et
règles supplétives.

Les règles supplétives sont des règles qui ne s'appliquent que si les sujets de droit n'ont pas
exprimé une volonté contraire. Elles suppléent l'absence de volonté particulière exprimée.
Elles s'appliquent à défaut d'autre disposition choisie. Elles apparaissent simplement
facultatives dans la mesure où les particuliers peuvent en écarter l'application. Les règles
Impératives, quant à elles, s'imposent de façon absolue. Elles s'appliquent à tous et en toutes

84
circonstances. Il n'est pas possible d'en écarter l'application par des conventions contraires.
Elles expriment un ordre auquel chacun doit se soumettre, malgré certaines exceptions
possibles. Parmi les règles impératives, certaines ont une force obligatoire renforcée. Ce sont
les règles d'ordre public considérées comme essentielles qui s'imposent pour des raisons de
moralité ou de sécurité dans les rapports sociaux. Il est alors impossible d'y déroger. L'article
6 du Code civil précise ainsi qu' : « on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux
lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs ».
Les règles de droit doivent être respectées par le corps social. Pour garantir ce caractère
obligatoire des sanctions s'imposent. Les caractères obligatoire et coercitif peuvent être liés.
C) Le caractère coercitif

Il est de la nature des règles d'être sanctionnées, c'est une condition de leur respect, voire de
leur existence. Ainsi l'inexécution de toutes règles d'organisation sociale, juridique, morale ou
religieuse est sanctionnée. Mais leurs sanctions sont de natures différentes. En cas de
violation d'une règle purement morale, l'individu éprouvera des remords, des regrets, c'est-à-
dire les reproches de sa propre conscience. Il 's'agit donc de sanctions purement internes.
Comme la sanction morale, la sanction religieuse est interne, mettant uniquement en cause
l'homme dans ses relations avec Dieu et non avec les institutions religieuses. La règle de droit
est la seule dont le respect soit assuré par l'autorité publique, la seule dont la violation soit
sanctionnée par la contrainte étatique. En effet, aujourd'hui la puissance publique a le
monopole de la contrainte légitime. C'est aux autorités de l'État qu'il incombe de faire jouer la
sanction, qu'elle soit civile ou pénale.

Les sanctions de la violation d'une règle de droit sont différentes selon leur objectif qui peut
être soit la punition (sanction pénale), soit l'exécution (exécution forcée, saisie), soit la
réparation (dommages-intérêts).

Quelle que soit sa forme, la particularité de la sanction juridique est qu'il s'agit d'une sanction
étatique. C'est pourquoi, le caractère étatique de la sanction est généralement présenté comme
le trait caractéristique qui permet de distinguer la règle de droit des autres règles
d'organisation sociale. Il apparaît comme le critère de la règle de droit.
QUESTION N°2
Dissertation juridique : « Le droit et la religion » (plan détaillé)
Dans les sociétés anciennes ou très religieuses, le droit et la religion sont deux corps de
règles qui ne se distinguent pas le précepte religieux tient lieu de loi civile et les lois adoptées
par le pouvoir législatif ne peuvent pas être contraires aux principes édictés par la religion. Ce
phénomène d'identification peut spécialement s'observer aujourd'hui dans certains pays
musulmans, où le Coran imprègne les règles juridiques, ou en Inde. Quant au droit français
contemporain, il est à la fois distinct de la religion et inspiré par elle.

85
La distinction entre le droit et la religion n'est pas évidente. Elle suppose au préalable de
préciser le sens précis des termes. Le droit est l'ensemble des règles destinées à organiser la
vie en société. La religion est l'ensemble des croyances, sentiments, dogmes et pratiques qui
définissent les rapports de l'être humain avec le sacré ou la divinité. Ainsi résumés, droit et
religion sont différents. Pourtant sous l'Ancien Régime, l'Église régissait certaines matières
du droit privé, comme l'état des personnes et le droit de la famille. La distinction du droit et
de la religion a trouvé son expression dans la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des
Églises et de l'État. Les lois adoptées par le Parlement n'ont pas à respecter le moindre
précepte religieux. L'ordre religieux et l'ordre politique sont distincts. Il n'existe plus en
France aucune religion d'État, l'État français est laïc.
De la séparation du droit et de la religion découle une dualité des règles, juridiques et
religieuses, qui peuvent coexister (par exemple le mariage religieux vient s'ajouter au mariage
civil) ou s'opposer (le mariage chrétien est indissoluble, tandis que le mariage civil peut
prendre fin par le divorce). On constate cependant qu'il existe une neutralité juridique presque
totale à l'égard du « fait religieux ». La plupart des règles juridiques s'affranchissent des
préceptes religieux. Ainsi, par exemple, le droit pénal admet la légitime défense alors que la
religion chrétienne la rejette en prônant de « tendre l'autre joue ». Il ne réprime pas non plus
le péché en tant que tel : ni la luxure, ni le mensonge, tant qu'ils ne troublent pas l'ordre social
en prenant la forme du viol ou de l'escroquerie. Or on constate de plus en plus souvent un
recul de la prise en considération de la religion par le droit. Cette distanciation progressive
entre le droit et la religion s'explique par plusieurs phénomènes au premier rang desquels
figure l'amoindrissement du catholicisme et le développement de l'islam, ainsi que le déclin
de l'attachement à des valeurs religieuses.
Paradoxalement,- 'l'État français n'est pas totalement insensible aux religions puisque parmi
les principes adoptés dans la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, le 26 août
1789, figure un article 10 aux termes duquel « nul ne doit être inquiété pour ses opinions,
même religieuses ». Cette liberté de religion est également garantie par la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. La laïcité a
entraîné une neutralité du droit à l'égard de la religion. Mais elle n'empêche pas toute
intervention de l'État dans les affaires religieuses. Dès lors que l'exercice de la religion porte
atteinte à des impératifs supérieurs, le droit peut l'encadrer, le limiter voire l'interdire. Ainsi
en est-il à propos du port de signes ostensibles, de voile ou de l'autorisation des sectes. Plus
loin, les interférences entre les deux corps de règles sont parfois telles que le droit, par
principe distinct de la religion, est contraint de la prendre en considération. Ainsi, la neutralité
bienveillante du droit à l'égard de la religion (1) qui se traduit par la reconnaissance et la
garantie de la liberté de croyance ou de religion, peut se transformer en une certaine
ingérence en cas de conflits entre les règles juridiques et religieuses (2).
1 • La neutralité bienveillante du droit à l'égard de la religion
En France, le droit s'est entièrement laïcisé. La laïcité ne signifie pas l'exclusion, mais la
tolérance à l'égard de toute religion (A). Lorsque la règle religieuse est socialement et
historiquement fondamentale, elle trouve une traduction juridique par sa prise en
considération par le législateur ou les tribunaux, même si ce phénomène reste prudent (B).
A) La tolérance de principe du droit à l'égard de la religion
- Le principe de laïcité

86
- le droit respecte toutes les croyances et leur exercice ;
- égalité des citoyens devant la loi sans distinction de religion ;
- la liberté de croyance s'accompagne de la liberté de culte, c'est-à-dire la liberté, pour
chacun, de pratiquer la religion qu'il a choisie ;
- la religion n'est pas bannie par le droit : les enseignements religieux sont admis (écoles et
mêmes universités catholiques, juives... ; aide aux écoles privées confessionnelles), des
religieux participent à certaines institutions (comité national d'éthique, commission du code
de la nationalité, comité musulman de France).
- Les fondements textuels
- article 10 de Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789
- article 1er de la Constitution. La liberté religieuse est une émanation des libertés
fondamentales comme la liberté de conscience ou la liberté d'opinion et de pensée garanties
par les plus grands textes ;
- article 9 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales ;
- article 225-1 du Code pénal qui sanctionne le refus de contracter ou la décision de licencier
en raison de l'appartenance ou de la non-appartenance à une religion déterminée. L'article
225-2 sanctionne aussi plusieurs cas de discrimination.

B) La prise en considération prudente de la religion par le droit


a. La prise en considération de la religion par le législateur
- vestiges de la religion d'État : les fêtes chrétiennes chômées, le repos dominical ou le
droit de grâce du chef de l'État, sans aller jusqu'à exiger, comme aux États-Unis, que les
intervenants à un procès prêtent serment sur la Bible.
- identité entre commandements religieux et règles juridiques
- exemples : les célèbres « tu ne tueras pas », « tu ne voleras pas » ou « tu ne convoiteras pas
la femme d'autrui » et autres commandements sont autant de principes qui sont transposés sur
le plan juridique. Ils sont exprimés dans le droit positif sous la forme des prohibitions et
sanctions pénales de l'homicide, du vol ou de la polygamie. En revanche, l'adultère n'est plus
une infraction pénale depuis 1975, ce qui illustre la distance opérée progressivement entre les
règles juridiques et les règles religieuses. Il demeure toutefois une cause de divorce, ce qui
témoigne de la survivance de la morale chrétienne dans l'appréciation de la faute civile ;
- certaines règles peuvent également se justifier par un souci de charité, tels les délais de
paiement susceptibles d'être accordés par le juge ou le revenu de solidarité active (RSA) ;
- le refus d'autoriser l'euthanasie renvoie, entre autres arguments, à la condamnation par la
religion du suicide et de l'homicide.
b. La prise en considération de la religion par le juge

87
A l'instar du législateur, les tribunaux sont aussi confrontés aux règles religieuses. Or, s'ils
consacrent la liberté de religion, ils sont le plus souvent indifférents du fait religieux ou tout
du moins prudents quand ils prennent en considération la religion : soit ils recherchent
d'autres éléments pour fonder leurs décisions, soit ils ne retiennent le motif religieux
qu'exceptionnellement, principalement en droit du travail et en droit de la famille.
- En droit du travail
- décisions anciennes dans lesquelles les juges ont pu admettre le licenciement fondé par des
motifs religieux comme l'indissolubilité du mariage ;
- décisions relatives à des licenciements motivés par le port d'un voile islamique ;
• neutralité et laïcité du service public justifient le licenciement des agents ou salariés du
secteur public,
• Affaire Baby-Loup (Cass. ass. plén. 25 juin 2014, n° 13-28369): des restrictions à la liberté
religieuse peuvent être admises si elles sont justifiées par un objectif légitime et
proportionnées au but recherché (CEDH, 14 mars 2017),
- En droit de la famille
Les tribunaux retiennent parfois les convictions religieuses pour s'opposer à une demande de
divorce pour rupture de la vie commune ou considèrent que la pratique de sa religion
constitue un intérêt légitime fondant la demande de changement de prénom, mais s'opposent
à ce que le refus par un conjoint de faire suivre le catéchisme par les enfants justifie une
demande en divorce.
Si le droit est par principe neutre à l'égard du sentiment religieux, il intervient, dans certains
cas, pour encadrer les comportements religieux.

2 • L'ingérence limitée du droit dans le domaine de la religion


La laïcité implique la coexistence des systèmes normatifs juridique et religieux, sans points
de rencontre. Elle traduit l'indifférence du droit à l'égard de la religion. Cette indifférence se
manifeste par l'absence de considération de la religion, pouvant aller jusqu'à sa contradiction
(A). Mais elle n'est pas totale, certaines règles juridiques interviennent pour encadrer
l'exercice de la religion (B).
A) L'existence séparée du droit et de la religion

Les différences entre les règles religieuses et juridiques, notamment quant à leurs finalités
respectives, expliquent les contradictions qui peuvent apparaître dans leur contenu.

- différence quant aux finalités : tandis que la règle religieuse gouverne la destinée et le
salut de l'âme (dans l'au-delà) la règle juridique n'a pas de finalité spirituelle. Elle se
préoccupe d'assurer sur terre l'ordre et la cohésion de la société. La religion régit les pensées

88
et les actes, tandis que le droit ne s'intéresse qu'aux comportements extérieurs, à l'organisation
des relations humaines.

- différence quant aux sanctions : la sanction religieuse met uniquement en cause l'Homme
dans ses relations avec Dieu et non pas avec les institutions judiciaires. Elle est purement «
interne », tandis que la violation d'une règle juridique déclenche une sanction mise en œuvre
par les pouvoirs publics, c'est-à-dire une sanction que l'on peut qualifier d'« externe ».

- différence de contenu : de nombreuses règles juridiques s'affranchissent de toute


considération religieuse :
Exemples :
• lois purement techniques indifférentes à la religion : Code de la route, droit des sociétés...
• lois contemporaines ayant admis le divorce, l'avortement ou reconnu l'homosexualité à
travers l'admission du PACS ou du mariage pour tous pourtant condamnés par la plupart des
religions.

B) Les limites Juridiques à la manifestation de la religion

- le principe : la neutralité dictée par la laïcité n'interdit pas toute intervention du droit dans
la sphère religieuse. Le droit appréhende et sanctionne le comportement religieux qui est
contraire à l'ordre public.
- les fondements : tous les textes consacrant la liberté religieuse prévoient cette limitation
par le respect de l'ordre public (DDH 1789, art. 10 ; L. 9 déc. 1905, art. 11. L'article 9 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales
précise que la liberté de manifester sa religion « ne peut faire l'objet d'autres restrictions que
celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale
publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

- les illustrations :
• interdiction de tout prosélytisme, toute propagande politique ou religieuse, y compris par le
port de signes d'appartenance religieuse ostentatoire ou revendicatif (CE, 2 nov. 1992 et L. n°
2004-228, 15 mars 2004, dite loi sur la laïcité, qui a interdit les signes et tenues qui
manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées
publics ;

. Loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public et


d'imposer le voile intégral à autrui. La loi vise. De façon générale et absolue, l'interdiction de

89
toute dissimulation du visage (par une cagoule par exemple), mais elle concerne aussi et
presque surtout la pratique du port du voile intégral sur le territoire national.

Le renouveau actuel du débat sur la laïcité et les hésitations à en redéfinir les contours
(notamment pour régler la question du foulard islamique) prouve que la rupture entre le droit
et la religion, annoncée depuis l'affirmation du principe de laïcité du droit, est loin d'être
consommé.

Question sur arrêt

À partir de l'arrêt Je la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 4 décembre 1996,


vous traiterez les questions suivantes :
1) Résumez les faits, la procédure et le point de droit discuté.
2) Listez et définissez les fonctions de l'équité.
3) Donnez le sens, la valeur et la portée de la décision.
Cass. soc., 4 déc 1996, n° 94-40693 et 94-40701
Vu les articles 1134 et 7 135 du Code civil, ensemble l'article 12 du nouveau Code de
procédure civile ; Attendu que M. X... et 8 autres salariés de la société Ecoplastic, ayant
travaillé le lundi de Pâques 12 avril 1993, le jeudi de l'Ascension 20 mai 1993 et le lundi de
Pentecôte 31 mai 1993, ont perçu le salaire correspondant ; qu'ils ont prétendu que leur
salaire devait être, pour ces 3 jours fériés, majoré de 700 % et ont saisi de cette réclamation la
juridiction prud'homale Attendu que, pour admettre l'existence d'une créance de salaires, de
congés payés et de dommages-intérêts pour chacun des salariés concernés, le conseil de
prud'hommes a énoncé que si ni la loi ni la convention collective ne précisent rien sur la
rémunération particulière, en dehors du le' mai, elles ne comportent pas pour autant
l'interdiction de paiement particulier ; qu'il convient alors au juge, devant l'imprécision de la
loi du 19 janvier 1978 ne légalisant que le statut minimum dans le cadre du chômage du jour
férié, d'examiner les demandes en équité, sur la base en particulier de l'article 1135 du Code
civil ; que si en cas de non-travail d'un jour férié, il y a maintien du salaire, il serait
inéquitable en cas de travail effectif de n'en rester qu'à l'attribution d'un salaire identique ;
Attendu, cependant, que les jours fériés ne sont pas, à l'exception du Zef mai, nécessairement
chômés que le salarié, qui travaille un jour férié, n'a droit, à défaut de dispositions
particulières résultant de la convention collective ou de son contrat, qu'à son salaire ; Qu'en
statuant, comme il l'a fait, alors que l'équité n'est pas une source de droit, le conseil de
prud'hommes a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils ont fixé la créance de MM. X, .., Y..., A...,
Z..., M..., R..., H..., V... et 8..., les 9 jugements rendus le 22 novembre 1993, entre les parties,
par le conseil de prud'hommes de Saintes ;

90
Annexe (articles du Code civil dans leur version avant ordonnance n° 2016-131 du 10 février
2016 et du CPC): C. civ., art. 7 734 : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de
loi à ceux qui les ont faites, Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel,
ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
C. civ., art. 1135 : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais
encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature.
»
CPC, art. 12 : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont
applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans
s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. »
Recommandation : lisez attentivement tous les éléments du sujet. Aucun document n'est
autorisé mais les articles annexés à la suite de l’arrêt seront vraisemblablernent utiles
QUESTION N°1
Résumez les faits, la procédure et le point de droit discuté.
- Les faits et la procédure
Les requérants, neuf salariés de la société Ecoplastic ayant travaillé trois jours fériés, ont
assigné leur employeur devant le Conseil de prud'hommes pour obtenir une majoration de
100 % de leur salaire pour trois jours fériés travaillés.
Le tribunal a fait droit à cette demande en se fondant sur l'ancien article 1135 du Code civil.
Cet article prévoit que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais
encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature
»il permet d'aller au-delà de ce qui est prévu par le contrat. Les juges ont alors statué en
équité, considérant qu'il était inéquitable que ceux qui avaient travaillé ces jours-là aient
gagné le même salaire que ceux qui n'avaient pas travaillé, même si leur contrat ne prévoyait
pas d'indemnisation.
L'employeur s'est pourvu en cassation. Il contestait le jugement du conseil de prud'hommes
au motif que la loi ne prévoit pas de majoration de salaire. Le salarié qui travaille un jour
férié n'a droit, sauf disposition contractuelle ou conventionnelle contraire, qu'à son salaire.
- Le point de droit discuté
Plus largement, le juge doit-il toujours appliquer la loi même si elle est sévère ou injuste ou
peut-il statuer en équité ? C'est la question qui a été soumise à la Cour de cassation à propos
de la possibilité ou non d'octroyer à des salariés qui avaient travaillé pendant des jours fériés
une majoration de salaire en l'absence de disposition légale ou de stipulation conventionnelle.
QUESTION N°2
Listez et définissez les fonctions de l'équité.
L'équité peut être définie comme le « sentiment naturel, spontané, du juste et de l'injuste ».
Elle constitue un principe selon lequel chacun peut prétendre à un traitement juste, égalitaire
et raisonnable. L'idée de justice se manifeste à la fois par un traitement égal des situations

91
identiques et par l'octroi de droits spécifiques à ceux dont la situation est jugée
désavantageuse. L'équité vise une égalité proportionnée à la situation des individus. Le sens
même du terme « équité », renvoyant à l'idée de juste milieu, montre que la notion est
réfractaire à toute généralisation.
Ainsi, statuer en équité, consisterait pour un magistrat à trancher dans le sens qui, selon lui,
est le plus conforme au sentiment de justice ou qui assure l'égalité de tous devant la loi.
Lorsque la règle générale et abstraite se révèle injuste dans des circonstances particulières,
l'équité permet d'écarter une règle de droit ou d'en modérer l'application par la considération
des circonstances individuelles du cas.
Selon le doyen Carbonnier, il existe deux sortes d'équité. L'équité objective est un système
de règles de droit que les juges créent pour assouplir ou adapter aux transformations de la
société ou aux changements de la sensibilité morale un droit objectif trop rigide. L'équité
subjective se manifeste à travers les jugements d'équité. L'équité peut avoir deux fonctions.
D'une part, l'équité correctrice qui va servir à corriger la rigueur de la règle de droit. Cela
rejoint le pouvoir modérateur du juge. D'autre part, l'équité supplétive qui sert à compléter la
règle de droit imprécise ou silencieuse. Elle permet au juge de remplir son obligation légale
de statuer posée à l'article 4 du Code civil.
QUESTION N° 3
Donnez le sens, la valeur et la portée de la décision.
- Le sens de la décision de la Cour de cassation
La chambre sociale de la Cour de cassation a cassé la décision du Conseil de prud'hommes
ayant attribué en équité un salaire majoré de 100 % pour travail un jour férié, alors que, les
jours fériés autres que le 1 er mai n'étant pas nécessairement chômés, un salarié qui travaille
un jour férié n'a droit, sauf disposition conventionnelle ou contractuelle particulière, qu'à son
salaire. En statuant sur le fondement de l'équité, le Conseil de prud'hommes a violé les
articles au visa.
- La valeur de la décision de la Cour de cassation
L'attendu de principe de la Cour de cassation rappelle fermement que « l'équité n'est pas une
source de droit ».
La solution de la Cour de cassation n'est pas nouvelle. Sous l'Ancien Régime, les Parlements
pouvaient créer des règles de droit grâce à des arrêts de règlement qui leur permettaient
d'écarter les coutumes injustes et de statuer en équité. Ce pouvoir conduisit à des abus
auxquels les révolutionnaires voulurent mettre fin : « Dieu nous garde de l'équité des
Parlements » I Le pouvoir du juge de statuer en équité a été supprimé avec la séparation des
pouvoirs : le législateur crée les lois, le juge tranche les procès. Le juge ne peut plus censurer
le législateur en refusant d'appliquer une règle qui lui semblerait injuste. Les juges ont
l'obligation de fonder juridiquement, c'est-à-dire sur un texte légal, leur décision.
La Cour de cassation casse systématiquement les jugements reposant sur un renvoi à l'équité.

- La portée de la décision de la Cour de cassation

92
L'arrêt de la Cour de cassation précise la place de l'équité dans le jugement. Les juges ne
peuvent pas avoir recours exclusivement à l'équité pour motiver leur décision. Ils doivent
motiver leurs décisions conformément à une règle de droit sous peine de censure par la Cour
de cassation.
Pour autant l'équité peut jouer une fonction correctrice. Cette faculté est d'ailleurs
expressément autorisée par l'article 1135 du Code civil qui autorise le juge à se fonder sur
l'équité pour interpréter ou compléter un contrat. L'article 12 du Code de procédure civile,
visé également par l'arrêt, autorise le juge à statuer « comme amiable compositeur », c'est-à-
dire en équité, lorsque les plaideurs l'y autorisent par un accord exprès et pour les droits dont
ils ont la libre disposition.
Ainsi, on pouvait considérer, à la suite du conseil de prud'hommes, qu'il n'est pas équitable
de ne pas récompenser ceux qui travaillent un jour férié. L'équité permettrait de corriger la
sévérité de la loi.
Bien qu'ancien, l'arrêt est toujours d'actualité. L'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016
portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a
repris à l'article 1194 du Code civil la règle selon laquelle « les contrats obligent non
seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité,
l'usage ou la loi ».
La jurisprudence de la cour est maintenue : les juges doivent appliquer la règle de droit
pertinente, ils ne peuvent fonder directement leurs décisions sur l'équité, laquelle n'est pas
une source du droit, sans pour autant devoir l’écarter de leurs jugements.

COMMENTAIRE D’ARTICLE
Vous commenterez l'article 2 du Code civil :
« La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif »

OBSERVATION DU CORRECTEUR
L'article 2 du Code civil est une disposition fondatrice nécessairement étudiée en cours (et en
travaux dirigés). L'article est court, il doit être cité dans son intégralité dans l'introduction du
commentaire, même si, supposé connu, il n'est pas forcément donné par le sujet.
En substance, l'article 2 pose le principe de la non-rétroactivité des lois. La structure de
l'article peut constituer la trame du commentaire. Cela permet de rester proche du texte ce
qui, est une des exigences du commentaire d'article.
L'article 2 du Code civil pose des dispositions fondatrices relatives à l'application de la loi
dans le temps : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ».
Il se situe dans la partie préliminaire du Code civil traitant de l'application des lois en
général. Il suit l'article les qui précise les modalités d'entrée en vigueur des lois le lendemain
de leur publication au Journal officiel de la République française sauf disposition contraire et
spéciale. Il est suivi de l'article 3 qui précise le domaine d'application territoriale des lois

93
françaises et sert de fondement aux règles permettant de trancher les conflits entre la loi
française et la loi étrangère si une partie de la situation juridique se déroule en dehors du
territoire français. L'article 3 permet de trancher les conflits de lois dans l'espace, l'article 2
sert de guide pour trancher les conflits de lois dans le temps.
On sait que les lois s'appliquent de leur entrée en vigueur jusqu'à leur abrogation.
L'affirmation est faussement simple. Elle ne pose pas de problème pour les situations
juridiques qui se nouent entièrement sous l'empire de la loi nouvelle ou se dénouent
entièrement sous l'empire de la loi ancienne. En revanche, en présence d'une situation
juridique qui se prolonge dans le temps, il peut y avoir des conflits de lois dans le temps,
c'est-à-dire des conflits entre deux lois successives. Or, les règles d'entrée en vigueur et
d'abrogation de la loi ne suffisent pas pour déterminer quels seront les faits et les actes soumis
à la loi ancienne et ceux soumis à la loi nouvelle. Pour répondre à ces difficultés, le
législateur peut arrêter des dispositions transitoires dans la loi nouvelle pour préciser son
champ d'application dans le temps.
Quoi qu'il en soit le problème ne se pose réellement qu'en présence d'une situation juridique
née sous l'empire de la loi ancienne et qui continue de produire ses effets alors qu'une loi
nouvelle entre en vigueur. Ce type de conflits, accrus par [inflation législative, doit trouver
une solution qui permette de tracer les limites entre la loi ancienne et la loi nouvelle. C'est là
le rôle de l'article 2 du Code civil qui pose les principes directeurs et généraux du droit
transitoire. Le législateur est le premier à donner une réponse en consacrant le principe de
non-rétroactivité de la loi et celui de son application immédiate.
Derrière ces règles s'affrontent la sécurité juridique, d'une part, et l'introduction des progrès
de la loi nouvelle d'autre part. La sécurité juridique plaide pour le maintien des dispositions
qui ont permis l'acquisition de droits garantissant la protection des droits acquis. La loi
nouvelle voit alors son application dans le temps reportée et elle ne peut pas être appliquée
immédiatement. Le besoin de sécurité exige que l'on restreigne au maximum le domaine
d'application dans le temps de la loi nouvelle. Les individus ont organisé leurs activités en
tenant compte de leur environnement juridique. Si celui-ci est modifié par une loi nouvelle,
les contrats ou autres techniques juridiques prévus risquent de ne plus être adaptés voire ne
plus être valables eu égard aux nouvelles dispositions légales. Le souci de sécurité impose de
ne pas remettre en cause les actes passés conformément à une loi connue et parfois même
choisie entre plusieurs régimes possibles par les parties. De même, il est inconcevable qu'un
acte licite à une période, commis par un citoyen, lui soit reproché par la loi quelque temps
plus tard. Cette impossibilité se traduit par le principe de non-rétroactivité de la loi. La loi
nouvelle ne peut viser que les droits nouveaux acquis sous son empire. Les progrès de la loi
nouvelle imposent une application immédiate, et même rétroactive de la loi nouvelle, pour
offrir les avantages de dispositions adaptées aux besoins actuels des sujets de droit. Entre ces
deux exigences, l'article 2 pose deux affirmations apparemment simples.
Sous une apparente clarté, le texte est plus riche et plus complexe qu'il n'y paraît. Si la loi ne
dispose que pour l'avenir, cette affirmation ne résout pas la difficile question des situations
qui sont nées sous l'empire de la loi ancienne et perdurent une fois la loi nouvelle entrée en
vigueur. La doctrine et la jurisprudence ont apporté des réponses en interprétant ces termes
comme imposant le principe de l'application immédiate de la loi nouvelle (1). Il reste que la
sécurité juridique impose la non-rétroactivité de la loi comme précisé par l'article 2 (2).

94
1 • Un principe : l'application immédiate de la loi nouvelle
« La loi ne dispose que pour l'avenir », l'expression concerne deux hypothèses. La première
est simple. Elle vise les situations qui se situent entièrement sous l'empire de la loi ancienne
ou de la loi nouvelle. Le contrat de vente réalisé par le paiement et la remise de l'objet de la
vente est exécuté dans un court laps de temps, par conséquent, il dépend clairement de la loi
en vigueur lors de sa conclusion et de son exécution. La formule de l'article 2 est facile à
mettre en œuvre, la loi ne dispose que pour l'avenir, elle ne concerne que les contrats conclus
et exécutés après son entrée en vigueur.
La seconde hypothèse révèle les lacunes de la formule du code dénoncées par le Doyen
Roubier. En effet, quelle solution doit-on retenir pour les situations juridiques nées avant
l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, mais toujours en cours au moment de son entrée en
vigueur ou dont la constitution ou l'extinction; parce qu'elle nécessite un certain temps, n'est
pas achevée alors que la loi nouvelle entre en vigueur ?
Roubier a proposé une autre solution pour les situations juridiques en cours au moment de
l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Le problème ne pouvant être résolu par la non-
rétroactivité de la loi nouvelle et la non-survie de la loi ancienne, il prône le principe de l'effet
immédiat de la loi nouvelle. Cela signifie que, par principe, la loi nouvelle a vocation à
s'appliquer immédiatement aux situations juridiques en cours au moment de son entrée en
vigueur, c'est-à-dire principalement aux situations juridiques nées précédemment et non
encore terminées. En d'autres termes, tout ce qui a été accompli dans le cadre de telle ou telle
situation juridique en cours sous l'empire de la loi ancienne reste valable, mais dès que la loi
nouvelle entre en vigueur, la situation juridique en cours doit s'y soumettre immédiatement et
entièrement. Cette position a fortement influencé la jurisprudence qui a fait sienne, avec des
nuances et adaptations, le principe de l'application immédiate de la loi nouvelle aux effets des
situations en cours.
A) L'application immédiate aux effets des situations juridiques légales
Le principe de l'application immédiate de la loi nouvelle s'impose. Les progrès de justice
sociale de la loi nouvelle sont privilégiés et la sécurité juridique est cantonnée au strict
minimum. La règle vaut pour les lois de procédure. Ces dernières, ainsi que les lois relatives
aux preuves, sont applicables aux procès en cours parce qu'elles sont censées apporter une
amélioration à leur déroulement. Parce que la loi nouvelle est en principe plus favorable aux
justiciables, elle doit s'appliquer le plus largement possible. Il en est ainsi des lois pénales de
forme et des lois portant sur la compétence, l'organisation judiciaire et la procédure, qui
s'appliquent immédiatement aux faits commis avant même leur promulgation. Les actes
procéduraux accomplis avant la loi nouvelle ne seront pas remis en cause, ni leurs effets, mais
la loi nouvelle va s'appliquer à tous les actes à venir.
Lorsque la jurisprudence doit déterminer la loi applicable à une situation juridique non-
contractuelle (comme le divorce, la filiation ou la responsabilité délictuelle), elle consacre le
principe de l'application immédiate de la loi nouvelle. Celle-ci régira désormais les effets
futurs de la situation juridique sans modifier ses effets passés nés sous l'empire de la loi
antérieure. Concrètement, la situation juridique qui dure dans le temps connaît deux régimes
juridiques successifs. Le premier est celui de la loi ancienne et le second celui de la loi
nouvelle qui s'applique immédiatement dès son entrée en vigueur. Ainsi la règle de
l'application immédiate de la loi nouvelle est très simple : toute loi nouvelle s'applique

95
immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au
moment où elle entre en vigueur.
La solution ne vaut que pour les situations non contractuelles. Pour les situations
contractuelles, la jurisprudence a choisi la sécurité juridique, la protection des droits acquis
en limitant l'application de la loi nouvelle.
B) L'absence d'application immédiate aux effets des situations Juridiques contractuelles
En présence d'une situation juridique contractuelle, la jurisprudence consacre le principe de
survie de la loi ancienne. Les parties ont conclu le contrat en considération de la loi en
vigueur à ce moment-là. Le souci de sécurité juridique commande qu'elle reste applicable
même si une réforme législative intervient au cours de l'exécution du contrat. La
jurisprudence, suivant en cela les propositions du doyen Roubier, permet non seulement que
la loi nouvelle n'agisse pas sur les étapes passées du contrat, mais admet que la loi ancienne
continue à régir ses effets postérieurs à celle-ci. La survie de la loi ancienne est alors
consacrée pour mieux protéger les droits acquis par les sujets de droit.
L'application immédiate de la loi nouvelle est alors une exception qui se justifie par le
caractère impératif des dispositions de la loi nouvelle. La sécurité et le principe de
l'autonomie de la volonté s'effacent devant la justice sociale.
S'agissant d'une exception au principe de la survie de la loi ancienne dans le contrat, les
tribunaux interprètent de façon très stricte le caractère impératif de !' la loi nouvelle. Ils
apprécient si la sécurité des particuliers (garantie par la survie de la loi ancienne) l'emporte
devant l'intérêt social (l'application immédiate de la loi nouvelle), si la survie de la loi
ancienne est préjudiciable à l'ordre public. Traditionnellement dans les domaines comme le
droit social ou celui des baux, les lois nouvelles sont applicables à tous les contrats, y compris
aux contrats en cours. Ainsi, il a été jugé que l'ordre public social impose l'application
immédiate aux contrats de travail en cours et conclus avant leur entrée en vigueur des lois
nouvelles ayant pour objet d'améliorer la condition ou la protection des salariés.
La frontière entre l'application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours et la non-
rétroactivité de la loi est parfois délicate. Le changement de loi applicable au contrat en cours
vient nécessairement remettre en cause la prévisibilité des droits acquis par les parties, par
suite l'application immédiate vient indirectement modifier les conditions de conclusion du
contrat. La nuance est délicate, elle existe, les effets du contrat sous l'empire de la loi
ancienne ne peuvent pas être remis en cause, seuls les effets postérieurs à l'entrée en vigueur
de la loi nouvelle sont modifiés troublant la prévisibilité de l'exécution du contrat. La sécurité
juridique explique la règle de la non-rétroactivité de la loi.
2 • Une précision : la non-rétroactivité de la loi
La loi « n'a point d'effet rétroactif ». Le principe est posé dans le Code civil mais il ne doit
pas induire en erreur, la règle a valeur constitutionnelle pour les lois pénales (A) pas pour les
lois civiles (B).
A) La non-rétroactivité constitutionnelle des lois pénales
Elle est constitutive des droits fondamentaux car le droit pénal touche à l'intégrité de la
personne. Une personne peut-elle être jugée et condamnée conformément à une loi nouvelle

96
qui a créé ou renforcé une incrimination, une loi qui est donc plus dure ? La réponse est
négative. En principe, nul ne peut être frappé pour un acte qui n'était pas prévu par la loi
pénale lorsqu'il a été commis ou atteint d'une peine supérieure à celle qui était alors en
vigueur. Cette règle est énoncée clairement par l'article 112-1 du Code pénal qui prévoit que «
seuls sont punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été
commis » et que « peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la
même date ». En matière pénale le principe est celui de la légalité des délits et des peines. Il
est donc impossible d'être poursuivi pour un fait qui n'était pas légalement sanctionné au
moment de sa réalisation. Le principe de la légalité des délits et des peines a pour corollaire le
principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Inversement, les lois pénales les plus douces
sont rétroactives. Alors que la loi pénale plus sévère ne peut rétroagir, le principe de la
rétroactivité in mitius signifie que la loi pénale plus douce peut s'appliquer à des faits réalisés
avant son entrée en vigueur. La non-rétroactivité de la loi pénale s'explique lorsque celle-ci
établit une nouvelle infraction, par le fait que l'on ne peut pas imaginer punir un individu pour
un acte qui était licite au moment où il l'a accompli. Inversement, le même souci d'humanité
commande qu'une loi pénale plus douce puisse s'appliquer même aux infractions commises
avant son entrée en vigueur, lorsque le procès est encore en cours et qu'aucune décision
définitive n'a été rendue. Le Code pénal consacre cette solution dans son article L. 112-1
alinéa 3. C'est également celle retenue par la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'Homme et des libertés fondamentales.
Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale a une valeur constitutionnelle. La règle
figure à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, composante du bloc
de constitutionnalité. En conséquence, le législateur ne peut y déroger et le juge ne peut
appliquer rétroactivement une loi pénale. La hiérarchie des normes garantit la protection des
justiciables.
En revanche, les lois civiles peuvent être exceptionnellement rétroactives.
B) La rétroactivité exceptionnelle des lois civiles
Contrairement au droit pénal, en matière civile, le principe de non-rétroactivité n'a pas valeur
constitutionnelle. Le législateur peut donc adopter des lois rétroactives. La plus célèbre est le
décret du 17 nivôse an II, modifiant les règles de dévolution successorale pour toutes les
successions ouvertes depuis le 14 juillet 1789. Ce décret a entraîné la remise en cause de
nombreuses successions réglées entre ces deux dates sous l'empire de la loi antérieure et
conduit à l'énoncé du principe de non-rétroactivité pour éviter qu'une telle situation ne se
reproduise. La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 introduisant un régime spécial de responsabilité
en cas d'accident de la circulation, déclarée applicable aux instances en cours, c'est-à-dire aux
accidents survenus avant son entrée en vigueur et non encore jugés définitivement, est un
autre exemple.
Les hypothèses de lois rétroactives restent l'exception, en raison du risque d'arbitraire et
d'insécurité juridique que provoque l'éventualité de l'application rétroactive d'une loi
nouvelle, même si la rétroactivité présente l'avantage de permettre l'application d'une loi
meilleure. Une loi n'a un effet rétroactif que lorsque le Parlement qui l'a votée s'est
expressément exprimé sur ce point et s'agissant d'une exception, elle doit s'interpréter
strictement.
À côté des lois expressément rétroactives, certaines lois sont rétroactives par nature.

97
Il en est ainsi des lois de validation qui ont pour objet de valider rétroactivement un acte
administratif reconnu illégal par un juge ou susceptible de l'être. En changeant les
dispositions de la loi, le législateur valide l'acte qui ne l'était pas au moment de sa formation,
rétroactivement ou préventivement.
Les lois interprétatives rétroagissent également. Une loi interprétative est une loi destinée à
préciser le sens d'une loi adoptée antérieurement. Il ne s'agit pas d'une loi nouvelle autonome
mais d'une loi qui explique l'ancienne. Par conséquent, elle s'intègre à la loi qu'elle interprète
et est censée être entrée en vigueur avec elle. La loi interprétative, qui rétroagit, ne peut
porter atteinte aux droits acquis et s'applique aux instances en cours. Cela se rapproche du
principe de l'application immédiate de la loi nouvelle indissociable du principe de non-
rétroactivité de la loi.

DISSERTATION JURIDIQUE
Vous traiterez le sujet suivant :
<< Le législateur et le principe de non-rétroactivité de la loi >>
OBSERVATION DU CORRECTEUR
Le thème de la non-rétroactivité de la loi est un sujet habituel de dissertation.
Bien souvent, il est abordé sous une forme plus classique et générale telle << l’application de
la loi dans le temps >> ou << le principe de non-rétroactivité des lois >>.
Dans le sujet proposé l’approche n’est pas tout à fait la même. Le thème est précisé. Il ne
s’agit pas simplement de présenter le principe de non-rétroactivité de la loi mais de l’aborder
à travers le prisme du législateur.
Eviter le piège de la récitation du cours !

Source principale du droit, la loi s’applique de son entrée en vigueur jusqu’à son abrogation.
En présence d’une situation juridique qui se prolonge dans le temps, il peut y avoir des
conflits de loi dans le temps, c'est-à-dire des conflits entre deux lois successives. Or, les
règles d’entrée en vigueur et d’abrogation de la loi ne suffisent pas pour déterminer quels
seront les faits et les actes soumis à la loi ancienne et à ceux soumis à la loi nouvelle. En
réalité, le problème ne se posera réellement qu’en présence d’une situation juridique qui est
née sous l’empire de la loi ancienne et qui continue de produire ses effets alors qu’une loi
nouvelle intervient. Ce type de conflit accrus par l’inflation législative, doit trouver une
solution qui permette de tracer les limites entre la loi ancienne et la loi nouvelle. Le
législateur est le premier à donner une réponse en consacrant le principe de non-rétroactivité
de la loi. Pour cela, il a pris en compte deux impératifs apparemment opposés : le souci de
sécurité et le souci de justice.
Le besoin de sécurité exige que l’on restreigne au maximum le domaine d’application dans le
temps de la loi nouvelle. Les individus ont organisés leurs activités en tenant compte de leur
environnement juridique. Si celui-ci est modifié par une loi nouvelle, les contrats ou autres
techniques juridiques prévues risquent de ne plus être adoptés, voire ne plus être valable eu

98
égard aux nouvelles dispositions légales. Le souci de sécurité impose de ne pas remettre en
cause les actes passés conformément à une loi connue et par fois même choisie entre
plusieurs régimes possibles par les parties. De même, il est inconcevable qu’un acte licite à
une période commis par un citoyen, lui soit reproché par la loi quelque temps plus tard. Cette
impossibilité se traduit par le principe de non-rétroactivité de la loi.
Celle-ci ne peut avoir d’effet sur le passé.
Tout autant le principe de non-rétroactivité de la loi permet au législateur de répondre au
souci indéniable du respect de la justice. En effet, pourquoi punirait-on quelqu’un pour un
acte qui, quand il l’a commis, n’était pas répréhensible ? Le but de ce principe est donc aussi
de servir et d’assurer la justice. Pourtant, le besoin de justice conduit, quant à lui, à une
application dans le temps la plus large possible, de la loi nouvelle présumée meilleure que
l’ancienne. Par postulat, si le législateur intervient c’est pour réaliser des améliorations par
rapport à la loi nouvelle et il serait alors injuste de priver les individus de celles-ci. C’est
pourquoi, le législateur n’hésite pas, s’il le peut, à adopter des lois rétroactives.
Le législateur apparait donc à la fois comme le garant du principe de non-rétroactivité de la
loi qu’il énonce et consacre dans plusieurs textes (1), mais également comme s’opposant au
principe quand il adopte des lois rétroactives (2).
1. Le législateur, garant du principe de non-rétroactivité de la loi

Certaines lois contiennent des dispositions transitoires prévoyant leurs conditions d’entrée en
vigueur et délimitant ainsi leur champ d’application dans le temps.
Mais si la loi ne contient aucune disposition de ce type, le législateur a consacré dans
plusieurs textes (B) le principe de non-rétroactivité de la loi (A).
A) Le sens du principe
Le sens du principe est simple : La loi nouvelle ne peut modifier les situations résolues sous
l’empire de la loi ancienne. Le législateur a posé ce principe dans le but de sécurité juridique.

Ce principe de non-rétroactivité trouve historiquement une explication dans la théorie des


droits acquis. Les juristes du moyen-âge avaient proposés des principes de solution au
problème de conflits de lois dans le temps basés sur une distinction entre droit acquis et
simple expectatives. Les droits acquis étant des droits définitivement entrés dans un
patrimoine telle une succession par exemple, ou des situations juridiques définitivement
créées, qui doivent être sauvegardés, même contre une loi nouvelle. A l’inverse, les simples
expectatives, qui ne sont que des espérances non encore réalisées, peuvent être atteintes par
une loi nouvelle.
Cette théorie, qui s’oppose à toute remise en cause des droits acquis des individus, trouve son
prolongement dans l’affirmation de l’absence d’effet rétroactif de la loi. La loi ne peut agir
sur le passé. Elle ne peut plus intervenir sur des situations juridiques entièrement nées et
réalisées avant son entrée en vigueur. Nul ne peut, par exemple, être puni pour un acte
commis dans le passé si la loi ne le condamnait à ce moment. Peut importe si une nouvelle loi

99
est venue postérieurement le sanctionné. Ainsi, chacun se voit garantir le respect de ses droits
passés. Les hommes sont sensés agir en fonction de la législation en vigueur (qu’ils sont
sensés connaitre). Leurs actes sont sensés être déterminés par le contexte juridique.
Le contraire aurait pour effet non seulement de limiter les initiatives mais aussi de créer une
insécurité juridique inadmissible. Il est impossible de régir son comportement en fonction
d’une éventuelle règle de droit. L’insécurité juridique régnerait et la fonction première de la
règle de droit, celle d’imposer des comportements aux individus ne pourrait être assurée.

Non seulement les lois nouvelles ne peuvent pas être appliquées à des situations juridiques,
actes ou faits, antérieurs à leur promulgation, mais à partir du moment où elles sont entrées en
vigueur, elles régiront toutes les situations juridiques qui naitront postérieurement. C'est le
sens de la seconde formule de l'article 2 du Code civil selon laquelle la « Loi ne dispose que
pour l'avenir ». Cette règle est le nécessaire complément du principe de non-rétroactivité
énoncé par la première phrase de ce même article. Le principe de la non-rétroactivité est en
effet consacré par plusieurs textes législatifs.
B) La consécration législative du principe
Le principe de non-rétroactivité de la loi est formulé dans des textes d'origines diverses. En
matière civile, l'article 2 du Code civil affirme que « la loi n'a point d'effet rétroactif ». La loi
ne s'applique pas aux situations juridiques entièrement nées et achevées sous l'empire de la
loi ancienne, ni à leurs effets passés. Tout ce qui a été réalisé sous l'empire de la loi ancienne
reste valable.
En matière pénale, plusieurs articles consacrent le principe de non-rétroactivité de la loi
pénale. Ce sont l'article 112-1 du Code pénal selon lequel « seuls sont punissables les faits
constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis », l'article 8 de la
Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui prévoit que « la loi ne
doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni
qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée »
et l'article 7-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales du 4 septembre 1950 qui dispose que « nul ne peut être condamné
pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une
infraction d'après le droit national ou international ». En réalité, ces textes ne consacrent que
la non-rétroactivité des lois pénales plus dures, c'est-à-dire celles qui créent une nouvelle
infraction ou alourdissent une sanction. Ces textes révèlent un souci d'humanité de la part du
législateur. Celui qui a réalisé un acte licite au moment où il l'a commis, ne peut être
postérieurement sanctionné. Ce souci d'humanité est tellement fort que le principe de non-
rétroactivité a été doté d'une valeur constitutionnelle. En effet, sa présence dans la
Déclaration des droits de l'Homme, qui est un élément du bloc de constitutionnalité, lui
confère cette valeur supra législative. Cette valeur est confirmée par la Convention
européenne des droits de l'Homme qui dans la hiérarchie des normes se situe également au-
dessus des lois. Cela implique que le législateur, obligé de respecter les principes
constitutionnels, ne peut adopter de lois pénales plus dures rétroactives. Inversement, la non-
rétroactivité des lois pénales plus dures, puisque non prévue par un texte de valeur
constitutionnelle, ne lie pas le législateur qui peut, dès lors, comme en matière civile, s'y
opposer.

100
2 • Le législateur, opposant au principe de non-rétroactivité de la loi
On peut constater que le législateur adopte parfois des lois en contradiction avec le principe
de non-rétroactivité qu'il a pourtant lui-même consacré. Certaines lois sont même rétroactives
par nature.
Plusieurs explications peuvent être données. Lorsque la loi nouvelle est meilleure que la loi
ancienne, quand elle apporte des améliorations sociales ou procédurales, dans sa quête de
justice, le législateur doit apporter des exceptions au principe de non-rétroactivité de la loi
(A). Certaines lois visent à améliorer ou corriger la loi ancienne, soit en l'interprétant, soit en
la modifiant de façon à ce qu'elle puisse produire les effets pour lesquels elle avait été
adoptée. Plutôt que d'adopter entièrement une loi nouvelle, il est plus simple, rapide et
intelligent, de modifier une loi • ancienne. Ces lois sont rétroactives dans un souci de sécurité
(B).
A) Les lois rétroactives par souci de justice
Contrairement au juge qui est tenu de respecter l'article 2 du Code civil, le législateur civil
peut y déroger, car il ne s'agit pas d'une règle de valeur constitutionnelle. Le législateur peut
donc adopter des lois civiles rétroactives. On peut citer à titre d'exemple, la loi du 5 juillet
1985 prévoyant une indemnisation pour les victimes d'accidents de la route produits même
avant son entrée en vigueur. De même la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits
des malades et à la qualité du système de santé s'est appliquée aux accidents médicaux
consécutifs à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins survenus 6 mois avant sa
publication.
Les lois rétroactives restent toutefois rares car elles peuvent être sources d'arbitraire et
d'insécurité juridique. C'est, rappelons-le, la loi du 17 nivôse an II, modifiant les ,1 règles de
dévolution successorale pour toutes les successions ouvertes depuis le 14 juillet 1789 et qui
avait conduit à la remise en cause de nombreuses successions déjà réglées sous l'empire de la
loi antérieure, qui a motivé par la suite l'adoption du principe de la non-rétroactivité des lois.
En revanche, le législateur pénal ne peut déroger à ce principe de non-rétroactivité, puisqu'il
s'agit en la matière d'un principe de valeur constitutionnelle par sa mention dans la
Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Mais cette exigence ne vaut que
pour la loi pénale plus sévère qui ne peut rétroagir. Il existe en effet le principe inverse de la
rétroactivité in mitius qui autorise la loi pénale plus douce à s'appliquer à des faits réalisés
avant son entrée en vigueur. La non-rétroactivité de la loi pénale s'explique lorsque celle-ci
établit une nouvelle infraction, par le fait que l'on ne peut pas imaginer punir un individu pour
un acte qui était licite au moment où il l'a accompli. Il en est de même quand la loi alourdit
une peine. Inversement, le même souci d'humanité commande qu'une loi pénale plus douce
puisse s'appliquer même aux infractions commises avant son entrée en vigueur, lorsque le
procès est encore en cours et qu'aucune décision définitive n'a été rendue. Le principe de
sécurité juridique justifie aussi qu'aucun délinquant ne puisse être exposé à subir une peine en
vertu d'une loi dont il n'a pas pu prévoir l'application. Ainsi, si la loi nouvelle supprime une
incrimination antérieure ou abaisse la peine, par exception, elle rétroagit.
Cette rétroactivité in mitius est une exigence constitutionnelle, en raison des termes de
l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme. Le législateur ne peut refuser qu'une loi
pénale plus douce rétroagisse. Toutefois, elle ne s'applique pas aux condamnations devenues

101
définitives ou irrévocables. Le Code pénal prévoit toutefois une exception lorsque la loi
nouvelle supprime une incrimination.
Tout comme les lois pénales plus douces, les lois de procédure, ainsi que les lois relatives
aux preuves, sont applicables aux procès en cours parce qu'elles sont censées apporter une
amélioration à leur déroulement. Il s'agit d'une application immédiate de la loi nouvelle à une
situation née antérieurement, plutôt que d'une véritable rétroactivité que l'on retrouve dans
certaines lois rétroactives par souci de sécurité.
B) Les lois rétroactives par souci de sécurité
A côté des lois rétroactives par disposition expresse du législateur, il existe deux catégories de
lois rétroactives par nature : les lois interprétatives et les lois de validations.
Parce qu’elles fixent le sens d’une loi adoptée antérieurement, les lois nouvelles
interprétatives sont sensées être entrée en vigueur avec la loi qu’elle interprète.
La loi interprétative n’est pas à proprement parler une loi nouvelle autonome, puis qu’elle ne
modifie pas, mais explique seulement la loi ancienne. Elle s’identifie à la loi interprétée. La
jurisprudence décide qu’elle rétroagit donc au jour où la loi ancienne est entrée en vigueur.
Pour éviter que le principe de non-rétroactivité ne soit en déclarant interprétative une loi qui
en réalité change l’état du droit, la cour de cassation de façon très restrictive le caractère
interprétatif des lois.
Les lois de validation sont aussi rétroactives par nature. Ces lois ont pour seul objet de valider
rétroactivement un acte administratif nul au moment de sa formation, selon les dispositions
législatives en vigueur. En changeant ces dispositions, le législateur valide l’acte litigieux
rétroactivement. Ainsi, en est-il par exemple, d’un texte qui validerait un concours dont la
régularité est attaquée devant les juridictions administratives. Le but du législateur est de
consolider les situations juridiques existantes menacées par une annulation en justice.
CAS PRATIQUE
A partir de vos connaissances vous résoudrez le cas pratique suivant.

1. Arthur est étudiant en droit. Il loue depuis septembre 2017 un appartement de deux pièces à
M. Xana. Son ami Louis lui a proposé de faire avec lui une année de césure en Australie.
Examen réussi et visa en poche, ils ont obtenu des billets d'avion à un prix défiant toute
concurrence mais pour un départ précipité, la semaine prochaine. Arthur a donc donné son
congé à son propriétaire le 10 mal 2018. La loi (loi ALUR de 2014 et loi Macron de 2015)
prévoit un délai de préavis d'un mois car le logement se situe en «zone tendue ». Une
nouvelle loi a été adoptée et publiée au Journal officiel le 15 mai. Cette loi prévoit un
nouveau préavis réduit à 15 jours pour les étudiants souhaitant quitter leur logement, et ce
sans avoir à fournir de Justification.
Arthur y voit une possibilité de récupérer 15 jours de loyer si le délai de préavis est réduit.
Peut-il se prévaloir des dispositions de la nouvelle loi ?
Quelle aurait été la durée du préavis si Arthur avait donné congé le 14 avril 2018 ?

102
Arthur se rappelle avoir vu en cours qu'un projet de règlement européen prévoit qu'en cas de
location à un étudiant, le bail ne pourrait être résilié avant le 30 juin de chaque année. Qu'en
serait-il si le règlement était adopté ?
3. Arthur est allé le week-end dernier en Espagne. Profitant des prix bas pratiqués, il a
ramené 10 cartouches de cigarettes pour lui et ses amis. Malheureusement, Il a fait
l'objet d'un contrôle par les douanes lors du passage de la frontière. Les douaniers
l'ont informé qu'il avait dépassé les quatre cartouches autorisées par personne et qu'il
encourait jusqu'à 3 ans d'emprisonnement pour contrebande (C. douanes, art. 414).
Déjà terrorisé, il vient d'entendre aux informations qu'une loi venait être adoptée pour
sanctionner de 5 ans d'emprisonnement les auteurs de cette infraction. Que risque-t-
il ?

Méthodologie : Il ne faut pas appliquer la es magistrats à savoir le syllogisme : la majeure, la


mineure, la conclusion. Après avoir identifié il faut les qualifier juridiquement. Une fois le
problème, il faut recenser les solutions offertes par le législateur et ou la jurisprudence pour
en suite les appliquer. N’oublier de vérifier si toutes les conditions réunies et si les faits ne
renvoient pas à une exception. En toute logique, l’application des règles (la majeure) aux faits
(la mineure) donne la solution au problème posé (conclusion).
Remarque : Si les faits sont suffisamment précis, il faut répondre à la question (cas pratique
<< fermé>>). A défaut, il faut envisager toutes les hypothèses possibles (cas pratique <<
ouvert >>).

Arthur est confronté à plusieurs problèmes qui relèvent de la question de l'application de la


loi dans le temps. La réponse est différente selon que la loi en question est civile (1) ou
pénale (2). Dans le premier cas vient se greffer un conflit entre une loi française et un
règlement européen.
Question n° 1 : L'application dans le temps d'une loi civile
Arthur souhaite résilier son bail. Il a notifié son congé à son propriétaire le 10 mai 2018. La
loi prévoyait un délai de préavis d'un mois. Or une nouvelle loi a été adoptée, le rapportant à
seulement 15 jours. La question est de savoir quelle est la loi applicable au bail dans les deux
hypothèses : que le congé ait été donné le 10 mai ou le 14 avril ?
A) Le congé signifié le 10 mai
Conformément à l'article 1 er du Code civil, une loi entre en vigueur à la date qu'elle fixe ou,
faute de cette mention expresse, le lendemain de sa publication. D'après les faits, et en
l'absence de précision autre, la loi a été publiée au JO le 15 mai. Elle est donc entrée en
vigueur le 16 mai 2018. Est-elle applicable au bail ?
Si le préavis a été donné le 10 mai, par application de la loi en vigueur à ce moment, il
devrait être d'un mois et expirer le 11 juin. Or, il a été démontré que la loi allongeant la durée
de préavis est entrée en vigueur le 16 mai. La loi nouvelle était donc en vigueur alors que le
contrat de bail était toujours en cours. Il y a bien un conflit de lois dans le temps.

103
La règle applicable est la non-rétroactivité de la loi nouvelle, posée à l'article 2 du Code
civil. La loi nouvelle n'a aucune incidence sur les effets passés du contrat. En revanche, la
question se pose de son application aux effets futurs du contrat.

Le principe est ici celui de l'application immédiate de la loi nouvelle qui s'applique à compter
de son entrée en vigueur à toutes les situations juridiques, y compris celles en cours.
À s'en tenir à ce principe, la loi entrée en vigueur pendant l'exécution du contrat, devrait
s'appliquer au contrat de bail en cours et supprimer les dispositions contractuelles. Mais ce
principe connaît une exception en matière contractuelle.
Mais ce principe connait une exception en matière contractuelle. La loi ancienne, c'est-à-dire
celle sous l'empire de laquelle le contrat a été prévu, continue de s'appliquer et régit les effets
à venir du contrat. En l'espèce, le contrat de bail conclu en septembre 2017 était soumis aux
lois de 2014 et 2015. Par application du principe de la survie de la loi ancienne, la loi
nouvelle ne devrait pas s'appliquer. Arthur, tenu par les clauses contractuelles mettant en
œuvre la loi ancienne, doit respecter le préavis d'un mois et payer pour ce temps.
Toutefois, cette règle de la survie de la loi ancienne connaît une exception : lorsque la loi
nouvelle est d'ordre public, c'est-à-dire lorsqu'elle exprime un intérêt social impérieux, elle
s'applique immédiatement au contrat en cours.
Aucune indication n'est donnée quant à la nature de la loi nouvelle qui réduit le délai de
préavis. On sait cependant qu'en matière de baux, les lois sont considérées comme d'ordre
public, devant s'appliquer à tous. La loi nouvelle dont les dispositions sont impératives
s'applique aux contrats en cours. Arthur bénéficiera du délai réduit.
B) Le congé signifié le 14 avril
Le congé d'un mois, donné le 14 avril serait échu le 15 mai, soit avant l'entrée en vigueur de
la loi nouvelle le 16 mai. L'article 2 du Code civil interdit à la loi d'avoir un quelconque effet
sur une situation juridique entièrement réalisée avant son entrée en vigueur. C'est la simple
application du principe de non-rétroactivité des lois. La situation juridique s'est éteinte sous
l'empire de la loi ancienne, Arthur ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de la loi
nouvelle, quand bien même lui seraient-elles plus favorables.
Arthur ne pourrait invoquer un délai réduit pour réclamer le remboursement des quinze jours
de loyers perçus en plus que si la loi était rétroactive. Or, ce n'est qu'exceptionnellement
qu'une loi civile peut avoir ce caractère : soit que le législateur l'ait déclarée expressément
rétroactive, soit qu'il s'agisse d'une loi de procédure, d'une loi confirmative ou rectificative
d'erreur matérielle (erratum), ou d'une loi interprétative. La lecture des faits ne permet de
conclure à aucune de ces qualifications. Arthur serait resté soumis à l'application des lois de
2014 et 2015 et n'aurait pu espérer une rétroactivité de la loi de 2017.
C) Le conflit de normes
Si le règlement européen prévoyant la résiliation du bail après le 30 juin est adopté et entre
vigueur avant l'échéance du préavis donné par Arthur, celui-ci pourra-t-il s'en prévaloir ? Il
faut déterminer quelle norme l'emporte : la loi ou le règlement européen ? La réponse dépend
de la hiérarchie des normes.

104
Le règlement européen est un acte normatif adopté par les institutions européennes,
obligatoire en tous ses éléments et directement applicable dans tous les États membres.
Contrairement aux directives, il s'applique dans l'ordre juridique français sans le relais des
autorités législatives nationales. Il entre en vigueur à la date qu’il fixe ou vingt jours après sa
publication.
Le principe de la primauté du droit de l'Union européenne sur le droit national a très tôt été
consacré par la jurisprudence de la Cour de Justice (CJCE, 15 juill. 1964, Costa c/ ENEL).
Les normes communautaires sont supérieures aux lois et règlements internes. Le principe de
primauté vaut pour toutes les dispositions du droit originaire comme du droit dérivé. Ainsi,
une loi interne ne peut contredire un règlement européen. Même sans abrogation formelle de
la loi, Arthur sera soumis au règlement européen et ne pourra résilier son bail avant le 30 juin.
Question n° 2 : L'application dans le temps d'une loi pénale
Arthur a importé en fraude des cigarettes en France. Une loi est entrée en vigueur aggravant
les sanctions encourues. Il s'agit d'examiner si cette loi peut s'appliquer à Arthur.
Si la loi entre en vigueur avant que l'infraction ne soit définitivement jugée, la question de
son application au cas d'Arthur se pose bien.
Arthur encourt-il une peine de 3 ans ou de 5 ans d'emprisonnement pour la réalisation de son
infraction ? Autrement dit, la loi nouvelle qui aggrave la sanction applicable à la réalisation
d'une infraction peut-elle s'appliquer à une infraction commise avant son entrée en vigueur ?
En vertu de l'article 112-1 du Code pénal, les lois pénales plus sévères, qui créent une
nouvelle infraction ou aggravent une sanction, ne sont pas rétroactives. Seules peuvent être
prononcées les peines légalement applicables à la date à laquelle les faits constitutifs de
l'infraction ont été commis (C. pén., art. 112-1, al. 2).
Arthur n'encourt alors que les peines prévues par la loi au moment où il a commis les
infractions. Peu importe qu'avant son jugement ces peines aient été aggravées par une
nouvelle loi. Il ne pourra être puni que d'un emprisonnement de 3 ans comme prévu lors de la
commission de son infraction.

COMMENTAIRE

Vous commenterez l'article 4 du Code civil :


« Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de
l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice »

OBSERVATION DU CORRECTEUR

La difficulté d'un commentaire de texte tient à la nécessité de « coller » au texte. Il ne faut pas
disserter sur le thème qu'il aborde ou risque d'être hors sujet. Notamment, il ne s'agit pas ici

105
de disserter sur le rôle de la jurisprudence ou sur la question de savoir si la jurisprudence.est
ou non une source de droit (sujets fréquemment donnés). Et ce, même si l'article 4 devrait
être utilisé pour traiter ces deux sujets.
En revanche, l'article 4 ne peut pas être analysé hors de son contexte et plus particulièrement
indépendamment de l'article 5 du code qui en précise la: portée.
Le juge est obligé de juger. Voilà en substance ce qu'impose l'article 4 du Code civil quand,
sous forme de menace, il' dispose que « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence,
de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de
justice ».
En vertu du principe de séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire est chargé d'appliquer
les règles édictées par le pouvoir législatif et par le pouvoir exécutif. Les tribunaux sont
chargés de juger les litiges. Ils appliquent le droit aux rapports humains.
Il n'y a pas de problème si la loi est claire et précise : il suffit d'appliquer la loi au fait (c'est le
mécanisme du syllogisme judiciaire). Mais, en droit, il est interdit aux tribunaux de se borner
à appliquer la loi. Il résulte en effet de l'article 4 du Code civil une obligation pour le juge de
forger lui-même la règle applicable quelles que soient les circonstances une loi obscure,
insuffisante ou silencieuse.
En effet, si la loi est peu claire, imprécise, confuse, ambiguë ou incomplète, le juge va devoir
en rechercher le sens, en définir les conditions légales, autrement dit, interpréter la règle de
droit. Si, encore plus loin, la loi est muette sur un problème, si aucun texte ne peut être
invoqué, les juges qui ne peuvent pas refuser de juger auront recours à leurs propres lumières,
réflexions ou expériences, pour suppléer l'absence de loi. L'article 4 ne se contente pas de
poser une obligation, celle de juger, il constitue une incitation et une autorisation à
développer des solutions.
L'article 4 est clair : coûte que coûte le juge doit dire le droit et on assiste alors à un
phénomène de création de droit. À défaut de texte, te juge ou bien découvre un principe
général du droit, ou bien forge de toutes pièces une règle, jouant ainsi le rôle du législateur là
où ce dernier a fait l'économie d'une loi. Cette règle une fois consacrée par la jurisprudence
sera inscrite comme règle de droit. Pourtant, l'article 4 ne peut être lu sans l'article 5 qui trace
les limites de la mission du juge. Il est interdit aux juges de « prononcer par voie de
disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ». Apparemment
ces textes imposent au juge une règle et son contraire: En réalité, ils précisent la place de la
jurisprudence. Elle ne devrait pas se substituer à la loi : les arrêts de règlement sont interdits.
Les juges doivent rendre la justice, le silence de la loi ne doit pas permettre un déni de justice.
Dans ce cadre et dans ce cadre seulement, le juge se voit reconnaître un pouvoir créateur,
limité, en principe, à la solution qu'il apporte au cas particulier qui lui est soumis.
L'article 4 du Code civil fixe ainsi non seulement les circonstances de la mission du juge (1)
mais les contours de celle-ci (2).
1 • Les circonstances de la mission du juge
À travers l'énumération des obstacles rencontrés par le législateur dans sa fonction de dire le
droit (A), l'article 4 du Code civil met en évidence trois rôles de la jurisprudence l'application,

106
l'interprétation ou la suppléance de la loi. Il suggère les méthodes pour remplir ces fonctions
(B).
A) Les Imperfections reconnues
L'article 4 du Code civil interdit au juge de se dérober à sa mission - dire le droit « sous
prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi ». Il envisage donc lui-même
plusieurs imperfections de la loi. L'obscurité apparaît quand la loi est imprécise, ambiguë,
confuse ou en contradiction avec d'autres textes. Elle trouve sa source dans la mauvaise
rédaction de la loi. Elle est accidentelle.
Le silence et l'insuffisance peuvent être rapprochés. Une loi insuffisante est une loi à laquelle
il manque des éléments, une loi qui présente des lacunes. Le silence vise l'absence de loi,
autre forme de lacune législative.
Les imperfections de la loi sont nombreuses et peuvent trouver leur source dans la rédaction
de la loi qui devient obscure, ambiguë, confuse.
De telles imprécisions ne sont pas toujours des inadvertances de la part du législateur. Elles
peuvent être sciemment voulues. En effet, le législateur entend laisser aux tribunaux le soin
d'apprécier cas par cas la réalité et le contenu de certaines notions (« notions-cadres » ou «
standards »), car les tribunaux sont plus proches des situations concrètes. Les exemples sont
nombreux et forts connus : les bonnes mœurs, la faute, l'urgence, l'équité, la bonne foi,
l'intérêt de la famille, l'intérêt de l'enfant...
Dans d'autres cas, les imprécisions ne sont pas volontaires mais elles n'en sont pas moins
réelles. Elles sont dues à la mauvaise rédaction de la loi, à la multiplication des lois qui
accroît les hypothèses de contrariété entre les règles, ou au vieillissement de la loi. La loi est
figée, tant qu'elle ne fait pas l'objet d'une réforme du législateur. Le juge peut être confronté à
des situations nouvelles auxquelles les lois anciennes n'apportent plus de solutions
satisfaisantes. Ce n'est pas une excuse admise par l'article 4. En attendant une intervention
législative. le juge ne peut se dérober à sa mission. Il en est de même, quand il se trouve face
à un vide législatif : la loi n'a pas pu tout prévoir. Qui aurait pu imaginer en 1804 le régime à
appliquer aux accidents de la circulation, quand il n'y avait pas de voitures ? Ou la force
probante d'un écrit électronique ? L'article 4 impose quand même de statuer. Le silence de la
loi n'est pas un prétexte pour échapper à sa mission. Mais alors, le Code civil autorise le juge
à dégager des méthodes lui permettant de remplir sa mission et de dépasser les imperfections
d'une loi silencieuse, obscure ou insuffisante.
B) Les techniques suggérées

Si la loi est claire, il lui suffit de l'appliquer. Si elle est incertaine ou antinomique, il faudra
l'interpréter en respectant l'esprit de cette dernière. Si elle est silencieuse, le magistrat se
trouve contraint de créer une norme casuelle, c'est-à-dire une règle nouvelle, mais dont
l'autorité se limite au cas particulier qu'elle tranche.
L'article 4 impose une obligation d'interpréter les textes obscurs ou insuffisants, confus ou
ambigus. Face au problème d'interprétation les juges ont d'abord été écartés avec la mise en
place de la technique du référé législatif : si une interprétation était nécessaire on devait

107
interroger le législateur. Puis l'idée s'est développée que ce n'est pas celui qui fait la loi qui
doit l'interpréter, mais celui qui l'applique, c'est-à-dire le juge au premier chef.

Selon la méthode exégétique, il faut se demander quelle interprétation du texte aurait donné
le législateur. Le juge doit découvrir la volonté du législateur, à l'exclusion de tout apport
personnel, et pour cela interroger le texte en s'aidant de règles d'usage du vocabulaire, de
règles grammaticales ou autres éléments tels les travaux préparatoires, les principes généraux
du droit ou des procédés de raisonnement (raisonnement par analogie, a contrario, a
fortiori...).

Dans la méthode de la libre recherche scientifique, on considère que la loi est insuffisante.
Tout le droit n'est pas dans la loi. Or, si le droit ne se manifeste pas uniquement dans la loi; la
méthode exégétique, fondée sur la raison d'être de la loi, devient inappropriée. Il ne s'agit plus
d'interpréter la règle mais plutôt de la définir. Le tribunal doit librement chercher la solution à
appliquer en se fondant sur les données économiques ou sociales existant à ce moment.
Même si le législateur fait un effort d'exhaustivité, il y a toujours des situations créées par la
complexité des faits. Malgré l'inflation législative que l'on connaît, il y a des lacunes dues
notamment aux transformations de la vie par les progrès de la science. Peu importe. Le juge
ne peut invoquer le « silence » de la loi. En l'absence de règle légale préexistante, l'article 4
oblige les juges à créer de toutes pièces la règle applicable au litige qui leur est soumis. La
jurisprudence a une fonction créatrice quand il n'y a pas de loi à appliquer. L'interdiction du
déni de justice donne à la jurisprudence un véritable pouvoir de création. Ce pouvoir reste
encadré, L'article 4 fixe la portée de la mission du juge sans aborder ses limites qui seront
abordées dans l'article 5.
2 • La portée de la mission du juge
Historiquement, il existe une certaine méfiance envers le pouvoir des juges. Alors que l'article
4 du Code civil établit leur obligation de juger (A), l'article suivant en fixe les limites (B).

A) L'obligation légale de juger


L'article 4 impose très clairement au juge de juger. Chacun citoyen ayant le droit de défendre
ses intérêts en justice, il est logique que le juge ne puisse refuser de juger. Chacun a le droit
de demander au juge que justice lui soit rendue. Le juge ne peut refuser de statuer, ce serait
un « déni de justice ». La séparation des pouvoirs est impérative. Le juge a une obligation de
rendre la justice. Celui « qui refusera de statuer » niera le droit au procès du justiciable. Le
juge a l'obligation non seulement de rendre un jugement mais de trancher une prétention. Il
ne peut invoquer ni le défaut de preuve, ni le défaut de fondement juridique, pas plus qu'il ne
peut ordonner un sursis à statuer d'une durée indéterminée. La contradiction entre deux
décisions est aussi assimilée à un déni de justice. Plus loin, la jurisprudence considère que le
déni de justice est également caractérisé par tout manquement de l'État à son devoir de
protection juridictionnelle de l'individu.

108
Cette obligation de juger est tellement importante que le Code civil fait peser sur le juge une
responsabilité pénale. Le déni de justice est en effet sanctionné pénalement par l'article 434-
7-1 du Code pénal. Même si cette sanction n'est quasiment jamais prononcée, son existence
renforce la valeur de l'obligation.
L'obligation de juger les décisions qui pèse sur le juge le conduit inévitablement à influencer
et transformer la loi à travers l'application qui en est faite. Même si l'article 4 autorise le juge
à se délier de la soumission de la loi, celui-ci n'a pas une liberté totale. Les contours de sa
mission sont aussi posés par le Code civil.
B) Les limites à la mission du juge

Il y a une étroite corrélation entre l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du


Citoyen qui pose le principe de la séparation des pouvoirs et l'article 5 du Code civil qui en
assure le respect. En prohibant les arrêts de règlement, il empêche tout empiétement du juge
sur les compétences du législateur. L'autorité relative de la chose jugée (C. civ., art. 1355)
appartient à la même philosophie : une décision de justice ne présente qu'un intérêt casuel et
ne peut avoir une portée générale. Le juge est dans l'incapacité de légiférer.
Les révolutionnaires se méfiaient des tribunaux et, par la séparation des pouvoirs, il était
interdit pour ces derniers d'empiéter sur les pouvoirs du législateur : le pouvoir judiciaire ne
pouvait pas édicter des dispositions qui auraient force de loi. L'article 5 interdit alors la
pratique des arrêts de règlement. Sous l'Ancien Régime, les parlements pouvaient rendre des
arrêts non pas applicables à un cas déterminé mais constituant une règle applicable par la
suite à tous les cas analogues. Ils agissaient ainsi comme législateur. Cela signifie que le juge
ne peut formuler de règles abstraites, générales et obligatoires pour les autres juges. La
prohibition des arrêts de règlement n'empêche pas le juge d'émettre des principes généraux de
solution, dès lors qu'il y a un lien entre le principe exprimé et la solution du litige. Ce que
l'article 5 interdit au juge, c'est de créer des normes prétoriennes dans le cadre de l'activité
juridictionnelle. Ce n'est pas remettre en cause le pouvoir du juge que lui confère, directement
ou non, légitimement ou non, l'article 4 du Code civil.

DISSERTATION JURIDIQUE

Vous traiterez le sujet suivant :


« Le juge peut-il créer des règles de droit ? »

OBSERVATION DU CORRECTEUR

La question suggérée par le sujet est une des Grondes questions du cours d'introduction au
droit : la jurisprudence est-elle source de droit ? Mais ce n’est pas te sujet lui-même. Il est

109
évident que la problématique doit être traitée mais il ne faut pas organiser tout son travail
autour. Il faut répondre à la question posée : le juge peut-ii créer des règles de droit.
Il est difficile d'apporter une réponse à cette question parce que les plus grands auteurs eux-
mêmes ne sont pas d'accord Pour certains, la jurisprudence est une source de droit à part
entière, Pour d'autres, elle n'est qu'une simple autorité. Il est malaisé dans ce contexte, alors
que vous êtes en première année, de donner une réponse. Pourtant, la question en appelle une.
Soit il faut adopter la position de l'enseignant qui donne le sujet, soit il faut, en prenant le
risque de la contradiction, présenter des arguments suffisants pour emporter sa conviction. Le
principal reste toujours de justifier sa réponse.
Comment, compte tenu du principe de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, le
juge pourrait-il créer des règles de droit ?
Le rôle du juge est défini par l'article 4 du Code Civil. Il ne crée pas le droit, pouvoir qui
incombe au législatif, il doit seulement l'appliquer. Mais l'acte juridictionnel n'est pas que
"application de la règle de droit Préexistante. L'article 4 du Code civil en disposant que « Le
juge qui refusera de statuer sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la
loi, pourra être Poursuivi comme coupable de déni de justice », impose au juge une obligation
légale de juger, et ce dans tous les cas. Que la loi soit silencieuse, obscure ou Insuffisante, le
juge doit juger, sinon il sera sanctionné.
Si la loi est peu claire, imprécise, confuse, ou ambiguë, le juge va devoir en rechercher le
sens, en définir les conditions légales, en un mot, l'interpréter. Cette fonction d'interprétation
permet de faire dire à un texte plus de choses qu'il ne le prévoyait ou de façon différente.
C'est déjà pratiquement de la création. Mais plus encore si la loi est muette sur un problème,
si aucun texte ne peut être invoqué, le juge devra avoir recours à ses propres lumières pour
suppléer cette absence de loi, la compléter. Même si le législateur fait un effort d'exhaustivité,
il y a toujours des situations créées par la complexité des faits. Malgré l'inflation législative
que l'on connaît, il y a des lacunes dues notamment aux transformations de la vie et de la
société
( progrès de la science, évolution des moeurs...). Dans de tels cas, la jurisprudence va exercer
une autre fonction, après l'interprétation, oui consiste à suppléer la loi.
Dès lors, le pouvoir créateur de la jurisprudence apparaît (1). Mais le juge peut-il créer des
règles de droit ? Il s'agit alors de vérifier si des décisions de justice peuvent se transformer en
règles de droit générales, abstraites et coercitives (2).
1 • L'apparition du pouvoir de création du juge
Le pouvoir judiciaire doit, en principe, depuis Montesquieu, appliquer le droit créé par le
pouvoir législatif ou réglementaire. Cependant, le rôle du juge va au-delà de cette mission de
« juris dictio ». il doit interpréter, voire suppléer la loi.
A) L'interprétation de la loi

Lorsque la loi n'est pas suffisamment claire ou précise, le juge va devoir en rechercher le
sens, l'interpréter. Si faible soit elle, l'interprétation est inséparable de l'application de la règle
écrite. Pendant un temps, en cas de difficultés sur l'interprétation d'une loi, le juge ne statuait

110
pas immédiatement mais devait demander l'avis du pouvoir législatif pour que celui-ci lui
dicte sa décision. Aujourd'hui on considère que ce n'est pas celui qui fait la loi qui doit
l'interpréter, mais celui qui l'applique, c'est-à-dire le juge au premier chef puisqu'il peut
imposer son interprétation en dernier lieu en cas de divergences. Pour ce faire, il existe
diverses méthodes d'interprétation. Schématiquement, elles sont, d'une part, la méthode
exégétique, qui veut rester très près du texte de la loi, d'autre part, les méthodes dites
scientifiques qui font preuve de plus de distance à l'égard des textes. Dans ces méthodes, on
considère que la loi est insuffisante. Tout le droit n'est pas dans la loi. Il ne s'agit plus
d'interpréter la règle mais plutôt de la définir. Le tribunal doit librement chercher la solution à
appliquer en se fondant sur les données économiques ou sociales existant au moment où il
doit statuer. Il donne ainsi naissance à une nouvelle règle, au risque d'empiéter sur la fonction
du législateur. C'est pourquoi, celui-ci a limité les pouvoirs de la jurisprudence.

B) La suppléance de la loi

En l'absence de loi, le juge devra rechercher une solution rationnelle dont les fondements ne
se trouvent plus dans la loi. Puisque le juge doit motiver en droit sa décision, il se référera
toujours à un texte, mais c'est l'utilisation ou l'interprétation de celui-ci qui peut être novatrice
et ainsi créatrice, La jurisprudence apparaît comme une source complémentaire, comblant les
lacunes de la loi.
Les lacunes législatives peuvent être involontaires comme volontaires. Dans cette seconde
hypothèse, le législateur laisse au juge le soin de compléter la loi, par une sorte de délégation
de pouvoir. En utilisant des expressions générales au contenu indéterminé, telles les bonnes
mœurs, l'homme raisonnable, l'intérêt de l'enfant ou de la famille, il choisit de laisser au juge
la possibilité d'adapter la loi aux besoins I de la société. Il revient finalement en dernier lieu à
la Cour de cassation d'assurer la cohérence de la législation en contrôlant l'interprétation qui
en est donnée par les juges du fond. En présence de lacunes involontaires, la jurisprudence
poursuit son œuvre créatrice et complémentaire de la loi. Dans le silence des textes, la
jurisprudence permet d'apporter une solution aux litiges portés devant elle. Le juge peut
prendre une décision qui fera jurisprudence. Ainsi a-t-il interdit les contrats de mères
porteuses ou admis l'indemnisation d'un enfant né handicapé après une erreur médicale
(Cass. ass. plén., 17 nov. 2000, Perruche).
Dans les espaces laissées par la loi, le pouvoir créateur du juge peut donc se manifester.
Certes, toutes les décisions de justice n'ont pas la même portée. Il faut distinguer selon
l'origine et le contenu des décisions. Pour répondre à la question de savoir si le juge peut
créer des règles de droit, il faut surtout considérer les décisions des plus hautes juridictions.
Un arrêt de la Cour de cassation a plus vocation à créer une règle de droit qu'un jugement
d'un tribunal d'instance. Il en est de même de l'arrêt de principe, qui entend poser une règle de
portée générale, par opposition à l'arrêt d'espèce dont la solution n'a pas vocation à s'étendre
au-delà du litige en cause.
2 • Les solutions jurisprudentielles, véritables règles de droit

111
Les règles créées par le juge sont-elles de véritables règles de droit ? Un certain nombre
d'objections militent pour une réponse négative. Pourtant, l'examen des décisions
jurisprudentielles montre qu'elles réunissent les caractères des règles juridiques.
A) Les objections

Le législateur a adopté dans le Code civil deux dispositions encadrant la portée de la


jurisprudence et réfutant les caractères général, abstrait et obligatoire des solutions
jurisprudentielles, caractères nécessaires à la règle juridique.
L'article 5 du Code civil interdit « aux juges de se prononcer par voie de disposition générale
et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ». Les révolutionnaires se méfiaient des
tribunaux et, par la séparation des pouvoirs, il était interdit pour ces derniers d'empiéter sur
les pouvoirs du législateur : le pouvoir judiciaire ne pouvait pas édicter des dispositions qui
auraient force de loi. L'article 5 interdit alors la pratique de l'Ancien Régime des arrêts de
règlement. Les tribunaux ne peuvent plus rendre des arrêts non pas applicables à un cas
déterminé mais constituant une règle applicable par la suite à tous les cas analogues. Ils ne
peuvent plus agir comme législateur. Cet article interdit donc en principe de créer des normes
prétoriennes dans le cadre de l'activité juridictionnelle.
De cette interdiction des arrêts de règlement doit être rapproché le principe de la relativité de
la chose jugée posé à l'article 1355 du Code civil. Les jugements n'ont qu'une autorité
relative, limitée à l'affaire sur laquelle ils statuent. Le jugement n'a d'effet qu'entre les parties
au procès. L'autorité de la chose jugée concerne la situation concrète sur laquelle la décision
juridictionnelle s'est prononcée et non la règle abstraite qui y est impliquée. Cette relativité
concourt à l'interdiction de l'article 5. Si une règle de droit dégagée par un tribunal saisi d'un
litige devait être obligatoirement suivie par lui dans des cas similaires, ce serait indirectement
rétablir l'arrêt de règlement.
Ces deux articles du Code civil qui limitent le rôle de la jurisprudence doivent être mis en
parallèle avec l'obligation de motiver qui pèse sur celle-ci. On admet aujourd'hui que le juge
doit toujours motiver en droit sa décision en s'appuyant sur un texte ou au moins sur un
principe juridique incontesté, une coutume ou un principe général du droit. Cette obligation
de motiver les décisions se retrouve à l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits
de l'Homme. La Cour de cassation elle-même contrôle la motivation des décisions. Elle
sanctionne pour motifs insuffisants la seule référence à une jurisprudence constante. Elément
réfutant la possibilité pour le juge de créer des règles de droit.
Si le juge n'est pas tenu en droit de suivre les solutions données antérieurement, surtout par
une juridiction supérieure, en pratique il y est enclin. L'autorité du précédent transforme alors
une solution individuelle en une véritable règle de droit.

B) Le constat

Les décisions des juges vont se transformer en règles de droit. Cela suppose qu'elles soient
générales, abstraites, obligatoires et coercitives.

112
Les solutions jurisprudentielles ont un caractère abstrait. Le travail du juge n'est pas
purement mécanique mais il repose sur des techniques et notamment le raisonnement
syllogistique déduisant la solution concrète d'une règle abstraite. Si les faits de la cause, qui
forment la mineure du syllogisme, sont relatifs et limités au seul litige concerné, les motifs de
droit (la majeure du syllogisme) ont une vocation générale. S'ils sont pertinents ils seront
réutilisés dans chaque affaire du même type puis s'imposeront.
Les règles jurisprudentielles présentent aussi un caractère général grâce aux juridictions
supérieures comme la Cour de cassation. En particulier, ses arrêts de principe font
jurisprudence. Ce sont les décisions dont les solutions sont reprises, souvent dans une
formule identique, par les tribunaux ayant à trancher un litige équivalent. La Cour de
cassation a ainsi pour mission d'assurer l'uniformité de la jurisprudence sur l'ensemble du
territoire.
Générale et abstraite, la solution jurisprudentielle devient aussi obligatoire. La force
obligatoire des règles dégagées par le juge résulte de plusieurs phénomènes. Le premier
réside dans la force de l'imitation. Les juges se sentent tenus de reproduire les solutions
données antérieurement dans des circonstances identiques. Cette inclinaison est parfois
imposée. Les règles jurisprudentielles deviennent des règles obligatoires par le poids de la
hiérarchie judiciaire. La Cour de cassation peut en effet imposer aux juges du fond la solution
de son choix. Elle est institutionnellement investie d'un tel pouvoir lorsqu'elle se réunit en
assemblée plénière. En effet, les points de droit tranchés en une telle assemblée s'imposent à
la juridiction de renvoi. L'unité de la jurisprudence est également renforcée par la procédure
de la saisine pour avis de la Cour de cassation. Lorsqu'une question de droit nouvelle,
présente une difficulté sérieuse et se pose dans de nombreux litiges, les juridictions de l'ordre
judiciaire peuvent solliciter l'avis de la Cour de cassation. Bien que non impératif, cet avis
oriente les juridictions vers la solution retenue par la juridiction supérieure. Elles savent que
s'ils ne respectent pas les directives de la haute juridiction, leurs décisions seront censurées.
La peur de la censure n'est cependant pas la seule raison qui explique que les juridictions du
fond reproduiront les décisions de la Cour de cassation. Celle-ci a pour mission de dire le
droit, sa position doit s'imposer.
Enfin, corollaire du caractère obligatoire, les décisions des juges doivent être exécutées sous
peine de sanction. C'est pourquoi, les règles jurisprudentielles sont dotées du caractère
coercitif qui caractérise les règles de droit.
Cette loi d'imitation se double de la loi de continuité. La Cour de cassation a tendance à
reproduire ses décisions même si elle n'est pas en droit tenue par ses propres précédents. La
cour a elle-même affirmé que la sécurité juridique ne per mettait pas de consacrer un droit
acquis à une jurisprudence figée. Cela signifie que les revirements sont toujours possible tout
comme les évolutions législatives. Mais ce n'est pas parce que la jurisprudence évolue qu'il
faut lui refuser la valeur de source du droit.
Le juge peut créer des règles de droit. Certaines branches du droit, comme le droit de la
responsabilité délictuelle ou le droit administratif, reposent ainsi principalement sur les
décisions jurisprudentielles qui constituent de véritables règles de droit.

SUJET 9

113
Vous traiterez très brièvement les questions suivantes (8 points) :
Qu'est-ce que le droit objectif ?
En quelle année le Code civil a-t-il été promulgué ?
Pouvez-vous en citer des rédacteurs ?
Précisez l'objet du droit civil.
Qu'est-ce que l'interprétation téléologique ?
Vous traiterez le sujet suivant sous forme de plan détaillé (introduction rédigée) (12 points) :
« Les rapports de la loi et de la coutume »

Questions de cours
OBSERVATION DU CORRECTEUR
La première partie du devoir n'appelle aucun commentaire : il s'agit de répondre aux
questions posées. Les réponses peuvent légèrement varier en considération de ce qui a été
développé ou non en cours par l'enseignant.
Dans la mesure où il s'agit de répondre « très brièvement » aux questions, nous proposons ici
des réponses « standards » assorties toutefois de quelques développements qui vous
permettront de mieux cerner les notions.
QUESTION.N°1
Qu'est-ce que le droit objectif ?
Le droit objectif est défini comme l'ensemble des règles de conduite régissant les rapports des
personnes constituant une même société et sanctionnées par la puissance publique. Il apparaît
donc comme un corps de règles (corpus juris), un ensemble de normes applicables à toutes les
personnes dans leur vie quotidienne. Le droit objectif est l'ordre juridique, l'ordonnancement
juridique qui s'énonce au moyen d'impératifs catégoriques, de règles. La particularité des
règles du droit objectif est que leur violation est sanctionnée par l'autorité publique.
La notion de droit objectif se rapproche de celle de droit positif, défini comme l'ensemble
des règles juridiques en vigueur dans un État donné et à un moment donné. Il est par exemple
le droit français aujourd'hui.
La définition du droit objectif est précisée par opposition avec les droits subjectifs qui sont
les pouvoirs juridiques reconnus à chaque individu pour la satisfaction de ses propres intérêts
(droit qui permet à son titulaire de jouir d'une chose, de faire, d'exiger d'autrui une prestation
ou d'interdire quelque chose à un tiers. Par exemple, un droit de propriété, un droit de
créance...).
QUESTION N°2
En quelle année le code civil a- t-il été promulgué ?
Pouvez-vous en citer des rédacteurs ?

114
Le Code civil a été promulgué en 1804.
Ses rédacteurs sont :Tronchet, Préameneu, Portalis et Maleville.
QUESTION N° 3
Précisez l'objet du droit civil.
Le droit civil est l'ensemble des règles de droit qui régissent les rapports entre les personnes
privées (de civis, citoyen en latin). Il constitue la partie fondamentale du droit privé.
Il comprend les règles relatives aux personnes (état, capacité, personnalité), à la famille
(mariage, filiation, divorce, régimes matrimoniaux, successions...), aux biens (acquisition et
transmission, patrimoine, droit de propriété, démembrements, indivision...), aux obligations
(contrats-théorie générale et contrats spéciaux, responsabilité délictuelle) ou aux sûretés
(théorie générale du crédit et sûretés diverses).
QUESTION N° 4
Qu'est-ce que l'interprétation téléologique ?
L'interprétation téléologique est une méthode d'interprétation des règles de droit. Elle permet
d'interpréter des textes et, plus particulièrement des lois, en considération de leurs objectifs.
Elle se base sur la recherche du but poursuivi, la finalité, la ratio legis. L'interprétation
téléologique remet en cause l'interprétation exégétique qui analyse littéralement, avec rigueur,
les termes d'un texte afin d'en dégager le sens précis.

Introduction
Coutume et loi ont toujours entretenu des rapports particuliers. Sources de droit toutes deux,
elles se complètent mais rivalisent pour conserver leur domaine car si celui de l'une se
développe, celui de l'autre se restreint d'autant.
Historiquement la coutume constitue la source première du droit, avant l'apparition de la loi
écrite. Mais alors qu'elle formait l'Ancien droit elle a tendu à disparaître avec la Révolution
qui a voué un véritable culte à la loi, exprimant la souveraineté nationale par l'intermédiaire
des représentants du peuple.
La naissance du Code civil a particulièrement amenuisé le domaine de la coutume. Les
anciennes coutumes qui existaient « dans les matières régies par le Code » ayant été abrogées
par la loi de Ventôse an XII, la coutume ne pouvait plus exister qu'en dehors de ces matières.
La doctrine du XIX° siècle a eu tendance à considérer que la coutume ne pouvait plus être
source de droit après la promulgation du Code. Ce sont les écoles du positivisme
sociologique, plus particulièrement l'école historique allemande de Savigny, qui ont réhabilité
la coutume mieux adaptée à la société et à son évolution parce que produite par elle.
La coutume est un usage ancien, constant et général, ayant acquis un caractère juridiquement
obligatoire. Elle résulte de pratiques effectivement suivies par les personnes intéressées
localement ou professionnellement et qui sont convaincues qu'elles ont un caractère
obligatoire. Ce sentiment d'être obligé de respecter la règle coutumière (opinio necessitatis)
est d'ailleurs ce qui permet de distinguer la coutume des usages. La coutume est un usage qui

115
ne devient règle de droit qu'en se généralisant peu à peu, et parce que le milieu social et la
conscience populaire viennent à le considérer comme obligatoire. Il y a une différence de 1
nature entre une pratique qui est une simple manière d'agir, un usage qui est une manière
d'agir ancienne, constante, notoire et générale, et la coutume qui est un usage auquel on se
conforme parce que l'on a conscience d'y être tenu. Si les usages peuvent constituer l'élément
matériel de la coutume, tous les usages ne se transforment pas en règles de droit obligatoires
comme les usages mondains ou l'usage des pourboires, par exemple. La coutume n'existe que
par la réunion de deux éléments, un élément matériel constitué d'un usage, présentant certains
caractères, et un élément psychologique lui conférant force obligatoire.
La loi présente plusieurs avantages sur la coutume, notamment sa mobilité et sa rapidité
d'adoption. Ces ont conduit les législateurs à la développer au détriment de la coutume, moins
mobile et plus lente de formation. En revanche, le mode d'élaboration de la coutume, par une
lente maturation des pratiques sociales, explique qu'elle soit adaptée aux réalités de la vie
sociale (ex. : mise en place de la coutume du chèque par les marchands) locale ou
professionnelle. C'est à ce titre qu'elle est consacrée par le Code civil qui renvoie aux usages
chaque fois qu'il n'a pas souhaité imposer une uniformité nationale trop éloignée de la réalité.
C'est à ce titre également qu'elle peut exister lorsque la loi n'a rien prévu. La coutume n'existe
alors que par référence à la loi : elle est soit par délégation de la loi (secundum legem), soit à
côté de la loi (praeter legem). Mais elle peutaussi aller à l'encontre de la loi (contra legem).
Le principe aujourd'hui est que la loi écrite l'emporte sur la coutume. La coutume ne peut
remplacer la loi, l'abroger, la modifier. Inversement, la loi peut à tout moment mettre fin à
une coutume qui lui serait contraire. Pourtant, on constate que dans des litiges qui les
opposent, ce n'est pas toujours la loi qui l'emporte. La coutume tente de résister et de
s'imposer au mépris d'une règle légale contradictoire.
En réalité, la loi et la coutume entretiennent tantôt des rapports de cohabitation pacifique,
existant l'une à côté de l'autre ou se complétant (1), tantôt des rapports conflictuels quand
elles disposent des règles opposées (2).
1 • Des rapports de cohabitation pacifique
A) La coexistence de la loi et de la coutume
- La coutume constitue une source de droit à part entière
- Rien ne s'oppose à ce qu'une coutume intervienne pour régler une situation que le
législateur n'a pas prévue.
- La coutume, dite praeter legem, est celle qui existe à côté de la loi. Elle comble alors les
lacunes, le silence de la loi. C'est ainsi une coutume qui autorise la femme mariée à porter le
nom de son mari. De même, en matière commerciale ou en droit du travail, les acteurs
économiques ont créé leurs propres usages généraux, locaux ou professionnels qui
remplacent les dispositions légales générales. - Présence de coutumes également en droit
international ou même en droit constitutionnel.
B) La complémentarité entre la loi et la coutume
La loi peut confier implicitement ou explicitement à la coutume (dite alors secundum legem)
la mission de la compléter.

116
- Délégation expresse : Certaines coutumes s'appliquent parce que la loi elle-même le
prévoit. Cette dernière renvoie directement à la coutume qui apparaît comme un complément
nécessaire. Cette technique est utilisée dans des domaines variés comme les servitudes ou les
contrats.
- Délégation implicite : quand le Code civil fait référence à des notions générales et vagues
comme celles de bonnes mœurs (C. civ., art. 6 et art. 900), de bonne foi (possesseur), de
personne raisonnable, ou même de faute (art. 1240), il fait référence aux usages et coutumes.

2 • Des rapports conflictuels


A) Le rapport de force favorable à la loi
- Lorsqu'une loi et une coutume contiennent des dispositions contraires, le principe est
aujourd'hui que la loi l'emporte sur la coutume. La coutume ne peut donc en principe déroger
à la loi.
- Quantitativement le rôle de la coutume est limité dans le droit positif français. La
codification napoléonienne n'a en effet concédé qu'un domaine très restreint à une source de
droit qui paraissait alors trop imprécise et génératrice d'une trop grande diversité, au profit de
la loi.
- La loi peut à tout moment mettre fin à une coutume, même bien établie, qui lui serait
contraire.
- La coutume peut aussi inspirer la loi, ce qui restreint d'autant son champ d'action. Ainsi, en
incorporant certains adages dans le Code civil, la loi est devenue leur support formel et en a
changé la nature. De coutumière la règle devient légale.
- Une jurisprudence constante décide que l'usage ne peut écarter une loi d'ordre public. La
règle a été étendue aux lois impératives, sauf erreur commune.
B) Le rapport de force favorable à la coutume
La loi peut disparaître au profit d'une coutume qui lui est contraire, en particulier la coutume
qui consiste à ne pas appliquer la loi. C'est la question de l'abrogation de la loi par désuétude.
- Les rédacteurs du Code civil n'ont pas reconnu formellement l'abrogation de la loi par
désuétude, sans toutefois dénier son utilité.
- Les tribunaux n'ont pas plus admis ce type d'abrogation de la loi, pourtant il existe certaines
exceptions au principe : la coutume peut déroger à une loi supplétive et dans certains cas
exceptionnels à une loi impérative. Par exemple, en dépit de l'article 931 du Code civil qui
subordonne la validité d'une donation à la rédaction d'un acte notarié, les tribunaux admettent
la régularité du don manuel.
- Dans les faits certains textes ont cessé définitivement d'être appliqués, démontrant que dans
les litiges entre la loi et la coutume, ce n'est pas toujours la première qui l'emporte.

117
- Enfin, il est admis que « l'erreur commune fait le droit ». Ainsi une erreur, lorsqu'elle est
générale, inévitable et invincible, crée une règle de droit contraire à la loi ignorée. Par suite
d'interprétation erronée d'une règle, les tribunaux vont produire une fausse règle qui paraîtra
désormais la bonne.

DISSERTATION JURIDIQUE
Vous traiterez le sujet suivant :
« Qu'est-ce que le patrimoine ? »

OBSERVATION DU CORRECTEUR

La question est classique et pourtant le sujet est toujours d'actualité. 11 faut donc rappeler les
éléments traditionnels du sujet (Théorie d'Aubry et Rau), tout en traitant des évolutions
législatives.
Pour éviter la récitation de cours, faites un effort sur les intitulés qui doivent témoigner d'une
réflexion sur le sujet.
Le patrimoine n'est pas défini dans le Code civil, il est seulement évoqué dans 1! deux
articles (C. civ., art. 2284 et 2285) à propos des pouvoirs des créanciers sur le ' patrimoine de
leur débiteur. La définition à l'origine est donc celle d'Aubry et Rau, célèbres juristes du XIXe
siècle « L'ensemble des biens d'une personne, envisagé comme formant une universalité de
droit ».
Le patrimoine, contrairement à ce que retient le langage courant, n'est pas composé de
choses (biens ou richesses mobiliers ou immobilières) mais de droits, les droits patrimoniaux.
Ces droits sont les droits qui ont une valeur pécuniaire. Cela signifie qu'ils représentent une
valeur économique susceptible d'une évaluation en argent.
Aubry et Rau précisent qu'il est « une émanation de la personnalité et l'expression de la
puissance juridique dont une personne se trouve investie comme telle ». C'est sur cette
approche que s'est pendant longtemps construit le droit français associant pour le meilleur (le
crédit) et pour le pire (l'insolvabilité) le sujet de droit et son patrimoine. Endetté, il perd tout
car ses créanciers sont en mesure de saisir tous ses biens.
La nécessité de protéger les sujets de droit confrontés à des difficultés économiques toujours
plus grandes en période de crise économique a conduit à aménager l'endettement des
personnes physiques. Le droit français a alors multiplié les mécanismes permettant à une
même personne d'avoir plusieurs activités sans engager son patrimoine personnel. Il s'est
inspiré notamment de la théorie allemande du patrimoine d'affectation. Cette théorie autorise
qu'une masse de biens soit affectée à un but particulier, échappant au principe du droit de
gage général du créancier. L'adoption de dispositions toujours plus nombreuses dans des
textes spécifiques s'est accompagnée d'une profonde transformation des fonctions juridiques
attribuées au patrimoine. Ce changement entraîne une redéfinition du patrimoine. Il s'enrichit
d'une nouvelle mission protectrice des sujets de droit. Il doit pouvoir être affecté pour partie

118
seulement au paiement des créanciers afin que les débiteurs surendettés conservent des
subsides leur permettant de survivre.
Ainsi, le patrimoine est toujours l'expression pécuniaire de la personnalité juridique des sujets
de droit (1; mais il devient également un instrument protecteur contre les risques
économiques encourus par ces derniers (2).
1 • Le patrimoine, expression patrimoniale de la personnalité juridique
L'approche classique du patrimoine repose sur un lien indéfectible entre le patrimoine et le
sujet de droit doté d'une personnalité juridique. Le patrimoine est à la fois une universalité de
droit (A) et une émanation de la personne (B).
A) La composition du patrimoine : une universalité de droit

Le patrimoine est conçu comme l'ensemble des rapports de droit, susceptibles d'une
évaluation en argent et dans lesquels une personne est engagée soit positivement (par
exemple en étant titulaire d'un droit de créance ou de propriété), soit négativement (quand
elle est débitrice d'une dette ou d'un droit de passage). Il réunit à la fois un actif, composé de
tous les biens ou droits présents, et à venir, c'est-à-dire de tous les rapports de droit
représentant une valeur pour son titulaire, et un passif, comprenant toutes ses dettes, passées,
présentes ou futures.

Le patrimoine constitue une universalité de droit c'est-à-dire un « ensemble de droits et de


charges indissolublement liés ». En effet, l'article 2284 du Code civil, en disposant que «
quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses
biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir », offre au créancier un droit de gage
général sur les biens de son débiteur. L'article 2285 précise que « les biens du débiteur sont le
gage commun de ses créanciers ». On en a déduit une corrélation de l'actif et du passif : tout
l'actif (présent et futur) répond de tout le passif, chaque créancier d'une personne pouvant
saisir un bien quelconque de son débiteur. L'actif du patrimoine garantit le passif. Il est le
gage général des créanciers du titulaire du patrimoine. L'existence d'un passif permet
d'opposer les universalités de droit aux universalités de fait qui correspondent à des
ensembles de choses ou de droits sans passif correspondant, comme un troupeau de bestiaux
ou une bibliothèque d'ouvrages.

En revanche, l'universalité en tant que telle, c'est-à-dire le patrimoine dans son ensemble, est
soumis à des règles propres, différentes de celles qui régissent les droits considérés isolément.
Contrairement aux droits patrimoniaux, le patrimoine est incessible, intransmissible et
insaisissable. Cela s'explique parce qu'il est admis en France comme étant une émanation de
la personne. La théorie personnaliste du patrimoine repose sur le lien étroit avec la personne
qui en est le titulaire.

B) Le patrimoine, émanation de la personne

119
Le patrimoine tel que conçu par Aubry et Rau est une émanation de la personnalité de son
titulaire. Il est en quelque sorte un contenant indépendant des éléments qui le composent.
Pourtant, le patrimoine n'est pas un simple ensemble de biens. Ce n'est pas non plus une
simple enveloppe. Il désigne, exprime et traduit une dimension de la personnalité juridique
elle-même dans sa relation avec les droits. Le patrimoine permet à la personnalité de
s'exprimer et donc d'exister, dans la mesure où il lui fournit le moyen de posséder et
d'engager ses biens. Aubry et Rau ont affirmé le lien entre le patrimoine et la personne de son
titulaire. Le patri- moine, émanation de la personnalité, lui est indissolublement lié. Cette
liaison entre le patrimoine et son titulaire entraine plusieurs conséquences juridiques fondant
la théorie classique du patrimoine.

Ainsi la théorie personnaliste se décline en plusieurs propositions :

- toute personne a nécessairement un patrimoine ;

- seule une personne, morale ou physique, peut avoir un patrimoine ;


- une personne ne peut céder son patrimoine, attribut de sa personnalité. Le patrimoine reste
lié à la personne aussi longtemps que celle-ci vit. Il est alors incessible entre vifs, seuls les
éléments qui le composent le sont ;

- une personne ne peut avoir qu'un patrimoine. La personnalité n'étant pas divisible, le
patrimoine ne l'est pas non plus. C'est le principe de l'unicité, ou de l'indivisibilité, du
patrimoine qui interdit à une personne d'être titulaire de plusieurs patrimoines indépendants.
Cette règle permet à la totalité de l'actif d'une personne de répondre de tout son passif.

Le principe de l'unicité du patrimoine est critiqué car il interdit aux personnes physiques de
cantonner le gage de leurs créanciers. Ce principe contraint une personne souhaitant avoir une
activité professionnelle en nom propre à risquer tout son patrimoine sans pouvoir y affecter
seulement certains biens au gage de ses créanciers professionnels. Par exemple, un
commerçant ne peut préserver ses biens personnels qui peuvent être appelés à garantir les
dettes liées à son activité ; commerciale.

Pour répondre à ces critiques, la notion de patrimoine a subi une évolution lui permettant de
remplir de nouvelles fonctions dont celle de protection de son titulaire par le cantonnement
du gage des créanciers professionnels d'un débiteur exerçant une activité professionnelle en
nom propre.
2 • Le patrimoine, Instrument protecteur du sujet de droit

120
Le patrimoine, sans renier la théorie d'Aubry et Rau, s'est doté de nouvelles fonctions, il doit
notamment assurer la protection des biens détenus par le sujet de droit, pour réaliser ce but il
est dissocié du sujet de droit. Cette évolution s'est faite en plusieurs temps. D'abord, la
dissociation patrimoine-personne s'est faite par le recours à la technique sociétaire (A),
ensuite, elle a été franchement consacrée par l'introduction de la déclaration d'insaisissabilité
et surtout par l'Entrepreneur individuel à responsabilité limitée (B).
A) Le recours à la technique sociétaire

Cette technique est celle de l'introduction des sociétés unipersonnelles. Elles ont leur
personnalité juridique distincte de celle de l'entrepreneur et sont à la tête de leur propre
patrimoine. En créant une telle société l'entrepreneur sépare son patrimoine personnel et son
patrimoine professionnel. En cas de difficultés liées à l'exercice de l'activité commerciale, les
créanciers de la société et non de la personne physique qui exerce le commerce, ne peuvent se
payer que sur l'actif du patrimoine social et non sur celui de l'associé dès lors que sa
responsabilité est limitée. Les sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée ont été
introduites dans l'arsenal juridique français. Il s'agit de I'EURL (Entreprise Unipersonnelle à
Responsabilité Limitée, créée par la loi du 11 juillet 1985) et de l'EARL (Entreprise Agricole
à Responsabilité Limitée) ou encore de la SASU (société par action simplifiée
unipersonnelle).

Une seule personne peut se constituer en société qui a son propre patrimoine. Juridiquement,
il n'y a pas un seul titulaire de deux patrimoines, mais deux. Ce n'est pas l’entrepreneur qui
dispose d’un second patrimoine mais la société unipersonnelle, en tant que personne morale
distincte. Toutefois, dans les faits, les deux titulaires sont une seule et même personne. En
effet, en pratique les créanciers exigent que l'associé unique se porte caution, faisant
réapparaître ainsi son patrimoine derrière celui de sa société. La loi prévoit elle-même des
hypothèses où l'associé unique peut voir sa responsabilité patrimoniale engagée au-delà du
montant de son apport au capital de la société lorsqu'il s'est porté caution de la société auprès
d'organismes de crédit. Il y a alors reconstitution d'un patrimoine unique.
Il faut bien reconnaître qu'il y a un côté fictif dans cette construction, un seul associé pour
une société, on n'est pas loin du patrimoine d'affectation, mais la personnalité juridique
attachée à la société sauve les apparences.
B) L'audace d'un patrimoine sans titulaire

Cette audace prend deux formes. Une technique consiste à retirer du gage des créanciers
professionnels certains biens ; cette technique du retrait est celle de la déclaration
d'insaisissabilité. L'autre technique consiste dans l'affection, la démarche est positive, d'actifs
dans un patrimoine professionnel réservé aux créanciers professionnels.

Après l'échec relatif de l'EURL qui n'a pas séduit beaucoup d'entrepreneurs individuels, la
déclaration d'insaisissabilité a fait son apparition en droit français. A ses débuts, cette

121
déclaration permettait à un entrepreneur individuel de rendre sa résidence insaisissable. La loi
n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie a étendu le domaine de la
déclaration d'insaisissabilité à l'ensemble du patrimoine immobilier non professionnel de
l'entrepreneur individuel. Cette solution déroge au principe du droit de gage général des
créanciers en rendant. Insaisissables certains biens figurant dans le patrimoine de
l'entrepreneur individuel. Une fois faite et publiée, la déclaration visant les biens protégés est
opposable aux créanciers professionnels postérieurs à la publication de l'entrepreneur. La loi
n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
prévoit quant à elle l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l'entrepreneur
individuel. Ces biens sont mis à l'abri du risque économique de l'activité professionnelle du
commerçant, artisan, etc., en nom propre. Une partie du patrimoine est donc isolée,
puisqu'insaisissable, ce qui rompt avec le principe de l'unité du patrimoine.

Il n'en reste pas moins que le mécanisme de la déclaration repose sur le mécanisme de
l'insaisissabilité mais pas sur celui de la division du patrimoine pour créer un patrimoine
d'affection. Ce mécanisme est l'apanage de l'Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée
(EIRL).

L'introduction de l'EIRL marque une véritable rupture avec la théorie classique du patrimoine
car elle marque l'avènement du patrimoine d'affectation à la française. Le principe de
l'affectation est posé par l'article L. 526-6 du Code de commerce : « tout entrepreneur
individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine
personnel, sans création d'une personne morale ». La composition du patrimoine affecté est
décrite par ce même article dans son alinéa 2 qui énonce : « ce patrimoine est composé de
l'ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire,
nécessaires l'exercice de son activité professionnelle. Il peut comprendre également les biens,
droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, utilisés pour
l'exercice de son activité professionnelle et qu'il décide d'y affecter ». L'affectation est
obligatoire pour les biens nécessaires à l'activité professionnelle, elle est facultative pour les
biens utilisés pour l'activité professionnelle. En cas de difficultés professionnelles, les
créanciers de l'EIRL ne pourront saisir qu'un bien du patrimoine professionnel, les biens du
patrimoine personnel se trouvant à l'abri de leurs appétits. Il n'en demeure pas moins que le «
patrimoine professionnel d'affectation » reste rattaché à la personne de l'entrepreneur
individuel qui est toujours propriétaire des biens affectés à son activité professionnelle. Ainsi,
la définition du patrimoine, telle qu'énoncée par Aubry et Rau, il y a plus d'un siècle, reste
d'actualité.

QUESTION DE COURS

Vous traiterez très brièvement les questions suivantes (8 points) :

122
1* Le principe de l'effet immédiat de la loi nouvelle comporte-t-il des exceptions ? (2 points)
2* Pourquoi la hiérarchie des normes est-elle en crise (2 points) Vous traiterez le sujet suivant
sous forme de plan détaillé. (16 points)
3* Vous traiterez le sujet suivant sous forme de plan détaillé (introduction rédigée) (16
points) :
« La distinction entre droits patrimoniaux et droits extrapatrimoniaux. » (16 points) :
OBSERVATION DU CORRECTEUR
Les questions de cours permettent de restituer vos connaissances. Aucun plan n'est exigé mais
il est toujours bon de structurer ses réponses. Le plan détaillé mérite plus de temps et de
réflexion (récompensé par plus de points). Bien évidemment, s'agissant d'une distinction, il ne
faut pas traiter dans deux parties différentes les deux catégories de droits.
Questions de cours
Question n*1 :

Le principe de l'effet immédiat de la loi nouvelle comporte-t-ii des exceptions ?


- Principe : effet immédiat de la loi nouvelle pour les situations créées par la loi ou pour les
situations non contractuelles comme le divorce ou la responsabilité délictuelle.
À compter de son entrée en vigueur, la loi nouvelle régira les effets futurs mais pas les effets
passés. Le contraire conduirait à un effet rétroactif de la loi.
- Exception en matière contractuelle reprenant la proposition doctrinale du doyen Roubier, la
jurisprudence a posé le principe de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle. Un
contrat en cours d'exécution, c'est-à-dire conclu avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle
mais continuant de produire ses effets, n'est pas soumis à la loi nouvelle. Ses effets (futurs)
continueront à être régis par la loi ancienne. Cette exception est justifiée par le souci d'assurer
la prévisibilité juridique des relations contractuelles.
- Exception à l'exception : si la loi nouvelle répond à des exigences impérieuses d’ordre
public elle s’appliquera aux contrats en cours. Le souci de justice l'emporte sur celui de la
sécurité juridique.

Question n°2 :
Pourquoi la hiérarchie des normes est-elle en crise ?
Rappel : la hiérarchie des normes (selon la pyramide de Kelsen) : bloc de constitutionnalité,
bloc de conventionalité (traités et conventions internationales, incluant le droit de l'Union
européenne), lois organiques et lois ordinaires (bloc de légalité), décrets, règlements et
ordonnances (bloc réglementaire).
La hiérarchie des normes est en crise pour deux raisons :

123
1 / En raison de l'émergence de nouvelles sources, notamment la Jurisprudence :
- la jurisprudence devient une source à part entière qui ne trouve pas officiellement sa place
dans la hiérarchie des normes et qui peut même venir remettre en cause la loi.
- idem à propos d'autres sources : doctrine et surtout forces sociales, la pratique et l'activité
productrice du droit (droit mou, éthique...).
2/ En raison de la place croissante du droit de l'Union européenne :
- textes de plus en plus nombreux et contraignants, directement intégrés dans le droit interne.
- place dans la hiérarchie des normes contestée par la CJUE pour laquelle les traités
européens sont supérieurs aux textes nationaux, y compris constitutionnels.
L'effet de ces sources est considérable amenant à repenser la hiérarchie des normes telle que
Kelsen l'a présentée.
Dissertation juridique : « La distinction entre droits patrimoniaux et droits
extrapatrimoniaux » (plan détaillé)
Introduction
- rappel des définitions et classifications autour du critère du patrimoine
- évolution de la composition du patrimoine :
• importance accrue de l'immatériel (valeurs incorporelles ; fonds de commerce...) ;
importance de la force de travail (clientèle)
• existence de droits mixtes : exemple des droits d'auteur patrimoniaux et moraux
- introduire la relativité des classifications :
• le constat : l'émergence du patrimonial dans l'extrapatrimonial et inversement
• l'existence de zones intermédiaires entre un droit patrimonial et un droit extrapatrimonial,
de degrés dans la patrimonialité.
Idée maîtresse : remise en cause non de la distinction mais du critère de la distinction
(l'argent)
Conséquence : distinction nécessaire (1) mais imparfaite (2)

1 . Une distinction nécessaire

A) L'apparente cohérence juridique


a. Principes des droits patrimoniaux
- contenu : droits réels et droits personnels
- critère : évaluation en argent

124
- conséquences : cessibles, saisissables, transmissibles, prescriptibles (sauf le droit de
propriété)
b. Principes des droits extrapatrimoniaux
- contenu : droits familiaux, droits de l'Homme, droits civiques et politiques, droits de la
personnalité
- critère : absence d'évaluation en argent
- conséquences : incessibles, insaisissables, intransmissibles, imprescriptibles
B) Les enjeux de la distinction
a. Le patrimoine, instrument essentiel de la vie des affaires
- le patrimoine est au cœur de la relation entre créancier et débiteur
- le patrimoine permet de cloisonner les personnes entre elles au plan pécuniaire
- protection du créancier (C. civ art. 2084 sur le droit de gage général des créanciers et unité
du patrimoine)
b. Les droits extrapatrimoniaux, au cœur de la protection de la personne
- protection de la personnalité
- absence de commercialisation (droits à l'intégrité physique)
2. Une distinction imparfaite
A) L'extra patrimonialisation des droits patrimoniaux
- insaisissabilité de certains biens (biens nécessaires à la vie courante et au travail)
- force de l'intuitu personae d'une personne auteur (/ceuvre), professionnel (/clientèle),
contractant qui entraîne une difficulté de transmission, cession
- difficulté d'évaluation de certains biens
B) La patrimonialisation des droits extrapatrimoniaux
- le droit aux aliments : patrimonial mais non disponible, non transmissible
- exploitation commerciale des droits : droit à l'image, droit au respect de la vie privée...
- dommages-intérêts pour atteinte à un droit extrapatrimonial (évaluables en argent) ;
transmissible si atteinte corporelle, non si atteinte morale.

COMMENTAIRE JURIDIQUE
Vous commenterez l'article 9 du Code civil :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la
réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres,

125
propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures
peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé ».

OBSERVATION DU CORRECTEUR
L'article 9 affirme, sous forme de principe, l'existence d'un droit fondamental de la
personnalité, celui du droit au respect de sa vie privée. La difficulté de l'exercice réside dans
le fait que le commentaire de texte n'est pas une dissertation. La lettre du texte définit les
limites du commentaire. Il ne faut pas s'en éloigner. Mais le commentaire implique
d'apprécier aussi le sens du texte en allant au-delà de sa simple expression formelle. Est-il
cohérent avec l'ensemble du droit positif ? Est-il suffisant ? La frontière avec la dissertation
est alors bien délicate. D'autant que dans l'exercice proposé l'article 9 du Code civil pourrait
apparaître comme sujet de dissertation. Toute la difficulté est donc de ne pas trop s'éloigner
du texte tout en en appréciant le sens et la portée.
La qualité de votre travail s'évaluera alors dans votre connaissance du phénomène
jurisprudentiel qui a donné son sens et sa portée à ce droit au respect de la vie privée
proclamé par l'article 9 du Code civil.
Amours clandestines, adultères, maladies, grossesses ou autres revers de fortune... la vie
privée de certains individus s'étale régulièrement dans la presse à scandale. Pourtant, la loi est
claire « chacun a droit au respect de sa vie privée ».
Pendant longtemps la loi française ne s'est pas occupée de la vie privée dont la protection
était le seul fait de la jurisprudence. Les tribunaux se situaient dans le cadre de l'article 1382
du Code civil qui nécessitait de prouver la faute, en l'occurrence l'intrusion dans la vie privée,
et le dommage. Pourtant, le droit à la vie privée était proclamé dans plusieurs textes : la
Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen elle-même qui dispose dans son article 12
que « nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée » ou la Convention
européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui, dans l'article 8.1,
reconnaît à « toute personne (le) droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile
et de sa correspondance ».

La loi du 17 juillet 1970, tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens à
finalement consacrer ce droit intégrer expressément à l’article 9 du code civil. Ce texte en fait
un principe fondamental assorti de mesures et de sanctions efficaces. D'autres textes viennent
confirmer ce statut et protéger directement ou indirectement la vie privée. L'article 259-2 du
Code civil, tel qu'il résulte de la rédaction de la loi du 11 juillet 1975 sur le divorce, écarte
ainsi des débats les constats dressés « lorsqu'il y a eu atteinte illicite à l'intimité de la vie
privée ». Le Code pénal sanctionne la violation du domicile privé, les écoutes téléphoniques,
la prise de photographies clandestines, les diffamations, protège le secret de la
correspondance... La loi du 6 janvier 1978, relative à l'informatique et aux libertés, rappelle
que l'informatique ne doit pas porter atteinte à la vie privée.
Désormais, la loi sanctionne le fait de s'immiscer à l'insu d'une personne dans sa vie
personnelle et de révéler ces informations sans son autorisation. Inversement, il n'y a pas
atteinte à la vie privée si la personne a autorisé la révélation d'éléments de sa vie privée. C'est

126
bien un « droit » au respect, véritable droit de la personnalité qui est consacré. La victime n'a
plus à prouver une faute mais la seule violation de son droit. L'importance accordée à ce droit
s'affirme par la généralité de la formulation de l'article 9, son interprétation extensive par la
jurisprudence, sa garantie par des conventions internationales et son renforcement par une
protection pénale.
Mais la vie privée reste difficile à protéger notamment pour certaines personnes, artistes de
cinéma, vedettes du show-business, personnalités politiques... c'est-à-dire toutes celles qui
tirent leurs revenus, ou partie, de leur célébrité, de leur image de marque, de leur
reconnaissance par le public. La frontière avec leur vie privée est plus ténue que pour les
personnes ne menant aucune vie publique et leur droit à la vie privée peut alors entrer en
conflit avec un autre droit, celui du public à l'information et la liberté de communication. La
jurisprudence a dû trouver un point d'équilibre entre eux en définissant la notion d'atteinte à la
vie privée et en adaptant les sanctions. Si l'article 9 permet d'affirmer l'existence d'un principe
général du droit au respect de la vie privée (1), il n'empêche pas certaines limites d'exister (2).
1 • L'affirmation d'un principe général du droit au respect de la vie privée
« Chacun a droit au respect de sa vie privée ». C'est en ces termes simples et généraux que le
législateur a consacré le principe de la protection de la vie privée. Les tribunaux, chargés de
l'application de l'article 9 du Code civil, n'ont pas hésité à en généraliser la portée quant aux
titulaires du droit (A) et à étendre son contenu (B).
A) La portée générale du droit au respect de la vie privée

« Chacun », autrement dit toute personne, a droit au respect de sa vie privée. La généralité du
terme indique qu'il ne faut pas distinguer, notamment selon la qualité de la victime, personne
privée anonyme ou célébrité. De fait, les dispositions de l'article 9 s'appliquent plus souvent
en faveur des personnages de la vie publique ou mondaine, qu'à l'égard de l'homme de la rue,
car la révélation de sa vie privée intéresse moins, voire pas du tout, le public et donc la
presse. Artistes, sportifs et autres princesses sont plus fréquemment menacés dans leur vie
privée et atteints dans leur droit. Cela n'empêche pas aux simples particuliers qui peuvent, au
hasard des circonstances se trouver sur le devant de la scène publique, d'invoquer le bénéfice
de l'article 9 du Code civil (photographie utilisée à but publicitaire, film inspiré de faits réels).
les tribunaux témoignent d’une volonté de respecter la généralité de l’article 9.Cette
généralité de l'article 9 en l'appliquant à toute personne se plaignant d'une atteinte à sa vie
privée, sans tenir compte de la personnalité, ni du mode de vie de la victime. En revanche, les
personnes morales ne disposent pas d'une vie privée et ne sont donc pas concernées par ce
droit au respect.

L'article 9 protège la « vie privée ». La protection de la vie privée doit-elle être limitée à la
vie en milieu privé (domicile, travail) ou être étendue également au cas où une personne se
trouve dans un milieu public (rue, salle de spectacles, plage...) ? A priori, on pouvait penser
que seuls les comportements en milieu privé méritaient d'être protégés. La jurisprudence a
toutefois refusé de restreindre la portée de la protection en rejetant toute distinction. La vie
privée des personnes est protégée quel que soit l'endroit où elles se situent, même s'il s'agit
d'un lieu public. La difficulté réside alors dans la qualification des lieux car si certains lieux
127
sont clairement privés (foyer familial, chambre d'hôtel...), et d'autres publics, certains peuvent
être plus ambigus. Selon la jurisprudence, doit être qualifié de public le lieu accessible à tous,
sans autorisation spéciale de quiconque, que l'accès en soit permanent et inconditionnel ou
subordonné à certaines conditions. Dès lors que des conversations privées peuvent être tenues
dans un lieu, cela le privatise (cantine d'entreprises, vestiaires).

Ainsi, même si une personne mène une vie publique et est aperçue dans un lieu public, elle
conserve le droit au respect de sa vie privée. Mais comment peut-on considérer qu'il s'agisse
dans ces conditions de vie privée ? Peut-on avoir une vie privée en public ? Tout dépend de
l'activité que l'on y exerce. Pour les tribunaux, la notion de « vie privée » recouvre les
activités étrangères à la vie publique, c'est-à-dire celles qui sont poursuivies aussi bien dans
un lieu public que dans un lieu privé. Cette définition négative de la vie privée n'est pas
suffisante : il ne suffit pas de savoir qu'elle recouvre tout ce qui ne relève pas de la vie
publique, il faut en déterminer le contenu, objet de la protection.

B) La conception extensive de la vie privée

La loi, en ne définissant pas de façon précise et définitive la notion de vie privée, a permis
aux tribunaux d'en préciser progressivement les éléments. Le domaine !I de la vie privée est
parfois malaisé à délimiter. Il comprend sans difficulté tout ce qui concerne sa vie amoureuse,
familiale et les aspects non publics de sa vie professionnelle et de ses loisirs. Cette
énumération a été confirmée par une jurisprudence abondante et complétée au fur et à mesure
des actions. Font partie de la vie privée, l'identité, la vie sentimentale, l'état de santé, la
maternité, les mariages ou divorces (même simples projets), la sexualité, la maternité ou la
paternité, la pratique religieuse...

La notion de vie privée se révèle dynamique car la liste des éléments en faisant partie
s'allonge toujours. L'état de fortune en est une illustration. La Cour de cassation a posé
comme principe qu'il n'entrait pas dans le champ de la vie privée. Mais la Cour européenne
des droits de l'homme, qui a le dernier mot en matière de droits de l'Homme, considère quant
à elle, que le patrimoine entre dans le champ de la vie privée, sauf circonstances particulières
tenant à l'exercice d'une activité publique de son titulaire.

La Cour européenne elle-même développe la notion de vie privée au sens de l'article 8 de la


convention européenne des droits de' l'Homme. Elle considère ainsi à la vie privée.
Comment réparer un tel préjudice ? La loi prévoit l'octroi de dommages-intérêts sur le double
fondement des articles 9 alinéa 1 er et 1382, devenu l'article 1240 du Code civil. Les atteintes
étant établies il y a faute pour violation d'un droit. Le préjudice reste ensuite à être évalué. Il
l'est en fonction de plusieurs facteurs comme la gravité de l'atteinte, l'audience de la
publication, et l'attitude passée de l'individu à l'égard de ce type d'atteinte. La réparation
pécuniaire n'est pas satisfaisante à un double titre : elle intervient après la divulgation et elle a

128
un effet pervers dans la mesure où elle peut inciter certains au procès dans un but lucratif. Ces
sanctions civiles paraissent encore plus vaines quand on sait que les éditeurs prévoient dans
leur budget le coût des procès qu'ils subodorent. Il en restera ainsi tant que les sanctions ne
seront pas réellement dissuasives.
La dissuasion est une des finalités poursuivies par les sanctions pénales. C'est pourquoi,
l'article 9 a été complété par des dispositions pénales. L'article 226-1 du Code pénal
sanctionne, au titre des atteintes à la personnalité, l'atteinte à la vie privée. Il punit d'un an
d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende la captation de paroles prononcées à titre
privé ou confidentiel et le fait de fixer, enregistrer ou transmettre l'image d'une personne sans
son consentement. L'article 226-2 alinéa 2 prévoit la possibilité d'une autorisation tacite
puisqu'il présume le consentement des intéressés quand les actes incriminés ont été accomplis
à leur vu et su, sans qu'ils s'y soient opposés. Les dispositions pénales ne sanctionnent les
atteintes portées au droit au respect de la vie privée que si elles ont été réalisées selon
certaines modalités : enregistrement, captation d'images ou de paroles à l'insu de la personne.
Elles ne sont donc pas systématiques mais exceptionnelles.
Seules certaines circonstances, comme la gravité, peuvent justifier une atteinte à la vie privée
dont le respect peut céder devant un autre droit d'importance équivalente.

B) L'inévitable conflit de droits

La généralité de l'article 9 conduit à n'en admettre que restrictivement des exceptions. Celles-
ci renvoient en réalité à la définition de la vie privée et à la difficulté à établir une frontière
entre vie privée et vie publique. Que peut-on publier d'une personne, à titre d'information,
sans basculer dans l'indiscrétion qui est sanctionnée par l'article 9 ? La jurisprudence a dû
faire cohabiter deux droits, le droit au respect de la vie privée et le droit à l'information du
public. Elle a retenu la primauté du premier. En principe, on ne peut invoquer le souci
d'information pour justifier la divulgation d'éléments relevant de la sphère privée. Cette
divulgation est toujours subordonnée à une autorisation expresse et spéciale. Seule exception,
les tribunaux considèrent que l'autorisation devient tacite pour les personnes publiques se
trouvant dans un lieu public et dans l'exercice de leur activité publique (homme politique en
campagne électorale, artistes à une soirée de promotion...). Mais sommes-nous encore dans la
sphère de la vie privée ? Les critères de qualité de la personne, en termes de notoriété, de lieu
et d'activité servent à déterminer la délicate frontière entre les deux secteurs de la vie
publique ou privée, entre fait personnel et information. Si les critères sont connus, leur
appréciation n'en est pas pour autant toujours aisée. Qu'en est-il par exemple de la maladie
d'un président déjà République ? De plus, les événements relatés ne doivent l'être que dans un
seul but d'information, à l'exclusion de toute autre utilisation.
La frontière entre la vie privée et la vie publique est délicate à tracer, d'autant que ce qui
ressortit de la vie privée peut être licitement révélé par voie de presse en présence de faits
justificatifs qui ont été progressivement dégagés par la jurisprudence qu'elle peut englober les
activités professionnelles ou commerciales instaurant un flou dans la distinction entre vie
professionnelle et vie privée (CEDH 4 mai 2000), Dans ce sens la jurisprudence française
considère que l'employeur n'est pas autorisé à demander des informations relevant de la vie

129
privée au salarié lors de son embauche, sauf si cela est dans son intérêt (par exemple si la
personne est handicapée).
De même, il ne peut licencier le salarié sur un motif relevant de sa vie privée, sauf si cet
élément personnel lui cause un trouble caractérisé (Cass. soc., 17 avr. 1991). La Cour de
cassation a étendu ce droit au respect de l'intimité de la vie privée du salarié même sur son
lieu de travail.
Elle a affirmé que l'employeur ne peut prendre connaissance des messages personnels émis et
reçus grâce à un outil informatique. C'est dire que les courriers électroniques personnels,
même reçus ou envoyés depuis le lieu de travail, restent dans la sphère de la vie privée qui
échappe au contrôle de l'employeur (Cass. soc., 2 oct. 2001). Le développement des
techniques permet de recueillir de plus en plus facilement des informations relatives à la vie
privée des personnes (téléobjectifs de plus en plus puissants par exemple, smartphones
indiscrets...).
L'application de l'article 9 devrait permettre en toutes circonstances de sanctionner ceux qui
les utiliseraient sans l'autorisation des personnes concernées. Ce n'est pas toujours le cas, cer-
1' faines limites existent au droit au respect de la vie privée.
2 • Les limites du droit au respect de la vie privée
L'affirmation générale d'une protection de la vie privée ne suffit pas si celle-ci n'est pas
efficace. La vie privée ne sera respectée et protégée que si toutes les atteintes qui lui sont
portées font l'objet de sanctions. L'article 9 du Code civil prévoit certaines sanctions mais
dans des hypothèses restrictives posant la question de leur efficacité (A). Par ailleurs, le droit
au respect de la vie privée n'est pas un droit absolu. Il perd parfois le conflit avec des droits
concurrents (B).
A) L'efficacité contestable des sanctions des atteintes à la vie privée

L'article 9 prévoit des sanctions particulières au non-respect du droit à la vie privée.


Son alinéa 2 permet en effet au juge de « prendre toutes mesures, telles que séquestre, saisie
ou autres (suppression de certaines séquences d'un film), de nature à faire cesser une atteinte
à l'intimité de la vie privée. S'il y a urgence ces mesures sont prises selon la procédure du
référé ». Indubitablement, ces mesures exceptionnelles portent atteinte à la liberté
d'expression et de la communication par voie de presse en conduisant à la saisie d'un journal
ou son interdiction de diffusion. Elles ne peuvent intervenir qu'en cas d'atteinte « d'une
gravité telle qu'elle soit intolérable et irréparable, notamment, par l'allocation ultérieure de
dom-mages-intérêts ». D'aucuns signaleront le caractère redondant de la formule qui vise
l'atteinte à « l'intimité de la vie privée ». Il faut seulement comprendre que ces mesures,
destinées à faire cesser ou à empêcher le dommage, ne peuvent être décidées que de façon
tout à fait exceptionnelle. Cela signifie aussi, à l'inverse, qu'elles ne seront pas utilisées en cas
d'atteinte d'une extrême gravité.
On peut noter également que si de telles mesures sont parfois prononcées, elles se heurtent
souvent à une difficulté d'ordre pratique qui est de pouvoir procéder à la saisie de tous les
exemplaires de la publication non encore vendus, dans tous les points de vente. C'est poser !a

130
question de la possible réparation d'une atteinte à la vie privée. Comment réparer un tel
préjudice
? La loi prévoit l'octroi de dommages-intérêts sur le double fondement des articles 9 alinéa 1
er et 1382, devenu l’article 1240 du Code civil. Les atteintes étant établis il y a faute pour
violation d'un droit. Le préjudice reste ensuite à être évalué. Il l'est en fonction de plusieurs
facteurs comme la gravité de l'atteinte, l'audience de la publication, et l'attitude passée de
l'individu à l'égard de ce type d'atteinte. La réparation pécuniaire n'est pas satisfaisante à un
double titre : elle intervient après la divulgation et elle a un effet pervers dans la mesure où
elle peut inciter certains au procès dans un but lucratif. Ces sanctions civiles paraissent
encore plus vaines quand on sait que les éditeurs prévoient dans leur budget le coût des
procès qu'ils subodorent. Il en restera ainsi tant que les sanctions ne seront pas réellement
dissuasives.
La dissuasion est une des finalités poursuivies par les sanctions pénales. C'est pourquoi,
l'article 9 a été complété par des dispositions pénales. L'article 226-1 du Code pénal
sanctionne, au titre des atteintes à la personnalité, l'atteinte à la vie privée. Il punit d'un an
d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende la captation de paroles prononcées à titre
privé ou confidentiel et le fait de fixer, enregistrer ou transmettre l'image d'une personne sans
son consentement. L'article 226-2 alinéa 2 prévoit la possibilité d'une autorisation tacite
puisqu'il présume le consentement des intéressés quand les actes incriminés ont été accomplis
à leur vu et su, sans qu'ils s'y soient opposés. Les dispositions pénales ne sanctionnent les
atteintes portées au droit au respect de la vie privée que si elles ont été réalisées selon
certaines modalités : enregistrement, captation d'images ou de paroles à l'insu de la personne.
Elles ne sont donc pas systématiques mais exceptionnelles.

Seules certaines circonstances, comme la gravité, peuvent justifier une atteinte à la vie privée
dont le respect peut céder devant un autre droit d'importance équivalente.

B) L'inévitable conflit de droits

La généralité de l'article 9 conduit à n'en admettre que restrictivement des exceptions. Celles-
ci renvoient en réalité à la définition de la vie privée et à la difficulté à établir une frontière
entre vie privée et vie publique. Que peut-on publier d'une personne, à titre d'information,
sans basculer dans l'indiscrétion qui est sanctionnée par l'article 9 ? La jurisprudence a dû
faire cohabiter deux droits, le droit au respect de la vie privée et le droit à l'information du
public. Elle a retenu la primauté du premier. En principe, on ne peut invoquer le souci
d'information pour justifier la divulgation d'éléments relevant de la sphère privée. Cette
divulgation est toujours subordonnée à une autorisation expresse et spéciale. Seule exception,
les tribunaux considèrent que l'autorisation devient tacite pour les personnes publiques se
trouvant dans un lieu public et dans l'exercice de leur activité publique (homme politique en
campagne électorale, artistes à une soirée de promotion...). Mais sommes-nous encore dans la
sphère de la vie privée ? Les critères de qualité de la personne, en termes de notoriété, de lieu
et d'activité servent à déterminer la délicate frontière entre les deux secteurs de la vie
publique ou privée, entre fait personnel et information. Si les critères sont connus, leur
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appréciation n'en est pas pour autant toujours aisée, Qu'en est-il par exemple de la maladie
d'un président de la République ? De plus, les événements relatés ne doivent l'être que dans
un seul but d'information, à l'exclusion de toute autre utilisation.

La frontière entre la vie privée et la vie publique est délicate à tracer, d'autant que ce qui
ressortit de la vie privée peut être licitement révélé par voie de presse en présence de faits
justificatifs qui ont été progressivement dégagés par la jurisprudence. Hormis le
consentement de la personne représentée, il existe trois faits justificatifs faisant prévaloir le
droit à l'information sur le droit au respect de la vie privée : l'information légitime du public,
le caractère anodin de l'élément révélé ou parfois l'existence d'une divulgation antérieure. Si
un élément de la vie privée est en rapport suffisamment étroit avec un sujet d'intérêt général,
ou d'actualité, ou culturel, il peut être diffusé licitement par voie de presse. La Cour de
cassation considère également que les faits anodins (telles des digressions sur des détails
comme la vaisselle ou le papier de la chambre d'un enfant à venir) échappent à l'emprise de
l'article 9 du Code civil. Toute la difficulté réside dans l'appréciation du caractère anodin des
faits révélés. La Cour estime que le rappel d'une liaison antérieure au mariage annoncé n'a
pas un caractère anodin et constitue une atteinte à la vie privée. En revanche, des faits
notoires (à propos d'une naissance à venir alors que la mère est apparue à différentes
manifestations officielles sans cacher sa grossesse par exemple) échappent aussi au jeu de
l'article 9. Un dernier fait justificatif réside parfois dans la redivulgation d'un fait. La
jurisprudence estime que la redivulgation d'information n'est pas attentatoire à la vie privée.
Elle consacre le droit à l'oubli. Cependant, les tribunaux ne reconnaissent pas « en toutes
circonstances un pouvoir discrétionnaire de s'opposer à la redivulgation ». Ils apprécient si les
nécessités de l'information ne légitiment pas une redivulgation « sans faute ni abus ».

Plus récemment le droit au respect de la vie privée s'est trouvé en conflit avec le droit à la
preuve. La question est de savoir si une partie à un procès peut valablement utiliser des
preuves portant atteinte à la vie privée de son adversaire, comme un journal intime ou des
photographies. La question s'est posée notamment à propos des rapports des enquêteurs
privés qui sont amenés à constater des actes de la vie ordinaire tels que des déplacements, des
courses ou accompagner ses enfants à l'école. Pour la Cour de cassation, le droit à la preuve
justifie la production d'éléments portant atteinte à la vie privée « à la condition que cette
production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but
poursuivi ». Selon les circonstances, la production de correspondances amoureuses ou
d'enregistrements vidéo de scènes quotidiennes dans des espaces publics, réalisés par des
détectives privés engagés par un assureur sera acceptée ou refusée. Cette incertitude rend
encore plus difficile de tracer avec précision les contours du droit au respect de la vie privée
de chacun.

132
Vous traiterez le sujet suivant :
<< Les atteintes au droit à l’image >>
OBSERVATION DU CORRECTEUR
Attention ai sujet qui est restrictif : il ne s’agit pas du droit à l’image mais de ses atteintes
uniquement.
Le plan classique peut-être retenu : 1. Les atteintes / 2. Les sanctions ou 1. Les atteintes / 2.
Les limites. Ce qui revient à traiter des atteintes injustifiées et de celles qui ne seront pas
sanctionnées parce qu’elles sont légitimes.
Chaque personne a droit à ce que son image ne soit ni réalisée, ni reproduite, ni publiée sans
son autorisation par des tiers. C’est ce que l’on appelle le droit à l’image. Chacun a un droit
exclusif sur son image, c’est-à-dire le pouvoir d’autoriser ou non qu’une photographie en soit
prise ainsi que le droit d’autoriser ou non l’utilisation et l’exploitation de son image.
Ce droit à l’image révèle cependant une certaine ambivalence parce qu’il peut être invoqué
aussi bien pour protéger sa personne que pour défendre son droit exclusif d’exploiter
commercialement son image. Il existe notamment un phénomène de patrimonialisation du
droit à l’image. Toute personne peut céder le droit d’utiliser son image par contrat contre une
rémunération dès lors que les clichés reproduisant son image sont décrits et strictement
précisés dans le contrat.
Considéré comme une manifestation du droit au respect de la vie privée, le droit à l’image est
devenu un droit de la personnalité à part entière. Son régime n’en demeure pas moins calqué
sur celui du droit au respect de la vie privée en ce qui concerne ces titulaires et sa portée. Le
droit à l’image est ainsi reconnu à toute personne physique, quel que soit le lieu, public ou
privé, où elle se trouve principalement photographiée ou filmée. Enfin, tout comme le droit
au respect de la vie privée, le droit à l’image n’est pas un droit absolu. Il connait un certain
nombre d’exceptions. Toute utilisation sans le consentement de la personne concernée est
donc constitutive d’une atteinte injustifiée (1). En revanche, le droit de s’opposer à
l’utilisation de son image comporte des limites qui sont autant d’atteintes justifiées (2).
1- Les atteintes injustifiées
La reconnaissance d’un droit à l’image se traduit par l’interdiction d’utiliser l’image d’une
personne sans son autorisation Ainsi des sanctions sont prévues (B) si les limites sont
franchies (A).
A) Les limites du droit à l’image
L’utilisation et l’exploitation de l’image d’une personne sans son autorisation présente
l’hypothèse habituelle de l’atteinte au droit à l’image. Par principe, le prise et l’utilisation de
l’image d’autrui nécessite une autorisation. L’autorisation doit être spéciale c’est-à-dire que
l’image ne pourra être utilisée dans un autre but que celui initialement indiqué et pour lequel
elle a été obtenue.
L’atteinte à la dignité de la personne objet de la reproduction est autre atteinte injustifiée,
pour ne pas dire injustifiable, à son image. Il est défendu d’exploiter l’image d’une personne
préjudiciable à sa dignité. Deux droits sont en jeu : le droit à l’image et le droit à la dignité.

133
La cour de cassation opère alors un contrôle du respect de la dignité des personnes
représentées pour autoriser ou non la divulgation sans leur consentement, de leur image
lorsqu’elles participent à l’actualité ou à un débat d’intérêt général. Si la photographie est
dégradante pour la personne et n’ajoute rien à l’information délivrée par le texte (à propos de
la publication de la personne blessée ou décédée par exemple), l’autorisation redevient
nécessaire à sa diffusion. Les juges sanctionnent ainsi l’information <<voyeuristes>> ou la
recherche de sensationnel. La cour européenne des droits de l’Homme valide le raisonnement
selon lequel ce qui peut licitement se dire ne doit pas forcement être montré. La publication
d’une photographie, dans le cadre d’un débat d’intérêt général trouve notamment ses limites
dans le respect de la dignité humaine et la prise en considération de la souffrance des proches.
B- Les sanctions des atteintes
Les sanctions sont essentiellement civiles. Bien qu’il s’agisse d’un droit extrapatrimonial, les
tribunaux sanctionnent les atteintes au droit à l’image par dommages-intérêts destinés à
réparer le préjudice moral subi par l’intéressé. Si le dommage est d’une gravité particulière
(l’alinéa 2 de l’article 9 du Code Civil visant à l’atteinte à l’intimité de la vie privée), le juge
peut ordonner, au besoin sous astreinte, des mesures pour qu’il soit mis fin au comportement
illicite ou qu’il soit empêché. Il peut s’agir de la saisie d’un journal.
Aujourd’hui, les atteintes à l’image se multiplient sur internet et les réseaux sociaux. La cour
de justice de l’union européenne dans une désormais célèbre décision du 13 Mai 2014 (dite
Google Spain) a octroyé aux internautes européens un droit à l’oubli numérique, c’est-à-dire
le droit de demander au moteur de recherche de cesser de renvoyer leur résultat vers des
pages contenant des informations personnelles qu’ils ne souhaitent plus être accessible au
public. Cette jurisprudence s’applique à l’image. Les personnes disposent d’un droit à
demander le déréférencement d’image préjudiciable à leur considération ou leur dignité. Les
demandes de déréférencement ou suppression des liens litigieux peuvent donc être adressés
au moteur de recherche. En cas de refus de leur part, les internautes français, en invoquant les
dispositions de la loi informatique et liberté (traitement illicite de données à caractère
personnel, droit d’opposition), peuvent s’adresser à CNIL (commission nationale de
l’informatique et des libertés) ou saisir les autorités judiciaires pour exiger la désindexation.
Des sanctions pénales sont également possibles. L’article 226-1 du code Pénal sanctionne le
faite de fixer, enregistrer ou transmettre l’image d’une personne se trouvant dans un lieu
privé. L’article 226-2 du réprime le faite de conserver, porter ou laisser porter à la
connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout
enregistrement ou document ainsi obtenu.
2 Les atteintes justifiées
La finalité poursuivie et les conditions d’utilisation de l’image justifient certaines atteintes à
l’image. Le droit de l’image comme tout droit de la personnalité est un droit relatif qui
s’exerce concurremment à d’autres, comme le droit à l’information du public (A) et le droit à
la preuve (B).
A) Le droit à l’image et le droit à l’information
Le droit à l’information est garanti par l’article de la convention européenne des droits de
l’homme relatif de liberté d’expression et de communication. Les journalistes doivent
pouvoir illustrer leurs articles et le public doit être informé. C’est pourquoi les nécessités de

134
l’information justifient la publication de la photographie d’une personne sans son
consentement. Il le faut lorsqu’il s’agit d’un évènement d’actualité ou historique et sous
réserve du respect de la dignité de la personne. La liberté de l’image en admettant l’existence
pour les journalistes et les auteurs en général d’un libre choix des illustrations d’un << débat
de société>>. Ainsi la cour d’appel de Paris, le 5 février 2015 a considéré que la publication
de photo d’une ministre de gouvernement prouvant qu’elle était à l’île Maurice alors que son
ministère avait publié un démenti relatif à cette information n’est pas illicite et illustre de
manière pertinente le propos à savoir la dénonciation du caractère mensonger de la
communication ministérielle.
Le lieu de la photographie peut aussi justifier la publication d’une image. Si le cliché a été
pris dans un lieu public et que la personne n’y figure qu’à titre accessoire l’utilisation de
l’image est possible. La reproduction d’un lieu public (rue, plage, stade) ne peut être
subordonnée de chacune des personnes présentes. La présence d’une personne dans un lieu
public n’emporte nécessairement l’acceptation par elle d’une publication de la photographie
qui aura pu en être prise. Les tribunaux considèrent ainsi une photo isolée d’un enfant prise
au cours d’une manifestation folklorique constitue une violation de son droit à l’image. Ces
règles expliquent que les sociétés de télévisions ou de presses sollicitent l’autorisation des
personnes filmées ou photographiées ou masquent leur visage lorsqu’elles déterminées.
L’autorisation devient tacite pour les personnes physiques se trouvant dans un lieu public et
dans l’exerce de leur activité publique (les trois conditions sont cumulatives car la vie privée,
y compris, d’une célébrité, peut se dérouler dans la rue). Mais l’utilisation est limitée à un but
d’information. La cour de cassation opère un contrôle de la dignité des personnes
représentées pour autoriser ou non la divulgation, sans leur consentement, de leur image
lorsqu’elles participent à l’actualité. Si la photographie est <<dégradante pour la personne et
n’ajoute rien à la libre et nécessaire information délivrée par le texte>>, l’autorisation
redevient nécessaire à sa diffusion.
B) Le droit à l’image et le droit à la preuve
Au nom du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la convention européenne des
droits de l’homme, il est admis que chaque partie du pouvoir fait la preuve d’un élément de
fait essentiel pour le succès de ses prétentions. C’est ce que l’on appelle le droit à la preuve.
Or, droit à la preuve et droit à la vie privée sont souvent en conflit. Les parties peuvent être
tentées d’utiliser des preuves portant atteintes à la vie privée de leur adversaire, comme un
journal intime ou des photographies. La question s’est posée notamment à propos des
rapports des enquêteurs privés qui sont amenés à constater des actes de la vie ordinaire tels
des déplacements, des courses ou accompagner ses enfants à l’école. Pour la cour de
cassation le droit à la preuve justifie la production d’élément portant atteinte à la vie privée à
condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit
proportionnée au but poursuivi. Selon les circonstances, la production de correspondance
amoureuse ou d’enregistrement vidéo de scène quotidienne dans des espaces publics réalisés
par des détectives privés engagés par un assureur sera acceptée ou refusée si l’atteinte est
disproportionnée en raison de son ampleur et de sa durée.

Commentez l’arrêt suivant

135
Cassa 1er Civ. 25 février 2016, n’ 15-12403
LA COUR : - Sur le premier et deuxième moyen pris en leur première chambre, qui sont
rédigés en des termes identiques, réunis : - Vu l’article 9 du Code Civil, ensemble les articles
6 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et
9 du Code de procédure civile : - Attendu que le droit à la preuve ne peut justifier la
production d’élément portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production
soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but suivant ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. L. a été victime, le 23 septembre 2001, d’un accident
corporel, la charpente surplombant le puits qu’il réparait au domicile de Mme P. s’étant
effondrée sur lui ; qu’il a invoqué, au cours des opérations d’expertise judiciaire diligentées à
sa demande, des troubles de la locomotion ; que, contestant la réalité de ces troubles, Mme P.
et son assureur, la société Mutuelles du Mans assurances, ont, à l’occasion de l’instance en
indemnisation du préjudice en résultant, produit quatre rapport d’enquête privée ; - attendu
que, pour rejeter la demande tendant avoir écarter des débats ces rapports, avoir considéré
irrecevable ou non probants certains des éléments d’informations recueillis par l’enquêteur
auprès de tiers, l’arrêt relève que chacune des quatre enquêtes privées a été de courte durée et
que les opérations de surveillance et de filature n’ont pas, au total, dépasser quelque jours, de
sorte qu’il ne saurait en résulter une atteinte disproportionnée au respect dû à la vie privée de
M. L. ; qu’en statuant ainsi, tout en relevant que les investigations, qui s’étaient déroulés sur
plusieurs années, avaient eu une durée allant de quelques jours à près de deux mois et avaient
consistés en des vérifications administratives, un recueil d’informations auprès de nombreux
tiers, ainsi qu’en la mise en place d’opération de filature et de surveillance à proximité du
domicile de l’intéressé et lors de ses déplacements, ce dont il résultait que, par leur durée et
leur ampleur, les enquêtes litigieuses, considérées dans leur ensemble, portaient une atteinte
disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. L., la cour d’appel n’a pas tiré les
conséquences légales de ses propres constatations et violé les textes susvisés ;
Par ces motifs et sans qu’il ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, casse et annule,
mais seulement en ce qu’il refuse d’écarter des débats les pièces VI, 8,9 et 23 n’est pas
imputable à la l’accident du 23 septembre 2011, rejetant ainsi la demande de L .M . au titre
des défenses de sante future , et ce qu’il rejette la demande d’indemnité présentée par les
postes ˂˂frais de logement adapter˃˃ , la règle rendu le 09 avril 2013 , entre les parties , par
la cour d’appel de Caen ; remet, en conséquence , sur ces points, la cause et les parties dans
l’état ou elle se trouvait avant ledit arrêt et , pour être fais droit , les renvoie devant la cour
d’appel de Rouen ; condamne Mme P . et la société de Mans assurance au dépens ; vu
l’article 700 du code de procédure civile , rejette les demandes >>.
Décision attaquée : Cour d’appel de Caen 1ère chambre civile 09-04-2013 (cassation partielle)
Recommandation :
-Etablir au brouillon la fiche d’arrêt qui identifie les faits, la procédure, le ou les problème(s)
de droit, les thèses en présences et la solution retenue.
- Pour compléter la correction, lire le commentaire sous Cass 1 ère Civ. 25 février 2016, n 15-
12403 : << droit à la preuve versus droit au respect de la vie privée>> J.-Ch. Saint-Pau, D.
p.884.

136
Le droit à la vie privée peut-il faire échec au droit au respect de la vie privée ? Telle est la
question posée par l’arrêt rendu par la première chambre civile de Cassation le 25 février
2016.
Dans cette affaire, toute personne victime d’un accident lors des travaux réalisés au domicile
d’un tiers demandait une indemnisation des troubles de la locomotion qu’elle prétendait subir.
Le client et sa compagnie d’assurance contestaient la réalité de ces troubles en produisant
quatre rapports d’enquêtes privés (dont on suppose qu’ils révélaient que la victime était
capable de se déplacer normalement). La victime demandait que ses documents soient écartés
des débats au motif qu’il portait atteinte de façon disproportionnée à sa vie privée. La cour
d’Appel de Caen, le 9 Avril 2013, a rejeté sa demande au motif que les investigations ne
portaient pas selon elle une telle atteinte. La cour de cassation casse sur cette question, l’arrêt
de la cour d’appel lui reproche de ne pas avoir tiré les conséquences de ces propos
constatations, à savoir la durée et l’ampleur des enquêtes qui, considérées dans leur ensemble,
portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
La question se posait donc de l’admission d’une preuve portant atteinte au droit au respect de
la vie privée. Elle n’est pas nouvelle. Elle se pose notamment à propos des rapports des
enquêteurs privés auxquels les assureurs ont recours pour prouver une fraude à l’assurance de
leurs assurés. Ces enquêteurs sont amenés à constater des actes de la vie ordinaire comme des
déplacements, des courses ou des travaux. Ces rapports sont fondés sur des opérations de
surveillance et de filature ou donnent lieu à des photographies et des enquêtes de voisinages,
au tour d’actes potentiellement déloyaux et attentatoires à la vie privée de la personne
observée. Entre le droit à la preuve de l’un et le droit au respect de la vie privée, lequel de ces
droits doit-il l’emporter ?
L’arrêt du 25 février 2016 présente un double intérêt : tout en confirmant l’existence d’un
droit à la preuve (1), il en précise les contours en indiquant à quelles conditions il peut
justifier une atteinte au droit au respect de la vie privée (2).
1- Le droit à la preuve réaffirmé
Proposé par la doctrine, le droit à la preuve a été progressivement reconnu par la
jurisprudence particulièrement face au droit au respect de la vie privé, y compris le droit à
l’image (A). L’arrêt se situe dans le droit fil de cette jurisprudence confirmant l’existence du
droit à la preuve (B).
A) L’émergence du droit à la preuve
Le droit à la preuve est issu d’une construction doctrinale de Gény, dès le début du XXème
siècle. Plus tard Goubeaux l’appréhendera comme un droit contre l’adversaire sous deux
aspects : le droit de produire ses preuves et le droit d’obtenir des preuves. Depuis, la doctrine
s’intéresse à ce nouveau droit objectif et notamment à son articulation avec les autres droits.
En effet, inévitablement, ce droit se heurte à d’autres droits antinomiques et en particulier le
droit au respect de la vie privée.
Le droit à la preuve apparait dans les premiers, au sein de la jurisprudence européenne. Celle-
ci a considéré que le principe de l’égalité des armes résultant du droit à un procès équitable
garanti par l’article 6 de la convention européenne des droits de l’Homme implique que
chaque partie doit pouvoir faire la preuve d’un élément de fait essentiel pour le succès de ses
prétentions. Notamment, pour la cour européenne des droits de l’Homme les articles 259 et
137
suivants du Code Civil, admettant la recevabilité de certaines preuves portant atteinte à la vie
privée constituent une ingérence destinée à la protection du droit à la preuve du conjoint au
fin de faire triompher ses prétentions.
Dans un deuxième temps les juges français ont admis également l’existence du << droit à la
preuve>>. Ils considérés qu’en tant qu’expression du droit à un procès équitable, il puisse
l’emporter sur le droit au respect de la vie privée. Ainsi, dans l’arrêt capital du 05 Avril 2012
la cour de cassation a cassé l’arrêt ayant refusé de prendre en compte une lettre trouvée par
un hériter dans les papiers de son père et établissant une donation, pour atteinte au secret des
correspondances. Elle a reproché aux juges du fond de n’avoir pas recherché si la production
litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux
intérêts antinomiques en présence.
Se faisant, la cour de cassation a consacré un droit << à la preuve >> conçue comme une
limite à l’exigence de loyauté de la preuve. Ce nouveau droit subjectif a pour vocation à
entrer en conflit avec d’autres droits fondamentaux, en particulier, le droit au respect de la vie
privée.
Sur les mêmes fondements que l’arrêt de 2012, l’arrêt du 25 février 2016 présente l’intérêt de
confirmer explicitement le droit à la preuve.
B) La confirmation du droit à la preuve
L’arrêt du 25 février 2016 n’est pas novateur mais apparait sous la forme d’un arrêt de
principe confirmant de façon explicite l’existence du droit à la preuve.
Au visa des articles 9 du Code Civil et 6 et 8 de la convention européenne des droit de
l’Homme, la cour de cassation a précisé que << le droit à la preuve ne peut justifier la
production d’élément portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production
soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but
suivant>>. Le premier membre de la phrase conduit à confirmer, à contrario, que le droit à la
preuve peut, sous certaines conditions, justifier la production d’éléments portant atteinte à la
vie privée. La formule est conforme à l’article 6 de la convention européenne des droits de
l’Homme. Le droit à un procès équitable permet à chaque partie de présenter ses preuves dans
des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantages par rapport à son
adversaire. La formule est ainsi conforme à l’article de la convention européenne des droits
de l’Homme qui admet l’ingérence dans l’exercice du droit de la vie privée dès lors qu’elle
est prévue par la loi, nécessaire dans une société démocratique à la poursuite d’un but
légitime et proportionné.
Ainsi dans cet arrêt, ce n’est pas le principe des enquêtes qui est critiqué mais leurs mobilités
d’exercice qui sont contestées. C’est l’occasion pour la cour de cassation d’apporter des
précisions sur celles-ci.

2- Les conditions du droit à la preuve précisée


Dès l'arrêt fondateur du 5 avril 2012, la Cour de cassation a subordonné l'admissibilité d'une
preuve portant atteinte au droit au respect de la vie privée à deux conditions. L'arrêt à
commenter rappelle ces deux conditions tout en les précisant : la production de la preuve

138
litigieuse doit être indispensable (A) et l'atteinte portée à la vie privée doit être proportionnée
au but poursuivi (B).
A) La nécessité de la preuve litigieuse
Selon l'arrêt commenté, « le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments
portant atteinte à la vie privée que si leur production est indispensable à l'exercice de ce droit
». Ainsi, conformément à la jurisprudence antérieure, l'arrêt subordonne le droit à la preuve à
une première condition : la production de la preuve attentatoire au droit au respect de la vie
privée doit être « indispensable » à la résolution du litige.
Cette condition se conçoit aisément. Le droit à la preuve permet d'éluder la condition de
loyauté de la preuve. Il rend admissible une preuve attentatoire à d'autres droits. Cette
exception ne vaut qu'à défaut de preuve loyale. Si le demandeur a à sa disposition d'autres
instruments de preuve, respectueux des droits d'autrui, il doit les présenter en priorité. Il n'y a
plus de raison de déroger à l'exigence de loyauté de la preuve. L'atteinte à la vie privée n'est
pas nécessaire si le fait peut être rapporté par un autre moyen. En pratique, il n'y a aucun
intérêt à invoquer une preuve susceptible d'être contestée et dont l'admission est subordonnée
à l'appréciation des juges, si la partie dispose d'une autre preuve.
En l'espèce on peut supposer que la compagnie d'assurance ne disposait d'aucun autre moyen
de contester la réalité des préjudices invoqués par la victime. Cela ne suffit pas à justifier
l'atteinte à la vie privée. La preuve litigieuse doit non seulement être indispensable mais aussi
« proportionnée au but poursuivi ».
B) La proportionnalité de l'atteinte à la vie privée
Les juges ne peuvent accepter comme preuves que celles qui portent une atteinte à la vie
privée qui son proportionnée au but recherché, c'est-à-dire à la preuve du fait litigieux.
Le critère de proportionnalité est source d'insécurité juridique en raison de son imprécision et
de sa subjectivité. Tant que le juge n’a pas statué sur l’admissibilité de la pièce querellée, les
parties ignorent si l'atteinte portée à la vie privée sera jugée proportionnée ou non. Elles sont
alors dans l'incertitude quant aux éléments de preuve sur lesquels elles pourront se fonder.
Selon les circonstances, les rapports des détectives privés engagés par un assureur peuvent
être acceptés ou refusés. Ainsi, dans une affaire similaire à celle du 25 février 2016, la Cour
de cassation, le 10 septembre 2014, a au contraire jugé que l'atteinte portée au droit au respect
de la vie privée par l'enquêteur privé était proportionnée.
En l'espèce, les faits révèlent que les enquêtes privées réalisées à la demande de la compagnie
d'assurance se sont « déroulées pendant plusieurs années » et ont « consisté en des
vérifications administratives, un recueil d'informations auprès de nombreux tiers, ainsi qu'en
la mise en place d'opérations de filature et de surveillance à proximité du domicile de
l'intéressé et lors de ses déplacements ». La cour d'appel de Caen n'a pas estimé pour autant
que l'atteinte à la vie privée fût disproportionnée car elle a apprécié isolément chaque
enquête. Elle considère que « chacune des quatre enquêtes a été de courte durée et que les
opérations de surveillance et de filature n'ont pas au total dépassé quelques jours ». C'est ce
que lui reproche la Cour de cassation. La haute cour en effet, conclut que « par leur durée et
leur ampleur », ces investigations « portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect
de la vie privée » de la victime. L'arrêt précise ainsi qu'il faut apprécier l'étendue temporelle

139
et matérielle (leur durée, la nature privée ou publique du lieu de l'enquête, la nature des actes
accomplis...) des enquêtes « considérées dans leur ensemble ». Mises bout à bout, ces
enquêtes qui avaient duré plusieurs années apparaissent bien, selon ces nouveaux critères,
disproportionnées aux nécessités de la preuve. Même si on devine que toute prévisibilité est
impossible à atteindre, l'arrêt du 25 février 2016 aura apporté des précisions utiles à la mise
en œuvre du droit à la preuve.
Même si on devine que toute prévisibilité est impossible à atteindre, l’arrêt du 25 février 2016
aura apporté des précisions utiles à la mise en œuvre du droit à la preuve.

Vous traiterez le sujet suivant :


« La preuve de l'acte juridique »
Le sujet proposé aborde un thème récurrent de droit de la preuve, celui de « la preuve des
actes juridiques » qui est souvent donné en dissertation. Plus précisément se pose la question
de l'admissibilité des modes de preuve d'un acte juridique.
Dans sa formulation, le sujet est classique. Il appelle à traiter du principe qui devient celui de
la preuve par écrit et de ses exceptions. Il peut en ressortir un plan type (principe /
exceptions), même s'il faut avoir conscience que les plans d'idée sont valorisés. Néanmoins, il
vaut mieux un plan classique qu'un plan d'idée « forcé ».
« Idem non esse et non probari ». Autrement dit, « c'est la même chose que de ne pas être ou
de ne pas être prouvé ». L'enjeu de la preuve est essentiel.
Il existe en droit français deux systèmes de preuve différents : le système de preuve légale et
le système de preuve libre. Dans le premier système, le législateur détermine quels sont les
moyens de preuve admis et à quelles conditions. La loi précise leur force probante et le juge
est obligé de les accepter, sans pouvoir exercer son pouvoir d'appréciation. Dans le système
de la preuve libre, les parties ont la liberté de prouver la situation juridique par tout moyen de
preuve et les juges disposent de leur pouvoir d'appréciation. Ils peuvent ainsi accepter ou
écarter les preuves apportées par les parties. Le droit commercial et particulièrement le droit
pénal sont régis par ce système. En matière civile, le système de preuve est plus complexe.
L'Ancien droit reconnaissait des modes de preuve qui faisaient appel aux superstitions ou
aux sentiments religieux comme les ordalies ou les jugements de Dieu. Ainsi, considérait-on
le témoignage comme la preuve la plus fiable, les témoins redoutant le parjure (« les témoins
passent lettres »). L'affaiblissement de l'esprit religieux associé au développement de
l'alphabétisme et des contrats consensuels réalisés en l'absence de témoins a conduit à
préférer la preuve écrite aux témoignages. Et alors qu'en droit anglais la preuve normale est
restée la preuve testimoniale, l'Ordonnance de Moulins de 1566 a posé en France la règle de
la preuve par écrit des actes juridiques. L'acte juridique résultant d'une manifestation
délibérée de volonté, il est possible d'exiger des parties qu'elles en pré-constituent la preuve
par un écrit. La rédaction d'un écrit n'est pas exigée comme condition de validité de l'acte
comme pour les contrats solennels, mais comme règle de preuve, sans influence sur la
validité du contrat. En revanche la preuve des faits juridiques est gouvernée par le système de
la preuve libre. Ces événements auxquels la loi attache des effets juridiques sont
imprévisibles, rendant impossible d'établir une preuve préconstituée. C'est le cas notamment,

140
des délits et quasi-délits, sources de responsabilité. Leur preuve se fait alors par tous moyens,
hormis certains faits juridiques, comme l'état des personnes (la naissance ou le mariage par
exemple) dont la preuve est spécialement réglementée.
Ainsi le droit civil est gouverné par un système mixte : la preuve par écrit des actes juridiques
et la preuve libre pour les faits juridiques. L'ordonnance n° 2016-131 du .10 février 2016
portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations n'a
pas remis en cause cette dualité. Certes, l'article 1358, en disposant que « hors les cas où la
loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen », pose le principe de la
liberté de la preuve des faits comme des actes juridiques. La preuve est libre, sauf exception
posée par la loi. Or, pour les actes juridiques, l'exception devient la règle. Plus précisément,
l'article 1359 impose un écrit pour prouver un grand nombre d'actes juridiques. Il pose en
effet le principe de la preuve écrite des actes juridiques portant sur une somme ou une valeur
excédant 1 500 euros.
Pourtant, les parties à un acte ne sont pas toujours de bonne foi et, selon les circonstances, en
possession d'un écrit qui permette d'en prouver l'existence et le contenu. C'est pourquoi, la
règle de la preuve écrite a toujours été assortie d'exceptions. Celles-ci ont été modifiées ou
introduites par la loi du 12 juillet 1980 et reprises par la réforme de 2016.
Ainsi, tout en affirmant le principe de la liberté de la preuve, le législateur main-tient-il le
principe de la preuve par écrit des actes juridiques (1) assorti toutefois de nombreuses
exceptions (2).
1 • Le principe de la preuve par écrit de l'acte Juridique
Pour la plupart des actes juridiques, ceux d'une importance relative (supérieure à 1 500
euros), le législateur français pose le principe de l'exigence d'une preuve littérale (A). Qui
plus est, il ne peut pas s'agir de n'importe quel écrit : les actes instrumentaires sont les écrits,
authentiques ou sous signature privée, dressés spécialement afin de servir de preuve (B).
A) Le contenu du principe
Le principe de la preuve écrite des actes juridiques énoncé à l'article 1359 du Code civil
comporte deux aspects. D'une part, l'acte doit être constaté par écrit en vue de sa preuve,
d'autre part, dans un souci de correspondance des formes, la preuve contraire à un écrit ne
peut être faite que par un autre écrit.
Le législateur civil pose l'obligation de prouver par écrit les actes excédant une certaine
somme ou valeur. Auparavant, le Code civil fixait lui-même le montant. Depuis la loi du 12
juillet 1980, la détermination du montant relève d'un décret. Il est depuis le 1 er janvier 2005
de 1 500 euros.
Cette obligation a un domaine d'application délimité par la loi. Seule la preuve de l'existence
et du contenu de l'acte doit être faite par écrit. Les circonstances qui ont pu entourer la
conclusion de l'acte ou son exécution sont des faits dont la preuve peut être rapportée par tous
moyens. La règle de la preuve écrite ne s'applique aussi qu’aux parties et non aux tiers qui
voudraient prouver l’existence et le contenu de l’acte. Evidemment, à contrario, la règle ne
s’applique pas aux actes juridiques inférieurs à 1500 euros dont la preuve est libre. En, le
Code civil précise qu’il n’est pas possible d’échapper à l’exigence d’une preuve par écrit pour

141
celui qui restreint sa demande ou fonctionne sa demande pour parvenir à une somme
inférieure au seuil de 1500 euros.
L'alinéa 2 de l'article 1359 précise qu'a il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit
établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n'excède pas (1 500 euros), que
par un autre écrit sous signature privée ou authentique ».
Ce second aspect du principe de la preuve écrite des 'actes juridiques traduit la hiérarchie
établie par la loi entre les modes de preuves : les preuves imparfaites, c'est-à-dire celles qui
sont soumises à l'appréciation des juges du fond, comme les témoignages ou les
présomptions, ne prévalent pas contre un écrit, preuve parfaite imposée par la loi au juge.
B) Les écrits admis comme preuve de l'acte juridique
Le mot acte peut être utilisé dans deux sens distincts. Dans un premier sens, il correspond à
une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit (negotium). Dans son
second sens, il désigne le document écrit établi en vue de constater cette manifestation de
volonté (instrumentum). Pour être valablement prouvés, les actes juridiques (negotium)
doivent être constatés dans un écrit (instrumentum) qui aura été rédigé lors de leur
conclusion.
Depuis la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000, portant « adaptation du droit de la preuve aux
technologies de l'information et relative à la signature électronique », le Code civil propose
une définition de l'écrit à l'article 1365.11 s'agit d'une « suite de lettres, de caractères, de
chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quel que
soit leur support ». Cette nouvelle définition permet d'admettre à titre d'écrit non seulement
des documents manuscrits mais aussi des documents électroniques.
L'article 1359 précise que l'acte juridique supérieur à 1 500 euros doit être « prouvé par écrit
sous signature privée ou authentique ». L'article 1364 abonde en indiquant que « la preuve
d'un acte juridique peut être préconstituée par un écrit en la forme authentique ou sous
signature privée ».
L'acte authentique est l'acte dressé sous une forme solennelle, par un officier public, notaire,
huissier ou greffier, et qui, pour cette raison, offre un maximum de garantie. 11 est doté d'une
force probante exceptionnelle puisqu'il fait foi jusqu'à inscription de faux. L'acte sous
signature privée représente l'écrit signé par les parties sans intervention d'un officier public. À
défaut de sécurité totale, ce dernier offre le double avantage de la rapidité et de la simplicité,
aucune condition de forme n'étant requise, à l'exception de la signature manuscrite des
parties. En revanche, deux exigences supplémentaires peuvent exister. Premièrement, lorsque
l'écrit constate un contrat I conclu entre au moins deux personnes, l'article 1375 exige que
l'acte sous signature privée soit rédigé en autant d'exemplaires que de parties signataires.
Deuxième-> H ment, lorsqu'il s'agit d'un acte comportant un engagement de payer une
somme d'argent, selon l'article 1376,11doit porter « la mention, écrite par celui qui s'engage,
de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres », cette formalité ayant pour but
d'empêcher toute tentative de falsification.
La force probante d'un acte sous signature privée est plus fragile. S'il fait pleine foi de la
convention qu’il renferme, il suffit que l’une des parties conteste sa signature ou celle de
l'autre pour que l'acte perde sa force probante.

142
La loi du 13 mars 2000 a permis d'admettre la validité et la force probante de ces deux actes,
authentiques ou sous signature privée, réalisés sous forme électronique. Une autre extension a
été introduite par la réforme de 2016 admettant que la copie d'un acte a désormais la même
force probante que l'original à condition d'être fiable, l'appréciation de la fiabilité étant laissée
au juge. Toutefois, si l'original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée.
Quelle que soit la nature de l'écrit, écrit ou électronique, original ou copie, son exigence reste
lourde pour les parties. C'est pourquoi des tempéraments ont été apportés au principe de la
preuve par écrit des actes juridiques.
2 • Les tempéraments au principe de la preuve par écrit
Le Code civil prévoyait dès l'origine deux exceptions à l'obligation de prouver par écrit un
acte juridique : l'existence d'un commencement de preuve par écrit et l'impossibilité de
preuve écrite. La loi du 12 juillet 1980 avait ajouté une autre dérogation, celle qui autorise la
présentation d'une « copie fidèle et durable » en lieu et place de l'écrit original. La copie est
admise désormais en tant qu'écrit. L'ordonnance de 2016 a également admis la possibilité de
« contrats sur la preuve qui permettent aux parties de déroger aux dispositions sur la preuve
en déterminant librement les procédés de preuve de leurs obligations.
Le Code civil contient aujourd'hui deux dispositions qui réunissent les exceptions au principe
de la preuve par écrit de l'acte juridique. Dans l'une, il envisage les circonstances qui ont
rendu impossible de se procurer un écrit et autorisent alors le recours à d'autres moyens de
preuve (A). Dans l'autre, il énumère les modes de preuves qui peuvent suppléer à l'écrit,
quelles que soient les circonstances (B).
A) L'Impossibilité de se procurer un écrit
L'article 1360 du Code civil prévoit la possibilité d'invoquer n'importe quelle autre preuve
quand le plaideur est dans l'impossibilité de produire un écrit soit parce que l'acte
instrumentaire n'a jamais pu être établi, soit parce qu'il a ensuite été perdu.
L'article contient une première dérogation au principe de la preuve écrite lorsqu'il a été
impossible de se procurer une preuve écrite, que ce soit pour des raisons matérielles ou
morales. L'impossibilité matérielle tient aux circonstances dans lesquelles l'acte juridique est
intervenu (par exemple l'écrit n'est pas exigé si une partie est incapable d'écrire).
L'impossibilité morale permet de prendre en considération les relations de famille, un lien de
subordination ou d'affection voire d'amitié. Les juges du fond apprécient au cas par cas la
réalité de cette impossibilité que le demandeur devra prouver par tout moyen.
L'article 1360 fait également exception à l'exigence d'une preuve par écrit, s'il est d'usage de
ne pas établir d'écrit (à titre d'exemple, pour la vente d'un animal lors d'une foire). L'usage ne
faisait pas partie avant la réforme de 2016 des causes d'impossibilité de se procurer un écrit
prévu par la loi mais était admis par la jurisprudence.
L'article 1360 vise enfin l'hypothèse dans laquelle un écrit a bien été établi mais a été perdu,
dans des circonstances qui ne sont pas imputables à celui qui invoque sa disparition, c'est-à-
dire en cas de perte de l'original par force majeure (il serait trop facile de détruire
volontairement un acte pour échapper à l'obligation légale de le présenter à titre de preuve).
Pour bénéficier de la liberté de la preuve, le plaideur devra démontrer la force majeure qui a
conduit à la perte du document et établir l'existence antérieure du titre. C'est parce qu'un titre

143
a été établi puis perdu que la loi autorise de recourir à d'autres preuves. Hors ces
circonstances, le législateur a prévu la possibilité de suppléer à l'écrit par d'autres moyens de
preuve.
B) Les moyens de suppléer l'écrit
Le Code civil envisage, dans un deuxième temps, les hypothèses dans lesquelles le plaideur
peut prouver l'acte juridique en remplaçant l'écrit par un mode de preuve jugé équivalent.
L'article 1361 réunit plusieurs exceptions auparavant disséminées dans différents articles du
Code civil. Il prévoit que l'aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de
preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve peuvent suppléer l'écrit.
Le principe de la preuve écrite ne s'oppose pas à ce que la preuve de l'acte juridique soit faite
par une autre preuve parfaite, aveu judiciaire ou serment décisoire.
L'aveu est la reconnaissance par la personne d'un fait ou d'un acte qui peut lui porter
préjudice (par exemple l'aveu de celui qui admet ne pas avoir payé son créancier). Si une
partie reconnaît à l'audience l'exactitude de la prétention de son adversaire, le juge se trouve
lié par cet aveu. C'est pourquoi, cette forme d'aveu a longtemps constitué la « reine des
preuves ».
Le serment est l'affirmation solennelle de la véracité d'un fait ou d'un acte dont dépend l'issue
du litige. Le serment décisoire est une procédure par laquelle une partie demande à l'autre
d'affirmer, en prêtant serment à la barre, la véracité de ses affirmations. Ce procédé dépend
entièrement de la bonne ou mauvaise foi des parties, ce qui en fait un procédé très dangereux
et donc rarement utilisé. En revanche, s'il est utilisé, il constitue une preuve parfaite dans la
mesure où il lie le juge.
La loi prévoit également qu'en présence d'un commencement de preuve par écrit, l'exigence
de la preuve écrite puisse disparaître. Le commencement de preuve par écrit ne remplace pas
à lui tout seul l'écrit mais autorise à prouver par d'autres types de preuve que l'écrit
instrumentaire. Selon l'article 1362, alinéa 1er, il s'agit de « tout écrit qui, émanant de celui qui
conteste un acte ou de celui qu'il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué ». Il
constitue un premier élément de preuve qui doit être complété par d'autres preuves, tels des
témoignages ou des présomptions, pour emporter la conviction du juge. En effet, l'article
1361 précise clairement que le commencement de preuve par écrit doit être « corroboré par
un autre moyen de preuve », alors que l'aveu judiciaire ou le serment décisoire se suffisent à
eux-mêmes pour prouver un acte juridique.

À partir de vos connaissances, vous résoudrez le cas pratique suivant.

1. Léa a eu une aventure pendant plusieurs mois avec un collègue de travail de son mari
Mathéo. Ils ont échangé des SMS très explicites sur la nature de leur relation. Un jour qu'il a
emprunté son téléphone à son épouse, Mathéo a découvert certains de ces SMS qu'il a
enregistrés et souhaite entamer une procédure de divorce pour faute. Léa s'inquiète de savoir
si son époux peut produire les SMS en justice.

144
2. Léa a vendu son scooter à M. Rusé. Un écrit a été rédigé qui prévoyait qu'il paierait le prix
de 2 400 euros en deux temps : 1 200 euros lors de la signature du contrat et 1200 euros à la
livraison prévue trois semaines après. Elle a pris la précaution d'en faire une photocopie
qu'elle a déposée à son bureau. Le premier acompte de 1 200 euros a été payé mais le jour
prévu de la remise du scooter le vendeur ne s'est pas présenté. Léa ne retrouve plus l'original
et se demande si la seule photocopie lui permet de faire reconnaître l'existence du contrat.
3. Les ennuis de Léa ne sont pas terminés. Elle a accepté de conduire sa voisine Sandra, qui
n'a pas de voiture, dans un hypermarché pour faire ses courses. En passant dans le rayon 7V-
son-hifi, Sandra a vu un superbe téléviseur en promotion, à 1 600 euros au lieu de 2 000
habituellement. Elle a demandé à Léa de lui avancer la somme car elle n'avait que du liquide
avec elle, pour faire ses courses. Elle a promis de la rembourser à la fin du mois quand elle
percevrait son salaire. Or, Léa a eu la surprise de recevoir une carte de Sandra ainsi rédigée :
« Désolée de ne pas avoir eu le courage de venir vous voir. Je ne pourrai jamais vous
rembourser. Merci pour le téléviseur. J'ai dû retourner vivre chez mes parents. Sandra ». À
quel juge Léa peut-elle s'adresser et avec quelle chance de succès pour récupérer la somme de
1 600 euros qu'elle a prêté à Sandra ?

OBSERVATION DU CORRECTEUR
Le Code civil est autorisé. Utilisez-le pour extraire la jurisprudence applicable aux différents
problèmes posés dans le cas pratique.
Répondez aux différents problèmes les uns après les autres, en argumentant votre réponse,
c'est-à-dire en montrant pourquoi les règles de droit que vous énoncez s'appliquent ou non au
problème soulevé.
Léa est confrontée à plusieurs problèmes de preuve
Question n° 1 : La preuve de l'adultère
Léa a eu une aventure extraconjugale. Ayant découvert son adultère, son époux Mathéo
souhaite divorcer.
Si depuis 1975 l'adultère n'est plus une cause péremptoire de divorce, il reste une cause
possible de divorce pour faute en tant que violation grave ou renouvelée des devoirs et
obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune (C. civ. art. 242).
La preuve de la faute à l'origine de la demande de divorce incombe à l'époux demandeur.
Mathéo pourra-t-il utiliser les SMS de son épouse pour prouver son adultère ? L'adultère
fautif est un fait juridique. À ce titre, il peut être prouvé par tous moyens. L'article 259 du
Code civil, précise que « les faits invoqués en tant que causes de divorce (...) peuvent être
établis par tout mode de preuve, y compris l'aveu » : attestations, constat d'huissier, lettres
missives, témoignages... La preuve étant libre, les SMS sont des preuves admissibles. En
l'espèce, Mathéo peut donc présenter comme preuve les SMS échangés entre son épouse et
son amant.
Léa ne pourra opposer le caractère déloyal de ces preuves. En effet, si les juges refusent
d'admettre un enregistrement réalisé à l'insu d'une personne parce qu'il constitue une preuve

145
déloyale, les SMS n'encourent pas cette critique : le SMS est un message écrit
téléphoniquement adressé dont on ne peut ignorer qu'il est enregistré par l'appareil récepteur.
En revanche, l'article 259-1 du Code civil interdit aux époux de verser aux débats un élément
de preuve qu'ils auraient obtenu par violence ou fraude. C'est à celui qui invoque la fraude ou
la violence d'en apporter la preuve. Si Léa ne peut démontrer que Mathéo a obtenu de façon
déloyale les SMS envoyés et reçus sur son téléphone portable, ceux-ci seront des preuves
recevables soumises à l'appréciation souveraine des juges du fond.
Question n° 2 : La preuve de la vente du scooter
Léa a vendu son scooter à M. Rusé. Un contrat de vente a été rédigé mais n'a pas été
entièrement exécuté. Léa souhaite exiger en justice son exécution. Malheureusement, Léa
n'est plus en possession que d'une photocopie du contrat. Celle-ci peut-elle valablement en
constituer la preuve ?
L'objet du litige est un contrat de vente d'un montant de 2 400 euros. Or, le contrat est un acte
juridique. Le principe en matière de preuve d'un acte juridique d'une valeur supérieure à 1
500 euros est établi par l'article 1359 du Code civil qui exige une preuve écrite. Le dernier
alinéa de l'article indique que la règle joue même si la demande porte sur une somme
inférieure à ce montant de 1 500 euros mais porte sur le solde d'une créance supérieure à ce
montant. Léa a reçu le premier versement de 1 200 euros. Elle ne réclame que les 1 200
restants mais puisqu'il s'agit du solde d'une créance totale de 2 400 euros, la règle de l'article
1359 s'applique. Il faudra une preuve écrite du contrat de vente.
En l'espèce, la preuve écrite du contrat a été établie mais elle a disparu dans un incendie. Le
Code civil prévoit ce type d'hypothèse. L'article 1360 envisage en effet la situation dans
laquelle un écrit a bien été établi mais a été « perdu par force majeure ». Si l’écrit a été perdu
dans des circonstances qui ne sont pas imputables à celui qui invoque sa disparition, celui-ci
est dispensé de sa présentation. Il appartient alors à Léa d'apporter, dans un premier temps, la
preuve que la perte de l'acte original était due à l'incendie. Dans un deuxième temps, elle
pourra librement prouver la dette de M. Rusé.
L'article 1379 du Code civil dispose que si l'original d'un acte n'a pas été conservé, sa copie
fiable a la même force probante. La fiabilité est laissée à l'appréciation souveraine des juges
du fond. Or, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser qu'une photocopie 'est une copie
« sincère et durable » si la partie à laquelle on l'oppose ne la conteste pas ou si les juges du
fond, après vérification (par expertise), estiment souverainement qu'elle mérite cette
qualification. La photocopie est ainsi admise à titre de preuve littérale d'un contrat dans la
mesure où elle constitue une copie fiable.
Encore faut-il que le Contrat original ait pu faire la preuve de l'obligation du paiement de M.
Rusé.
Pour être valable, un acte sous signature privée doit être signé par les parties. Puisqu'il s'agit
d'un acte comportant de la part d'une personne un engagement de payer une somme d'argent,
selon l'article 1376, le contrat doit porter la mention de la somme ou de la quantité en toutes
lettres et en chiffres. Si ces conditions sont remplies, Léa pourra prouver la réalité de la vente.
Sinon, la photocopie ne servira que de commencement de preuve par écrit.

146
Léa a donc toutes les chances de pouvoir prouver l'existence du contrat et de sa créance. La
photocopie lève l'obligation de prouver par écrit et rend libre la preuve. Dans le même temps,
elle fait pleinement preuve de l'existence du contrat.
M. Rusé ne sera libéré de son obligation que s'il apporte la preuve de son remboursement, et
ce par écrit. En effet, l'article 1359 précise que la preuve d'un acte ne peut se faire que par
écrit. Or, les faits n'indiquent pas qu'il soit en possession d'un tel écrit.
Question n° 3 : La preuve du prêt pour l'achat du téléviseur
Léa a prêté 1 600 euros à sa voisine. Elle souhaite en obtenir le remboursement. Pour cela,
elle devra apporter la preuve du prêt.
Le prêt est un contrat, même s'il ne crée d'obligation qu'à la charge d'une seule des deux
parties, le débiteur, qui doit restituer la somme prêtée. Le contrat de prêt est un contrat
unilatéral. Nous sommes donc en présence d'un acte juridique, c'est-à-dire d'une
manifestation de volonté destinée à produire des effets juridiques voulus par les parties.
S'agissant de prouver un acte juridique portant sur une valeur supérieure à 1 500 euros, il faut
appliquer la règle de l'article 1359 du Code civil qui exige une preuve écrite.
En l'occurrence, Léa ne dispose pas d'un tel document. En revanche, elle dispose de la carte
postale. 11 s'agit de vérifier si celle-ci ne peut constituer un commencement de preuve par
écrit qui permettra à Léa de prouver l'existence du prêt par d'autres moyens que l'écrit.
L'article 1361 du Code civil prévoit en effet qu'il peut être suppléé à l'écrit par un
commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve.
L'article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit
qui émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable
celui qui est allégué». Trois conditions apparaissent qu'il faut rechercher dans les faits : un
écrit (1), émanant de celui contre lequel on l'allègue (2) et qui rend vraisemblable le fait
allégué (3). La carte postale de Sandra est bien un acte écrit, qui émane de sa personne (elle
l'a signée), c'est-à-dire de celui qui conteste le prêt. Sa rédaction rend crédible le prêt allégué
par Léa. Sandra fait allusion au téléviseur. Cela fait bien présumer qu'elle le doit à Léa.
Même si les juges, usant de leur libre pouvoir d'appréciation, admettent que la carte postale
constitue un commencement de preuve par écrit, elle ne suffit pas à prouver le prêt de 1 600
euros. Léa doit apporter des preuves complémentaires.
Le commencement de preuve par écrit doit être « corroboré par un autre moyen de preuve »,
c'est-à-dire complété par tous types de preuves, comme des témoignages ou des indices,
soumis à l'appréciation des juges. En l'espèce, il n'est pas fait état d'autres éléments de preuve.
Léa peut envisager une action devant le tribunal d'instance, compétent pour les litiges de
moins de 10 000 E. La preuve du prêt par la voie du commencement de preuve par écrit
semble aléatoire : elle dépend de l'appréciation souveraine des juges du fond de la carte,
notamment quant à sa faculté de rendre vraisemblable le prêt à leurs yeux, et de l'éventualité
d'autres indices.

À partir de l'arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation en date du 19


octobre 2016, vous répondrez aux questions suivantes :

147
1) Exposez les faits, la procédure et le problème de droit. (3 points)
2) Expliquez le visa des deux articles du Code civil. Quelles règles relatives à la preuve
posent-ils ? (8 points)
3) Commentez le « chapeau ». Sur le fondement de ce chapeau comment comprenez-
vous le raisonnement de la Cour de cassation ? (9 points)
Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n° 15-27387
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un jugement du 18 mars 2009 a prononcé le divorce de M.
X… et Mme Y..., qui s'étaient mariés le 2 septembre 2006
(...) sur le deuxième moyen :
Vu l'article 7375, alinéa 1', devenu 7353, alinéa 7°f, du Code civil, et l'article 1348 du même
code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-731 du 10 février
2076 (devenu 7360) ;
Attendu qu'il résulte de ces textes qu'il incombe au demandeur, qui s'est trouvé dans
l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve écrite, de prouver par tous
moyens l'obligation dont il réclame l'exécution ;
Attendu que, pour dire que Mme Y., doit à M. X...la somme de 12 500 euros correspondant au
montant de chèques émis à son profit avant le manage, l'arrêt retient que si la remise de
chèques ne suffit pas à établir l'existence d'un prêt, il doit être effectivement tenu compte du
lien affectif et de la communauté d'intérêts de M. X...et Mme Y… existant au cours des cinq
mois précédant leur mariage facteurs objectifs qui constituent des éléments d'appréciation
suffisants pour dire que M. X...se trouve dans l'impossibilité morale de fournir la preuve du
prêt, que, de son côté, Mme Y.., qui ne conteste pas la matérialité des sommes remises avant
mariage à hauteur de 12 850 euros, ne démontre pas que son époux, lorsqu'il lui a remis ces
chèques, ait été animé d'une intention libérale (intention de procurer à autrui un avantage,
sans contrepartie) ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'impossibilité morale pour M. X...d'obtenir un écrit ne le
dispensait pas de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué, la cour d'appel, qui a
inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés :
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que Mme' Y… doit à M. X...la somme
de 72 500 euros représentant les sommes versées avant le manage (..) l'arrêt rendu le 8 avril
2075, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ces
points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait
droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

Vous devez répondre clairement


Remarque : quelques éléments utiles sont fournis dans le sujet (la définition de l'intention
libérale, l'article 1348 dans sa version antérieure à 2016, même si on la trouve encore dans les

148
éditions récentes du code pana les anciens articles). L'ordonnance n' 2016--131 du 13 février
2016 portant réforme du droit des contrats, du régime générai et de la preuve des obligations
a peu modifié les règles relatives à la preuve, mais a eu des conséquences sur le numéro des
articles. Il faut prendre garde à la numérotation des articles et leur formulation, ce qui
explique le recours au Code civil qui est autorisé.
QUESTION N° 1
Exposez les faits, la procédure et le problème de droit.
- Les faits : au cours des cinq mois qui ont précédé leur mariage, un homme a remis plusieurs
chèques à sa fiancée (ou compagne) pour un montant total de 12 500 euros. Après le divorce,
il souhaite obtenir le remboursement de cette somme qu'il prétend avoir seulement prêtée.
- La procédure : l'époux a assigné son ex-épouse en remboursement du prétendu prêt. Les
juges du fond, la Cour d'appel de Montpellier, le 8 avril 2015, ont accueilli favorablement sa
demande, exigeant le remboursement de la somme. Selon eux, le lien affectif et la
communauté d'intérêts des époux existant au cours des cinq mois précédant leur mariage ont
objectivement justifié l'impossibilité morale du mari d'obtenir un écrit susceptible de faire la
preuve du prêt. Ils déduisent ensuite l'obligation de rembourser de l'absence de démonstration
par l'épouse que son époux était animé d'une intention libérale lorsqu'il lui a remis les
chèques.
L'épouse a formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation, le 19 octobre 2016, a cassé
l'arrêt de la Cour d'appel, censurant leur décision.
- Le problème de droit : comment prouver en cas d'impossibilité morale de se procurer un
écrit un contrat de prêt entre futurs époux ? La question soulevée par l'arrêt est double : qui
doit prouver et comment ?
Article 1315 alinéa 1 er, devenu 1353, alinéa 1 er : « Celui qui réclame l'exécution d'une
obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit
l'extinction de son obligation ».
Article 1348 dans, sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-; 131 du 10
février 2016: «Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes
choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et
il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et 1outre le contenu aux actes, ni sur ce qui
serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme
ou valeur moindre ».
Nouvel article 1360, modifié par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016: « Les règles
prévues à l'article précédent (art 1359) reçoivent exception en cas d'impossibilité matérielle
ou morale de se procurer un écrit, s'il est d'usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l'écrit a
été perdu par force majeure ».
Article 1359 : « L'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant
fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique ».

149
Les deux articles du visa posent des règles relatives respectivement à la charge de la preuve et
à l'admissibilité des modes de preuve.
1 / Règle relative à la charge de la preuve
L'article 1315 alinéa 1 et, devenu 1353 alinéa 1er, pose le principe de la preuve incombant au
demandeur.
Cela signifie que chaque partie doit apporter la preuve de ce qu'elle invoque. Dès qu'une des
parties, demandeur ou défendeur au procès, présente un moyen de défense, elle doit le
prouver. C'est à ce titre qu'elle est demandeur : elle demande que le juge prenne en
considération ce qu'elle prétend. Ainsi, alternativement, chaque partie est demandeur. Il y a
un « va-et-vient » de la preuve entre les différentes parties. Cela signifie aussi que la partie
qui n'apportera pas de preuve ou une preuve insuffisante à faire la démonstration de son droit,
succombera. Il ne suffit pas d'attendre de l'autre partie qu'elle prouve ce qu'elle invoque. Il
faut prouver le contraire pour emporter la conviction du juge et gagner le procès. C'est
pourquoi, le problème de la charge de la preuve se traduit aujourd'hui en termes de « risque »
de la preuve. Dans cette optique, la charge de la preuve est celle qui pèse sur celle des
prétentions qui n'est pas prouvée.
Par exception, le demandeur n'a pas à apporter la preuve de ce qu'il invoque en présence
d'une présomption légale. En effet, les présomptions établies par la loi apportent un
tempérament à la règle de l'article 1353 en renversant la charge de la preuve. L'article 1354
dispose en effet que « La présomption que la loi attache à certains actes ou à certains faits en
les tenant pour certains dispense celui au profit duquel elle existe d'en rapporter la preuve ».

2/ Règles relatives à l'admissibilité des modes de preuve


L'article 1350 pose le principe par écrit d'un acte d'une valeur supérieure à 1 500 euros.
En ce qui concerne la preuve des actes juridiques, l'admissibilité des preuves et leurs effets
sont prévus par la loi de façon précise. L'acte juridique résultant d'une manifestation délibérée
de volonté, il est en effet possible d'exiger des parties qu'elles en pré-constituent la preuve par
la rédaction d'un écrit en la forme authentique ou sous signature privée (C. civ. art. 1364).
L'article 1359 exige en effet la preuve écrite de tout acte excédant une somme ou une valeur
fixée par décret, dont on sait qu'elle est actuellement de 1 500 euros. Ce principe connaît des
exceptions dont l'impossibilité de se procurer un écrit, prévue à l'article 1358 dans sa
rédaction antérieure à-celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. La preuve
de l'acte juridique par écrit n'est pas exigée en cas d'impossibilité matérielle ou morale de se
procurer un écrit. Si le demandeur n'a pas pu se pré-constituer une preuve écrite, pour des«
raisons matérielles • ou morales, il en est dispensé. L'article 1358 prévoit le cas de l'obstacle
moral à exiger un écrit. Cet obstacle se manifeste dans les relations familiales ou amicales
voire de subordination. Dans de telles circonstances la loi admet qu'il puisse être impossible
d'exiger un écrit pour entériner l'acte qui est passé et dispense alors le plaideur de le présenter.
C'est aux juges du fond d'apprécier au cas par cas la réalité de cette impossibilité morale.
L'exception de l'article 1358 figure aujourd'hui à l'article 1360 du Code civil.
QÜESTION N° 3

150
Commentez le « chapeau ». Sur le fondement de ce chapeau comment comprenez-vous
le raisonnement de la Cour de cassation ?
Après le visa, on retrouve en général dans un premier attendu, l'énoncé du principe général
qui va justifier la cassation que vont rendre les juges. On l'appelle le « chapeau ».
Ici, le chapeau est le suivant : « Attendu qu'il résulte de ces textes qu'il incombe au
demandeur, qui s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer une
preuve écrite, de prouver par tous moyens l'obligation dont il réclame l'exécution ».
La Cour de cassation réaffirme en cas d'impossibilité morale de se procurer un écrit
l'application de deux principes relatifs à la charge de la preuve et aux moyens de preuve.
Selon la Cour de cassation, il faut procéder en deux temps : établir la réalité de l'impossibilité
morale (1) puis prouver le prêt (2).
1 / La démonstration de l'impossibilité morale
La jurisprudence constante admet qu'une telle impossibilité morale découle de liens de
parenté ou d'affectation, comme ici, une relation sentimentale (dans des relations de famille,
au sein d'un couple marié, entre concubins, pacsés ou autres fiancés...). Les liens d'affection
placent le créancier dans une situation délicate pour exiger la rédaction d'un écrit. Soit le futur
époux était dans un état de confiance tel que l'idée ne l'a même pas effleuré, soit la crainte
que sa future épouse perçoive une telle demande comme une marque de défiance justifie qu’il
s'en soit abstenu.
Cette impossibilité doit être démontrée, au cas par cas, et est appréciée souverainement par
les juges du fond. Il ne suffit pas d'établir l'existence de la relation. Il faut encore expliciter en
quoi les relations rendent impossible pour l'un d'exiger la rédaction d'un écrit par l'autre. En
l'espèce, la Cour de cassation ne reproche pas aux juges du fond d'avoir admis que l'époux
avait été dans l'impossibilité de se procurer un écrit compte tenu du lien affectif existant dans
les mois précédant le mariage.
2/ La preuve du prêt : la charge et les moyens de prouver
La Cour de cassation reproche en revanche aux juges du fond la conséquence qu'ils ont tirée
de cette impossibilité morale entre les futurs époux. En effet, les juges de la cour d'appel ont
déduit de cette impossibilité la preuve du prêt et l'obligation pour l'épouse de rembourser.
Pourtant, si la remise des fonds n'était pas contestée, sa nature l'était. L'ex-mari pouvait très
bien lui avoir remis ces fonds à un autre titre. Il pouvait par exemple lui en avoir fait don ou
avoir remboursé une dette précédente. En l'absence d'écrit, il était tout aussi difficile de
prouver l'intention libérale que le prêt, ce qui était cependant reproché à l'épouse.
La Cour de cassation rappelle, à juste titre, que l'impossibilité morale ne suffit pas à faire la
preuve de la nature de la convention, du prêt : « l'impossibilité morale pour M. X. d'obtenir
un écrit ne le dispensait pas de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué ».
L'admission de l'impossibilité morale n'est qu'une première étape. Elle ouvre seulement la
possibilité à celui qui l'invoque d'apporter la preuve du prêt par d'autres moyens qu'un écrit.
La seconde étape consiste donc pour l'ex-mari à prouver, par tous moyens, témoignages ou
présomptions notamment, la réalité du prêt. La cour d'appel avait d'ailleurs bien retenu que «
la remise de chèques ne suffit pas à établir l'existence d'un prêt ».

151
Or, non seulement les juges du fond n'ont pas exigé une telle preuve, mais ils ont déduit du
défaut de démonstration d'une intention libérale de la part de l'épouse l'existence d'un prêt. Ce
faisant ils ont « inversé la charge de la preuve » : ce n'était pas à l'épouse de prouver le prêt
mais à l'époux demandeur. Ainsi, la cour réaffirme-t-elle « qu'il incombe au demandeur, qui
s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve écrite, de
prouver par tous moyens l'obligation dont il réclame l'exécution ». En décidant le contraire, la
cour d'appel de Montpellier a violé les articles 1353 alinéa 1 er (ancien 1315 alinéa 1er) en
vertu duquel « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ».
Pour espérer obtenir le remboursement des sommes contestées, à défaut d'écrit, le mari devra
donc apporter la preuve par tous moyens du prêt.

Vous commenterez l'arrêt suivant :


Cass. req., 3 août 1915, Coqueret c/ Clément-Bayard
Violation des articles 544 et suiv. et 552 du Code civil, des règles du droit de propriété,
violation par fausse application des articles 1382 et suiv. du Code civil, violation de l'article 7
de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et de base légale,
En ce que d'une part, l'arrêt attaqué a considéré comme un abus du droit de propriété le fait
par un propriétaire de construire sur son terrain une clôture élevée, destinée à empêcher le
propriétaire du fonds voisin de pénétrer chez lui ou de tirer de son fonds un usage quelconque
destiné à rendre sa jouissance plus commode, sous le prétexte que cette construction avait été
faite uniquement dans une intention malveillante, alors qu'un propriétaire a le droit absolu de
construire sur son terrain tels ouvrages de défense ou de clôture qu'il lui plaît pour éviter
toute incursion sur son terrain, et qu'il ne peut y avoir abus de droit que si le propriétaire
exécute chez lui, sans aucun profit pour lui-même, un acte qui apporte un trouble au
propriétaire du fonds voisin restant dans les limites de sa propriété, ce qui n'était aucunement
le cas.
Et en ce que d'autre part, l'arrêt n'a rien répondu à la théorie de droit ainsi formulée dans le
dispositif des conclusions d'appel.
PAR CES MOTIFS et tous autres à produire, déduire ou suppléer, l'exposant conclut à ce qu'il
plaise à la Cour de Cassation Casser l'arrêt attaqué avec toutes les conséquences de droit.
LA COUR :
Sur le moyen de pourvoi pris de la violation des articles 544 et suivants, 552 et suivants du
Code civil, des règles du droit de propriété et plus spécialement du droit de clore, violation
par fausse application des articles 1388 et suivants du Code civil, violation de l'article 7 de la
loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et de base légale.
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué que Coquerel a installé sur son terrain attenant à celui
de Clément-Bayard, des carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de tiges de
fer pointues ; que le dispositif ne présentait pour l'exploitation du terrain de Coqueret aucune
utilité et n'avait été érigée que dans l'unique but de nuire à Clé-ment-Boyard, sans d'ailleurs, à
la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l'article 647 du Code civil, la
clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts

152
légitimes ; que, dans cette situation des faits, l'arrêt a pu apprécier qu'il y avait eu par
Coqueret abus de son droit et, d'une part, le condamner à la réparation du dommage causé à
un ballon dirigeable de Clément-Bayard, d'autre part, ordonner l'enlèvement des tiges de fer
surmontant les carcasses en bois.
Attendu que, sans contradiction, l'arrêt a pu refuser la destruction du surplus du dispositif
dont la suppression était également réclamée, par le motif qu'il n'était pas démontré que ce
dispositif eût jusqu'à présent causé du dommage à Clément-Bayard et dût nécessairement lui
en causer dans l'avenir.
Attendu que l'arrêt trouve une base légale dans ces constatations ; que, dûment motivé, il n'a
point, en statuant ainsi qu'il l'a fait, violé ou faussement appliqué les règles de droit ou les
textes visés au moyen.
Par ces motifs, rejette la requête, condamne le demandeur à l'amende.
Ainsi fait jugé et prononcé par la Cour de Cassation, Chambre des Requêtes, en son audience
publique du trois août mil neuf cent quinze. »
Ne fais pas à ton voisin ce que tu ne vaudrais pas qu'il te fasse Tel pourrait être la maxime
résumant l'affaire Clément-Bayard. Celle-ci est si connue qu'elle incarne la question de l'abus
de droit pour les juristes. Monsieur Coquerel, propriétaire du terrain voisin de celui de
Monsieur Clément-Bayard avait installé sur sa parcelle des carcasses en bois de 16 mètres de
hauteur surmontées de tiges de fer pointues. Il prétendait que ce montage était une clôture
qu'il pouvait construire pour protéger ses intérêts légitimes. En réalité, il était apparu que ce
montage avait été réalisé alors qu'il ne présentait aucune utilité pour M. Coquerel. En
revanche, il était nuisible à M. Clément-Bayard, son voisin avec qui il était en mauvais
termes, et dont un des ballons dirigeables avait été endommagé par les tiges de fer.
M. Clément-Bayard saisit le juge pour obtenir réparation des dommages subis par son
dirigeable éventré. Il obtient gain de cause en première instance et en appel. M. Coquerel se
pourvoit alors en cassation arguant du caractère absolu de son droit de propriété et de son
droit de se clore comme il l'entend. Bref, il nie la possibilité d'un abus de droit de la propriété
en raison de son caractère exclusif. Ce droit étant absolu, il ne doit pas connaitre de limites
même s'il porte préjudice à son voisin. M. Clément-Bayard, quant à lui, défend l'idée d'une
limite à l'exploitation du droit de propriété l'abus. En l'espèce, il souligne que l'échafaudage
monté par son voisin ne lui est d'aucune utilité et ne s'explique que par sa volonté de lui nuire,
c'est-à-dire, d'éventrer les dirigeables qui décollent et atterrissent de son terrain. Cette
exploitation abusive du droit de propriété constitue une faute qui lui cause un dommage
méritant réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Au-delà des péripéties de voisinage, cette affaire pose, dès 1915, la question à la Cour de
cassation de savoir si l'exercice de son droit de propriété, droit exclusif par nature, et de son
droit de clore est susceptible d'abus. Le problème de droit est donc clairement identifié, il
s'agit de la reconnaissance de l'abus de droit et de sa sanction. La solution apportée par la
Cour de cassation présentait un intérêt particulier car à l'époque les débats étaient enflammés
et la doctrine divisée sur la reconnaissance ou pas d'un possible abus de droit. Planiol,
défenseur d'une conception absolutiste des droits subjectifs, nie l'existence même de l'abus de
droit. Il dénonce la contradiction inhérente à l'expression « abus de droit ». Un droit ne peut
pas simultanément être conforme au droit et contraire au droit pour être abusif. Dès lors qu'il

153
y a abus il ne peut plus y avoir de droit. À l'opposé, Josserand dépasse la contradiction
dénoncée par Planiol en opposant les droits subjectifs et le droit objectif. L'exercice d'un droit
subjectif peut heurter le droit objectif, c'est-à-dire l'ensemble des règles sociales obligatoires.
Ainsi, dès lors que le droit est détourné de sa fonction sociale, un abus peut être constaté.
Ripert quant à lui associe l'abus de droit à la violation d'impératifs moraux, par conséquent, il
y a abus de droit en présence d'une intention de nuire.
La solution de la Cour de cassation montre une certaine préférence pour cette dernière
analyse. Elle rejette le pourvoi, consacre la théorie de l'abus de droit et fixe les modalités de
la sanction.
. Pour mieux comprendre l'intérêt de ce grand arrêt de droit civil, il -convient donc d'étudier
dans un premier temps la reconnaissance et la définition jurisprudentielle de l'abus de droit
(1) puis, dans un second temps, la sanction mise en œuvre en cas d'abus de droit (2).
1 • Les éléments constitutifs de l'abus de droit
La Cour de cassation ne se contente pas de reconnaître l'abus de droit, elle en définit les
éléments constitutifs. Cependant, si la reconnaissance de l'abus de droit n'a jamais été remise
en cause par la jurisprudence ultérieure, la définition de l'abus de droit (A) a été élargie (B).
La seule conception subjective mise en avant en 1915 a été complétée par certaines décisions
qui ont accueilli la conception objective défendue par Josserand.
A) La définition de la Cour de cassation
Le critère de l'abus de droit, constitutif de sa définition, ne peut être donné qu'après la
reconnaissance de la notion d'abus de droit.
a. La reconnaissance de l'abus de droit par la Cour de cassation
La Cour de cassation reconnaît sans ambiguïté la notion d'abus de droit : « l'arrêt a pu
apprécier qu'il avait eu par Coquerel abus de son droit ». Elle rejette les analyses doctrinales
qui défendent l'idée que là où il y a abus le droit cesse. L'analyse de Planiol, qui refuse de
poser des limites à l'exercice des droits subjectifs, est écartée.
Cette reconnaissance est en soi une réponse aux arguments soulevés dans le pourvoi. Ce
dernier vise l'article 544 du Code civil qui est un droit absolu. Or, comment est-il possible de
commettre un abus de droit si ce dernier est absolu, c'est-à-dire confère tous les droits en
découlant à son titulaire ? Si le droit de propriété est absolu, il doit comprendre celui de clore
par n'importe quels moyens même si ces derniers nuisent aux voisins. Il comprend également
le droit de construire sur son terrain toutes sortes d'échafaudages, même si ces derniers ne
sont d'aucune utilité et ne servent qu'à nuire à son voisin. Bref, si le droit de propriété est
absolu, il comporte le droit de nuire à ses voisins. Or, la Cour de cassation, tout en visant
l'article 544 du Code civil et les articles 555 et suivants du même code, écarte les arguments
tendant à dénier toute possibilité d'abus de droit pour le droit absolu de propriété.
En conséquence le droit de propriété, bien qu'il soit absolu, peut être limité par l'abus de droit.
Il doit être exercé mais sans abus. Pour autant, le pouvoir modérateur qu'offre au juge l'abus
de droit doit pouvoir être mis en œuvre, mais avec mesure pour ne pas porter atteinte à la
nature même des droits, c'est la raison pour Iaquelle il est important de définir les éléments

154
constitutifs, les éléments caractéristiques, de l'abus de droit. Ces derniers permettent
d'échapper à l'arbitraire du juge.
b. Le critère de l'abus de droit
La Cour de cassation offre un critère de l'abus de droit en qualifiant la construction de bois et
de tiges de fer : « ce dispositif ne présentait pour l'exploitation du terrain de Coquerel aucune
utilité et n'avait été édifié que dans l'unique but de nuire à Clément-Bayard ». En soulignant
l'intention de nuire qui est démontrée a contrario par l'absence d'utilité de la construction pour
le propriétaire, la Cour opte pour une approche subjective de l'abus de droit. Cette approche,
défendue par le doyen Ripert fait de l'abus de droit une sanction à la violation du devoir
moral de ne pas nuire à autrui. Le critère de l'abus de droit est donc l'intention de nuire. Ce
critère est utile car il permet de circonscrire efficacement l'abus et donc d'éviter l'arbitraire du
juge. Ce critère est souvent utilisé' par la jurisprudence, comme dans un autre arrêt célèbre et
ancien, à propos de la plantation d'un rideau de fougères devant H la fenêtre du voisin. Il est
le seul retenu par la Cour en 1915. Il n'est pas tombé en désuétude pour autant. Il reste que la
jurisprudence ultérieure a su enrichir les critères de qualification de l'abus de droit en prenant
en considération une conception objective de l'abus de droit.
B) L'élargissement ultérieur de la notion
L'élargissement de la notion d'abus de droit porte d'abord sur les critères utilisés par la
jurisprudence, mais elle se concrétise aussi par la reconnaissance de la théorie des troubles du
voisinage.
a. Les autres critères de l'abus de droit
L'autre critère mis en avant est celui de Josserand, il a parfois été mis en œuvre par la
jurisprudence. Cet autre critère a également son utilité car il permet de prendre en
considération les situations où l'abus ne résulte pas d'une malversation, mais un détournement
du droit de ses fins, de sa fonction. Le point de départ de sa démonstration repose sur le
principe que tous les droits remplissent une fonction sociale. À défaut de respecter cette
fonction, en la détournant pour satisfaire des intérêts égoïstes, on commet un abus de droit. Il
est rare que le juge fasse expressément référence au détournement de la fonction sociale des
droits, mais quelques arrêts peuvent être retenus. Cependant, la Cour de cassation, elle-même,
des années après l'affaire Clément-Bayard a eu recours au critère suggéré par Josserand. En
droit social, la Cour de cassation utilise l'abus de droit pour contrôler les conditions de la
rupture du contrat de travail en période d'essai, dénonçant comme abusive une rupture « sans
rapport avec l'exécution du travail ».
Si le critère privilégié de l'abus de droit reste l'intention de nuire, loin de s'enfermer dans un
critère unique, le juge multiplie ces derniers au gré des circonstances. Parfois, l'intention de
nuire suffit, d'autres fois, c'est le constat d'une faute qui fonde l'abus de droit, pour d'autres
enfin, l'absence de motif légitime est invoquée. Cette multiplication des critères suggère une
idée : le droit de l'un s'arrêterait à celui de l'autre en quelque sorte. Cette idée est sans doute à
l'origine de l'autre élargissement de la notion d'abus de droit.
b. La théorie des troubles du voisinage
En l'espèce, l'affaire Clément-Bayard peut se résumer à une querelle de voisinage. Ces
derniers sont le lieu de prédilection des abus, c'est sans doute pour cette raison que cette

155
branche de l'abus de droit avec le temps est progressivement devenue autonome. Ainsi, la
théorie de l'abus de droit est à l'origine du développement autonome la théorie des troubles du
voisinage. Cette dernière s'est émancipée de la faute constitutive de l'abus pour tenir compte
du dommage subi. C'est l'anormalité du dommage qui est la condition indispensable à la mise
en œuvre de la responsabilité sans faute pour troubles du voisinage. Pour être anormal, le
dommage doit être soit important, soit répétitif et inhabituel, il doit dépasser un certain seuil
de tolérance. Il est clair que la notion d'abus de droit sous-tend la théorie mais elle en a
renversé la logique en s'intéressant d'abord au dommage.
Si la théorie de l'abus de droit est un instrument modérateur de l'exercice de droits apprécié
c'est parce qu'elle permet de sanctionner l'abus.
2 • La sanction de l'abus de droit
La Cour de cassation appréhende la sanction de deux manières en énonçant qu'il convient : «
d'une part, le [Coqueret] condamner à la réparation du dommage causé à un ballon dirigeable
de Clément-Bayard et, d'autre part, ordonner l'enlèvement des tiges de fers surmontant les
carcasses en bois ». Pour jouer pleinement son rôle correcteur, l'abus de droit entraîne la
réparation en valeur (A) et en nature (B).
A) La réparation en valeur
Classiquement, la réparation passe par la mise en œuvre du droit de la responsabilité et de
l'indemnisation. Elle montre la parenté qui existe entre l'abus de droit et la responsabilité
civile. Abuser de son droit est indéniablement constitutif d'une faute engageant la
responsabilité de son auteur. L'ancien article 1382 du Code civil offre un fondement à la
réparation sans remettre en cause l'originalité des conditions de mise en œuvre de la théorie
de l'abus de droit. Le dommage subi doit être entièrement réparé. Il peut l'être par le
versement d'une indemnisation. En l'espèce, il fallait obtenir indemnisation pour la
destruction de l'un des dirigeables se servant du terrain de Clément-Bayard. L'évaluation de
l'indemnité se fait en application du droit de la responsabilité.
Cependant, l'originalité de l'abus de droit plaide pour une autre approche de la réparation, la
réparation en nature et l'arrêt le prévoit avec la destruction partielle de l'échafaudage.
B) La réparation en nature
Ainsi, l'originalité de l'abus de droit tient dans la préférence pour la réparation en nature.
Cette préférence est d'ores et déjà marquée par la Cour de cassation en 1915 puisqu'elle
prévoit l'enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses en bois.
Il faut souligner la mesure de la décision. La démolition n'est pas totale, elle ne concerne que
les litiges de fer qui endommagent les dirigeables, les carcasses de bois n'étant pas nuisibles,
leur destruction n'est pas exigée. Cette mesure reflète la volonté de trouver un équilibre entre
la sanction de l'abus et le respect de l'intégrité des droits subjectifs. La mise en œuvre de
l'abus de droit ne doit pas conduire à une remise en cause de l'exercice plein et entier des
droits subjectifs en l'espèce du droit de propriété.
La réparation en nature dans d'autres cas permet d'obtenir la démolition d'une construction, la
coupe de plantations, bref de toutes mesures mettant fin à l'abus. Elle peut imposer
l'annulation d'un acte ou encore d'une clause.

156
L'abus de droit peut porter atteinte à la fonction sociale des droits. Par conséquent, il existe
des sanctions légales particulières pour protéger la société, il faut rappeler les amendes civiles
en cas d'action en justice abusive, il faut signaler l'existence de sanctions pénales.

À partir de vos connaissances, vous résoudrez le cas pratique suivant.


Le père de votre ami Théo, M. Ravier est apiculteur. Depuis plus de dix ans, il s'occupe de ses
ruches installées sur le toit d'un immeuble en plein centre de Lyon en conformité avec la
législation applicable. Il est abonné au magazine en ligne « Api et culture » qui lui permet
d'être informé sur les nouveautés dans son activité, y compris juridiques. Or, une notification
lui apprend qu'une loi, datée du 15 janvier et publiée aujourd'hui au Journal officiel, interdit
désormais l'exploitation de ruches dans les centres-villes.
Des agents sanitaires zélés se sont présentés ce matin même pour demander à M. Ravier
d'enlever immédiatement ses ruches. Il était pourtant indiqué dans le magazine que la loi
prévoyait que ses modalités d'application seraient précisées par décret en Conseil d'État.
Inquiet, il vous appelle pour vous demander s'il peut s'opposer à la demande de
l'administration et refuser l'enlèvement aujourd'hui de ses ruches et si cette loi lui sera
applicable alors qu'il a installé ses ruches bien avant son adoption.
En décembre 2017, M. Ravier vivait encore avec sa compagne Louise. Lors d'un salon des
antiquaires, celle-ci a eu un coup de cœur pour un tableau d'une valeur de 7 550 euros. Après
négociation, elle a obtenu le tableau au prix de 1 499 euros. N'ayant pas de chéquier avec elle,
elle a demandé à M. Ravier de lui avancer la somme contre promesse d'un remboursement
sous quinze jours. M. Ravier a raconté l'histoire le soir même à son fils, exprimant ses
craintes de n'être pas remboursé. Depuis, M. Ravier et Louise se sont séparés. Louise lui a
laissé un petit mot : « Merci pour tout. Je garderai de toi de merveilleux souvenirs et en
particulier le tableau que tu m'avais offert pour Noël
Amusé par la négociation de Louise avec le vendeur, M. Ravier avait enregistré l'échange
avec son téléphone portable. Il s'est rendu compte qu'il avait également enregistré le passage
où Louise lui promettait qu'elle le rembourserait rapidement.
Son fils est également prêt à témoigner que Louise a emprunté l'argent à son père.
M. Ravier se demande quelles sont ses chances de récupérer la somme de 1 499 euros.
M. Ravier vous demande d'éclaircir ces différents points,
Le Code civil est autorisé. Utilisez-le pour extraire la jurisprudence applicable aux problèmes
posés dans le cas pratique. Lisez bien le sujet pour comprendre les faits (attention aux dates).
Répondez aux différents problèmes les uns après les autres, en argumentant votre réponse,
c'est-à-dire en montrant pourquoi les règles de droit que vous énoncez s'appliquent ou non au
problème soulevé.

OBSERVATION DU CORRECTEUR
Le Code civil est autorisé. Utilisez-le pour extraire la jurisprudence applicable aux problèmes
posés dans le cas pratique.

157
Lisez bien le sujet pour comprendre les faits (attention aux dates)
Répondez aux différents problèmes les uns après les autres, en argumentant votre réponse,
c’est-à-dire en montrant pourquoi les règles de droit que vous énoncez s’appliquent ou non au
problème soulevé.
Question n° 1 : L'application de la loi dans le temps
Les faits soulèvent deux questions :
- à propos de l'opposition à l'enlèvement des ruches, il faudra déterminer à quel moment une
nouvelle loi interdisant l'exploitation de ruches en ville entre en vigueur ;
- à propos de l'application de la loi à l'activité déjà ancienne de M. Ravier, il faut rechercher si
la loi nouvelle a vocation à s'appliquer.
1 / L'entrée en vigueur de la loi du 15 janvier et l'opposition à l'enlèvement des ruches
Il convient de déterminer à quel moment la loi entre en vigueur.
La loi du 15 janvier est-elle entrée en vigueur ?
La solution est apportée par l'article 1 er du Code civil qui prévoit qu'une loi entre en vigueur
à la date qu'elle fixe, à défaut, le lendemain de sa publication au Journal officiel. Ainsi, la loi
ne peut être entrée en vigueur aujourd'hui.
Cependant, il existe deux exceptions à ce principe : l'urgence et l'adoption de mesures
d'application. Or, en l'espèce, si l'urgence ne semble pas avoir été retenue, la loi prévoit que
sa mise en œuvre est subordonnée à l'adoption d'un décret en Conseil d'État. Cela signifie que
la loi ne pourra entrer en vigueur que lorsque ce décret sera publié.
Ainsi, M. Ravier peut refuser d'enlever dès aujourd'hui ses ruches puisque la loi n'est pas
encore entrée en vigueur.
2/ L'application de la loi du 15 janvier à l'activité de M. Ravier
La loi nouvelle est-elle susceptible de s'appliquer à l'activité de M. Ravier ?
Il s'agit ici de déterminer si la loi nouvelle, une fois entrée en vigueur, s'appliquera à la
situation de M. Ravier ou si celui-ci pourra continuer d'exercer son activité sur le fondement
de la législation antérieure.
Concernant les règles de conflits de lois dans le temps, l'article 2 du Code civil indique que «
la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ». Cette disposition a été
complétée par la doctrine et la jurisprudence qui appellent à distinguer selon la nature des
situations entre les situations contractuelles et les situations légales (ou extracontractuelles).
En l'espèce, il est précisé que M. Ravier exerce son activité conformément à la législation
précédente. Il s'agit d'une situation légale, non contractuelle. En la matière, le principe est
celui de l'application immédiate de la loi nouvelle. Ainsi, le jour où elle entrera en vigueur
(c'est-à-dire comme démontré plus haut quand son décret sera publié) elle s'appliquera à M.
Ravier. Peu importe l'ancienneté de son activité. La loi ne rétroagit pas, conformément à
l'article 2 du Code civil, mais elle s'applique immédiatement. Elle régira donc à l'avenir la
situation de M. Ravier, qui n'aura d'autre choix que de déplacer ses ruches.

158
Question n° 2 : La preuve du prêt de 1 499 euros
En décembre 2017, M. Ravier a prêté 1 499 euros à sa compagne, Louise, pour l'achat d'un
tableau. Il souhaite désormais en obtenir le remboursement.
En tant que créancier de la dette, il devra rapporter la preuve de l'existence de celle-ci pour en
obtenir le paiement. En effet, en vertu de l'article 1353 du Code civil, la preuve incombe au
demandeur.
En l'espèce, il s'agit de prouver un acte juridique portant sur une valeur inférieure à 1 500
euros.
Problème de droit : Comment se fait la preuve d'un acte juridique portant engagement d'une
seule personne de payer une somme d'argent inférieure à 1 500 euros ?
Règle de droit : Le Code civil retient le principe de la liberté de la preuve (art. 1358). Il
prévoit cependant des exceptions et notamment l'article 1359 pose le principe de la preuve
par écrit de l'acte juridique d'une valeur supérieure à 1 500 euros. Le prêt portant sur 1 499
euros, la preuve est donc libre. D'après les faits, M. Ravier a à sa disposition trois éléments :
le petit mot que Louise lui a envoyé, l'enregistrement de la conversation et le témoignage de
son fils Théo. Il convient d'analyser si ces trois éléments suffisent pour faire la preuve
recherchée.
Sur les modes de preuve admissibles :
1 / Le petit mot
L'écrit de Louise peut être produit comme preuve. Il constitue une lettre missive qui peut
valoir comme présomption ou être considérée comme un commencement de preuve par écrit.
Puisque la preuve ne doit pas obligatoirement être écrite, il est inutile de rechercher s'il
constitue un commencement de preuve par écrit. Le mot écrit est une présomption du fait de
l'homme qui est soumise à l'appréciation des juges du fond. Les présomptions sont
abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat qui ne doit admettre que des
présomptions graves, précises et concordantes, mais ce dernier peut se contenter d'un fait
unique suffisamment pertinent et déterminant. En l'espèce, l'écrit n'est pas suffisant. Il ne
mentionne pas directement un prêt, mais au contraire un don, et encore moins le montant de
celui-ci.
2/ L'enregistrement
M. Ravier dispose de l'enregistrement réalisé à l'insu de Louise. Cet enregistrement constitue-
t-il une preuve admissible ? La jurisprudence répond négativement. En matière civile,
commerciale ou sociale, le principe de loyauté de la preuve conduit le juge à refuser les
preuves qui auraient été obtenues par des moyens frauduleux. Or, un enregistrement d'images
ou de sons n'est pas une preuve loyale lorsqu'il a été réalisé à l'insu de la personne
enregistrée. Ce principe a été consacré par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans
un arrêt du 7 janvier 2011 : « l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à
l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa
production à titre de preuve ». Par conséquent, la production de l'enregistrement de Louise
réalisé à son insu est irrecevable.
3/ Le témoignage du fils

159
Le témoignage est un acte par lequel une personne atteste l'existence d'un fait dont elle a eu
personnellement connaissance. Il doit en principe porter sur des faits directement perçus par
son auteur. Toutefois, le témoignage peut aussi être indirect, lorsque le témoin rapporte les
propos d'un tiers. En l'espèce, M. Ravier pourra utiliser le témoignage de son fils. En matière
civile, il n'y a pas de restriction, sauf dans le cadre de la procédure divorce : les descendants
peuvent être entendus comme témoins.
Ce témoignage reste toutefois soumis à l'appréciation des juges.
En conclusion, seuls le petit mot de Louise et le témoignage de son fils permettront à M.
Ravier d'agir en justice. S'agissant de preuves imparfaites, elles restent soumises à
l'appréciation du juge et en l'absence d'autres éléments (traces dans les relevés bancaires par
exemple) ses chances de succès semblent faibles.

Vous répondrez de façon précise aux questions suivantes.


1 Quelles sont les caractéristiques de la règle de droit ?
2 Qu'est-ce qu'une règle coutumière ?
3 Comment prouve-t-on un fait juridique ?
4 Comment prouve-t-on un acte juridique ?
5 Qu'est-ce que le syllogisme judiciaire ?
6 Pourquoi les premiers juges sont-ils appelés « juges du fond » ?
7 À quoi sert la Cour de cassation ?
8 Que prévoit l'article 2 du Code civil ?
9 Qu'est-ce qu'un déni de justice ?
10 Qu'est-ce qu'un revirement de jurisprudence ?
11 Les arrêts de principe sont-ils interdits par l'article 5 du Code civil ?
12 Qu'est-ce qu'un acte authentique ?
13 Qu'est-ce qu'un serment décisoire ?
14 Qu'est-ce qu'une présomption irréfragable ?
15 La théorie de l'abus de droit vise-t-elle seulement à sanctionner l'intention de nuire à autrui
?

OBSERVATION DU CORRECTEUR

Répondez de façon précise et synthétique à chaque question posée.


Gérez votre temps pour répondre à toutes les questions.

160
Parfois, le barème de correction (nombre de points par question) est indiqué. Cela vous donne
une indication quant à l'importance de votre réponse. Bien évidemment, ce n'est pas la
quantité qui compte mais la qualité.
QUESTION 1
Quels sont les caractéristiques de la règle de droit ?
La règle de droit est une règle générale, obligatoire et coercitive.
- Générale : la règle de droit est la même pour tous. Elle s'applique indépendamment des
particularités individuelles.
- Obligatoire : la règle juridique est un ordre, un commandement pour celui auquel elle
s'applique obligatoirement.
- Coercitive : la règle de droit est la seule dont la violation soit sanctionnée par la contrainte
étatique.

QUESTION 2
Qu’est-ce qu'une règle coutumière ?
Une règle coutumière est un usage devenu une règle de droit parce que la conscience
populaire le considère comme obligatoire. Elle se décompose donc en deux éléments, un
élément matériel (un usage ancien, constant, général, et notoire) et un élément psychologique,
l'opinio necessitatis. Ce dernier consiste dans la conviction que l'usage suivi présente un
caractère obligatoire, qu'il constitue une règle qui s'impose comme une règle de droit, bien
qu'elle ne soit pas exprimée sous la forme légale ou jurisprudentielle, et dont l'inobservation
entraîne une sanction. Sans cette croyance, l'usage resterait extra-juridique, il ne se
transformerait pas en coutume, en règle de droit.
QUESTION 3
Comment prouve-t-on un fait juridique ?
En vertu du principe de liberté de la preuve, les faits juridiques peuvent être prouvés par tout
moyen. Ne pouvant être prévus à l'avance par les parties, leur preuve ne peut être préparée et
se fera effectivement par tous modes de preuve et rarement par écrits. Les délits ou quasi-
délits source de responsabilité civile, en particulier, se prouvent librement. En revanche, le
système de la liberté de la preuve est écarté par la loi pour certains faits. Il en est ainsi de
l'état des personnes (la naissance, le mariage, le décès...) qui se prouve par les actes de l'état
civil et la filiation dont la preuve est spécialement réglementée.
QUESTION 4
Comment prouve-t-on un acte juridique ?
L'acte juridique résultant d'une manifestation délibérée de volonté, il est en effet possible
d'exiger des parties qu'elles en pré6constituent la preuve par la rédaction d'un écrit en la
forme authentique ou sous signature privée. C'est pourquoi, la preuve des actes juridiques se
fait essentiellement par preuve écrite.

161
En effet, malgré l'affirmation du nouveau principe de liberté de la preuve applicable aux actes
juridiques comme aux faits juridiques, la preuve écrite s'impose très souvent. L'article 1359
du Code civil prévoit en effet deux exceptions majeures à la liberté de la preuve en exigeant
un écrit, d'une part, pour faire la preuve d'un acte juridique d'un montant supérieur à 1 500
euros (en pratique de très nombreux actes et les plus importants) et, d'autre part, pour prouver
outre ou contre un écrit établissant un acte juridique.
QUESTION 5
Qu’est-ce qu’un syllogisme judiciaire ?
Pour parvenir à une conclusion, le juge s'en remet à divers moyens rationnels comme
l'induction et la déduction, qui assurent la confrontation des faits à la règle de droit. Il est
classique de présenter le raisonnement juridique comme la mise en œuvre d'un syllogisme.
Dans ce syllogisme, dit judiciaire, la majeure est représentée par la règle de droit, la mineure
par les faits exprimés juridiquement en considération des concepts juridiques (souvent elle se
dédouble : une première branche. expose les faits et une seconde les qualifie) et la conclusion
est déduite de cette confrontation. La conclusion traduit l'application de la règle aux
circonstances de faits considérées. Elle constitue la décision.
Exemple : la règle : article 1240 du Code civil : « tout fait quelconque de l'homme qui cause à
autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » ; les faits : X a
blessé Y ; conclusion : X doit réparer le dommage causé à Y.

QUESTION 6
Pourquoi les premiers juges sont-us appelés « juges du fond » ?
Les premiers juges, à savoir les juges des juridictions du premier degré, sont appelés « juges
du fond » parce qu'ils examinent le procès dans sa totalité, aussi bien en fait qu'en droit. Ils
apprécient si les faits allégués par les plaideurs ont été valablement prouvés. Ils leur
appliquent ensuite le droit. Ils sont amenés à juger une affaire sur le fond, c'est-à-dire à se
prononcer sur les éléments factuels d'un dossier et sur des prétentions des parties pour
justifier leurs décisions. Par opposition, la Cour de cassation, juge du droit, va juger sur la
forme, c'est-à-dire sur la conformité du droit aux décisions prises par les juges du fond. À
noter que les juges des cours d'appel sont aussi des juges du fond.
QUESTION 7
À quoi sert la Cour de cassation ?
Au sommet de la hiérarchie judiciaire, la Cour de cassation a pour mission de veiller à la
bonne application de la règle de droit par les juges du fond. Elle juge le droit et non les faits.
Elle considère comme vrais les faits qui ont été constatés par les juridictions inférieures et se
contente de dire qu'elle est la règle de droit qu'il convenait de leur appliquer. Elle n'est pas un
troisième degré de juridiction qui réexaminerait l'affaire. Elle vérifie si les juges du fond ont
fait une bonne application du droit. La Cour de cassation juge les pourvois formés contre
toutes les décisions rendues en dernier ressort par toutes les juridictions du fond, civiles
comme pénales (litige inférieur au taux de ressort ou arrêt de cour d'appel).
QUESTION 8

162
Que prévoit l'article 2 du Code civil ?
Textuellement l'article 2 du Code civil prévoit que : « la loi ne dispose que pour l'avenir, elle
n'a point d'effet rétroactif». Fondamentalement, il pose le principe de la non-rétroactivité de
la loi qui se décompose en deux règles. Ne disposant que pour l'avenir, elle ne s'applique
qu'aux situations juridiques nées postérieurement à son entrée en vigueur. N'ayant point
d'effet rétroactif, la loi ne peut s'appliquer à des faits ou actes antérieurs à son entrée en
vigueur. Elle ne peut revenir sur une situation juridique entièrement constituée ou éteinte sous
l'empire de la loi ancienne, ni sur les effets qu’elle a produits pendant cette période.
QUESTION 9
Qu’est-ce qu’un déni de justice ?
En droit, le déni de justice signifie le refus d'un tribunal d'exercer sa fonction juridictionnelle,
c'est-à-dire de trancher un litige existant en fonction de règles de droit. Ce refus de juger de la
part d'un juge est un délit pénal puni de 7 500 euros d'amende et de l'interdiction d'exercice
des fonctions publiques (de 5 à 20 ans) (C. pén, art. 434-7-1). Il est prévu à l'article 4 du Code
civil que « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de
l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ».
QUESTION 10
Qu'est-ce qu'un revirement de jurisprudence ?
Le revirement de jurisprudence correspond à tout changement d'interprétation du droit
jusque-là appliquée qu'opère une juridiction, et en particulier, la Cour de cassation. Autrement
dit, il naît du changement dans l'application du droit par les juridictions. Critiqué en ce qu'il
porte atteinte au principe de sécurité juridique, il est justifié par la nécessaire évolution du
droit. La Cour de cassation considère que le principe de sécurité ne saurait consacrer un droit
acquis à une jurisprudence immuable dont l'évolution relève de l'office du juge dans
l'application du droit.
QUESTION 11
Les arrêts de principe sont-ils interdits par l'article 5 du Code civil ?
Les arrêts de principe ne sont pas interdits par l'article 5 du Code civil. Celui-ci interdit les
arrêts de règlement, c'est-à-dire ayant une portée générale et s'imposant pour les affaires
similaires ultérieures. L'article 5 du Code civil défend « aux juges de prononcer par voie de
disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ». En prohibant les
arrêts de règlement, il empêche tout empiétement du juge sur les compétences du législateur.
Cela n'empêche pas la Cour de cassation de pouvoir poser un principe général. Il s'agit d'un
principe jurisprudentiel général qui est autonome du texte visé comme par simple formalité
qui figure dans un « chapeau » en tête des arrêts de la Cour. La Haute juridiction tranche en
apportant une solution exemplaire.
QUESTION 12
Qu'est-ce qu'un acte authentique ?
Un acte authentique est un document rédigé par un officier public (officier d'état civil,
greffier, huissier, notaire) qui doit être compétent matériellement et territorialement. L'acte

163
authentique doit être rédigé dans des formes prévues par la loi et signé par l'officier public
compétent. Il peut être dressé sur support électronique s'il est établi et conservé dans des
conditions fixées par décret en Conseil d'État. Les conditions de validité de l'acte authentique
en font la preuve la plus sûre qui fait foi jusqu'à inscription de faux quant à son origine, sa
date, sa signature et les déclarations ou contestations personnelles du notaire. Ces données ne
peuvent être contestées que par la procédure pénale d'inscription de faux qui est une
procédure longue, coûteuse et risquée. En revanche, les déclarations des parties ou des
témoins, simplement consignées par l'officier public, ont une force probante inférieure
puisqu'elles ne font foi que jusqu'à preuve du contraire.
QUESTION 13
Qu’est-ce qu’un serment décisoire ?
Un serment décisoire est une preuve parfaite. Il s'agit d'une procédure d'instruction par
laquelle une partie demande à l'autre d'affirmer, en prêtant serment à la barre, la véracité de
ses allégations. Il est déféré par une partie à l'autre. Cette procédure oblige l'adversaire à
prêter serment sur l'existence ou la véracité du fait qu'il invoque. L'adversaire a alors trois
possibilités : soit prêter serment, auquel cas il gagne le procès, soit refuser de prêter serment,
ce qui équivaut à un aveu judiciaire du mal-fondé de son allégation, soit il réfère le serment
qui lui a été déféré par l'autre partie. Si celle-ci prête serment, elle gagne le procès ; si elle s'y
refuse, elle le perd. Il s'agit d'un procédé très rarement utilisé car chacune des parties est
entièrement dépendante de la bonne ou mauvaise foi de son adversaire.
QUESTION 14
Qu'est-ce qu'une présomption irréfragable ?
Une présomption irréfragable (ou absolue ou juris ou de jure) est une présomption qui ne peut
être renversée. Elle n'est pas susceptible de preuve contraire. Non seulement celui qui en
bénéficie n'a pas à apporter la preuve de ce qu'il invoque mais aucune preuve contraire ne
pourra lui être opposée. Parmi les présomptions irréfragables, se trouve celle relative à
l'autorité de chose jugée : ce qui a été jugé définitivement ne peut plus être remis en cause, on
ne peut démontrer l'inexactitude de la chose jugée, c'est-à-dire finalement que le juge s'est
trompé. En cela, ce type de présomptions constitue plus de véritables règles de fond que des
règles à finalité probatoire.
On peut opposer la présomption irréfragable à la présomption simple pour laquelle la loi
réserve la preuve contraire et qui peut être renversée par tout moyen de preuve et à la
présomption mixte dont la preuve contraire est admise mais n'est pas libre.
QUESTION 15
La théorie de l'abus de droit vise-t-elle seulement à sanctionner l'intention de nuire à
autrui ?
La théorie de l'abus de droit ne vise pas seulement à sanctionner l'intention de nuire à autrui.
Tout droit subjectif trouve sa limite dans l'exercice abusif qui en est fait par son titulaire.
Plusieurs critères ont été proposés par la doctrine et la jurisprudence pour déterminer le seuil
à partir duquel l'exercice d'un droit est abusif et peut être condamné. L'intention de nuire n'est

164
qu'un des fondements de l'abus. Il peut y avoir abus également quand le titulaire du droit
commet une faute dans l'exercice de son droit ou le détourne de sa fonction sociale.

Questions à choix multiple


Il ne peut y avoir qu'une seule bonne réponse à chaque question.

QUESTION 1
Quelle est la juridiction compétente pour juger les auteurs de contraventions ?
a. le tribunal de police
b. le tribunal correctionnel
c. la cour d'assises
QUESTION 2
Quelle est la juridiction compétente pour trancher un litige civil dont l'intérêt en jeu est
de 4 000 € ?
a. la juridiction de proximité
b. le tribunal d'instance
c. le tribunal de grande instance
QUESTION 3
Quelle est la juridiction de droit commun compétente pour trancher un litige civil dont
l'intérêt en jeu est égal à 10 000 € ?
a. la juridiction de proximité
b. le tribunal d'instance
c. le tribunal de grande instance
QUESTION 4
Devant les conseils de prud'hommes, comment s'appelle la formation chargée de tenter
de concilier les parties ?
a. le bureau de conciliation
b. la chambre de conciliation
c. la section de conciliation
QUESTION 5
Qui est le juge compétent en matière de divorce ?

165
a. le juge aux affaires matrimoniales
b. le juge aux affaires conjugales
c. le juge aux affaires familiales
QUESTION 6
Quelle est la juridiction compétente pour juger les litiges relatifs aux baux
d'habitation ?
a. le tribunal d'instance
b. le juge des loyers
c. le Tribunal de grande instance
QUESTION 7
Comment s'appelle le contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques,
terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ?
a. la transaction
b. la médiation
c. la conciliation
QUESTION 8
Qui a le pouvoir de signifier un jugement ?
a. un secrétaire-greffier
b. un avocat
c. un huissier de justice
QUESTION 9

a. l'affaire est jugée par un nombre impair de conseillers prud' hommaux


b. l'affaire est jugée par un juge du tribunal d'instance
c. l'affaire est jugée par la cour d'appel
QUESTIÔN 10
Qui est le juge chargé d’instruire une affaire civile devant le tribunal de grande
instance ?
a. le juge des référés
b. le juge de la mise en état
c. le juge d'instruction
QUESTION 11

166
Quelles sont les juridictions compétentes pour placer les entreprises commerciales ou
artisanales en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire ?
a. les tribunaux de commerce
b. les tribunaux de grande instance
c. les chambres de commerce
QUESTION 12
Quelle est la règle spécialement applicable aux conseils de prud'hommes ?
a. l'impartialité
b. la parité
c. le contradictoire
QUESTION 13
Les tribunaux rendent-ils ?
a. des jugements
b. des sentences
c. des arrêts
QUESTION 14
Qui remet une assignation au défendeur ?
a. un(e) avocat(e)
b. un(e) huissier de justice
c. un(e) secrétaire-greffier(ère)

QUESTION 15

a. l'appel est possible dans tous les cas


b. l'appel est possible dans certains cas
c. l'appel est impossible
QUESTION 16
Quels noms les juges des tribunaux de commerce portent-ils ?
a. les jurisconsultes
b. les juges consulaires

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c. les juges commerciaux
QUESTION 17
Comment appelle-t-on le juge chargé des affaires urgentes qui ne se heurtent à aucune
contestation sérieuse ?
a. le juge des requêtes
b. le juge d'instruction
c. le juge des référés
QUESTION 18
La Cour de cassation comprend-elle
a. trois chambres civiles - une chambre commerciale, financière et économique - une
chambre sociale -une chambre criminelle
b. deux chambres civiles - une chambre commerciale, financière et économique - une
chambre sociale -deux chambres pénales
c. deux chambres civiles - deux chambres commerciales, financières et économiques - une
chambre sociale - une chambre criminelle
QUESTION 19
De quand date la loi de modernisation de la Justice du XXI° siècle ?
a. du 18 novembre 2016

b. du 18 décembre 2016
c. du 18 juillet 2017
QUESTION 20
Comment s'appelle le type d'appel mis en place devant les cours d'assises ?
a. l'appel circulant
b. l'appel circulaire
c. l'appel circulatoire

Question et Bonne réponse


1a ; 2b ; 3 b  ; 4a ; 5c ; 6a ; 7 a  ; 8 c ;
9b ; 10 b ;
11 a ; 12 b ; 13 a ; 14 b ; 15 a ; 16 b ; 17 c ; 18 a ; 19 a ; 20
b.

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