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GESTATION POUR AUTRUI

❖ Référence religieuse/historique :

Genèse 16 de la Bible :
Sara demande à Abraham, qui écoute la voix de sa femme, d’avoir des relations avec Agar sa
servante pour avoir à travers elle un fils.
L’archéologie de la Chaldée a permis de trouver des traces de l’existence de cette pratique
dans des extraits de code civil. Elle était ainsi semble-t-il courante en Mésopotamie.
Précision : La loi israélienne s’est appuyée d’ailleurs sur cet extrait de la Bible pour autoriser
la gestation pour autrui tout en l’encadrant.

❖ Références philosophiques :

✔ Selon Kant, chacun doit traiter sa propre personne avec le même égard dû à toute autre
personne, ce qui signifie, entre autres choses, que l’on n’a pas plus le droit de se suicider que
de commettre un meurtre, de se mutiler que de torturer autrui, ou de se dégrader moralement
que de dégrader les autres.
Or, certains opposants à la GPA affirment qu’enfanter pour autrui est un acte dégradant.
Selon la philosophe Sylviane Agacinski, la gestation pour autrui « porte atteinte à l’intégrité
physique de la mère, en engageant profondément sa vie organique et psychique sans
nécessité thérapeutique. Elle touche aussi à la dignité de l’enfant, sur la tête de qui un
contrat a été passé. Car c’est bien l’enfant qui, in fine, fait l’objet de la transaction ».
Elle considère que la gestation pour autrui serait un commerce, argument également cité
par le Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé
dans son avis 110 relatif aux problèmes soulevés par la Gestation pour Autrui en 2010 : « La
dignité, qualité intrinsèque de l’humanité, interdit, dans une conception kantienne, de
considérer l’homme seulement comme un moyen et de lui conférer un prix. (…) la GPA
représente une instrumentalisation des corps des femmes et aboutit à considérer l’enfant
comme une marchandise, de sorte que cette pratique est d’une manière irréductible contraire
au respect de la dignité de la personne humaine. (…) Même si l’on peut admettre que
certaines gestatrices agissent dans le cadre d’une liberté effective, il reste qu’on peut ne pas
souhaiter que la société accepte ce qui apparaît comme une aliénation, fût-elle volontaire. »

✔ Les philosophes libéraux, à l’instar du philosophe français Ruwen Ogien, spécialiste de


philosophie morale et de philosophie des sciences sociales, entretiennent de façon générale
une saine méfiance à l’égard des postures morales fondées sur la prohibition des « crimes sans
victimes » et traitent les questions éthiques, telle que la GPA, à travers le prisme des
principes de la libre disposition de soi et de l’obligation de ne pas interdire une pratique
qui peut apporter un bien sans causer de préjudice.

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Ruwen Ogien a démontré (dans son ouvrage « La marchandisation du corps humain, un
slogan confus et dangereux » Cités, 65, 2016), que le principe d’indisponibilité du corps serait
loin d’avoir une base éthique incontestable et ne reposerait finalement que sur des
conventions sociales souvent hypocrites et toujours discutables.
Selon lui, la GPA doit être considérée au regard des principes d’une éthique minimale, dont il
a posé les fondements conceptuels et dont il résume l’idée centrale ainsi : « ce que nous
faisons de nous-même n’a pas d’importance morale, tant que nous ne causons pas de tort
direct à autrui. » (L’Ethique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes, Folio, 2007)
Il indique que la PMA et la GPA seraient justifiées par trois principes qui ont une base
morale :
1) la liberté de disposer de son propre corps ;
2) le droit pour des adultes consentants de s’engager dans un accord mutuel du moment qu’il
n’a pas été extorqué et qu’il ne nuit pas à des tiers ;
3) le principe de justice qui nous commande de trouver un moyen de compenser des
handicaps dont les victimes ne sont pas responsables (ceux des femmes sans utérus entre
autres). (LibéRation de Philo, 6 octobre 2014).

❖ Référence cinématographique :

Film « La petite », avec comme acteur principal Fabrice Lucchini, sorti en salle le 20
septembre 2023 soulève des questions sur les droits parentaux et la GPA.
L’histoire se concentre sur Joseph (Fabrice Lucchini), sexagénaire, apprenant que son fils et
son compagnon, décédés dans un tragique accident d’avion, attendait un enfant grâce à une
mère porteuse en Belgique. La gestation pour autrui (GPA) est strictement interdite en France,
mais en Belgique, elle se trouve dans une zone grise juridique, ni totalement légale ni
explicitement interdite, ce qui permet la réalisation de telles pratiques. « La Petite » adopte
une position neutre dans le débat sur la GPA. Le film présente deux perspectives opposées
sans prendre parti.
D’un côté, il y a Rita, qui voit la GPA comme une source de revenus et ne souhaite pas élever
l’enfant, et de l’autre, Joseph, motivé par un amour profond pour son fils défunt, qui entend
honorer le désir de son fils et sa légitimité en tant que grand-père potentiel.
Le film expose ainsi les différentes opinions sur la GPA, un sujet qui divise la société,
certaines personnes la considérant comme une exploitation des femmes et une objectivation
des bébés à naître, tandis que d’autres estiment qu’il faut respecter le choix des femmes de
porter un enfant pour autrui.
(Peu de films sur la GPA et souvent décriés. Celui-ci est plutôt neutre et reflète certaines des
questions soulevées par la GPA)

❖ Références textuelles/jurisprudentielles :

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⇨ La convention de GPA :

o En droit civil :

✔ Jurisprudence :Dès 1989, la Cour de cassation a affirmé la nullité des conventions de


gestation pour autrui en application de l’article 1128 du code civil – selon lequel "il n’y a
que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions" – et la
non-conformité de ces conventions au principe d’ordre public de l’indisponibilité de l’état des
personnes : Cass. civ. 1ère, 13.12.1989, n°88-15.655 : La Cour de cassation rejette le pourvoi
formé par l’Association Alma Mater à l’encontre d’une décision l’ayant dissoute considérant
que :

o l'objet même de l'association est de favoriser la conclusion et l'exécution de


conventions qui portent tout à la fois sur la mise à la disposition des demandeurs des
fonctions reproductrices de la mère et sur l'enfant à naître et sont donc nulles en
application de l'article 1128 du Code civil,

o c'est dès lors à bon droit que l'arrêt attaqué a décidé, sur le fondement de l'article 3 de
la loi du 1er juillet 1901, que cette association était nulle en raison de l'illicéité de son
objet ;

Cass, Assemblée Plénière, 31 mai 1991, n°90-20.105 : « la convention par laquelle une
femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à
sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain
qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes ». Par suite, en cas de conflit entre les
parents intentionnels et la mère porteuse, les parents ne pourront pas se tourner vers les
juridictions françaises pour obtenir le respect du contrat de gestation pour autrui.

✔ Textes : Création par la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain :

Article 16-1 Code civil :


« Chacun a droit au respect de son corps.
Le corps humain est inviolable.
Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit
patrimonial. »
Article 16-7 Code civil :
« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est
nulle ».

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o En droit pénal :
Article 227-12 du Code pénal (créé par loi du 1er mars 1994 et modifié par loi du 29
juillet 1994 puis ordonnance du 19 septembre 2000 entrée en vigueur le 1er janvier
2002) :
« Le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus
d'autorité, les parents ou l'un d'entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de
six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.
Le fait, dans un but lucratif, de s'entremettre entre une personne désireuse d'adopter un
enfant et un parent désireux d'abandonner son enfant né ou à naître est puni d'un an
d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Est puni des peines prévues au deuxième alinéa le fait de s'entremettre entre une personne ou
un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant
en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but
lucratif, les peines sont portées au double.
La tentative des infractions prévues par les deuxième et troisième alinéas du présent article
est punie des mêmes peines. »
Article 227-1 du Code pénal (créé par loi du 1er mars 1994 et modifié par ordonnance
du 19 septembre 2000 entrée en vigueur le 1er janvier 2002) :
« La substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à
l'état civil d'un enfant est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
La tentative est punie des mêmes peines. »

ATTENTION : ces infractions ne peuvent être retenues à l’encontre des parents intentionnels
ou de la mère porteuse que si elles ont été commises en France ou dans un pays où la GPA est
également interdite et pénalement réprimée. Les parents qui ont recourt à une GPA dans un
pays où elle est légale (ou du moins n’est pas pénalement réprimée) n’encourent aucune
sanction pénale.

⇨ La reconnaissance de la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger


Cass, Assemblée Plénière, 31 mai 1991, n°90-20.105 (même arrêt que susvisé) :
L'Assemblée plénière de la Cour de cassation se prononce pour la première fois au sujet
de la transcription d’un acte de naissance d’un enfant né par GPA en la validant
partiellement pour le père de l'enfant dès lors qu’il s’agissait du père biologique de celui-
ci. Pour ce faire, elle s'appuyait sur les principes d’indisponibilité de l’état des personnes et du
corps humain ainsi que sur le principe mater semper certa est.
Jurisprudence constante jusqu’en 2011, période à laquelle elle se durcit en décidant de ne
reconnaître aucune filiation même à l’égard du parent biologique en raison de la fraude à
la loi commise par les parents et dans la mesure où « une telle annulation (de
reconnaissance), qui ne prive pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le

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droit californien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec les époux X... en France, ne
porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants au sens de
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, non plus qu'à leur intérêt
supérieur garanti par l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant »
(Arrêt Mennesson : Civ. 1re, 6 avr. 2011, n° 10-19.053).
A noter : Janvier 2013 : Circulaire TAUBIRA visant la délivrance d’un "certificat de
nationalité" à l'enfant conçu à l'étranger par GPA même en cas de doute du greffier. Cette
circulaire ne concerne donc pas la transcription des actes d'état civil étrangers sur le registre
français mais simplement la délivrance d’un certificat de nationalité.
2013-2014 : maintien par la C. cass. de la position de refus de transcription à l’égard des
deux parents dès lors qu’est « justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en
pays étranger (…) lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un
processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui »
(Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-30.138, 19 mars 2014, n° 13-50.005).
2014 : Condamnation de la France par la CEDH, laquelle considère que le refus de
transcription est contraire à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de
l’Homme garantissant le respect à la vie privée et familiale des enfants, pour nier aux
enfants nés par GPA leur filiation au regard du Droit français (Affaires Mennesson et
Labassée : CEDH, 26 juin 2014, req n°65192/11 et 65941/11).
2015 : A la suite de cet arrêt de la CEDH, Validation par la C. cass., réunie en assemblée
plénière, de la transcription d'actes de naissance d’enfants nés par GPA à l’égard des
seuls parents d’intention ayant un lien biologique avec l’enfant (Cass. Ass. Plén., arrêts du
3 juillet 2015, pourvois n° 14-21323 et 15-50002).
Nouveau volet de l’affaire « Mennesson » : Suite aux arrêts de la CEDH de 2014, les époux
Mennesson obtiennent de la Cour de réexamen des décisions civiles que la décision rendue
en avril 2011 par la Cour de Cassation soit renvoyée pour nouvel examen. L’assemblée
plénière ainsi saisie, sollicite alors la CEDH aux fins d’un nouvel avis visant à préciser le
champ de la marge d’appréciation dont dispose les États au regard de l’article 8 de la
Convention européenne des Droits de l’Homme. Dans son avis du 10 avril 2019, celle-ci
se prononce au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel requiert que le droit interne
des États offre impérativement une possibilité de reconnaissance du lien de filiation de
l’enfant né par gestation pour autrui avec ses parents. Elle précise que les Etats sont
libres de la manière pour y parvenir, l'adoption pouvant servir convenablement cet intérêt
(Avis de Grande Chambre en date du 10 avril 2019).
Suite à cet avis, la Cour de Cassation, dans son arrêt du 4 octobre 2019, procède à une
appréciation in concreto de l’intérêt supérieur de l'enfant tel que préconisé par la CEDH et
décide que le lien de filiation des enfants Mennesson doit être établi à l’égard de la mère
d’intention, aucun autre moyen ne permettant de reconnaître cette filiation sans porter une
atteinte disproportionnée au Droit au respect de leur vie privée et familiale (Cass, Ass. Plén.,
04 octobre 2019, n°10-19.053).
Puis, par un arrêt du 18 décembre 2019, la Cour va plus loin et opère un véritable
changement de paradigme en considérant que dès lors qu’une action aux fins de
transcription de l'acte de naissance étranger de l'enfant né par GPA ne constitue ni une action

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en reconnaissance, ni une action en établissement de la filiation, seule la remise en cause de
la probité de l’acte de naissance étranger au regard de la loi étrangère peut permettre
une remise en cause de sa transcription. Elle n’exclut, ainsi, plus la reconnaissance en
France des enfants nés par conventions de mère porteuse licites à l’étranger. (Cass. Civ.
1ère, 18 décembre 2019, n°18-11.815).

Loi du 2 août 2021 : complète le code civil afin de préciser que la reconnaissance de la
filiation à l’étranger est appréciée au regard de la loi française. La transcription d'un
acte d'état civil étranger d'un enfant né de GPA est ainsi limitée au seul parent
biologique (le parent d'intention devant passer par une procédure d'adoption). La loi est donc
plus contraignante que la jurisprudence de la Cour de cassation.
Article 47 Code civil :
« Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans
les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données
extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier,
falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
En cas de doute, l'administration, saisie d'une demande d'établissement, de transcription ou
de délivrance d'un acte ou d'un titre, surseoit à la demande et informe l'intéressé qu'il peut,
dans un délai de deux mois, saisir le procureur de la République de Nantes pour qu'il soit
procédé à la vérification de l'authenticité de l'acte.
S'il estime sans fondement la demande de vérification qui lui est faite, le procureur de la
République en avise l'intéressé et l'administration dans le délai d'un mois.
S'il partage les doutes de l'administration, le procureur de la République de Nantes fait
procéder, dans un délai qui ne peut excéder six mois, renouvelable une fois pour les
nécessités de l'enquête, à toutes investigations utiles, notamment en saisissant les autorités
consulaires compétentes. Il informe l'intéressé et l'administration du résultat de l'enquête
dans les meilleurs délais. »
Au vu des résultats des investigations menées, le procureur de la République peut saisir le
tribunal de grande instance de Nantes pour qu'il statue sur la validité de l'acte après avoir, le
cas échéant, ordonné toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Dernière évolution notable :


La Commission européenne a adopté, le 7 décembre 2022, une proposition de règlement
visant à harmoniser à l'échelle de l'Union les règles de droit international privé relatives à la
filiation, au nom de l'intérêt supérieur et des droits de l'enfant. Selon les termes de cette
proposition, une filiation reconnue dans un État membre le serait aussi dans tous les autres
États membres, sans procédure spéciale. Elle prévoit ainsi la création d'un "certificat européen
de filiation".

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