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Les représentations sociales de la justice pénale : une trilogie

par Noëlle LANGUIN, Eric WIDMER, Jean KELLERHALS et Christian-Nils


ROBERT

| Médecine et Hygiène | Déviance et Société

2004/2 - Volume 28
ISSN 0378-7931 | ISBN | pages 159 à 178

Pour citer cet article :


— Languin N., Widmer E., Kellerhals J. et Robert C.-N., Les représentations sociales de la justice pénale : une trilogie,
Déviance et Société 2004/2, Volume 28, p. 159-178.

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Déviance et Société, 2004, Vol. 28, No 2, pp. 159-178

LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA JUSTICE PÉNALE :


UNE TRILOGIE
Noëlle Languin, Eric Widmer, Jean Kellerhals et Christian-Nils Robert

Cet article vise à rendre compte des conceptions de la sanction pénale dans les menta-
lités contemporaines. Basée sur un échantillon représentatif de la population adulte de la
Suisse francophone (N = 1881), la recherche empirique a permis de dégager trois « philo-
sophies » distinctes. Le « prospectivisme » justifie principalement la sanction pénale par la
réinsertion de l’individu dans la société. Les réponses aux infractions sont modérées et
tournées vers l’amendement par le soin. Le « contractualisme » met en avant la responsa-
bilité du délinquant qui doit payer pour ce qu’il a fait. La finalité de la peine est dominée
par l’idée de restitution : la sanction doit être modulée par l’intention de l’auteur et la gra-
vité objective des dégâts. L’« ostracisme » enfin repose sur une image catégorielle du
délinquant. Il est d’abord l’autre – l’étranger, le marginal, le drogué,…– et la justice
consiste à l’exclure. La sévérité de la sanction est forte, modulée par les appartenances,
sans exclure l’utilisation de sanctions infamantes ou honteuses.

MOTS-CLÉS: JUSTICE – SANCTION PÉNALE – REPRÉSENTATIONS SOCIALES – PUNITIVITÉ

Introduction

Quelle juste réponse devrait-elle faire écho aux offenses, aux délits et aux crimes qui
sont régulièrement commis dans notre société ? Cette question, qui porte sur les concep-
tions du juste en matière pénale prévalant aujourd’hui dans les mentalités, vise avant tout
la recherche de la désirabilité de la peine à associer au délit et non celle de son effectivité,
en ce sens elle concerne chacun d’entre nous. Ce sentiment de justice, tel qu’il s’exprime
chez nos contemporains, repose sur les représentations que l’on peut avoir du phénomène
criminel et de ses causes mais aussi sur celles des diverses finalités que l’on attribue à la
sanction pénale ou de l’image que l’on a de l’infracteur et de la victime. S’interroger sur les
conceptions populaires du « juste » en matière pénale s’appuie donc sur les concepts utili-
sés dans le champ des représentations sociales.
L’enquête menée sur le sentiment de justice, qui est à l’origine de cet article, est basée
sur les réponses à un questionnaire postal adressé par l’Université de Genève en novembre
2000 à 4 500 chefs de ménage, âgés de 18 à 75 ans résidant dans les six cantons suisses
romands francophones (Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel, Valais, Vaud). Le premier
envoi du questionnaire à cet échantillon a été suivi de deux rappels et grâce à cette méthode
1881 réponses valides ont pu être utilisées pour les analyses (Robert et al., 2001)1.
L’échantillon assure une bonne représentativité de la population générale. En effet, on

1
Le rapport de recherche peut être consulté sur le site du CETEL (Centre d’étude, de technique et d’évalua-
tion législatives, Faculté de droit, Université de Genève) : http://www.unige.ch/droit/cetel.
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retrouve en ce qui concerne la nationalité des individus interrogés des proportions très
comparables à la moyenne nationale – 83% des répondants à l’enquête ont la nationalité
suisse, contre 80% pour le pays –, selon les chiffres de l’Office fédéral de la Statistique
(OFS, 2001). En outre, la distribution des revenus et des niveaux de formation de l’échan-
tillon est la réplique presque exacte de celle d’une grande enquête portant sur la stratifica-
tion sociale en Suisse (Lévy et al., 1997). Pour une présentation plus complète de l’enquête
empirique, on se reportera à l’article Du sentiment d’insécurité aux représentations de la
délinquance (Widmer et al.) publié dans ce même numéro.
Dans cette étude, l’interrogation sur les représentations populaires de la juste peine –
quelle peine pour quelle infraction et pour quel auteur ? – a été placée dans une approche
multidimensionnelle large permettant d’appréhender plusieurs niveaux de représentations
complémentaires. D’abord, la finalité du jugement de justice, soit la recherche des valeurs
qui doivent être attribuées à la peine ; la structure de ce jugement ensuite, soit les critères à
utiliser pour associer une peine à un délit et enfin, les modalités d’exécution du jugement,
soit le rôle relatif des intervenants devant participer au choix de la peine. De plus, une série
complémentaire de questions devait permettre de situer ces représentations par rapport aux
connaissances, aux perceptions des individus en matière de délinquance et de criminalité.
On a en effet posé l’hypothèse que le raisonnement de justice dans le domaine pénal repose
sur les conceptions que l’on a du phénomène déviant. L’objectif était de comprendre com-
ment les mentalités populaires se représentent ce que devrait être la sanction pénale.
Cette recherche s’inscrit dans un courant de travaux sur les représentations sociales de
la justice pénale, courant qui a émergé il y a un quart de siècle et a permis de révéler la
diversité des attitudes envers les institutions pénales, la délinquance et la déviance2.

La méthode utilisée

La complexité des différents niveaux de questionnement de la recherche sur les repré-


sentations sociales de la sanction pénale a été cernée par plusieurs questions dont les
réponses – dans chaque secteur décrit – ont fait l’objet d’une étude propre à l’aide d’une
analyse des correspondances, complétée par une analyse de classification. Les résultats
présentés ici se basent sur ces synthèses sectorielles et non sur les questions directes posées
aux répondants. On s’est donc en quelque sorte élevé d’un niveau en associant non plus les
réponses directes aux questions mais les synthèses auxquelles elles ont abouti dans chaque
chapitre. Cette réduction de la complexité par paliers successifs offre l’intérêt de permettre
de considérer le problème à différents niveaux d’abstraction. Ainsi, ce que l’on perd en
considérant la typologie globale, on peut toujours le recouvrer en considérant les typolo-
gies spécifiques dont elle est issue. De même, chaque typologie spécifique prend un sens
supplémentaire quand on la réfère au type global qui la contient.
La procédure statistique suivie s’est donc déroulée en deux temps, en utilisant des tech-
niques multivariées d’exploration des données (Lebart, Morineau, Piron, 1997), grâce au
logiciel SPAD (2000). Une analyse des correspondances multiples (ACM) a d’abord
dégagé deux axes statistiquement significatifs3 et interprétables, expliquant respective-
2
Les percées et les éclipses de ce courant de recherches dans notre ère culturelle sont répertoriées dans les
actualités bibliographiques signées J. Dubouchet, publiées dans ce numéro.
3
La recherche de paliers (SPAD, 2000) indique clairement qu’il y a un saut, en terme de variance expliquée,
entre les deux premiers facteurs et les suivants. Le critère statistique suggère donc, tout comme le critère
interprétatif, de s’arrêter aux deux premiers axes.
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ment 5 et 3,5% de la variance totale4. La construction de la figure 1 se base donc sur les
contributions partielles des variables à l’inertie de chacun des deux axes retenus. Ensuite,
une série d’agrégations hiérarchiques ont été construites en partant des scores factoriels
associés aux deux premiers facteurs. On a suivi en cela la procédure suggérée par Lebart et
al. (1997) qui conçoivent l’analyse factorielle comme une étape préalable nécessaire à la
classification. Son pouvoir de « filtrage » permet en effet de travailler sur des coordonnées
factorielles moins nombreuses et plus interprétables que les variables de départ. Une clas-
sification sur un ensemble réduit de facteurs a alors l’avantage d’éliminer les fluctuations
aléatoires qui constituent l’essentiel de la variance des facteurs secondaires. Comme l’in-
diquent Lebart et al. (1997, 187) le fait d’abandonner les derniers facteurs revient à effec-
tuer une sorte de « lissage » des données, ce qui, en général, améliore la partition en pro-
duisant des classes plus homogènes. La comparaison entre la solution produite par la prise
en compte de l’ensemble des axes factoriels et celle basée sur les deux premiers axes seu-
lement confirme cette position : la seconde produit une classification beaucoup plus inter-
prétable que la première. Plus généralement, il nous a semblé fondé de ne faire porter les
analyses de classification que sur les axes factoriels interprétables.
Figure 1: Association entre les différents niveaux de représentation de la juste peine (analyse de
correspondances et classification

Légende: Punitivité: -- minimum, - faible, + forte, ++ très forte


Évolution des délits: -- faible, - moyenne, + forte, ++ très forte
Risque de victimation: -- faible, - moyen, + fort, ++ très fort

Une analyse de synthèse

Quels sont alors les différents « champs de représentations » (Moscovici, 1961) mis en
évidence par une analyse de correspondances menée à l’aide des principales variables et
typologies décrites dans les différents secteurs de notre étude ?

4
Ces proportions relativement faibles tiennent au fait que nous avons ici affaire à une analyse des correspon-
dances multiples, incluant 14 variables.
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Deux logiques structurantes se dégagent de prime abord ; elles correspondent aux deux
premiers axes produits par cette analyse (voir figure 1).
Le premier axe, il s’agit de l’abscisse, distingue très clairement une conception plutôt
confiante de la situation, sur sa gauche, et une vision très négative des choses, sur sa
droite5.
On trouve en effet sur la gauche tous les indicateurs d’une perception assez optimiste
en matière de délinquance : les risques encourus, tel que le sentiment d’insécurité person-
nelle, sont faibles et l’évolution de la délinquance – bien qu’estimée à la hausse – n’est pas
franchement alarmante. Ce sentiment de relative sécurité est lié à la mise en avant des iné-
galités économiques ou de l’anomie morale comme facteurs explicatifs. L’attribution cau-
sale et la définition de la situation, en matière de délinquance, sont fortement liées. Les
visions à tendance optimiste privilégient des explications sociales (il y a des catégories
défavorisées, il y a trop de richesses, trop de consommation) et mettent en avant des fac-
teurs économiques – comme la présence du chômage – ou idéologiques – comme la perte
des valeurs civiques ou morales.
Au contraire, la vision pessimiste, négative, est bien mise en évidence par le côté droit
du premier axe. Le sentiment d’insécurité personnelle, le risque d’être victime d’un délit y
sont très fortement ressentis, tout comme l’idée d’une dégradation sensible de la situation
dans les dernières années. L’attribution causale et la définition de la situation, en matière
de délinquance, sont également liées. Les visions inquiètes font référence à des explica-
tions qui mettent en avant la faiblesse des institutions (la justice n’est pas assez sévère, la
police n’est pas assez efficace) ou la malignité de l’individu (estimé mauvais par nature).
La vision inquiète est également associée à la stigmatisation de certaines tranches de la
population (les drogués, les étrangers, les jeunes, etc.), considérées comme dangereuses et
au sentiment d’une délinquance généralisée.
Cet axe propose avant tout une morale construite autour de l’acte déviant. À gauche du
graphique, on trouve un certain providentialisme : l’avenir du délinquant prime sur sa
faute, la visée finale est la réinsertion. À droite, la faute, primordiale dans le jugement de
justice, est inaliénable, et le délinquant doit absolument payer sa dette envers la société
comme envers la victime.
Le second axe de l’analyse de correspondances, l’ordonnée, est très clair lui aussi. Il
opère une distinction entre des visions de la peine essentiellement fondées sur l’idée de res-
titution à un auteur d’infractions pleinement responsable de ses actes et non déterminé par
son statut (en dessous de l’abscisse), et des perceptions d’auteurs d’infractions considérés
comme des êtres surdéterminés par leurs insertions sociales (au dessus de l’abscisse)6. Cette
distinction prend d’ailleurs une coloration très différente selon que l’on se situe sur la droite
ou sur la gauche du graphique, par rapport à l’ordonnée. Ainsi, la sensibilité aux statuts met
en avant l’histoire psychique et l’enfance difficile sur la gauche, alors qu’elle se centre sur
les appartenances et les statuts (étrangers, hommes, drogués, etc.) sur la droite. De même, la
restitution concerne des délinquants considérés comme rationnels (le crime rapporte) et pro-

5
L’orientation des axes est totalement arbitraire et ne doit pas être interprétée en termes d’affiliation politique
de droite ou de gauche.
6
Cette interprétation repose sur la prépondérance attachée à la nature des facteurs utilisés dans l’explication
de l’acte déviant. En dessous de l’abscisse on a clairement affaire à des facteurs endogènes : l’homme est
libre de ses actes et autonome. Ses propres lois le régissent. Au dessus de l’abscisse on est beaucoup plus
proche de facteurs exogènes : l’homme est conditionné par son histoire et l’environnement dans lequel il
évolue. Il est régi par son contexte.
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fitant de la démission des institutions sur la droite du premier axe, alors qu’elle voit plutôt
les délinquants comme tributaires de leur propre faiblesse sur la gauche.
Sur le second axe s’opposent des visions de la condition humaine radicalement diffé-
rentes. L’individu peut être libre et donc responsable (en bas de la figure) ou au contraire
prisonnier de son contexte, que ce soit de sa famille, de sa communauté, voire de son pro-
pre parcours (en haut de la figure).
Sur la base de ces deux axes, une analyse de classification a permis de mettre en
lumière trois grandes manières de penser la peine7. Cette trilogie sera maintenant décrite.
On s’attachera à détailler dans chacune des trois conceptions mises au jour la façon d’en-
visager les finalité de la peine, le degré de sévérité de la peine, le regard porté sur l’accusé
et sur la victime et enfin les catégories d’intervenants habilités à participer – à titre déci-
sionnel ou à titre consultatif – à la fixation de la peine (voir le tableau Typologie générale
des philosophies de justice, en annexe).

Trois conceptions de la justice pénale

Le prospectivisme
Une première conception de la justice pénale a été placée sous l’étiquette de prospecti-
visme. Du point de vue quantitatif, c’est la plus importante : près de la moitié de la popula-
tion étudiée s’y rattache (48%). Cette conception, marquée par un certain providentia-
lisme, se fonde sur une vision plutôt optimiste et contextualiste de la condition humaine. Il
s’agit maintenant de voir comment la délinquance et la juste peine qui doit lui faire écho
sont perçues dans cette philosophie.

Les finalités de la peine


La question de l’intention inscrite dans l’acte de punir délégué à l’autorité judiciaire
correspond, dans une sociologie des représentations sociales, à celle des finalités de la
peine. Parmi les nombreuses finalités classiquement associées à la peine par l’ensemble
des pénologues européens (Poncela, 2001a), c’est à un idéal de réinsertion qu’il est fait
référence dans le prospectivisme. En ce sens, on pourrait parler de « philosophie de
l’effet » puisque la vertu supposée de réinsertion à l’égard du délinquant, mise en avant
pour justifier la sanction pénale, tend vers un horizon de bien-être qui prend en compte les
intérêts et les besoins du détenu comme ceux de la société (Van Outrive, 1999). Ici, le point
de vue téléologique du droit, de la règle, invite à définir la justice comme une valeur qui
met en mouvement l’univers figé des normes. Les traits marquants du type s’inscrivent
dans le cadre d’une finalité de dignité humaine (Garapon, Salas, 1995). Ce concept de
dignité, compris comme une exigence en faveur du sujet et à l’égard du sujet, est comme

7
L’analyse par typologie des représentations sociales de la justice pénale n’est pas nouvelle. Les travaux dans
ce domaine existent dès les années 1970 dans notre ère linguistique (Robert, Faugeron, 1978 ; Ocqueteau,
Pérez-Diaz, 1989) ; ils ont permis de mettre fin à l’illusion d’un supposé consensus sur les finalités idéolo-
giques de la justice pénale et de faire apparaître une variété d’attitudes. Ces dernières se situent sur une ligne
qui va d’un conformisme teinté de moralisme à tendance répressive à un humanitarisme ouvert au change-
ment et aux voies alternatives en passant par un légalisme qui peut prendre des accents libéraux ou confor-
mistes. L’analogie de méthode d’analyse et les grandes tendances des résultats qui sont décrits dans le pré-
sent article s’inscrivent dans la suite de cet axe de recherche.
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une condition et un objectif de la communauté politique si on entend celle-ci comme l’es-


pace du rapport à autrui, l’espace d’apparition de l’autre8.
Le prospectivisme est un concept qui s’entend donc de manière proactive puisque ren-
dre justice c’est viser un bien futur, un projet. Il s’agit d’une inscription au sein d’une
chaîne dynamique dont l’issue est pensée positivement puisqu’elle est porteuse d’une opti-
que pacificatrice. Est juste ce qui est censé produire des conséquences « heureuses ».
La croyance inébranlable en l’homme, en ses potentialités de transformer positivement
les conséquences d’actes fautifs, est attestée par les buts que cette philosophie assigne à la
peine : son objectif est tout entier tourné vers l’amendement du condamné par le soin, l’in-
citation à une réflexion personnelle, la préparation au retour dans le corps social, à l’exclu-
sion d’éléments de réparation ou de rétribution.
Certes, la criminalité existe et c’est une donnée avec laquelle il faut vivre : elle est partie
intégrante de la société. Durkheim avait d’ailleurs déjà montré, en élaborant ses règles rela-
tives à l’explication des faits sociaux, que le crime est normal parce qu’une société qui en
serait exempte est tout à fait impossible (Durkheim, 1973, 67). Mais cette criminalité peut
être comprise et expliquée. Dans le prospectivisme, elle est nettement liée aux inégalités
économiques – chômage et déséquilibres sociaux – qui marquent l’espace social contempo-
rain et engendrent la société à deux vitesses comme à la prégnance de l’anomie sociale issue
de la faiblesse de l’esprit de solidarité et de l’anonymat de la vie sociale. On trouve là les
traits caractéristiques du modernisme social, qui est l’une des représentations sociales de la
délinquance mises en évidence par notre étude (Widmer et al., dans ce numéro).

La peine et son degré de sévérité


On comprend que l’objectif de la peine est à motivation extrinsèque puisque l’essentiel
est le résultat ultérieur que cet objectif doit produire pour être valide. La peine est pensée
en termes d’effets escomptés : il s’agit d’un « punir pour » qui vise avant tout le délinquant
en vue de le normaliser ou de le réinsérer (Pech, 2000). On est en présence d’une peine à
rationalité prospective (Poncela, 2001a), peine qui permet l’extinction de la faute.
Cette forme d’humanitarisme est également manifeste quant aux critères à prendre en
compte dans la mesure de la peine. On pourrait dire que son utilité est de faire « intériori-
ser » la loi au détenu en vue d’une réinscription du condamné dans le contrat social (Pech,
2000). Il y a une sorte d’utilitarisme bien compris qui est un moyen pour atteindre une fin
jugée bonne. La peine est pensée en fonction du lien existant entre l’individu et la commu-
nauté : tout délinquant est en effet un être humain et tout être humain est un être à vocation
sociale. Le but visé est la restauration de la cohésion sociale par le traitement, par le soin,
par l’individualisation de la peine.
Le criminel n’est pas à proprement parler un être à notre égal – s’il était comme nous il
n’y aurait en effet pas lieu de le soigner. Mais il est un être reconnu comme vulnérable, ce
qui permet d’avoir une certaine compréhension pour le phénomène que constitue la délin-
quance et de promouvoir l’action préventive. On s’inscrit dans la logique durkheimienne
déjà évoquée à savoir que toute société abrite inévitablement un certain taux de déviance
liée à son système. Mais on peut encore ajouter que cette nuisance que constitue la délin-
quance est repérable, connue, donc gérable de manière appropriée (Garland, 1998).

8
La notion de dignité apparaît dans les textes juridiques fondateurs à valeur universelle à côté du concept
des droits de l’homme. Si ces derniers sont une condition de la justice, la dignité en est le projet (Garapon,
Salas, 1995).
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Punir c’est donc éduquer – au sens civique – un individu (Garapon, 2001) et cela passe
par un éclectisme de la peine qui, si elle est principalement orientée vers la réinsertion, n’en
est pas moins multifonctionnelle (elle combine dissuasion, réparation et pour le détenu plus
particulièrement, des objectifs de réflexion, de soin et de préparation de son retour au sein
de la société). Cet éclectisme donne à cette manière de voir une touche post-moderne.
Outre le degré général de faible punitivité 9 – quel que soit le délit commis – attaché au
prospectivisme, c’est le modèle qui, systématiquement, envisage le plus souvent par rapport
aux autres philosophies qui vont être décrites, la possibilité d’une peine alternative à l’em-
prisonnement, que ce soit la réparation du dommage, un travail d’intérêt général ou même la
médiation. Ce résultat peut être rapproché de celui d’une récente recherche sur la punitivité
comparée des juges et de l’opinion publique en Suisse (Kuhn, 2001). Une majorité de l’opi-
nion publique attribuerait en effet des peines moins longues que celles décernées par les
juges et parmi ces répondants la moitié environ ne souhaite pas infliger de peines privatives
de liberté.
On peut apercevoir ou discerner en filigrane dans ce modèle l’appel à insérer quelques
traits ou accents associatifs propres à civiliser le droit pénal (Robert, 2002b), en ce sens
que la justice est une affaire sociale, négociée (Van Outrive, 1999). L’acte illégitime ne
devrait pas être figé dans son rapport à la sanction qui doit lui faire écho. Chaque partie
devrait pouvoir donner son interprétation du litige10.

L’accusé et la victime
Les adeptes du prospectivisme tiennent le délinquant pour tributaire – victime – de son
parcours de vie, que ce soit pour cause de famille perturbée, de relations abîmées ou d’ex-
clusion économique et sociale. Le raisonnement est donc principalement axé sur les étapes
de construction de l’identité individuelle et sociale de l’infracteur, avec, certainement, en
toile de fond, une volonté d’interprétation par le biais du vécu des motifs pouvant pousser
une personne à commettre un acte répréhensible. La victime réelle, lésée, est quant à elle
hors du débat. On a certes de la compassion pour elle (qui en effet peut être « contre » la
victime ?), mais on estime visiblement qu’il y a d’autres instances que le procès pénal et la
juste peine pour la prendre en charge.

Quels acteurs ?
L’ordre juridique existant, à l’instar de l’ordre social existant, est reconnu comme
valide et permet d’assurer le traitement de la petite délinquance, qui constitue une grande
part de l’activité des tribunaux. Il n’est dès lors pas étonnant de voir le rôle déterminant du
juge comme instance de décision, assisté du jury et des experts. En revanche, la victime ou

9
Des échelles de punitivité ont été construites sur les scores des différentes questions mettant en regard des
délits et des crimes de nature et d’importance diverses avec une gamme de peines de statut et d’intensité
variés. Pour chacune de ces questions, le répondant devait choisir la peine qui, à son avis, était la plus
« juste » pour le cas concret décrit. Pour plus de détails, le lecteur voudra bien se reporter au chapitre 5 du
rapport de recherche (Robert et al., 2001).
10
On peut en trouver une application concrète dans la révision du droit pénal suisse des mineurs, qui a été
séparé du droit pénal des adultes. La raison en est que les dispositions en vigueur s’écartent fondamentale-
ment aujourd’hui déjà, du droit pénal des adultes et que les mesures prévues dans le projet s’inspirent
encore plus qu’actuellement du droit civil (Feuille fédérale suisse, Berne, n° 11, 23 mars 1999, p. 2024).
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166 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

sa famille, les proches de l’accusé, ainsi que les instances morales sont très clairement reje-
tés du processus de fixation de la peine. Cela correspond aux grands modèles culturels de
référence relatifs à la justice pénale dans les pays occidentaux.
On peut dire en conclusion qu’il y a dans cette philosophie une aspiration macroso-
ciale : il s’agit de construire un monde commun où l’on peut vivre ensemble, de lutter
contre la désaffiliation sociale et la pauvreté (les causes de la délinquance sont en effet
clairement reliées à l’anomie sociale – chômage, isolement, manque de solidarité – et aux
inégalités économiques). L’évolution de la criminalité et le risque de victimation person-
nelle ne sont pas perçus comme menaçants. La perception des délinquants, quant à elle, se
rattache à deux grands axes dans la mesure où sont refusées tant la stigmatisation des caté-
gories « à risque » (drogués, étrangers, jeunes) que la protection accordée par les facteurs
d’insertion sociale (être père ou mère de famille, être instruit, etc.). Dès lors, la délin-
quance n’est réservée à aucune catégorie particulière et personne n’est à l’abri, d’où la qua-
lification de scepticisme à l’égard de toute tentative de repérage ou d’étiquetage des délin-
quants. Cette qualification correspond bien au type décrit en ce sens que la délinquance est
partie intégrante de la société dans son ensemble.
Mais il reste un paradoxe : la peine, qui a par essence une connotation négative – la pre-
mière définition donnée par les dictionnaires d’usage courant est « punition » –, ouvre,
dans cette philosophie, le cercle de la réconciliation, qui suppose réintégration et pacifica-
tion (Salas, 1995). Il s’agit donc de dépasser le paradoxe – à savoir que c’est la sanction
pénale (normalement génératrice d’exclusion) qui crée l’insertion sociale (et partant de
l’inclusion) – pour transformer quelque chose de négatif en quelque chose de positif.
Le contractualisme
La deuxième façon d’envisager la justice pénale, le contractualisme, est une philoso-
phie assez répandue puisqu’une personne sur trois en tout cas s’y rattache (36% des répon-
dants). Ce qui compte ici, ce n’est plus le psychisme du délinquant ni son contexte de vie
mais ce qu’il a fait, ses actes ; la sensibilité au parcours de vie s’efface devant la pleine res-
ponsabilité de l’auteur d’infraction et l’objectivité de la faute qui doit être punie propor-
tionnellement à sa gravité. Le contractualisme se trouve en quelque sorte à mi-chemin
entre le pôle positif et le pôle négatif de la peine. L’acte délictueux constitue une rupture du
pacte social et le rétablissement du lien ne peut passer que par la punition du coupable.
C’est l’optique très volontariste du contrat – par le respect des obligations que se sont
fixées les parties – qui marque ce type.
Les finalités de la peine
Dans cette manière de voir, la peine est pensée en fonction de la réaffirmation de l’ordre
social par le biais du système normatif et ce qui est mis en avant c’est la responsabilité indi-
viduelle de la personne. Comme dans la philosophie précédente, les objectifs assignés à la
peine sont multiples mais si l’on doit en tirer l’essentiel, c’est l’idée de restitution qui
domine et avec elle le respect du contrat passé entre la société et l’individu. Sous le terme
restitution, on entend que le délinquant doit payer pour les actes commis et que le dom-
mage causé à la victime comme le trouble causé à la société méritent réparation. L’ensem-
ble des destinataires de la peine est concerné par le souci d’une rétribution de l’acte commis.
Les fonctions choisies (paiement de la dette, réparation du dommage et mise à l’écart de
son auteur) appartiennent donc toutes aux axes relevant d’une rationalité restitutive. Ce
choix traduit une conception univoque de la peine comme réponse à une infraction, dont on
n’attend pas qu’elle puisse servir à opérer une transformation des individus.
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Le contractualisme s’inscrit dans la ligne d’une finalité d’essence déontologique


(Garapon, Salas, 1995), c’est-à-dire qui fait référence à une théorie des devoirs en morale.
Ce n’est pas sans rappeler que le droit pénal est une morale bien particulière puisqu’elle
s’énonce sous forme d’interdits et que ces interdits pénaux sont les négatifs d’un positif
qu’on ne voit pas (Garapon, Salas, 1997). Ainsi que l’énonçait déjà Montesquieu dans De
l’esprit des lois, transgresser ces interdits appelle une réponse qui devrait avoir une valeur
équivalente à cette transgression.
On est, beaucoup plus que dans la philosophie précédente, dans une optique réactive,
de défense. C’est une logique formelle, volontariste, de faits objectifs, ancrée dans le pré-
sent et dans laquelle l’acte de punir est une juste rétribution de l’acte délictueux. À la
chaîne dynamique du prospectivisme orienté vers un bien futur s’oppose ici une séquence
défensive, qui s’applique ici et maintenant, dans un but de protection de la société.

La peine et son degré de sévérité


La peine est donc pensée en fonction de l’acte commis. Rendre justice c’est reconnaître
la volonté de l’acteur, son intention, ses actes, la gravité objective des dégâts et, dans cette
optique, que le délinquant ait eu une enfance difficile est secondaire. Si la responsabilité
est le fondement de la peine (Pradel, 1991), son inscription se fait au sein d’une rationalité
restitutive. La peine, prix de la déviance, est exclusivement tournée vers la conduite pas-
sée et proportionnée à la gravité de l’infraction (Poncela, 2001b, 564). On est peut-être
proche de la problématique du « juste dû »11. Classiquement la rétribution, de Platon à Kant
et Hegel, peut avoir plusieurs acceptions, la plus courante étant celle qui fait de la peine la
juste conséquence d’un acte répréhensible. Le retour de la rétribution est significatif dès la
fin des années 1970. On peut y voir un effet des critiques faites à l’égard de très hypothéti-
ques traitements pénitentiaires et de l’échec prétendu de la peine individualisée. En effet,
la rétribution reprend sa place dans le discours sur la peine au moment où s’effondre éco-
nomiquement et politiquement l’État providence. Cette manière de voir s’apparente à ce
que Garland appelle la « criminologie du soi » : le criminel serait, à notre égal, un consom-
mateur rationnel pleinement responsable de ses actes (Garland, 1998).
De cette conception découle en bonne logique une sévérité plutôt forte quant à la sanc-
tion. Punir c’est en effet rappeler la loi, défendre la société, réaffirmer l’ordre social. Ce
qui motive la sévérité de la peine c’est le danger que l’infracteur représente. Face à cette
réalité, il est nécessaire de sanctionner le comportement déviant. Il y a dans ce type l’ex-
pression d’un besoin sécuritaire bien compris mais sans excès : le contrat passé entre la
société et l’individu a été rompu par l’acte délictueux et le rétablissement du lien passe par
la juste punition du coupable.

L’accusé et la victime
Ce qui caractérise avant tout l’accusé, le délinquant, c’est le danger qu’il représente.
L’infracteur n’est pas ici caractérisé par des traits explicatifs de sa personnalité à travers
son histoire de vie – d’ailleurs relevée dans cette philosophie comme très peu importante –,
son vécu ou sa socialisation, mais le regard est plutôt centré sur des faits extérieurs,
concrets et facilement repérables : ce sont ceux qui constituent une menace, une crainte, un
danger. Est mise en exergue une réalité particulière de l’infracteur, réalité dont il faut tenir

11
Cette approche, reprise par A. Von Hirsch (1986) et labellisée just desert, a influencé la plupart des législa-
tions pénales américaines depuis 1975.
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168 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

compte et qui met en évidence les facteurs marquant l’individu dans son rapport à l’acte
déviant et au danger qu’il incarne : ce sont la récidive, le risque de cette dernière et les
motifs qui poussent le délinquant à perpétrer un acte délictueux.
En ce qui concerne la victime, le constat est le même que pour le prospectivisme : la
victime est hors du débat, bien que la compassion soit présente probablement parce que
c’est une attitude incontournable.

Quels acteurs ?
Sans que certains acteurs soient explicitement privilégiés, on peut noter le souhait de
voir s’instaurer une justice pour laquelle la fixation de la peine – tout en demeurant l’ex-
clusivité du juge – fasse place à un certain élargissement du cercle des personnes à consul-
ter avant la prise de décision. L’accusé, la victime, leurs proches devraient aussi pouvoir
s’exprimer : c’est une logique de participation qui domine ici.
Plus encore que pour les prospectivistes, ce sont les nombreux délits de faible gravité
qui sont l’apanage des tribunaux. C’est une vision somme toute assez réaliste de l’activité
pénale.

On se situe dans une vision beaucoup plus procédurale de la justice sur fond de souci
sécuritaire, avec un souhait d’objectivité ou en tout cas d’équilibre, d’équivalence, de pro-
portionnalité : la sanction doit surtout être modulée par l’intention de l’auteur. Les causes
de la délinquance doivent être recherchées du côté du délinquant dans un contexte person-
nel moralement déficient ou dans un calcul utilitaire qui fait préférer l’infraction à la
conformité. Face au sentiment d’insécurité, à l’évolution des délits, ce type est clairement
plus pessimiste que le précédent : l’augmentation des délits, sans être massive, est cepen-
dant palpable, la crainte d’en être victime existe et l’on se sent quelquefois en insécurité
dans l’espace public. Les causes de la délinquance sont beaucoup moins reliées à des expli-
cations économiques ou sociales qu’à une anomie institutionnelle évidente. Ni la famille ni
l’école ne sont désormais capables de remplir leur rôle d’encadrement, les instances poli-
cières et judiciaires sont perçues comme trop peu sévères et pas assez efficaces. Cette mise
en avant de la démission des institutions, normalement garantes de l’ordre tant dans le
domaine privé que dans la sphère publique, atteste une faille grave dans le contrat social,
qui n’est dès lors plus respecté mais auquel sont attachés les tenants de ce type. L’attitude
face aux délinquants est proche du conformisme dans la mesure où elle reprend à la fois la
croyance dans des populations criminogènes clairement définies et la croyance en la pro-
tection accordée par les facteurs d’intégration sociale. Il s’agit donc d’une adhésion à tous
les critères de catégorisation proposés, qu’ils soient positifs ou négatifs, et qui s’apparente
à ce qui est souvent qualifié de « conserve culturelle ». Les traits modernistes relevés dans
la philosophie prospectiviste quant aux causes de la délinquance s’effacent progressive-
ment devant un traditionalisme qui, face à la menace que constitue la montée ressentie de
la criminalité, révèle le déclin de ces garde-fous idéologiques que sont l’adhésion et le res-
pect des préceptes moraux.

L’ostracisme
Il y a une troisième conception ou manière de voir la justice pénale. C’est celle que
nous avons nommée l’ostracisme. Plus marginale quantitativement que les deux autres
puisque c’est celle qui recueille le moins de suffrages au sein de la population étudiée
(17%), c’est aussi celle qui radicalise les positions en adhérant à des solutions extrêmes.
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En opposition au prospectivisme, l’idée d’une réinsertion est absolument rejetée : c’est


plutôt l’expulsion définitive du délinquant qui est recherchée. En opposition au contrac-
tualisme, c’est moins l’acte qui compte que ce qu’il confirme à propos de son auteur : une
altérité radicale qui pousse à lui refuser sa place parmi nous. La justice se vit alors comme
un ostracisme, seul moyen possible de recouvrer l’harmonie sociale perdue.

Les finalités de la peine


L’objectif essentiel de la peine dans cette philosophie est l’exclusion, c’est-à-dire le
rejet à la marge, la relégation, de ceux que la société n’a pu ni su éduquer, soigner, ou inté-
grer. Ce n’est pas sans rappeler ce que Garland (1998) appelle la « criminologie de l’au-
tre » : les délinquants sont ces êtres menaçants et violents – les autres, ceux qui sont diffé-
rents de nous – pour lesquels nous ne pouvons pas avoir de sympathie et pour lesquels il
n’y a pas d’aide concevable si ce n’est la mise hors circuit12. Ces traits s’apparentent à la
littérature de « l’orientalisme »13 du XIXe siècle décrit par Edward Said (Said, 1997). La
vision est réductrice, comme stéréotypée.
Sans tomber dans les extrêmes de la société punitive apparue aux États-Unis dès les
années 1990, on peut évoquer à ce propos une certaine focalisation sur le pénal comme
seul moyen de régulation sociale. L’enfermement – puisque la peine de prison est celle qui
est la plus fréquente et la plus connue : c’est la peine de référence – devient un instrument
de différenciation sociale (il sert ici à la ségrégation) au service d’une politique sociale.
Comme dans le prospectivisme, la peine est définie de manière multifonctionnelle mais
cette fois dans un sens totalement négatif. Ce qui est avant tout associé pour définir la peine
ce sont les différents objectifs de rétribution et d’affliction qu’elle peut contenir : la mise à
l’écart, la discipline, la souffrance, la vengeance et même la honte. Ces fonctions sont par
contre majoritairement rejetées par les deux autres philosophies précédemment décrites.
Ici, l’objectif de la peine est à motivation intrinsèque, la peine se justifie par sa propre
nature – neutraliser ou rétribuer –, elle n’a pas à être mesurée à un quelconque étalon. On
est en présence d’un punir « dur », au sens de la sévérité et de l’intransigeance face à une
faute estimée imprescriptible.

La peine et son degré de sévérité


On pourrait presque parler de justice « expressive ». Quand l’insécurité semble vrai-
ment menaçante, que le contrôle des villes et des rues n’est plus ressenti comme assuré, on
peut être tenté d’avoir recours à une justice qui permette d’exprimer sa colère (Norman-
deau, 1995)… et punir devient alors une souffrance malheureuse (Garapon, 2001).
Il en résulte une sévérité de la peine très fortement marquée, sévérité à laquelle fait
écho la vision pour le moins irréaliste que les tenants de cette philosophie ont de l’activité
des tribunaux, lesquels seraient peuplés de grands bandits en tous genres, de meurtriers, de
délinquants sexuels. La scène pénale devient une instance de dramatisation comme si cette

12
Il est fait ici référence au fait que l’on désignait à l’origine la criminologie comme une « anthropologie cri-
minelle » et que l’on croyait, avec Lombroso, que les criminels étaient une race à part (Garland, 1998, 65).
13
L’orientalisme a vu le jour au milieu du XIXe siècle – à peu près en même temps que la criminologie – parce
que les relations géopolitiques entre l’Est et l’Ouest le rendaient utile aux puissances coloniales pour définir
un savoir systématique et pratique sur « eux » (c’est à dire les « orientaux » de toutes sortes, comme on les
appelait). Le savoir académique réduisait les orientaux (soit la diversité de millions d’êtres humains vivant
en Asie) à un petit nombre de traits raciaux et de stéréotypes culturels.
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170 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

montée de la criminalité – fortement ressentie – était en passe d’engloutir notre mode de


vie ; on est loin d’une image normalisée du crime. Le registre est tout autre : il y a change-
ment de genre de l’iconographie qui passe ainsi de l’ordre domestique à un ordre plus
inquiétant, voire démoniaque (Garland, 1998).

L’accusé et la victime
En lien avec cette vision, les traits pris en compte pour caractériser le délinquant sont
essentiellement statutaires, catégoriels : il est d’abord l’autre – l’étranger, le drogué, le
malade mental – et la justice consiste à l’exclure. Rendre justice c’est reconnaître et valider
en la personne, ses origines, voir en elle l’héritière d’un statut. Ce sont des catégories qui
sont visées et non plus des individus.
Contrairement aux deux philosophies précédentes, l’ostracisme tend à prendre en
compte la victime dans le calcul de la peine. C’est un peu comme si les deux entités que
sont le délinquant, d’une part, et la victime, d’autre part, ne pouvaient pas être englobées
dans une même réflexion sur la peine. Lorsque l’attention se concentre sur le délinquant, la
victime est hors du débat, mais lorsque l’attention se déplace sur la victime, le délinquant
est rejeté dans des catégories d’exclusion. En poussant le trait à son maximum, la victime
incarnerait l’innocence absolue et transformerait son agresseur en monstre absolu. L’atten-
tion portée à la victime laisse aussi supposer qu’une des missions du droit, dans cette
manière de voir, serait de prendre le parti du plus faible.

Quels acteurs ?
En ce qui concerne les acteurs habilités à fixer la peine, on s’inscrit là aussi dans un
registre contestataire : la légitimité du modèle dominant représenté par le juge et le jury
populaire est bousculée au profit de l’introduction d’autres intervenants potentiels, dont on
pense qu’ils seraient mieux à même de fixer les peines comme une autorité religieuse, une
autorité morale ou même la victime ou ses proches.
Le constat qui est fait ici est celui d’un ordre social défaillant pour cause de chômage et
de problèmes économiques divers. Ce qui a conduit à cette situation de défiance, liée à
l’insécurité ambiante fortement ressentie et de désaffiliation14, liée à l’exacerbation des ris-
ques encourus, s’explique par la perception conjuguée d’une anomie institutionnelle évi-
dente et d’une déviance individuelle claire. La police et la justice, jugées ni assez efficaces
ni assez sévères, sont déficientes face à ces personnes radicalement autres que sont les
délinquants. Ces derniers, souvent désignés comme ayant des personnalités perturbées,
sont par ailleurs mauvais par nature et se laissent aller à des pulsions négatives en considé-
rant que le crime est rentable ou qu’il est plus facile de violer la loi. Il y a là une stigmati-
sation précise des catégories déviantes qui n’est pas contrebalancée par l’activation des
facteurs protecteurs. Un certain traditionalisme, à connotation soit sociale soit morale,
défini par un sentiment marqué d’aliénation face à la modernité, est bien présent.
Mais il y a là encore un paradoxe : la peine ouvre, dans cette philosophie, le cercle de la
rétribution entre violence subie par la victime et violence infligée à son auteur (Salas,
1995). Or, retrouver l’harmonie perdue – idéal souhaité et par essence pacificateur – passe
par un verdict d’exclusion, qui est aussi une forme de violence.
* * *
14
La notion de désaffiliation (exclusion sociale ou mise sur les marges d’une partie de la population par la rup-
ture du lien social) a été mise au jour par Robert Castel (1995) et Serge Paugam (1996) dans leurs études sur
le salariat et la pauvreté.
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LANGUIN ET AL., LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA JUSTICE PÉNALE : UNE TRILOGIE 171

Des aspirations prométhéennes – réintégrer le délinquant, protéger les valeurs fonda-


mentales de la société, rétablir la victime dans ses droits – légitiment la sanction. Or, les
peines génériques – il s’agit essentiellement de la peine privative de liberté, la prison –
n’atteignent que mal cet objectif, ce qui ne peut qu’engendrer vis-à-vis de la peine une
conscience malheureuse, génératrice d’anomie (Kellerhals, 2002). En corollaire à ce
constat, les trois philosophies décrites montrent, si besoin est, que le débat sur la juste
peine comporte toujours une oscillation du discours sécuritaire entre un idéal de restaura-
tion du lien social, d’une part, et l’élimination, d’autre part, avec un moyen terme ancré
dans le respect du normatif. Face à la diversification en cours des sanctions pénales et de
leurs modalités d’exécution, on ne peut que constater que l’on sait à peu près comment
sanctionner, mais que l’on ne sait plus très bien pourquoi l’on sanctionne (Robert, 2002a).

Les types et leurs insertions sociales


La coexistence de ces trois philosophies amène à se demander si elles sont sensibles
aux insertions sociales des individus. En d’autres termes : sont-elles corrélées à des sous-
populations spécifiques ?
À ce propos, il faut noter d’emblée qu’il est certes intéressant de constater que certaines
associations existent, que certaines hypothèses relatives aux variations d’impact des attitu-
des selon les générations et les statuts sont vérifiées. Mais il est tout aussi important de
relever qu’il ne s’agit que de tendances, voire de nuances, que les écarts sont faibles et que
ces différences ne permettent pas d’opposer de manière radicale des âges, des positionne-
ments sociaux ou des orientations idéologiques. Ce constat relatif à la faible influence des
déterminants identitaires et sociaux n’est pas nouveau. Il a déjà été relevé lors de précé-
dentes recherches sur les traits de justice ou les attitudes politiques (Inglehart 1993 ;
Melich, 1991 ; Hug, Sciarini, 2002). Tentons cependant de relever quelques points.
Le type prospectivisme est davantage présent parmi les individus qui ont une formation
professionnelle supérieure. La proportion d’universitaires y est sensiblement plus impor-
tante que dans les autres types15. La sensibilité à cette philosophie de la juste peine est plus
marquée chez les personnes qui regardent peu la télévision, qui se déclarent non croyantes,
non pratiquantes et d’orientation socialiste.
Le type contractualisme est l’apanage d’individus plutôt jeunes – moins de cinquante
ans – dont l’information à propos de la délinquance repose principalement sur le fait divers,
que ce soit par la lecture des rubriques spécifiques dans la presse ou par les discussions à pro-
pos de ces thèmes avec l’entourage proche. L’attrait pour cette manière de penser la peine est
aussi le propre de personnes qui regardent beaucoup les séries policières à la télévision.
Le type ostracisme est, quant à lui, clairement lié à un manque de ressources sociales (tant
du point de vue économique que de celui du bagage scolaire) et au statut de retraité. Les indi-
vidus faiblement intégrés socialement (qui discutent peu avec autrui, qui lisent peu, mais qui
regardent beaucoup la télévision) présentent davantage cette attitude que les autres.

Discussion et conclusion

Trois manières très distinctes de voir le juste en matière pénale viennent d’être présen-
tées. Telles qu’elles ont été décrites, en accentuant leurs traits et leurs différences, elles

15
62% des universitaires ayant répondu au questionnaire se trouvent dans cette catégorie.
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172 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

marquent les frontières des représentations collectives plus qu’elles ne caractérisent des
personnes concrètes. L’idéal-type, au sens weberien qui lui est donné ici16, a moins voca-
tion, en effet, à décrire minutieusement le réel qu’à en faire ressortir les logiques essentiel-
les. Nombre d’individus se situent sans doute à mi-parcours entre ces trois pôles, privilé-
giant par leurs réponses plutôt telle perspective que telle autre, sans toutefois rejeter
complètement les autres logiques, car tout au long de cette étude un consensus relativement
important a été relevé en même temps qu’une grande diversité des représentations. Le
consensus, qui privilégie un faisceau de facteurs plutôt qu’une monocausalité claire, est
manifeste en ce qui concerne les fondements essentiels de la délinquance qui font la part
belle aux faiblesses de la famille, à la perte des valeurs morales, à l’effet de la violence dans
les médias et même au manque d’esprit de solidarité. Il est également patent en ce qui
concerne le multifonctionnalisme des objectifs qui doivent être assignés à la peine, laquelle
doit toujours allier la dissuasion au rappel des interdits et à une punition certaine. Ce para-
doxe – consensus et diversité des représentations – n’est qu’apparent. Le consensus prend
en effet des colorations très différentes selon que l’on met en avant la réinsertion de l’indi-
vidu, le respect du contrat social ou l’exclusion du délinquant. Les représentations ne s’or-
ganisent pas en pôles radicalement opposés mais, à partir d’un fond commun bien réel, et les
individus choisissent de mettre l’accent sur l’une ou l’autre des alternatives. C’est ainsi
qu’apparaissent des sensibilités diverses au juste en matière pénale, et que l’on peut mainte-
nant s’interroger sur leurs relations avec les autres figures de l’équité, mises en avant par des
travaux antérieurs ayant trait à la justice distributive (Kellerhals et al., 1988 ; 1995 ; 2000).
Le prospectivisme est caractérisé par plusieurs aspects à connotation franchement posi-
tive. Ce sont notamment la perception confiante de la société dont les valeurs importantes
sont marquées par des souhaits d’intégration et d’harmonie ; ce sont aussi la croyance en
l’amendement possible de l’individu par la peine et la modération qui marque la sanction.
Pour que l’harmonie se fasse, il est important que chacun puisse retrouver sa place. En ce
sens, ce profil se rapproche du communautarisme, mis en exergue par une étude sur les
conceptions de la responsabilité en droit civil, profil qui met l’accent sur le bien-être des
individus, la pesée ultime des intérêts en présence (Kellerhals et al., 2000). Des traits simi-
laires se retrouvent également dans la manière finaliste d’appréhender le fonctionnement
familial (Kellerhals et al., 1988), qui privilégie un bien ultime à une perspective stricte-
ment comparatiste. C’est donc une philosophie ouverte sur l’avenir, sur un devenir possi-
ble et meilleur. L’individu en tant que tel, la compréhension de son parcours sont placés au
premier plan : ce sont des critères internes d’évaluation qui sont à l’œuvre. Cette philoso-
phie fait également référence à une vision proactive : le juste est un instrument du bien, il
en est un mode d’expression.
Le contractualisme se définit surtout par un besoin d’ordre dans le respect du cadre pré-
cis des règles prévues. Enfreindre ces règles par un délit ou un crime, et partant l’ordre
social, entraîne pour l’auteur de cette rupture une stricte rétribution, à la hauteur du dom-
mage provoqué. Cette philosophie qui place au premier plan l’individu, sa responsabilité,
l’acte délictueux et la mesure objective – pour leur réparation – des préjudices subis, est
clairement réactive. Elle peut être comparée au volontarisme ou au formalisme, deux pro-
fils qui mettent en avant le respect de l’accord des volontés. En termes d’accords commer-
ciaux, les responsabilités sont celles que les contractants ont eux-mêmes définies ; dans le

16
L’idéal-type est une reconstruction stylisée d’une réalité dont l’observateur a isolé les traits les plus signifi-
catifs sous forme d’un modèle intelligible. Il devient ainsi l’instrument privilégié de la recherche du sens et
de l’explication causale (Weber, 1904).
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LANGUIN ET AL., LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA JUSTICE PÉNALE : UNE TRILOGIE 173

groupe familial, est juste une répartition des tâches et des gratifications sur laquelle un
accord s’est fait. C’est l’expression de la volonté des parties, basée sur des critères indivi-
duels, qui constitue l’étalon du juste. Cette vision assez procédurale de la justice peut être
illustrée par la formule latine pacta sunt servanda.
L’ostracisme, quant à lui, semble être un profil propre au domaine pénal. L’altérité
radicale qui marque l’auteur d’une infraction, l’exclusion dont il devrait faire l’objet, sont
autant de signes d’un besoin d’assainissement social réclamé par ceux qui craignent pour
leur sécurité et se sentent personnellement et socialement menacés par la criminalité
ambiante. Cette empreinte d’altérité et l’opprobre qu’elle engendre n’a pas été trouvée
dans les recherches menées dans le domaine de la justice distributive. On est, paradoxale-
ment, dans une problématique inverse du providentialisme, mis en évidence dans nos pré-
cédentes études dans le champ du droit civil et qui marque le primat de l’individu lequel
doit en tout temps être protégé contre les forces sociales impersonnelles s’exerçant sur lui.
Cette responsabilité de type agentique dans le domaine civil devient intention ou « faute »
de type sociétal dans le domaine pénal. Et dans les deux cas (providentialisme, ostra-
cisme), la justice est fondée sur un statut social – bon ou mauvais – de la personne. Le prin-
cipe mis en œuvre fait équivaloir le juste à la définition des mérites (positifs ou négatifs) et
déduit ces mérites de l’appartenance de la personne à une catégorie collective.
Cette esquisse, brossée ici à très grands traits, pose les prémices d’une concordance
certaine entre le sens ordinaire du juste prévalant dans les mentalités contemporaines en
matière de justice distributive (civile) et de justice corrective (pénale).
Noëlle Languin
CETEL
Centre d’étude, de technique et d’évaluation législatives
Faculté de droit
UNI-MAIL, 40 bd du Pont d’Arve
CH-1211 Genève 4
Noelle.Languin@droit.unige.ch

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WEBER M., 1904, Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon.

Summary

This article proposes the designs of the punitive sanction in contemporary mentalities.
Based on a sample representative of the adult population of French-speaking Switzerland
(N = 1881), empirical research made it possible to disclose three distinct views. The
« prospectivism » justifies mainly the punitive sanction by the reintegration in the society.
The answers to the infringements are moderated and turned towards improvement by care.
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The « contractualism » emphasizes the responsibility of the delinquent who must pay for
what he did. The finality of the punishment is dominated by the idea of restitution : the
sanction must be modulated by the purpose of the perpetrator and the objective gravity of
the damage. The « ostracism » finally takes a special image of the delinquent as a basis. He
is the other – the foreigner, the marginal one, the junkie,… – and justice consists with
exclusion. The severity of the sanction is strong, without excluding the use of defamatory
or ashamed sanctions.

KEY-WORDS: JUSTICE – PENAL SANCTION – SOCIAL REPRESENTATIONS – PUNITIVITY

Zusammenfassung

Der Artikel präsentiert eine Analyse der Konzeptionen von Kriminalstrafen in heutigen
Alltagsvorstellungen. Auf der Basis einer Repräsentativbefrageung unter Erwachsenen in
der französischen Schweiz (N = 1881) können drei Perspektiven unterschieden werden.
Der « Prospektivismus » refertigt Strafe als Mittel der Reintegration in die Gesellschaft.
Die Strafen sollten hierzu moderat ausfallen und auf eine Verbesserung zielen. Der « Kon-
traktualismus » betont die Verantwortung der Täter, der für seine Tat « zahlen » soll. Die
Strafe wird hier als Vergeltung verstanden, und ihre Höhe soll entsprechend der kriminel-
len Motivation und dem verursachten Schaden bemessen sein. Die Perspektive der « Äch-
tung » schließlich geht von einer kategorialen bestimmung des Täters aus, der als Anderer,
als Fremder, als Drogenabhängiger etc. konzeptualisiert wird, den die Justiz ausschließen
und wegsperren müsse. Die Strafe muss deshalb hart ausfallen, wobei Aspekte abschrek-
kender und beschämender Strafvollstreckung nicht ausgeschlossen werden.

Sumario

Este artículo presenta las diferentes concepciones de la sanción penal en las mentalida-
des contemporáneas. Utilizando una muestra representativa de la población adulta de la
Suiza francófona (N = 1881), la investigación empírica permite identificar tres « filoso-
fías » distintas. El « prospectivismo » justifica la sanción penal por su objetivo de reinsertar
al individuo en la sociedad. Las respuestas a las infracciones son moderadas y dirigidas a
enmendar al individuo a través de los cuidados. El « contractualismo » insiste en la respon-
sabilidad del delincuente, que debe pagar por lo que ha hecho. La finalidad de la pena está
dominada por la idea de la restitución : la sanción debe ser establecida tomando en consi-
deración la intención del autor y la gravedad objetiva de los perjuicios ocasionados. Final-
mente, el « ostracismo » reposa sobre una imagen del delincuente como una categoría
aparte. El delincuente es ante todo el otro -el extranjero, el marginal, el drogado… – y la
justicia consiste en excluirlo. Se proponen sanciones muy severas y no se excluye la utili-
zación de penas infamantes o vergonzantes.
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176 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

ANNEXE

Typologie générale des philosophies de justice

Variables, indices et types Prospectivime Contractualisme Ostracisme Moyenne


(48%, N = 897) (36%, N = 673) (17%, N = 311)
Sentiment d’insécurité
Toujours ou presque 1 1 14 3
Souvent 2 5 9 4
Quelquefois 13 30 24 21
Rarement 19 26 10 20
Jamais ou presque 63 35 26 47
Trop peur 2 2 15 4
Test (V de Cramer) .35**
Perception de l’évolution
de la criminalité
Préoccupation faible 35 16 12 24
Préoccupation moyenne 29 14 20 22
Préoccupation forte 24 31 23 26
Préoccupation très forte 12 39 45 27
Test (V de Cramer) .27**
Perception du risque
de victimation personnelle
Risque faible 35 12 14 24
Risque moyen 37 28 16 30
Risque fort 16 24 16 19
Risque très fort 11 36 53 27
Test (V de Cramer) .30**
Caractérisation
des délinquants
Enfance difficile 30 13 25 23
Personnes faibles 15 18 11 16
Plus facile de violer la loi 15 31 26 23
Personnes malades, perturbées 12 5 15 10
Anciens petits délinquants 10 11 12 11
Autre opinion 9 16 8 12
Test (V de Cramer) .20**

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LANGUIN ET AL., LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA JUSTICE PÉNALE : UNE TRILOGIE 177

Variables, indices et types Prospectivime Contractualisme Ostracisme Moyenne


(48%, N = 897) (36%, N = 673) (17%, N = 311)
Causes de la délinquance
Inégalités économiques 22 4 18 15
Anomie sociale 26 9 10 18
Causalité diffuse 23 22 23 23
Anomie morale 20 19 4 17
Déviance individuelle 5 17 32 14
Anomie institutionnelle 3 28 13 14
Test (V de Cramer) .37**
Perception des populations
délinquantes
Scepticisme 51 37 40 44
Irénisme 19 11 8 4
Stigmatisation 5 11 25 10
Conformisme 25 42 28 32
Test (V de Cramer) .21**
Activité des tribunaux
Dramatisation 22 14 34 21
Réalisme 48 55 28 47
Alarmisme 30 30 38 31
Test (V de Cramer) .14**
Finalités de la peine
Multifonctionnalisme positif 40 47 32 41
Réinsertion 43 10 22 28
Restitution 9 28 7 16
Rétribution 8 14 21 12
Multifonctionnalisme négatif 0 0 18 3
Test (V de Cramer). .40**
Indice de punitivité
Délits de faible gravité
Punitivité minimum 10 3 6 7
Punitivité faible 71 44 39 56
Punitivité forte 17 37 28 26
Punitivité maximum 2 15 27 11
Test (V de Cramer) .28**


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178 DÉVIANCE ET SOCIÉTÉ

Variables, indices et types Prospectivime Contractualisme Ostracisme Moyenne


(48%, N = 897) (36%, N = 673) (17%, N = 311)
Indice de sévérité
Délits graves et crimes
Punitivité minimum 21 2 10 13
Punitivité faible 47 33 24 38
Punitivité forte 27 41 32 33
Punitivité maximum 5 23 33 16
Test (V de Cramer) .29**
Mesure de la proportionnalité
Proportionnalité pragmatique 46 43 22 41
Absence de proportionnalité 14 29 16 20
Proportionnalité exemplaire 5 3 24 8
Proportionnalité généralisée 35 28 37 32
Test (V de Cramer) .25**
Caractéristiques de l’accusé
Socialisation 39 10 18 25
Dangerosité 25 64 24 39
Juvénilité 34 25 15 28
Appartenances 1 1 43 8
Test (V de Cramer) .49**
Caractéristiques de la victime
Compassion 31 36 30 33
Restitution 8 6 31 11
Abstraction 61 58 39 56
Test (V de Cramer) .21**
Acteurs de la décision
de justice
Justice de pis-aller 7 11 17 10
Justice référentielle 34 24 13 27
Justice participative 34 39 32 35
Justice des experts 22 19 15 20
Justice populaire 2 7 12 5
Justice communautaire 2 1 10 3
Test (V de Cramer) .23**

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