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Sous-titre II- Les commerçants

Chapitre I- La détermination de la qualité de commerçant


(chapitre 2- Le statut des commerçants)

Section 1- Les commerçants personnes physiques (entreprises commerciales


individuelles)

§ préliminaire– Statut applicable : entreprise individuelle stricte ou entreprise


individuelle à responsabilité limitée (EIRL)

Dépourvue de personnalité morale, l’entreprise individuelle (commerciale ou


autre), peut aujourd’hui se présenter sous deux formes, l’une classique ou
commune, l’autre nouvelle et dérogatoire. Mais, dans tous les cas, il s’agit d’un
exercice de l’activité en nom propre sans le relais d’un groupement doté de la
personnalité morale (société notamment). Il convient alors de parler, en rigueur
des principes, d’entrepreneur individuel (la personne du commerçant) plutôt que
d’entreprise individuelle (la structure qui, juridiquement, n’existe pas faute de
personnalité morale).
Traditionnellement à responsabilité illimitée par nature, l’entreprise
individuelle peut, depuis la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, être à responsabilité
limitée. D’ailleurs, l’article L. 526-5-1 du Code de commerce, créé par la loi n° 2019-
486 du 22 mai 2019, dispose que « toute personne physique souhaitant exercer
une activité professionnelle en nom propre déclare, lors de la création de
l'entreprise, si elle souhaite exercer en tant qu'entrepreneur individuel ou sous le
régime de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée » ; « l'entrepreneur
individuel peut également opter à tout moment pour le régime de l'entrepreneur
individuel à responsabilité limitée ».

A- Formule classique ou de droit commun : l’entreprise individuelle à


responsabilité illimitée (EI)

1° Règle directrice : le principe de l’unité (ou de l’unicité) du patrimoine

Règle générale. Le principe, en France, est traditionnellement celui de


l’unité du patrimoine (actuels articles 2284 et 2285 du Code civil posant le principe
du droit de gage général des créanciers sur les biens du débiteur) puisque, en règle
ordinaire, le patrimoine d’affectation n’est juridiquement pas admis. Ainsi, dans
l’entreprise individuelle classique (pure et simple), la responsabilité de
l’entrepreneur (commerçant ici) est illimitée puisque tout son patrimoine,
personnel comme professionnel, sert de garantie à ses créanciers. Il n’y a pas, en

1
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effet, de patrimoine d’affectation professionnelle (patrimoine affecté à l’activité
professionnelle) et, de ce fait, le patrimoine personnel (biens non professionnels)
n’est pas à l’abri d’éventuelles poursuites (mesures conservatoires ou exécutoires
comme des saisies) de la part des créanciers professionnels (en cas de défaillance
de l’entrepreneur). On dit alors, dans ces conditions, que la responsabilité du
commerçant personne physique est illimitée puisqu’il ne dispose, en principe,
d’aucun outil pour protéger ses biens personnels, ceux-ci n’étant pas juridiquement
séparés de ses biens professionnels.

2° Règle correctrice : la technique de la déclaration d’insaisissabilité

Règle dérogatoire. Le législateur a consacré, depuis quelques années, une


technique juridique permettant à l’entrepreneur individuel de déroger au principe
de l’unité du patrimoine grâce au mécanisme du patrimoine d’affectation. En effet,
dans l’objectif de permettre à l’entrepreneur individuel de limiter sa
responsabilité financière liée à l’exercice de son activité professionnelle, la loi n°
2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique est venue, entre autres
mesures diverses destinées à promouvoir l’esprit d’entreprise, conférer audit
entrepreneur individuel la faculté de déclarer insaisissables ses droits réels
(pleine propriété ou démembrements de la propriété) détenus sur l’immeuble où
est fixée sa résidence principale ainsi que sur tout bien foncier bâti ou non bâti
qu'il n'a pas affecté à son usage professionnel (cette dernière extension, à tout
bien foncier… non affecté à un usage professionnel, résultant de la loi n° 2008-
776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie).
La déclaration, reçue par notaire sous peine de nullité, contient la
description détaillée des biens et l'indication de leur caractère propre, commun
ou indivis. L'acte est publié au fichier immobilier ou, dans les départements du
Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, de sa situation.
Le nouveau dispositif, inséré aux articles L. 526-1 et suivants et R. 526-1 et
R. 526-2 du Code de commerce, déroge expressément, même si ce n’est qu’en
partie, aux articles 2284 et 2285 du Code civil posant le principe du droit de gage
général des créanciers sur les biens du débiteur, puisque la déclaration
d’insaisissabilité protège contre les saisies les droits réels sur l’immeuble
constituant la résidence principale ou sur tout bien foncier qu'il n'a pas affecté à
son usage professionnel. Notons, néanmoins, que la déclaration n'a d'effet qu'à
l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication,
à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant.

B- Forme nouvelle et dérogatoire : l’entreprise individuelle à responsabilité


limitée (EIRL)

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Consécration. L’article 1er de la loi n° 2010-658 du 15 juin 20101 a inséré
dans le Code de commerce, dans le chapitre consacré aux garanties (chapitre VI
du titre II du livre V), une nouvelle section intitulée « De l'entrepreneur individuel
à responsabilité limitée » (EIRL) et comprenant aujourd’hui les articles L. 526-5-
1 et suivants et les articles R. 526-3 et suivants (dispositions réglementaires
introduites par le décret n° 2010-1706 du 29 décembre 2010).

Consécration d’un patrimoine d’affectation. La naissance de l’EIRL marque,


de façon spectaculaire, une nouvelle manifestation du mécanisme juridique du
patrimoine d’affectation. En effet, l’adoption du nouveau statut permet aux
exploitants ou entrepreneurs individuels, que leur activité soit civile ou
commerciale, de mettre leur patrimoine personnel à l’abri des poursuites de leurs
créanciers professionnels. Il s’agit pour eux de séparer leur patrimoine personnel
de leur patrimoine affecté à leur activité professionnelle, seul ce dernier étant
susceptible de servir de gage à ses créanciers professionnels, sans création d’une
quelconque personne morale (art. L. 526-6, al. 1er).
Toutefois, l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée redevient
responsable sur la totalité de ses biens et droits en cas de fraude ou en cas de
manquement grave aux règles relatives à la composition du patrimoine affecté ou
aux obligations comptables ou bancaires (art. L. 526-12, II).
Notons, en outre, que, en pratique, l’entrepreneur ayant besoin de concours
financiers (crédits) pourrait bien avoir quelque peine à les obtenir des
établissements de crédit s’il ne leur offre en garantie qu’un maigre patrimoine
affecté : la fourniture d’autres garanties, comme un cautionnement, risque d’être
incontournable.

Composition du patrimoine d’affectation (article L. 526-6). Aux termes


de l’article L. 526-6, al. 2, le patrimoine d’affectation est composé, principalement,
de l'ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur
individuel est titulaire et qui sont nécessaires à l'exercice de son activité
professionnelle2 (sachant que « les biens, droits, obligations et sûretés
nécessaires à l'exercice de l'activité professionnelle s'entendent de ceux qui, par
1
S’agissant des règles relatives à l’EIRL, l’entrée en vigueur de la loi est subordonnée à la
publication, dans un délai de six mois, d’une ordonnance adaptant diverses branches du droit à
l’EIRL (en outre, certaines dispositions ont nécessité l’intervention d’un décret d’application : art.L.
526-21).
En revanche, les dispositions ne portant pas spécifiquement sur l’EIRL sont entrées en vigueur à
compter de la publication de la loi : il en va ainsi, par exemple, de l’article 2 relatif aux mineurs
commerçants.
2
Néanmoins, par dérogation à ce principe, l'entrepreneur individuel exerçant une activité agricole
au sens de l'article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime peut ne pas affecter les terres
utilisées pour l'exercice de son exploitation à son activité professionnelle. Et cette faculté
s'applique à la totalité des terres dont l'exploitant est propriétaire » (art. L. 526-6, al. 3).

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nature, ne peuvent être utilisés que dans le cadre de cette activité » : art. R. 526-
3-1, créé par le décret n° 2012-122 du 30 janvier 2012). Il peut comprendre, en
outre, les biens, droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur individuel est
titulaire et qu'il décide d'utiliser et d’affecter (mais qu'il peut ensuite décider de
retirer du patrimoine affecté) à l'exercice de son activité professionnelle
(sachant qu’un même bien, droit, obligation ou sûreté ne peut entrer dans la
composition que d'un seul patrimoine affecté). Et, en cas de manquement grave à
ces règles, l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée sera responsable sur
la totalité de ses biens et droits (article L. 526-12, al. 9).

§ 1- Les conditions d’acquisition de la qualité de commerçant

Selon l’article L. 121-1 du Code de commerce, « sont commerçants ceux qui


exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ». Cette
définition fait ainsi primer le fond sur la forme ou la publicité. En effet, la
reconnaissance de la qualité de commerçant ne dépend ni des éventuelles
déclarations qu’a pu faire l’intéressé auprès des tiers (cocontractants ou fisc), ni
même de l’immatriculation à laquelle il a pu ou non procéder au registre du
commerce et des sociétés3. En revanche, la qualification est retenue dès l’instant
où sont réunies les conditions de fond prévues par la loi et, à titre complémentaire,
par la jurisprudence.
Ainsi, sont commerçants ceux qui, ayant la capacité d’exercice nécessaire,
font, en leur nom et pour leur compte, des actes de commerce à titre de profession
habituelle.
Trois séries d’éléments peuvent être tirés de cette définition : d’abord, la
nature de l’activité exercée ; ensuite, le mode d’exercice de l’activité ; enfin, la
capacité d’exercer le commerce.

A- La nature de l’activité exercée : des actes de commerce par nature

Principe. Pour la détermination de la qualité de commerçant, l’article L. 121-


1 du Code de commerce se réfère en premier lieu à la passation d’actes de
commerce par nature, actes dont la liste a déjà été examinée (et non aux actes de
commerce par accessoire puisque ces derniers tirent leur commercialité de la
qualité de leur auteur).
Il en résulte ainsi que la qualité de commerçant dépend de l’exercice
effectif d’actes de commerce. Par conséquent, en cas de location-gérance du
fonds de commerce, seul le locataire-gérant qui fait effectivement des actes de
commerce jouit de la qualité de commerçant, à la différence du propriétaire qui,

3
Alors que, pour les sociétés, l’acquisition de la personnalité morale dépend, en principe, de leur
immatriculation au RCS.

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lui, ne l’est pas puisqu’il ne fait pas ou ne fait plus de tels actes. De même, la qualité
de commerçant est indépendante de l’immatriculation ou de la non-immatriculation
au RCS, puisque le commerçant irrégulier ou commerçant de fait est juridiquement
considéré comme un commerçant (sauf s’il s’agit d’un incapable).

Exceptions. Par dérogation au principe précité, il peut arriver que la qualité


de commerçant soit exceptionnellement reconnue à des personnes ne réalisant pas
des actes de commerce : c’est ainsi que les associés d’une société de personnes
(associés d’une SNC ou associés commandités – et non commanditaires – d’une
société en commandite) sont tous commerçants du seul fait de leur appartenance
à une telle société (art. L. 221-1 et L. 222-1 C. com.).

B- Le mode d’exercice de l’activité commerciale

Il ne suffit pas de faire des actes de commerce pour être commerçant


(c’est une condition qui est, en principe, nécessaire mais qui n’est pas suffisante).
Encore faut-il exercer cette activité selon un certain mode.

1° L’activité doit être exercée à titre de profession habituelle

Pour être commerçant, il faut faire des actes de commerce à titre de


profession habituelle. On entend par profession une activité sérieuse, constante,
autonome et lucrative (de nature à générer des bénéfices) au point de permettre
de subvenir aux besoins de l’existence de son titulaire4. La profession comporte
ainsi, pour simplifier, trois éléments structurels : l’accomplissement d’un certain
travail (occupation sérieuse et continue), la poursuite d’un gain (caractère lucratif
au point de permettre de subvenir aux besoins de son titulaire), et une certaine
autonomie (il ne faut pas, en effet, que l’activité commerciale soit l’accessoire
d’une profession civile)5.
Cela dit, il n’est toutefois pas nécessaire que la profession soit notoire, ni
exclusive. En effet, un personne peut avoir plusieurs professions (pluriactivité), et
il n’est même pas nécessaire que la profession commerciale en soit la principale
pour que l’intéressé puisse être considéré comme un commerçant (celui qui, à côté
de sa profession civile principale, se livre, même clandestinement, au commerce,
pour en tirer des moyens d’existence, mérite la qualification de commerçant6).

4
CA Paris, 30 avril 1906, DP 1907, V, 9 ; 13 janvier 1976, JCP 1977. II. 18576.
5
NB : celui qui, sans exercer par ailleurs d’activité commerciale, tirerait habituellement des lettres
de change, pour recouvrer des loyers par exemple, ne deviendrait pas commerçant : c’est que, en
effet, tirer des lettres de change ne constitue pas une profession (Com., 11 mai 1993, Bull. IV, n°
179).
6
Com., 4 oct. 1994, Def. 1995, p. 249, note Le Cannu.

5
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2° L’activité commerciale doit être exercée par l’intéressé en son nom et pour
son compte personnel

Bien que le Code de commerce ne le précise pas expressément, il va sans


dire que, pour être commerçant, la personne qui passe les actes de commerce doit
le faire en son nom et pour son compte, c’est-à-dire en supporter les risques et en
tirer les profits. Lui seul doit en profiter ou en pâtir.
Ainsi, la qualité de commerçant est refusée à tous les salariés habilités à
accomplir des actes de commerce pour leur employeur, et ce quel que soit le niveau
de la hiérarchie salariale. Le même sort est reconnu :
- aux VRP (voyageurs, représentants, placiers auxquels l’on reconnaît le
statut de salariés) ;
- aux mandataires comme l’agent général d’assurance (puisqu’il traite les
affaires au nom de son mandant), l’agent commercial ou encore le gérant de
succursale (rencontré notamment dans les coopératives de consommation, il
n’est pas lié à l’entreprise par un contrat de travail – même s’il bénéficie de
la plupart des avantages des salariés -, mais par un contrat de mandat qui
lui laisse une assez grande autonomie dans la direction de l’établissement ;
n’exploitant pas l’affaire à ses risques et périls, il n’a pas la qualité de
commerçant) ; en revanche, les intermédiaires immobiliers ont, eux, la
qualité de commerçants du fait des dispositions expresses de l’article L.
110-1, 3°, du Code de commerce.
- au gérant salarié d’un fonds de commerce7 (à ne pas confondre avec le
locataire-gérant qui exploite, à titre personnel, le fonds à ses risques et
périls, en tant que locataire) ;
- aux dirigeants de sociétés commerciales (en revanche, celui qui utilise
l’écran d’une personne morale pour voiler l’exercice d’une activité
commerciale pour son compte personnel ne saurait, lui, échapper à la
qualification de commerçant ; de même, dans un souci de moralisation,
lorsqu’une société fait l’objet d’une procédure collective, ses dirigeants
peuvent, sous certaines conditions, se voir appliquer certaines règles
commerciales).
Pour terminer, faisons quelques remarques :
- 1re remarque : L’indépendance exigée est une indépendance juridique, et
pas forcément économique. Ainsi, la jurisprudence considère comme des
commerçants les membres des réseaux de distribution tels que franchisés
ou concessionnaires, puisqu’ils exercent leur commerce en leur propre nom,
même s’ils peuvent se trouver économiquement dépendants du franchiseur
ou du concédant. Cela dit, il s’est produit une expansion du droit du travail,

7
Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 07-40055, D. 2008, AJ, p. 477 : le gestionnaire d’un hôtel placé en
état de subordination est lié par un contrat de travail et non par un contrat de mandat.

6
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d’abord sous l’effet de la jurisprudence déclarant l’existence d’un contrat
de travail là où elle constatait un lien de subordination8. Ensuite, le
législateur lui-même, prenant en compte la situation de dépendance
économique de certaines catégories de personnes, les a fait bénéficier de
dispositions du droit du travail, en l’absence de contrat de travail : le livre
VII du Code du travail traite notamment de la situation des gérants non
salariés de succursales (gérants de stations-service, de magasins
d’alimentation), qui sont théoriquement des petits commerçants
indépendants, mais se trouvent assimilés à des salariés en raison de leur
dépendance économique totale9.
- 2e remarque : Des difficultés se posent quant à la collaboration ou à la co-
exploitation, c’est-à-dire lorsque plusieurs personnes exercent ensemble un
même commerce sans qu’il n’y ait contrat de travail entre elles.
La collaboration est un travail subordonné, gratuit et, par voie de
conséquence, différent du salariat. Elle n’est légalement reconnue que dans
le cas de conjoints ou de partenaires à un pacte civil de solidarité. La loi
permet au conjoint collaborateur (depuis 1982) ou au pacsé collaborateur
(depuis la loi du 4 août 2008) de se faire mentionner comme tel au RCS, ce
qui lui confère certains droits sans lui faire acquérir la qualité de
commerçant.
Quant à la co-exploitation, elle se caractérise par l’égalité des
prérogatives et des responsabilités entre les intéressés, lesquels exploitent
ensemble le fonds de commerce sur un pied d’égalité, encore que seul l’un
d’entre eux est immatriculé au RCS. A la demande des créanciers, les juges
recherchent si chacune de ces personnes a oui ou non réalisé des actes de
commerce à titre de profession habituelle. Si c’est le cas, elles sont toutes
considérées comme des commerçants avec les conséquences qui en résultent
(solidarité quant aux dettes de l’exploitation ; application d’une procédure
collective à chacune en cas de faillite).
La co-exploitation pose une difficulté supplémentaire lorsqu’elle met
en présence deux époux. En effet, aux termes de l’article L. 121-3 du Code
de commerce, « le conjoint d’un commerçant n’est réputé lui-même
commerçant que s’il exerce une activité séparée de celle de son époux ». A
s’en tenir à ce texte, deux époux exploitant le même fonds de commerce ne
peuvent pas tous deux être commerçants. Toutefois, la jurisprudence
considère que ce texte n’établirait qu’une présomption simple de non-

8
Une jurisprudence récente estime même que les dispositions du Code du travail sont applicables
dès lors que les conditions énoncées par l’article L. 7322-1 (ancien article L. 781-1, 2° du Code du
travail (ancien) sont, en fait, réunies, quelles que soient les stipulations du contrat, sans qu’il soit
besoin d’établir l’existence d’un lien de subordination (Soc., 4 déc. 2001, BRDA 2/02, inf. 14 ; CA
Nîmes, 5 juillet 2002, BRDA 2/03, inf. 16, p. 8).
9
Com., 3 mai 1995, D. 1997. 10, note Amiel-Cosme.

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commercialité. En d’autres termes, le seul fait pour un époux d’aider son
conjoint ne suffit pas à en faire un commerçant. Mais comme il ne s’agit que
d’une présomption simple, les créanciers pourraient démontrer que le
conjoint du commerçant exerce lui-même des actes de commerce pour
pouvoir saisir tous les biens du ménage (voir infra).

C- La capacité d’exercice du commerce

Sont incapables d’exercer le commerce, directement ou indirectement (par


des représentants), les mineurs non émancipés (V. infra ), les mineurs émancipés
(par mariage quel que soit l’âge ou déclaration faite devant le juge aux affaires
familiales à partir de l’âge de 16 ans) non autorisés à être commerçants (V. infra),
les majeurs en tutelle, en curatelle ou sous sauvegarde de justice.
L’incapacité ayant pour objet de protéger une personne présumée inapte à
défendre ses intérêts, l’incapable peut s’en prévaloir pour ne pas faire l’objet d’une
procédure collective, ou encore pour décliner la compétence du tribunal de
commerce devant lequel il serait attrait.
Les actes passés par la personne incapable sont en principe nuls, d’une nullité
relative que lui seul peut dès lors invoquer.
Notons toutefois que :
- le jugement ayant ouvert la tutelle ou la curatelle doit avoir été publié au
RCS, à défaut de quoi il serait inopposable aux tiers de bonne foi ;
- celui qui a causé un dommage alors qu’il était sous l’emprise d’un trouble
mental n’en est pas moins obligé à réparation (art. 489-2 C. civ.).

§ 2- La dissociation du commerçant de l’artisan

Le secteur de l’artisanat est très important, puisqu’il regrouperait environ


250 métiers modernes et traditionnels, en particulier dans les domaines de
l’alimentation, du bâtiment, de l’ameublement, de l’électricité, du textile, de l’art
et des services, représenterait aujourd’hui quelque 900 000 entreprises qui
emploieraient 2 300 000 personnes.
Les artisans sont des travailleurs indépendants qui vivent du produit de
leurs travaux manuels impliquant une certaine compétence et une certaine
habileté. Dans l’article L. 110-1 du Code de commerce, figurent certaines activités
qui n’excluent pas l’éventualité de travaux manuels de sorte que l’on aurait pu
assimiler artisans et commerçants. Mais les artisans ayant souhaité se mettre à
l’abri de certaines contraintes du droit commercial, la faillite notamment, ils ont
demandé et obtenu de la jurisprudence leur dissociation des commerçants.

A- Les intérêts ou enjeux de la distinction

8
M. Thioye – Droit des affaires
1° Négativement : l’exclusion de principe du droit commercial

Le plus souvent (notamment à l’origine), les artisans échappent au droit


commercial et bénéficient ainsi d’un statut particulier de droit civil. Ainsi :
- ils ne doivent pas se faire immatriculer au RCS, mais au répertoire des
métiers ;
- ils ne sont pas électeurs aux chambres de commerce, mais aux chambres
des métiers et de l’artisanat ;
- mieux encore, leurs activités relèvent de la compétence des juridictions
civiles10, et leurs actes sont soumis au régime civil tant du point de vue de la
preuve que de la prescription (mais la durée de la prescription a été
récemment uniformisée) ;
- en outre, le fonds artisanal échappe, sauf pour la location-gérance et le
nantissement, aux règles applicables au fonds de commerce ;
- par ailleurs, les artisans bénéficient d’un régime de faveur tant du point de
vue de la fiscalité (ils sont, à certaines conditions, exonérés de la taxe
d’apprentissage11) que du point de vue du crédit (des prêts leur sont
consentis, individuellement, ainsi qu’à leurs coopératives).

Cette originalité posée en règle de principe, il n’en reste pas moins que les
artisans sont soumis, dans certaines hypothèses, à des règles du droit
commercial :
- Ainsi, la location-gérance du fonds artisanal est soumis, en vertu de la loi du
20 mars 1956, à des règles analogues à celles applicables à la location-
gérance de fonds de commerce.
- De même, le fonds artisanal peut aujourd’hui, depuis la loi du 5 juillet 1996,
faire l’objet d’un nantissement dans les mêmes formes et conditions qu’un
fonds de commerce.
- En outre, depuis la loi du 5 janvier 1957, les artisans immatriculés au
répertoire des métiers bénéficient du statut spécial des baux commerciaux.
- La loi du 25 janvier 1985 a, de son côté, étendu les procédures collectives
aux entreprises artisanales.
- Notons, par ailleurs, que lorsqu’une succession porte sur un fonds artisanal,
l’attribution préférentielle de ce fonds est faisable au profit du conjoint
survivant ou d’un héritier copropriétaire, s’il participait avant le décès à
l’exploitation (à charge pour lui de désintéresser, le cas échéant, ses co-
10
Cass. com., 11 mars 2008, n° 06-20089, JCP E 2008, 2050, note Ch. Lebel: le tribunal de
commerce n'est pas compétent pour connaître de l'action formée à l’encontre d’un artisan.
11
Ils étaient aussi exonérés, à certaines conditions, de la taxe professionnelle mais celle-ci a été
supprimée par la loi de finances pour 2010 à compter du 1er janvier 2010 et remplacée par la
contribution économique territoriale.

9
M. Thioye – Droit des affaires
héritiers par le paiement d’une soulte).
- Soulignons, entre autres, que le conjoint de l’artisan travaillant dans
l’entreprise familiale bénéficie, depuis 1982, du même traitement, que le
conjoint du commerçant (art. L. 121-4 et suivants du Code de commerce).

2° Positivement : le statut professionnel particulier de l’artisanat

Le statut de l’artisan a fait l’objet de nombreux textes dont la plupart ont


été réunis, par un décret du 19 juillet 1952, dans un code dit de l’artisanat, lequel
a depuis été réformé à bien des égards.
Sans entrer dans les détails, rappelons seulement que :
- des chambres de métiers et de l’artisanat ont été créées sur le modèle des
CCI ;
- il existe un répertoire des métiers dont la tenue est confiée aux chambres
de métiers et de l’artisanat ;
- les titres d’artisan, de maître artisan et de compagnon d’artisan ne peuvent
être portés que par des professionnels ayant une certaine ancienneté ou
une certaine qualification (ces titres sont délivrés par les chambres de
métiers, mais ils ne sont pas nécessaires pour l’exercice des activités)12 ;
une loi de 1991 a instauré un devoir de formation qui consiste en un stage
d’initiation à la gestion exigée du futur chef d’entreprise pour pouvoir
s’inscrire au répertoire des métiers ; cependant, certains ayant eu une
formation ou une expérience suffisante en sont dispensés13 ;
- divers avantages fiscaux sont reconnus aux artisans : ils sont, à certaines
conditions, exonérés de la taxe d’apprentissage ;
- divers avantages sur le plan du crédit sont reconnus aux artisans : des prêts
leur sont consentis, individuellement, ainsi qu’à leurs coopératives ;
- il existe une dispense de cautionnement reconnue aux artisans dans certains
marchés publics (article 73 du Code de l’artisanat) ;
- il y a des marchés publics de travaux réservés aux artisans et aux
coopératives d’artisans (article 74 du Code de l’artisanat).

B- La définition de l’artisan

1° Les définitions légales ou définitions publiques des entreprises du secteur


des métiers

12
Articles 4 et 4 bis du Code de l’artisanat : en cas d’usurpation, le contrevenant encourt les peines
prévues à l'article L. 213-1 du Code de la consommation (emprisonnement de deux ans au plus et
d'une amende de 37 500 euros au plus ou de l'une de ces deux peines seulement).
13
Voir aussi la dispense résultant de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 (art. 2
de la loi n° 82-1091 du 23 décembre 1982).

10
M. Thioye – Droit des affaires
Sachant que, selon l’article 21, I, al. 1er, de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996
relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat, « les
personnes physiques ainsi que les dirigeants sociaux des personnes morales
relevant du secteur de l'artisanat au sens du I de l'article 19 peuvent se prévaloir
de la qualité d'artisan dès lors qu'ils justifient d'un diplôme, d'un titre ou d'une
expérience professionnelle dans le métier qu'ils exercent, dans des conditions
définies par décret en Conseil d'Etat », l’article 19 s’attache à deux critères pour
déterminer les personnes physiques ou morales relevant du secteur de l’artisanat
et devant à ce titre être immatriculées au répertoire des métiers tenu par les
chambres de métiers et de l'artisanat départementales ou de région et pouvant
participer aux élections aux chambres des métiers ou bénéficier du crédit à
l’artisanat :
- elles ne doivent pas employer plus de 10 salariés : l’appréciation de l’effectif
est fait conformément aux articles L. 1111-2 et L. 1111-3 du Code du travail,
c’est-à-dire notamment que les apprentis ne sont compris au nombre des
salariés, et que les salariés intérimaires ou sous contrat à durée déterminée
sont pris en compte au prorata de leur temps de présence effectif dans
l’entreprise ;
- elles doivent exercer, à titre principal ou secondaire, une activité
professionnelle indépendante de production, de transformation, de
réparation ou de prestation de services relevant de l'artisanat et figurant
sur une liste établie par décret en Conseil d’Etat (exclusion des activités
agricoles, libérales ou de négoce).
Les définitions fiscales sont parfois beaucoup plus restrictives, puisqu’elles ne
tolèrent, pour l’exonération de la taxe d’apprentissage, que l’emploi d’un ou de
plusieurs apprentis (art. 224, 3, 1°, du CGI). En outre, les rémunérations versées
aux apprentis par les entreprises qui emploient au plus dix salariés sont exonérées
de la taxe sur les salaires (art. 231 bis I du CGI).

2° La définition jurisprudentielle ou définition de droit privé

Les définitions légales précitées ne pouvant, pour diverses raisons


(diversité, caractère parcellaire selon la matière considérée), permettre, en droit
privé, de dissocier l’artisan du commerçant, il est arrivé qu’une personne, dont
l’entreprise était pourtant immatriculée au répertoire des métiers, ait été
qualifiée de commerçant en droit commercial avec les conséquences en découlant14.
Du reste, l’article 19, II, de la loi de 1996 (article modifié par la loi n° 2003-721
du 1er août 2003) prévoit expressément que « l’immatriculation au répertoire des
métiers ne dispense pas, le cas échéant, de l’immatriculation au registre du
commerce et des sociétés ».

14
Voir Com., 19 nov. 1975, Bull. IV, n° 275.

11
M. Thioye – Droit des affaires
Il a donc fallu, en jurisprudence, tenter de bâtir une définition plus générale
de l’artisan. Deux séries d’éléments ont été retenus :
♦ L’artisan est un travailleur indépendant qui est, dès lors, distinct du salarié et
du travailleur à domicile (ces derniers œuvrant pour le compte et sous le contrôle
d’un tiers) ;
♦ Les revenus de l’artisan doivent, pour l’essentiel, provenir de son travail manuel
ou, tout au moins, personnel15. Il en résulte trois conséquences :
- l’artisan ne doit employer que peu de salariés en dehors du cercle familial
puisque, à la différence de l’entreprise de manufacture caractérisée par
une spéculation sur le travail d’autrui, il doit vivre de son propre travail et
de celui de sa famille ;
- l’artisan ne doit pas spéculer sur le travail des machines, ce qui ne signifie
pas qu’il ne doit pas utiliser l’outillage mécanique ;
- l’artisan ne doit pas spéculer sur les marchandises. Il peut certes faire des
achats pour revendre, mais ces actes (qui seraient, en rigueur des principes,
de commerce) doivent rester l’accessoire de la profession artisanale. Ainsi,
il ne doit pas revendre en l’état des objets préalablement achetés, ou alors
ces opérations ne doivent représenter qu’une faible fraction de son chiffre
d’affaires et rester liées à son activité principale (exemple : articles de
parfumerie vendus par les coiffeurs).

Section 2- Les commerçants personnes morales (groupements « vertébrés »)

§ 1- Les personnes morales de droit privé

A- Les principaux groupements

1° Les sociétés

Aux termes de l’article 1832 du Code civil dans sa rédaction actuelle


remontant à la loi du 11 juillet 1985, « la société est instituée par deux ou plusieurs
personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des
biens ou leur industrie, en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie

15
Cass. com., 11 mars 2008, n° 06-20089, JCP E 2008, 2050, note Ch. Lebel: une cour d'appel qui,
saisie d'une action en concurrence déloyale, relève que le défendeur travaille sans l'apport d'une
main-d’œuvre interne ou externe, qu'il exerce de manière prépondérante une activité de
production, transformation et prestation de services dont il tire l'essentiel de sa rémunération,
et que l'achat de marchandises pour revendre est accessoire et marginale, fait ressortir que
l'intéressé est un travailleur indépendant dont les gains proviennent essentiellement du produit de
son travail personnel, qu'il ne spécule ni sur les marchandises ni sur la main-d’œuvre, et peut en
déduire que le tribunal de commerce n'est pas compétent pour connaître de l'action formée à son
encontre.

12
M. Thioye – Droit des affaires
qui pourra en résulter.
Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté
d’une seule personne. Les associés s’engagent à contribuer aux pertes ».
De la lecture de ce texte, il ressort que le terme « société » a un double
sens :
- Il renvoie, d’abord, au contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent
de mettre quelque chose (biens ou industrie) en commun en vue de se partager le
bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. La notion désigne
alors l’acte juridique constitutif du groupement.
Il faut néanmoins noter que la pluralité des participants ne constitue plus
une nécessité absolue, depuis que le législateur a consacré la possibilité de créer
des sociétés unipersonnelles : SARL à associé unique ou « EURL » par la loi du 11
juillet 198516 ; société par actions simplifiée unipersonnelle ou SASU par la loi du
12 juillet 1999 ; entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée ou
EUSRL (loi du 28 décembre 1999) ; société d’exercice libéral à responsabilité
limitée ou SELARL (loi du 23 juin 1999). Autrement dit, il est possible pour une
personne physique notamment de constituer, par un acte unilatéral de volonté (art.
1382, al 2), une société dont elle est l’unique associé. Mais la société unipersonnelle
peut aussi être accidentelle, et résulter de la réunion dans une seule main de
toutes les parts d’une SARL ou de toutes les actions d’une SAS, cette réunion
n’étant plus une cause de dissolution judiciaire de ces types de société.
- Outre l’acte constitutif, le terme « société » sert aussi à désigner la personne
juridique à laquelle est affectée la chose mise en commun et qui est investie de la
capacité juridique d’agir au nom et pour le compte de la collectivité. D’ailleurs,
c’est dans ce sens que le mot « société » est généralement employé dans le langage
des affaires, alors que l’acte de constitution sera, lui, appelé contrat de société
ou, plus simplement, statuts.
La société ne jouit de la personnalité juridique qu’à partir de son
immatriculation au RCS, laquelle ne peut avoir lieu qu’après des formalités
préalables et la réalisation des apports.

2° Les associations

Aux termes de l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901, « l’association est la
convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d’une
façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de
partager des bénéfices ».
Contrairement à la société, l’association ne saurait donc être à but lucratif
(recherche d’un profit pour les sociétaires). Elle peut certes exercer une activité

16
La loi du 11 juillet 1985 a aussi institué l’exploitation agricole à responsabilité limitée
(EARL).

13
M. Thioye – Droit des affaires
17
économique , mais les bénéfices pouvant en découler ne pourraient être
distribués aux sociétaires. Ils doivent être réinvestis ou mis en réserve et, en cas
de dissolution de l’association, être attribués à une autre association poursuivant
un but similaire. Si une association, directement ou indirectement, distribuait les
18
excédents qu’elle dégage dans sa gestion, elle serait requalifiée en société .

3° Les groupements d’intérêt économique (GIE)

Le but du GIE est, non de réaliser des bénéfices pour lui-même, mais de
favoriser l’activité économique de ses membres (entre lesquels existe une affectio
cooperationis) en les faisant profiter des économies résultant de son action. Son
activité doit nécessairement se rattacher à celle de ses adhérents et ne peut,
ainsi, avoir qu’un caractère accessoire par rapport à celle-ci.
Il acquiert la personnalité morale à compter de son immatriculation au RCS.

B- La commercialité des personnes morales de droit privé

Le Code de commerce ne contient pas véritablement de texte général sur la


commercialité des personnes morales. On en déduit donc que le principe est le
même que pour les personnes physiques : elles sont commerçantes si elles exercent
des actes de commerce à titre de profession habituelle. Seulement, la notion de
profession étant mal adaptée au cas des personnes morales, on l’a remplacée par
celle d’objet, c’est-à-dire l’activité en vue de laquelle le groupement vertébré a
été créé.
Pour que la personne morale soit commerçante, il faut qu’elle ait un objet
statutaire commercial ou qu’elle exerce réellement une activité commerciale,
exception faite toutefois des sociétés commerciales par leur seule forme (SNC,
SCS, SARL, SA).
L’application de ce principe pose des difficultés concernant les associations.
En effet, à côté des associations qui, œuvrant dans les domaines culturel, religieux
ou politique, ont manifestement conservé un objet non lucratif, d’autres se sont
aujourd’hui clairement assigné des objectifs économiques dans les domaines de la
santé, de la formation, des loisirs, du sport… Il est ainsi fréquent que des
associations accomplissent habituellement des actes de commerce pour réaliser

17
Cela dit, l’association qui se livre à des actes de commerce peut être attraite devant le tribunal
de commerce (Cass. com., 14 fév. 2006, n° 05-13453, Droit des sociétés, janvier 2008, p. 13, n° 1,
note J.-P. Legros). La Cour de cassation n’a toutefois pas pris le soin, dans cette affaire, d’entrer
dans le débat relatif à l’objet social et à la commercialité des associations.
18
Cass. com. 12 février 1985, Bull. civ. IV, n° 59 : appréciation de la qualité de commerçant d’une
association à partir d’un double critère : existence d’une activité spéculative et importance de
cette activité.

14
M. Thioye – Droit des affaires
des bénéfices permettant de satisfaire leur objet. On parle, dès lors,
d’associations-entreprises. D’après la jurisprudence, la loi de 1901 ne s’oppose pas
à cette situation, car tout ce qui est interdit à l’association, c’est de partager des
bénéfices (but lucratif), non d’en réaliser et de rémunérer avec eux dirigeants et
salariés. Cela dit, les associations qui pratiquent régulièrement des actes de
commerce (et qui peuvent même être propriétaires d’un fonds de commerce)
s’exposent aux règles du droit commercial. Ainsi, elles sont passibles des mêmes
impôts et taxes que les sociétés de capitaux et elles peuvent être attraites devant
le tribunal de commerce19. En outre, la Cour de cassation considère que le droit des
sociétés pourrait leur être applicable en tant que norme subsidiaire20. Cela dit, la
jurisprudence estime qu’une association, même exerçant une activité commerciale,
ne saurait, en l’état actuel des textes, prétendre à une immatriculation au RCS21.
Cette solution a pour conséquence de la priver du bénéfice légal du statut des
baux commerciaux, encore que rien ne l’empêche d’opter conventionnellement pour
ce régime, en accord avec le bailleur de ses locaux.

§ 2- Les entreprises publiques

Les entreprises publiques sont des entreprises qui dépendent des personnes
morales de droit public (Etat et autres collectivités publiques déconcentrées ou
décentralisées : régions, départements, communes, CCI). Leur étude relève
spécialement du droit public économique, et non du droit privé. Certaines d’entre
elles ont néanmoins une qualification commerciale et, à ce titre, intéressent le
droit commercial.

A- L’exploitation en régie

On parle d’exploitation en régie lorsque la personne publique, l’Etat


notamment, gère de manière directe une entreprise considérée. C’est un mode
d’exploitation qui a connu des moments de gloire (gestion de manufactures, des
Postes, des Arsenaux, tabac, allumettes, poudres et explosifs), mais il vit
aujourd’hui un grand mouvement de recul trouvant son point culminant dans les

19
L’association qui se livre à des actes de commerce peut être attraite devant le tribunal de
commerce (Cass. com., 14 fév. 2006, n° 05-13453, Droit des sociétés, janvier 2008, p. 13, n° 1, note
J.-P. Legros). La Cour de cassation n’a toutefois pas pris le soin, dans cette affaire, d’entrer dans
le débat relatif à l’objet social et à la commercialité des associations.
20
Voir par ex., Civ. 1re, 29 nov. 1994, RS 1995, 318, note Guyon ; Civ. 3e, 4 oct. 1995, RS 1996, 102,
note Guyon ; Cass. 1re civ.., 13 mars 2007, n° 05-21658, JCP G 2008, II, 10105 : par une extension
des causes de dissolution des sociétés aux associations, il a été jugé que l’association qui ne remplit
plus son objet doit être dissoute pour justes motifs.
21
Com., 1er mars 1994, n° 92-13529, D. 1994, 528, note Coutant ; Rev. des sociétés 1994, 502, note
Guyon.

15
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vagues de privatisations. En effet, la plupart des entreprises jadis exploitées en
régie sont devenues des établissements ou exploitants publics (SEITA, La Poste
depuis une loi du 2 juillet 1990).
Quoi qu’il en soit, l’on considère que la personne publique exploitant en régie
ne fait pas acte de commerce et qu’elle n’a pas la qualité de commerçant. Il en va
ainsi parce la personne publique, l’Etat notamment (qui ne peut être commerçant),
ne gère pas l’entreprise dans une philosophie de spéculation, même si l’activité est
bénéficiaire, mais dans un intérêt général (intérêt artistique, sécurité, etc.). Il
s’agit d’un service public sans personnalité morale.
Exemple actuel : la Documentation Française.

B- L’exploitation par des organismes administratifs

Plus fréquemment, l’Etat préfère faire exploiter les entreprises publiques


par des organismes administratifs dotés de la personnalité morale. Il s’agit des
offices ou des établissements publics, personnes juridiques distinctes de l’Etat et
constitutives de services publics à caractère industriel ou commercial. On parle
usuellement d’E.P.I.C. dont un exemple parlant est fourni par la Régie Autonome
des Transports Parisiens (RATP) ainsi que les Chambres de commerce et
d’industrie territoriales.
Parce qu’ils ont une activité très proche de celle des entreprises
commerciales et industrielles, les textes et, surtout, le statut des EPIC, prévoient
souvent qu’ils doivent être régis par les règles du droit commercial22. Ainsi, les
tribunaux de commerce seraient compétents pour statuer sur les litiges avec leurs
clients, ils sont aujourd’hui soumis à l’immatriculation au RCS, le décret-loi du 30
septembre 1953 leur a reconnu le droit au renouvellement de leurs baux.
Cela dit, l’application du droit commercial à ces organismes administratifs
connaît des bornes, puisqu’ils ne sauraient être soumis à une procédure collective
en vertu de la règle selon laquelle les biens publics sont insaisissables23. De même,
certains organismes administratifs comme les CCI restent encore soumis au droit
administratif, notamment aux règles de la comptabilité publique24.

C- L’exploitation par des sociétés publiques ou semi-publiques

22
Certains organismes administratifs comme les chambres de commerce et d’industrie
territoriales restent encore soumis au droit administratif, notamment aux règles de la
comptabilité publique.
23
Soc., 9 juillet 1951, D. 1952. 14 . Contra, TGI Paris, 1er fév. 1984, JCP 1984. II. 20294, note
Prévault.
24
La Poste est une entreprise de droit public (personne morale) depuis la loi n° 90-568 du 2 juillet
1990. Placée sous la tutelle du ministère de l’industrie, les relations entre La Poste et son tuteur
sont contractualisés dans le cadre d’un contrat de plan. Evolution vers le statut de SA ?

16
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1° L’exploitation par des sociétés nationalisées (publiques)

La nationalisation des sociétés est, d’après l’article 2 de la loi n° 82-155 du


11 février 1982 de nationalisation, « assurée par le transfert à l’Etat en toute
propriété des actions représentant leur capital » : la société étatisée ne compte
donc qu’un seul actionnaire, ce qui est curieux pour une société, tout au moins
anonyme (exemples : la Banque de France, la SNCF).
Les sociétés nationalisées font des actes de commerce et il convient de leur
reconnaître la qualité de commerçant et, par voie de conséquence, leur appliquer
le droit commercial. Le principe est clairement posé par l’article 3 de la loi de
1982 : « la législation commerciale, notamment les dispositions relatives aux
sociétés anonymes (…), est applicable aux sociétés (nationalisées) ». La doctrine
admet même que de telles sociétés pourraient être mises en redressement ou
liquidation judiciaire.
Notons néanmoins que l’originalité de ces sociétés a des répercussions sur
leur structure de fonctionnement et d’organisation : absence d’assemblée
générale ; participation de représentants des salariés au conseil d’administration
(à côté des représentants de l’Etat et de personnalités nommées par décret)…

2° L’exploitation par des sociétés d’économie mixte (semi-publiques)

Alors que dans les sociétés nationalisées c’est l’Etat qui détient à lui seul
tout le capital, les sociétés d’économie mixte réunissent à la fois des participations
majoritaires de personnes publiques (Etat ou autres collectivités) et des
participations de simples particuliers.
Les SEM sont régies par des textes spéciaux déterminant les prérogatives de
l’Etat.
En principe, elles restent des entreprises privées qui jouissent de la qualité
de commerçant avec les conséquences en découlant (application du droit
commercial).

NB : Outre ses participations officielles ou organisées dans les SEM, notons


que l’Etat peut, dans certains cas, avoir des intérêts dans des entreprises
commerciales, notamment des parts ou des actions de sociétés, par exemple à la
suite de confiscations ou de successions en déshérence. L’Etat ne constitue donc,
dans ces sociétés régies par le droit commercial, qu’un associé ou actionnaire
ordinaire.

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