Vous êtes sur la page 1sur 15

UNIVERSITE JEAN MOULIN - LYON 3 Bibliographie :

FACULTE DE DROIT DERIEUX E., « L’affaire des « Caricatures de Mahomet » : liberté de caricature
Année universitaire 2022-2023 et respect des croyances », JCP G 2007, II 10079.
FRANCILLON J., « Liberté d’expression. Protection des sources des
journalistes », Revue de science crim., 2012, p. 603.
LICENCE DE DROIT PRIVE GRAS F., « La tradition française de protection des caricatures », Legicom, 2015/1,
SERIES A et C n° 54, p. 5.
DROITS ET LIBERTES FONDAMENTAUX LAVRIC S., « Protection du secret des sources des journalistes », D., 2008,
p. 1397.
Cours magistral : Julie FERRERO et Loïc ROBERT MALLET-POUJOL N., « Liberté d’opinion et droits de l’histoire : perspectives
Travaux dirigés : Maïlys TETU, Romane PONCET, Mathieu ROUY, Thomas LEONE récentes », Legicom, 2015/1, n°54, pp. 45-58.
BLAY-GRABARCZYK K., « Le statut du lanceur d’alerte dans les arrêts de la
Cour EDH », Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme, n° 116, 1er octobre 2018,
Séance 7 : La liberté d’expression (1/2) pp. 855 et s.
JUNOD V., « La liberté d’expression du whistleblower », RTDH 2009, n°77,
pp. 227-260.
I. Le principe de la liberté d’expression JUNOD V., « Lancer l’alerte : quoi de neuf depuis Guja ? », RTDH 2014, n° 98,
Doc 1 : Articles 10 et 11 de la DDHC. 2014, pp. 459-482
Doc 2 : Article 10 de la CEDH. BESSE T., « Secret bien gardé n’est qu’à moitié protégé », AJ Pénal, n° 12,
Doc 3 : Article 19 du PIDCP. décembre 2022, p. 583
Doc 4 : CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, n° 5493/72.
Doc 5 : GROSSHOLZ C., « La liberté d’expression a besoin de l’État », AJDA, Travail obligatoire :
2015, p. 185. Répondez aux questions suivantes :
1. Quel est l’apport de l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni (doc 4) ?
II. La protection de la liberté d’expression : l’exemple de la liberté de la 2. Quel est la portée de l’arrêt rendu par le Conseil constitutionnel le 28 octobre
presse 2022 (doc 11) ? Est-elle critiquable ?
Doc 6 : Loi du 4 janvier 2010 relative à la protection des sources des journalistes.
Doc 7 : CEDH, 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni, n° 17488/90. Travail à rendre sur la base du volontariat :
Doc 8 : CEDH, 28 juin 2012, Ressiot et autres c. France, n° 15054/07 et 15066/07. Cas pratique
Doc 9 : Cass. Civ. 2e, 26 avril 2001, AGRIF c. Charlie Hebdo, n° 99-10490.
Doc 10 : Cass., 10 octobre 2019, n° 18-21.871.
Doc 11 : Cons. const. 28 oct. 2022, n° 2022-1021 QPC

III. La liberté d’expression et les lanceurs d’alerte


Doc 12 : CEDH, 12 février 2008, Guja c/ Moldavie, n° 14277/04.

1
I – Le principe de la liberté d’expression (…). L’ "introduction" précisait: "Ce livre est conçu comme un ouvrage de référence. Il
ne s’agit pas de le lire d’un coup, mais d’en utiliser la table des matières pour découvrir ce
Doc 1 : Articles 10 et 11 de la DDHC. qui t’intéresse ou ce sur quoi tu désires en savoir davantage. Même si tu es dans une école
Art. 10 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur particulièrement libérale, tu devrais trouver dans le livre un tas d’idées pour améliorer la
manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. situation."
Art 11 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus 21. Le requérant avait projeté d’emprunter les voies commerciales habituelles pour
précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à diffuser le livre quoiqu’il fût admis, d’après les déclarations faites lors des audiences
répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. d’appel, que celui-ci s’adressait aux écoliers de douze ans et plus.
(…)
Doc 2 : Article 10 de la CEDH. 44. Pour ne pas enfreindre l'article 10 (art. 10), les "restrictions" et "sanctions" dont se
Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion plaint M. Handyside devaient d'abord, d'après le paragraphe 2 (art. 10-2), être "prévues
et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il par la loi". La Cour constate que tel a été le cas. Dans l'ordre juridique du Royaume-Uni,
puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le les mesures dont il s'agit avaient pour base légale les lois de 1959/1964 (paragraphes 14-
présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de 18, 24-25 et 27-34 ci-dessus). Le requérant ne l'a du reste pas contesté; il a reconnu de
cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. surcroît que les autorités compétentes avaient correctement appliqué lesdites lois.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être 45. Ayant ainsi vérifié que les ingérences litigieuses respectaient la première des
soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui conditions du paragraphe 2 de l'article 10 (art. 10-2), la Cour a recherché ensuite si elles
constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité remplissaient également les autres. D'après le Gouvernement et la majorité de la
nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la Commission, elles étaient "nécessaires, dans une société démocratique", "à la protection
prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la (...) de la morale".
réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations 46. La Cour constate pour commencer, avec le Gouvernement et la Commission
confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. unanime, que les lois de 1959/1964 ont un but légitime au regard de l'article 10 par. 2
(art. 10-2): la protection de la morale dans une société démocratique. Seul ce dernier
objectif entre en ligne de compte en l'espèce car la destination desdites lois - combattre
Doc 3 : Article 19 PIDCP.
les publications "obscènes", définies par leur tendance à "dépraver et corrompre" – se
1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
rattache de beaucoup plus près à la protection de la morale qu'à n'importe laquelle des
2. Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de
autres fins admissibles selon l'article 10 par. 2 (art. 10-2).
rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans
(…)
considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par
48. La Cour relève que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt un
tout autre moyen de son choix.
caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de
3. L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs
l'homme (arrêt du 23 juillet 1968 sur le fond de l'affaire "linguistique belge", série A no
spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines
6, p. 35, par. 10 in fine). La Convention confie en premier lieu à chacun des États
restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires
contractants le soin d'assurer la jouissance des droits et libertés qu'elle consacre. Les
:
institutions créées par elle y contribuent de leur côté, mais elles n'entrent en jeu que par
a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui ;
la voie contentieuse et après épuisement des voies de recours internes (article 26) (art.
b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité
26). Ces constatations valent, entre autres, pour l'article 10 par. 2 (art. 10-2). En
publiques.
particulier, on ne peut dégager du droit interne des divers États contractants une notion
européenne uniforme de la "morale". L'idée que leurs lois respectives se font des
Doc 4 : CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni : exigences de cette dernière varie dans le temps et l'espace, spécialement à notre époque
20. L’édition anglaise primitive du livre, dont le prix se montait à trente pence caractérisée par une évolution rapide et profonde des opinions en la matière. Grâce à
l’exemplaire, comptait 208 pages. Elle contenait une introduction intitulée "tous les leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l'État
adultes sont des tigres de papier", une "introduction à l’édition britannique" et des se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le
chapitres consacrés aux sujets suivants : "l’éducation", "l’apprentissage", "les contenu précis de ces exigences comme sur la "nécessité" d'une "restriction" ou
enseignants", "les élèves" et "le système". Le chapitre sur les élèves comprenait une "sanction" destinée à y répondre. La Cour note à cette occasion que si l'adjectif
section de vingt-six pages relatives à "la sexualité" et où figuraient les sous-sections que "nécessaire", au sens de l'article 10 par. 2 (art. 10-2), n'est pas synonyme d'"indispensable"
voici : "la masturbation", "l’orgasme", "rapports sexuels et caresses intimes", "les (comp., aux articles 2 par. 2 et 6 par. 1 (art. 2-2, art. 6-1), les mots "absolument nécessaire"
contraceptifs", (…)"l’homosexualité", "normal ou anormal", "cherche à en savoir et "strictement nécessaire" et, à l'article 15 par. 1 (art. 15-1), le membre de phrase "dans
davantage", "les maladies vénériennes", "l’avortement", "l’avortement légal ou illégal", la stricte mesure où la situation l'exige"), il n'a pas non plus la souplesse de termes tels

2
qu'"admissible", "normal" (comp. l'article 4 par. 3 (art. 4-3)), "utile" (comp. le premier "protection de la morale" qui les rendait "nécessaires" dans une "société démocratique",
alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 (P1-1)), "raisonnable" (comp. les articles 5 par. 3 et la Cour ne saurait faire abstraction des "devoirs" et "responsabilités" de l'intéressé.
6 par. 1 (art. 5-3, art. 6- 1)) ou "opportun". Il n'en appartient pas moins aux autorités
nationales de juger, au premier chef, de la réalité du besoin social impérieux qu'implique Doc 5 : Grossholz C., « La liberté d’expression a besoin de l’Etat », AJDA,
en l'occurrence le concept de "nécessité". Dès lors, l'article 10 par. 2 (art. 10-2) réserve 2015, p. 185.
aux États contractants une marge d'appréciation. Il l'accorde à la fois au législateur L’attentat perpétré contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 a révélé à quel point la liberté
national ("prévues par la loi") et aux organes, notamment judiciaires, appelés à interpréter d’expression, condition de toutes les autres libertés, est aujourd’hui menacée, au sein
et appliquer les lois en vigueur (arrêt Engel et autres du 8 juin 1976, série A no 22, pp. même de sociétés démocratiques dont elle constitue pourtant le ciment (CEDH 7 déc.
41-42, par. 100; comp., pour l'article 8 par. 2 (art. 8-2), l'arrêt de Wilde, Ooms et Versyp 1976, n° 5493/72, Handyside c/ Royaume-Uni). Le terrorisme lié au fondamentalisme
du 18 juin 1971, série A no 12, pp. 45-46, par. 93, et l'arrêt Golder du 21 février 1975, religieux est entré dans une nouvelle ère : il ne se borne plus à frapper aveuglément au
série A no 18, pp. 21-22, par. 45). 49. L'article 10 par. 2 (art. 10-2) n'attribue pas pour sein d’une population, mais y sélectionne, de manière individualisée, des cibles parmi ses
autant aux États contractants un pouvoir d'appréciation illimité. Chargée, avec la ennemis idéologiques. Il donne lieu à une forme terrible de répression, organisée par des
Commission, d'assurer le respect de leurs engagements (article 19) (art. 19), la Cour a groupements privés qui condamnent et mettent à mort. Le phénomène n’est pas
compétence pour statuer par un arrêt définitif sur le point de savoir si une "restriction" nouveau, comme l’illustrent les vies d’exil que doivent mener, sous protection policière,
ou "sanction" se concilie avec la liberté d'expression telle que la protège l'article 10 (art. depuis nombre d’années, des intellectuels tels que Salman Rushdie, Taslima Nasreen,
10). La marge nationale d'appréciation va donc de pair avec un contrôle européen. Celui- Ayan Hirsi Ali et bien d’autres, ou encore l’assassinat de Theo Van Gogh en 2004. Mais
ci concerne à la fois la finalité de la mesure litigieuse et sa "nécessité". Il porte tant sur la il est amplifié.
loi de base que sur la décision l'appliquant, même quand elle émane d'une juridiction Cette forme de terrorisme fait peser une menace terrible sur la liberté d’expression, dont
indépendante. A cet égard, la Cour se réfère à l'article 50 (art. 50) de la Convention elle vise à dissuader l’exercice en engendrant l’autocensure, susceptible d’être encouragée
("décision prise ou (...) mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre par un Etat soucieux d’éviter les troubles à l’ordre public qui pourraient découler de
autorité") ainsi qu'à sa propre jurisprudence (arrêt Engel et autres du 8 juin 1976, série A l’exercice de la liberté d’expression, mais trop faible ou trop timoré pour imposer le
no 22, pp. 41-42, par. 100). respect d’un ordre légal, républicain qu’il renoncerait à protéger. Au lendemain de
49. L'article 10 par. 2 (art. 10-2) n'attribue pas pour autant aux États contractants un l’attentat du 7 janvier ont, par exemple, été annulées les représentations d’une pièce de
pouvoir d'appréciation illimité. Chargée, avec la Commission, d'assurer le respect de leurs théâtre, « Lapidée », mise en scène par Jean Chollet, qui devait se jouer à Paris, ainsi que
engagements (article 19) (art. 19), la Cour a compétence pour statuer par un arrêt définitif l’exposition consacrée à la caricature et à Charlie Hebdo, qui devait se tenir au Musée
sur le point de savoir si une "restriction" ou "sanction" se concilie avec la liberté Hergé à Louvain-la-Neuve, en Belgique. Dans les deux cas, la décision semble avoir été
d'expression telle que la protège l'article 10 (art. 10). La marge nationale d'appréciation prise de manière concertée entre les organisateurs et les autorités, par crainte des troubles
va donc de pair avec un contrôle européen. Celui-ci concerne à la fois la finalité de la que ces manifestations pourraient « provoquer ». L’absence de litige empêche tout
mesure litigieuse et sa "nécessité". Il porte tant sur la loi de base que sur la décision contrôle juridictionnel, soulignant que le péril qui pèse aujourd’hui sur la liberté
l'appliquant, même quand elle émane d'une juridiction indépendante. A cet égard, la Cour d’expression œuvre en dehors du droit.
se réfère à l'article 50 (art. 50) de la Convention ("décision prise ou (...) mesure ordonnée Cette menace ne provient plus de l’intervention de l’Etat, mais de son abstention et de
par une autorité judiciaire ou toute autre autorité") ainsi qu'à sa propre jurisprudence son impuissance. Traditionnellement, les libertés fondamentales sont conçues comme
(arrêt Engel et autres du 8 juin 1976, série A no 22, pp. 41-42, par. 100). des droits opposables par les citoyens aux autorités publiques, dont l’ingérence est un mal
Son rôle de surveillance commande à la Cour de prêter une extrême attention aux nécessaire à la préservation de l’ordre public avec lequel il faut opérer une « conciliation
principes propres à une "société démocratique". La liberté d'expression constitue l'un des » (v., par ex., Cons. const. 19 janv. 2006, n° 2005-532 DC, Loi relative à la lutte contre le
fondements essentiels de pareille société, l'une des conditions primordiales de son terrorisme, AJDA 2006. 172). Pourtant, la liberté d’expression a aujourd’hui besoin de
progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10 l’action, et non de l’abstention, de l’Etat de droit. Le temps est peut-être venu de changer
(art. 10-2), elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec de paradigme pour envisager l’intervention de l’Etat comme indispensable, non pas à la
faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui seule réalisation de droits-créances, de droits dits « sociaux », qui par nature ne reposent
heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population. que sur des obligations positives mises à sa charge, mais également à la préservation des
Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas libertés les plus classiques et les plus élémentaires, telle la liberté d’expression.
de "société démocratique". Il en découle notamment que toute "formalité", "condition", On sait que la Cour européenne des droits de l’homme a d’ores et déjà consacré
"restriction" ou "sanction" imposée en la matière doit être proportionnée au but légitime l’obligation positive des Etats à garantir la liberté d’expression (CEDH 16 mars 2000, n°
poursuivi. 23144/93, Özgür Gündem c/ Turquie) en jugeant, dans une affaire relative à une
D'un autre côté, quiconque exerce sa liberté d'expression assume "des devoirs et des campagne d’intimidation menée à l’encontre d’un journal, que l’exercice de cette liberté
responsabilités" dont l'étendue dépend de sa situation et du procédé technique utilisé. En pouvait exiger des mesures positives de protection jusque dans les relations des individus
recherchant, comme en l'espèce, si des "restrictions" ou "sanctions" tendaient à la

3
entre eux. Aujourd’hui, la liberté d’expression a plus que jamais besoin d’un Etat certes faits et de l’actualité et intéresseraient directement les clients et investisseurs intervenant
libéral, mais d’un Etat fort. sur le marché des logiciels informatiques. Quoi qu’il en soit, l’intérêt public de ces
informations ne pourrait servir de critère pour juger de l’existence d’un besoin social
II. La protection de la liberté d’expression : l’exemple de la liberté de la impérieux poussant à ordonner la divulgation de l’identité de la source. Un informateur
presse pourrait fournir des renseignements de faible intérêt un jour et de grande importance le
lendemain; ce qui compterait est que la relation établie entre le journaliste et la source mît
Doc 6 : Loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources au jour des informations dont la publication présenterait un intérêt potentiel légitime. Il
des journalistes. ne s’agit pas de dénier par là à Tetra le droit de garder secrètes ses opérations, si elle le
Article 1er - La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée : peut, mais de contester l’existence d’un besoin social impérieux qui imposerait de le punir
« Art. 2.-Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission pour avoir refusé de divulguer la source d’informations dont Tetra n’a pas su protéger la
d’information du public. confidentialité.
« Est considérée comme journaliste au sens du premier alinéa toute personne qui, 39. La Cour rappelle que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels
exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au d’une société démocratique et les garanties à accorder à la presse revêtent une importance
public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, particulière (voir notamment le récent arrêt Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994,
y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public. série A no 298, p. 23, par. 31).
« Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de
un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont la presse, comme cela ressort des lois et codes déontologiques en vigueur dans nombre
strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut d’Etats contractants et comme l’affirment en outre plusieurs instruments internationaux
en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources. sur les libertés journalistiques (voir notamment la Résolution sur les libertés
« Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième journalistiques et les droits de l’homme, adoptée à la 4e Conférence ministérielle
alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations européenne sur la politique des communications de masse (Prague, 7-8 décembre 1994),
portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, et la Résolution du Parlement européen sur la non-divulgation des sources journalistiques
peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources. du 18 janvier 1994, parue au Journal officiel des Communautés européennes
« Au cours d’une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de no C 44/34). L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources
l’atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l’importance de l’information recherchée journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt
pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle
d’investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité. » ; indispensable de "chien de garde" et son aptitude à fournir des informations précises et
3° L’article 35 est complété par un alinéa ainsi rédigé : fiables pourrait s’en trouver amoindrie. Eu égard à l’importance que revêt la protection
« Le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production des sources journalistiques pour la liberté de la presse dans une société démocratique et
puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d’une violation à l’effet négatif sur l’exercice de cette liberté que risque de produire une ordonnance de
du secret de l’enquête ou de l’instruction ou de tout autre secret professionnel s’ils sont divulgation, pareille mesure ne saurait se concilier avec l’article 10 (art. 10) de la
de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires. » Convention que si elle se justifie par un impératif prépondérant d’intérêt public.
Il convient de tenir compte de ces considérations pour appliquer aux faits de la cause le
critère de la nécessité dans une société démocratique prévu au paragraphe 2 de l’article
Doc 7 : CEDH, 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni, n° 17488/90. 10 (art. 10-2).
37. Le requérant et la Commission sont d’avis que l’article 10 (art. 10) de la Convention 40. D’une manière générale, la "nécessité" d’une quelconque restriction à l’exercice de
exige de ne contraindre un journaliste à révéler ses sources que dans des circonstances la liberté d’expression doit être établie de manière convaincante (voir l’arrêt Sunday Times
exceptionnelles où des intérêts publics ou privés vitaux sont menacés. Or tel ne serait c. Royaume-Uni (no 2) du 26 novembre 1991, série A no 217, pp. 28-29, par. 50, où sont
pas le cas en l’occurrence. exposés les grands principes régissant l’application du critère de "nécessité"). Certes, il
Ils ont tous deux invoqué le fait que Tetra avait déjà obtenu une injonction interdisant la revient en premier lieu aux autorités nationales d’évaluer s’il existe un "besoin social
publication des informations (paragraphe 12 ci-dessus) et que cette injonction avait été impérieux" susceptible de justifier cette restriction, exercice pour lequel elles jouissent
respectée. Les renseignements en question étant de même nature que ceux que l’on d’une certaine marge d’appréciation. En l’espèce, cependant, le pouvoir d’appréciation
trouve couramment dans la presse économique, ils n’estiment pas que Tetra ait démontré, national se heurte à l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté
preuves à l’appui, que de nouvelles publications lui porteraient préjudice; la société de la presse. De même, il convient d’accorder un grand poids à cet intérêt lorsqu’il s’agit
n’aurait d’ailleurs subi aucun des dommages annoncés. Le requérant ajoute que ces de déterminer, comme l’exige le paragraphe 2 de l’article 10 (art.10-2), si la restriction
renseignements méritent d’être publiés même s’ils ne révèlent pas de question présentant était proportionnée au but légitime poursuivi. En bref, les limitations apportées à la
un intérêt public capital, telle qu’un crime ou un grave méfait. Ces informations sur les confidentialité des sources journalistiques appellent de la part de la Cour l’examen le plus
erreurs de gestion, les pertes et la recherche d’emprunt de Tetra seraient du domaine des scrupuleux.

4
La Cour n’a pas pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux disparu, obtenir une injonction lui interdisant toute autre divulgation de ces informations
juridictions internes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 (art. 10) les décisions ainsi que des dommages-intérêts.
qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Pour cela, la Cour doit En tant que société commerciale, elle avait aussi un motif légitime de chercher à
considérer l’"ingérence" litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer démasquer un salarié ou un collaborateur déloyal, qui risquait de pouvoir continuer à
si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent "pertinents pénétrer dans ses locaux, pour mettre fin à son contrat.
et suffisants". 45. Il s’agit là incontestablement de motifs pertinents. Cependant, comme les
41. En l’espèce, comme Lord Bridge l’a indiqué devant la Chambre des lords, Tetra a juridictions internes l’ont aussi reconnu, pour établir la nécessité de la divulgation, il ne
bénéficié d’une ordonnance de divulgation de l’identité de la source en raison suffit pas, en soi, qu’une partie désireuse d’obtenir la divulgation de l’identité d’une source
principalement de la menace de graves préjudices pesant sur ses affaires et, par se contente de montrer que, faute d’une telle mesure, elle ne pourra pas exercer le droit
conséquent, sur les moyens d’existence de ses salariés, qu’aurait engendré la publication protégé par la loi ni éviter le dommage qui la menace du fait de la violation incriminée de
de l’information contenue dans son plan de développement, alors que ses négociations la loi (paragraphe 18 ci-dessus). A cet égard, la Cour rappelle que les considérations dont
en vue de trouver de nouveaux financements étaient en cours (paragraphe 18 ci- les institutions de la Convention doivent tenir compte pour exercer leur contrôle sur le
dessus). Cette menace, comparable à une "bombe à retardement", selon les termes de terrain du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2) font pencher la balance des intérêts en
Lord Donaldson devant la cour d’appel (paragraphe 17 ci-dessus), ne pouvait être levée, présence en faveur de celui de la défense de la liberté de la presse dans une société
d’après Lord Bridge, que si Tetra parvenait à connaître l’informateur, que ce dernier soit démocratique (paragraphes 39 et 40 ci-dessus). En l’occurrence, la Cour ne juge pas que
le voleur de l’exemplaire du plan ou permette d’identifier le voleur, donnant ainsi à la les intérêts de Tetra - éliminer, en engageant une procédure contre la source, l’autre aspect
société la possibilité d’intenter une procédure en recouvrement du document de la menace de dommage à son encontre que représentait la diffusion des informations
disparu. L’importance de protéger l’informateur, concluait Lord Bridge, se trouvait confidentielles par d’autres voies que la presse, obtenir des dommages-intérêts et
sérieusement diminuée du fait de la complicité de celui-ci, à tout le moins dans une grave démasquer un salarié ou un collaborateur déloyal - sont suffisants, même cumulés, pour
divulgation d’informations confidentielles, que ne compensait aucun intérêt légitime à l’emporter sur l’intérêt public capital que constitue la protection de la source du
voir publier ces informations (paragraphe 18 ci-dessus). journaliste requérant. Partant, la Cour ne considère pas que les autres objectifs de
42. Pour la Cour, les justifications avancées en l’espèce pour l’ordonnance de divulgation l’ordonnance de divulgation, jugés à l’aune des critères fixés dans la Convention,
litigieuse doivent s’analyser dans le cadre général de l’injonction provisoire non constituent un impératif prépondérant d’intérêt public.
contradictoire précédemment accordée à la société et qui interdisait non seulement au 46. En résumé, la Cour estime que l’ordonnance de divulgation ne représentait pas un
requérant, mais aussi à l’éditeur de The Engineer, de publier toute information tirée du moyen raisonnablement proportionné à la poursuite du but légitime visé. Les restrictions
plan. Cette injonction avait été notifiée à tous les journaux britanniques et revues que l’ordonnance de divulgation a fait peser sur la liberté d’expression du journaliste
concernées (paragraphe 12 ci-dessus). L’ordonnance de divulgation visait un but pour qu’est le requérant ne peuvent donc passer pour nécessaires dans une société
une large part identique à celui déjà obtenu avec l’injonction, à savoir empêcher la démocratique, au sens du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2), afin de défendre les
diffusion des renseignements confidentiels figurant dans le plan. Il ne fait aucun doute, droits de la société Tetra en vertu de la législation anglaise, même en tenant compte de la
ainsi que Lord Donaldson l’a indiqué devant la cour d’appel, que l’injonction avait marge d’appréciation laissée aux autorités nationales. Partant, la Cour conclut que tant
effectivement réussi à bloquer la diffusion des informations confidentielles dans la presse l’ordonnance sommant le requérant de divulguer sa source que l’amende qui lui a été
(paragraphe 17 ci-dessus). Les créanciers, clients, fournisseurs et concurrents de Tetra infligée pour refus d’obtempérer ont violé en son chef le droit à la liberté d’expression
n’apprendraient donc pas ces renseignements par cette voie. Un aspect capital de la reconnu par l’article 10 (art. 10).
menace de préjudice commercial pesant sur Tetra avait donc en grande partie été
neutralisé grâce à l’injonction. Cela étant, la Cour estime que, dans la mesure où Doc 8 : CEDH, 28 juin 2012, Ressiot et autres c. France, n° 15054/07 et
l’ordonnance de divulgation avait seulement pour but de renforcer l’injonction, la 15066/07.
restriction supplémentaire à la liberté d’expression qu’elle entraînait ne se trouvait pas 1. La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté
justifiée par des motifs suffisants au regard du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2) de de la presse. L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques
la Convention. d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. En conséquence,
43. La Cour doit encore rechercher si les autres objectifs de l’ordonnance de divulgation la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de
offrent des justifications suffisantes. garde », et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver
44. A cet égard, comme Lord Donaldson l’a déclaré, il est vrai que l’injonction n’a pas amoindrie (Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996 ; CEDH 2003-IV ; Ernst et
eu pour résultat d’empêcher l’informateur du journaliste requérant (ou la source de cet autres c. Belgique, no 33400/96, § 91, 15 juillet 2003 et Tillack c. Belgique, no20477/05, § 53,
informateur) de transmettre directement les renseignements aux clients et concurrents 27 novembre 2007).
de Tetra (paragraphe 17 ci-dessus). Sauf à connaître l’identité de cet informateur, la
société ne pouvait pas empêcher le contenu du plan de continuer à se répandre, 2. La presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique ; si elle ne doit pas
notamment en engageant contre l’intéressé une procédure pour récupérer le document franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits
d’autrui ainsi qu’à la nécessité d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles,

5
il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses 7. La Cour observe d’emblée que le thème des articles publiés, le dopage dans le sport
responsabilités, des informations et idées sur toutes les questions d’intérêt général (De professionnel, en l’occurrence le cyclisme, et donc les problèmes de santé publique en
Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-234, § 37 ; Fressoz découlant, concernait un débat qui était d’un intérêt public très important.
et Roire précité, § 45). 8. Elle rappelle que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des
3. D’une manière générale, la « nécessité » d’une quelconque restriction à l’exercice de la restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des
liberté d’expression doit se trouver établie de manière convaincante. Certes, il revient en questions d’intérêt général (Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 61, CEDH 1999-
premier lieu aux autorités nationales d’évaluer s’il existe un « besoin social impérieux » IV).
susceptible de justifier cette restriction, exercice pour lequel elles bénéficient d’une 9. A la fonction de la presse qui consiste à diffuser des informations et des idées sur des
certaine marge d’appréciation. Lorsqu’il y va de la presse, comme en l’espèce, le pouvoir questions d’intérêt public, s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir (voir, parmi
d’appréciation national se heurte à l’intérêt de la société démocratique à assurer et à d’autres, Jersild, précité, § 31 ; De Haes et Gijsels, précité, § 39). Il en allait tout
maintenir la liberté de la presse. De même, il convient d’accorder un grand poids à cet particulièrement ainsi en l’espèce, s’agissant d’un problème de dopage dans le cyclisme
intérêt lorsqu’il s’agit de déterminer, comme l’exige le paragraphe 2 de l’article 10, si la professionnel. La découverte de ces faits suscita un vif intérêt dans l’opinion publique.
restriction était proportionnée au but légitime poursuivi (voir, mutatis mutandis, Goodwin c. Les articles en cause répondaient ainsi à une demande croissante du public désireux de
RoyaumeUni, précité, pp. 500-501, § 40, Worm c. Autriche, précité, § 47 et Tillack c. Belgique, disposer d’informations sur les pratiques de dopage dans le sport et les problèmes de
précité, § 55). santé qui en découlent. Le public avait dès lors un intérêt légitime à être informé et à
4. Par ailleurs, comme la Cour l’a rappelé dans l’arrêt Dupuis et autres (précité, § 42), s’informer sur cette enquête.
l’importance du rôle des médias dans le domaine de la justice pénale est très largement 10. Certes, quiconque, y compris des journalistes, exerce sa liberté d’expression assume
reconnue. (…). Par conséquent, les limitations apportées à la confidentialité des sources des « devoirs et responsabilités » dont l’étendue dépend de sa situation et du procédé
journalistiques appellent de la part de la Cour l’examen le plus scrupuleux (Roemen et technique utilisé (voir, mutatis mutandis, Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre
Schmit, précité, § 46, Goodwin, précité, §§ 39-40), et une ingérence ne saurait se concilier 1976, série A no 24, p. 23, § 49 in fine).
avec l’article 10 de la Convention que si elle se justifie par un impératif prépondérant
d’intérêt public (Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no 38224/03, § 51, 14 septembre 11. En l’occurrence, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles considéra
2010). que la publication de nombreuses informations couvertes par le secret de l’enquête, avait
ii. But légitime causé une « gêne considérable » dans l’organisation du travail du juge d’instruction et que
celui-ci avait estimé que cette publication avait « torpillé » l’instruction en cours.
5. La Cour a déjà considéré qu’une ingérence découlant du secret de l’instruction tendait
à garantir la bonne marche d’une enquête, donc à protéger l’autorité et l’impartialité du 12. Toutefois, la Cour note que ce même juge d’instruction, interrogé dans le journal Le
pouvoir judiciaire (Weber c. Suisse, arrêt du 22 mai 1990, série A no 177, § 45 et Ernst et Monde sur des complications éventuelles ayant émaillé l’enquête, répondit que cette affaire
autres, précité, § 45). Eu égard aux circonstances particulières de l’affaire, la Cour estime n’était pas prioritaire pour le ministère de la Justice, que les effectifs de police qui
que l’ingérence visait à empêcher la divulgation d’informations confidentielles, à protéger l’assistaient étaient en nombre insuffisant et que des erreurs techniques avaient été
la réputation d’autrui et plus globalement à garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir commises. Il ne mentionna à aucun moment les articles qui avaient été publiés et leur
judiciaire. répercussion négative éventuelle sur l’enquête en cours.
Comme la Cour l’a déjà souligné, il convient que les journalistes, qui rédigent des articles 15.Néanmoins, les auteurs, journalistes expérimentés, ne pouvaient ignorer que lesdits
sur des procédures pénales en cours, gardent ce principe à l’esprit car les limites du documents provenaient du dossier d’instruction et étaient couverts, selon les personnes
commentaire admissible peuvent ne pas englober des déclarations qui risqueraient, à l’origine de la remise des documents, par le secret de l’instruction ou par le secret
intentionnellement ou non, de réduire les chances d’une personne de bénéficier d’un professionnel. Tout en reconnaissant le rôle essentiel qui revient à la presse dans une
procès équitable ou de saper la confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux société démocratique, la Cour souligne que les journalistes ne sauraient en principe être
dans l’administration de la justice pénale (ibidem, et Worm, précité, § 50). Enfin, il y a lieu déliés par la protection que leur offre l’article 10 de leur devoir de respecter les lois
de rappeler que toutes les personnes, y compris les journalistes, qui exercent leur liberté pénales de droit commun. Le paragraphe 2 de l’article 10 pose d’ailleurs les limites de
d’expression assument des « devoirs et responsabilités » dont l’étendue dépend de la l’exercice de la liberté d’expression. Il convient donc de déterminer si, dans les
situation (Dupuis et autres, précité, § 43, et Campos Dâmaso c. Portugal, no 17107/05, § 35, 24 circonstances particulières de l’affaire, l’intérêt d’informer le public sur un sujet important
avril 2008). tel que le dopage des sportifs (voir paragraphes 114 et 116 ci-dessus) l’emportait sur les
« devoirs et responsabilités » pesant sur les requérants en raison de l’origine douteuse des
6. En l’espèce, il convient tout d’abord de relever que les requérants étaient soupçonnés documents qui leur avaient été adressés (Dupuis et autres, précité, § 42).
de recel de violation du secret de l’instruction car ils avaient publié dans plusieurs articles
des passages in extenso de procèsverbaux de transcriptions d’écoutes téléphoniques, une
13. La Cour souligne que le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être
liste de produits trouvés lors d’une perquisition et des pièces de procédure concernant considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la
une enquête en cours sur l’usage de substances prohibées dans le milieu du cyclisme. licéité ou de l’illicéité des sources, mais un véritable attribut du droit à l’information, à
traiter avec la plus grande circonspection. Cela vaut encore plus en l’espèce, où les

6
requérants traitaient d’un problème de santé publique et ne furent finalement pas 5 / que c’est seulement dans le domaine de la polémique politique portant sur les opinions
condamnés et les doctrines relatives au rôle et au fonctionnement des institutions fondamentales de
14. La Cour en arrive à la conclusion que le Gouvernement n’a pas démontré qu’une l’Etat que le fait justificatif de la bonne foi propre à la diffamation n’est pas
balance équitable des intérêts en présence a été préservée. A cet égard, elle rappelle que nécessairement subordonné à la prudence dans l’expression de la pensée et qu’en
« les considérations dont les institutions de la Convention doivent tenir compte pour l’occurrence, seule l’Eglise catholique étant en cause, la cour d’appel ne pouvait accorder
exercer leur contrôle sur le terrain du paragraphe 2 de l’article 10 font pencher la balance aux intimés le bénéfice de la bonne foi eu égard simplement au caractère "grossièrement
des intérêts en présence en faveur de celui de la défense de la liberté de la presse dans satirique" de Charlie hebdo, sauf à priver sa décision de base légale au regard des articles
une société démocratique » (voir Goodwin c. Royaume-Uni, précité, § 45). En l’occurrence, 29, alinéa 1, et 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 ;
même si l’on devait considérer que les motifs invoqués étaient « pertinents », la Cour Mais attendu que l’arrêt retient que si l’AGRIF vise l’ensemble de l’article de M. Z.…
estime qu’ils n’étaient pas en tout cas « suffisants » pour justifier des perquisitions et dans son assignation, elle incrimine plus particulièrement les passages suivants de l’article
saisies d’une telle envergure. s’adressant au pape :
15. Elle en conclut que les mesures litigieuses ne représentaient pas des moyens "Viens inverser le cours du temps qui passe, à coups... de messages d’amour imprégnés
raisonnablement proportionnés à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de comme des éponges du sang des hommes de la liberté"... "Tu es l’allié de tous ceux qui
l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse. Il y a voient dans la misère des uns la bonne affaire des autres. Depuis deux mille ans...",
donc eu violation de l’article 10 de la Convention. "Débarque avec ton barda : tissus de non-sens sanctifiés, miracles pour handicapés
mentaux, fables pour paumés, répression de la joie de vivre, haine du plaisir, censure de
la connaissance, passion du pouvoir, déguisements de carnaval, ordre soi-disant moral
pour maintenir les consciences dans un sous-développement propice à l’acceptation de
Doc 9 : Cass. Civ. 2e, 26 avril 2001, AGRIF c. Charlie Hebdo, n°99-10490. l’asservissement, antisémitisme sournoisement doctrinal" ; "Tu as fait cause commune
Sur le moyen unique du pourvoi principal : avec les intégristes musulmans. Vous êtes d’accord sur l’essentiel du programme : mort à
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 9 octobre 1998), que le journal Charlie Y... a publié, la liberté, mort à l’émancipation, mort à la connaissance, mort à la culture, mort à
dans son numéro daté du 3 juillet 1996, un article intitulé "Bienvenue au pape de merde", l’égalité" ;
mettant en cause Jean-Paul II ; qu’estimant cet article diffamatoire envers les chrétiens, Que l’arrêt énonce que ces propos ne sont pas révélateurs de la diffamation poursuivie
l’association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française en l’absence d’allégations de faits précis pouvant être imputés à un groupe religieux
et chrétienne (AGRIF) a fait assigner devant le tribunal de grande instance M. X..., déterminé et de nature à porter atteinte à l’honneur et à la réputation de celui-ci, qu’il
directeur de la publication du journal, M. Z..., auteur de l’article, et la société Editions s’agit non d’attaques contre les fidèles d’une religion mais de critiques dont la virulence
rotatives, éditrice du journal, en responsabilité et indemnisation de son préjudice ; ne peut être appréciée qu’au regard du caractère ouvertement anticlérical et grossièrement
Attendu que l’AGRIF fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande, alors, selon le moyen satirique du journal Charlie hebdo, et qui, portant sur le rôle et les positions à travers
: l’histoire de l’Eglise catholique, en tant qu’institution représentée par le pape, relèvent
2 / que, parmi les passages reproduits par l’arrêt attaqué, les imputations d’assassinats et d’un débat d’opinions qu’il n’appartient pas aux tribunaux d’arbitrer ;(…)
d’antisémitisme revêtaient certainement un caractère diffamatoire et qu’en refusant de D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
l’admettre, la cour d’appel a violé les articles 29, alinéa 1, et 32, alinéa 2, de Ia loi du 29 PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit besoin d’examiner les griefs du pourvoi incident
juillet 1881 ; éventuel : REJETTE le pourvoi ;
3 / que les dispositions de l’article 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 répriment toute
diffamation publique commise envers une personne physique ou morale ou un groupe
de personnes, quelle qu’en soit l’ampleur, à raison de leur appartenance à une religion Doc 10 : Cass., 10 octobre 2019, n° 18-21.871.
déterminée, qu’il importait peu en l’occurrence, par conséquent, que fussent visés par les Sur le moyen unique :
propos incriminés non pas l’ensemble des fidèles de la religion catholique mais seulement Attendu, selon l’arrêt attaqué (Angers, 26 juin 2018), que la société France télévisions a
leurs représentants au premier rang desquels le Pape, autrement dit l’Eglise catholique en diffusé, le 13 octobre 2016, dans l’émission “Envoyé spécial”, un reportage consacré à la
tant qu’institution, et que la cour d’appel n’a pas ainsi donné de base légale à sa décision crise de la production laitière intitulé “Sérieusement ?! Lactalis : le beurre et l’argent du
au regard du texte susvisé ; beurre” ; que, soutenant qu’une séquence de ce reportage faisait mention du nom de sa
4 / que le droit de libre critique cesse devant les attaques personnelles, qu’en l’occurrence, résidence secondaire, de sa localisation précise et en présentait des vues aériennes, et
les imputations d’assassinats, d’antisémitisme, de racisme homosexuel, d’hypocrisie et invoquant l’atteinte portée à sa vie privée, M. X..., président du conseil de surveillance de
d’enrichissement personnel au détriment des pauvres visant le Pape et les autres membres la société Lactalis, l’a assignée, sur le fondement des articles 8 de la Convention de
de la hiérarchie catholique ne pouvaient constituer de simples opinions sur le rôle et les sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil, aux
positions de l’Eglise catholique et que la cour d’appel n’a pas ainsi donné de base légale fins d’obtenir réparation de son préjudice, ainsi que des mesures d’interdiction et de
à sa décision au regard des articles 29, alinéa 1, et 32, alinéa 2, de Ia loi du 29 juillet 1881 publication judiciaire ;
;

7
Attendu que M. X.… fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen : ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus
légitime ; que, pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il y a lieu de
1°/ que le conflit entre les droits fondamentaux d’égale valeur garantis par l’article 8 de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt
la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales au titre général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur
de la protection de la vie privée et l’article 10 de la même Convention relatif à la liberté de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication,
d’expression, impose aux juridictions de mettre en balance les intérêts en présence au ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH, arrêt du
regard de six critères tenant à la contribution à un débat d’intérêt général, à la notoriété 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07,
de la personne visée et à l’objet du reportage, au comportement antérieur de la personne § 93) ; qu’il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l’examen de chacun de ces
visée, au contenu, à la forme et aux répercussions de la publication, aux circonstances des critères (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.741, publié) ;
prises de vue, enfin, à la gravité de la sanction requise ou imposée à l’organe de presse ;
que ces critères ne sont pas alternatifs mais cumulatifs ; qu’en se fondant en l’espèce sur Et attendu qu’après avoir retenu que les indications fournies dans la séquence litigieuse,
les trois premiers critères à l’exclusion des suivants qui n’ont pas été examinés par l’arrêt qui permettent une localisation exacte du domicile de M. X..., caractérisent une atteinte à
(répercussion de la publication, circonstance des prises de vue et mesure de la sanction sa vie privée, l’arrêt relève, d’abord, que le reportage en cause évoque, notamment, la
requise), la cour d’appel ne peut passer comme ayant établi avec la précision nécessaire la mobilisation des producteurs laitiers contre le groupe Lactalis, accusé de pratiquer des
balance des intérêts en présence, violant ainsi l’article 9 du code civil, ensemble les articles prix trop bas, et compare la situation financière desdits producteurs à celle du dirigeant
8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés du premier groupe laitier mondial ; qu’il ajoute que l’intégralité du patrimoine immobilier
fondamentales ; de M. X... n’est pas détaillée, les informations délivrées portant exclusivement sur le bien
que ce dernier possède en Mayenne, où résident les fermiers présentés dans le reportage,
2°/ que la liberté de divulguer des éléments de la vie privée qui seraient déjà disponibles de sorte que ces informations s’inscrivent dans le débat d’intérêt général abordé par
dans le « domaine public » n’est pas en principe absolue ; que, sur le terrain de l’article 8 l’émission ; qu’il énonce, ensuite, par motifs propres et adoptés, que M. X..., en sa qualité
de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la de dirigeant du groupe Lactalis, est un personnage public et que, bien que le nom et la
cour d’appel devait examiner, d’une part, le contexte particulier de la divulgation localisation de sa résidence secondaire aient été à plusieurs reprises divulgués dans la
incriminée, laquelle associait en l’espèce, à une heure de grande écoute, le nom et les presse écrite, il n’a pas, par le passé, protesté contre la diffusion de ces informations ; qu’il
qualités du requérant, la localisation de sa propriété privée et le chemin d’accès à cette constate, enfin, que la vue d’ensemble de la propriété de M. X... peut-être visionnée grâce
dernière, d’autre part, le comportement antérieur du demandeur, lequel, loin d’avoir été au service de cartographie en ligne Google maps et que, pour réaliser le reportage
volontairement à l’origine des divulgations antécédentes dans des conditions excluant incriminé, le journaliste n’a pas pénétré sur cette propriété privée ; que la cour d’appel,
qu’il puisse s’en plaindre ultérieurement, faisait valoir qu’il avait toujours au contraire qui a ainsi examiné, de façon concrète, chacun des critères à mettre en oeuvre pour
entendu préserver sa vie privée ; qu’en se bornant à l’affirmation inopérante selon laquelle procéder à la mise en balance entre le droit à la protection de la vie privée et le droit à la
les éléments litigieux eussent déjà été disponibles dans le domaine public sans opposition liberté d’expression et qui n’avait pas à effectuer d’autres recherches, a légalement justifié
du requérant, la cour d’appel, qui ne s’est pas davantage expliquée sur la portée de sa décision de retenir que l’atteinte portée à la vie privée de M. X... était légitimée par le
l’ingérence contestée sous le rapport de la vie privée de M. X..., dans le contexte précis droit à l’information du public ;
de la cause, a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 9 du code civil,
ensemble les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et PAR CES MOTIFS :
des libertés fondamentales ; REJETTE le pourvoi

3°/ que la justification d’une atteinte constatée à la vie privée du requérant par l’existence
Doc 11 : Cons. const., 28 oct. 2022, n° 2022-1021 QPC.
d’un débat général sur la « crise du lait » dans le cadre d’un conflit de droits entre les
articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, qui sont D’égale Valeur, Commande A Minima De La Part Des Juges Du LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 juillet 2022 par la Cour de
Fond Une Appréciation Concrète De La Nécessité D’une Ingérence Dans la vie privée cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1125 du 27 juillet 2022), dans les conditions pré-
prétendant s’autoriser de la liberté d’expression ; qu’en se bornant à relever que la vues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité́.
divulgation contestée « s’inscrivait » dans le contexte d’un débat d’intérêt public sans Cette question a été posée pour Mme Marie P. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au
autrement s’expliquer sur la nécessité corrélative d’une atteinte à la vie privée du Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du
requérant, la cour d’appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1021 QPC. Elle est relative à la conformité́ aux
l’article 9 du code civil, ensemble les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l’article 60-1, du qua-
droits de l’homme et des libertés fondamentales ; trième alinéa de l’article 100-5 ainsi que des articles 170, 171 et 173 du code de procédure
Mais attendu que, le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression pénale.
ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre

8
2. Le troisième alinéa de l’article 60-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction
Au vu des textes suivants : résultant de la loi du 23 mars 2019, prévoit :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi du organique sur le Conseil « À peine de nullité́, ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus par une réquisition prise en
constitutionnel ; violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté́ de la presse ».
– le code de procédure pénale ;
– la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté́ de la presse ; 3. Le quatrième alinéa de l’article 100-5 du code de procédure pénale, dans sa rédaction
– la loi n° 93-1013 du 24 août 1993 modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant résultant de la loi du 4 janvier 2010, prévoit :
réforme de la procédure pénale ; «À peine de nullité́, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d’iden-
– la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la tifier une source en violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».
criminalité́ ;
– la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des
4. L’article 170 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 9
journalistes ;
mars 2004, prévoit :
– la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018- 2022 et de réforme pour
« En toute matière, la chambre de l’instruction peut, au cours de l’information, être saisie aux fins
la justice ;
d’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure par le juge d’instruction, par le procureur de la
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel
République, par les parties ou par le témoin assisté ».
pour les questions prioritaires de constitutionnalité́ ;
5. L’article 171 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 24
Au vu des pièces suivantes :
août 1993, prévoit :
–les observations présentées pour la requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregis-
«Il y a nullité́ lorsque la méconnaissance d’une formalité́ substantielle prévue par une disposition du
trées le 18 août 2022 ;
– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 19 août 2022 ; présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté́ atteinte aux intérêts de la partie qu’elle
– les observations en intervention présentées pour l’association de la presse judiciaire et concerne ».
l’association Reporters sans frontières par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à
la Cour de cassation, enregistrées le même jour ; 6. L’article 173 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 23
– les secondes observations présentées pour la requérante par la SCP Piwnica et Molinié, mars 2019, prévoit :
enregistrées le 5 septembre 2022 ; « S’il apparait au juge d’instruction qu’un acte ou une pièce de la procédure est frappé de nullité́, il saisit
– les autres pièces produites et jointes au dossier ; la chambre de l’instruction aux fins d’annulation, après avoir pris l’avis du procureur de la République
Après avoir entendu Me François Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cas- et avoir informé́ les parties.
sation, pour la requérante, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à « Si le procureur de la République estime qu’une nullité́ a été commise, il requiert du juge d’instruction
l’audience publique du 18 octobre 2022 ; communication de la procédure en vue de sa transmission à la chambre de l’instruction, présente requête
Et après avoir entendu le rapporteur ; aux fins d’annulation à cette chambre et en informe les parties.
« Si l’une des parties ou le témoin assisté estime qu’une nullité́ a été commise, elle saisit la chambre de
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT : l’instruction par requête motivée, dont elle adresse copie au juge d’instruction qui transmet le dossier de
la procédure au président de la chambre de l’instruction. La requête doit, à peine d’irrecevabilité́, faire
l’objet d’une déclaration au greffe de la chambre de l’instruction. Elle est constatée et datée par le greffier
1. La question prioritaire de constitutionnalité́ doit être considérée comme portant sur qui la signe ainsi que le demandeur ou son avocat. Si le demandeur ne peut signer, il en est fait mention
les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Con- par le greffier. Lorsque le demandeur ou son avocat ne réside pas dans le ressort de la juridiction compé-
seil constitutionnel est saisi du troisième alinéa de l’article 60-1 du code de procédure tente, la déclaration au greffe peut être faite au moyen d’une lettre recommandée avec demande d’avis de
pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019 mentionnée ci-dessus, du réception. Lorsque la personne mise en examen est détenue, la requête peut également être faite au moyen
quatrième alinéa de l’article 100-5 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du d’une déclaration auprès du chef de l’établissement pénitentiaire. Cette déclaration est constatée et datée
4 janvier 2010 mentionnée ci-dessus, de l’article 170 du même code dans sa rédaction par le chef de l’établissement pénitentiaire qui la signe, ainsi que le demandeur. Si celui-ci ne peut signer,
résultant de la loi du 9 mars 2004 mentionnée ci- dessus, de l’article 171 du même code
il en est fait mention par le chef de l’établissement. Ce document est adressé sans délai, en original ou en
dans sa rédaction résultant de la loi du 24 août 1993 mentionnée ci-dessus et de l’article
copie et par tout moyen, au greffe de la chambre de l’instruction.
173 du même code dans sa rédaction résultant de la même loi du 23 mars 2019.
«Les dispositions des trois premiers alinéas ne sont pas applicables aux actes de procédure qui peuvent
faire l’objet d’un appel de la part des parties, et notamment des décisions rendues en matière de détention

9
provisoire ou de contrôle judiciaire, à l’exception des actes pris en application du chapitre IX du titre II 12. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu’un tiers à la procé-
du livre II du code de la sécurité́ dure, y compris un journaliste, ne peut pas demander l’annulation d’un acte qui aurait été
intérieure. accompli en violation du secret des sources.
« Dans les huit jours de la réception du dossier par le greffe de la chambre de l’instruction, le président
peut, par ordonnance non susceptible de recours, constater que la requête est irrecevable en application des 13. En premier lieu, en application des articles 170 et 173 du code de procédure pénale,
troisième ou quatrième alinéas du présent article, de l’article 173-1, du premier alinéa de l’article 174 au cours de l’information, le juge d’instruction, le procureur de la République, les parties
ou du IV de l’article 175 ; il peut également constater l’irrecevabilité́ de la requête si celle-ci n’est pas ou le témoin assisté peuvent saisir la chambre de l’instruction aux fins d’annulation d’un
motivée. S’il constate l’irrecevabilité́ de la requête, le président de la chambre de l’instruction ordonne que acte ou d’une pièce de la procédure. En réservant à ces personnes la possibilité́ de con-
le dossier de l’information soit renvoyé́ au juge d’instruction ; dans les autres cas, il le transmet au procu- tester la régularité́ d’actes ou de pièces versés au dossier de la procédure, le législateur a
reur général qui procède ainsi qu’il est dit aux articles 194 et suivants ». entendu préserver le secret de l’enquête et de l’instruction et protéger les intérêts des
personnes concernées par celles-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur cons-
7. La requérante, rejointe par les parties intervenantes, reproche à ces dispositions de ne titutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’in-
pas permettre à un journaliste de présenter une requête en nullité́ d’un acte d’investigation fractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption
accompli en violation du secret de ses sources, lorsqu’il est tiers à la procédure à l’occasion d’innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789.
de laquelle un tel acte a été réalisé́. Elle fait valoir, en outre, qu’aucune autre voie de droit
ne lui permettrait de faire constater l’illégalité́ de cet acte. Il en résulterait une méconnais- 14. En second lieu, lorsqu’un acte d’investigation accompli en violation du secret des
sance du droit à un recours juridictionnel effectif, du droit au respect de la vie privée et sources est constitutif d’une infraction, le journaliste qui s’estime lésé́ par celle-ci peut
de la liberté́ d’expression. Elle estime par ailleurs qu’en réservant la possibilité́ de former mettre en mouvement l’action publique devant les juridictions pénales en se constituant
une telle requête en nullité́ au journaliste qui a la qualité́ de partie ou de témoin assisté, partie civile et demander la réparation de son préjudice. Si, en application de l’article 6-1
ces dispositions méconnaitraient le principe d’égalité devant la loi. Pour les mêmes rai- du code de procédure pénale, l’action publique ne peut être exercée dans le cas où l’illé-
sons, le législateur aurait également méconnu l’étendue de sa compétence dans des con- galité́ de l’acte ne serait pas soulevée par le juge d’instruction, par le procureur de la Ré-
ditions affectant les exigences constitutionnelles précitées. publique, par les parties ou par le témoin assisté, et définitivement constatée par la juri-
diction qui en est saisie, le journaliste conserve la possibilité́ d’invoquer l’irrégularité́ de
8. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité́ porte sur le troisième alinéa cet acte à l’appui d’une demande tendant à engager la responsabilité́ de l’État du fait de
de l’article 60-1 du code de procédure pénale et sur le quatrième alinéa de l’article 100-5 cette violation.
du même code.
15. Dès lors, en ne permettant pas à un journaliste, comme à tout autre tiers à la procé-
9. Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute dure, d’obtenir l’annulation d’un acte d’investigation accompli en violation du secret des
société́ dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a sources, le législateur n’a pas, compte tenu de l’ensemble des voies de droit qui sont ou-
point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte vertes, méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif. Ce grief doit donc être écarté.
substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une
juridiction. 16. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence
négative et ne méconnaissent pas non plus le droit au respect de la vie privée, la liberté́
10. Les articles 60-1 et 100-5 du code de procédure pénale sont relatifs, pour le premier, d’expression, le principe d’égalité́ devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté́ que la
au pouvoir de réquisition d’informations reconnu aux autorités en charge des investiga- Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
tions dans le cadre d’une enquête de flagrance et, pour le second, au pouvoir d’intercep-
tion des correspondances émises par la voie de communications électroniques dont dis- IV- La liberté d'expression et les lanceurs d'alerte
pose le juge d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire.
Doc 12 : CEDH, 12 février 2008, Guja c/ Moldavie, n° 14277/04.
11. Les dispositions contestées de ces articles interdisent, à peine de nullité́, de verser au I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
dossier de la procédure les éléments obtenus par une réquisition prise en violation du 8. Le requérant, M. Iacob Guja, est né en 1970 et réside à Chişinău. A l’époque des faits,
secret des sources d’un journaliste, lequel est protégé́ par l’article 2 de la loi du 29 juillet il dirigeait le service de presse du parquet général.
1881 mentionnée ci-dessus, et de transcrire les correspondances avec un journaliste per- A. Le contexte de l’affaire
mettant d’identifier une source en violation de ces mêmes dispositions. 9. Le 21 février 2002, quatre policiers (M.I., B.A., I.P. et G.V.) arrêtèrent dix personnes,
dont le chef présumé d’un gang criminel, soupçonnées d’infractions liées aux élections

10
législatives. Après leur libération, les suspects saisirent le parquet d’une plainte contre les (…)
quatre policiers pour mauvais traitements et détention illégale. Une enquête pénale fut 16. L’article du journal était accompagné de photos des lettres signées par M. Mişin et M.
alors ouverte contre les policiers, notamment pour mauvais traitements et détention Ursachi.
illégale. D. La réaction du parquet général(…)
10. En juin 2002, les quatre policiers adressèrent au président de la République, M. E. La procédure en réintégration engagée par le requérant(…)
Voronin, au premier ministre, M. Tarlev, et au vice-président du Parlement, M. Mişin, des F. La plainte du Jurnal de Chişinău (…)
lettres cosignées par eux. Ils y demandaient à bénéficier d’une immunité de poursuites,
exposaient leurs vues sur la procédure pénale et qualifiaient l’attitude du parquet
II. LE DROIT PERTINENT (…)
d’abusive. Ils réclamaient une vérification de la légalité des accusations portées contre
EN DROIT
eux. Le 21 juin 2002, M. Mişin transmit au parquet général la lettre qu’il avait reçue ainsi
48. Le requérant allègue que sa révocation consécutive à la divulgation par lui des
qu’une note d’accompagnement. Celle-ci était rédigée sur le papier à en-tête officiel du
lettres litigieuses au Jurnal de Chişinău emporte violation de son droit à la liberté
Parlement et ne comportait aucune mention de confidentialité. Elle était ainsi libellée :
d’expression et, en particulier, de son droit de communiquer des informations et des
« Monsieur Rusu, idées à des tiers. L’article 10 de la Convention se lit ainsi :
La lecture de cette lettre soulève une question : le procureur général adjoint lutte-t-il « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté
contre le crime ou contre la police ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que
d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées
les policiers en cause appartiennent à l’une des meilleures équipes du ministère de
sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de
l’Intérieur, dont l’activité se trouve désormais entravée par les initiatives prises par des
frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de
agents du parquet général. Je vous demande d’intervenir personnellement dans cette
radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. 2. L’exercice de
affaire et de la résoudre dans le strict respect de la loi. » ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines
11. En janvier 2003, M. Voronin se rendit au centre de lutte contre la criminalité formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent
économique et la corruption où il évoqua, entre autres, le problème des pressions
des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité
abusives exercées par certains responsables publics sur les organes chargés de
territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime,
l’application de la loi dans des procédures pénales pendantes. Il lança un appel à la lutte
à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des
contre la corruption et demanda aux agents concernés d’ignorer toute tentative de
droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour
pression de ce genre. Sa déclaration fut diffusée par les médias.
garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
12. A une date non précisée, les poursuites pénales ouvertes contre les policiers furent
abandonnées.
B. La divulgation des documents I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
13. Quelques jours après que M. Voronin eut lancé son appel à la lutte contre la B. Le grief tiré de l’article 10 de la Convention (…)
corruption, le requérant adressa au Jurnal de Chişinău des copies de deux lettres (« les II. SUR LE FOND DE LA REQUÊTE
lettres ») que le parquet général avait reçues. A. Existence d’une ingérence
14. La première n’était autre que la note de M. Mişin (paragraphe 10 ci-dessus). La 55. La Cour a conclu au paragraphe 53 ci-dessus que l’article 10 trouve à s’appliquer
seconde, écrite par M. A. Ursachi, vice-ministre de l’Intérieur, était adressée à un en l’espèce. Elle estime en outre que la mesure de révocation prononcée à l’encontre
procureur général adjoint. Elle était rédigée sur le papier à en-tête officiel du ministère de du requérant au motif qu’il avait rendu publiques les lettres litigieuses s’analyse en
l’Intérieur et ne comportait aucune mention de confidentialité. On pouvait y lire une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice par l’intéressé de son droit à
notamment ce qui suit : la liberté d’expression garanti par le premier paragraphe de cette disposition.
« (...) L’officier de police M.I. [un des quatre policiers – paragraphe 9 ci-dessus] a été 56. Pareille ingérence enfreint l’article 10, sauf si, « prévue par la loi », elle poursuivait
reconnu coupable le 12 mai 1999 (...) d’infractions réprimées par les articles 116 § 2 un ou plusieurs buts légitimes au regard du paragraphe 2 et était « nécessaire, dans une
[détention illégale avec mise en danger de la vie ou de la santé ou provocation de société démocratique », pour le ou les atteindre.
souffrances physiques], 185 § 2 [abus de pouvoir avec violences, usage d’armes à feu ou B. « Prévue par la loi »
actes de torture] et 193 § 2 [extorsion d’aveux au moyen d’actes de violence et d’injures] 57. Dans ses observations initiales, le requérant soutenait que l’ingérence n’était pas
du code pénal et condamné à une amende de 1 440 lei moldaves (128 euros). En vertu prévue par la loi. Il estimait en effet que le texte invoqué par les autorités internes
de l’article 2 de la loi d’amnistie, il a été dispensé du paiement de l’amende. n’était pas suffisamment prévisible. Il n’a toutefois pas repris ce point dans ses
(...) le 24 octobre 2001, l’officier de police M.I. a été réintégré dans ses fonctions au observations orales ultérieures.
ministère de l’Intérieur. » 58. La Cour relève que le requérant a été révoqué sur le fondement de l’article 263/1
C. L’article paru dans le Jurnal de Chişinău du code du travail pour avoir enfreint les paragraphes 1.4 et 4.11 du règlement
15. Le 31 janvier 2003, le Jurnal de Chişinău publia un article intitulé « Vadim Mişin intérieur du service de presse du parquet général (paragraphe 31 ci-dessus). Les
intimide les procureurs », qui comportait les passages suivants : parties n’ayant pas débattu de ce point devant elle, la Cour poursuivra son examen en

11
postulant que les dispositions des paragraphes 1.4 et 4.11 du règlement intérieur aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des
répondent aux conditions requises pour que l’on puisse considérer que l’ingérence faits pertinents (...) »
était « prévue par la loi ». 70. La Cour rappelle en outre que l’article 10 s’applique également à la sphère
C. But légitime professionnelle et que les fonctionnaires, tels que le requérant, jouissent du droit à la
59. Le requérant considère que l’ingérence n’avait aucun but légitime. Le liberté d’expression (paragraphe 52 ci-dessus). Cela étant, elle n’oublie pas que les salariés
Gouvernement, de son côté, estime que la mesure litigieuse en poursuivait plusieurs, ont un devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers leur employeur. Cela vaut en
à savoir garantir l’autorité du pouvoir judiciaire, prévenir le crime et protéger la particulier pour les fonctionnaires, dès lors que la nature même de la fonction publique
réputation d’autrui. La Cour quant à elle est disposée à admettre qu’il était légitime exige de ses membres une obligation de loyauté et de réserve (Vogt, précité, § 53, Ahmed
pour les autorités moldaves de chercher à empêcher la divulgation d’informations et autres, précité, § 55, et De Diego Nafría c. Espagne, no 46833/99, § 37, 14 mars 2002).
confidentielles. A cet égard, elle estime important de relever que, au moment de sa 71. La mission des fonctionnaires dans une société démocratique étant d’aider le
révocation, le requérant refusa de divulguer sa source d’information, ce qui laisse gouvernement à s’acquitter de ses fonctions et le public étant en droit d’attendre que les
supposer que les renseignements en question n’étaient pas facilement ou fonctionnaires apportent cette aide et n’opposent pas d’obstacles au gouvernement
publiquement accessibles (Haseldine c. Royaume-Uni, no 18957/91, décision de la démocratiquement élu, l’obligation de loyauté et de réserve revêt une importance
Commission du 13 mai 1992, Décisions et rapports (DR) 73). Elle doit donc particulière les concernant (voir, mutatis mutandis, Ahmed et autres, précité, § 53). De plus,
examiner si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique, en particulier eu égard à la nature même de leur position, les fonctionnaires ont souvent accès à des
si elle était proportionnée au but légitime poursuivi. renseignements dont le gouvernement, pour diverses raisons légitimes, peut avoir un
D. « Nécessaire dans une société démocratique » intérêt à protéger la confidentialité ou le caractère secret. Dès lors, ils sont généralement
1. Les arguments des parties tenus à une obligation de discrétion très stricte.
a) Le requérant (…) 72. Jusqu’ici, toutefois, la Cour n’a encore eu à connaître d’aucune affaire dans laquelle
b) Le Gouvernement (…) un fonctionnaire aurait divulgué des informations internes. Dans cette mesure, le cas
2. L’appréciation de la Cour d’espèce soulève une question nouvelle, distincte de celle examinée dans l’affaire Stoll c.
a) Les principes généraux applicables en l’espèce Suisse ([GC], no 69698/01, CEDH 2007-V), où la divulgation avait eu lieu sans
69. La principale question à trancher est celle de savoir si l’ingérence était « nécessaire l’intervention d’un fonctionnaire. En ce qui concerne les agents de la fonction publique,
dans une société démocratique ». Les principes fondamentaux concernant cette question qu’ils soient contractuels ou statutaires, la Cour observe qu’ils peuvent être amenés, dans
sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour et ont été résumés comme suit (voir, l’exercice de leur mission, à prendre connaissance d’informations internes,
parmi d’autres, Jersild c. Danemark, précité, § 31, Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § éventuellement de nature secrète, que les citoyens ont un grand intérêt à voir divulguer
46, Recueil 1998-VI, et Steel et Morris c. Royaume-Uni, no 68416/01, § 87, CEDH 2005II) : ou publier. Elle estime dans ces conditions que la dénonciation par de tels agents de
« i. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conduites ou d’actes illicites constatés sur leur lieu de travail doit être protégée dans
conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de certaines circonstances. Pareille protection peut s’imposer lorsque l’agent concerné est
l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou seul à savoir – ou fait partie d’un petit groupe dont les membres sont seuls à savoir – ce
considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent qui se passe sur son lieu de travail et est donc le mieux placé pour agir dans l’intérêt
: ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société général en avertissant son employeur ou l’opinion publique. A cet égard, la Cour se réfère
démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une au passage suivant du rapport explicatif de la Convention civile du Conseil de l’Europe
interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante (...) sur la corruption (paragraphe 46 ci-dessus) : « En effet, les affaires de corruption sont difficiles à
ii. L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les détecter et à instruire et les employés ou les collègues (du secteur public ou privé) des personnes impliquées
Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, sont souvent les premiers à découvrir ou à suspecter quelque chose d’anormal. »
mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, 73. Eu égard à l’obligation de discrétion susmentionnée, il importe que la personne
même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en concernée procède à la divulgation d’abord auprès de son supérieur ou d’une autre
dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège autorité ou instance compétente. La divulgation au public ne doit être envisagée qu’en
l’article 10. dernier ressort, en cas d’impossibilité manifeste d’agir autrement (voir, mutatis
iii. La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes mutandis, Haseldine, décision précitée). Dès lors, pour juger du caractère proportionné ou
compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur non de la restriction imposée à la liberté d’expression du requérant en l’espèce, la Cour
pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’Etat défendeur a usé de doit examiner si l’intéressé disposait d’autres moyens effectifs de faire porter remède à la
ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la situation qu’il jugeait critiquable.
lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » 74. Pour apprécier la proportionnalité d’une atteinte portée à la liberté d’expression d’un
et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants fonctionnaire en pareil cas, la Cour doit également tenir compte d’un certain nombre
» (...) Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes d’autres facteurs. Premièrement, il lui faut accorder une attention particulière à l’intérêt
public que présentait l’information divulguée. La Cour rappelle que l’article 10 § 2 de la

12
Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le d’irrégularités commises sur leur lieu de travail (paragraphe 32 ci-dessus). Il apparaît donc
domaine des questions d’intérêt général (voir, parmi d’autres, Sürek c. Turquie (no 1) [GC], que le requérant ne pouvait faire part de ses préoccupations qu’à ses supérieurs et
no 26682/95, § 61, CEDH 1999-IV). Dans un système démocratique, les actions ou qu’aucune procédure n’était prévue en la matière.
omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif non 82. Il ressort en outre que la divulgation concernait la conduite d’un vice-président du
seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi des médias et de l’opinion Parlement, c’est-à-dire d’une personnalité de haut rang, et que le procureur général, qui
publique. L’intérêt de l’opinion publique pour une certaine information peut parfois être était au courant de la situation depuis six mois environ, n’avait manifesté aucune intention
si grand qu’il peut l’emporter même sur une obligation de confidentialité imposée par la de réagir, donnant plutôt l’impression d’avoir succombé aux pressions exercées sur le
loi (Fressoz et Roire c. France ([GC], no 29183/95, CEDH 1999-I ; Radio Twist, a.s. c. parquet.
Slovaquie (no 62202/00, CEDH 2006-XV). 83. Quant aux autres moyens de divulgation évoqués par le Gouvernement (paragraphe
75. Le deuxième facteur à prendre en compte dans cet exercice de mise en balance est 67 ci-dessus), la Cour estime que celui-ci ne lui a soumis aucun élément de nature à
l’authenticité de l’information divulguée. Il est loisible aux autorités compétentes de l’Etat invalider la thèse du requérant selon laquelle aucun des moyens cités n’aurait été effectif
d’adopter des mesures destinées à réagir de manière adéquate et non excessive à des dans les circonstances particulières de la présente affaire.
imputations diffamatoires dénuées de fondement ou formulées de mauvaise foi (Castells 84. A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que dans les circonstances de
c. Espagne, 23 avril 1992, § 46, série A no 236). En outre, l’exercice de la liberté l’espèce une divulgation à l’extérieur du parquet, même à un journal, pouvait se justifier.
d’expression comporte des devoirs et responsabilités, et quiconque choisit de divulguer ii. L’intérêt public présenté par les informations divulguées
des informations doit vérifier avec soin, dans la mesure où les circonstances le 85. Le requérant voit dans la note de M. Mişin une preuve d’une ingérence politique dans
permettent, qu’elles sont exactes et dignes de crédit (voir, mutatis mutandis, Morissens c. l’administration de la justice. Le Gouvernement dément.
Belgique, no 11389/85, décision de la Commission du 3 mai 1988, DR 56, p. 127, Bladet 86. La Cour note que, dans leur lettre à M. Mişin, les policiers réclamaient une vérification
Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 65, CEDH 1999-III). de la légalité des accusations dirigées contre eux par le parquet (paragraphe 10 ci-dessus).
76. La Cour doit par ailleurs apprécier le poids respectif du dommage que la divulgation M. Mişin réagit en adressant une lettre officielle au procureur général. D’après le
litigieuse risquait de causer à l’autorité publique et de l’intérêt que le public pouvait avoir Gouvernement, les mesures prises par M. Mişin étaient conformes, notamment, à la loi
à obtenir cette divulgation (voir, mutatis mutandis, Hadjianastassiou c. Grèce, 16 décembre sur le statut des députés. A cet égard, la Cour estime devoir rappeler que, dans une société
1992, § 45, série A no 252, Stoll, précité, § 130). A cet égard, elle peut prendre en compte démocratique, tant les cours et tribunaux que les autorités d’instruction doivent demeurer
l’objet de la divulgation et la nature de l’autorité administrative concernée (Haseldine, libres de toute pression politique. L’interprétation de toute loi établissant les droits des
décision précitée). députés doit respecter ce principe.
77. La motivation du salarié qui procède à la divulgation est un autre facteur déterminant Après examen, la Cour ne saurait admettre que la note adressée par M. Mişin au
pour l’appréciation du point de savoir si la démarche doit ou non bénéficier d’une procureur général avait pour seul objet, comme l’affirme le Gouvernement (paragraphe
protection. Par exemple, un acte motivé par un grief ou une animosité personnels ou 65 ci-dessus), de transmettre la lettre des policiers à l’organe compétent. Eu égard
encore par la perspective d’un avantage personnel, notamment un gain pécuniaire, ne notamment au contexte et aux termes employés par M. Mişin, on ne saurait exclure, en
justifie pas un niveau de protection particulièrement élevé (ibidem). Il importe donc effet, que la note visait à exercer une pression sur le parquet général, nonobstant la
d’établir si la personne concernée, en procédant à la divulgation, a agi de bonne foi et mention selon laquelle l’affaire devait être « examinée dans le strict respect de la loi »
avec la conviction que l’information était authentique, si la divulgation servait l’intérêt (paragraphe 10 ci-dessus).
général et si l’auteur disposait ou non de moyens plus discrets pour dénoncer les 87. La Cour constate au demeurant que le président moldave a fait campagne contre la
agissements en question. pratique des ingérences politiques dans la justice pénale et que le sujet a largement défrayé
78. Enfin, l’évaluation de la proportionnalité de l’ingérence par rapport au but légitime la chronique des médias moldaves (paragraphe 11 ci-dessus). Elle prend note par ailleurs
poursuivi passe par une analyse attentive de la peine infligée et de ses des rapports d’organisations internationales non gouvernementales (paragraphes 40-42
conséquences(Fuentes Bobo, précité, § 49). ci-dessus) qui jugent préoccupants le dysfonctionnement de la séparation des pouvoirs et
79. La Cour va maintenant examiner les faits de l’espèce à la lumière des principes le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire en Moldova.
susmentionnés. 88. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que les lettres divulguées par le
b) Application des principes susmentionnés au cas d’espèce requérant avaient un rapport avec des questions telles que la séparation des pouvoirs,
i. Sur le point de savoir si le requérant disposait ou non d’autres moyens pour procéder à la l’abus de fonctions de la part de personnalités politiques de haut rang et l’attitude du
divulgation gouvernement à l’égard des brutalités policières (paragraphes 10 et 14 ci-dessus). Il ne
80. Le requérant allègue qu’il ne disposait d’aucun autre moyen effectif pour procéder à fait aucun doute qu’il s’agit là de questions très importantes, relevant du débat politique
la divulgation. Le Gouvernement plaide au contraire que l’intéressé aurait pu soulever la dans une société démocratique, dont l’opinion publique a un intérêt légitime à être
question d’abord auprès de ses supérieurs puis, le cas échéant, auprès du Parlement ou informée.
du médiateur. iii. L’authenticité des informations divulguées
81. La Cour relève que ni la législation moldave ni le règlement intérieur du parquet 89. L’authenticité des lettres divulguées par le requérant au Jurnal de Chişinău ne fait l’objet
général ne contenaient de dispositions concernant la divulgation par des salariés d’aucune controverse entre les parties (paragraphe 26 ci-dessus).

13
iv. Le préjudice causé au parquet général le Gouvernement, il s’agissait là d’une communication normale entre organes de l’Etat,
90. La Cour observe qu’il est dans l’intérêt général de maintenir la confiance des citoyens sans rapport avec la décision d’abandonner les poursuites contre les policiers. Dès lors,
dans l’indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuite d’un Etat la Cour juge difficilement justifiable l’imposition d’une sanction aussi sévère.
(voir, mutatis mutandis, Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 34, série A no 313).
Les lettres adressées par le requérant au journal n’avaient pas été rédigées par des agents c) Conclusion
du parquet général et, d’après le Gouvernement, celle de M. Mişin tenait de la forme 97. Consciente de l’importance du droit à la liberté d’expression sur des questions
normale de communication entre organes de l’Etat et elle n’a joué aucun rôle dans la d’intérêt général, du droit des fonctionnaires et des autres salariés de signaler les conduites
décision du parquet général d’abandonner les poursuites contre les policiers. Toutefois, ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, des devoirs et responsabilités
la conclusion tirée par le journal dans ses articles, à savoir que le parquet général faisait des salariés envers leurs employeurs et du droit de ceux-ci de gérer leur personnel, la
l’objet d’une influence indue, peut avoir produit de forts effets négatifs sur la confiance Cour, après avoir pesé les divers autres intérêts ici en jeu, conclut que l’atteinte portée au
du public dans l’indépendance de cette institution. droit à la liberté d’expression du requérant, en particulier à son droit de communiquer
91. Cela dit, la Cour considère que l’intérêt général à ce que soient divulguées les des informations, n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ».
informations faisant état de pressions et d’agissements illicites au sein du parquet est si Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
important dans une société démocratique qu’il l’emporte sur l’intérêt qu’il y a à maintenir
la confiance du public dans le parquet général. Elle rappelle à cet égard qu’une libre
discussion des problèmes d’intérêt public est essentielle en démocratie et qu’il faut se
garder de décourager les citoyens de se prononcer sur de tels problèmes (Barfod c.
Danemark, 22 février 1989, § 29, série A no149). Cas pratique :
v. La bonne foi du requérant
92. Le requérant soutient qu’en divulguant les lettres il avait pour seule intention de Mr. Michel est le directeur de la sous division du service municipal du logement de la ville
contribuer à la lutte contre la corruption et le trafic d’influence, ce que son employeur n’a de Saint André lez Lille. Depuis 20 ans, il est en charge de sanctionner les détournements
du reste pas contesté. Le Gouvernement, pour sa part, exprime des doutes sur la bonne d’affectation de biens immobiliers. Tout allait pour le mieux jusqu’à ce qu’il entende, au
foi du requérant, arguant notamment de ce que l’intéressé n’a pas fourni cette explication détour d’une conversation dans la cafétéria, que le maire s’apprête à l’informer de la
devant les juridictions internes. suppression imminente de la sous division qu’il dirige. Blessé dans son orgueil, il ne dit
93. Eu égard aux éléments en sa possession, la Cour n’aperçoit aucune raison de rien et retourne discrètement dans son bureau. N’arrivant pas à se concentrer sur le
penser que le requérant était motivé par le désir de tirer un avantage personnel de son dossier en cours, il se rappelle une affaire douteuse datant de l’année précédente, relative
acte, qu’il nourrissait un grief personnel à l’égard de son employeur ou de M. Mişin, ou à la décision du maire d’accorder un permis de démolir qu’il soupçonnait d’avantager un
qu’il était mû par une quelconque autre intention cachée. Elle ne juge pas déterminant le opérateur économique local. Dès le lendemain, il accuse dans le cadre de la réunion du
fait que le requérant n’ait pas présenté devant les juridictions internes ses arguments personnel, le maire « de corrompu fini » et adresse un courrier écrit au journal local en
relatifs à la lutte contre la corruption et le trafic d’influence. Elle estime que l’intéressé référence à cette affaire.
peut fort bien, en effet, s’être attaché à contester les motifs invoqués par son employeur
à l’appui de sa révocation et avoir jugé inutile de soulever des points que son employeur Après le scandale de ses déclarations publiques, la mairie décide de lui infliger la sanction
ne contestait pas. la plus lourde possible : son licenciement lui est notifié les jours suivants.
94. Dès lors, la Cour conclut que le requérant était bien animé des intentions indiquées
par lui et qu’il a agi de bonne foi. Mr Michel conteste son licenciement devant le TA. Après des jugements au fond, le CE
vi. La sévérité de la sanction jugeant en dernier ressort estime d’une part, qu’après un examen approfondi, la décision
95. Enfin, la Cour note que le requérant s’est vu infliger la sanction la plus lourde du maire de délivrer le permis de démolir est légale et d’autre part, que le licenciement
possible. Alors qu’il était loisible aux autorités d’imposer une sanction plus légère, elles est fondé. Il rend son arrêt le 10 décembre 2018.
ont choisi de révoquer le requérant, ce qui est sans nul doute une mesure très rigoureuse
(Vogt, précité, § 60). Non seulement cette sanction a eu des répercussions très négatives
sur la carrière du requérant, mais elle risquait également d’avoir un effet dissuasif sur Se considérant comme le « Edward Snowden » de la mairie de Saint André lez Lille, il
d’autres agents du parquet et de les décourager de signaler des agissements irréguliers. En estime qu’il était dans l’intérêt des habitants de mettre en lumière une certaine proximité
outre, compte tenu de l’écho donné par les médias à l’affaire du requérant, la sanction entre le maire et ledit opérateur économique. Sur les conseils de son avocat, il compte
pouvait avoir un effet dissuasif non seulement sur les agents du parquet, mais aussi sur alors saisir la Cour EDH.
d’autres fonctionnaires et salariés.
96. La Cour observe que le Gouvernement soutient que le requérant a en fait « volé Le maire, inquiet de cette nouvelle procédure dont il n’a jamais entendu parler, vous
» la lettre en question, que celle-ci revêtait un caractère secret et constituait une pièce d’un demande si cette voie de recours lui est vraiment ouverte, sur quel fondement et quelles
dossier pénal et que M. Mişin n’y exerçait aucune pression indue sur le procureur. Pour sont ses chances de succès.

14
15

Vous aimerez peut-être aussi