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UNIVERSITÉ JEAN MOULIN - LYON 3 Doc. 9 : Cour EDH, 21 juillet 2015, Oliari et autres c. Italie, req.

n° 18766/11 36030/11
FACULTÉS DE DROIT (extraits en anglais).
Année universitaire 2022-2023
C – La gestation pour autrui et la procréation médicalement assistée

Doc. 10 : Article 1 du projet de loi n° 2187 relatif à la bioéthique.


LICENCE DE DROIT PRIVE Doc. 11 : Cour EDH, 26 juin 2014, Mennesson c. France, n° 65192/11 ; Labassée c. France,
SÉRIES A et C n° 65941/11.
DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX Doc. 12 : CE, 12 décembre 2014, Association des juristes pour l’enfance, n° 367324.
Doc. 13 : Cour EDH, 24 janvier 2017, Paradiso et Campanelli c. Italie, req n°25358/12.
Doc. 14 : Cass. Ass. Plén., 3 juillet 2015, n° 15-50002.
Doc. 15 : Cass., 5 juillet 2017, n° 15-28597 et n° 16-16455.
Cours magistral : Julie FERRERO et Loïc ROBERT Doc. 16 : Cass, Ass. Plén, 5 octobre 2018, n° 10-19.053
Travaux dirigés : Thomas LEONE, Romane PONCET, Mathieu ROUY, Maïlys TETU Doc. 17 : Cour EDH, 12 décembre 2019, C et E. c. France, n° 1462/18 et 17348/18.
Doc. 18 : Cass., 18 décembre 2019, n° 18-14.751 (relatif à la PMA ; voir également deux
Séance 6 : Les couples de même sexe et les méthodes de arrêts du même jour relatifs à la GPA. Arrêts n° 18-11.815 et 18-12.327).
procréation (GPA et PMA)
Doc. 19 : CEDH, 5 décembre 2019, Petithory Lanzmann c. France, n° 23038/19.
I- Sources textuelles
Relire l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme :
Doc. 1 : Code civil (Articles 9, 16-7 et 16-9).
document 7 séance 1.
Doc. 2 : Code pénal (extraits).
Doc. 3 : Convention européenne des droits de l’homme (articles 8, 12 et 14). Bibliographie :
Doc. 4 : Pacte international sur les droits civils et politiques, 16 décembre 1966
(extrait). CHIU V., Le secret des origines en droit constitutionnel des États de l’Europe
Doc. 5 : Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. occidentale : vers l’émergence d’un droit de connaître ses origines ? RIDC, 2014, p. 53.
COTTET M., « Parenté d’intention : quand l’avis de la CEDH se fait attendre », D.
II- Sources jurisprudentielles actu., 8 avr. 2019.
FULCHIRON H., « Premier avis consultatif de la Cour européenne des droits de
A – Le droit de connaître ses origines l’homme : un dialogue exemplaire ? » D., 2019 p.1084.
Doc. 6 : Cour de cassation, 5 octobre 2016, n° 15-25507. LE MAIGAT P., « Mère d’intention et gestation pour autrui : la Cour de cassation à
l’épreuve du dialogue des juges et de la filiation désincarnée », Gaz. Pal., n° 38, p. 15
B – Le couple homosexuel MARGUÉNAUD J.-P., « Le refus de la procréation médicalement assistée à un couple
Doc. 7 : Cour EDH, 30 Juin 2016, Taddeucci et McCall c. Italie, requête n° 51362/09. d’homosexuelles mariées ou la subsidiarité otage de la proportionnalité », RTD Civ.,
Doc. 8 : Cour EDH, 24 juin 2010, Schalk et Kopf contre Autriche, requête n°30141/04. 2018, n° 2, pp. 349 et s.

1
SUDRE F. (dir.), Le droit au respect de la vie privée au sens de la Convention européenne des droits
de l’Homme, Bruylant, Nemesis, 2005.

FERRERO J., « L'homoparentalité devant la CEDH : éventuelles répercussions de


la loi française ouvrant le mariage aux couples de même sexe », Recueil Dalloz,
Dalloz, 2013, pp.1286-1287.
HERBRAND C., « La filiation à l'épreuve de la présomption de « paternité » pour
les couples de même sexe : questionnements et perspectives à partir du cas belge »,
Droit et société, vol. 82, n° 3, 2012, pp. 689-712.
BATTEUR A., « Réflexions sur la filiation adoptive dans le cadre de la loi ouvrant
le mariage aux personnes de même sexe », Cahiers de la recherche sur les droits
fondamentaux ». Disponible sur https://journals.openedition.org/crdf/4630,
FULCHIRON H., « Homoparenté v. homoparentalité ? Le droit français face à la
question homoparentale », Revue internationale de droit comparé, vol. 64, 2012. pp. 93-
111. Disponible https://www.persee.fr/docAsPDF/ridc_0035-
3337_2012_num_64_1_20176.pdf;

Travail obligatoire :

1. Résumez l’évolution du droit interne en matière de retranscription du lien


de filiation des enfants nés à l’étranger d’une GPA.

2. Définissez la marge d’appréciation des États.

Travail facultatif : Dissertation : Le droit à l’enfant.

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I- Sources textuelles II- Sources jurisprudentielles
Doc. 1 : Code civil (extraits) A – Le droit de connaître ses origines
Article 9 : Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Doc. 6 : Cass. 1er Civ., 5 octobre 2016, n° 15-25507
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre,
Sur le moyen unique :
saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 13 mai 2015), que Mme X... épouse Y... est née le 9 février
y a urgence, être ordonnées en référé.
1946 de Mme Z... et a été reconnue le 30 juin 1965 par Roger X..., qui l'a légitimée par son mariage
Article 16-7 : Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle.
avec sa mère le même jour ; que ce dernier est décédé le 12 juillet 2001 ; que, le 25 novembre 2005,
Article 16-9 : Les dispositions du présent chapitre sont d'ordre public.
Mme Y... a été reconnue par Robert A..., lequel est décédé le 13 mai 2006 ; qu'un jugement
Doc. 2 : Code pénal (extraits) irrévocable du 20 novembre 2007 a déclaré irrecevable comme prescrite la contestation de la
reconnaissance de Roger X... formée par Mme Y... et sa mère et a annulé la reconnaissance de
Article 227-12 : (...) Est puni [d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende] le fait de s’entremettre paternité effectuée par Robert A... ; que, par acte du 29 juillet 2011, Mme Y... a assigné les enfants
entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant de Robert A... (les consorts A...) sur le fondement de l'article 327 du code civil, afin que soit
en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont ordonnée une expertise biologique et que sa filiation avec Robert A... soit établie ;
portées au double. Attendu qu'elle fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :
Article 227-13 : La substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l'état 1°/ que l'effectivité du droit de connaître ses origines et de voir établie la filiation correspondante,
civil d'un enfant est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. garantis par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
Doc. 3 : Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales commande au juge national de délaisser les restrictions posées par des dispositions
internes dès lors que celles-ci portent une atteinte substantielle au droit revendiqué ; qu'est à cet
fondamentales (extraits)
égard excessive la restriction procédant de la prescription de l'action en contestation de la paternité
Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale : Toute personne a droit au respect de sa vie prévue par les articles 320 et 321 du code civil quand le délai de prescription ne peut commencer
privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. à courir avant que l'enfant, devenu adulte, n'ait eu connaissance de l'identité de son père biologique
Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est ; qu'en retenant pour point de départ de la prescription de l'action en contestation de paternité le
prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité 9 février 1967, date de la majorité de la requérante, sans tenir compte de l'ignorance de sa filiation
nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des réelle, qui ne sera découverte qu'en 2005, la cour a méconnu les exigences de l'article 8 de la
infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que toute restriction au droit à la connaissance de ses origines doit être nécessaire et
Article 12 – Droit au mariage : A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de proportionnée ; qu'en retenant que l'intérêt de la famille du père légitime, décédé avant la
fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit révélation des origines de la requérante, justifiait une restriction au droit à la connaissance de ses
Article 14 – Interdiction de discrimination : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente origines, sans autre examen de la position propre du père biologique qui, de son vivant, souhaitait
Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, voir reconnaître ledit lien de filiation, la cour n'a pas opéré la balance proportionnée des intérêts
la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une en présence et méconnu de ce chef encore les exigences de l'article 8 de la Convention de
minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ qu'aux termes des articles 146 du code de procédure civile et 8 de la Convention de sauvegarde
Doc. 4 : Pacte international sur les droits civils et politique, 16 décembre 1966 des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'expertise biologique est de droit en matière
de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; qu'en refusant d'examiner la
Article 17 : 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile
demande d'expertise biologique formulée par la requérante, lors même que le père biologique avait
ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
consenti de son vivant à la réalisation d'un test génétique et souhaitait voir reconnaître le lien de
2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
filiation dont s'agit, sans s'expliquer autrement sur l'éventuelle légitimité d'interdire à la requérante
Doc 5 : Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de connaître ses origines et d'établir sa filiation, la cour a derechef méconnu les textes susvisés ;
Mais attendu, en premier lieu, que, contrairement aux énonciations de la première branche du
Article 7 : Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. moyen, la cour d'appel n'a pas déclaré l'action en contestation de paternité de Mme Y... irrecevable
Article 9 : Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en comme prescrite, mais a constaté l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 20 novembre
régissent l'exercice. 2007 et, par suite, l'existence d'une filiation définitivement établie entre Mme Y... et Roger X...,
faisant obstacle, en application de l'article 320 du Code civil, à l'établissement d'une autre filiation
qui la contredirait ;
3
Attendu, en second lieu, d'abord, que si l'impossibilité pour une personne de faire reconnaître son saurait connaître une « vie familiale » aux termes de l’article 8. Elle a donc estimé que la relation
lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie qu’entretenaient MM. Schalk et Kopf, un couple homosexuel cohabitant de facto de manière
privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et stable, relevait de la notion de « vie familiale » au même titre que celle d’un couple hétérosexuel se
des libertés fondamentales, l'obstacle opposé à Mme Y... est prévu à l'article 320 du Code civil et trouvant dans la même situation (voir également X et autres c. Autriche [GC], no 19010/07, § 95,
poursuit un but légitime en ce qu'il tend à garantir la stabilité du lien de filiation et à mettre les CEDH 2013). Elle ne voit aucune raison de parvenir à des conclusions différentes en ce qui
enfants à l'abri des conflits de filiations ; concerne les requérants en la présente affaire.
Attendu, ensuite, que l'arrêt relève que Roger X... a reconnu Mme Y... en 1965 et a été son père 59. Elle relève de surcroît que le Gouvernement ne conteste pas que le refus d’octroyer au
aux yeux de tous jusqu'à son décès en 2001, sans que personne ne remette en cause ce lien de deuxième requérant un permis de séjour, refus qui a été confirmé par la Cour de cassation, a
filiation conforté par la possession d'état ; qu'il ajoute que Mme Y..., elle-même, a disposé d'un impliqué pour l’intéressé l’obligation légale de quitter l’Italie […]. Cette circonstance a donc
délai de trente ans à compter de sa majorité pour contester la paternité de Roger X..., ce qu'elle empêché les intéressés de continuer à vivre ensemble dans ce pays. Elle a ainsi constitué une
n'a pas fait, et qu'elle a hérité de ce dernier à son décès ; qu'ayant ainsi constaté que l'intéressée ingérence dans l’un des éléments essentiels de leur « vie familiale » telle qu’ils avaient souhaité
avait disposé de procédures lui permettant de mettre sa situation juridique en conformité avec la l’organiser et donc dans leur droit au respect de celle-ci tel que garanti par l’article 8 de la
réalité biologique, la cour d'appel a pu en déduire que l'atteinte portée au droit au respect de sa vie Convention.
privée n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ; qu'en déclarant irrecevable 60. Pour ce qui est de l’argument du Gouvernement selon lequel les articles 8 et 14 de la
l'action en recherche de paternité et, par suite, la demande d'expertise biologique, elle n'a donc pas Convention ne trouvent pas à s’appliquer en raison de l’absence, tant en droit italien qu’en droit
méconnu les exigences résultant de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des de l’UE, des conditions légales requises pour la reconnaissance au deuxième requérant du statut
libertés fondamentales ; de « membre de la famille » […], la Cour observe que l’existence éventuelle d’une base légale
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; justifiant le refus d’octroyer le permis de séjour n’implique pas forcément qu’il n’y a pas eu
ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés. Cette base légale ne
B – Le couple homosexuel permet pas non plus à l’État défendeur de décliner toute responsabilité au regard de la Convention
Doc. 7 : Cour EDH, 30 Juin 2016, Taddeucci et McCall c. Italie, requête […].
93. Bien que la protection de la famille traditionnelle puisse, dans certaines circonstances,
n° 51362/09
constituer un but légitime au regard de l’article 14, la Cour considère que, dans le domaine
8. Les requérants forment un couple homosexuel depuis 1999. Ils ont résidé en Nouvelle-Zélande, concerné, à savoir l’octroi d’un permis de séjour pour raison familiale à un partenaire étranger
avec le statut de couple non marié, jusqu’en décembre 2003, date à laquelle ils décidèrent de homosexuel, elle ne saurait constituer une raison « particulièrement solide et convaincante » de
s’installer en Italie en raison de la précarité de l’état de santé du premier requérant. nature à justifier, dans les circonstances de l’espèce, une discrimination fondée sur l’orientation
9. Pendant leur première période de résidence en Italie, le deuxième requérant bénéficia d’une sexuelle (voir, mutatis mutandis, Vallianatos et autres, précité, § 92).
carte de séjour temporaire pour étudiant. Il demanda par la suite l’octroi d’un permis de séjour 94. La Cour souligne qu’en l’espèce, elle n’est pas appelée à examiner in abstracto la question de
pour raison familiale, […]. savoir si l’État italien était obligé de prévoir, pour les couples du même sexe, une forme de
10. Le 18 octobre 2004, le chef de la police de Livourne rejeta sa demande au motif que les critères reconnaissance légale au moment où le deuxième requérant s’est vu refuser le permis de séjour
prévus par la loi n’étaient pas remplis. par le chef de la police de Livourne (18 octobre 2004) ou bien lorsque cette décision a été
56. L’article 8 de la Convention ne saurait s’interpréter comme comportant pour un État confirmée dans le cadre de la procédure judiciaire successive, clôturée par l’arrêt de la Cour de
contractant une obligation générale de respecter le choix, par une famille, de son domicile cassation, déposé au greffe le 17 mars 2009 (voir, mutatis mutandis, Vallianatos et autres, précité,
commun et d’accepter l’installation de conjoints non nationaux dans le pays ou d’autoriser le § 78). Eu égard à la manière où le grief des requérants a été formulé, la Cour se limitera à évaluer
regroupement familial sur son territoire (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai si, dans le contexte spécifique du refus d’octroyer un permis de séjour au deuxième requérant, les
1985, § 68, série A no 94, […]). Néanmoins, les décisions prises par les États en matière décisions des autorités italiennes étaient basées sur une justification objective et raisonnable,
d’immigration peuvent, dans certains cas, constituer une ingérence dans l’exercice du droit au compte tenu du fait que l’application des dispositions du décret législatif no 286 de 1998 a
respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention notamment lorsque les empêché les requérants de poursuivre leur vie familiale commune et leur relation stable et sérieuse
intéressés ont, dans l’État d’accueil, des liens personnels ou familiaux suffisamment forts qui en Italie. Il est vrai que la loi italienne ne traitait pas différemment les couples hétérosexuels non
risquent d’être gravement compromis en cas d’application de la mesure en question […]. mariés des couples homosexuels (paragraphe 82 ci-dessus), mais limitait la notion de « membres
57. En l’espèce, la Cour note que les requérants, qui forment un couple homosexuel depuis 1999, de la famille » aux conjoints hétérosexuels. Cependant, le fait d’appliquer la même règle restrictive
se sont installés en Italie en décembre 2003 […]. Le deuxième requérant a pu initialement y résider découlant du décret législatif no 286 de 1998 aux couples hétérosexuels non régularisés et aux
grâce à une carte de séjour temporaire pour étudiant […]. Lorsque, le 18 octobre 2004, le chef de couples homosexuels, dans le seul but de protéger la famille traditionnelle […], a soumis les
la police de Livourne a refusé de lui octroyer un permis de séjour pour raison familiale […], les requérants à un traitement discriminatoire. En effet, sans justification objective et raisonnable,
requérants cohabitaient déjà en Italie depuis environ dix mois. l’État italien a omis de les traiter différemment des couples hétérosexuels et de tenir compte de la
58. La Cour rappelle que, dans son arrêt Schalk et Kopf (précité, § 94), elle a jugé qu’il était artificiel capacité de ces derniers d’obtenir une reconnaissance légale de leur relation, et donc de satisfaire
de continuer à considérer que, au contraire d’un couple hétérosexuel, un couple homosexuel ne
4
aux exigences du droit interne aux fins de l’octroi du permis de séjour de famille, une possibilité personne aux fins du mariage ». [§ 46] [La modification apportée ultérieurement à la jurisprudence
dont les requérants ne jouissaient pas (Thlimmenos, précité, § 44). relative à la question particulière des transsexuels avec l'arrêt Christine Goodwin c. Royaume-Uni ([GC],
95. La Cour observe par ailleurs que c’est précisément l’absence de la possibilité, pour les couples no 28957/95, CEDH 2002-VI) ne permet pas de conclure qu'il faut apporter le moindre
homosexuels, d’avoir accès à une forme de reconnaissance légale qui a placé les requérants dans changement à l'appréciation de la question générale qui se trouve posée en l'espèce.]
une situation différente de celle d’un couple hétérosexuel non marié […]. À supposer même qu’à
l’époque litigieuse la Convention n’obligeait pas le Gouvernement à prévoir, pour les personnes II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 12 DE LA CONVENTION
du même sexe engagées dans une relation stable et sérieuse, la possibilité de conclure une union 61. Dès lors, prenant en compte l’article 9 de la Charte, la Cour ne considère plus que le droit de
civile ou un partenariat enregistré attestant leur statut et leur garantissant certains droits essentiels, se marier consacré par l’article 12 de la Convention doive en toutes circonstances se limiter au
ceci ne saurait affecter en rien le constat qu’à la différence d’un couple hétérosexuel, le deuxième mariage entre deux personnes de sexe opposé. C’est pourquoi on ne saurait dire que l’article 12
requérant ne disposait, en Italie, d’aucun moyen légal pour se voir reconnaître le statut de « ne s’applique pas au grief des requérants. Néanmoins, en l’état actuel des choses, l’autorisation ou
membre de la famille » du premier requérant et pour pouvoir dès lors bénéficier d’un permis de l’interdiction du mariage homosexuel est régie par les lois nationales des États contractants.
séjour pour raison familiale. 62. A cet égard, la Cour observe que le mariage possède des connotations sociales et culturelles
96. La Cour note que le Gouvernement n’a pas indiqué d’autres buts légitimes susceptibles de profondément enracinées susceptibles de différer notablement d'une société à une autre. Elle
justifier la discrimination dénoncée par les requérants. Partant, elle considère que, dans le cadre rappelle qu'elle ne doit pas se hâter de substituer sa propre appréciation à celle des autorités
de la procédure que les requérants ont engagée aux fins de l’obtention du permis de séjour pour nationales, qui sont les mieux placées pour apprécier les besoins de la société et y répondre (B. et
raison familiale, le fait de ne pas avoir traité les intéressés différemment des couples hétérosexuels L. c. Royaume-Uni, précité, § 36).
non mariés, qui seuls avaient accès à une forme de régularisation de leur union, n’avait aucune 63. En bref, la Cour conclut que l'article 12 n'impose pas au gouvernement défendeur l'obligation
justification objective et raisonnable. Aux yeux de la Cour, l’interprétation restrictive appliquée au d'ouvrir le mariage à un couple homosexuel tel que celui des requérants.
deuxième requérant de la notion de « membre de la famille » n’a pas dûment tenu compte de la III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE
situation personnelle des requérants et notamment de l’impossibilité pour eux d’obtenir en Italie 8 DE LA CONVENTION
un mode de reconnaissance juridique de leur relation […]. 65. Sous l'angle de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention, les requérants se plaignent
d'avoir subi une discrimination fondée sur leur orientation sexuelle au motif que le droit de se
Doc. 8 : Cour EDH, 24 juin 2010, Schalk et Kopf contre Autriche, requête marier leur a été refusé et qu'ils n'avaient pas d'autre possibilité de faire reconnaître juridiquement
n°30141/04 leur relation avant l'entrée en vigueur de la loi sur le partenariat enregistré.
7. Les requérants sont nés respectivement en 1962 et 1960. Ils forment un couple homosexuel et 90. Nul ne conteste en l'espèce que la relation qu'entretiennent deux personnes de même sexe
vivent à Vienne. telles que les requérants relève de la notion de « vie privée » au sens de l'article 8. Toutefois, à la
8. Le 10 septembre 2002, les requérants demandèrent au bureau de l'état civil (Standesamt) de lumière des commentaires des parties, la Cour juge approprié de se pencher sur la question de
procéder aux formalités nécessaires pour leur permettre de se marier. savoir si leur relation est également constitutive d'une « vie familiale ».
9. Par une décision du 20 décembre 2002, la mairie (Magistrat) de Vienne rejeta la demande des 91. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante relative aux couples hétérosexuels, la
requérants. S'appuyant sur l'article 44 du code civil (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch), elle dit que notion de famille au sens où l'entend cet article ne se borne pas aux seules relations fondées sur le
seules des personnes de sexe opposé pouvaient contracter mariage. Elle ajouta que, d'après la mariage et peut englober d'autres liens « familiaux » de fait lorsque les parties cohabitent en dehors
jurisprudence constante, un mariage conclu entre deux personnes de même sexe était nul et non du mariage. Un enfant issu d'une telle relation s'insère de plein droit dans cette cellule « familiale »
avenu et conclut que, les requérants étant deux hommes, ils n'avaient pas capacité pour contracter dès sa naissance et par le fait même de celle-ci (Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 43, CEDH
mariage. 2000-VIII, Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 44, série A no 290, et Johnston et autres c. Irlande, 18
13. Le 12 décembre 2003, la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) débouta les requérants. décembre 1986, § 56, série A no 112).
Son arrêt se lit ainsi, en ses passages pertinents : 92. Néanmoins, la Cour a seulement admis dans sa jurisprudence que la relation affective et
« Ni le principe d'égalité énoncé dans la Constitution fédérale autrichienne ni la Convention sexuelle qui unit un couple homosexuel relève de la « vie privée », mais non qu'elle se rapporte au
européenne des droits de l'homme (comme le montrent les termes « l'homme et la femme » utilisés domaine de la « vie familiale », même lorsqu'est en jeu une relation entre deux personnes vivant
à l'article 12) n'exigent que la notion de mariage, axée sur la possibilité fondamentale d'être parent, ensemble. Elle est parvenue à cette conclusion après avoir observé que, malgré l'évolution
soit étendue à d'autres types de relations. De plus, l'essence du mariage n'est nullement touchée constatée dans plusieurs Etats européens tendant à la reconnaissance légale et juridique des unions
par le fait que les époux peuvent divorcer (ou se séparer) ni par la circonstance que la possibilité de fait stables entre homosexuels, il s'agit là d'un domaine dans lequel les Etats contractants, en
ou le désir d'avoir des enfants tienne aux époux eux-mêmes. La Cour européenne des droits de l'absence d'un dénominateur commun amplement partagé, jouissent encore d'une grande marge
l'homme a jugé dans son arrêt Cossey c. Royaume-Uni (27 septembre 1990, série A no 184 – qui d'appréciation (Mata Estevez c. Espagne (déc.), no 56501/00, CEDH 2001-VI, et autres références
portait sur la situation particulière de transsexuels) que la limitation du mariage à ce concept citées)..
« traditionnel » se justifiait objectivement, observant qu'elle voyait « dans l'attachement audit concept 94. Eu égard à cette évolution, la Cour considère qu'il est artificiel de continuer à considérer que,
traditionnel un motif suffisant de continuer d'appliquer des critères biologiques pour déterminer le sexe d'une au contraire d'un couple hétérosexuel, un couple homosexuel ne saurait connaître une « vie
familiale » aux fins de l'article 8. En conséquence, la relation qu'entretiennent les requérants, un
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couple homosexuel cohabitant de fait de manière stable, relève de la notion de « vie familiale » Doc. 9 : Cour EDH, 21 juillet 2015, Oliari et autres c. Italie, req. n° 18766/11
[…]. 36030/11 (extraits en anglais)
96. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu'un problème se pose au regard de l'article
14 il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations 10. In July 2008 these two applicants, who were in a committed stable relationship with each other,
comparables. Une telle distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et declared their intention to marry, and requested the Civil Status Office of the Trent Commune to
raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport issue the relevant marriage banns.
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les Etats
contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle 11. On 25 July 2008 their request was rejected.
mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions (…)
de traitement (Burden, précité, § 60). (ii) Recent relevant case-law and the scope of the present case
98. L'étendue de la marge d'appréciation varie selon les circonstances, le domaine et le contexte ;
la présence ou l'absence d'un dénominateur commun aux systèmes juridiques des Etats 163. The Court has already been faced with complaints concerning the lack of recognition
contractants peut constituer un facteur pertinent à cet égard (Petrovic, précité, § 38). of same-sex unions. However, in the most recent case of Schalk and Kopf v. Austria, when the
99. Bien que les parties ne se soient pas expressément prononcées sur le point de savoir si les Court delivered judgment the applicants had already obtained the opportunity to enter into a
requérants se trouvaient dans une situation comparable aux couples hétérosexuels, la Cour se registered partnership. Thus, the Court had solely to determine whether the respondent State
fonde sur la prémisse selon laquelle les couples homosexuels sont, tout comme les couples should have had provided the applicants with an alternative means of legal recognition of their
hétérosexuels, capables de s'engager dans des relations stables. Les requérants se trouvent donc partnership any earlier than it did (that is, before 1 January 2010). Having noted the rapidly
dans une situation comparable à celle d'un couple hétérosexuel pour ce qui est de leur besoin de developing European consensus which had emerged in the previous decade, but that
reconnaissance juridique et de protection de leur relation. there was not yet a majority of States providing for legal recognition of same-sex couples
105. Force est pour la Cour de constater que se fait jour un consensus européen tendant à la (at the time nineteen states), the Court considered the area in question to be one of
reconnaissance juridique des couples homosexuels et que cette évolution s'est en outre produite evolving rights with no established consensus, where States enjoyed a margin of
avec rapidité au cours de la décennie écoulée. Néanmoins, les Etats qui offrent une reconnaissance appreciation in the timing of the introduction of legislative changes (§ 105). Thus, the
juridique aux couples homosexuels ne constituent pas encore la majorité. Le domaine en cause Court concluded that, though not in the vanguard, the Austrian legislator could not be
doit donc toujours être considéré comme un secteur où les droits évoluent, sans consensus établi, reproached for not having introduced the Registered Partnership Act any earlier than 2010
et où les Etats doivent aussi bénéficier d'une marge d'appréciation pour choisir le rythme (see ibid., § 106). In that case the Court also found that Article 14 taken in conjunction with Article
d'adoption des réformes législatives […]. 8 did not impose an obligation on Contracting States to grant same-sex couples access to marriage
106. La loi autrichienne sur le partenariat enregistré, qui est entrée en vigueur le 1 er janvier 2010, (ibid, § 101).
reflète l'évolution décrite ci-dessus et s'inscrit ainsi dans le cadre du consensus européen qui est
en train d'apparaître. Même s'il n'est pas à l'avant-garde, le législateur autrichien ne saurait se voir 164. In the present case the applicants still today have no opportunity to enter into a civil
reprocher de ne pas avoir créé plus tôt la loi sur le partenariat enregistré […]. union or registered partnership (in the absence of marriage) in Italy. It is thus for the Court
107. Enfin, la Cour entend se pencher sur l'argument des requérants selon lequel ils subissent to determine whether Italy, at the date of the analysis of the Court, namely in 2015, failed to
encore une discrimination en tant que couple homosexuel à raison des différences existant entre, comply with a positive obligation to ensure respect for the applicants’ private and family life, in
d'une part, le statut conféré par le mariage et, d'autre part, celui découlant du partenariat enregistré. particular through the provision of a legal framework allowing them to have their relationship
109. La Cour observe que la loi sur le partenariat enregistré donne aux requérants la possibilité recognised and protected under domestic law.
d'obtenir un statut juridique équivalent ou similaire au mariage à de nombreux égards […]. Les
différences s'agissant des conséquences matérielles sont minimes tandis que celles qui subsistent (iii) Application of the general principles to the present case
quant aux droits parentaux sont importantes. Toutefois, cela correspond dans l'ensemble à la 165. The Court reiterates that it has already held that same-sex couples are just as capable
as different-sex couples of entering into stable, committed relationships, and that they are
tendance observée dans d'autres Etats membres […]. De plus, la Cour n'a pas à se prononcer en in a relevantly similar situation to a different-sex couple as regards their need for legal
l'espèce sur chacune de ces différences de manière détaillée. Par exemple, les requérants n'ayant recognition and protection of their relationship (see Schalk and Kopf, § 99, and Vallianatos,
pas allégué qu'ils étaient directement touchés par les restrictions en matière d'insémination §§ 78 and 81, both cited above). It follows that the Court has already acknowledged that
artificielle ou d'adoption, rechercher si ces différences sont justifiées déborderait du cadre de la same-sex couples are in need of legal recognition and protection of their relationship.
présente requête. Dans l'ensemble, la Cour ne discerne nul signe indiquant que l'Etat défendeur
aurait outrepassé sa marge d'appréciation dans le choix qu'il a fait des droits et obligations conférés 166. That same need, as well as the will to provide for it, has been expressed by the Parliamentary
par le partenariat enregistré. Assembly of the Council of Europe, which recommended that the Committee of Ministers call
110. Partant, la Cour conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention combiné upon member States, among other things, “to adopt legislation making provision for registered
avec l'article 8. partnerships” as long as fifteen years ago, and more recently by the Committee of Ministers (in its
6
Recommendation CM/Rec(2010)5) which invited member States, where national legislation did cited above, §§ 108-09). Indeed, the instant case concerns solely the general need for legal
not recognise nor confer rights or obligations on registered same-sex partnerships, to consider the recognition and the core protection of the applicants as same-sex couples. The Court considers
possibility of providing same-sex couples with legal or other means to address the practical the latter to be facets of an individual’s existence and identity to which the relevant margin should
problems related to the social reality in which they live (see paragraphs 57 and 59 above). apply.
167. The Court notes that the applicants in the present case, who are unable to marry,
have been unable to have access to a specific legal framework (such as that for civil unions 178. In addition to the above, of relevance to the Court’s consideration is also the movement
or registered partnerships) capable of providing them with the recognition of their status and towards legal recognition of same-sex couples which has continued to develop rapidly in
guaranteeing to them certain rights relevant to a couple in a stable and committed relationship. Europe since the Court’s judgment in Schalk and Kopf. To date a thin majority of CoE
(…) States (twenty-four out of forty‑seven, see paragraph 55 above) have already legislated in
favour of such recognition and the relevant protection. The same rapid development can
174. In view of the above considerations, the Court considers that in the absence of be identified globally, with particular reference to countries in the Americas and
marriage, same-sex couples like the applicants have a particular interest in obtaining the Australasia (see paragraphs 65 and 135 above). The information available thus goes to show the
option of entering into a form of civil union or registered partnership, since this would be continuing international movement towards legal recognition, to which the Court cannot but
the most appropriate way in which they could have their relationship legally recognised and which attach some importance (see, mutatis mutandis, Christine Goodwin, § 85, and Vallianatos, § 91,
would guarantee them the relevant protection – in the form of core rights relevant to a couple in both cited above).
a stable and committed relationship – without unnecessary hindrance. Further, the Court has
already held that such civil partnerships have an intrinsic value for persons in the applicants’ 179. Turning back to the situation in Italy, the Court observes that while the Government is usually
position, irrespective of the legal effects, however narrow or extensive, that they would produce better placed to assess community interests, in the present case the Italian legislature seems not to
(see Vallianatos, cited above, § 81). This recognition would further bring a sense of legitimacy to have attached particular importance to the indications set out by the national community,
same-sex couples. including the general Italian population and the highest judicial authorities in Italy.
175. The Court reiterates that in assessing a State’s positive obligations regard must be had to the
fair balance that has to be struck between the competing interests of the individual and of the 180. The Court notes that in Italy the need to recognise and protect such relationships has been
community as a whole. Having identified above the individuals’ interests at play, the Court must given a high profile by the highest judicial authorities, including the Constitutional Court and the
proceed to weigh them against the community interests. Court of Cassation. Reference is made particularly to the judgment of the Constitutional Court
no. 138/10 in the first two applicants’ case, the findings of which were reiterated in a series of
176. Nevertheless, in this connection the Court notes that the Italian Government have subsequent judgments in the following years (see some examples at paragraph 45 above). In such
failed to explicitly highlight what, in their view, corresponded to the interests of the cases, the Constitutional Court, notably and repeatedly called for a juridical recognition
community as a whole. They however considered that “time was necessarily required to achieve of the relevant rights and duties of homosexual unions (see, inter alia, paragraph 16
a gradual maturation of a common view of the national community on the recognition of this new above), a measure which could only be put in place by Parliament.
form of family”. They also referred to “the different sensitivities on such a delicate and deeply felt
social issue” and the search for a “unanimous consent of different currents of thought and feeling, 181. The Court observes that such an expression reflects the sentiments of a majority of
even of religious inspiration, present in society”. At the same time, they categorically denied that the Italian population, as shown through official surveys (see paragraph 144 above). The
the absence of a specific legal framework providing for the recognition and protection of same- statistics submitted indicate that there is amongst the Italian population a popular
sex unions attempted to protect the traditional concept of family, or the morals of society. The acceptance of homosexual couples, as well as popular support for their recognition and
Government instead relied on their margin of appreciation in the choice of times and the modes protection.
of a specific legal framework, considering that they were better placed to assess the feelings of
their community. 182. Indeed, in their observations before this Court, the same Italian Government have not denied
the need for such protection, claiming that it was not limited to recognition (see paragraph 128
177. As regards the breadth of the margin of appreciation, the Court notes that this is dependent above), which moreover they admitted was growing in popularity amongst the Italian community
on various factors. While the Court can accept that the subject matter of the present case may be (see paragraph 130 above).
linked to sensitive moral or ethical issues which allow for a wider margin of appreciation in the
absence of consensus among member States, it notes that the instant case is not concerned with 183. Nevertheless, despite some attempts over three decades (see paragraphs 126 and 46-47
certain specific “supplementary” (as opposed to core) rights which may or may not arise from above) the Italian legislature has been unable to enact the relevant legislation.
such a union and which may be subject to fierce controversy in the light of their sensitive
dimension. In this connection the Court has already held that States enjoy a certain margin of 184. In this connection the Court recalls that, although in a different context, it has previously
appreciation as regards the exact status conferred by alternative means of recognition and the held that “a deliberate attempt to prevent the implementation of a final and enforceable judgment
rights and obligations conferred by such a union or registered partnership (see Schalk and Kopf, and which is, in addition, tolerated, if not tacitly approved, by the executive and legislative branch
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of the State, cannot be explained in terms of any legitimate public interest or the interests of the
community as a whole. On the contrary, it is capable of undermining the credibility and authority Doc. 11 : Cour EDH, 26 juin 2014, Mennesson c. France, requête n° 65192/11
of the judiciary and of jeopardising its effectiveness, factors which are of the utmost importance
from the point of view of the fundamental principles underlying the Convention (see Broniowski I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
v. Poland [GC], no. 31443/96, § 175, ECHR 2004‑V). While the Court is aware of the important 43. Les requérants se plaignent du fait qu’au détriment de l’intérêt supérieur de l’enfant, ils n’ont
legal and factual differences between Broniowski and the present case, it nevertheless considers pas la possibilité d’obtenir en France la reconnaissance de la filiation légalement établie à l’étranger
that in the instant case, the legislature, be it willingly or for failure to have the necessary entre les deux premiers d’entre eux et les troisième et quatrième d’entre eux, nées à l’étranger d’une
determination, left unheeded the repetitive calls by the highest courts in Italy. Indeed the President gestation pour autrui. Ils dénoncent une violation du droit au respect de leur vie privée et familiale
of the Constitutional Court himself in the annual report of the court regretted the lack of reaction que l’article 8 de la Convention garantit […]
on behalf of the legislator to the Constitutional Court’s pronouncement in the case of the first 1. Sur l’existence d’une ingérence
two applicants (see paragraph 43 above). The Court considers that this repetitive failure of 48. Les parties s’accordent à considérer que le refus des autorités françaises de reconnaître
legislators to take account of Constitutional Court pronouncements or the recommendations juridiquement le lien familial unissant les requérants s’analyse en une « ingérence » dans leur droit
therein relating to consistency with the Constitution over a significant period of time, potentially au respect de leur vie familiale, et pose donc une question sous l’angle des obligations négatives
undermines the responsibilities of the judiciary and in the present case left the concerned de l’État défendeur au regard de l’article 8 plutôt que de ses obligations positives.
individuals in a situation of legal uncertainty which has to be taken into account.
2. Sur la justification de l’ingérence
185. In conclusion, in the absence of a prevailing community interest being put forward by the a) « Prévue par la loi » […]
Italian Government, against which to balance the applicants’ momentous interests as identified b) Buts légitimes […]
above, and in the light of domestic courts’ conclusions on the matter which remained unheeded, c) « Nécessaire », « dans une société démocratique » […]
the Court finds that the Italian Government have overstepped their margin of appreciation
α) Considérations générales
and failed to fulfil their positive obligation to ensure that the applicants have available a 78. La Cour observe en l’espèce qu’il n’y a consensus en Europe ni sur la légalité de la gestation
specific legal framework providing for the recognition and protection of their same-sex pour autrui ni sur la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les parents d’intention et les
unions. enfants ainsi légalement conçus à l’étranger. Il ressort en effet de la recherche de droit comparé à
laquelle elle a procédé que la gestation pour autrui est expressément interdite dans quatorze des
186. To find otherwise today, the Court would have to be unwilling to take note of the changing
trente-cinq États membres du Conseil de l’Europe – autres que la France – étudiés ; dans dix
conditions in Italy and be reluctant to apply the Convention in a way which is practical and
d’entre eux, soit elle est interdite en vertu de dispositions générales ou non tolérée, soit la question
effective. de sa légalité est incertaine ; elle est en revanche expressément autorisée dans sept pays et semble
187. There has accordingly been a violation of Article 8 of the Convention. tolérée dans quatre autres. Dans treize de ces trente-cinq États, il est possible d’obtenir la
reconnaissance juridique du lien de filiation entre les parents d’intention et les enfants issus d’une
C – La gestation pour autrui et la procréation médicalement assistée gestation pour autrui légalement pratiquée à l’étranger. Cela semble également possible dans onze
autres de ces États (dont un dans lequel cette possibilité ne vaut peut-être que pour le lien de
Doc. 10 : Article 1 du projet de loi n° 2187 relatif à la bioéthique, transmis auy filiation paternel lorsque le père d’intention est le père biologique), mais exclu dans les onze
Séant le 16 octobre 2019 restants (sauf peut-être la possibilité dans l’un d’eux d’obtenir la reconnaissance du lien de filiation
paternelle lorsque le père d’intention est le père biologique) […].
I. – Le chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique est
79. Cette absence de consensus reflète le fait que le recours à la gestation pour autrui suscite de
ainsi modifié :
délicates interrogations d’ordre éthique. Elle confirme en outre que les États doivent en principe
se voir accorder une ample marge d’appréciation, s’agissant de la décision non seulement
1° Les articles L. 2141-2 et L. 2141-3 sont ainsi rédigés :
d’autoriser ou non ce mode de procréation mais également de reconnaître ou non un lien de
« Art. L. 2141-2. – L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet
filiation entre les enfants légalement conçus par gestation pour autrui à l’étranger et les parents
parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme
d’intention.
non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des
80. Il faut toutefois également prendre en compte la circonstance qu’un aspect essentiel de
demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués
l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation. Il convient donc d’atténuer
selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10.
la marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur en l’espèce.
81. Par ailleurs, les choix opérés par l’État, même dans les limites de cette marge, n’échappent pas
au contrôle de la Cour. […].
« Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut
matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs.
8
82. En l’espèce, la Cour de cassation a jugé que l’ordre public international français faisait obstacle certificat de nationalité française sur le fondement de l’article 18 du code civil, qui dispose qu’« est
à la transcription sur les registres français d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision français l’enfant dont l’un des parents au moins est français », en produisant leurs actes de
étrangère comportant des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français. Elle naissance américains.
a ensuite souligné qu’en droit français, les conventions de gestation pour autrui étaient nulles d’une 91. À cela s’ajoutent des inquiétudes fort compréhensibles quant au maintien de la vie familiale
nullité d’ordre public, et qu’il était contraire au « principe essentiel du droit français » de entre la deuxième requérante et les troisième et quatrième requérantes en cas de décès du premier
l’indisponibilité de l’état des personnes de leur faire produire effet au regard de la filiation. Elle en requérant ou de séparation du couple.
a déduit qu’en ce qu’il donnait effet à une convention de gestation pour autrui, le jugement rendu 92. Cependant, quelle que soit l’importance des risques potentiels pesant sur la vie familiale des
en la cause des requérants par la Cour suprême de Californie était contraire à la conception requérants, la Cour estime qu’il lui faut se déterminer au regard des obstacles concrets que ceux-
française de l’ordre public international, et qu’établis en application de ce jugement, les actes de ci ont dû effectivement surmonter du fait de l’absence de reconnaissance en droit français du lien
naissance américains des troisième et quatrième requérantes ne pouvaient être transcrits sur les de filiation entre les premiers et les troisième et quatrième d’entre eux […]. Or elle note que les
registres d’état civil français […]. requérants ne prétendent pas que les difficultés qu’ils évoquent ont été insurmontables et ne
83. L’impossibilité pour les requérants de voir reconnaître en droit français le lien de filiation entre démontrent pas que l’impossibilité d’obtenir en droit français la reconnaissance d’un lien de
les premiers et les troisième et quatrième d’entre eux est donc, selon la Cour de cassation, un effet filiation les empêche de bénéficier en France de leur droit au respect de leur vie familiale. À ce
du choix d’éthique du législateur français d’interdire la gestation pour autrui. Le Gouvernement titre, elle constate qu’ils ont pu s’établir tous les quatre en France peu de temps après la naissance
souligne à cet égard que le juge interne a dûment tiré les conséquences de ce choix en refusant la des troisième et quatrième requérantes, qu’ils sont en mesure d’y vivre ensemble dans des
transcription des actes de l’état civil étranger des enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles et qu’il n’y
en dehors de la France. Selon lui, le permettre aurait équivalu à accepter tacitement que le droit a pas lieu de penser qu’il y a un risque que les autorités décident de les séparer en raison de leur
interne soit contourné et aurait mis en cause la cohérence du dispositif d’interdiction. situation au regard du droit français […].
86. La Cour estime qu’il faut en l’espèce distinguer le droit des requérants au respect de leur vie 93. La Cour observe en outre que pour rejeter les moyens que les requérants développaient sur le
familiale, d’une part, et le droit des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie privée, terrain de la Convention, la Cour de cassation a souligné que l’annulation de la transcription sur
d’autre part. les registres français des actes de naissance des troisième et quatrième requérantes ne les empêchait
pas de vivre avec les premiers requérants en France […]. La Cour en déduit qu’en l’espèce,
β) Sur le droit des requérants au respect de leur vie familiale conformément à ce qu’elle avait jugé important dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. […], les juges
87. S’agissant du premier point, la Cour considère que le défaut de reconnaissance en droit français français ne se sont pas dispensés d’un examen concret de la situation, puisque, par cette formule,
du lien de filiation entre les premiers et les troisième et quatrième d’entre eux affecte ils ont estimé, implicitement mais nécessairement, que les difficultés pratiques que les requérants
nécessairement leur vie familiale. Elle note à ce titre que, comme le soulignent les requérants, la pourraient rencontrer dans leur vie familiale en l’absence de reconnaissance en droit français du
cour d’appel de Paris a reconnu en l’espèce que la situation ainsi créée engendrait des « difficultés lien établi entre eux à l’étranger ne dépasseraient pas les limites qu’impose le respect de l’article 8
concrètes » (paragraphe 24 ci-dessus). Elle relève en outre que, dans son rapport de 2009 sur la de la Convention.
révision des lois de bioéthique, le Conseil d’État a souligné que, « dans les faits, la vie [des] familles 94. Ainsi, au vu, d’une part, des effets concrets du défaut de reconnaissance en droit français du
est plus compliquée en l’absence de transcription, en raison des formalités à accomplir à l’occasion lien de filiation entre les premiers requérants et les troisième et quatrième d’entre eux sur leur vie
de certains événements de la vie » […]. familiale, et, d’autre part, de la marge d’appréciation dont dispose l’État défendeur, la Cour estime
88. Ainsi, ne disposant pas d’actes d’état civil français ou de livrets de famille français, les que la situation à laquelle conduit la conclusion de la Cour de cassation en l’espèce ménage un
requérants se voient contraints de produire les actes d’état civil américain – non transcrits – juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l’État, pour autant que cela concerne
accompagnés d’une traduction assermentée chaque fois que l’accès à un droit ou à un service leur droit au respect de leur vie familiale.
nécessite la preuve de la filiation, et se trouvent vraisemblablement parfois confrontés à la
suspicion, ou à tout le moins à l’incompréhension, des personnes auxquelles ils s’adressent. Ils γ) Sur le droit des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie privée
évoquent à cet égard des difficultés lorsqu’il s’est agi d’inscrire les troisième et quatrième d’entre 96. Comme la Cour l’a rappelé, le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails
eux à la sécurité sociale, à la cantine scolaire ou à un centre aéré et de déposer des demandes de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation […] ; un aspect essentiel de l’identité des
d’aides financières auprès de la caisse d’allocations familiales. individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation […]. Or, en l’état du droit positif, les
89. Par ailleurs, le fait qu’en droit français les deux enfants n’ont de lien de filiation ni avec le troisième et quatrième requérantes se trouvent à cet égard dans une situation d’incertitude
premier requérant ni avec la deuxième requérante a pour conséquence, du moins à ce jour, qu’elles juridique. S’il est exact qu’un lien de filiation avec les premiers requérants est admis par le juge
ne se sont pas vu reconnaître la nationalité française. Cette circonstance est de nature à compliquer français pour autant qu’il est établi par le droit californien, le refus d’accorder tout effet au
les déplacements de la famille et à susciter des inquiétudes – fussent-elles infondées, comme jugement américain et de transcrire l’état civil qui en résulte manifeste en même temps que ce lien
l’affirme le Gouvernement – quant au droit de séjour des troisième et quatrième requérantes en n’est pas reconnu par l’ordre juridique français. Autrement dit, la France, sans ignorer qu’elles ont
France après leur majorité et donc quant à la stabilité de la cellule familiale. Le Gouvernement été identifiées ailleurs comme étant les enfants des premiers requérants, leur nie néanmoins cette
soutient qu’eu égard notamment à la circulaire de la garde de Sceaux, ministre de la Justice, du 25 qualité dans son ordre juridique. La Cour considère que pareille contradiction porte atteinte à leur
janvier 2013 (paragraphe 36 ci-dessus), les troisième et quatrième requérantes peuvent obtenir un identité au sein de la société française.

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97. Par ailleurs, même si l’article 8 de la Convention ne garantit pas un droit d’acquérir une 102. Il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au
nationalité particulière, il n’en reste pas moins que la nationalité est un élément de l’identité des respect de leur vie familiale. Il y a en revanche eu violation de cette disposition s’agissant du droit
personnes (Genovese c. Malte, no 53124/09, § 33, 11 octobre 2011). Or, comme la Cour l’a relevé des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie privée.
précédemment, bien que leur père biologique soit français, les troisième et quatrième requérantes
sont confrontées à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la
nationalité française en application de l’article 18 du code civil (paragraphe 29 ci-dessus). Pareille Doc. 12 : CE, 12 décembre 2014, Association des juristes pour l’enfance
indétermination est de nature à affecter négativement la définition de leur propre identité. 3. Considérant que l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions
98. La Cour constate en outre que le fait pour les troisième et quatrième requérantes de ne pas l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre
être identifiées en droit français comme étant les enfants des premiers requérants a des n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère
conséquences sur leurs droits sur la succession de ceux-ci. Elle note que le Gouvernement nie impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions
qu’il en aille de la sorte. Elle relève toutefois que le Conseil d’État a souligné qu’en l’absence de impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme
reconnaissance en France de la filiation établie à l’étranger à l’égard de la mère d’intention, l’enfant faisant grief ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans
né à l’étranger par gestation pour autrui ne peut hériter d’elle que si elle l’a institué légataire, les le silence des textes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont
droits successoraux étant alors calculés comme s’il était un tiers (paragraphe 37 ci-dessus), c’est-à- été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ;
dire moins favorablement. La même situation se présente dans le contexte de la succession du qu’il en va de même s’il est soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter
père d’intention, fût-il comme en l’espèce le père biologique. Il s’agit là aussi d’un élément lié à soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait
l’identité filiale dont les enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger se trouvent expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ;
privés. 4. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 16-7 du code civil, figurant au chapitre II,
99. Il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à intitulé « Du respect du corps humain », du titre Ier du livre Ier de ce code : « Toute convention portant
l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire (paragraphe 62 ci- sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle » ; que ces dispositions présentent, en
dessus). Il résulte toutefois de ce qui précède que les effets de la non reconnaissance en droit vertu de l’article 16-9 du même code, un caractère d’ordre public ;
français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent 5. Considérant, d’autre part, qu’en vertu de l’article 18 du code civil, « Est français l’enfant dont
pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur l’un des parents au moins est français » ; qu’aux termes de l’article 31 du code civil : « Le greffier
reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit en chef du tribunal d'instance a seul qualité pour délivrer un certificat de nationalité française à
au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y toute personne justifiant qu'elle a cette nationalité » ; que le certificat de nationalité française
compris sa filiation, se trouve significativement affecté. Se pose donc une question grave de indique, en vertu de l’article 31-2 du même code, la disposition légale en vertu de laquelle l’intéressé
compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider a la qualité de Français ainsi que les documents qui ont permis de l’établir ; que le certificat, en
toute décision les concernant. vertu du même article, fait foi jusqu’à preuve du contraire ; qu’en vertu de l’article 31-3, il
100. Cette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents appartient au ministre de la justice, qui peut être saisi lorsque le greffier refuse de délivrer un
d’intention est également géniteur de l’enfant. Au regard de l’importance de la filiation biologique certificat de nationalité, de décider s’il y a lieu de procéder à cette délivrance ; que l’article 47 du
en tant qu’élément de l’identité de chacun (voir, par exemple, l’arrêt Jäggi c. Suisse, no 58757/00, code civil dispose que : « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger
§ 37, CEDH 2006‑X), on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des
d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes
et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. Or non seulement le lien entre les vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne
troisième et quatrième requérantes et leur père biologique n’a pas été admis à l’occasion de la correspondent pas à la réalité » ;
demande de transcription des actes de naissance, mais encore sa consécration par la voie d’une 6. Considérant que la circulaire attaquée, adressée aux procureurs généraux, aux procureurs de la
reconnaissance de paternité ou de l’adoption ou par l’effet de la possession d’état se heurterait à République et aux greffiers en chef des tribunaux d’instance, traite, selon les termes de son premier
la jurisprudence prohibitive établie également sur ces points par la Cour de cassation […]. La Cour paragraphe, des conditions de délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à
estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect l’étranger de Français « lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance, qu’il a été fait
de la vie privée des troisième et quatrième requérantes, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui » ; que
reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père la circulaire demande à ses destinataires de veiller « à ce qu’il soit fait droit » aux demandes de
biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation. certificat, sous réserve que les autres conditions rappelées par la circulaire du 5 mai 1995 relative
101. Étant donné aussi le poids qu’il y a lieu d’accorder à l’intérêt de l’enfant lorsqu’on procède à à la délivrance des certificats de nationalité française soient remplies, « dès lors que le lien de
la balance des intérêts en présence, la Cour conclut que le droit des troisième et quatrième filiation avec un Français résulte d’un acte d’état-civil étranger probant au regard de l’article 47 du
requérantes au respect de leur vie privée a été méconnu. code civil » ; qu’elle précise que « le seul soupçon du recours à une telle convention conclue à
l’étranger ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de certificats de nationalité française
3. Conclusion générale

10
dès lors que les actes d’état-civil local attestant du lien de filiation avec un Français, légalisés ou dégradation, ni les stipulations du protocole additionnel à la convention des Nations-Unies contre
apostillés sauf dispositions conventionnelles contraires, sont probants au sens de l’article 47 » ; la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes,
7. Considérant, en premier lieu, que le directeur des affaires civiles et du sceau était habilité à signer en particulier des femmes et des enfants, non plus que celles de la convention du Conseil de
la circulaire attaquée au nom de la garde des sceaux, ministre de la justice, en vertu des dispositions l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains ; qu’elle ne porte pas atteinte à l’exercice par
du 1° de l’article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres l’autorité judiciaire de ses compétences ;
du Gouvernement ; que l’emploi, par la circulaire attaquée, du terme « hexagone » pour désigner 13. Considérant, enfin, que la circulaire attaquée n’a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à
ceux de ses destinataires qui exercent leurs fonctions sur le territoire métropolitain de la France l’application du second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale, selon lequel : « Toute
est dépourvu d’incidence sur sa légalité ; autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions,
8. Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions de acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur
l’arrêté du 22 décembre 1977 relatif au rôle et à la composition de la commission permanente de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes
d’études instituée au ministère de la justice, selon lesquelles cette commission est chargée de qui y sont relatifs » ;
donner un avis sur « les problèmes concernant le statut des magistrats de l’ordre judiciaire, les 14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur les
structures judiciaires et les conditions de fonctionnement et d’équipement des juridictions » ainsi fins de non recevoir opposées par la garde des sceaux, ministre de la justice, l’association Juristes
que sur « les problèmes statutaires intéressant à la fois les magistrats de l’ordre judiciaire et les pour l’enfance, la fédération des familles de l’Ain, l’association familiale catholique de l’Auxerrois,
fonctionnaires des cours et des tribunaux », n’imposaient nullement de consulter cette commission M. BJ...et autres, le syndicat national Force ouvrière des magistrats, l’association Avenir de la
préalablement à la signature de la circulaire attaquée ; Culture et Mme DQ...ne sont pas fondés à demander l’annulation pour excès de pouvoir de la
9. Considérant, en troisième lieu, que si la circulaire attaquée prescrit à ses destinataires, circulaire attaquée ;
notamment les greffiers en chef des tribunaux d’instance qui ont, en vertu de l’article 31 du code
civil, qualité pour délivrer des certificats de nationalité française, de veiller à ce qu’il soit fait droit Doc. 13 : Cour EDH, 24 janvier 2017, Paradiso et Campanelli c. Italie, req
aux demandes de certificat de nationalité française présentées pour des enfants nés à l’étranger de n°25358/12
Français, elle subordonne expressément la délivrance de tels certificats au respect des conditions a) Vie familiale
mises par la loi à cette délivrance, en particulier celle tenant à ce que, pour l’application de l’article 140. La question de l’existence ou de l’absence d’une vie familiale est d’abord une question de fait,
18 du code civil, un lien de filiation de l’enfant avec un Français soit établi ; qu’en indiquant, en ce qui dépend de l’existence de liens personnels étroits (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 31, série A
qui concerne la seule délivrance d’un certificat de nationalité, que doit être tenu pour établi un lien no 31, et K. et T. c. Finlande, précité, § 150). La notion de « famille » visée par l’article 8 concerne
de filiation attesté par un acte d’état-civil étranger dans les cas où, conformément à l’article 47 du les relations fondées sur le mariage, et aussi d’autres liens « familiaux » de facto, lorsque les parties
code civil, un tel acte fait foi, la circulaire attaquée s’est bornée à rappeler les dispositions de cet cohabitent en dehors de tout lien marital ou lorsque d’autres facteurs démontrent qu’une relation
article ; a suffisamment de constance (Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, § 30 , série A no 297-C,
10. Considérant, il est vrai, que la circulaire attaquée énonce aussi que le seul soupçon de recours Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, § 55, série A no 112, Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, §
à une convention portant sur la gestation ou la procréation pour le compte d’autrui conclue à 44, série A no 290, et X, Y et Z c. Royaume-Uni, 22 avril 1997, § 36, Recueil 1997‑II).
l’étranger ne peut suffire à opposer un refus de délivrance de certificat de nationalité française, 141. Les dispositions de l’article 8 ne garantissent ni le droit de fonder une famille ni le droit
alors que, en vertu des articles 16-7 et 16-9 du code civil, de telles conventions sont entachées d’adopter (E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 41, 22 janvier 2008). Le droit au respect d’une « vie
d’une nullité d’ordre public ; familiale » ne protège pas le simple désir de fonder une famille ; il présuppose l’existence d’une
11. Mais considérant que la seule circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour famille (Marckx, précité, § 31), voire au minimum d’une relation potentielle qui aurait pu se
origine un contrat qui est entaché de nullité au regard de l’ordre public français ne peut, sans porter développer, par exemple, entre un père naturel et un enfant né hors mariage (Nylund c. Finlande
une atteinte disproportionnée à ce qu’implique, en termes de nationalité, le droit de l’enfant au (déc.), no 27110/95, CEDH 1999-VI), d’une relation née d’un mariage non fictif, même si une vie
respect de sa vie privée, garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des familiale ne se trouvait pas encore pleinement établie (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-
droits de l’homme et des libertés fondamentales, conduire à priver cet enfant de la nationalité Uni, 28 mai 1985, § 62, série A no 94), d’une relation entre un père et son enfant légitime, même
française à laquelle il a droit, en vertu de l’article 18 du code civil et sous le contrôle de l’autorité s’il s’est avéré des années après que celle-ci n’était pas fondée sur un lien biologique […].
judiciaire, lorsque sa filiation avec un Français est établie ; que, par suite, en ce qu’elle expose que 142. Il n’est pas contesté qu’il n’existe aucun lien biologique entre les requérants et l’enfant. Les
le seul soupçon de recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour autrui parties ont toutefois présenté des arguments divergents quant à la question de savoir si les
conclue à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de certificats de nationalité requérants étaient unis à l’enfant par un lien juridique de parenté reconnu en droit russe […]
française dès lors que les actes d’état-civil local attestant du lien de filiation avec un Français, 148. La Cour doit rechercher si, dans les circonstances de l’espèce, la relation entre les requérants
légalisés ou apostillés sauf dispositions conventionnelles contraires, peuvent être, sous le contrôle et l’enfant relève de la vie familiale au sens de l’article 8. La Cour accepte, dans certaines situations,
de l’autorité judiciaire, regardés comme probants, au sens de l’article 47, la circulaire attaquée n’est l’existence d’une vie familiale de facto entre un adulte ou des adultes et un enfant en l’absence de
entachée d’aucun excès de pouvoir ; liens biologiques ou d’un lien juridiquement reconnu, sous réserve qu’il y ait des liens personnels
12. Considérant, en quatrième lieu, que la circulaire attaquée ne méconnaît ni le principe effectifs.
constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme d’asservissement et de
11
149. En dépit de l’absence de liens biologiques et d’un lien de parenté juridiquement reconnu par donné aux liens en question en adoptant une conduite contraire au droit italien et en venant
l’État défendeur, la Cour a estimé qu’il y avait vie familiale entre les parents d’accueil qui avaient s’installer en Italie avec l’enfant. Les autorités italiennes ont rapidement réagi à cette situation en
pris soin temporairement d’un enfant et ce dernier, et ce en raison des forts liens personnels demandant la suspension de l’autorité parentale et en ouvrant une procédure d’adoptabilité […].
existants entre eux, du rôle assumé par les adultes vis-à-vis de l’enfant, et du temps vécu ensemble En effet, l’espèce se distingue des affaires précitées Kopf, Moretti et Benedetti, et Wagner, dans
(Moretti et Benedetti c. Italie, 27 avril 2010, et Kopf et Liberda c. Autriche, 17 janvier 2012). Dans l’affaire lesquelles le placement de l’enfant auprès des requérants était soit reconnu soit toléré par les
Moretti et Benedetti, la Cour a attaché de l’importance au fait que l’enfant était arrivée à l’âge d’un autorités.
mois dans la famille et que, pendant dix-neuf mois, les requérants avaient vécu avec l’enfant les 157. Compte tenu des éléments ci-dessus, à savoir l’absence de tout lien biologique entre l’enfant
premières étapes importantes de sa jeune vie. Elle avait constaté, en outre, que les expertises et les parents d’intention, la courte durée de la relation avec l’enfant et la précarité des liens du
conduites sur la famille montraient que la mineure y était bien insérée et qu’elle était profondément point de vue juridique, et malgré l’existence d’un projet parental et la qualité des liens affectifs, la
attachée aux requérants et aux enfants de ces derniers. Les requérants avaient également assuré le Cour estime que les conditions permettant de conclure à l’existence d’une vie familiale de facto ne
développement social de l’enfant. Ces éléments ont suffi à la Cour pour dire qu’il existait entre les sont pas remplies.
requérants et l’enfant un lien interpersonnel étroit et que les requérants se comportaient à tous b) Vie privée
égards comme ses parents de sorte que des « liens familiaux » existaient « de facto » entre eux […]. 159. La Cour rappelle que la notion de « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention est une
Dans l’affaire Kopf et Liberda, il s’agissait d’une famille d’accueil, qui s’était occupée pendant environ notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. Elle recouvre l’intégrité physique et
quarante-six mois d’un enfant arrivé à l’âge de deux ans. Là aussi, la Cour a conclu à l’existence morale de la personne (X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 22, série A no 91) et, à un certain degré,
d’une vie familiale, compte tenu de ce que les requérants avaient réellement à cœur le bien-être de le droit, pour l’individu, de nouer et développer des relations avec ses semblables (Niemietz c.
l’enfant et compte tenu du lien affectif existant entre les intéressés […]. Allemagne, 16 décembre 1992, § 29, série A no 251-B). Elle peut parfois englober des aspects de
151. Il y a donc lieu d’examiner en l’espèce la qualité des liens, le rôle assumé par les requérants l’identité physique et sociale d’un individu (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002-I).
vis-à-vis de l’enfant et la durée de la cohabitation entre eux et l’enfant. La Cour estime que les La notion de vie privée englobe aussi le droit au développement personnel ou encore le droit à
requérants avaient conçu un projet parental et assumaient leur rôle de parents vis à vis de l’enfant l’autodétermination (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III), de même que le
[…]. Ils avaient tissé de forts liens affectifs avec celui-ci dans les premières étapes de sa vie, dont droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent (Evans c. Royaume-Uni [GC],
la qualité ressort d’ailleurs du rapport de l’équipe d’assistantes sociales demandé par le tribunal no 6339/05, § 71, CEDH 2007-I, et A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 212, CEDH 2010).
pour mineurs […]. 160. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Dickson c. Royaume-Uni ([GC], no 44362/04, § 66,
152. Quant à la durée de la cohabitation entre les requérants et l’enfant en l’espèce, la Cour relève CEDH 2007-V), où était en cause le refus d’octroyer aux requérants – un détenu et son épouse –
qu’il y a eu six mois de cohabitation entre les requérants et l’enfant en Italie, précédés d’une période la possibilité de pratiquer une insémination artificielle, la Cour a conclu à l’applicabilité de l’article
d’environ deux mois entre la requérante et l’enfant en Russie. 8 au motif que la technique de procréation en question concernait la vie privée et familiale des
153. Il serait certes inapproprié de définir une durée minimale de vie commune qui puisse intéressés, précisant que cette notion englobait un droit pour eux à voir respecter leur décision de
caractériser l’existence d’une vie familiale de facto, étant donné que l’appréciation de toute situation devenir parents génétiques. Dans l’affaire S.H. et autres c. Autriche ([GC], no 57813/00, § 82, CEDH
doit tenir compte de la « qualité » du lien et des circonstances de chaque espèce. Toutefois, la 2011) – qui concernait des couples désireux d’avoir un enfant en ayant recours au don de gamètes
durée de la relation à l’enfant est un facteur clé pour que la Cour reconnaisse l’existence d’une vie – la Cour a considéré que le droit des couples à concevoir un enfant et à recourir pour ce faire à
familiale. Dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. précitée, la vie commune avait duré plus de dix ans. la procréation médicalement assistée relevait de la protection de l’article 8, pareil choix constituant
Ou encore, dans l’affaire Nazarenko […] dans laquelle un homme marié avait assumé le rôle une forme d’expression de la vie privée et familiale.
paternel avant de découvrir qu’il n’était pas le père biologique de l’enfant, la vie commune s’était 161. La Cour estime qu’il n’y a aucune raison valable de comprendre la notion de « vie privée »
étendue sur plus de cinq ans. comme excluant les liens affectifs s’étant créés et développés entre un adulte et un enfant en
154. Il est vrai qu’en l’occurrence, la durée de la vie commune avec l’enfant a été supérieure à celle dehors de situations classiques de parenté. Ce type de liens relève également de la vie et de l’identité
de l’affaire D. et autres c. Belgique, ((déc.), no 29176/13, § 49, 8 juillet 2014), dans laquelle la Cour a sociale des individus. Dans certains cas impliquant une relation entre des adultes et un enfant qui
estimé qu’il y avait vie familiale protégée par l’article 8 pour une cohabitation ayant duré seulement ne présentent aucun lien biologique ou juridique, les faits peuvent néanmoins relever de la « vie
deux mois avant la séparation provisoire d’un couple belge et d’un enfant né en Ukraine d’une privée » (X. c. Suisse, no 8257/78, décision de la Commission du 10 juillet 1978, Décisions et
mère porteuse. Toutefois, dans cette affaire, il y avait un lien biologique entre l’enfant et au moins rapports 5 ; voir aussi, mutatis mutandis, Niemietz, précité, § 29).
l’un des parents, et la cohabitation avait repris par la suite. 162. En particulier, dans l’affaire X. c. Suisse précité, la Commission a examiné le cas d’une
155. Quant à l’argument du requérant selon lequel il était convaincu d’être le père biologique de personne à laquelle des amis avaient confié leur enfant afin qu’elle s’en occupe, ce qu’elle avait
l’enfant étant donné qu’il avait remis son propre liquide séminal à la clinique, la Cour estime que fait. Lorsque, des années plus tard, les autorités avaient décidé que l’enfant ne pouvait plus rester
cette conviction – qui a été démentie en août 2011 par le résultat du test ADN – ne peut pas avec la personne en question, les parents ayant demandé à le reprendre en charge, la requérante
compenser la courte durée de la vie commune avec l’enfant (voir, a contrario, Nazarenko, précité, § avait introduit un recours en vue de pouvoir garder l’enfant et avait invoqué l’article 8 de la
58) et ne suffit donc pas pour qu’il y ait une vie familiale de facto. Convention. La Commission a estimé que la vie privée de l’intéressée était en jeu, car elle s’était
156. Même si la fin de leur relation avec l’enfant n’est pas directement imputable aux requérants fortement attachée à cet enfant.
en l’espèce, elle est tout de même la conséquence de la précarité juridique qu’ils ont eux-mêmes
12
163. En l’espèce la Cour relève que les requérants avaient conçu un véritable projet parental, en solution, qui ne prive pas I'enfant de sa filiation paternelle, ni de la filiation maternelle que le droit
passant d’abord par des tentatives de fécondation in vitro, puis en demandant et obtenant de l'État étranger lui reconnaît, ni ne l'empêche de vivre au foyer de M. Patrice X..., ne porte pas
l’agrément pour adopter, et, enfin, en se tournant vers le don d’ovules et le recours à une mère atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de cet enfant au sens de I'article 8 de la
porteuse. Une grande partie de leur vie était projetée vers l’accomplissement de leur projet, devenir Convention européenne des droits de I'homme, non plus qu'à son intérêt supérieur garanti par
parents en vue d’aimer et éduquer un enfant. Est en cause dès lors le droit au respect de la décision I'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de I'enfant ;
des requérants de devenir parents (S.H. et autres c. Autriche, précité, § 82), ainsi que le Mais attendu qu'ayant constaté que l'acte de naissance n'était ni irrégulier ni falsifié et que les faits
développement personnel des intéressés à travers le rôle de parents qu’ils souhaitaient assumer qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la
vis-à-vis de l’enfant. Enfin, dès lors que la procédure devant le tribunal pour mineurs se rapportait convention de gestation pour autrui conclue entre M. X...et Mme Z... ne faisait pas obstacle à la
à la question de l’existence de liens biologiques entre l’enfant et le requérant, cette procédure et transcription de l'acte de naissance ; que le moyen n'est pas fondé ;
l’établissement des données génétiques ont eu un impact sur l’identité de ce dernier, ainsi que sur
la relation des deux requérants. PAR CES MOTIFS :
164. À la lumière des considérations qui précèdent, la Cour conclut que les faits de la cause relèvent REJETTE le pourvoi
de la vie privée des requérants.
c) Conclusion Doc. 15 : Cour de cassation, 5 juillet 2017, n° 15-28.597 et n° 16-16.455
165. Compte tenu de ces éléments, la Cour conclut à l’absence de vie familiale entre les requérants Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’aux termes de leurs actes de naissance américains, dressés
et l’enfant. Elle estime en revanche que les mesures litigieuses relèvent de la vie privée des conformément à un jugement de la cour supérieure de l’Etat de Californie du 17 septembre 2010,
requérants. Il s’ensuit que l’article 8 de la Convention trouve à s’appliquer de ce chef. P... et P... X... sont nés le 4 novembre 2010 à Whittier (Californie, Etats-Unis d’Amérique) de
M. X... et de Mme Y..., son épouse, tous deux de nationalité française ; que, le procureur de la
Doc. 14 : Cass. Ass. Plén., 3 juillet 2015, n° 15-50002 République près le tribunal de grande instance de Nantes s’étant opposé à leur demande de
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant transcription de ces actes de naissance sur les registres de l’état civil consulaire et du service central
Statuant sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Rennes, domicilié d’état civil du ministère des affaires étrangères, en invoquant l’existence d’une convention de
en son parquet, place du Parlement, CS 66423, 35064 Rennes cedex, contre l'arrêt rendu le 16 gestation pour autrui, M. et Mme X... l’ont assigné à cette fin ;
décembre 2014 par la cour d'appel de Rennes (6e chambre A), dans le litige l'opposant à M. Patrice Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième,
X..., pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de la personne et des sixième et neuvième branches :
biens de sa fille mineure Y... X..., domicilié …défendeur à la cassation ; Le premier président a, […] Mais attendu que, selon l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des Français et des
par ordonnance du 29 janvier 2015, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière ; étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres
(…) actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même
établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que
Sur le moyen unique : les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 décembre 2014), que Y... X..., reconnue par M. X...le Que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce
1er février 2011, est née le 30 mai 2011, à Moscou ; que son acte de naissance, établi en Russie, texte, est la réalité de l’accouchement ;
désigne M. Patrice X..., de nationalité française, en qualité de père, et Mme Lilia Z..., ressortissante Qu’ayant constaté que Mme X... n’avait pas accouché des enfants, la cour d’appel en a exactement
russe, qui a accouché de l'enfant, en qualité de mère ; que le procureur de la République s'est déduit que les actes de naissance étrangers n’étaient pas conformes à la réalité en ce qu’ils la
opposé à la demande de M. X...tendant à la transcription de cet acte de naissance sur un registre désignaient comme mère, de sorte qu’ils ne pouvaient, s’agissant de cette désignation, être
consulaire, en invoquant l'existence d'une convention de gestation pour autrui conclue entre M. transcrits sur les registres de l’état civil français ;
X...et Mme Z... ; Attendu qu’aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales :
Attendu que le procureur général fait grief à l'arrêt d'ordonner la transcription, alors, selon le 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
moyen : correspondance ;
1°/ qu'en I'état du droit positif, il est contraire au principe de l'indisponibilité de I'état des 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant
personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société
une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, qui, fût-elle licite à l'étranger, est démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique
nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil, tel qu'affirmé du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé
par la jurisprudence de la Cour de cassation ; ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;
Attendu que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né
2°/ qu'est justifié le refus de transcription d'un acte de naissance établi en exécution d'une décision à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but
étrangère, fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de cette décision. Cette

13
légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette Attendu que, pour rejeter la demande d’adoption, l’arrêt retient encore que le consentement initial
pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil ; de Mme Z..., dépourvu de toute dimension maternelle subjective ou psychique, prive de portée
Attendu que ce refus de transcription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au juridique son consentement ultérieur à l’adoption de l’enfant dont elle a accouché, un tel
respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi ; qu’en effet, consentement ne pouvant s’entendre que comme celui d’une mère à renoncer symboliquement et
d’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis juridiquement à sa maternité dans toutes ses composantes et, en particulier, dans sa dimension
en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité française aux enfants subjective ou psychique ;
nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ; qu’ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu’elle constatait l’existence, la sincérité et
enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un l’absence de rétractation du consentement à l’adoption donné par la mère de l’enfant, la cour
acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du code civil sont remplies, ni à d’appel a violé les textes susvisés ;
l’établissement de la filiation paternelle ; qu’enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 24 mars 2016, entre les parties,
enfants et l’épouse de leur père ; par la cour d’appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se
Et attendu que la cour d’appel, qui était saisie d’une action aux fins de transcription d’actes de trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;
l’état civil étrangers et non d’une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation,
n’avait pas à répondre aux conclusions inopérantes relatives à la possession d’état des enfants ; Doc. 16 :
D’où il suit que le moyen, qui critique un motif surabondant en sa quatrième branche, ne peut être
accueilli ; […] PAR CES MOTIFS :
ADRESSE A LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME UNE DEMANDE
Doc. 15 : Cour de cassation, 5 juillet 2017, n° 16-16.455 D'AVIS CONSULTATIF SUR LES QUESTIONS SUIVANTES :
1°). - En refusant de transcrire sur les registres de l'état civil l'acte de naissance d'un enfant né à
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que l’enfant M... Y... est né le ..., à Victorville (Californie, Etats-Unis l'étranger à l'issue d'une gestation pour autrui en ce qu'il désigne comme étant sa "mère légale" la
d’Amérique) de Mme Z..., de nationalité américaine, qui avait conclu avec M. Y..., de nationalité "mère d'intention", alors que la transcription de l'acte a été admise en tant qu'il désigne le "père
française, une convention de gestation pour autrui ; qu’il a été reconnu par Mme Z... et M. Y... ; d'intention", père biologique de l'enfant, un Etat-partie excède-t-il la marge d'appréciation dont il
que, le 1er novembre 2013, ce dernier a épousé M. X..., de nationalité française, auquel il était lié dispose au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
par un pacte civil de solidarité depuis 2004 ; que, par requête du 3 juillet 2014, M. X... a saisi le libertés fondamentales ? A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l'enfant est conçu ou non
tribunal de grande instance d’une demande d’adoption simple de l’enfant M... ; avec les gamètes de la "mère d'intention" ?
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche : 2°). - Dans l'hypothèse d'une réponse positive à l'une des deux questions précédentes, la possibilité
Vu les articles 353 et 361 du code civil, ensemble les articles 3, § 1, de la Convention de New- pour la mère d'intention d'adopter l'enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un
York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant et 8 de la Convention de sauvegarde des mode d'établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l'article
droits de l’homme et des libertés fondamentales ; 8 de la Convention ?
Attendu que, selon le premier de ces textes, l’adoption est prononcée à la requête de l’adoptant SURSOIT à statuer jusqu'à l'avis de la Cour européenne des droits de l'homme ;
par le tribunal qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à
l’intérêt de l’enfant ; que, selon les deux derniers, l’enfant a droit au respect de sa vie privée et Doc. 17 : Cour EDH, 12 décembre 2019, C et E. c. France, n° 1462/18 et 17348/18.
familiale et, dans toutes les décisions qui le concernent, son intérêt supérieur doit être une
considération primordiale ; Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention
Attendu que, pour rejeter la demande d’adoption simple, l’arrêt retient que la naissance de l’enfant 37. La Cour ne doute pas qu’il y a en l’espèce ingérence dans le droit au respect de la vie privée
résulte d’une violation, par M. Y..., des dispositions de l’article 16-7 du code civil, aux termes des enfants requérants et que cette ingérence était prévue par la loi et poursuivait deux des buts
duquel toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 : la « protection de la santé » et « la
nulle d’une nullité d’ordre public ; Qu’en statuant ainsi, alors que le recours à la gestation pour protection des droits et libertés d’autrui ». Elle renvoie notamment à l’arrêt Mennesson précité (§§
autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du 48-49, 57-58 et 62).
père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si 38. Il reste à déterminer si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour
elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; atteindre ces buts, la notion de « nécessité » impliquant une ingérence fondée sur un besoin social
Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche : impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi (ibidem, § 50).
Vu les articles 348 et 361 du code civil ; 39. La Cour rappelle que, le 10 avril 2019, elle a rendu l’avis consultatif suivant (références
Attendu, selon le premier de ces textes, que lorsque la filiation de l’enfant est établie à l’égard de précitées) :
son père et de sa mère, ceux-ci doivent consentir l’un et l’autre à l’adoption ;

14
« Dans la situation où (...) un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans
gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les
père d’intention a été reconnu en droit interne : opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une
1. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requiert minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant
et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant Appréciation de la Cour
la « mère légale » ; 51. La Cour renvoie aux principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence tels qu’ils se
2. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, ne requiert trouvent notamment énoncés dans l’arrêt Biao c. Danemark [GC] (no 38590/10, §§ 88-93, 24 mai
pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de 2016). Il en résulte en particulier que, pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14, il doit
naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou
de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne comparables, et qu’une différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification
garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un
l’enfant. » rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il en résulte
aussi que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si
40. La Cour note que la situation des enfants requérants correspond à ce cas de figure : ils sont et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des
nés à l’étranger par gestation pour autrui, sont issus des gamètes du père d’intention et d’une tierce différences de traitement.
donneuse, et le lien de filiation entre eux et le père d’intention est reconnu en droit interne. 52. En l’espèce, à supposer que l’on puisse considérer que les enfants nés d’une gestation pour
41. La Cour relève ensuite que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien de autrui à l’étranger et les autres enfants nés à l’étranger se trouvent dans des situations analogues
filiation entre les enfants requérants et leur mère d’intention par la voie de l’adoption de l’enfant ou comparables quant au lien de filiation maternelle, la différence de traitement dont il est question
du conjoint. Cela ressort des arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2017 (paragraphes 23-25 en l’espèce ne tient pas à ce qu’à l’inverse des seconds, les premiers ne pourraient obtenir la
ci-dessus), et la Cour ne voit aucune raison de douter des assurances fournies à cet égard par le reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation à l’égard de celle dont le nom figure sur l’acte
Gouvernement (paragraphe 32 ci-dessus). de naissance étranger. Cette différence consiste uniquement en ce que, contrairement aux seconds,
42. Certes, cette possibilité n’est établie de manière certaine que depuis le 5 juillet 2017, alors que ils ne peuvent à cette fin obtenir la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger et doivent
l’enfant C avait sept ans (requête no 1462/18) et que les enfants E avaient trois ans (requête no passer par la voie de l’adoption.
17348/18), soit, selon toute vraisemblance au vu du dossier, bien après la concrétisation du lien 53. Ceci étant souligné, il ressort des explications du Gouvernement que cette différence de
entre eux et leur mère d’intention. Or, la Cour a précisé dans l’avis consultatif précité (§§ 52 et 54) traitement quant aux modalités d’établissement du lien maternel de filiation permet, en ce qu’il
qu’un mécanisme effectif permettant la reconnaissance d’un lien de filiation entre les enfants induit un contrôle juridictionnel, de s’assurer au regard des circonstances particulières de chaque
concernés et la mère d’intention doit exister au plus tard lorsque, selon l’appréciation des cas qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une gestation pour autrui qu’un tel lien soit
circonstances de chaque cas, le lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé. établi à l’égard de la mère d’intention. La Cour rappelle à cet égard qu’elle a indiqué dans l’avis
43. La Cour estime toutefois que, dans les circonstances de la cause, ce n’est pas imposer aux consultatif précité que le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance
enfants concernés un fardeau excessif que d’attendre des requérants qu’ils engagent maintenant du lien enfant-parents d’intention tombait dans la marge d’appréciation des États (§ 51) et que
une procédure d’adoption à cette fin. Elle observe notamment qu’il résulte des éléments produits l’article 8 ne mettait pas à leur charge une obligation générale de reconnaître ab initio un lien de
par le Gouvernement que la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en filiation entre l’enfant et la mère d’intention (§ 52).
cas d’adoption plénière et de 4,7 mois en cas d’adoption simple. 54. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’en tout état de cause, la différence de traitement
44. Dans ces circonstances, la Cour conclut que le refus des autorités françaises de transcrire les dénoncée par les requérants repose sur une justification objective et raisonnable.
actes de naissance étrangers des enfants requérants sur les registres de l’état civil français pour 55. Cette partie des requêtes est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application
autant qu’ils désignent la mère d’intention comme étant leur mère n’est pas disproportionné par de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
rapport aux buts poursuivis.
45. Cette partie des requêtes est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. Déclare les requêtes irrecevables.

Sur la violation alléguée de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 de la


Convention Doc. 17 : Cass., 18 décembre 2019, n° 18-14.751.
46. Les requérants dénoncent une atteinte discriminatoire au droit au respect de la vie privée des Faits et procédure
enfants requérants. Ils invoquent, combiné avec l’article 8 de la Convention précité, l’article 14 de 1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 18 décembre 2017), aux termes de leurs actes de naissance dressés
la Convention, aux termes duquel : par le bureau de l’état civil du district de Lambeth (Londres, Royaume-Uni), B... Y...-A... est née
le [...] à Londres, ayant pour mère Mme Y... et pour parent Mme A..., toutes deux de nationalité
15
française, et C... Y...-A... est né le [...] à Londres, ayant pour mère Mme A... et pour parent Mme du statut personnel, procédant également de l’intérêt supérieur de l’enfant, garanti par l’article 3,
Y.... Celles-ci ont eu recours à une assistance médicale à la procréation au Royaume-Uni. § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant. »
2. Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s’étant opposé à
leur demande de transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil consulaire, au Réponse de la Cour
motif qu’ils n’étaient pas conformes à l’article 47 du code civil, Mmes Y... et A... l’ont assigné à Vu les articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de
cette fin. l’enfant, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et
3. Par un arrêt du 20 mars 2019 (1re Civ., 20 mars 2019, pourvois n° 18-14.751 et 18-50.007, 47 du code civil :
publié), la Cour de cassation a sursis à statuer dans l’attente de l’avis de la Cour européenne des 5. Aux termes de l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989, dans toutes
droits de l’homme et de l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation à intervenir sur le les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées
pourvoi n° S 10-19.053. de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs,
l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
Examen des moyens 6. Aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
Sur le moyen unique du pourvoi n° F 18-14.751, pris en ses trois premières branches fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile
Enoncé du moyen et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de
ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure
4. Mmes Y... et A... font grief à l’arrêt de rejeter la demande de Mme A... de transcription de l’acte qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au
de naissance de B... Y...-A..., s’agissant de sa désignation comme parent de l’enfant, et la demande bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à
de Mme Y... de transcription de l’acte de naissance de C... Y...-A..., s’agissant de sa désignation la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
comme parent de l’enfant alors : 7. Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait
« 1°/ que tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou
les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas
extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y
vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
correspondent pas à la réalité ; que la filiation de l’enfant est établie à l’égard de ses parents par
l’acte de naissance ; qu’en déboutant Mme A... de sa demande de transcription de l’acte de 8. Il se déduit de ces textes qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de
naissance de B... Y...- A... s’agissant de sa désignation comme parent de l’enfant, après avoir naissance étranger d’un enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de
constaté que selon l’acte de naissance de B..., celle-ci a pour mère Mme Y..., ce qui n’est pas la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né d’une assistance médicale à la procréation ni celle
contestable en l’absence de données extérieures ou d’éléments tirés de l’acte établissant que cet que cet acte désigne la mère ayant accouché et une autre femme en qualité de mère ou de parent
acte serait irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité, ne constituent un obstacle à sa transcription sur les registres français de l’état civil, lorsque l’acte
et que Mme A... est parent de B..., la cour d’appel a violé les articles 310-3, 47 et 34, a), du code est probant au sens de l’article 47 du code civil.
civil ; 9. Pour rejeter la demande de transcription de l’acte de naissance de B... s’agissant de la désignation
2°/ que tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les de Mme A... comme parent et la demande de transcription de l’acte de naissance de C... s’agissant
formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données de la désignation de Mme Y... comme parent, l’arrêt retient que les actes de naissance, bien que
extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes réguliers et non falsifiés, désignent respectivement Mmes A... et Y... comme parent sans qu’une
vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne adoption n’ait consacré le lien de filiation à l’égard de la conjointe de la mère et alors qu’un enfant
correspondent pas à la réalité ; que la filiation de l’enfant est établie à l’égard de ses parents par ne peut avoir qu’une seule mère biologique.
l’acte de naissance ; qu’en déboutant Mme Y... de sa demande de transcription de l’acte de 10. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que les actes de l’état civil étrangers
naissance de C... Y...-A... s’agissant de sa désignation comme parent de l’enfant, après avoir étaient réguliers, exempts de fraude et avaient été établis conformément au droit en vigueur en
constaté que selon l’acte de naissance de C..., celui-ci a pour mère Mme A..., ce qui n’est pas Angleterre, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
contestable en l’absence de données extérieures ou d’éléments tirés de l’acte lui-même établissant
que cet acte serait irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à Portée et conséquences de la cassation
la réalité, et pour parent Mme Y..., la cour d’appel a violé les articles 310-3, 47 et 34, a), du code 11. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est
civil ; fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code
3°/ qu’en déboutant Mme A... de sa demande de transcription de l’acte de naissance de B... Y...- de procédure civile.
A... s’agissant de sa désignation comme parent de l’enfant et Mme Y... de sa demande de PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du moyen unique
transcription de l’acte de naissance de C... Y...-A... s’agissant de sa désignation comme parent de du pourvoi n° F 18-14.751 et sur le pourvoi n° C 18-50.007, la Cour :
l’enfant, la cour d’appel a méconnu le principe général de droit international privé de continuité
16
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de Mme A..., tendant à la
transcription de l’acte de naissance de B..., D..., E... Y...-A..., née le [...] à Londres (Royaume-Uni), Effectuant par ailleurs un contrôle concret de conventionalité de la loi en cause, le juge considéra
s’agissant de sa désignation comme parent de l’enfant, et la demande de Mme Y... tendant à la que le refus d’exporter les gamètes du fils défunt de la requérante ne portait pas une atteinte grave
transcription de l’acte de naissance de C... Y...-A..., né le [...] à Londres (Royaume-Uni), s’agissant et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il retint que si le fils de la requérante avait
de sa désignation comme parent de l’enfant l’arrêt rendu le 18 décembre 2017, entre les parties, régulièrement exprimé son souhait de devenir père, les pièces du dossier n’avaient cependant pas
par la cour d’appel de Rennes ; établi, premièrement, qu’il était inscrit dans un projet parental précis, deuxièmement qu’il avait
DIT n’y avoir lieu à renvoi exprimé la volonté que ses gamètes soient utilisés en vue d’une insémination artificielle
postérieurement à son décès notamment via une procédure de gestation pour autrui, et,
Doc. 19 : CEDH, 5 décembre 2019, Petithory Lanzmann c. France, n° 23038/19 troisièmement, qu’il avait autorisé sa mère à utiliser ses gamètes à cette fin. Le juge ajouta que la
décision contestée privant la requérante de la possibilité d’être grand-mère ne portait pas, au regard
Les circonstances de l’espèce des intérêts légitimes qui fondent la législation française, une atteinte excessive à son droit au
(…) respect de sa vie privée et familiale.
3. La requérante est l’épouse de M. Claude Lanzmann, journaliste, écrivain et réalisateur du film
« Shoah » décédé en 2018. 8. La requérante interjeta appel de l’ordonnance devant le Conseil d’État. Elle fit notamment
valoir que la législation israélienne autorisait la PMA après le décès d’un donneur, y compris à la
4. Leur fils unique, F., est décédé le 13 janvier 2017 à l’âge de vingt‑trois ans des suites d’une demande de ses parents.
tumeur cancéreuse, diagnostiquée le 21 novembre 2014. Dès l’annonce de sa maladie, il avait
exprimé auprès de ses proches et de ses médecins, tel que cela ressort des témoignages produits 9. Par une ordonnance du 4 décembre 2018, le Conseil d’État rejeta sa requête, en reprenant les
par la requérante, son désir d’être père et d’avoir une descendance, y compris en cas de décès. Il motifs du juge de première instance, y ajoutant que les pièces versées au dossier n’avaient pas
avait procédé, dès le 25 novembre 2014, à un dépôt de gamètes au centre d’études et de montré qu’une insémination artificielle pourrait être réalisée en Israël à la demande de la
conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) de l’hôpital Cochin à Paris. Il avait requérante.
également pris contact avec un centre en Suisse en vue d’y déposer des gamètes et envisagé d’autres
dépôts à l’étranger, notamment à Bruxelles, Valence ou Barcelone. Ces démarches n’ont pas pu se (…)
concrétiser à cause de la maladie. Le 22 novembre 2016, F. avait demandé à l’hôpital Cochin que GRIEF
la conservation des gamètes soit prolongée.
Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante se plaint de l’impossibilité de disposer des
5. Au cours du printemps 2017, le président du CECOS refusa verbalement de transmettre à gamètes de son fils décédé en vue de procéder, dans le respect des dernières volontés de celui-ci,
l’Agence de la biomédecine la demande de la requérante tendant au transfert des gamètes de son à une PMA via notamment un don à un couple stérile ou une gestation pour autrui, procédures
fils vers un établissement de santé situé en Israël. qui seraient autorisées notamment en Israël ou aux États-Unis. Invoquant l’arrêt Evans c.
Royaume-Uni [GC], no 6339/05, CEDH 2007‑I), elle considère l’article 8 de la Convention
6. Par une requête du 29 octobre 2018, la requérante initia devant le tribunal administratif de Paris applicable en la cause et soutient que l’interdiction litigieuse ne se justifie ni au regard de l’évolution
un recours en référé, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative de la société et de la famille, ni au regard de l’intérêt de l’enfant à naître qui aurait un ou plusieurs
(paragraphe 10 ci‑dessous), et demanda au juge de prendre toutes mesures utiles afin de permettre parents à même de s’occuper de lui et de lui transmettre la mémoire particulière de la famille
l’exportation des gamètes de son fils vers un établissement de santé israélien valablement autorisé Lanzmann.
à pratiquer les procréations médicalement assistées (ci-après PMA). Elle fit valoir que le refus
litigieux portait atteinte à l’article 8 de la Convention, la privant du droit d’exercer la vie privée et EN DROIT
familiale auquel elle pourrait normalement prétendre en devenant grand-mère et d’assurer le
respect de la volonté de son fils. 13. La requérante allègue que le refus de transfert des gamètes de son fils décédé est contraire à
l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :
7. Par une ordonnance du 2 novembre 2018, le juge du référé rejeta la requête. Il fit valoir tout
d’abord que l’interdiction posée par l’article L. 2141-2 du code de la santé publique (ci-après CSP, « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).
paragraphe 11 ci‑dessous) d’utiliser les gamètes d’une personne après son décès pour réaliser une
insémination n’était pas incompatible avec l’article 8 de la Convention. Il considéra à cet égard 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant
qu’une telle prohibition relevait de la marge d’appréciation dont chaque État dispose pour que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société
l’application de la Convention. Il ajouta que l’interdiction de l’exportation des gamètes posée par démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique
l’article L. 2141-11 du CSP (idem), s’ils sont destinés à être utilisés à l’étranger à des fins prohibées du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé
sur le territoire national, visait à éviter tout contournement de la loi nationale. ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
17
Déclare la requête irrecevable.
14. La Cour observe que le grief de la requérante tient à l’impossibilité d’exporter les gamètes de
son fils décédé et de faire pratiquer, conformément à la volonté qu’il avait exprimé, une
insémination post mortem dans un État qui l’autorise, aux fins de perpétuer la mémoire de la
famille Lanzmann.

15. La Cour estime qu’il y a lieu de scinder le grief de la requérante en deux branches selon qu’elle
le formule en tant que victime indirecte d’une violation de l’article 8 de la Convention au nom de
son fils défunt ou en tant que victime directe privée de descendance.

(…)

17. S’agissant de la seconde branche du grief, la Cour estime qu’elle pose avant tout la question
de sa compétence ratione materiae et plus précisément celle de savoir si le refus litigieux opposé
à la requérante concerne sa « vie privée » ou « familiale ».

18. La Cour rappelle que si la notion de vie privée aussi bien que celle de vie familiale recouvre le
droit au respect des décisions de devenir parent au sens génétique du terme (Evans c. Royaume-
Uni [GC], no 6339/05, § 72, CEDH 2007‑I) et que le droit des couples de recourir à la PMA
constitue une forme d’expression de ces notions (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, §
82, CEDH 2011), l’article 8 de la Convention ne garantit pas le droit de fonder une famille (E.B.
c. France [GC], no 43546/02, § 41, 22 janvier 2008).

19. En l’espèce, la Cour note que les juridictions nationales ont estimé, d’une part, que
l’interdiction légale de procréation post mortem était conforme à la Convention et, d’autre part,
que le refus d’exportation des gamètes du fils défunt de la requérante ne portait pas atteinte à la
vie privée et familiale de cette dernière. En particulier, le juge des référés a relevé que les éléments
du dossier ne montraient pas que F. avait autorisé sa mère à utiliser ses gamètes aux fins d’une
insémination post mortem. Il a également retenu que l’impossibilité pour la requérante d’être
grand-mère ne portait pas atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Convention compte tenu
des intérêts qui fondent la loi française, à savoir, au regard de l’objectif jusque-là assigné à la
procréation médicalement assistée en France, remédier à l’infertilité pathologique d’un couple. En
d’autres termes, le juge interne a considéré que l’impossibilité d’accéder au souhait de son fils
défunt de se perpétuer par un enfant ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée et
familiale de la requérante. La Cour n’entend pas se démarquer de cette position.

20. Devant elle, la requérante souligne davantage les conséquences du refus litigieux quant à la
perte de la mémoire de la famille Lanzmann. Aussi respectable que soit cette aspiration personnelle
à la continuité de la parenté génétique, la Cour ne saurait considérer qu’elle entre dans le champ
d’application de l’article 8 de la Convention. Celui-ci ne comprend pas le droit de fonder une
famille et ne saurait englober, en l’état de sa jurisprudence, le droit à une descendance pour des
grands-parents. En conséquence, cette partie du grief doit être rejetée comme étant incompatible
ratione materiae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4
de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

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