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Autrement dit, ce cours vise à initier les étudiants à l’appréciation critique des traitements
pénaux - policiers, judicaires…- que subissent ces formes de déviance (considérées ou non
comme des formes de criminalité).
Les étudiants s’exerceront à comprendre comment la police nationale congolaise s’y prend pour
le contrôle du trafic et de la consommation du chanvre. Ils veilleront aussi à expliciter la
réglementation en cours ainsi que les représentations que se construisent les usagers du chanvre
dans la ville de Kinshasa. Des questions précises leur seront posées sur cet article.
Le deuxième article est celui de Raoul Kienge-Kienge Intudi (2013), « la gestion de la violence
des jeunes en milieu urbain : enjeu d’une politique criminelle participative de sécurité des droits
des jeunes », conférence donnée à l’Ecole de Criminologie le 18/01/2013.
Introduction générale
Différents aspects de la criminalité se développent dans le cadre des Etats déliquescents en
Afrique qu’il s’agisse de la prolifération des milices d’auto-défense, de l’occupation des
espaces publics en milieu urbain, de la délinquance juvénile ou de banditisme armé, le lynchage
des suspects sans respect des droits de la défense, la criminologie nous amène à interroger et à
réinterroger sans cesse les réponses étatiques à ces phénomènes surtout que celles-ci sont
principalement pénales.
« Toutes les déviances, tous les manquements à la morale ou aux règles de la vie sociale ne sont
pas criminalisés. Quand bien même la loi les aurait-elle définis comme infractions pénales, ils
n’encourent pas nécessairement les peines prévues, tant il est vrai que les représentations
sociales des comportements problématiques, les attitudes des victimes et des témoins
d’infractions, les inégalités sociales et les pouvoirs différentiels des auteurs des illégalismes,
les décisions successives des professionnels du système pénal et leurs logiques d’action influent
sur la performance pratique des lois » (Adam, Chr. et Al., 2014 : 238).
La criminologie est une science qui analyse le phénomène criminel et les réactions sociales
qu’il suscite. L’objet de la criminologie a suscité un débat dans les années 60 parmi les
criminologues et ce débat s’est cristallisé autour de deux paradigmes, le premier est le
paradigme étiologique (du passage à l’acte) et le second est le paradigme de la réaction
sociale (ou du contrôle social).
Plutôt que de considérer ces formes comme une réponse ou un remède aux comportements
criminels ou déviants, on les voit comme constitutives de ces comportements. Ce paradigme
amène un autre ordre de questionnement : comment constitue-t-on un comportement
(problématique) en comportement criminel ? Comment le système pénal naturalise le crime ?
Quelles en sont les conséquences ?
Outre ce questionnement, pour le paradigme de la réaction sociale, le crime est une réalité
construite ou définie par une pratique juridico-pénale. C’est pourquoi les recherches, qui
s’inscrivent dans ce paradigme, étudient les processus de criminalisation primaire et de
criminalisation secondaire.
Debuyst, Chr. (cité par Pires, A.,1995) a essayé de résumer le contenu de ces deux paradigmes :
selon lui « la criminalité est une problématique qui renvoi à deux dimensions : (i) à un
comportement ou à une manière de faire et (ii) à une qualification criminelle ou manière de
définir et de (ré-) agir particulières introduites par notre système d’organisation des droits ».
Le crime n’est pas exclusivement un acte, ni exclusivement un acte blâmable, mais le rapport
entre une manière de faire et une manière de définir-agir-résoudre une situation problématique.
D’une part, il y a un fait brut et d’autre part, un fait mental associé à une pratique institutionnelle
(juridico-pénale). C’est de cette combinaison d’éléments que nous pouvons parler de
l’existence d’un crime (Debuyst, Chr., 1995).
Les marchés pirates désignent des activités marchandes qui se déroulent devant des
établissements commerciaux, devant certains édifices publics et sur certaines artères publiques.
Ces activités sont définies par la loi - prohibées par l’arrêté de l’autorité urbaine (l’arrêté du
maire a force de loi) et donnent lieu à l’application d’une peine de la part des acteurs de
régulation sociale. L’organisation des milices est un crime au regard de la loi et donne aussi
lieu à l’application d’une peine de la part du système pénal, il en va de même du recrutement et
de l’utilisation des enfants dans les forces combattantes ou au cours d’un conflit armé. Ces
derniers sont qualifiés des crimes de guerre.
Selon Françoise Tulkens, « la criminologie n’est pas seulement un savoir scientifique mais
aussi un savoir social orienté vers un modèle démocratique d’intervention et d’action ». Elle
précise que la criminologie, « c’est aussi un état d’esprit qui nous apprend une manière d’être
et de penser : refuser les évidences et les préjugés, (oser)poser les questions essentielles,
confronter les points de vue et les disciplines, se remettre en cause et parfois même aussi les
institutions ».
Dans cette perspective, les droits humains constituent des ressources pouvant aider à renouveler
la manière de poser la question de la criminalité et de la réaction sociale.
Les droits humains se présentent comme un système de garanties destinées à limiter l’emprise
du système pénal. Et c’est le rôle défensif des droits humains : « protéger du pénal, protéger les
personnes contre les menaces que fait planer l’intervention même du droit pénal sur leurs droits.
Dans le champ des incriminations et des peines : ceci implique la subsidiarité du droit pénal par
rapport à d’autres formes alternatives d’intervention » ou de non intervention. L’intervention
pénale ne peut se justifier que lorsqu’il n’existe aucun autre moyen moins préjudiciable
d’assurer la protection d’un droit garanti par la constitution.
Sur le plan de la procédure et du procès pénal : « il est acquis dans toutes les constitutions
modernes et les conventions internationales de protection des droits fondamentaux que la mise
en œuvre de la loi pénale doit se faire dans le respect de l’Etat de droit. Ce principe (…) doit
constituer le principe directeur aussi bien de l’activité de la police, des procureurs, des juges et
Cette question nous interpelle surtout nous criminologues qui vivons dans un Etat en faillite :
comment l’Etat de droit peut-il être traduit dans la réalité quotidienne dans un pays caractérisé
par une corruption généralisée et le dysfonctionnement de l’appareil judiciaire et des services
de sécurité ?
Comme principe juridique, l’Etat de droit, écrit Tulkens, Fr., exige, au premier chef, le respect
des garanties du procès équitable, lesquelles se déclinent, notamment, à travers le droit au juge
et l’accès à la justice, les droits de la défense, la présomption d’innocence.
Le droit pénal et sa mise en œuvre portent atteinte à certains droits fondamentaux, ceci découle
des abus mais aussi elle est inhérente à ce droit lui-même comme le suggèrent certaines
formules du 18e et du 19 e siècle qui qualifient le droit pénal d’un droit odieux. C’est dans ce
sens que Jeremy Bentham affirme que le droit pénal « dans tout le cours de son opération ne
peut être qu’une suite de maux : maux dans les menaces et la contrainte de la loi ; maux dans
la poursuite des accusés avant qu’on puisse distinguer l’innocent du coupable ; maux dans
l’infliction des sentences juridiques ; maux dans les suites inévitables qui rejaillissent sur des
innocents » (Tulkens, Fr., 2008).
Par ailleurs, les droits humains jouent un rôle offensif. Cette perspective tend à montrer qu’« il
ne s’agit plus d’utiliser les droits fondamentaux comme des garanties négatives pour limiter le
système punitif, mais de puiser dans ceux-ci des garanties positives pour restituer l’intervention
pénale dans le champ de la justice sociale ».
Le rôle offensif des droits fondamentaux par rapport à l’hégémonie du droit pénal trouve
directement son application de manière naturelle dans une disposition consacrée dans tous les
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Le terme d’Etat peut être défini comme « une nation organisée, souveraine soumise à un gouvernement et à des
lois communes « (Audet et Katz,2006) et aussi comme « l’autorité souveraine qui s’exerce sur l’ensemble d’un
peuple et d’un territoire ».
« Si, négativement ce droit vise à protéger la liberté physique de la personne contre toute
arrestation et détention arbitraires ou abusives, positivement il affirme la primauté de la liberté
qui doit être assurée à toute personne. Dans la perspective de la Cour européenne des droits de
l’homme, il est souligné l’importance cruciale du droit à la liberté dans une société
démocratique. (…) Comme le droit à la vie refuse la peine de mort, le droit à la liberté pourrait
aussi refuser la peine privative de liberté » (Tulkens, Fr., 2008).
Ce qui importe c’est de partir d’un questionnement : qu’est-ce que les droits humains nous
disent ou nous suggèrent à propos de la déviance et de la réaction sociale ? Quelle grille de
lecture, voire qu’elle interprétation peuvent-ils nous suggérer ? Quelle peut être leur
contribution à la configuration de la justice pénale ?
C’est dans une telle perspective criminologique qu’il y a lieu de considérer ces droits comme
lieu possible de penser et repenser les questions de déviance et de réaction sociale.
Le rôle offensif fait de ceux-ci « des droits-créances qui imposent une action, une prestation
pour créer les conditions nécessaires à leur réalisation ». En effet, les droits et libertés reconnues
à la personne humaine ne s’exercent pas dans le vide : ils s’attachent nécessairement à une
personne en situation, au sein d’une communauté, dans les rapports sociaux, à travers lesquels
elle vit et survit. Dès lors, l’éducation, la santé, la protection sociale, le logement, le travail, la
culture deviennent en quelque sorte des droits-créances. Bon nombre de personnes vulnérables
qui sont atteintes dans leurs droits fondamentaux, trouvent dans la déviance une mauvaise
réponse à leur situation.
Les politiques pénales n’intègrent pas les situations à risque que ce soient en termes d’emploi,
de logement, de soins de santé et qui affectent des populations. Tout ceci implique que l’Etat
doit mettre en place une politique active qui tente de répondre aux besoins de sécurité de tous
les citoyens et non seulement aux besoins de sécurité contre les comportements délictueux de
certaines personnes. Une telle politique ne peut qu’avoir des effets positifs sur le processus de
criminalisation et le contrôle de la criminalité.
En somme, la notion d’Etat de droit est équivoque, généralement il est défini comme « un Etat
dont l’organisation interne est régie par le droit et la justice » (Moine, A., 2016).
L’Etat de droit apparaît comme un système dans lequel les pouvoirs publics exercent leurs
fonctions selon les normes juridiques définies. Il est la première étape dans la formation d’un
Etat démocratique. L’Etat de droit s’oppose à l’Etat anarchique. C’est dans ce sens que pour les
Nations unies, l’Etat de droit désigne « un principe de gouvernance en vertu duquel des
individus, des institutions et des entités publiques et privées, y compris l’Etat lui-même, ont à
répondre de l’observation des lois promulguées publiquement, appliquées de façon identique
pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec les règles et les normes
internationales en matière des droits de l’homme. Il implique, d’autre part, les principes propres
à assurer le respect des principes de la primauté du droit, de l’égalité, de la responsabilité au
regard de la loi et de l’équité dans l’application de la loi, de la séparation des pouvoirs, de la
participation à la prise de décisions, de la sécurité juridique, du refus de l’arbitraire et de la
transparence des procédures et des processus législatifs » (Moine, A., 2016).
Le concept de l’Etat de droit est un concept à la fois politique, juridique et philosophique. L’Etat
de droit suppose la prééminence dans un Etat, du droit sur le pouvoir politique ainsi que le
respect de chacun, gouvernants et gouvernés ; de la loi. Bref est un concept politique, juridique
et philosophique.
Le Zaïre est dans une situation où la production formelle se réduit considérablement, l’Etat
devient incapable de financer ses propres dépenses, de payer ses fonctionnaires et d’offrir les
biens et les services publics de base. « On assiste dans le pays à une privatisation de la fonction
fiscale : les fonctionnaires prélèvent des taxes et des impôts le long des routes, aux barrières, à
tous le postes de l’administration en échange de services. C’est la généralisation de la
corruption. L’Etat congolais ne finance plus son armée, il n’assure plus la fonction de maintien
de la sécurité ni la fonction de protection du territoire » (PNUD, 2003).
C’est dans ce contexte de crise économique et de précarité sociale que se développe une
économie de la débrouille dont le marché-pirate en est un des symptômes.
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Société nationale des chemins de fer du Zaïre.
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Société de développement industriel et minière du Zaïre (SODIMIZA et puis SODIMICO aujourd’hui).
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« Deux aspects sont à considérer pour parler de la criminalisation de l’Etat : « premièrement, les actes commis
doivent revêtir un aspect d’enrichissement personnel ou fractionnel. Ensuite, ils doivent s’effectuer au détriment
de la population, victime de la violence ou d’un appauvrissement. En bref, le trait essentiel qui caractérise la
criminalisation de l’Etat est que les hommes politiques et les militaires sont impliqués d’une manière systématique
et collective dans un enrichissement illicite et non productif, au détriment de l’intérêt général » (Programme des
Nations unies pour le développement, 2003).
Les autorités politico-administratives vont essayer de réagir en adoptant des arrêtés incriminant
le marché pirate (il s’agit des mesures destinées à lutter contre l’insalubrité dans la ville) :
Au début des années 2000, l’autorité urbaine multiplie les discours publics pour dénoncer
l’insalubrité de plus en plus criante dans la ville autour du slogan « Bulaya 2000 », ce qui veut
dire la ville de Lubumbashi doit ressembler à celles de l’Europe sur le plan de l’hygiène et de
la salubrité publique.
C’est dans ce contexte que l’autorité politico-administrative adopte l’Arrêté urbain numéro
04/Bur-Maire/Ville/L’shi/2002 du 03 février 2002 portant modification de l’Arrêté urbain
numéro 088/Bur-Maire/Ville/L’shi/2001 du 09 février 2001 relatif à l’interdiction des
marchés pirates à travers la ville de Lubumbashi. L’Arrêté précité interdit l’achat et la vente
des articles sur les avenues principales, devant les maisons commerciales et les édifices publics.
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La sorcellerie c’est le mal moral dans les représentations sociales. Un sorcier nuit dangereusement à autrui, il veut la destruction de l’autre.
De même, l’insalubrité tue par la voie des maladies dont elle est le vecteur.
Dans le même texte, l’autorité urbaine oblige les vendeurs ou les marchands ainsi que leurs
acheteurs de réintégrer les marchés publics.
À titre de sanctions, l’Arrêté prévoit une peine de servitude pénale de sept jours et une amende
allant de un à cent francs fiscaux ou l’une de ces peines seulement (un franc fiscal équivaut à
un dollar américain). La mesure a été instaurée pour rendre constantes les recettes de l‘Etat
suite aux fréquentes dévaluations de la monnaie locale. Ces sanctions s’appliquent tant aux
vendeurs qu’aux acheteurs. L’Arrêté prévoit également la saisie des marchandises étalées.
Celles-ci doivent être acheminées vers les autorités compétentes.
De manière à faciliter l’application dudit Arrêté, l’autorité urbaine a institué une Commission
urbaine chargée de la répression des marchés pirates dans la ville de Lubumbashi. Les objectifs
de ladite commission consistent :
Cette commission compte plusieurs institutions telles que le parquet général, l’auditorat
militaire, l’ANR, la PNC, la DGM, les FARDC, un représentant de la Commune et la
Coordination urbaine de l’environnement et conservation de la nature.
L’Arrêté urbain numéro 018 du 25 mars 2019 portant modification de l’Arrêté urbain numéro
007 du 2 mars 2013 portant interdiction des marchés pirates à travers la ville de Lubumbashi à
son article 5 dispose que « tout contrevenant (civil, militaire ou autre agent de l’ordre) aux
présentes dispositions réglementaires sera passible d’une peine de servitude pénale de 7 jours
et d’une amende allant de 16.000 FC à 1.600.000 FC ou d’une de ces peines seulement.
- Les marchandises étalées seront saisies et acheminées vers les autorités compétentes ;
- Seront également passibles de mêmes peines, les acheteurs des articles étalés sur les artères
principales, devant les établissements commerciaux, les stations-services, etc.
L’analyse de cet Arrêté montre que celui-ci comporte des imprécisions au niveau de certaines
dispositions. En effet, l’Arrêté dispose que les marchandises saisies seront acheminées vers les
autorités compétentes sans pourtant préciser de quelle autorité il s‘agit. Et il ne dit pas ce que
l’autorité en fera.
Par contre, c’est le Code de procédure pénale qui est précis en la matière, car il prévoit que les
objets saisis sont ceux susceptibles de confiscation générale ou spéciale. Il y a lieu de préciser
que la disposition portant sur la confiscation générale a été abrogée par l’Ordonnance-loi
numéro 86-030 du 05 avril 1986. Cette confiscation générale s’appliquait aux personnes
condamnées pour détournement de deniers publics et prévoit de les déposséder de tous leurs
biens.
Quant à la confiscation spéciale, elle est prononcée comme peine et s’applique soit aux choses
formant l’objet de l’infraction, soit à celles qui ont servi ou ont été destinées à sa commission,
soit enfin à celles qui ont été produites par l’infraction.
L’article 66 du Code de procédure pénale dispose que « les officiers de police judicaire doivent
transmettre tous les objets saisis à l’officier du ministère public, à la fin des opérations et en
même temps que tous les procès-verbaux dressés en la cause ».
La Commission créée par l’Arrêté du Maire est sous la coordination de la mairie, dans ces
conditions, il est difficile de savoir qui de l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire est
vraiment habilitée à recevoir les objets saisis.
Par ailleurs, le Code de procédure pénale dispose que « lorsqu’ils opèrent en dehors d’une
localité où siège le ministère public et que la garde des objets saisis s’avère impossible ou de
conservation dispendieuse, les officiers de police judiciaire peuvent faire vendre ceux des objets
qui sont susceptibles de confiscation ». Le bataillon chargé de la répression des marchands-
pirates étant situé à proximité du palais de justice, la disposition précitée ne concerne donc pas
ses officiers de police judiciaire.
Il s’agit par exemple, des forces armées, de la Direction générale des migrations (DGM) qui
s’occupe de la police des étrangers. Les autorités judiciaires aussi bien civiles que militaires
font partie de la commission et doivent rendre compte au maire, ceci pose le problème de
l’indépendance de la justice. Le principe de séparation des pouvoirs affirmé dans la Constitution
congolaise est bafoué.
Enfin, le caractère irréaliste de l’Arrêté mérite d’être épinglé. En effet, l’Arrêté apparaît
inadéquat aux problèmes sociaux dans le Congo d’aujourd’hui où se pose le chômage de masse.
Les activités incriminées dans l’Arrêté apparaissent comme des réponses aux problèmes
sociaux dont le chômage, les jeunes et les enfants en situation de rue, le non accès à l’éducation
de nombreux enfants, les familles monoparentales, etc. et que l’Etat congolais peine depuis
plusieurs décennies à résoudre. Cet Arrêté vient en quelque sorte compliquer l’action publique
visant à résoudre les problèmes sociaux qui se posent au Congo et particulièrement les
problèmes économiques.
Les discours de l’autorité urbaine sur le marché pirate correspondent davantage à la fabrication
d’un mythe (insalubrité publique chronique entraînant des maladies et d’autres dégâts
sociaux…) qu’à la réalité (des acteurs sociaux en quête d’intérêts matériels ou économiques 6).
D’emblée, la situation est beaucoup plus complexe que la vision simpliste en termes de bien et
de mal que nous présentent les acteurs de la lutte.
Dans l’application de la loi, les policiers ne travaillent pas comme des automates. Car il s’agit
pour ces acteurs de passer de la forme abstraite de la loi aux réalités concrètes. En tant
qu’acteurs sociaux, ils interprètent la loi selon les circonstances dans lesquelles ils se trouvent
ou selon les situations concrètes auxquelles ils sont confrontés et dont le détail échappe à la loi.
La loi est dite générale et impersonnelle, elle ne tient pas compte des circonstances précises
dans lesquelles elle sera appliquée.
6Les acteurs de la lutte instrumentalisent la répression à des fins politiques et économiques ; les clients appréhendent le marché pirate en termes de proximité
avec les marchands et ils peuvent négocier les prix plus facilement que dans les marchés publics ou dans les magasins. Pour les marchands en proie à la pauvreté,
ces activités de petit commerce sont les seuls moyens de s’en sortir.
Dns cette acception, les professionnels de police ne procèdent pas à l’arrestation de tous les
marchands pirates. Des marchands pirates couverts ou protégés par les autorités politico-
administratives, les personnes qui ont endossé l’identité de militaire ou de policier - les
déserteurs, les blessés de guerre -, les membres proches des policiers ne sont pas visés par la
répression. Toutes ces exceptions rendent la répression du marché pirate plus complexe.
L’insalubrité publique dans la ville de Lubumbashi demeure un problème criant et qui dépasse
le simple cadre du marché-pirate alors que l’autorité urbaine semble la confiner ou la réduire à
ce phénomène.
C’est un déni de la réalité et une illustration de la politique d’autruche quand on connaît non
seulement la montée et l’ampleur des cambriolages à main armée dans la ville mais aussi la
gravité des dommages qu’ils entraînent sur les nombreuses victimes abandonnées à elles-
mêmes. Les opérations vantées dans les discours de l’autorité publique pour réprimer les crimes
à main armée - par exemple, l’opération kibunu - n’ont eu que de faibles effets. Leur grand
impact étant la légitimation du pouvoir public.
En conclusion, la guerre contre les marchés pirates déclarée depuis plus d’une décennie et qui
se veut exceptionnelle a produit des résultats objectivement décevants. Pour remplir les
objectifs assignés par la Mairie, les policiers renforcent les contrôles sur leurs clients habituels.
C’est comme si les activités de marché pirate sont davantage contenues, maîtrisées voire
élucidées (parce qu’on a augmenté le contrôle policier). Pourtant le constat est là, les personnes
impliquées dans les activités de marché pirate semblent grossir du jour au jour. On en déduit
que les policiers n’ont pas réussi à démanteler les marchés-pirates, bien au contraire la
répression est instrumentalisée par les policiers eux-mêmes que par l’autorité urbaine à des fins
économiques et politiques.
L’autorité urbaine se contente d’une pénalisation du social. On dirait qu’elle pénalise les
problèmes sociaux à défaut d’en apporter des réponses adéquates ou appropriées. L’autorité
confond les problèmes d’insalubrité avec les problèmes de chômage, de manque d’emploi ou
d’activités génératrices des revenus pour une grande partie de la population. Bref les acteurs
des politiques locales de prévention et de sécurité sont largement désemparés face à la
complexité du phénomène de marché pirate.
Le terme Maï-Maï (Mayi) signifie « eau » et s’articule sur la pratique traditionnelle qui consiste
pour les combattants à s’asperger d’eau avant les hostilités. Dans leur croyance, cette eau est
censée les protéger des balles des forces ennemies.
Les origines de Maï-Maï sont liées à la rébellion armée contre le gouvernement central dans les
années 60. Ils sont originaires principalement des communautés des Bashi, Bembe et Nande
ainsi que des ethnies moins importantes des Bangilima, Hunde, Tembo et Nyanga. Ils se
perçoivent comme des « autochtones » du Congo et héritiers légitimes de la terre.
Dans les années 90, le terme de Maï-Maï a commencé à être largement utilisé pour désigner les
milices locales organisées sur une base ethnique et engagées dans des combats relatifs à la
protection de leurs communautés et de leurs intérêts (terres, intérêts économiques et pouvoir
politique). Pendant la guerre d’agression de 1998, on a constaté que les Maï-Maï ont proliféré
dans l’Est du pays dans un contexte d’insécurité grandissante et endémique, de l’absence de
l’Etat et de la crainte des « envahisseurs étrangers » plus précisément rwandais (Coalition pour
mettre fin aux enfants-soldats, 2014).
Rappelons que la première guerre a commencé en novembre 1996 quand l’armée de Paul
Kagame a envahi l’Est de la République démocratique du Congo pour démanteler les camps de
réfugiés Hutu, supposés abrités des génocidaires et base de lancements d’attaques contre le
Rwanda. L’armée rwandaise a soutenu le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila, qui a fini par
renverser le dictateur Mobutu.
« La seconde guerre » a commencé en 1998 avec le retournement des alliés d’hier de Laurent-
Désiré Kabila précisément le Rwanda et l’Ouganda dont les armées ont envahi le Congo et ont
soutenu des groupes rebelles tels que le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-
Goma), un groupe rebelle qui a pris possession d’importantes parties de la zone Est du Congo
jusqu’aux accords de 2002.
Au cours de deux guerres (1996-2003), les Maï-Maï ont été actifs militairement dans les
provinces du Katanga, Nord et Sud Kivu, Province orientale et Maniema. Au début, ils faisaient
partie d’une plus grande alliance contre le gouvernement congolais et par la suite, au cours du
second conflit, ils agissaient en collaboration avec le gouvernement congolais en opposition au
Rwanda et aux groupes rebelles soutenus par le Rwanda.
Le processus de paix de 2002 qui a permis la cessation des hostilités a été suivi de la mise en
place du programme DDR. Certains dirigeants des Maï-Maï sont entrés dans le gouvernement
de transition et leurs éléments ont été démobilisés et intégrés dans l’armée. Malgré ce processus
de paix, certains Maï-Maï sont restés actifs dans leur zone.
Ce processus consacre la justice transitionnelle au cours de laquelle les protagonistes qui ont
commis des crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et d’autres crimes graves n’ont pas
été poursuivis et punis. C’est le cas des massacres de populations civiles, pillages, viols et
violences sexuelles dans la zone Est du pays occupée par des forces rebelles soutenues par les
armées rwandaises et ougandaises. Les responsables des groupes rebelles se sont vus octroyer
des postes ministériels et se partager la présidence avec Joseph Kabila. Dans le but de consolider
et de renforcer la paix et la stabilité du pays, les protagonistes du conflit congolais avaient opté
pour cette forme de justice transitionnelle. Il a été prévu aussi la mise en place d’une
Commission Vérité et Réconciliation sur le modèle de l’Afrique du sud mais celle-ci n’a
jamais pu fonctionner.
Il faut attendre après les élections de 2006 remportées par Joseph Kabila pour que Jean-Pierre
Bemba, un seigneur de guerre du mouvement rebelle MLC (Mouvement pour la libération du
Congo) et ex vice-président chargé de l’économie et finance, soit arrêté par les autorités
judiciaires belges (alors qu’il était en séjour dans ce pays en 2007) et transféré à la CPI pour y
être jugés pour les crimes contre l’humanité et crimes de guerre perpétrés par sa milice en
République Centre Africaine. Jean-Pierre Bemba fut finalement condamné à dix ans de prison
et acquitté en 2016 après avoir croupi sous les geôles de cette instance judiciaire internationale
pendant dix ans.
À partir de 2007, l’insécurité a repris dans les provinces de l’Est du pays entraînant les
déplacements de nombreuses populations civiles. Dans les affrontements entre les groupes
rebelles et les Forces armées de la République démocratique du Congo, les Maï-Maï y ont été
impliqués. D’ailleurs, il existe encore aujourd’hui des poches d‘insécurité dans l’Est du pays
Au fond, les Maï-Maï présentent un panel des groupes de différentes tailles et capacités, certains
groupes comptent de centaines de combattants, d’autres beaucoup plus. Il y a aussi disparition
de certains groupes anciens et l’émergence de nouveaux groupes. Tout ceci ne permet pas de
les inventorier avec précision.
Il existe de groupes relativement faibles et qui sont implantés au niveau local et qui sont moins
structurés ; par contre, d’autres groupes de Maï-Maï sont mieux structurés et comptent des
centaines voire de milliers de combattants avec une répartition géographique beaucoup plus
importante (Coalition pour mettre fin aux enfants-soldats, 2014). « Les divers groupes Maï-Maï
ne disposent pas, cependant, d’une structure de commandement centralisée et chaque groupe
fonctionne de façon indépendante, poursuivant ses intérêts propres » même s’il peut y avoir une
coïncidence de ces intérêts (Coalition pour mettre fin aux enfants-soldats, 2014).
Le terme de Maï-Maï désigne aussi la Coalition des Patriotes résistants du Congo (PARECO)
apparue suite aux initiatives du gouvernement congolais de créer une structure plus organisée,
mieux coordonnée et avec un commandement centralisé. Cette organisation politique est
apparue en 2007 dans le contexte de la lutte menée contre le Congrès national pour la défense
du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda Batware. Des milices Maï-Maï et Hutu (congolaises et
rwandaises) faisaient partie du PARECO. En 2010, le PARECO s’est dispersé ; il y a eu
plusieurs scissions et regroupements de Maï-Maï et l’objectif de départ a échoué.
Dans l’ensemble, le gouvernement congolais et son armée se sont servi des Maï-Maï et leur ont
fourni des moyens logistiques, on a noté aussi des tensions entre les FARDC (Forces armées
de la République démocratique du Congo) et les milices Maï-Maï.
Parmi les caractéristiques de ces groupes, il y a la croyance chez leurs membres en des pouvoirs
protecteurs magiques à la suite de l’exécution de certains rituels (application des tatouages,
consommation de potions hallucinogènes…).
Les enquêtes des experts des Nations unies auprès des forces combattantes indiquent que les
groupes Maï-Maï sont responsables du plus grand nombre de recrutements d’enfants à des fins
L’enfance au sein des communautés d’où proviennent les enfants recrutés par les Maï-Maï n’est
pas souvent construite sur le modèle de la définition contenue dans la Convention internationale
relative aux droits de l’enfant et d’autres traités relatifs aux droits de l’enfant. Dans ces
communautés, l’âge de responsabilité sociale commence bien avant que l’enfant n’atteigne 18
ans. Les enfants assument déjà à partir de 15 ans ou 16 ans l’âge adulte, c’est ainsi qu’ils
peuvent se marier ou devenir des combattants. Les filles peuvent déjà se marier à partir de 14
ans et partant assumer leur responsabilité sociale.
Dans les mêmes communautés, la mobilisation des enfants dans les groupes armés qui se
présentent comme défendant leurs intérêts est considérée comme un des devoirs des enfants.
La responsabilité des enfants envers leurs familles et leurs communautés est renforcée par la
situation de pauvreté et le manque d’opportunités d’éducation. En effet, les enfants recrutés par
les groupes Maï-Maï ont très peu ou pas d’éducation formelle.
Enfin l’insécurité chronique et récurrente dans la région de l’Est du Congo expose les enfants
au recrutement par les groupes armés. L’accès à l’éducation est parfois mis à mal par la
destruction des institutions d’éducation lors des hostilités.
Les conflits armés récurrents dans ladite région ont entraîné la destruction des moyens de
subsistance traditionnels tels que l’agriculture, le petit commerce, la pêche, etc., dans ces
conditions, la plupart de jeunes n’ont plus d’opportunités d’emploi. C’est ainsi qu’ils sont
exposés au recrutement par les Maï-Maï. En étant mobilisés dans les groupes armés, certains
jeunes pensent qu’ils peuvent échapper à la pauvreté même si ceci n’est pas évident.
Les exactions, les meurtres et les pillages pratiqués par les forces d‘occupation (comme les
armées rwandaise et ougandaises pendant la guerre d’agression) au cours des hostilités ont été
parmi les raisons qui justifient le recrutement volontaire des enfants dans les groupes Maï-Maï.
Ces groupes sont perçus comme des forces de résistance populaire et de protection des
communautés et ils ont pris le contrôle des vastes espaces dans le centre du Katanga où ils ont
perpétré des crimes sur les populations civiles qu’elles prétendaient initialement protéger ou
défendre.
Les milices Maï-Maï de Gédéon étaient une force d’auto-défense locale soutenue par le
gouvernement congolais au cours de la guerre contre le Rwanda et l’Ouganda, qui a débuté en
1998. Lorsque la guerre a pris fin en 2003, le gouvernement national avait échoué à intégrer ces
milices dans l’armée. Ces milices ont pris les armes contre leur allié d’hier, le gouvernement
congolais. En novembre 2005, les Nations unies ont estimé à 150.000 personnes qui avaient été
déplacées et des centaines d’autres tuées.
Le processus de fabrication des enfants-soldats ou des enfants intégrés dans les groupes Maï-
Maï est complexe : jusqu’ici nous nous sommes limité à montrer comment le déséquilibre
structurel (pauvreté, manque d’accès à l’éducation, hostilités ouvertes, etc.) expose les enfants
au recrutement dans les groupes armés.
En effet, ce processus inclut aussi tous les entraînements physiques, les punitions qu’on fait
subir à l’enfant, la privation de nourriture, les marches à pieds sur de longues distances, etc.
L’endoctrinement ou la propagande exaltant l’appartenance aux groupes armés, les rites
(d’immunisation contre les armes des forces ennemies) et l’héroïsation des actes barbares font
aussi partie de ce processus. L’enfant se trouve dans un processus de désaffiliation par rapport
aux groupes proches et de ré-affiliation à son chef. Il y a l’émergence d’une nouvelle identité.
La gestion étatique de ces phénomènes est soit pénale et soit par programme. Le cas
emblématique du traitement pénal du phénomène Maï-Maï dans l’ex province du Katanga est
celui de Gédéon Kyungu Mutangala. Gédéon Kyungu Mutanga (Wa Bafunkwa Kanonga) est
le chef des milices Maï-Maï, qui se sont rendues coupables des crimes graves dans « le triangle
de la mort » dans le centre du Katanga entre 2003 et 2006.
Arrêté le 16 mars 2006, il a été traduit devant le tribunal militaire de Kipushi et son procès s’est
ouvert le 10 juillet 2007. Après un procès de 19 mois, le tribunal militaire de la garnison du
Haut-Katanga siégeant à Kipushi, l’a reconnu coupable le 5 mars 2009 de crimes contre
l’humanité, de mouvement insurrectionnel et de terrorisme. Six autres co-accusés, dont
l’épouse de Gédéon, Ilunga Monga Nkuma ont été reconnus coupables de crimes contre
l’humanité ainsi que d’autres crimes. Quatre prévenus ont été acquittés faute de preuves tandis
qu’un autre a été acquitté parce qu’il était mineur au moment de la commission des crimes ; il
a été reconnu légalement irresponsable.
Gédéon Kyungu et six autres prévenus ont été condamnés à la peine capitale alors que la RD
Congo applique un moratoire sur la peine de mort. Les organisations de défense des droits
humains comme Human Right Watch ont dénoncé cette peine ; pour elles, il s’agit d’une peine
cruelle et inhumaine et qui plus, n’est pas appliquée par la CPI (Cour Pénale internationale).
Ce tribunal a aussi jugé que le gouvernement avait une responsabilité civile pour n’avoir pas
désarmé les Maï-Maï, ses anciens alliés après la fin de la guerre en 2003. Les juges ont accordé
des dédommagements à des dizaines de victimes qui avaient été acceptées en tant que parties
civiles dans les procédures judiciaires. L’une d’elles s’est vu attribuer 300.000 dollars
américains tandis que d’autres se sont vus accorder 80.000 dollars américains et 150.000 dollars
américains. Finalement la peine de mort de Kyungu fut commuée en prison à vie.
Human Rights Watch a déploré le fait que les enquêtes et procédures légales contre les
commandants des FARDC (Forces armées de la République démocratique du Congo), qui ont
aussi commis des crimes au cours de la même période, n’ont pas connu la même réussite. Seuls
quatre soldats ont été condamnés pour faute d’assistance aux personnes en danger malgré les
preuves de crimes, notamment les exécutions sommaires et des viols. L’un des commandants
des FARDC en charge des opérations contre les Maï-Maï, n’a été condamné qu’à 15 mois de
prison.
Dans le cadre de la Constitution congolaise, toutes les formes d’exploitation des enfants sont
interdites ainsi que l’entretien « d’armées des jeunes » prohibé. La Loi portant protection de
l’enfant de 2009 a renforcé de manière importante la protection légale des enfants, notamment
par rapport à leur implication dans les conflits armés. Cette loi criminalise le recrutement et
l’utilisation des enfants à des fins militaires. Elle interdit aussi les abus auxquels sont soumis
les enfants et les jeunes recrutés par les Maï-Maï tels que les enlèvements, l’incitation à des
actes de violence, la torture, les violences sexuelles et l’esclavage sexuel.
Cette Loi définit la responsabilité de l’Etat pour assurer la sortie des enfants des forces
combattantes (armées et groupes armés), faciliter leur réinsertion et garantir la protection,
l’éducation et les soins nécessaires à tous les enfants affectés par les conflits armés (la mise en
place des programmes DDR pour les enfants).
Comme la Loi portant protection de l’enfant de 2009, d’autres lois congolaises interdisent
l’implication des enfants dans les conflits armés. La Loi numéro 04/023 de 2004 portant
organisation générale de la défense et des forces armées interdit l’entretien des groupes
subversifs de jeunes ou d’une armée de jeunes. Le Code du travail de 2002 interdit les pires
formes de travail des enfants.
Le cadre juridique congolais de gestion de situations criminalisées qui impliquent des enfants
est généralement complet par rapport à d’autres pays. C’est la volonté politique de le mettre en
œuvre qui fait défaut. Ensuite, on constate que les capacités institutionnelles pour appliquer les
lois sont trop faibles.
Malgré les grands discours pour réprimer davantage les organisations criminelles qui recrutent
des enfants, les élites politiques et militaires en sont parfois les tireurs de ficelle et ceux qui leur
apportent des ressources matérielles. Les enfants sont massivement recrutés pour grossir le rang
des armées rebelles et des armées officielles à des fins politiques (l’Etat est aussi complice du
recrutement des enfants dans les groupes armés qui sont alliés à l’Etat). Les élites militaires
encouragent les activités des milices pour en tirer des intérêts essentiellement économiques et
pour des raisons politiques.
Les enfants s’étaient présentés volontairement à la milice, parfois forcés par leurs familles, pour
venger leurs proches ou convaincus par les propagandes de l’UPC ou tout simplement pour
échapper à la pauvreté. Ces enfants ont enduré beaucoup de souffrances. Les filles quant à elles,
ont été abusées sexuellement, violées et utilisées comme exclaves sexuels. Durant le procès
Lubanga, les victimes (les enfants-soldats, la population qui a subi les pillages, les viols et les
massacres) ont eu le sentiment que la qualification des faits reprochés à Thomas Lubanga ne
traduisait pas leurs expériences.
Par ailleurs, il y a des enfants en conflit avec la loi qui sont détenus dans les prisons du pays
comme à la prison Kassapa. Dans cette catégorie des enfants en conflit avec la loi, on trouve
principalement ceux appelés communément les enfants de la rue ou encore les enfants en
situation de rue. Ces enfants sont en rupture de lien avec leurs familles et ont élu domicile dans
les rues où ils se livrent régulièrement à la mendicité, au vagabondage ou aux occupations
pouvant les exposer à la prostitution, à la drogue et aux atteintes contre la propriété. On trouve
aussi des jeunes enfants en situation de rue, très violents et qui sont constitués en bandes ou non
et qui vont jusqu’à commettre des faits plus graves tels que les meurtres.
Le Tribunal pour enfants oriente les enfants en conflit avec la loi selon une ordonnance de
placement. L’Ordonnance portant mesure provisoire de placement est une pièce qui place
l’enfant en conflit avec la loi, soit en famille, dans un centre privé ou public et à la prison
centrale au quartier spécial pour enfant de la Kassapa tel qu’ordonné par le juge.
Le Tribunal pour enfants a des juges compétents, il s’agit des magistrats attitrés, formés et qui
sont habilités à trancher les différends entre les enfants et aussi entre les enfants qui été auteurs
d’un manquement et les adultes victimes.
On constate que des enfants en conflit avec la loi ont rarement des pièces d’identité ou des
attestations d’enregistrement de leur date de naissance et très souvent, il y a des contradictions
entre la déclaration de l’enfant et l’âge établi par le dossier judiciaire. Cette situation encourage
des pratiques et des décisions arbitraires. Dans ce sens, au niveau de la saisine, il arrive souvent
que l’enfant qui a été déclaré mineur au niveau du Commissariat de police, dès que son dossier
arrive au Parquet, cet enfant est déclaré majeur et vice versa. Cette situation complique la
procédure par rapport à l’âge des enfants.
En vertu de Règles minima pour le traitement des détenus (1977) à l’article 1 alinéa 2, « en
règle générale, les jeunes (mineurs) délinquants ne devraient pas être condamnés à des peines
de prison ».
Paradoxalement, des enfants qui ont commis le manquement qualifié d’infraction à la loi pénale
de vol simple sont détenus à la prison centrale de la Kasapa. Il s’agit d’un fait bénin qui devrait
être transféré au comité de médiation.
Le cas d’un pygmée, qui avait été transféré de Nyunzu à Lubumbashi depuis l’année 2015 pour
crime de participation au mouvement insurrectionnel Maï-Maï montre comment le traitement
des enfants en conflit avec la loi, n’est pas toujours conforme aux dispositions des normes
internationales et de la loi congolaise. La Cour militaire s’en était dessaisie, en effet, elle avait
constaté qu’il s’agissait d’un mineur. Le transfert du dossier de cet enfant de la Cour militaire
au Tribunal pour enfants a pris beaucoup de temps. Ce transfert a duré une année pour que
l’enfant comparaisse devant son juge naturel au tribunal pour enfants. Entre temps, l’enfant ne
recevait ni de visite extérieure et n’avait aucun contact avec sa famille biologique.
Ces Règles recommandent des mesures extra-judiciaires pour ce qui est des enfants en conflit
avec la loi. C’est tout le sens de l’article 11 alinéa 1 qui dispose qu’« on s’attachera dans toute
la mesure possible, à traiter les cas des délinquants juvéniles en évitant le recours à une
procédure judiciaire devant l’autorité compétente visée ».
Le même article à l’alinéa 2 dispose aussi que « la police, le parquet ou les autres services
chargés de la délinquance juvénile ont le pouvoir de régler ces cas à leur discrétion, sans
appliquer la procédure pénale officielle, conformément aux critères fixés à cet effet dans leurs
systèmes juridiques respectifs et aussi aux principes contenus dans le présent Ensemble des
règles ».
Ces dispositions juridiques ne déterminent pas les décisions des juges d’enfants en conflit avec
la loi, la prison leur apparait comme la sanction privilégiée. Plusieurs enfants en conflit avec la
loi incarcérés (placés) à la prison de la Kasapa n’ont aucune idée de l’état d’avancement de leurs
dossiers au niveau du Tribunal pour enfants (judiciaire). Certains d’entre eux, qui sont à la prison
depuis bientôt une année, sont toujours sous mesures de placement provisoire (en détention
préventive) ; d’autres se plaignent du fait qu’ils n’ont jamais été entendus par leur juge.
La gestion étatique du phénomène de la mobilisation à des fins militaires des enfants et des
personnes adultes notamment dans les groupes armés comme les Maï-Maï n’est pas que
répressive, il s’agit aussi d’une gestion par programme plus précisément dans le cadre du
programme DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion). Les enfants et les combattants
adultes faisant partie des groupes Maï-Maï sont désarmés, démobilisés et réinsérés dans leurs
communautés avec l’aide du programme. Pour les combattants adultes, il y en a qui sont
intégrés dans les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC).
Les élites politiques et militaires détournent les fonds versés par les partenaires étrangers pour
la réalisation des programmes DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion) des
combattants adultes et des enfants combattants. L’intégration des éléments des groupes armés
dans l’armée gouvernementale pose un certain nombre des problèmes : les anciens soldats
n’acceptent pas les nouveaux intégrés comme des éléments à part entière comme eux ; les
nouveaux sont souvent des recrues qui n’ont eu aucune formation de base, non instruits ou très
peu instruits, des voleurs ou des bandits...
Cependant, les projets de réinsertion sur le long terme bénéficient rarement de financements
durables. Le manque de financements, une planification déficiente et la tendance à accorder la
priorité à la démobilisation plutôt qu’à des objectifs de réinsertion sur le long terme ont continué
de compromettre les chances qu’ont les enfants de se réinsérer dans la société » (Coalition,
2010).
Par ailleurs, l’inefficacité des lois en ce qui concerne certaines formes de travail des enfants
peut se comprendre à partir des représentations sociales et de la manière d’intégrer
économiquement les enfants dans les sociétés africaines.
L’enfance est une catégorie sociale dont l’histoire s’énonce différemment selon qu’il s’agit de
l’Afrique, de l’Europe ou encore de l’Asie, estime Jézéquel. C’est ainsi que la notion d’âge
légal sur laquelle se fonde le droit international et les accords internationaux interdisant le
recrutement de l’enfant à des fins militaires et leur participation dans des travaux mettant
gravement en danger leur moralité, santé, éducation, survie et épanouissement, peine à
s’appliquer en Afrique.
En ce qui concerne l’intégration des enfants dans les structures économiques, elle n’est pas non
plus la même pour toutes les sociétés. En effet, depuis la fin du 19e siècle, les sociétés
occidentales tendent à retirer l’enfant du système de production et le construisent en tant que
consommateur. Par contre, dans les sociétés africaines, l’enfant représente encore une force de
En partant de l’approche de l’acteur social, nous pouvons considérer que les enfants Maï-Maï
ne sont pas que des victimes, ils sont aussi des acteurs sociaux. « Ayant débuté en tant que
victimes, beaucoup d’entre eux se sont transformés en auteurs d’assassinats les plus atroces et
les plus violents. Dans ce processus de transformation, ils exercent leur propre capacité
d’action, une action tactique propre aux faibles, sporadique, mobile, saisissant toute opportunité
qui leur permet de faire face aux contraintes qui leur sont imposées. (…) Malgré qu’ils soient
dépourvus de lieux de pouvoir, ils ont la possibilité de naviguer entre une multitude d’espaces
et d’états : être simultanément enfant et adulte, victime et auteur de crime, civil et militaire,
etc. » (Honwana, 2000).
Bref les réponses étatiques au phénomène de déviance comme le travail des enfants dans les
groupes armés ou dans l’exploitation minière artisanale apparaissent comme disproportionnées
par rapport aux représentations sociales et à l’intégration économique des enfants dans la
société africaine et partant congolaise.
Faute d’apporter des réponses adéquates à ces situations, l’Etat se contente plus de surveiller et
de sanctionner beaucoup plus les petits délinquants (les auteurs de violence sexuelle, les
voleurs, les bagarreurs, les trafiquants et les consommateurs de la drogue, etc.), les marginaux
(des personnes sans emploi et occupation, les enfants et les jeunes en situation de rue, les enfants
sans possibilité d’accès à l’éducation…), qui semblent constituer le gros des clients habituels
de la police.
Si ces catégories sociales sont davantage réprimées, les délinquants en col blanc et les criminels
d’Etat dont les crimes ont des conséquences beaucoup plus graves dans la société, ne sont pas
réprimés. On dirait que la justice ne s’abat que sur les populations les plus faibles et sur les
phénomènes les plus visibles.
7
Le chômage, le manque d’occupation, le vide de l’Etat dans certaines régions, le manque d’accès à l’éducation, le besoin de protection de la
communauté, etc.
3.Coalition pour mettre fin à l’utilisation des enfants-soldats (2010), Enfants-soldats. Extrait
du rapport mondial 2008, Londres, Coalition pour mettre fin à l’utilisation des enfants-soldats.
7.Human Rights Watch (2009), « RD Congo : un chef de milices reconnu coupable dans un
procès marquant-La condamnation de Gédéon Kyungu Mutanga pour crimes contre l’humanité
est un pas important pour la justice », New York, Human Rights Watch, communiqué du 10
mars 2009.
10.Ntuda Ebode, J.V. (2006), « Les enfants-soldats dans les crises africaines : entre logique
militaire et stratégies politiques », Guerres mondiales et conflits contemporains, numéro 222,
pp.111-119.
11.Lachal, Chr. (2006), « Les signes de l’identité d’espèce », Journal de psychiatrie, numéro
24, pp.51-54.
18.Tshinyama Kadima (2020), Gestion de la crise sécuritaire à Lubumbashi (RD Congo). Auto-
défense et dispositifs étatiques, Lubumbashi, Unité de recherche en criminologie des
investigations.
19.Van Acker, Fr. et Vlanssenvoort, K. (2001), « Les Maï-Maï et les fonctions de la violence
milicienne dans l’Est du Congo », Politique africaine, numéro 84, pp.103-116.