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Nérisson 

– Droit du livre cours 3 

Titre III. Le droit de la presse (loi du 29 juillet 1881) et la protection


de la jeunesse (loi du 16 juillet 1949)

La presse s’entend ici de l’engin qui permet d’imprimer, pas des journaux papiers,
puisque le droit de la presse est essentiellement régi (avec de nombreux
amendements depuis lors) par la « loi sur la liberté de la presse » du 29 juillet 1881
et concerne toutes les publications.

Nous nous concentrerons sur les principales infractions prévues dans cette loi (v. les
articles 23 à 42 de la loi de 1881, dans leur version de 2023, provocation à la haine,
violence etc., assortie de circonstances aggravantes, diffamation, injure, exceptio
veritatis) mais aussi sur la protection de la jeunesse, pan important non seulement à
cause du marché qu’il concerne et encadre (toute l’édition jeunesse, périodique ou
non), mais aussi parce que la loi de 1949 sur la protection de la jeunesse est le
fondement des dernières traces de ce qui peut être considéré comme de la censure
publique (i.e. contrôle systématique et a priori des publications) sur un fondement
légal et donne au premier ministre des pouvoirs extraordinaires.

I. Les principales infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881


Nous nous concentrons sur les articles 23 (qui prévoit les moyens de communication,
les médias par lesquels les délits que nous allons voir peuvent être constitués) à 42
(qui détermine les personnes qui pourront être poursuivies, les responsables du
contenu des publications).

A. Les modes de communication visés


C’est principalement l’article 23 sur lequel il faut se pencher. Si des dispositions
spéciales précisent les moyens par lesquels telle ou telle infraction peut être
constituée, elles s’appliqueront au cas particulier selon le principe que le spécial
déroge au général (specialia generalibus derogant).

L’article 23, auquel il est ensuite fait référence dans les articles nous intéressant,
vise :

…« des discours,
cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics,
(…) des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou
tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image
vendus ou distribués, mis en vente ou
exposés dans des lieux ou réunions publics,
soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public,
soit par tout moyen de communication au public par voie électronique »
   


 
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Ainsi, un élu qui aurait dit en aparté (même si cela a été enregistré puis diffusé par
des journalistes) que « Hitler n’en a peut-être pas tué assez » aux abords d’un
campement de gens du voyage, n’encourt pas les sanctions pour apologie d’un
crime, ou incitation à la haine à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur
origine car des propos tenus en aparté ne sont pas visés par l’article 23.

Ainsi, face à l’exercice de déterminer s’il y a injure ou diffamation etc., la première


chose à vérifier est le moyen de communication.

B. La responsabilité en cascade
C’est l’article 42 de la loi de 1881 qui nous guide dans cette cascade. L’idée est de
pouvoir, quelle que soit la situation, déterminer un responsable des contenus,
contrepartie de l’abolition du régime de censure qui précédait. On descend d’un
niveau de la cascade à chaque « à défaut de ».

« Seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la


répression des crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l'ordre ci-après,
savoir :

1° Les directeurs de publications ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou


leurs dénominations, et, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 6, de les [sic]
codirecteurs de la publication ;

2° A leur défaut, les auteurs ;

3° A défaut des auteurs, les imprimeurs ;

4° A défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs.

Dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 6 [personne morale, société par actions],
la responsabilité subsidiaire des personnes visées aux paragraphes 2°, 3° et 4° du présent
article joue comme s'il n'y avait pas de directeur de la publication, lorsque, contrairement aux
dispositions de la présente loi, un codirecteur de la publication n'a pas été désigné. »

Ce concernant, le propos de Paul Otchakovsky-Laurens (POL) dans son film « Éditeur »


lorsqu’il parle des poursuites dont il a fait l’objet suite à la publication de Le procès de Jean-
Marie Le Pen de Mathieu Lindon est fort intéressant. Le détail de cette affaire, qui est
remontée jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme, est disponible sur le site de la
CEDH (arrêt de Grande Chambre dans l’affaire Lindon, Otchakovsky‐Laurens et July c. France 
(requête nos 21279/02 et 36448/02) dans l’arrêt où la Cour a estimé la condamnation de
l’éditeur et de l’auteur conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’Homme et des libertés fondamentales.

Si la publication est en ligne, l’article 42 pourra s’appliquer si une analogie est


faisable, mais c’est l’article 6 de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique
de 2004, modifié en dernier lieu par une loi du 2 mars 2022, qui régit la question de
la responsabilité pour les contenus en ligne.

 
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C’est un très long article depuis l’origine, transposition d’une directive de 2001, elle-
même issue d’un traité international et qui fait l’objet de retouches régulières (dernier
avatar de ces mises à jour, le DSA). Le principe est que le responsable est celui qui
a un contrôle éditorial des contenus (et c’est pour ça qu’il faut toujours indiquer un
directeur de publication des sites en ligne). On en retient que c’est la personne qui a
le contrôle éditorial qui est responsable.
Compte tenu des usages qui se développent, notamment du fait que les utilisateurs
peuvent mettre en ligne des contenus sans contrôle intellectuel par le prestataire qui
offre le service (pensons aux 30 000 heures de vidéos ajoutées chaque heure,
720000 h. chaque jour, sur youtube), ce prestataire est tenu responsable des
contenus s’il en a connaissance. C’est pour ça que les sites web doivent mettre à
disposition de tout utilisateur un système qui permet facilement de signaler un
contenu problématique. Le prestataire doit alors réagir « promptement » pour retirer
le contenu litigieux. Si sa réaction n’est pas prompte, il sera responsable des
expressions publiées sur son site.

C. Diffamation et injure
C’est l’article 29 de la loi de 1881 qui nous en indique les définitions, les articles 
30 à 34 le complétant en précisant notamment les circonstances aggravantes 
ainsi que les sanctions quand l’injure ou la diffamation sont constituées. 

1) La diffamation

« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la


considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

Pour établir la diffamation, on recherchera les conditions suivantes (cumulatives) :

‐ Il faut un jugement de reproche de nature à porter atteinte à l’honneur et la


considération d’une personne. Cette atteinte est appréciée « au regard de
considérations objectives et pas en fonction de la sensibilité personnelle et
subjective de la personne visée », cf. l’affaire Devedjian et la frondeuse (civ. 1
17 déc. 2015 n° 14-29549).
‐ Il faut un fait précis et déterminé. Il est indifférent, pour constituer une
diffamation, que le fait soit vrai ou faux.
‐ Il faut une personne identifiée et identifiable (si on diffame « une enseignante
présente à l’IUT le 11 octobre », ou « un syndicat » d’une entreprise qui en
compte plusieurs, ce n’est pas le cas)
‐ Il faut que les propos aient été tenus sciemment, avec la volonté de nuire. La
mauvaise foi ici est présumée, si bien que ce sera à la personne qui a diffamé
de prouver sa bonne foi.


 
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Nous verrons plus loin les circonstances dans lesquelles la diffamation est
constituée mais n’entrainera pas condamnation.

2) L’injure

Toujours selon l’article 29, l’injure est

« Toute expression outrageante, terme de mépris, invective qui ne renferme


l’imputation d’aucun fait ».

Pour établir l’injure, il faut vérifier les conditions suivantes :

‐ Une personne déterminée ou déterminable, ou un groupe de personnes


(« Les meufs »)
‐ L’intention coupable est présumée
(comme en matière de diffamation, il faudra donc que l’émetteur ou l’émettrice
de l’injure établisse en quoi, par exemple « Négro », ou « ma ptite pute »,
n’était pas exprimée sur le ton de l’injure)
‐ Que la personne injuriée soit bien identifiée ou identifiable

Les juridictions françaises ont traditionnellement une bienveillance à l’égard des


journaux satiriques, et se réfèrent aux « lois du genre ». Ainsi, un avocat qualifié d’
« endive moite » et de « dindon courroucé » n’a pas obtenu condamnation du journal
qui publiait ces propos.

3) Faits justificatifs et exemption

La diffamation et l’injure ne peuvent pas être retenues si elles sont dites lors des
débats parlementaires et judiciaires.

En cas de diffamation, la condamnation pourra être rejetée au nom de la bonne foi,


ou de l’exceptio veritatis

La jurisprudence exige la réunion d’un faisceau d’indices :

‐ Si le diffamant peut établir l’exactitude des faits rapportés et plaider un but


légitime d’information, on parle alors d’exceptio veritatis,
et les juges vérifieront aussi la bonne foi, retenue ssi :
‐ Les propos font preuve de prudence et de mesure
‐ On peut écarter un conflit personnel avec la personne diffamée
‐ Les propos servent un but légitime
‐ L’enquête étayant les propos diffamants doit avoir été menée sérieusement

En cas d’injure, le seul fait justificatif est l’excuse de provocation, prévue par l’article
33 al. 2 de la loi de 1881

La provocation doit être injuste mais pas nécessairement délictueuse. Cette


provocation peut être tout propos ou écrit injurieux, ou tout acte de nature à atteindre


 
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l’auteur de l’infraction soit dans son honneur ou sa considération, soit dans ses
intérêts pécuniaires ou moraux.

4) Les sanctions et les circonstances aggravantes

La peine « normale » est 12 000 euros d’amende, et/ou un affichage, et/ou un stage
de citoyenneté.

La peine peut s’élever à 45000 euros d’amende si on s’attaque aux institutions et aux
serviteurs de l’Etat ainsi qu’aux jurés (d’assises) si on les attaque à raison de leurs
fonctions ou de leur qualité.

S’y ajoute la possibilité d’une peine d’emprisonnement d’un an, si on diffame ou


injurie une personne ou un groupe de personnes
- en raison de leur origine, ou de leur appartenance ou non appartenance à une
ethnie, une nation, une race, une religion déterminée, ou
- en raison de leur sexe, de leur identité de genre, de leur orientation sexuelle ou de
leur handicap.

B. Provocation aux crimes et délits

1) La provocation suivie d’effet

Selon l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, celui qui aura provoqué à la commission
d’un délit ou d’un crime, provocation suivie d’effet, sera considéré comme complice.

2) La provocation non suivie d’effet


Selon les articles 24 et suivant de la loi de 1881 : 

 5 ans d’emprisonnement et 45000 euros d’amende sont encourus en cas de


‐ Provocation directe à
o Une atteinte aux personnes (à la vie, à l’intégrité, y compris les
agressions sexuelles)
o Une atteinte aux biens (vols, destruction, dégradation)
o Une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation (trahison,
espionnage…)
‐ Apologie [= présentation sous un jour favorable] de
o Crimes et délits contre les personnes et les biens
o Crimes contre l’humanité (v. art. 461-1 du Code pénal)
o Crimes de réduction à l’esclavage, et de collaboration avec l’ennemi
‐ La banalisation, la minoration, la négation de génocide et de crime contre
l’humanité
 Une amende de 1500 euros est encourue par qui profère en public un chant
séditieux [= qui appelle à la révolte]
 1 an et 45 000 euros d’amende sont encourus en cas de


 
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provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination d’une personne ou


d’un groupe de personnes

o à raison de leur origine, ou de leur appartenance ou la non


appartenance à une ethnie, une race, une nation, une religion
déterminée
o à raison de leur sexe de leur orientation sexuelle de l’identité de genre
ou du handicap

II. La protection de la jeunesse

A. La loi de 1949
v. https://bibliomnivoressite.wordpress.com/2020/01/06/70-ans-de-la-loi-du-16-juillet-1949/

B. L’article 227-24 du Code pénal

Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen


que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent,
incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement
atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des
jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un
tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros
d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un
mineur.

Lorsque les infractions prévues au présent article sont soumises par la


voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au
public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces
matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des
personnes responsables.

Les infractions prévues au présent article sont constituées y compris si


l'accès d'un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte
d'une simple déclaration de celui-ci indiquant qu'il est âgé d'au moins
dix-huit ans.

***


 

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