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LE CONTRAT ET LE CORPS HUMAIN 

: UN COUPLE INFERNAL ?
Daphtone LEKEBE OMOUALI
Assistant, Université Marien NGOUABI de Brazzaville
E-mail : daphtone@yahoo.fr; tél :(00242).06.436.66.36 ; 01.441.41.41.

SOMMAIRE :

I.- L’exclusion du corps humain du domaine contractuel

A.- Une exclusion fondée sur la théorie de l’objet

B.- Une exclusion justifiée par le statut du corps humain

II.- L’intégration du corps humain dans le domaine contractuel

A.- Une intégration dans les contrats à titre gratuit

B.- Une intégration dans les contrats à titre onéreux

1
« La personne humaine est traitée comme une valeur économique et juridique (…) elle se
commercialise, elle se patrimonialise ; nous serions tentés d’écrire qu’elle s’américanise ».
Dès 1932, Josserand1 s’insurgeait déjà contre cette tendance à la patrimonialisation du corps
humain, qui devrait constituer l’un des signes de la vitalité du contrat au XXIe siècle.
Le droit des contrats est encadré par des principes supérieurs en nombre croissant. La
multiplication de ces principes n’a pas empêché la libéralisation du contenu des contrats. Plus
aucun objet, aucune cause contractuelle ne sont tabous ; tout peut constituer une prestation
contractuelle.
Cette libéralisation est l’effet conjugué de plusieurs facteurs : les considérables progrès
scientifiques, la libéralisation des mœurs2 et « un accroissement du dynamisme contractuel »3.
Mais cette libéralisation du contenu du contrat fait-elle de la personne, et plus précisément du
corps humain qui en constitue l’enveloppe charnelle, un objet du contrat ? La réponse à cette
question a varié dans l’histoire juridique de la France, qui a pratiqué pendant longtemps le
commerce des esclaves.
En effet, même si le Code civil ne parlait pas du tout de l’esclavage, fut-ce par allusion, c’était
plus par embarras que parce qu’il condamnait l’institution. Après tout, pouvait-on argumenter
que ce silence s’expliquait par une exception virtuelle, c’est une exception rationae loci : le
Code civil n’était pas applicable dans les territoires coloniaux où se pratiquait ce type de
commerce. Les arrêtés coloniaux qui promulguèrent le Code civil dans les possessions
françaises déclarèrent ne le promulguer qu’ « avec les distinctions constituant essentiellement
le régime colonial », et en particulier, réservant expressément la condition d’esclave4. Par-là,
toute la réglementation monarchique de l’esclavage se trouva maintenue sous l’empire du
Code civil, et singulièrement la déclaration royale de mars 1865 touchant la police des îles de
l’Amérique, le fameux Code noir5.
Le Code du commerce devait traiter comme un fait banal, fortune de mer, force majeure, le
cas des matelots capturés et faits esclaves chez les Barbaresques (art. 266 et s., C. comm.), et
il en réglait minutieusement les incidences de droit privé. En particulier, ces textes, qui n’ont
été abrogés qu’en 1926, se préoccupait de déterminer à quelles conditions une indemnité

1
L. Josserand, « La personne humaine dans le commerce juridique » D. 1932, chron. p.1.
2
D. Fenouillet, « Les bonnes mœurs sont mortes ! Vive l’ordre public philanthropique ! », in Le droit privé à la
fin du XXe siècle. Etudes offertes à Pierre CATALA, Litec, 2001, pp.487 et s.
3
L. Josserand, « Aperçu général des tendances actuelles de la théorie des contrats », RTD. civ. 1937, p.12.
4
V. par exemple pour la Martinique, arrêté colonial du 7 novembre 1805, art.2 (DURAND-MOLARD, Code de
la Martinique, t.5, p.75).
5
J. Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, L.G.D.J, 10e éd. 2014, p. 247 et s.

2
pouvait être mise à la charge de l’armateur pour le rachat du matelot captif, et elle en fixait
expressément cette indemnité à 600 F6.
Il convient de préciser que contrat et corps humain n’ont pas connu la même faveur chez les
rédacteurs du Code civil. Tandis que le contrat a connu une consécration exceptionnelle dès
1804, il fallut attendre la toute fin du XXe siècle, précisément deux lois françaises du 29
juillet 1994, pour que le corps humain fasse son entrée dans le Code civil, qui l’avait
escamoté au profit de la notion désincarnée de personne. Cette longue absence s’explique,
d’une part, par la difficulté d’appréhender la nature du corps humain : chose, objet d’un droit
de propriété ou d’un droit réel d’usufruit, ou chose sacrée échappant aux classifications
traditionnelles ? Le silence assourdissant du Code, pendant près de deux siècles, procède
d’autre part de la difficulté de déterminer un statut du corps qui concilie les différents intérêts
dont il est le support et les impératifs contradictoires au cœur desquels il est placé7.
Ces différentes raisons placent inévitablement le corps humain hors du champ contractuel. Le
fondement juridique de cette exclusion réside dans les dispositions de l’article 1128 du Code
civil aux termes duquel « Il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être
l’objet de conventions ». Ce fondement, envisagé sous l’angle contractuel, n’est pas tout à fait
exact puisque dans la typologie des choses hors commerce, le corps humain n’en fait pas
partie8 pour cette raison évidente que celui-ci, en tant que composante de la personne, n’est
pas une chose9. Pourtant, depuis fort longtemps, ce texte a servi de fondement à des décisions
judiciaires annulant certaines conventions ayant pour objet le corps humain10. Ces décisions
laissent apparaître une cloison étanche entre contrat et corps humain. D’ailleurs le Code civil
les présente de manière antinomique. L’un intéresse l’être et l’autre l’avoir.
Cette séparation est rationnelle puisque le corps humain est retiré du domaine des opérations
économiques entre personnes privées, alors que le contrat est de plus en plus tiré vers le
commerce et l’économique.
On le voit, le contrat n’a pas pour siège naturel le corps humain qui est considéré comme un
res extra commercium, c’est-à-dire faisant partie des « choses hors du marché »11 pour
reprendre une expression doctrinale très à la mode. Cette position est confortée par deux
dispositions du Code civil. Il s’agit d’abord de l’article 16-1 al.3 qui dispose : « Le corps

6
Ibid., p.247.
7
A. Bénabent-D. Mazeaud, Code civil. Les grands articles du code civil, 2e édition, Dalloz, 2015, pp.25 et s.
8
G. Loiseau, « Typologie des choses hors du commerce », RTD civ. (1) janv.-mars 2000, p.47.
9
F. Terré, D. Fenouillet, Droit civil. Les personnes, La famille, Les incapacités, Dalloz, 7e éd., 2005, p.19.
10
Ch. Atias, « Contrat de substitution de mère », D. 1986. Chron. 67.
11
M.-A. Frison-Roche, « Le modèle du marché », Archives de philosophie du droit, t.40, 1995, p.287 et s ; M.-A.
Hermitte, « Le corps, hors du commerce, hors du marché », Archives de philosophie du droit, 1988, p.323.

3
humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».Il s’agit
ensuite de l’article 16-5 aux termes duquel : « Les conventions ayant pour effet de conférer
une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ».
Ces textes, pour représenter un fondement certain de l’exclusion du corps humain du domaine
contractuel, n’introduisent pas moins une nuance de taille. Le législateur semble assouplir la
rigueur de principe de cette exclusion et les auteurs notent un passage de l’indisponibilité vers
la non-patrimonialité du corps humain12. En effet, dire que le corps humain ne peut pas faire
l’objet d’un droit patrimonial ne signifie en rien qu’il ne puisse faire l’objet de convention. Il
est seulement interdit de recourir à une catégorie seulement des conventions ; celles qui
« peuvent conférer une valeur patrimoniale au corps humain ». Cette première distinction
ramène subrepticement le corps humain dans le giron contractuel en lui interdisant toutefois
l’accès à certains de ses territoires.

Par ailleurs, depuis peu, un phénomène de personnification des choses trouve son pendant
dans une tendance parallèle et diffuse de réification des personnes. Symptomatiques sont, à
cet égard, les solutions dont font aujourd’hui objet ces collections particulières de personnes
que constituent les clientèles, en matière civile et commerciale, comme l’illustre si bien
l’évolution jurisprudentielle en droit français. Qui leur prête un tant soit peu d’attention
pourra d’ailleurs constater qu’en ce qui les concerne, la distinction des choses dans le
commerce et des personnes hors du commerce n’a plus de réelle signification.
Ainsi, si l’on ne peut concevoir de contrat qui mette le corps humain à la disposition d’autrui,
nombreuses sont aujourd’hui des figures contractuelles qui portent soit sur la personne, soit
sur certains éléments ou produits de son corps. Ces évolutions, qui montrent bien que le corps
humain peut être saisi par le contrat, suffisent-elles à le faire basculer « dans le registre de
l’avoir » ? Il n’est plus permis de répondre catégoriquement, car si le corps humain reste une
valeur extra contractus(I) ;il représente de plus en plus un objet possible du contrat (II).

I.- L’exclusion du corps humain du domaine contractuel

Les rédacteurs du Code civil de 1804 se sont efforcés, à travers l’article 1128, de fixer le
périmètre du contenu contractuel. Cependant, la formule utilisée par ce texte ne permet pas de
savoir à l’avance quelles sont les « choses » qui peuvent ou ne pas faire l’objet d’un contrat.
Mais la doctrine reste quasi-unanime que cette disposition constitue une référence en matière
de contenu du contrat. Dans le projet CATALA sur la réforme du droit des contrats, « l’article
12
S. Lavroff-Detrie, De l’indisponibilité à la non-patrimonialité du corps humain, thèse Paris I, 1997.

4
1128 concernant les « choses hors commerce », dont la formule célèbre fait partie de notre
patrimoine juridique, a été conservé. On a préféré la maintenir plutôt qu’établir une liste
détaillée des choses hors commerce, ce qui aurait été hasardeux et inévitablement
incomplet »13.Parmi les choses qui ne sont pas dans le commerce, la personne, ou mieux le
corps humain qui en constitue le substratum, en est la plus évidente. Les raisons de cette
exclusion du corps humain tiennent aussi bien à la théorie générale de l’objet (A), qu’au
caractère sacré du corps humain qui fait la personne (B).

A. Une exclusion fondée sur la théorie de l’objet

La théorie de l’objet a toujours paru paisible. Cela ne fait cependant pas de l’objet un fleuve
tranquille. La première crise de l’objet est d’ordre terminologique. En droit moderne, on parle
de plus en plus du contenu du contrat14.L’objet est d’ailleurs peu évoqué dans les codifications
récentes, officielles ou officieuses. Le Code civil du Québec, par exemple, ne lui consacre que
deux articles (1412 et 1413). Les « principes du droit européen des contrats » et le « Code de
l’Académie des privatistes européens » n’évoquent que le contenu du contrat.
Les rédacteurs du projet CATALA ont bien résisté à cet esprit de mode. Les articles 1121 à
1122-3 du projet conservent la terminologie traditionnelle. La notion de contenu du contrat
qui lui est désormais préférée n’a pas été retenue parce qu’elle « ne parait pas présenter une
précision suffisante pour garantir la sécurité des relations contractuelles »15.
Au-delà de cette querelle sémantique, au demeurant sans grande importance, il faut préciser
que l’objet du contrat doit porter sur une chose qui est dans le commerce. On l’a dit, les
rédacteurs du Code civil n’ont pas défini ce qu’il convient d’entendre par « chose dans le
commerce » ; ils n’ont pas non plus donné la liste des choses qui peuvent être considérées
comme étant « dans le commerce ». Le mérite est donc revenu à la doctrine de définir la
notion et à la jurisprudence d’établir par a contrario la liste des choses qui sont hors du
commerce.
En effet, le terme « commerce » reçoit, à l’article 1128 du Code civil, une acception différente
du sens que lui donne le législateur dans le Code de commerce 16. Il désigne, au contraire, « la
possibilité pour une chose de servir d’objet à un acte juridique »17. La tâche de la

13
Jérôme Huet, Rémy Cabrillac, « Validité-objet (art.1121 à 1123), Rapport CATALA 2005, p.24.
14
Jean Carbonnier, Droit civil, Vol. II, Quadrige/P.U.F, 2004, n°969, p.2008 et s.
15
Jérôme Huet, Remy Cabrillac, loc.cit., p.24.
16
Patrick Wéry, Droit des obligations. Vol.1 : Théorie générale des contrats, éd. Larcier, 2010, p.256.
17
Marcel Planiol, Traité élémentaire de droit civil, T.II., 1900, p.135.

5
jurisprudence, après 1804, était donc de déterminer les choses qui ne peuvent servir de
« matière » au contrat.
Cette tâche est loin d’être simple. Il en est ainsi parce que l’extra commercialité au sens de
l’article 1128 du Code civil est, en règle générale, relative. Ainsi existe-il, comme le faisait
remarquer si justement Josserand, des « biens qui répugnent à tel ordre de tractation et qui
s’accommodent parfaitement de tel autre »18. Quoi qu’il en soit, il est des choses qui sont
placées presque absolument hors du commerce et qui répugnent, par voie de conséquence, à
toute idée de contrat. Il en est ainsi du corps humain, de l’état des personnes entre autres.
A propos du corps humain, qui est l’incarnation de la personne, son statut juridique fait l’objet
de controverse en doctrine. En effet, si certains assimilent le corps humain à la personne19,
d’autres par contre y voient une chose20. Cette controverse doctrinale nous paraît sans intérêt
car, les deux positions aboutissent inévitablement au même résultat.
En effet, si le corps humain n’est pas une chose, il est nécessairement au-dessus des
conventions. A l’inverse, si on le considère comme une chose, la question de savoir si cette
« chose » est ou non placée dans le commerce ne se pose pas moins. Tels sont les termes dans
lesquels peut se poser la question de la place du corps humain dans l’objet des conventions.
La jurisprudence française semble opter pour la seconde position, c’est-à-dire celle qui
consiste à faire du corps humain « une chose », mais une chose hors de commerce.
Dans son avis du 13 décembre 1990, le Comité Consultatif National d’Ethique adoptait
presque la même position en ces termes :
« Dire que le corps humain est hors commerce ou encore hors marché, c’est formuler deux
propositions complémentaires : d’une part, le corps humain, ou l’un de ses éléments ne
peuvent être l’objet d’un contrat, d’autre part, il ne peut être négocié par quiconque ».
C’est ce que la Cour de cassation21, évoquant l’illicéité du contrat de mère porteuse, a
confirmé en des termes en un peu plus solennels :
« Attendu que, la convention par laquelle une femme s’engage, fut-ce à titre gratuit, à
concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe
d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état
des personnes ».

18
Cité par Patrick Wéry, op.cit., p.256.
19
Michel Gobert, Réflexions sur les sources du droit et les « principes » d’indisponibilité du corps humain et de
l’état des personnes, RTD civ.1992.514, n°26 ; D. Thouvenin, La personne et son corps : un sujet humain, pas un
individu biologique, Petites Affiches, 14 décembre 1994, n°149, p.26.
20
Bernard Lemennicier, Le corps humain : propriété de l’Etat ou propriété de soi ?Revue Droits, t.13, 1991.111.
21
Cass. Ass.plén. 31 mai 1991, pourvoi n°90-20.105 ;Bull. civ., n°4, p.5., JCP 1991.II.21752 concl.
DOTENWILLE, note F. TERRE, Grands arrêts, n°49.

6
La solennité de cette décision, fondée sur les dispositions de l’article 1128 du Code civil, lui a
valu une consécration exceptionnelle et une place éminente dans le Code civil. Ainsi, l’article
16-7 du Code civil dispose : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour
autrui est nulle ». C’est sous cette forme que la loi a codifié la réaction que venait d’avoir la
jurisprudence confrontée à l’apparition d’une espère particulière de contrat dit de « mères
porteuses ».
S’inscrivant dans la grande tradition du droit français, plus humaniste que mercantile, et
séparant notre droit de ceux d’autres pays, parfois peu éloignés 22, cette prohibition suscite une
curiosité ; celle relative à la place qu’il convient de donner à cette disposition dans
l’architecture du Code civil.
En effet, inscrite au chapitre II, « Du respect du corps humain », du Code civil, cette règle a
tout d’une disposition spéciale du droit des contrats. Elle constitue à l’évidence une
application particulière de l’article 1128 du Code civil. Mais, la protection de la personne
valant plus que celle des biens, il a paru logique pour le législateur de ne pas l’inscrire dans la
partie du Code civil consacré au contrat, ce d’autant plus que l’interdit prononcé par la société
de recouvrir à un contrat sur le corps humain tient à la nature même de cette « chose » qui a
caractère sacré23. On ne peut cependant occulter la double fonction de cette disposition, qui
consacre la primauté de la personne, ou du moins de son corps, et constitue en même temps
une application particulière de l’extracontractualité du corps humain.
On le voit, la théorie de l’objet explique bien l’exclusion du corps humain du domaine
contractuel. Mais cette théorie ne contient pas des raisons pour lesquelles le corps humain ne
peut pas être l’objet du contrat. Cette exclusion paraît davantage s’expliquer par la dignité de
la personne humaine.

B.- Une exclusion justifiée par le statut du corps humain


Les rédacteurs de la loi française du 29 juillet 1994 semble avoir mis fin à la controverse
doctrinale sur le statut juridique du corps humain. Ce statut semble aujourd’hui découle des
principes contenus dans les dispositions de l’article 16-5 du Code civil, qui dispose : « Les
conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses
éléments ou à ses produits sont nulles ».
Ce texte dégage le principe de non-patrimonialité du corps humain, qui constitue le
prolongement direct du principe de dignité de la personne humaine, et est le corollaire du

22
A. Bénabent, D. Mazeaud, op.cit., p.29.
23
J. Carbonnier, op.cit., n°970, spéc. p.2013.

7
principe de l’indisponibilité du corps humain. Ces principes font obstacle à l’intégration du
corps humain dans le périmètre contractuel. Ils appellent un commentaire pour mieux
comprendre les raisons de l’exclusion du corps humain du domaine contractuel.
Le principe d’indisponibilité, d’abord, dont le support textuel réside dans l’article 1128 du
Code civil. En perte de vitesse24, ce principe a été, on l’a vu, exploité par la Cour de cassation
française pour annuler un contrat de mère porteuse. On rappellera que cette solution
jurisprudentielle a, depuis, été codifié dans l’article 16-7 du Code civil.
Le principe de dignité de la personne humaine constitue, ensuite, le deuxième pilier sur lequel
repose l’interdiction de faire du corps humain un objet de contrat. Il s’oppose à tout contrat
dont l’effet consisterait à porter atteinte à l’appartenance de chacun au genre humain. Dans un
arrêt rendu en date du 16 septembre 201025, la première chambre civile de la Cour de
cassation s’est référée au principe de dignité pour décider que l’exposition de cadavres
humains à des fins commerciales était illicite. Le Conseil d’Etat26 français avait, en 1995,
considéré, comme portant « atteinte à la dignité de la personne humaine », le contrat de
« lancer de nain » (le nain, dûment matelassé, étant, bien entendu, volontaire et rémunéré). On
rappelle que le principe de la dignité de la personne humaine est reconnu, d’autre part, comme
ayant une valeur constitutionnelle27.
Aujourd’hui, enfin, c’est le principe de non-patrimonialité du corps humain qui, sans doute,
exprime l’esprit du droit positif français quant aux pouvoirs dont chacun dispose sur son corps
et de la possibilité d’en faire un objet du contrat. En substance, à l’aune de ce principe, parce
que le corps relève du domaine de l’être, il ne peut pas basculer, à la suite d’un contrat, dans
la sphère de l’avoir. Au regard de l’importance de ce principe, 17 parlementaires français
avait déposé à l’Assemblée nationale française une proposition constitutionnelle visant rendre
constitutionnel le principe de non-patrimonialité du corps humain. L’article 1er de la
Constitution de la République française serait ainsi rédigé :
« La République française garantit le respect des grands principes applicables à la dignité de
la personne humaine au premier rang desquels on compte la protection du corps humain et

24
V. en ce sens: J.-L. Renchon, « Indisponibilité, ordre public et autonomie de la volonté dans le droit des
personnes et de la famille », in Le Code civil entre ius commune et droit privé européen, Etudes réunies et
présentées par A. Wijiffels, Bruylant 2005, p.268 et s.
25
(n°09-67.456): D. 2010, p. 2754, B. Edelman ; RTDCiv. 2010, p. 760, J. Hauser ; CCE 2010, comm., 112, A.
Lepage ; D. 2010, p. 2750, G. Loiseau ; JCP G 2010, p. 1239, B. Marrion ; D. 2010,
p. 2145, F. Rome.
26
CE Ass. 27 octobre 1995, comm. de Morsang-sur-Orge et Ville d’Aix-en-Provence, p.372, concl. P. Frydman,
AJ 1995, p. 878.
27
CC 27 juillet 1994, Lois sur la bioéthique, citée par R. Chapus, Droit administratif général, Tome 1, 15e éd.
Montchrestien, 2001, n°910-3°, p.709.

8
l’impossibilité d’en faire, lui ou les produits qui en sont dérivés, l’objet de transactions
financières ou non ».
A la vérité, les contrats dont le corps humain constitue l’objet ne peuvent pas l’appréhender
comme une marchandise car, s’il est désormais, à certaines conditions, dans le commerce
juridique, le corps humain n’est pas sur le marché économique28.
On le voit, admettre que le corps humain peut, à certaines conditions, être dans le commerce,
c’est reconnaître qu’il est un objet possible du contrat.

II.- L’intégration du corps humain dans le domaine contractuel


La lecture combinée des articles 16-5 et 1128 du Code civil nous autorise à dire que le corps
humain n’est plus forcément en dehors de tout commerce juridique. Il ressort de ces
dispositions que, si le corps ne peut être l’objet d’une transaction commerciale, il ne reste pas
moins une chose susceptible de certains contrats, à titre gratuit notamment. Malgré la véracité
de ce propos, on doit relever une tendance moderne à la réification du corps, qui le place de
plus en plus sous l’orbite contractuel. Il faut l’admettre, le corps humain est aujourd’hui un
objet possible du contrat, qu’il soit à titre gratuit (A) ou à titre onéreux (B).

A.- Une intégration dans les contrats à titre gratuit

Le contrat à titre gratuit est celui où l’un des contractants entend procurer à l’autre un
avantage sans contrepartie. Ce type de contrat comprend plusieurs variétés. La plus
significative est le contrat de bienfaisance, c’est-à-dire celui où il n’y a pas de transfert de
valeurs opéré, mais seulement service rendu sans contrepartie29. Le Code civil foisonne
d’exemples de cette espèce particulière de contrat à titre gratuit30.
A priori, ces différents contrats à titre gratuit ne peuvent pas avoir pour objet le corps humain.
Mais c’était sans compter sur les progrès de la science et de la technique, qui ne sont pas sans
conséquences sur les valeurs sociales et sur l’ordre juridique. La première conséquence sur le
plan juridique fut évidemment la distinction, opérée par l’article 16-5 du Code civil, du corps
humain et de ses éléments ou produits. De cette distinction, le Code civil ne tire aucune
conséquence. Une partie de la doctrine considère cependant qu’il convient de distinguer le
corps envisagé comme un ensemble d’organes d’une part, et d’autre part les éléments et les

28
A. Bénabent-D. Mazeaud, op.cit. p.28.
29
J. Carbonnier, Droit civil, op.cit., n°930, p.1943 et s.
30
C’est le cas entre autres du prêt d’argent sans intérêt, commodat (article 1876), du mandat non salarié
(article1986).

9
produits du corps humain, en tant qu’ils peuvent s’en détacher et acquièrent alors le caractère
de choses qui ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial31.
On le voit bien, si l’aliénation des éléments et produits du corps humain est indiscutablement
illicite, la validité des conventions portant sur le corps humain, ses éléments et produits,
semble devoir admise toutes les fois que la combinaison répond à des fins légitimes
éprouvées, soit dans l’intérêt individuel de l’une des parties au contrat, soit dans l’intérêt des
recherches médicales. L’emploi (inconscient !) du terme à forte connotation commerciale de
« produits » trahit bien cette tendance contemporaine à faire basculer le corps dans le
commerce juridique.
A l’exception du contrat de mère porteuse, expressément visé par l’article 16-7, les
conventions à titre gratuit et ayant pour objet le corps humain, ses éléments ou ses produits,
sont valables.
Ainsi, le corps humain, traditionnellement considéré comme hors de commerce juridique, est
l’objet d’actes de dispositions à titre gratuit constitués soit par une utilisation partielle mais
définitive, soit par une disposition totale mais temporaire. La gratuité des contrats portant sur
le corps humain, ses éléments ou ses produits, s’impose pour des raisons pratiques évidentes.
Ce type de convention ne peut être consenti que dans un esprit de solidarité, donc la gratuité
s’impose32. De plus, une rémunération entrainerait un marché de la pauvreté et du sous-
développement et un risque de trafic.
Se fondant sur la distinction du corps et de ses organes et produits, législateur a donc lui-
même entrepris d’assouplir la rigueur du principe d’interdiction des conventions sur le corps
humain. Peuvent désormais faire l’objet de contrat de donation, le sang33, le sperme34 et
prélèvement d’organes en vue de greffe35. Dans la même logique, la loi française du 29 juillet
1994 réglemente, en ses articles L.1211-1s. et L1241-1s. du Code de la santé publique, la
cession et l’utilisation des produits du corps humain, y compris des embryons.
Ces différents contrats, bien qu’ils aient été soustraits à l’empire du Code civil, ne constituent
pas moins la preuve que le corps humain, ou du moins ses démembrements, peuvent faire
l’objet de conventions. Ces conventions échappent, en raison de la nature particulière de leur

31
F. Terré, D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacité, 7e éd., Dalloz, 2005, n°17, p.19.
32
V. en ce sens : Hélène, « Le dogme de l’intangibilité du corps humain et ses atteintes normalisées dans le droit
des obligations du Québec contemporain »,Rev. du B., 1976, p.56.
33
Article L1221- Code de santé publique.
34
L.31 déc. 1991, art. 13, devenu art. L.1244-1 Code de santé publique.
35
L.22 déc. 1976 dite Loi Cavaillet, devenu art. L.1231-1 du Code de santé publique.

10
objet, au droit commun des contrats. Elles obéissent à des règles originales tant en ce qui
concerne leur formation que leurs effets36.
Ces différentes hypothèses de contrat à titre gratuit sur le corps humain sont sans grande
incidence sur la théorie générale du contrat. Plus significatifs sont, en revanche, les contrats à
titre onéreux.

B.- Une intégration dans les contrats à titre onéreux


Les contrats à titre onéreux ayant pour objet le corps de la personne. La proposition peut de
prime abord surprendre. Mais, c’est ignorer que l’argent et la personne ont beau être
différents, sinon opposés, ils entretiennent, depuis toujours, une relation d’intimité 37. Et le
droit paraît consacrer l’étroite relation entre l’argent et la personne, spécialement en faisant du
contrat un cadre d’accueil de cette rencontre.
Le phénomène avait d’ailleurs été relevé il y a déjà plusieurs décennies dans une célèbre
chronique par laquelle Josserand décrivait une personne comme « matière à transactions, à
abandon, à réparation, à combinaisons ; parfois elle est traitée comme une valeur
économique et juridique… »38.
On considère traditionnellement que les services humains peuvent être loués, autrement dit
qu’une personne puisse mettre à la disposition d’une, contre rémunération, une partie d’elle-
même qu’est sa force de travail39. Jusqu’au siècle dernier, ce contrat heurtait une certaine
conception de la personnalité. Ripert écrivait à ce sujet que « le travail, c’est l’homme même,
dans son corps et dans son esprit, et il n’y a pas là l’objet possible d’un contrat »40.Cette
objection n’a cependant pas soustrait le contrat de travail de notre architecture contractuelle.
On ajoute souvent au contrat de travail, le contrat d’apport en industrie, c’est-à-dire un apport
de l’activité physique et intellectuelle de la personne. L’apport en industrie41 ne fait pas partie
du capital social, une valeur économique n’en est pas moins attribuée à cette projection de la
personne.
Ces différentes hypothèses classiques n’apportent pas de bouleversement majeur quant à la
possibilité pour le corps humain de faire l’objet d’un contrat.

36
V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, 8e éd., Dalloz, 2002, n° 275, p.279.
37
Th. Revet, « L’argent et la personne »,Arch. phil. droit 42 (1997), p.43-54.
38
L. Josserand, art.préc.
39
Cf. Th. Revet, La force de travail, (préface F. Zenati), Litec, 1992.
40
G. Ripert, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955, n°19, p.275.
41
Article 40 3° de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt
économique.

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Le mouvement d’appréhension de la personne par le contrat est, de nos jours, attesté de façon
beaucoup plus remarquable par deux phénomènes qui résultent tantôt de la pratique des
affaires, tantôt de la jurisprudence.
En effet, la pratique contractuelle contemporaine s’enrichit de plus en plus de conventions
ayant pour objet maints aspectes de la personne. Ainsi, celles portant autorisation, moyennant
rétribution, de publier des informations ressortissant de la vie privée de la personne sont
tenues pour licites nonobstant la nature extrapatrimoniale de la vie privée 42. S’ajoutent à cette
liste, les contrats de transfert du sportif professionnel 43, dont la jurisprudence vient d’en
donner une définition en ces termes : « une opération par laquelle un club accepte de
mettre fin au contrat de travail à durée déterminée qui le lie à son joueur avant son
terme afin de lui permettre de s’engager avec un nouvel employeur en contrepartie du
versement par ce dernier d’une indemnité financière appelée indemnité de transfert »44.
Plus symptomatique de la tendance moderne de considérer la personne comme un objet
possible du contrat est la validité de la cession de la clientèle civile.
La Cour de cassation a été conduite, dans le silence du législateur sur une définition de la
clientèle en général dont il ne consacre, au demeurant, une existence juridique qu’en matière
commerciale, à édifier un système cohérent mais que l’évolution des structures et de la
gestion des cabinets d’exercice de professions libérales a rendu de plus en plus difficile à
adapter aux réalités économiques et sociales. Cette jurisprudence reposait, ainsi que le notait
Monsieur le conseiller Chartier dans une étude consacrée à la clientèle civile45 sur trois
principes : - la reconnaissance de la clientèle en tant que fait juridique, - une clientèle qui
demeure attachée à la personne de celui qui exerce et qui, à ce titre, est hors commerce et ne
peut faire l’objet d’une convention, - mais une interdiction qui ne s’oppose cependant pas à
toute convention dès lors que celle-ci ne porte pas directement sur la cession ou sur
l’exploitation financière de cette clientèle. Si les conventions de cession de clientèle sont
demeurées illicites, du moins cet assouplissement a-t-il permis de déclarer licites celles par
lesquelles un praticien présentait, moyennant rémunération, son successeur à sa clientèle.
L’arrêt de la première Chambre du 7 novembre 200046 affirme une rupture avec la
jurisprudence traditionnelle qui vient d’être rappelée. Rupture qui est marquée, d’abord, par
l’affirmation de l’existence d’un fonds libéral d’exercice de la profession libérale, et qui crée
42
F. Terré et D. Fenouillet, op. cit., n° 109, p. 95.
43
F. Bizeur, « Le transfert du sportif professionnel », Doctrine droit du sport, Petites Affiches, 19
décembre 2013, n°253.
44
CA Douai, ch 2. Sect 2. 16 sept. 2010, n° 09/05120 : JCP G 2011, n°16, 450, obs. F. Rizzo
45
Rapport annuel de la Cour de cassation 1996, p. 71.
46
Civ.1ère, 7 novembre 2000, Bull. n°283. Voir aussi : Civ.1ère, 14 novembre 2012, pourvoi n°11-16439.

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ainsi une distinction avec le fonds de commerce auquel il ne saurait être totalement assimilé.
Ensuite, la Cour de cassation pose le principe de la licéité de la cession de la clientèle d’un tel
fonds libéral, en rappelant toutefois la condition impérative selon laquelle ni la convention de
cession, ni les modalités de son exécution, ne limitent pour le patient sa liberté de choix de
son médecin. Il va de soi que la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, rendue en
matière d’exercice des professions médicales est transposable aux autres professions libérales.

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