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DROIT DES AFFAIRES 1

Droit commercial général

Moussa THIOYE

Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole


Directeur du Master Droit de l’immobilier
Vice-Doyen de la Faculté d’Administration et Communication

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M. THIOYE – DROIT DES AFFAIRES
INTRODUCTION

I- Définition du droit commercial et des notions composantes

Le Droit ou droit objectif correspond à l’ensemble des règles (de conduite


sociale) générales, permanentes et obligatoires pour tous ses destinataires (ceux
à qui elles s’appliquent) et dont le respect est assuré par l’autorité publique. Quant
au droit commercial proprement dit, il peut être littéralement défini comme celui
dont l’objet est de gouverner le « commerce ». Il en existe ainsi deux conceptions
possibles :
- une conception subjective ou personnaliste : droit applicable aux
commerçants (conception du droit allemand) : on insiste sur les personnes.
- une conception objective : droit applicable aux actes de commerce quel que
soit leur auteur : on insiste sur les actes des commerçants, les opérations
commerciales.
Le Code de commerce paraît avoir adopté une solution de compromis, même si
la seconde conception serait prédominante (la notion d’acte de commerce est la
notion clé, et elle est désormais visée en tête du Code de commerce). Ainsi, de
manière générale, l’on considère que le droit commercial constitue la composante
du droit privé qui s’applique aux commerçants ainsi qu’à certains actes juridiques
faits par les commerçants, soit entre eux, soit avec leurs clients, à savoir les actes
de commerce.
Deux précisions s’imposent : d’une part, celle de la notion de commerce et,
d’autre part, celle de l’évolution de l’expression « droit commercial.

A- La notion de « commerce »

La définition de la notion de « commerce » n’est pas uniforme.


Dans un sens général ou courant correspondant à la conception romaine, le
commerce ou « commercium » désigne tout échange quels qu’en soient l’objet et/ou
les modalités, tous les rapports juridiques que les hommes entretiennent
relativement à l’utilisation de leurs biens. Cette conception présente l’inconvénient
d’être trop large.
Dans un sens plus étroit et plutôt économiste, le terme « commerce » ne
désigne que les activités de circulation et de distribution des richesses, à
l’exclusion des activités industrielles de production et des activités de pure
consommation. La faiblesse de cette conception réside dans son exiguïté.
Ces deux conceptions extrêmes (l’une trop vague, l’autre trop restrictive)
se sont avérées toutes incomplètes, de sorte qu’il a fallu dégager une conception
moyenne : le commerce que régit le droit commercial englobe, en effet, tant les
activités de distribution des biens que les activités industrielles de production,

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ainsi que des activités connexes telles que la banque, le transport, les assurances…
Il apparaît, de la sorte, qu’une très grande partie des activités économiques
relèvent du domaine du droit commercial.
Cela dit, ce domaine n’est pas général, car beaucoup de secteurs
économiques y échappent encore, notamment pour des motifs sociologiques et
historiques : c’est le cas des activités agricoles, des activités artisanales, des
activités immobilières et des activités libérales (du moins lorsqu’elles ne
s’exercent pas à travers des sociétés de forme commerciale), lesquelles sont de
nature civile.

B- Les mutations de la notion de « droit commercial »

Le droit commercial classique – conçu comme la partie du droit privé qui


s’occupe des opérations juridiques faites par les commerçants ès qualité – s’est
progressivement enrichi d’apports tout à fait nouveaux constitués par des
éléments tant de droit privé que de droit public et, en particulier, de droit public
économique, de droit fiscal, de droit social. C’est ainsi qu’il a paru nécessaire de
bâtir des concepts nouveaux, de portée plus large, à même d’englober toutes les
règles juridiques applicables à l’entreprise. L’on a ainsi vu naître les expressions,
plus ou moins analogues, « droit des affaires », « droit économique », ou encore
« droit de l’entreprise ». Ces termes tendent aujourd’hui à supplanter le mot
« droit commercial », expression devenue un peu trop étroite. Cela dit, le terme
de « droit commercial » demeure vivace et est encore employé pour désigner
certains ouvrages ou cours.

II- L’évolution historique du droit commercial

A- La période antique

L’Antiquité ne connaissait pas, à y regarder de près, de droit commercial


organisé nettement distinct du droit civil. Il y avait toutefois quelques institutions
ou règles spécifiques à la vie commerciale, dont la plus grande partie n’intéressait,
au demeurant, que les affaires maritimes.
Concernant l’Egypte pharaonique, force est de constater que l’on n’a pas
retrouvé de documents relatifs au droit commercial. En revanche, s’agissant de
l’Antiquité orientale, les Babyloniens avaient, quant à eux, édicté, avec le Code
d’Hammourabi (1750 ans avant J. C.), des dispositions relatives, par exemple, aux
contrats de prêt à intérêt, de dépôt, de société ou encore de commission.
Quant aux Phéniciens, ils avaient inventé des institutions importantes
propres au commerce maritime : tel est le cas, par exemple, de la loi rhodienne du
jet à la mer (Lex Rhodia de Jactu) qui permettait de répartir entre tous les

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expéditeurs la perte d’une partie des marchandises, en particulier celles qui
auraient été jetées à la mer par le capitaine pour éviter un naufrage (c’est cette
institution qui a été à la source de la théorie des avaries communes).
De leur côté, les Grecs (ou Hellènes, peuple indo-européen) ont forgé une
institution, le nauticum foenus, qui allait être à la base de ce que l’on a appelé le
prêt à la grosse aventure (c’est-à-dire un prêt à intérêt concernant des biens
exposés à des risques maritimes et conclu sous la condition singulière qu’en cas de
dégât l’emprunteur est dispensé de rembourser au prêteur tout ou partie des
sommes prêtées).
Davantage orienté vers les activités agricoles, Rome ne connaissait pas un
droit commercial véritablement organisé, sans doute parce que les activités de
négoce y étaient exercées essentiellement par des esclaves et plus tard par des
affranchis. Cela dit, le droit romain avait repris un certain nombre d’institutions
des peuples méditerranéens en matière commerciale et révélait ainsi une parfaite
maîtrise des contrats et de certaines opérations financières comme, par exemple,
le cautionnement.

B- La période médiévale

On peut dire que c’est le Moyen Age qui a vu naître un droit commercial
véritablement organisé. En effet, avec l’effondrement de l’empire romain, les villes
marchandes, notamment de l’Italie du Nord (Gênes, Milan, Florence, Pise, Venise),
des Flandres (Bruges, Gand, Anvers, Amsterdam, Bruxelles), d’Allemagne (Leipzig,
Francfort, Brême, Lübeck) et de Champagne (Troyes, Provins), vont se dresser en
Républiques autonomes sous l’impulsion des commerçants. Ces derniers vont alors
élaborer un solide droit des affaires caractérisé par le statut des villes et le droit
des foires avec, notamment, le développement du droit des contrats, la création
de la lettre de change (dont le mérite, à l’époque, était d’éviter les transferts de
fonds sur des routes peu sûres), l’institution de la procédure de faillite (alors
destinée à sanctionner les commerçants mauvais payeurs), l’apparition des
premiers éléments de la comptabilité en partie double, l’apparition de la société
en commandite permettant de contourner l’interdiction canonique du prêt à intérêt
(au lieu de prêter, le capitaliste constituait une société avec un commerçant ayant
besoin de financement et, de la sorte, se trouvait ainsi associé tant aux bénéfices
qu’aux pertes).
L’autre innovation majeure de cette époque fut la création de juridictions
spécialisées, en l’occurrence les tribunaux consulaires qui étaient ainsi investis de
la mission de régler les contentieux entre commerçants et même ceux appartenant
à des pays différents (Consules Mercatorum de Florence ; juridictions consulaires
de France : Lyon en 1419, Toulouse en 1549, Paris en 1563).
Notons aussi le développement, à cette époque, de la lex mercatoria (droit

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des marchands résultant des usages) ainsi que la forte dimension internationale
du droit.

C- L’Ancien droit français (ancien Régime)

A compter du 17ème siècle, avec la création des grands Etats modernes et la


consolidation du pouvoir royal (y compris dans la vie économique), l’on assiste à une
remise en cause du caractère international du droit hérité du Moyen Age. En
effet, les Etats essayant de délimiter le cadre de leur souveraineté, notamment
par l’édiction de règles propres et autonomes, le droit commercial va devenir à la
fin du 18ème siècle un droit écrit et national. Le droit français était ainsi dominé
par deux éléments :
- d’abord, le régime des corporations limitant artificiellement l’accès aux
différents corps de métiers (les corporations allaient devenir obligatoires
en 1673 avec l’ordonnance sur le commerce de terre, prise sous l’influence
de Colbert et parfois appelée Code Savary, du nom du commerçant qui en a
préparé la rédaction) ;
- ensuite, la réglementation royale du commerce. Ainsi, avec les ordonnances
de Colbert venues réglementer le commerce terrestre (ordonnance de
1673) et le commerce maritime (ordonnance de 1681).
Notons qu’à la fin de l’Ancien Régime, le droit commercial ne répondait plus
tellement aux nouveaux impératifs ou besoins de l’activité économique et qu’il
apparaissait plus comme une superposition de règles hétérogènes que comme un
véritable droit.

D- La période révolutionnaire (1789)

Bien qu’ils n’aient en rien œuvré en faveur d’un raffermissement du droit


commercial, les Révolutionnaires allaient toutefois en conserver la distinction
d’avec le droit civil, de même que les juridictions consulaires.
Mais surtout, ils allaient réaliser des apports essentiels en proclamant, par
une loi des 2 et 17 mars 1791 (dit décret d’Allarde, toujours en vigueur), la liberté
du commerce et de l’industrie et en abolissant corrélativement, par la loi Le
Chapelier des 14 et 17 juin 1791, les corporations. « Laisser-faire, laisser-
passer », tel était le nouveau principe.

E- De la codification napoléonienne à nos jours

Sous l’Empire, la codification napoléonienne s’est exprimée en matière


commerciale par la promulgation, par une loi du 15 septembre 1807, d’un Code de
commerce entré en vigueur le 1er janvier 1808. Ce fut un code peu novateur qui,

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pour l’essentiel, se contentait de reprendre des normes antérieures (ordonnance
de Colbert de 1673 notamment et certains usages et coutumes appliqués par les
tribunaux).
Il présentait de nombreuses faiblesses, fruit d’une préparation pas assez
nourrie et, peut-être, de la défiance que Napoléon avait l’égard des commerçants
(à cause notamment des spéculations de certains d’entre eux sur le ravitaillement
des armées). D’où la multiplication des réformes en dehors du code (prolifération
telle que la doctrine a pu parler de « décodification du droit commercial »
(expression de Bruno Oppetit)). C’est ainsi que, à la fin du 20e siècle, le droit
commercial était essentiellement composé de textes spéciaux non intégrés dans
le Code de commerce et intervenant dans des secteurs aussi divers que celui des
sociétés, du chèque, du fonds de commerce, des faillites, etc.
Cette situation particulière a récemment conduit, en septembre 2000 (le
gouvernement, sur la base d’une loi d’habilitation du 16 décembre 1999, a édicté
l’ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000), à l’abrogation du Code de 1807
et à la création d’un nouveau Code de commerce1. Le Code de commerce nouveau
se contente, sur le fond, de reprendre dans un seul ouvrage la plupart des
anciennes dispositions. On parle de codification à droit constant, c’est-à-dire que
les anciennes dispositions en vigueur ont été codifiées telles quelles sans qu’il y ait
été apporté des modifications autres que celles imposées par « le respect de la
hiérarchie des normes », « la cohérence rédactionnelle des textes » et
« l’harmonisation de l’état du droit »). Le nouveau Code, composé de neuf livres,
regroupe aujourd’hui les dispositions de l’ancien code et les nombreux textes
spéciaux hors code.
Désormais l’essentiel du droit commercial se trouve réuni au sein du Code
de commerce2 ; par ailleurs, il a été institué, par une ordonnance du 14 décembre
2000 (prise sur la base de la même loi d’habilitation du 16 décembre 1999), un
Code monétaire et financier qui rassemble toutes les dispositions législatives
relatives à la monnaie et aux activités bancaires et financières.

III- Les principaux caractères et raisons d’être du droit commercial

Le droit commercial français, comme beaucoup de ses homologues


étrangers, est un droit en constante rénovation, un droit qui a connu une tendance
à l’éclatement (du fait de la multiplication des textes spéciaux régissant tel ou tel
type d’entreprise ou telle ou telle catégorie d’activité), mais aussi un droit dont on

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Seule la partie législative a été immédiatement recodifiée en 2000, la partie réglementaire
n’ayant été codifiée que plus tard par le décret n° 2007-431 du 25 mars 2007.
2
Depuis l’ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006, les dispositions relatives au tribunal de
commerce ont été réintroduites dans le Code de commerce (articles L. 721-1 et suivants et R. 721-
1 et suivants du Code de commerce) alors qu’elles étaient, jusque-là, dans le Code de l’organisation
judiciaire ou COJ (articles L. 411-1 et suivants).

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se soucie aujourd’hui de l’unification (en atteste la recodification).
Mais sa caractéristique majeure réside sans doute dans son réalisme qui, à
bien des égards, l’éloignent de la discipline mère que constitue le droit civil. En
effet, pour répondre à certains besoins propres au monde des affaires, le droit
commercial a dû se forger des impératifs particuliers que l’on peut résumer en
termes de rapidité et de sécurité.

A- Les impératifs de rapidité

Quoique critiquée par certains, la distinction droit civil/droit commercial reste


pertinente et profitable. En effet, leurs préoccupations ne sont pas les mêmes à
bien des égards.
Le droit civil s’intéresse plus à la conservation des biens (immobilisation) qu’à
leur distribution, ce qui fait que les opérations importantes y sont plus rares et,
lorsqu’elles sont conclues, requièrent souvent du temps et des formalités, de la
patience, des vérifications approfondies, etc.
A l’inverse, la distribution (mobilisation) étant le moteur du commerce, celui-ci
implique rapidité et souplesse, du moins en ce qui concerne les opérations les plus
courantes (vente, transport, assurances, opérations bancaires…). Par conséquent,
le droit commercial a supprimé ou assoupli le formalisme, voire l’attentisme, du
droit civil, cela en établissant certaines règles ou techniques originales :
- la liberté de la preuve ;
- la place importante reconnue à la théorie de l’apparence ;
- la traditionnelle réduction des délais de prescription ;
- la simplicité des techniques de transmission des créances ;
- la simplicité des techniques particulières d’exécution des obligations ;
- la simplicité des modes de règlement des contentieux ; etc.

B- Les impératifs de sécurité

Les besoins de sécurité se sont manifestés à travers des procédés


particuliers de crédit ou des garanties spécifiques de paiement.

1° Les procédés particuliers de crédit (techniques de financement)

Pendant très longtemps, le recours au crédit a été l’apanage (le propre, le


privilège) des commerçants pour financer leurs activités de négoce. Le droit
commercial a dès lors imaginé, très tôt, des techniques particulières de
mobilisation des créances, des techniques pouvant être directes ou indirectes. La
plus ancienne de ces techniques est sans doute la lettre de change (appelée traite
dans la pratique des affaires) par le moyen de l’escompte (opération par laquelle

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un banquier avance au porteur d’un effet de commerce [lettre de change, billet à
ordre] non échu [à terme] le montant de cet effet contre le transfert de la
propriété de cet effet et sous la déduction d’une somme appelée escompte).
Sont ensuite apparues d’autres procédés de financement nés soit de la
pratique, soit de décisions du législateur pour remédier au formalisme du régime
civil de cession (ancien art. 1590 ou nouvel article 1324 du Code civil : ce régime
veut que si une personne détient une créance à terme et qu’elle veut la céder, elle
doit en informer le débiteur selon l’une ou l’autre de ces deux formalités :
signification par exploit d’huissier, c’est-à-dire un acte remis au débiteur et qui
contient les conditions principales de la cession ; ou acceptation du débiteur par
acte authentique). Parmi ces montages d’un genre nouveau, l’on peut citer :
- l’affacturage : c’est la cession par un vendeur de biens ou un prestataire de
services – l’adhérent – des créances qu’il détient sur ses clients à un factor
qui lui règle le montant de ses créances moyennant le versement d’une
commission et d’un intérêt si les créances sont à terme. En cas de
défaillance des débiteurs, le factor n’a aucun recours contre l’adhérent. Par
conséquent, il opère une sélection parmi les créances qu’il achète.
- le crédit-bail (location financière : financement d’un bien avec option
d’achat à l’issue de la période de location) ;
- l’ouverture de crédit (un banquier s’engage à mettre, dans l’avenir, une
somme d’argent à la disposition du client en une ou plusieurs fois, notamment
sous forme d’autorisation de découvert);
- le bordereau de créances professionnelles dit bordereau Dailly : créée
par une loi de 1981, cette technique permet à un titulaire de créances
professionnelles de céder à un banquier une série de ces créances
regroupées dans un bordereau (relevé détaillé énumérant les différents
articles ou pièces d’un compte, d’un dossier… : état récapitulatif ou
analytique des pièces ou actes en compte). La remise d’un tel bordereau au
banquier investit celui-ci, sans autre formalité, de toutes les créances qui y
sont visées et, éventuellement, des sûretés dont elles bénéficiaient. Cette
cession doit être notifiée aux débiteurs cédés, mais sans aucune formalité
particulière.
- etc.

2° Les garanties particulières de paiement

L’importance du crédit en matière commerciale a rendu nécessaire, outre le


développement des techniques de financement, un renforcement des mécanismes
de protection des créanciers, cela pour assurer la sécurité des transactions (le
mot « crédit » vient du latin « credere » signifiant faire confiance).
Parmi ces mécanismes, l’on peut noter les exemples suivants.

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- La présomption de solidarité passive qui est la règle en matière
commerciale, contrairement à la matière civile (art. 1310 C. civ.) : autrement
dit, en matière commerciale, si deux débiteurs doivent la même dette à un
même créancier, ce dernier peut réclamer le paiement intégral à l’un
quelconque des deux (d’après une coutume très ancienne et consacrée par
la jurisprudence.
- La rigueur du droit cambiaire (des effets de commerce, lettre de change
en particulier) ; ainsi, notons que tous ceux qui apposent leur signature sur
une traite font un acte de commerce et sont solidairement responsables
envers le porteur ; de plus, la loi supprime les délais de grâce et écarte le
principe de l’opposabilité des exceptions (qui, s’il était appliqué, aurait
permis au débiteur cédé de résister à la demande en paiement formulée par
le porteur cessionnaire de la créance en lui opposant tous les moyens de
défense qu’il pouvait opposer à son créancier originel) ; notons également le
caractère répréhensible de l’émission d’un chèque sans provision (même
dépénalisé depuis une loi du 30 décembre 1991, l’émission d’un chèque sans
provision entraîne une pénalité forfaitaire et participe du renforcement du
jeu de l’interdiction bancaire).
- L’institution des procédures collectives (redressement ou liquidation
judiciaire) contre les commerçants défaillants, procédures tendant
notamment au désintéressement des créanciers (notons néanmoins que, de
nos jours, le souci de protection des créanciers est passé au second plan
dans le traitement judiciaire des entreprises en difficulté et se trouve
primé par le souci d’assurer le redressement du débiteur).
- Le développement des sûretés : la sûreté est une garantie que la loi, le juge
ou une convention accordent à un créancier contre le risque d’insolvabilité
de son débiteur ; les sûretés du droit civil s’appliquent au droit commercial,
mais celui-ci leur a apporté des innovations, notamment au contrat de gage ;
en droit civil, la conclusion d’un contrat de gage implique que le débiteur
remette au créancier le bien meuble objet du gage ; ainsi, si à l’échéance le
débiteur ne paye pas, le créancier pourra procéder à la réalisation du gage
soit en vendant aux enchères le bien pour se payer par préférence sur le
produit de la vente, soit en demandant au juge de lui attribuer la propriété
du bien ; le gage civil suppose donc la dépossession du débiteur ; or, à
l’évidence, cette règle est inadaptée aux besoins du commerce, d’où la
création du nantissement, sorte de gage sans dépossession (nantissement
de fonds de commerce par exemple) ; comme autre exemple de sûreté, on
peut citer le cautionnement qui consiste à augmenter le nombre des
débiteurs d’une même dette ; le créancier bénéficiaire du cautionnement
peut réclamer le paiement non seulement à son débiteur principal, mais aussi
aux cautions qui se sont engagées à payer à la place du débiteur principal si

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ce dernier arrivait à être défaillant ; le droit civil permet à la caution
actionnée en paiement d’opposer au créancier les exceptions (moyens de
défense) appartenant au débiteur principal ; on dit alors que le
cautionnement a un caractère accessoire, lequel caractère est source
d’inconvénients pour les créanciers ; pour y remédier, le droit commercial a
imaginé une nouvelle sûreté sans caractère accessoire, en l’occurrence la
garantie à première demande (ou garantie autonome) : le garant s’oblige à
payer à première demande, c’est-à-dire sans pouvoir soulever d’exceptions
qui appartiendraient au débiteur principal.

IV- Les sources ou modes de production du droit commercial

Les sources sont textuelles ou non, internes ou internationales.

A- Les sources textuelles

1° La Constitution

Dans son préambule, la Constitution actuelle reprend les dispositions du


Préambule de la Constitution de 1946 et la déclaration des droits de l’homme
concernant les libertés publiques au premier rang desquelles il y a la liberté du
commerce et de l’industrie (qui est au cœur du droit commercial).

2° Les traités et accords internationaux

Avec l’internationalisation du commerce, le souci d’éviter la complexité


pouvant résulter de la diversité des droits nationaux a conduit à la conclusion de
conventions ou accords entre Etats. Or, dès l’instant où ils ont été régulièrement
passés, ces actes ont une autorité supérieure à celle des lois internes (article 55
de la Constitution : « les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur
publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque
accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
Beaucoup de traités (Conventions, Accords, Protocoles…) ont été conclus en
matière commerciale. Certains se bornent à régler des questions de droit
international privé comme des conflits de lois : c’est le cas, par exemple, de la
Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité
du fait des produits.
D’autres traités, tout en maintenant telles quelles les législations
nationales, leur superposent une réglementation nouvelle uniforme, applicable aux
seules relations internationales : c’est le cas, par exemple, de l’importante
Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises,

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entrée en vigueur en France le 1er janvier 1988.
D’autres encore, plus ambitieux, uniformisent le droit applicable tant aux
relations internes qu’aux relations internationales : c’est le cas, par exemple, des
Conventions de Genève de 1930 sur le lettre de change et de 1931 sur le chèque,
introduites en France par deux décrets-lois du 30 octobre 1935. On citera encore
ici, dans le cadre de l’Afrique francophone, le traité de l’OHADA, signé à Port-
Louis en 1993, qui harmonise le droit des affaires des pays membres.
Notons, enfin, l’existence des traités instituant les Communautés
européennes (notamment Traité de Rome modifié du 25 mars 1957) qui présentent
une grande importance pour le droit commercial français. Parmi leurs apports, on
peut citer : la liberté d’établissement et la libre circulation des marchandises et
des capitaux, qui facilitent les relations commerciales et financières
intracommunautaires ; le principe d’interdiction des pratiques anticoncurrentielles
(ententes et abus de position dominante) ; le contrôle des concentrations ; la
création du groupement européen d’intérêt économique (GEIE) ; l’avènement de la
marque communautaire ; l’avènement de la société européenne ; etc. Toujours
parmi les textes européens, on peut relever la Convention de Rome du 19 janvier
1980 qui a unifié, dans le cadre communautaire, les modes de règlement des
conflits de lois en matière contractuelle (le règlement CE n° 593/2008 du 4 juillet
2008, dit « Rome I », a transformé en texte communautaire la Convention de Rome
du 19 juin 1980 ; il s’applique aux contrats conclus après le 17 décembre 2009).
Enfin, l’on ne saurait ne pas évoquer l’avènement plutôt récent de l’euro.

3° Les lois nationales lato sensu

Il s’agit, d’abord, tant de la loi civile (puisque le droit civil reste le droit
commun, ayant ainsi vocation à s’appliquer en matière commerciale toutes les fois
qu’une disposition expresse ou un usage ne l’écarte pas) que de la loi purement
commerciale (qui se trouve aujourd’hui, pour l’essentiel, dans le Code de commerce
dont la partie réglementaire vient d’être mise en place par le décret n° 2007-431
du 25 du mars 20073).
En plus de ces lois au sens formel ou organique (lois votées par le Parlement),
il y a les règlements, à savoir les décrets, les règlements édictés par des autorités
administratives indépendantes (comme l’Autorité des Marché financiers par
exemple), les rescrits fiscaux, les rescrits boursiers ou financiers...
Malgré certaines controverses (la qualité de source de ces actes est
controversée, faute d’avoir une effectivité juridique directe), on pourrait y
ajouter les circulaires et réponses ministérielles (par lesquelles un ministre donne

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La recodification du Code de commerce s’est faite à droit constant en plusieurs étapes :
ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 pour la partie législative, décret n° 2007-431 du
25 du mars 2007 pour la partie Décrets et arrêté du 14 janvier 2009 pour la partie Arrêtés.

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son point de vue, sous réserve de l’interprétation souveraine des tribunaux, sur
une question juridique soulevée par un parlementaire), ainsi que les
recommandations et codes de bonne conduite (qui sont élaborés par certains
organismes spéciaux de caractère professionnels)…

B- Les usages commerciaux

Les usages commerciaux jouent un rôle très important en la matière, d’abord


parce qu’ils permettent d’adapter très vite les règles aux besoins sans cesse
naissants et mouvants de la vie des affaires (à la différence des textes qui ne
peuvent intervenir qu’avec un certain retard, étant donné la lourdeur de la
procédure législative), ensuite parce le monde des affaires est un secteur de
relations régulières entre professionnels, qui génère nécessairement des
habitudes, des comportements4.
L’usage commercial est une pratique habituellement suivie et considérée
comme normale dans un milieu donné. Il est donc constitué de deux éléments : un
élément matériel, à savoir la répétition d’une pratique commerciale (usus
diuturnus), et un élément psychologique ou moral, en l’occurrence le sentiment
éprouvé par les commerçants d’un même lieu et d’un même secteur professionnel
du caractère obligatoire d’un tel comportement (opinio necessatis).
Cette définition générale donnée, notons que le droit commercial procède à
une distinction entre les usages conventionnels et les usages de droit.

1° Les usages conventionnels ou usages de fait

Ils correspondent à des règles habituellement suivies pour la conclusion ou


l’exécution de tel ou tel contrat et constituent, de la sorte, une présomption de la
volonté des parties. Autrement dit, il s’agit de clauses conventionnelles autrefois
stipulées de manière expresse, mais qui sont devenues tacites par la suite. Ainsi
par exemple, dans le commerce de bois, il est d’usage que l’acheteur de billes non
débitées supporte le risque des défauts découverts au sciage.
L’usage commercial étant le plus souvent limité à une place et à une profession
déterminée, il en résulte certaines conséquences :
- il n’est opposable qu’aux personnes appartenant au même milieu
professionnel où il a été créé (notons toutefois que le cadre territorial de
l’usage est indifférent à la formation de ce dernier) ;
- il peut être écarté par les parties ;
- le principe est que sa preuve peut se faire par tous moyens. Le plus souvent,

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La chambre de commerce internationale a codifié des pratiques loyales et mis sur pied un lexique
de termes juridiques en usage dans le commerce international (INCOTERMS).

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M. THIOYE – DROIT DES AFFAIRES
pour en constater l’existence et le contenu, on recourt à des attestations
écrites (appelées parères) délivrées par des professionnels connus sur une
place ou par des organisations professionnelles compétentes (chambres de
commerce et d’industrie territoriales, syndicat patronal) ;
- l’usage peut compléter la loi, voire y déroger s’il s’agit d’une loi supplétive ;
- la constatation de l’existence et l’application d’un usage conventionnel
relèvent du pouvoir souverain des juridictions du fond. En principe, il n’y a
donc pas de contrôle de la Cour de cassation, sauf si les juges du fond ont,
sous prétexte d’interprétation, dénaturé l’usage en question.

2° Les usages de droit ou coutumes

L’usage de droit, encore appelé coutume, se forme de la même manière que


l’usage conventionnel (c’est aussi une règle habituellement suivie pour la conclusion
ou l’exécution de tel ou tel contrat). Mais, à la différence de ce dernier, il a une
force obligatoire sans passer par le détour de la volonté des parties. En effet,
l’usage de droit nécessite une consécration jurisprudentielle et peut ainsi avoir un
domaine d’application très large. Ce rôle actif du juge fait d’ailleurs que certains
avancent que l’usage de droit ne constituerait, à vrai dire, qu’une véritable norme
objective, une simple règle de droit d’origine prétorienne. Cette valeur objective
explique, entre autres conséquences, qu’un tel usage soit applicable dans le silence
du contrat, qu’il soit dispensé de le prouver, que son application soit contrôlée par
la Cour de cassation.
On distingue trois types d’usages de droit :
- les usages secundum legem auxquels renvoie la loi : « seconder la loi » ;
- les usages praeter legem qui agissent en cas de silence ou de lacune de la
loi : pallier un vide législatif ;
- les usages contra legem qui prennent le contre-pied d’une loi : « contrer »
la loi.
Comme exemples d’usages de droit, l’on peut citer :
- la présomption de solidarité passive (des débiteurs d’une dette
commerciale), usage qui déroge à la règle posée par l’ancien article 1202
devenu l’article 1310 du Code civil ;
- la capitalisation trimestrielle des intérêts de compte courant bancaire (par
dérogation à l’interdiction de l’anatocisme posée par l’ancien article 1154
devenu l’article 1343-2 du Code civil : « les intérêts échus des capitaux
peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une
convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la
convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière »).

C- la jurisprudence

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M. THIOYE – DROIT DES AFFAIRES
La jurisprudence joue un rôle de tout premier plan en droit commercial,
notamment parce qu’il y existe des juridictions spécialisées, les tribunaux de
commerce, et que la vie des affaires suppose des interventions judiciaires rapides
et efficaces pour s’adapter de manière constante aux besoins sans cesse naissants
et mouvants.
L’œuvre prétorienne est ici, sans doute plus que dans les autres branches
du droit privé, très créatrice. D’où, par exemple, le système précité des usages de
droit qui constituent des pratiques tellement utiles au monde du commerce que les
tribunaux les ont élevées au rang de véritables règles de droit.

D- La doctrine

La doctrine (travaux des auteurs) constitue une source indirecte du droit


(commercial), soit par les rapprochements et systématisations des solutions, soit
par les suggestions et critiques qu’elle formule.

Voilà ce que l’on pouvait dire à titre d’introduction. Par la suite, les
développements seront divisés en trois grandes parties :

Partie 1- Les cadres juridique et institutionnel de l’activité commerciale


Partie 2- Les biens de l’entreprise commerciale
Partie 3- Les auxiliaires du commerce : l’agent commercial, le commissionnaire et
le courtier (partie réservée)

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M. THIOYE – DROIT DES AFFAIRES
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
(privilégier les éditions les plus récentes)

Georges Ripert et René Roblot, Traité de droit des affaires, tome I, Du droit
commercial au droit économique, par L. Vogel, LGDJ.
Françoise Dekeuwer-Défossez et Edith Blary-Clément, Droit commercial : actes
de commerce, fonds de commerce, commerçants, concurrence, Montchrestien.
Michel Pédamon et Hugues Kenfack, Droit commercial : commerçants et fonds de
commerce, concurrence et contrats du commerce, Précis Dalloz.
Yves Guyon, Droit des affaires, Tome I, Droit commercial général et Sociétés,
Economica.
Dimitri Houtcieff, Droit commercial, Armand Colin.
Yves Reinhard, Sylvie Thomasset-Pierre et Cyril Nourissat, Droit commercial,
LexisNexis.
Jacques Mestre, Marie-Eve Pancrazi, Isabelle Grossi, Laure Merland et Nancy
Vignal, Droit commercial, LGDJ.
Paul Didier et Philippe Didier, Droit commercial, tome 1, Introduction générale-
L’entreprise commerciale, Economica.
Luc Paulet, Droit commercial, Ellipses.
Moussa THIOYE, Fiches de Droit commercial, Ellipses, 2015.

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M. THIOYE – DROIT DES AFFAIRES

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