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UVSQ PARIS-SALCAY

FACULTÉ DE DROIT

DROIT DE LA FAMILLE

COURS MAGISTRAL

Licence en droit – 1ère année – Promotion 2


Année universitaire 2023-2024

Cours de Madame Julie Traullé

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Cours de Mme Traullé réservé à l’usage personnel des étudiants de l’UVSQ

INTRODUCTION

1°) Que recouvre la notion de « famille » en droit ?

1ère définition : une famille c’est l’union d’un homme, d’une femme et de leurs enfants. En conséquence, le droit
positif français ne s'intéresse généralement qu'à la famille nucléaire (= parents + enfants).

Mais il faut nuancer cette première approche :

- Exceptionnellement, le droit français peut envisager d'autres relations familiales (c’est la question de la
solidarité entre grands-parents et petits enfants par exemple, ou encore celle des relations avec de
l’enfant avec son beau-parent).
Cela n’est pas anodin : l’étude des textes du Code civil montre ainsi qu’il est impossible de définir
précisément la famille (faut-il se limiter à la famille nucléaire ? Si une réponse négative est retenue, où
s’arrête la famille ?).

- En outre, la vision de la famille qui vient d’être esquissée correspond au modèle familial occidental du
19e et du 20e siècle.

Si l’on veut élargir le champ de la réflexion (et ne pas se limiter au modèle occidental du 19e et 20e siècle afin de
proposer une définition de la notion de famille qui puisse convenir partout dans le monde et à quelque époque
que ce soit), il faut alors retenir que :

1. la famille est un groupe de personnes qui fait l’objet d’une organisation particulière, autour de plusieurs
fonctions : une fonction sexuelle, encadrée par des interdits et des autorisations ; une fonction
biologique de reproduction ; une fonction d’éducation des enfants ; une fonction économique
(consommation, épargne, production).
Cumulées ou non, ces fonctions permettent de faire constater un certain modèle universel de famille :
il n’existe aucune société qui soit dépourvue d’une institution qui remplit une ou plusieurs de ces
fonctions.

2. En revanche, les disparités sont plus marquées dans les organisations sociales de la famille :
monogamie ou polygamie ; différence de sexe ou identité de sexe ; pouvoirs sur l’éducation des
enfants (qui peuvent relever seulement du père ou de la mère, c’est-à-dire patriarcat ou matriarcat).

Conclusion : la famille doit davantage être vue comme un fait culturel que comme un fait biologique ou naturel.
Pour savoir ce qu’est une famille (est-ce qu’on admet les mariages avec identité de sexe ? Qui sont les parents ?
Etc…), tout dépend de la culture en cause. Il n’y a donc pas une seule et même définition de la famille en droit.

2°) Quelle place accorder au droit dans les relations familiales ?

Le droit peut-il, doit-il, appréhender le phénomène juridique qu'est la famille ? Est-ce au droit de prévoir
l'obligation de fidélité entre époux et de sanctionner sa violation ? Est-ce au droit d'imposer aux enfants de
respecter leurs parents ? La frontière entre la morale et le droit est ici difficile à tracer (cf. le cours d’introduction
au droit privé).
Cependant, parce que la famille est la cellule de base de la société et parce que le droit n'existe que pour
organiser la vie en société, il était inimaginable que le droit ne s'intéresse pas aux relations familiales.

3°) L’évolution du droit de la famille

Racines : le droit positif de la famille puise ses racines dans le droit romain, mais aussi dans la culture judéo-
chrétienne. Ensuite, le Code civil en 1804 a permis à Napoléon d'imposer sa vision de la famille (je vise ici
l'adoption - qu'il avait autorisée afin de s'assurer une descendance - ou les dispositions sur le divorce).

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Cependant, à l’exception des règles relatives à la formation du mariage, il reste aujourd'hui assez peu de
dispositions du Code qui datent de 1804. Voici la liste des principales réformes (en prenant seulement les plus
récentes !) :
- Vague de réformes entre 1964 et 1975 (influence de Jean Carbonnier, comme rédacteur. Jean Foyer est
Garde des Sceaux) portant sur les régimes matrimoniaux, le divorce, la tutelle, l’autorité parentale.
- 1999 : introduction du PACS
- 2002 : Réforme de l’autorité parentale – Réforme du nom de famille
- 2004 : Réforme du divorce
- 2005 (ordonnance du 4 juill. 2005) : Réforme de l’adoption et surtout de la filiation
- 2013 : « le mariage pour tous »
- 2016 (loi du 18 novembre 2016, sur la « justice au XXIe siècle ») : admission du divorce par
consentement mutuel sans le contrôle du juge.
- 2019 (loi du 23 mars 2019, sur « la réforme pour la justice ») : le texte procède à une réforme du divorce
dans le cadre d’une réforme de la justice. Par cette dernière réforme, le législateur a entendu
désengorger les tribunaux. En conséquence, il a modifié certains aspects procéduraux du divorce, ainsi
que le recours au juge dans un certain nombre d’hypothèses en matière de filiation (ainsi, le
consentement à la procréation médicalement assistée avec recours à un tiers donneur n’est plus donné
devant le juge, mais devant un notaire).
- 2021 (loi relative à la bioéthique du 2 août 2021) : la « PMA pour toutes ».
- 2022 (loi du 21 février 2022) : réforme de l’adoption

Pourquoi ces réformes ?

1. Pendant longtemps, la doctrine a relevé que la jurisprudence faisait preuve de retenue dans ce
domaine (c’est très différent par rapport à ce qui a pu se faire en droit de la responsabilité civile, par
exemple, où le juge a largement réécrit les textes de 1804 sous couvert d’interprétation).

Pourquoi cette retenue du juge ? Parce qu’on touche à des questions fondamentales de
société. La Cour de cassation s’est donc longtemps estimée liée par les textes. S’ils ne
convenaient pas, elle laissait clairement entendre que la balle était dans le camp du législateur.
Elle ne s’est pas faite législateur (à la différence, encore une fois, ce qu’elle a pu faire en droit
de la responsabilité civile).

Exemple avec l’application littérale des textes du Code civil fermant la voie au mariage
entre personnes de même sexe avant 2013. C’est le législateur qui est intervenu pour
modifier les textes.

Nous verrons toutefois qu’aujourd’hui, cela est moins vrai. La retenue du juge, au profit du respect de
la loi, n’est plus ce qu’elle était. Cela tient au développement du contrôle de proportionnalité (sur ce
point, je vous renvoie au cours d’introduction au droit).

Pour autant, il reste que le juge n’intervient pas, en droit de la famille, au point de se faire législateur
(encore une fois, l’an prochain, vous verrez que c’est très différent en droit des obligations, notamment
en droit de la responsabilité civile). Lorsque le besoin d’une réforme se fait sentir, c’est en principe le
législateur qui prend la plume en droit de la famille.

2. A cela, il faut ajouter que, lorsqu’il intervient, le législateur le fait sous la « pression » de la société, à la
suite d’une évolution des mœurs. Et les mœurs ayant considérablement évolué en peu de temps, le
législateur a dû remettre plusieurs fois l’ouvrage sur le métier (en droit de la famille). D’où cette
succession de réformes.

Quel est le sens de ces réformes ? Qu’ont-elles changé ?

• Les principes d'égalité entre homme et femme et d'égalité des enfants, qu'ils soient légitimes ou non, ont
conduit à réviser l'intégralité du droit de la famille.

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Exemples :
o la distinction traditionnelle entre famille légitime (= enfants nés en mariage) et naturelle
(= enfants nés hors mariage) n'a plus lieu d'être.
o le principe d’égalité a été avancé au soutien de la réforme dite du « mariage pour tous ». A
raisonner de la sorte, il faut retenir que ce principe commande d’accorder un même droit
(fondamental, celui de se marier) à tous, sans distinction quant au sexe des époux.

• Le critère d'application des règles de droit de la famille est aujourd'hui presque systématiquement l'intérêt
de l'enfant.

• Corollaire de l'évolution des mœurs, la liberté individuelle a conduit à :


− libéraliser le divorce (cf. la place de plus en plus importante faite aux accords entre époux dans le
cadre d’un divorce ; la création du divorce pour rupture de la vie commune – aujourd’hui le divorce
pour altération définitive du lien conjugal ; l’admission d’un divorce par consentement mutuel sans le
contrôle du juge),
− permettre aux relations familiales de se nouer en dehors du cadre légal du mariage (c’est la création
du PACS, en 1999),
− reconnaître des situations familiales là où il aurait été inimaginable d'en voir il y a quelques décennies
(cf. le PACS et le mariage entre personnes de même sexe),
− adopter des règles spécifiques pour les familles monoparentales, voire pour les familles recomposées
(quel statut pour le beau-parent ?).

Qu’est-ce que cela signifie, concrètement, faire une place plus importante à la liberté individuelle ? Le droit
de la famille est considéré, notamment en raison du principe d'indisponibilité de l'état des personnes,
comme un droit impératif. Autrement dit, les règles du droit de la famille sont des règles d'ordre public.
Mais aujourd'hui, l'affirmation doit être nuancée : l'essor de la liberté individuelle et la diversité des
modèles familiaux ont conduit à faire une place de plus en plus grande à la volonté des membres de la
famille. C'est vrai pour la résolution des conflits familiaux (cf. le divorce par consentement mutuel ou le
poids des accords parentaux concernant l’exercice de l’autorité parentale), c'est vrai - dans une certaine
mesure - pour l'aménagement des rapports entre les membres d'un couple (cf. le droit des régimes
matrimoniaux). Cependant, attention à ne pas tout confondre : ces remarques ne doivent pas vous conduire
à conclure à la disparition de l'ordre public dans les relations familiales. Le caractère d'ordre public de
certaines règles est toujours bien présent, ne serait-ce qu'en raison de l'intérêt de l'enfant.

Exemples (du maintien de l’ordre public en droit de la famille) :

a) Article 1388 du Code civil : « les époux ne peuvent déroger ni aux devoirs ni aux droits qui
résultent pour eux du mariage, ni aux règles de l’autorité parentale, de l’administration
légale et de la tutelle ». Ainsi, les membres d’un couple marié ne peuvent pas décider, par
contrat, que leur mariage ne sera pas soumis au devoir de fidélité.

b) Les règles en matière de filiation sont impératives.

• Enfin, les progrès scientifiques ont posé de nouvelles questions : il a notamment fallu légiférer en matière
de procréation médicalement assistée.

Enfin, il vous faut retenir que l’influence des sources supra-législatives sur le droit de la famille ne cesse de
croître. Cela modifie la place du juge. Désormais, celui-ci joue un rôle plus important que par le passé (cf. la
question de la prohibition de l’inceste entre alliés dans le mariage ou encore celle de la prescription des actions
en matière de filiation).

Cette influence est d’abord le fait de la Cour européenne des droits de l’homme. Tout cela découle de
l’interprétation évolutive de la Convention (EDH) par la Cour (EDH).

Exemple avec l’évolution de la notion de « famille », évoquée à l’article 8 de la Convention européenne


des sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Concrètement, la Cour

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européenne des droits de l’homme a adopté une conception de plus en plus large de la notion de
famille. Conséquence : elle intervient de plus en plus sur le sujet. Beaucoup de choses relèvent, selon
la Cour, de la notion de famille.
Ainsi, elle a d’abord visé l’union d’un homme et d’une femme, en ce compris les descendants. Puis,
elle a jugé que la notion de vie familiale pouvait être appliquée à un transsexuel (converti au sexe
masculin) pour protéger ses relations avec l’enfant né d’une insémination artificielle avec donneur.
Enfin aujourd’hui, la Cour européenne des droits de l’homme va plus loin. Elle ne centre pas la
famille sur le mariage. Il peut y avoir une famille, en l’absence de mariage. Ce qui importe, en droit
européen, ce sont finalement les liens familiaux de fait, liés à une cohabitation ou à une affection.

Ensuite, il convient de relever l’influence qu’a eu la Convention internationale relative aux droits de l’enfant,
ratifiée en 1990 et émanant de l’ONU, sur le droit français. Certaines de ses dispositions sont applicables
directement (cf. le cours d’introduction au droit) depuis deux arrêts de la Cour de cassation de mai et juin 2005
(relatifs à la prise en considération de l’intérêt de l’enfant dans les décisions qui le concernent).

Enfin, le droit constitutionnel exerce également une certaine influence sur le droit de la famille, par
l’intermédiaire du contrôle de constitutionnalité :

Exemple de contrôle a priori : l’examen de la loi sur le PACS, avec de nombreuses réserves
d’interprétation.

Exemple de contrôle dans le cadre d’une QPC : la question du mariage des personnes de même sexe.

Pour appréhender ce droit mouvant qu’est le droit de la famille, il convient d'étudier successivement le couple
et l'enfant.

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A FAIRE !!!!! AUTO EVALUATION

- Qu’est-ce qu’une famille ?

- Citez 3 réformes récentes en droit de la famille

- Quelle place est faite à la liberté individuelle en droit de la famille ?

- Quelle est l’incidence de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit de la famille ?

NB : la réponse aux deux dernières questions doit être complétée ou approfondie à l’aide de ce qui va être vu
dans la suite du cours.

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PREMIÈRE PARTIE
LE COUPLE
Un peu de statistiques, pour commencer : en 2019, 227 000 mariages ont été célébrés, dont 6 000 unions entre
personnes de même sexe. Pour ce qui est des PACS, ils sont au nombre de 209 000, dont 8 589 entre couples de
même sexe pour ce qui est de l’année 2018. Enfin, il ne faut pas oublier que le concubinage est également très
répandu.

Nous commencerons par étudier le mariage, puis nous envisagerons le concubinage et le PACS, en gardant
cependant à l’esprit que la proportion de PACS ne cesse d’augmenter. Le PACS est donc une forme d’union qui
se développe, alors que le mariage est en perte de vitesse. Le poids du concubinage reste globalement stable.

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TITRE 1. LE COUPLE MARIÉ

La définition du mariage :

Traditionnellement, le mariage s’entend d’un acte juridique solennel par lequel deux personnes (qui peuvent
être de même sexe depuis la réforme de 2013) établissent entre elles une union dont la loi civile règle les
conditions, les effets et la dissolution.

De la définition précitée, il ressort, plus largement, que le mariage présente trois caractères :

1. Un caractère personnel
Le mariage est une union personnelle, et non familiale. Si l’on considérait qu’il s’agissait d’une union familiale,
il serait naturel que les familles interviennent dans sa formation. Or aujourd’hui, le Code civil insiste sur la
conception personnelle du mariage en limitant l’intervention familiale.
C’est aussi un acte personnel car il se concilie mal avec la représentation (c’est la question du mariage du majeur
protégé : même placé en tutelle, le majeur doit consentir à son mariage. Personne ne peut consentir en son
nom). Le mariage nécessite la présence effective des deux époux.

2. Un caractère civil
Le mariage a un caractère civil, c’est à dire laïque par lequel il se distingue du mariage religieux. Cela ne veut
pas dire que le mariage n’est qu’un contrat civil, mais seulement que la loi ne le considère qu’au regard du droit
civil. On est donc entièrement libre de donner à son mariage un caractère religieux, mais ce mariage n’a aucune
valeur légale.

3. Un caractère solennel
Par « solennité du mariage », on désigne la nécessité de sa célébration par un officier d’état public, plus
précisément un officier d’État civil. L’échange des consentements des époux, dans une cérémonie privée, par
exemple, n’est pas suffisant.

L’avenir du mariage (en droit français) :

Aujourd’hui, la question fondamentale à laquelle la société française doit répondre est celle du devenir du
mariage. Où va le mariage ? Plus exactement, quelle conception du mariage voulons-nous ?

Longtemps, le mariage a été lié à la procréation charnelle. Il a également longtemps reposé sur un fort ordre
public. Or, la position du droit français change à ce propos.
C’est particulièrement net avec la consécration du mariage entre les personnes de même sexe (longtemps
interdit, avant d’être admis en 2013), qui pose la question des liens entre mariage et parenté. De façon plus
précise, le législateur est à la croisée des chemins :

- Va-t-il maintenir les liens entre mariage et parenté ? Dans ce cas, il faudra repenser la filiation dans les
couples de même sexe. Si se marier va de pair avec l’établissement d’un lien de filiation au profit des
enfants venus au monde à la suite de cette union, il faudra en tirer les conséquences dans les mariages
entre personnes de même sexe (Faut-il légaliser la GPA ? Quid de l’extension du jeu de la présomption
de paternité aux couples de même sexe ? Etc…).

- Mais le législateur pourrait opter pour une toute autre approche et détacher le couple de la parenté.
Il lui faudrait alors supprimer les effets du mariage sur la filiation (et ainsi supprimer présomption de
paternité de l’homme marié ?), pour recentrer les effets du mariage sur le statut du couple (vers un
mariage « d’amour »… et un devoir… « d’amour » avec un divorce… pour « disparition de l’amour » ?).
Mais alors, le mariage ne va-t-il pas disparaître au profit du PACS ? Et quelle place pour l’ordre public (et
le contrôle de l’Etat), si l’objet du mariage consiste uniquement à organiser la vie de deux personnes qui
s’aiment ? Autant on peut comprendre que l’Etat intervienne lorsque le mariage est l’acte fondateur
d’une famille. Autant, si on reste dans le domaine de l’organisation de la vie à deux, on comprend moins
que l’Etat impose des règles auxquelles les parties ne pourraient pas déroger par un accord de volontés
(comme le devoir de fidélité ou la prohibition de l’inceste, par exemple). Sans compter qu’à ce compte-
là, tout le monde doit y avoir droit (au mariage) sous peine de discrimination injustifiée : comment le

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législateur peut-il refuser à un couple qui s’aime d’organiser sa vie amoureuse ? Ce type de
raisonnement pourrait avoir des conséquences directes sur l’inceste, y compris l’inceste absolu (on
devrait alors supprimer l’inceste ?).
Pour éviter une telle solution, certains (Mme Anne-Marie Leroyer) proposent de recentrer le mariage,
non pas sur quelque chose d’aussi évanescent que l’amour, mais sur quelque chose de plus aisé à cerner
ou identifier : l’assistance et la solidarité. Se marier, ce serait s’engager à se porter mutuellement
assistance et à faire preuve d’une solidarité (plus importantes que dans le PACS et, a fortiori, dans le
concubinage. D’où la prestation compensatoire possible uniquement lors de la dissolution du mariage.
D’où la vocation successorale réservée à l’époux. Etc…). En résumé, tout dépendrait de la force de
l’engagement (forte et c’est le mariage ; moyenne et c’est le PACS ; s’engager à rien… et c’est le
concubinage).

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CHAPITRE 1. LA FORMATION DU MARIAGE

En droit civil, l’évolution constatée depuis le Code civil est marquée par le désir de favoriser le mariage, en
assouplissant les exigences légales. Les conditions de formation du mariage ne sont donc pas très
contraignantes.

SECTION 1. LA VOLONTE DES EPOUX

Dire « oui, je le veux », cela suppose tout d’abord la possibilité de pouvoir ne pas le dire. C’est la question de la
liberté du mariage (I). Ensuite, nous verrons comment, concrètement, ce consentement au mariage doit se
traduire – lorsqu’il y a un « oui » (II).

I. La liberté du mariage

La liberté du mariage (ou encore liberté matrimoniale) est une liberté publique, garantie par l’État. On entend
d’ailleurs parfois parler d’un véritable « droit au mariage ». Plusieurs instruments internationaux consacrent
cette liberté.

Ainsi, l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales
dispose qu’« à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une
famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ».

Cette liberté matrimoniale comporte deux aspects : la liberté de se marier (A) et la liberté de ne pas se marier
(B).

A. LA LIBERTE DE SE MARIER

Que signifie cette liberté ? Elle signifie deux choses.

1. Tout d’abord le principe, c’est la liberté de mariage. Donc, en dehors des exceptions (très rares) qui sont
prévues par la loi, chacun est libre de se marier (ou de se remarier après un divorce ou le décès de son conjoint),
à tout âge et de choisir librement son conjoint. Aucune autorité administrative ou judiciaire ne peut priver un
individu du droit de se marier. Il n’existe pas de peine, si grave soit-elle, qui emporte une interdiction de se
marier.

2. Ensuite, c’est une liberté d’ordre public, ce qui signifie qu’elle est au-dessus des volontés individuelles. Plus
exactement, on ne peut pas renoncer à la liberté de se marier par avance (en souscrivant une clause de célibat,
c’est-à-dire une clause par laquelle on promet que l’on ne se mariera pas ou que l’on ne se mariera pas avec tel
ou tel). De façon plus précise, la jurisprudence opère une distinction selon que la clause litigieuse affecte une
libéralité (= une donation ou un testament) ou, au contraire, un contrat de travail (ou autre contrat à titre
onéreux) :

✓ Lorsque la clause de célibat affecte une libéralité, la jurisprudence renverse le principe de nullité et
considère que ces clauses sont en principe tolérées.

Votre grand-père peut ainsi vous léguer un studio à la condition que vous ne soyez pas marié
(parce qu’il souhaite que vous habitiez le studio. Il ne veut pas que vous le mettiez en location
et estime que le studio ne conviendrait pas à un couple).

De telles clauses ne deviennent illicites que s’il est établi que l’auteur de la libéralité est animé d’un
motif répréhensible (par exemple, la haine raciale).

Votre grand-père ne peut pas vous léguer le studio à la condition que nous n’épousiez pas une
personne ayant une couleur de peau différente de la vôtre parce qu’il est raciste.

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• Lorsque la clause de célibat affecte un contrat de travail (ou plus largement un contrat à titre onéreux),
le principe d’inefficacité est en revanche retenu par les juges.

C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 30 avril 1963, a jugé que les clauses
de célibat insérées dans les contrats de travail des hôtesses de l’air étaient dépourvues d’effet.

On peut aussi citer, dans le même sens, un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation
du 7 février 1968. Cet arrêt consacre l’inefficacité d’une clause qui interdisait le mariage
d’une assistante sociale exerçant en milieu rural. Certes, la salariée devait effectuer de
nombreux déplacements. Mais les juges ont estimé que le mariage ne nuisait pas à la bonne
exécution du contrat de travail. La clause limitant la liberté de se marier a dès lors été jugée
disproportionnée au regard de l’intérêt de l’employeur.

S’agissant du contrat de travail, ce principe d’interdiction des clauses affectant la liberté matrimoniale
découle aujourd’hui de l’article L. 1132-1 du Code du travail. Ce texte consacre le principe de non-
discrimination dans les relations individuelles de travail (= dans la relation employeur / salarié).

Cependant, il faut noter que ce principe de nullité des clauses restreignant la liberté de se marier dans
les contrats de travail connaît une limite : une atteinte à la liberté de se marier est possible lorsque
cette atteinte répond à une « exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant
que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ». Cela est expressément admis par l’article L.
1133-1 du Code du travail. Mais les juges font une application rigoureuse de ces principes, rigueur au
demeurant conforme à celle des juridictions européennes.

Pour aller plus loin : la jurisprudence européenne sur les entreprises de tendance

Tant la Cour de justice de l’Union européenne, que la Cour européenne des droits de l’homme se
montrent exigeantes à propos des sujétions qu’une entreprise dite « de tendance », c’est-à-dire
respectant des principes religieux, peut imposer à ses salariés.
S’agissant de la Cour de justice, cela ressort notamment d’un arrêt du 11 septembre 2018, venant
répondre à une question préjudicielle posée par les juridictions allemandes. Dans cette affaire, un
médecin, qui occupait les fonctions de chef de service de médecine interne dans un établissement de
type hospitalier respectant les principes de la religion catholique, est licencié à la suite de son
remariage. Il estime qu’un tel licenciement est contraire au principe de l’égalité de traitement
(consacré par l’article 4 d’une directive du 27 novembre 2000) dès lors que d’autres employés,
travaillant au même poste, peuvent librement se remarier s’ils sont d’une autre confession
(protestante par exemple) ou sans confession. La Cour de justice s’est montrée sensible à l’argument.
Elle relevé qu’en l’état du dossier, l’adhésion à la conception catholique du mariage n’apparaissait pas
nécessaire à la préservation de l’éthique de l’employeur, au regard des fonctions exercées par le
salarié.
Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle s’est montrée également rigoureuse en la
matière. Si elle a admis qu’une relation adultère puisse justifier le licenciement d’un salarié occupant
les fonctions de directeur des relations publiques pour l’Europe au sein de l’église mormone (CEDH,
Obst c/ All., 23 septembre 2010), elle a revanche jugé contraire à l’article 8 de la Convention le
licenciement d’un organiste employé par l’église catholique pour les mêmes faits (CEDH, Schüth c/ All.,
23 septembre 2010).

B. LA LIBERTE DE NE PAS SE MARIER

Cette liberté est garantie par l’exclusion de tout mariage forcé. Toutes les pressions qui viseraient à contraindre
une personne au mariage sont illicites. Dès lors, il faut s’intéresser à la rupture des fiançailles (1°) et aux clauses
obligeant au mariage (2°).

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1°) La rupture des fiançailles

C’est la liberté du mariage qui explique que les fiançailles n’ont pas de force obligatoire. Jusqu’au dernier
moment, les fiancés sont libres de ne pas se marier et donc par là-même libres de rompre les fiançailles. La Cour
de cassation (Civ., 30 mai 1838, arrêt Bouvier) en déduit que « toute promesse de mariage est nulle en soi,
comme portant atteinte à la liberté illimitée qui doit exister dans le mariage ».

Ainsi, les fiançailles ne sont pas une convention ou un contrat. En droit, les fiançailles sont un simple fait
juridique. Plusieurs conséquences découlent de cette qualification :

a) Le contentieux de la rupture des fiançailles est gouverné par le principe de la liberté de la preuve.

b) Il n’est pas possible d’obtenir l’exécution forcée des fiançailles, ou tout autre remède à l’inexécution du
contrat (pas de responsabilité contractuelle, notamment). Il est seulement possible de faire appel à la
responsabilité civile extracontractuelle pour faute (article 1240 du Code civil).

En quoi va alors consister la faute de l'auteur de la rupture des fiançailles (faute sanctionnée sur le fondement
de l’article 1240) ?

La rupture des fiançailles, en elle-même, n’est pas une faute car elle constitue l’exercice d’une liberté, reconnue
par le droit, la liberté de ne pas se marier. La rupture ne peut donc, à elle seule, engager la responsabilité de son
auteur. Néanmoins, ce principe connaît une limite importante qui est l’abus du droit de rompre.

La jurisprudence décide que la faute (ou l’abus du droit de rompre) réside d’une part dans la manière de rompre
et d’autre part dans les motifs de la rupture.

➔ S’agissant de la manière de rompre, il y aura faute si la rupture est incorrecte, injurieuse ou tardive
(plus on se rapproche de la date prévue pour le mariage, plus les juges ont tendance à admettre la faute.
Ainsi le fiancé qui disparaît le matin même du mariage ou alors celui qui ne se présente pas à la
cérémonie, sans même avoir rompu formellement les fiançailles, prétextant ensuite une panne de
voiture, est fautif…).

➔ D’autre part, la jurisprudence admet aussi que les motifs de la rupture, lorsqu’ils sont illégitimes,
peuvent être constitutifs d’une faute.

Ainsi est fautive la rupture inspirée par des considérations de fortune, de race, d’opinion ou
de milieu social. De la même manière, il a été jugé que l’opposition familiale ne constituait
pas un motif légitime de rompre, pas plus que l’annonce d’une grossesse.

Quant au préjudice réparable, il est d’abord moral. Mais il peut aussi être matériel (c’est l’exemple des frais
engagés en vue de la célébration du mariage ou d’une démission de la fiancée pour suivre son fiancé dans une
autre ville).
NB : le préjudice, tant matériel que moral, sera considérablement accru si la fiancée est délaissée enceinte ou
avec un enfant, ce qui est en pratique l’hypothèse la plus fréquente d’action en justice.

Enfin, il faut préciser le sort des cadeaux en cas de rupture des fiançailles. L’obligation de restituer le cadeau ou
au contraire la possibilité de le conserver dépend de la nature de celui-ci. Il faut donc distinguer plusieurs
catégories de cadeaux :

• Les présents d’usage (définition : cadeaux d’une valeur insignifiante au regard du train de vie et des
habitudes du donateur) restent définitivement acquis à la personne à laquelle ils ont été offerts et ne
peuvent pas être repris après la rupture, quelles que soient les circonstances de celle-ci.

Ainsi, une bague de fiançailles peut être considérée comme un présent d’usage et ne donner
lieu à aucune restitution.

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• Les cadeaux plus importants, inspirés par la considération du mariage futur, sont soumis à l’article 1088
du Code civil lequel dispose : « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne
s’ensuit pas ». Ils doivent donc en principe être restitués. Mais, la jurisprudence décide parfois que ces
cadeaux peuvent être conservés, comme une sorte de compensation, si la rupture provient d’une faute
du donateur.

A nouveau, la bague de fiançailles peut être soumise aux dispositions de l’article 1088 du
Code civil (dès lors qu’elle ne constitue pas un présent d’usage… ce qui est rare en pratique.
Aujourd’hui, qui met une somme énorme, au regard de son train de vie, dans une bague de
fiançailles ?).

• Toutes ces règles ne valent plus s’il s’agit d’un bijou de famille. Les bijoux de famille (qu’il s’agisse
d’ailleurs d’une bague ou d’un autre type de bijou) doivent rester dans la famille dont ils proviennent et
doivent donc être rendus quelles que soient les circonstances de la rupture (= même si l’auteur du don
a commis une faute) et quelle que soit leur valeur (donc même si l’on pourrait envisager la qualification
de présent d’usage).

2°) Restrictions contractuelles

Peut-on s’obliger à se marier par contrat et ainsi renoncer à la liberté de ne pas se marier (étant rappelé que les
fiançailles ne sont pas un contrat, en droit) ? La jurisprudence et le législateur autorisent des restrictions
indirectes à la liberté de ne pas se marier. De façon plus précise, il peut s’agir, par exemple, de clauses qui
subordonnent l’attribution d’un avantage à la condition que le bénéficiaire désigné se marie (votre grand-père
vous lègue la maison de famille à la condition que vous soyez marié-e parce qu’il s’agit d’une grande maison
et qu’il souhaite qu’on y entende des rires d’enfants). Ces clauses ne sont pas nulles, sauf circonstances
particulières (par exemple, discrimination raciale).

NB : on ne retombe pas sur la distinction entre clauses insérées dans les contrats à titre gratuits et
clauses insérées dans les contrats à titre onéreux parce qu’en pratique, on est dans le cadre d’un contrat
à titre gratuit. Personne n’embauche quelqu’un sous la condition qu’il se marie (en revanche, on
embauche sous la condition de non-mariage). Si on veut un couple (par exemple, un couple de gardien,
on n’embauche pas la femme sous condition qu’elle se marie. On trouve directement un couple).

II. Le consentement au mariage

L’exigence du consentement résulte de l’article 146 du Code civil qui dispose qu’il « n’y a pas de mariage, lorsqu’il
n’y a point de consentement ». Comme pour tout autre acte juridique, l’exigence du consentement, recouvre en
réalité deux exigences : d’une part, le consentement doit exister, il doit être réel (A) et, d’autre part, le
consentement doit être exempt de vices (non affecté d’un vice), on dit encore qu’il doit être intègre (B).

A. L’EXISTENCE DU CONSENTEMENT

Dans la mesure où les époux doivent échanger personnellement leurs consentements devant l’officier d’État
civil, on imagine mal un défaut total de consentement. La question sera plutôt de savoir si la volonté exprimée
par les époux correspond à leur volonté réelle. En d’autres termes, on devra rechercher si le consentement est
conscient et sérieux.

1°) L’exigence d’un consentement conscient

a/ La capacité à consentir

Il s’agit de se demander si celui qui a consenti était en pleine possession de ses moyens. Le consentement donné
par une personne privée de l’usage de la raison est ainsi inexistant. Dans cette hypothèse, le mariage sera nul.

De quelles hypothèses s’agit-il ? Il peut s’agir soit de démence ou de trouble mental grave, soit plus simplement
d’une privation temporaire de sa raison pour cause de drogue ou d’ivresse.

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b/ Les autorisations à mariage

Les mineurs :

Pour que le mariage d’un mineur ait lieu, il faut naturellement que celui-ci consente personnellement au mariage.
Mais cela ne suffit pas. Le droit exige également une autorisation de la famille proche du mineur. L’autorisation
est devenue relativement facile à obtenir. Il faut distinguer selon la situation familiale de l’intéressé :
• Si l’enfant a encore ses parents, le consentement des père et mère est exigé. En cas de désaccord entre eux,
le partage vaut consentement ce qui veut dire, en pratique, qu’un seul consentement suffit (article 148).
• Si l’un des parents est mort ou hors d’état de manifester sa volonté, le consentement de l’autre suffit (article
149).
• Si les deux parents sont morts ou hors d’état de manifester leur volonté, les ascendants (= les grands-
parents) les remplacent, l’opposition d’un seul ou même d’une branche pouvant être là encore surmonté
avec l’accord de l’autre (article 150).

Il faut par ailleurs préciser les caractères que doit revêtir l’autorisation pour être pleinement efficace :
1. En premier lieu, elle doit être spéciale. Il ne peut y avoir d’autorisation générale pour quelque mariage
que ce soit. L’autorisation doit donc préciser l’identité du conjoint que le mineur est autorisé à épouser.
Elle prend la forme d’un acte authentique irrévocable qui peut être donné avant ou au moment de la
cérémonie.
2. En second lieu, l’autorisation est en principe discrétionnaire. Cela signifie, concrètement, qu’aucun
recours n’est normalement possible contre un refus.

Les majeurs protégés (par une mesure préalable) :

Cf. le cours de droit des personnes vulnérables (en L 3 ou M 1).

2°) L’exigence de l’intention conjugale

Cette hypothèse recouvre le problème des mariages simulés, aussi appelés « mariages blancs ».

De quoi s’agit-il ? Le consentement des époux doit être l’affirmation de leur intention de vivre une vraie vie
conjugale et d’assumer toutes les conséquences personnelles et patrimoniales de l’engagement qu’ils vont
prendre. Or, il arrive que des personnes n’aient pas une véritable volonté de se marier, mais entrent dans les
liens du mariage dans le seul but d’obtenir un ou plusieurs avantages liés au mariage (avantages sociaux,
avantages fiscaux, obtention d’une nationalité ou d’un permis de séjour, avantages successoraux, assistance en
cas de maladie, etc…).

En droit pénal, les mariages blancs sont punis d’une peine de prison et d’une peine d’amende. Mais en droit civil,
faut-il considérer ces mariages comme nuls, car fictifs ?

La Cour de cassation s’est prononcée sur cette question dans un arrêt du 20 novembre 1963, (l’arrêt Appietto)
par lequel la Première chambre civile a jugé que, lorsque les époux n’ont eu en vue que des avantages étrangers
à l’union matrimoniale, leur mariage est nul sur le fondement de l’article 146 du Code civil, faute de véritable
consentement. En revanche, lorsqu’au moins un des effets du mariage a été recherché par les futurs époux, ce
mariage, appelé « mariage à effets conventionnellement limités » est valable. Il en va ainsi du mariage contracté
en vue de légitimer un enfant (ce qui était l’hypothèse de l’arrêt Appietto).

Cette solution exige toutefois de rechercher la finalité du mariage, ce qui est une question de psychologie
délicate.

CA Bordeaux, 8 septembre 1999 : annulation du mariage d’une française locataire avec le neveu
étranger des bailleurs, car le mariage avait été consenti en contrepartie de l’apurement d’un arriéré de
loyers, l’épouse vivant de surcroît en concubinage avec un tiers.

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Civ. 1, 19 décembre 2012 : une femme épouse un homme uniquement par esprit de lucre et cupidité (=
dans le seul but d’appréhender le patrimoine du mari pour assurer son avenir et celui d’un fils qu’elle
a eu avec un tiers). Elle se refuse à son époux après le mariage, ayant admis une relation sexuelle
uniquement le jour du mariage. En conséquence, le mari a des doutes sur la réalité de l’intention
matrimoniale de son épouse et s’interroge sur la nullité du mariage. Quelques jours après, Madame
lui assène des coups mortels.
Les juges du fond annulent le mariage et la Cour de cassation approuve : « ayant fait ressortir que
[Madame] n’avait pas eu l’intention de se soumettre à toutes les obligations nées de l’union conjugale,
c’est à bon droit que la cour d’appel, après avoir retenu que [Madame] s’était mariée dans le but exclusif
d’appréhender le patrimoine de [Monsieur]… » en a déduit l’annulation du mariage.
NB : est-ce si évident que cela ? Ne peut-on pas dire que madame voulait profiter de la vocation
successorale du conjoint survivant, but qui n’est pas étranger au mariage. Quand on se marie, n’est-ce
pas pour assurer « les vieux jours » des membres du couple (l’épouse le plus souvent) ?

B. L’INTEGRITE DU CONSENTEMENT

Lorsqu’on affirme que le consentement ne doit pas être affecté d’un vice, on indique qu’il doit être exprimé en
toute liberté et en connaissance de cause. S’il a été donné par erreur ou à la suite de pressions, il ne sera pas
libre et éclairé.

En droit commun des contrats, on rencontre trois vices du consentement : l’erreur, le dol et la violence. Seuls
deux d’entre eux sont admis en matière de mariage : l’erreur et la violence. Le dol, qui désigne toutes les
tromperies par lesquelles un contractant provoque chez son partenaire une erreur qui le détermine à contracter,
est exclu en matière de mariage. Pourquoi ? Parce que l’on considère qu’il est trop difficile de distinguer les
artifices normaux, qui ne sont qu’art de plaire, des artifices interdits au titre du dol (Ainsi, les femmes peuvent-
elles être exposées à l’annulation du mariage pour dol au motif qu’un maquillage très élaboré a caché à l’époux
un physique disgracieux au naturel ? De même, les hommes peuvent-ils être exposés à l’annulation du mariage
pour dol au motif que le choix avisé de la coupe des vêtements a fait croire en l’existence d’une musculature
finalement peu développée, voire a caché quelques formes généreuses ? Afin de ne pas entrer dans de tels débats,
le droit français exclut l’annulation du mariage pour dol). Cette idée est exprimée par le fameux adage de
Loysel : « En mariage, trompe qui peut ».

1°) L’erreur

Définition : l’erreur est une fausse représentation de la réalité. Elle consiste à croire vrai ce qui est faux et à croire
faux ce qui est vrai.

En matière de mariage, elle est régie par l’article 180, alinéa 2, du Code civil. Historiquement, cet article du Code
prévoyait la possibilité d’annuler un mariage uniquement en cas d’erreur sur la personne. Cette notion d’erreur
dans la personne a été interprétée restrictivement. Il a été jugé qu’elle désignait uniquement l’erreur sur
l’identité (physique ou civile) de la personne. Ainsi, il était possible d’annuler le mariage uniquement si l’un des
époux avait tu son véritable État civil (exemples : celui qui s’attribue un faux nom pour faire croire qu’il
appartient à une famille illustre ; celui qui cache un précédent divorce… sauf que l’arrêt se place sur le terrain
de l’erreur sur les qualités essentielles). En revanche, dans l’arrêt Berthon des chambres réunies en date du 24
avril 1862, l’action en nullité du mariage pour erreur a été refusée à une femme qui avait épousé, sans le savoir,
un ancien prisonnier.

En 1975, sous la pression de certaines juridictions de fond, le législateur vient consacrer une interprétation plus
libérale de l’article 180, alinéa 2, du Code civil, en y incluant l’erreur sur une qualité essentielle de la personne.
Ainsi, aujourd’hui, l’action en nullité pour erreur peut être invoquée aussi bien en présence d’une erreur sur
l’identité (physique ou civile) de la personne, qu’en présence d’une erreur sur une qualité essentielle de la
personne. C’est d’ailleurs cette seconde hypothèse qui est de loin la plus importante en pratique.

La difficulté va venir de la définition de cette notion : qu’est-ce qu’une qualité essentielle ? Pour répondre à cette
question, on peut opter pour une conception objective de la notion de qualité essentielle (dans laquelle une
qualité essentielle est une qualité communément attendue du conjoint) et/ou pour une conception subjective

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de cette même notion (dans laquelle c’est le caractère essentiel aux yeux du conjoint concerné qui compte,
sachant qu’une qualité peut être essentielle aux yeux d’une personne et être indifférente aux yeux d’une autre).
C’est la différence entre une appréciation in abstracto (= dans l’abstrait, d’un point de vue général) et une
appréciation in concreto (= au cas concret, dans le litige qui vous est soumis). Faut-il choisir entre ces deux
conceptions (et si oui, laquelle faut-il choisir) ?

Chaque conception a ses avantages (et ses inconvénients) :

• Il est plus facile de prouver le caractère déterminant d’une erreur portant sur une qualité jugée
essentielle par l’opinion publique, que s’il faut établir le caractère essentiel d’une qualité uniquement
aux yeux d’une personne déterminée.
Toujours en faveur de la conception objective, on peut ajouter qu’il ne faut pas autoriser une annulation
trop aisée, trop large du mariage. C’est un acte important de la vie civile.

• Mais d’un autre côté, on ne peut pas faire totalement abstraction de la psychologie de chacun. Il est des
qualités qui sont jugées essentielles par la majorité d’entre nous, mais pas par tous. Ceux qui ne voient
pas une qualité subjectivement essentielle dans une qualité objectivement essentielle ne doivent pas
pouvoir invoquer une erreur. Car ils ne se sont finalement pas trompés. La qualité qui fait défaut est
peut-être essentielle pour la majorité des français, mais pas pour eux, personnellement. Dans une telle
hypothèse, le mariage doit être maintenu.

Il faut ainsi deux conditions pour que l’erreur puisse être retenue comme cause de nullité du mariage : une erreur
objective sur les qualités essentielles du conjoint et une erreur déterminante du consentement (= réapparition
du critère subjectif).

Quelques exemples pour illustrer ce double critère :

- l’état de santé (VIH) peut être une cause de nullité pour erreur (TGI Dinan, 4 avril 2006). C’est une
qualité qui a été jugée objectivement essentielle. Mais certains peuvent estimer qu’à leurs yeux, ça
n’est pas une qualité essentielle. Ils peuvent ne pas voir d’inconvénient à épouser une personne atteinte
de ce virus. Dans ce cas, ils ne peuvent pas obtenir l’annulation du mariage pour erreur sur une qualité
essentielle au seul motif que leur conjoint leur aurait caché cet élément.

- le fait pour le mari d’avoir ignoré la grossesse de son épouse au moment du mariage n’est pas
considéré comme une erreur substantielle aux yeux de l’opinion commune. Cela n’ouvre donc jamais
la voie à l’annulation du mariage pour erreur (quand bien même il serait démontré qu’au cas
particulier, le demandeur à l’action en nullité en avait fait de l’absence de grossesse de l’épouse une
condition essentielle de son consentement).

- S’agissant des liaisons antérieures au mariage :

• l’erreur peut être retenue si la liaison n’est pas rompue au moment du mariage et si l’intention
de rompre n’est pas nettement établie ;

• en revanche, l’erreur est rejetée lorsque la liaison antérieure a été rompue (= pas d’obligation
de fidélité avant le mariage).

Une affaire jugée par le Tribunal de grande instance de Lille en avril 2008 a fait « beaucoup
de bruit », alors que l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 18 novembre 2008 (qui a infirmé le
jugement) a été bien moins médiatisé. Dans cette affaire, un époux a demandé la nullité du
mariage pour erreur sur les qualités substantielles de son épouse au motif que cette dernière
lui aurait menti au sujet de sa virginité.

Le TGI de Lille lui a accordé gain de cause, notamment en considération de ce que


l’épouse avait acquiescé à cette demande de nullité. Les époux étant d’accord pour

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considérer que la virginité était bien une qualité essentielle déterminante du


consentement, le mariage pouvait être annulé.
Mais le ministère public a relevé appel et la cour d’appel a infirmé cette première
décision. La cour d’appel a justement relevé que l’accord des époux sur la nullité est
sans incidence dès lors que sont en cause des droits dont ils n’ont pas la libre
disposition (= des dispositions d’ordre public, celles sur l’erreur en mariage).
Ensuite, la cour d’appel a affirmé que la virginité n’est pas une qualité essentielle
parce qu’elle n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale. En conséquence, le mariage
n’a pas été annulé (et les époux ont dû avoir recours au divorce pour régler leur
séparation).
Il faut passer outre les aspects politiques de cette décision, et s’interroger sur son
exactitude juridique. Si l’on s’en tient aux conditions d’erreur sur les qualités
objectivement essentielles et subjectivement déterminante, on arrive à la même
conclusion que la cour d’appel. Que l’erreur ait été déterminante pour l’époux, cela
semble clairement établi. En revanche, il est difficile de dire qu’il s’agit d’une erreur
objective sur les qualités essentielles (pour la majorité des candidats au mariage,
épouser une personne vierge n’est pas une condition essentielle de leur consentement
au mariage).

NB : bien souvent, ce qui ne peut pas être sanctionné sur le terrain de la formation du mariage et donc de la
nullité, peut l’être sur le terrain du divorce, qui sanctionne « la vie du mariage » et non sa formation.

2°) La violence

Elle est visée par l’article 180, alinéa 1, du Code civil qui dispose que « le mariage contracté sans le consentement
libre des deux époux, ou de l’un d’eux, ne peut être attaqué que par les époux ou par celui d’entre eux dont le
consentement n’a pas été libre, ou par le ministère public. L’exercice d’une contrainte sur les époux, ou l’un
d’eux y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage ».

Si on imagine difficilement une violence physique, la violence morale, des pressions illicites exercées sur une
personne pour la contraindre à se marier sont en revanche tout à fait envisageables. La violence morale provient
le plus souvent des membres de la famille ou de la belle-famille, mais on peut imaginer des pressions venant
d’un tiers, par exemple, le supérieur hiérarchique.

Traditionnellement, la violence est prise en compte si elle présente une certaine gravité. En droit commun des
contrats, la seule crainte révérencielle (respect, peur de déplaire aux parents) ne saurait vicier le consentement,
à moins qu’il n’y ait eu de vraies menaces de la part du père ou de la mère. Mais, depuis une loi du 4 avril 2006,
le droit de la famille s’est éloigné du droit des contrats. L’article 180 du Code civil prévoit en effet que la crainte
révérencielle est une cause de nullité du mariage. Les raisons de cette évolution du droit de la famille sont
connues : il s’agit de remédier aux mariages forcés de jeunes gens.

SECTION 2. LES RESTRICTIONS A LA FORMATION DU MARIAGE

I. Les conditions physiologiques

Traditionnellement, on explique nombre de conditions relatives à l’aptitude physique par cette idée selon
laquelle le mariage doit permettre la procréation. Cependant, aujourd’hui, on assiste à un changement de
paradigme. Le mariage n’est plus axé sur la procréation. On y voit davantage une vie de couple. La procréation
vient bien après. Partant, on constate un recul des conditions physiologiques.

A. LE SEXE DES EPOUX

En 1804, le Code civil n’exigeait pas expressément une différence de sexe des époux. Cependant, cela venait du
fait qu’à l’époque, la chose allait de soi. Les textes envisageaient ainsi l’union d’un homme et d’une femme, sans
prohiber expressément l’union entre deux personnes de même sexe.

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Aujourd’hui la question a été relancée, d’une part, avec le mariage « pour tous » ou mariage des couples de
même sexe et, d’autre part, en ce qui concerne la situation des transsexuels.

1°) Le mariage des couples de même sexe

Jusqu’en 2013, le droit français n’admettait pas le mariage homosexuel. Depuis 2013, les choses ont changé en
droit français. La loi du 17 mai 2013, dite sur le « mariage pour tous », est venue modifier l’article 143 du Code
civil. Désormais, le texte dispose que « le mariage est contracté par deux personnes de même sexe ou de sexe
différent ».

NB : le Conseil constitutionnel a été saisi de la constitutionnalité de la loi (dans le cadre du contrôle a


priori). Sans surprise (là aussi), il l’a validée (décision du 17 mai 2013) : il s’agissait d’une question de
société.

2°) Le mariage des transsexuels

De quoi s’agit-il ? Le sexe est une notion complexe. Il est le produit de la juxtaposition de plusieurs éléments
anatomiques, mais aussi génétiques et psychologiques. Or, il arrive que ces différents éléments ne concordent
pas. Il arrive, plus précisément, que l’élément psychologique ne concorde pas avec les éléments anatomiques et
génétiques.

Le transsexualisme peut alors être défini comme le sentiment irrésistible et inéluctable d’appartenir à un sexe
opposé à celui qui est génétiquement, anatomiquement et juridiquement le sien, avec le besoin de changer
d’état.

Sur le terrain juridique, les revendications des transsexuels se sont traduites par le désir de changer de
prénom et de sexe sur les actes de l’État civil.

Pendant longtemps, la Cour de cassation a adopté une position négative face à ces demandes. Elle a refusé tout
changement de sexe sur les registres de l’État civil, admettant uniquement un changement de prénom. Puis, en
1992, elle a opéré un renversement de jurisprudence à la suite de la condamnation de la France par la Cour
européenne des droits de l’homme. Désormais, un transsexuel peut donc obtenir une rectification de son sexe
sur les registres de l’État civil.

Une fois ce changement d’état admis, de nouveaux problèmes sont apparus (liés au mariage et à la filiation).
S’agissant du mariage, il faut distinguer la question relative à la possibilité pour le transsexuel de conclure un
nouveau mariage de celle qui concerne le sort du mariage préexistant.

- S’agissant du nouveau mariage : rien ne s’oppose à ce qu’une personne qui a obtenu la modification de la
mention du sexe sur ses actes d’État civil se marie. Mais celui qui aurait épousé un transsexuel sans le savoir
disposerait d’une action en nullité pour erreur ou encore d’une action en divorce pour manquement à l’obligation
de sincérité.

- Quant au mariage préexistant, doit-il être annulé, est-il caduc ou doit-il être maintenu ? Pendant longtemps, la
question a semblé résolue avec l’interdiction du mariage entre les personnes de même sexe (on pouvait alors
envisager la caducité, encore qu’il aurait fallu régler les conséquences : pouvait-on allouer une prestation
compensatoire ?). Aujourd’hui, l’argument ne vaut plus. Puisque le mariage entre personnes de même sexe est
admis, le mariage demeure valable. Reste à tenir compte d’une éventuelle absence de consentement du conjoint
au changement de sexe. Si le conjoint n’a pas consenti au changement de sexe, il semble impossible de lui
imposer d’être désormais marié avec quelqu’un du même sexe. Comment mettre fin au mariage dans ces
conditions ? Jusqu’à présent, cette question n’a pas été tranchée par le juge ou le législateur en droit interne.

Qu’en est-il du côté de la Cour européenne des droits de l’homme ?

CEDH, Parry c/ Royaume-Uni, 28 novembre 2006 : pas de condamnation de la loi anglaise qui oblige les
transsexuels à divorcer quand ils changent de sexe au cours du mariage. Ainsi, la Cour n’impose pas le
maintien du mariage du transsexuel qui change d’état au cours de l’union civile.

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CEDH, Hämäläinen c/ Finlande, 16 juillet 2014 : la législation finlandaise admet de changement d’État
civil pour les transsexuels, même lorsqu’ils sont unis par les liens de mariage. Cependant, un tel
changement d’État civil ne peut être admis qu’avec l’accord du conjoint. Si cet accord est donné, la loi
finlandaise transforme (automatiquement) le mariage en un partenariat (statut différent, mais qui offre
plus ou moins les mêmes droits). En droit finlandais, le mariage reste fondé sur une différence de sexe.
Le requérant conteste le fait qu’on lui impose d’abandonner le mariage pour aller vers le partenariat,
soumis en outre au consentement de son conjoint. La Cour européenne des droits de l’homme va
estimer qu’une telle législation n’est pas contraire à l’article 8 de la Convention (sur la vie familiale).

Justifications (avancées par la Cour) :


1. La Convention ne peut pas être comprise comme imposant le mariage entre les personnes de
même sexe.
2. Il n’existe pas de consensus en Europe sur la façon dont il convient de traiter le mariage
préexistant du transsexuel. En outre, la question soulève des considérations morales ou
éthiques délicates. La Cour en déduit l’existence d’une importante marge d’appréciation de
l’Etat.
3. Le droit interne en cause (le droit finlandais) permet plusieurs solutions (maintenir le mariage
sans changer l’État civil ; transformer le mariage en partenariat si l’époux ou l’épouse y
consent ; divorcer).
4. En l’espèce, c’est la deuxième option qui pose problème : le requérant voudrait que la voie du
maintien du mariage préexistant lui soit ouverte (sans que le consentement du conjoint ne soit
en outre exigé). Mais la Cour ne le suit pas : le consentement du conjoint se justifie (on ne peut
pas lui imposer de rester marié avec une personne du même sexe, quand il a contracté un
mariage fondé sur l’altérité sexuelle).
Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme relève que le contenu du mariage et du
partenariat sont très proches. En l’espèce, cela ne changerait pas grand-chose d’appliquer l’un
ou l’autre (aucune incidence sur les enfants, notamment).

B. L’AGE DES EPOUX

La loi française fixe une condition d’âge minimum, qui s’explique, d’une part, par l’exigence d’une certaine
maturité, d’autre part, par l’exigence de puberté, liée à la fonction procréatrice du mariage. Cet âge n’a cessé
d’être repoussé au fil du temps.

Aujourd’hui, c’est l’article 144 du Code civil qui règle cette question. Depuis la loi du 4 avril 2006 (relative aux
violences au sein du couple), il fixe la limite d’âge à 18 ans pour les deux époux (antérieurement : 15 ans pour la
fille et 18 pour le garçon). La réforme était nécessaire pour s’adapter aux réalités sociales (les filles ne se marient
que très rarement avant 18 ans), pour assurer une égalité entre époux (même âge pour les deux), et enfin pour
protéger les enfants (éviter les mariages forcés).

Cependant, l’article 145 du Code civil prévoit que le mariage peut être autorisé plus tôt (donc à moins de 18
ans) pour « motif grave ». C’est le procureur de la République qui doit donner cette dispense. La procédure
n’est pas exceptionnelle (il y en a aux alentours de 400 par an) et la dispense est le plus souvent accordée en cas
de grossesse de la femme, ce qui montre par ailleurs que la condition de puberté est remplie.

Remarque :

Lorsqu’un mineur veut se marier, il doit obtenir l’autorisation d’un parent (vue précédemment) + une dispense
d’âge délivrée par le procureur de la République.

C. LA SANTE DES EPOUX

Est-il nécessaire d’être en bonne santé pour se marier ? Le droit français répond par la négative. On imagine
facilement les dérives et les atteintes aux libertés individuelles auxquelles on pourrait assister si certaines
maladies, notamment des maladies héréditaires, pouvaient empêcher ceux qui en sont atteints de se marier. En
considération de ces risques, le droit français a choisi une position très libérale : aucune affection physique,

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aucune maladie, aussi grave soit-elle, ne peut s’opposer au mariage de celui qui en souffre, à condition qu’il
puisse exprimer son consentement et que celui de son conjoint soit donné en connaissance de cause (la
dissimulation d’une affection grave pourrait justifier une action en nullité pour erreur ou une action en divorce).

La condition de santé est si peu importante que le mariage des mourants, aussi appelé mariage in extremis, est
possible. Ce mariage est admis (depuis 1804 !) à la seule condition que le mourant soit en état de donner un
consentement lucide. Les formalités du mariage peuvent alors être assouplies (notamment l’officier d’État civil
peut se déplacer au domicile du mourant pour célébrer le mariage).

II. Les conditions sociologiques

Il existe deux empêchements à mariage :


- le mariage est interdit entre proches parents et alliés (c’est la prohibition de l’inceste - A) ;
- la pluralité de mariages concomitants, autrement dit la polygamie (c’est l’empêchement de bigamie), est
également interdite (B).

A. L’INTERDICTION DU MARIAGE INCESTUEUX

Quel est le fondement de la prohibition de l’inceste ? L’interdiction de l’inceste a longtemps été justifiée par des
considérations eugéniques (on pensait que des enfants issus d’unions consanguines pourraient être atteints de
malformations graves). Mais l’argument n’explique pas la prohibition de l’inceste entre alliés (il n’y a aucun risque
de consanguinité lorsqu’une ex-belle-fille épouse son ex-beau-père !). Il n’explique pas non plus la prohibition
de l’inceste entre (deux) frères ou entre (deux) sœurs (ce type de mariage est interdit depuis que le mariage
entre les personnes de même sexe est admis, alors qu’aucun enfant de ne peut naître de l’union de deux hommes
ou de deux femmes). Enfin, les considérations eugéniques n’expliquent pas davantage pourquoi on peut, dans
certaines hypothèses, lever la prohibition du mariage (dispense donnée par le président de la République).
Pourquoi le président peut-il, par exemple, lever l’empêchement à mariage entre un oncle et sa nièce ? Il y a un
risque de consanguinité et pourtant le mariage peut être admis. Par conséquent, il faut trouver un autre
fondement à la prohibition de l’inceste :

1. Dans cette perspective, certains vont évoquer la préservation de la paix des familles (si le beau-père
peut épouser sa bru, les relations risquent fort d’être difficiles dans la famille. Même chose si l’oncle
peut épouser sa nièce). Mais l’argument est jugé un peu court. Si nombre d’auteurs l’évoquent, bien
peu s’en contentent.

2. L’accord se fait plus volontiers sur le fondement suivant : la nécessité de préserver l’ordre et la structure
de la parenté. Si le beau-père ne peut pas prendre la place du père dans le lit de la mère et dans son
intimité, c’est parce que la solution inverse est de nature à de perturber gravement les enfants (très
concrètement, le grand-père prend la place du père dans le lit de la mère). Même raisonnement avec
l’oncle qui prendrait la place du père de l’enfant. Et ainsi de suite.

3. D’autres enfin font valoir que l’inceste interdit de se marier dans sa famille et impose d’aller chercher
un époux hors de famille. Ce faisant, l’inceste renforce la constitution de la société. C’est la différence
entre l’état de nature (où chacun reste replié sur soi et sa famille : on se marie « entre soi ») avec l’état
de culture (où l’on s’ouvre aux autres).

Sous l’angle du droit positif, il ne faut pas exagérer la portée des interdictions en matière d’inceste. Certaines
peuvent être levées par une dispense. Il faut donc distinguer les empêchements absolus (= insurmontables. Ce
type de mariage sera toujours nul), des empêchements qui peuvent être levés (avant la célébration, pas après !)
par une dispense.

▪ La prohibition du mariage est absolue (= aucune dispense possible) entre proches parents : tout cela est prévu
par les articles 161 et 162 du Code civil. Le mariage est donc interdit entre ascendant et descendant quel que
soit le degré les unissant (article 161) et entre frère et sœur (article 162).

▪ En revanche, entre parents plus éloignés, bien qu’en principe interdit, le mariage peut être
exceptionnellement autorisé.

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Ainsi, si le mariage est en principe interdit entre oncle et nièce ou neveu et entre tante et nièce ou neveu (article
163), il est exceptionnellement autorisé : l’interdiction de ce mariage en ligne collatérale peut être levée par une
dispense délivrée par le président de la République pour « des causes graves » (art. 164).

Le mariage est également prohibé entre alliés en ligne directe (article 161 : le mariage est par exemple
impossible entre une ex-belle-mère et un ex-gendre, même après un divorce). Cependant, là encore l’interdiction
peut être levée. Il faut toutefois que la personne qui a créé l’alliance soit décédée. En outre, la dispense peut
être donnée uniquement pour cause grave, celle-ci étant à nouveau appréciée par le président de la République.
Cette prohibition de l’inceste entre alliés en ligne directe a été remise en question par un arrêt de la Cour
européenne des droits de l’homme.

CEDH, B et L c/ Royaume-Uni, 13 septembre 2005 : par cet arrêt, la Cour européenne des droits de
l’homme a condamné la législation anglaise prohibant le mariage entre un ancien beau-père et son
ancienne belle-fille (femme de son fils, dont elle avait eu un enfant et dont elle avait divorcé) pour
violation de l’article 12 de la Convention (sur la liberté matrimoniale). La motivation de la Cour
européenne des droits de l’homme est toutefois assez confuse, parce que très factuelle :

- La Cour commence par relever que l’empêchement est partagé par nombre d’Etats en Europe
(un « large nombre » … = consensus ? Elle ne mentionne toutefois pas ce mot).
Cette première constatation, plutôt favorable à la législation britannique, ne va cependant pas
arrêter la Cour, qui va estimer (sans plus de justification) qu’il convient « néanmoins »
d’examiner la situation du Royaume-Uni au regard de son contexte interne.

- La Cour relève alors que la prohibition de l’inceste dont il est question est justifiée, en droit
anglais, à l’aide des arguments suivants : préserver l’intégrité de la famille (éviter les rivalités
sexuelles entre parents et enfants) et protéger les enfants qui pourraient être affectés par de
tels changements dans les relations entre les adultes qui les entourent (dans l’affaire B et L,
l’enfant avait fini par vivre avec sa mère et son grand-père, qui formaient un couple).
Ces arguments ne vont toutefois pas être jugés pertinents en considération de ce qu’une telle
interdiction (de mariage) n’empêche pas les relations de se nouer (entre le beau-père et la
belle-fille), même en présence d’enfants (qui ne sont donc pas protégés dans les faits).
C’est cependant un peu court, si ce n’est critiquable. Sauf erreur, nombre de sanctions pénales
(et que dire de la responsabilité civile pour faute ?) ont une fonction prophylactique (pensez
au meurtre). Certes, on veut protéger la société après coup. Mais il y a également une
dimension dissuasive. Or, il y a toujours des meurtres (et que dire du nombre de fautes
civiles ??). De façon encore plus criante, on peut prendre l’exemple des infractions routières
(les français ne sont pas des modèles du genre !) : faut-il supprimer tout le Code de la route
sous prétexte qu’il est régulièrement méconnu en fait ?

- Autre considération qui a joué, selon la Cour européenne des droits de l’homme : un groupe
de parlementaires (anglais) s’est interrogé sur le maintien de la règle. Or, la « majorité »
n’aurait vu dans cette règle qu’une tradition, sans réelle justification aujourd’hui, et c’est à la
faveur des agissements d’une « minorité » que la suppression de l’interdiction de cet inceste
aurait été écartée… ce qui montrerait que les opinions en la matière sont « divisées ».
L’objection ou la critique est évidente : tout cela paraît peu cohérent !

- Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme relève que la prohibition de l’inceste en cause
n’est pas absolue au Royaume-Uni. Elle peut être levée par le Parlement (selon le
Gouvernement anglais, le Parlement lèvera l’interdiction chaque fois qu’il sera assuré de ce
que aucun dommage ne s’en suivra). Or, la Cour juge cela particulièrement flou et imprécis.
Sans compter qu’elle ne comprend pas que l’interdiction puisse être levée (si elle est justifiée,
il faudrait toujours la maintenir selon elle… Singulière conception de la règle de droit, qui
confine à la rigidité excessive. Il y a autre chose que le tout ou rien en matière juridique).

En France, la décision de la Cour européenne des droits de l’homme a été critiquée. Outre les failles dans le
raisonnement précédemment relevées, les auteurs ont insisté sur la justification de la prohibition de l’inceste

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entre alliés du point de la vue de la société dans son ensemble. A nouveau, la différence de perspective entre la
Cour européenne des droits de l’homme et le droit français affleure : là où la première n’examine que des
situations individuelles (cf. le cas par cas + le fait que dans l’arrêt de 2005, les choses ne se passaient
vraisemblablement pas si mal que cela dans la famille. L’enfant ne devait pas être trop perturbé, par exemple),
le second raisonne à partir de principes généraux (l’intérêt de la société est d’un poids plus important que les
situations individuelles).

Dans un premier temps, l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas eu de suite. Ce n’est qu’en
2013 (soit 8 ans après) que la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence sur ce point (elle a même, plus
radicalement, approfondi le contrôle de proportionnalité. Lien avec le cours d’introduction au droit privé).

Civ. 1, 4 décembre 2013 : mariage d’une ex-belle-fille avec son ex-beau-père, alors que l’ex-mari est
encore en vie. Le mariage est donc théoriquement nul pour inceste (inceste entre alliés). Mais la nullité
du mariage n’est pas soulevée. Le père meurt, après avoir institué son épouse légataire universelle. C’est
alors que le fils soulève la nullité du mariage pour inceste, plus de 20 ans après la célébration du mariage
litigieux.
Les juges du fond annulent le mariage. L’action du fils n’est pas prescrite parce que soumise à
prescription de 30 ans (étant rappelé en outre qu’en application de l’article 187 du Code civil, le fils ne
pouvait pas agir en nullité du vivant des époux. Il devait attendre le décès de son père pour se prévaloir
d’un intérêt – patrimonial – né et actuel !). Et la nullité prévue par le Code civil répond à une finalité
légitime (maintenir des relations saines et stables dans la famille + préserver les enfants qui peuvent
être affectés par le changement de statut et des liens entre les adultes autour d’eux).
Mais la Cour de cassation censure au visa de l’article 8 de la Convention. Motif : l’annulation du mariage
revêtait le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale
de l’ex-épouse dès lors que le mariage, célébré sans opposition, a duré plus de 20 ans.

Bien que cela ne soit pas expressément indiqué, c’est assurément la prise en compte de la jurisprudence
B et L c/ Royaume-Uni (13 septembre 2005) qui explique cette censure. Il faut cependant remarquer
que la Cour de cassation ne s’est pas placée sur le terrain de l’article 12 (utilisé par la Cour européenne
des droits de l’homme en 2005), mais sur le terrain de l’article 8 de la Convention. Pourquoi ? A suivre
le communiqué de la Cour publié avec l’arrêt afin d’en faciliter la lecture (il donc faut un peu lire entre
les lignes de l’arrêt), on comprend que la Cour de cassation a pensé que l’article 12 de la Convention
européenne des droits de l’homme aurait commandé de neutraliser systématiquement l’inceste entre
alliés. En d’autres termes, l’utilisation de cet article aurait amené la fin de la prohibition de l’inceste
entre alliés (dans toutes les circonstances ou situations). Par contraste, l’article 8 de la Convention offre
davantage de souplesse : comme l’arrêt le démontre, les juges du fond pourront neutraliser
ponctuellement l’interdit, tout en le maintenant dans d’autres situations. Ainsi, la Cour de cassation a,
comme souvent, voulu faire œuvre de compromis : donner des gages à la Cour européenne des droits
de l’homme (elle l’a entendue. Elle connaît sa jurisprudence et la prend en compte) ; donner des gages
à la doctrine française (qui reste très attachée à la prohibition de l’inceste entre alliés).
Seul souci : et la prévisibilité de la solution ? Où mettre le curseur entre ce qui permet l’annulation de
mariage pour inceste et ce qui l’interdit ? Quid pour un mariage célébré sans opposition pendant 10
ans ? Quel rôle faire jouer, également, aux règles de publicité du mariage (un ex-mari ne pourrait-il pas
prétendre avoir ignoré [pendant 20 ans ?] le mariage intervenu entre son ex-épouse et son père ?) ?
Bref, l’arrêt soulève de nombreuses questions.

Comme celui de la Cour européenne (et pour d’autres raisons, en outre), l’arrêt de la Cour de cassation a été
critiqué par une partie de la doctrine. L’imprévisibilité des solutions a été souvent relevée, ainsi que la nécessaire
prévention de l’inceste entre alliés. Afin de clarifier sa position, et montrer qu’elle n’entendait pas supprimer la
nullité pour inceste entre alliés, la Cour de cassation a ultérieurement rendu un arrêt par lequel elle a, à l’inverse,
approuvé les juges du fond d’avoir annulé le mariage.

Civ. 1, 8 décembre 2016 : un homme épouse, en 3e noces, une femme ayant une fille âgée de 9 ans, née
d’une précédente union. Lorsque l’enfant a 25 ans, il divorce de la mère. Deux ans après, il l’épouse (et
l’ex-épouse, la mère de l’enfant, est vraisemblablement encore en vie). 8 ans après le mariage, l’époux
décède. Les enfants du défunt assignent alors l’épouse survivante en nullité du mariage.

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Les juges du fond font droit à l’action. Eléments relevés au soutien de l’annulation : l’époux prédécédé
a été une figure paternelle pour celle qu’il a épousée en dernier + le mariage a duré peu de temps (8
ans) + aucun enfant n’est né de cette union.
Pourvoi de l’épouse, qui invoque une atteinte disproportionnée à son droit au mariage (avec une
critique en règle de la nullité pour inceste entre alliés fondée sur l’article 12 de la Convention
européenne des droits de l’homme) + une violation de son droit au respect de la vie privée dès lors que
le mariage a été célébré sans opposition et a duré plusieurs années [fondement : article 8 de la
Convention + reprise de la jurisprudence de 2013]).

Mais la Cour de cassation va rejeter le pourvoi :

• Sur le fondement de l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme (et du droit
au mariage), la Cour de cassation commence par rappeler la position de principe de la Cour
européenne des droits de l’homme. Selon cette dernière, si les états membres peuvent fixer les
conditions du mariage, et ainsi limiter le droit au mariage, ils ne peuvent porter atteinte à la
substance même de ce droit. Vous voyez alors apparaître une différence (subtile !) entre limiter
(possible) et supprimer (impossible) le droit au mariage.

Puis, la Cour de cassation confronte ensuite ces principes à l’espèce. Elle retient alors la conclusion
suivante : pas d’atteinte au droit de se marier en l’espèce car il n’y a pas eu d’opposition au
mariage + le couple a eu une vie maritale jusqu’au décès. L’annulation du mariage ne méconnaît
donc pas le droit au mariage de « l’épouse » survivante.

Un tel raisonnement pose un certain nombre de problèmes :

I. C’est faire abstraction de l’effet rétroactif de l’annulation du mariage. En droit, on considèrera


qu’il n’y a jamais eu de mariage.

II. Mais ce premier argument peut être écarté au regard de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme, qui est plus attachée au vécu, aux faits, qu’aux principes théoriques.
Peut-être, mais à ce compte-là, le législateur peut tout interdire ou presque puisque seul le
compte le fait que les personnes en cause aient pu avoir un « semblant » de mariage. Il peut
vider le droit au mariage de sa substance, dès lors que dans les faits, l’action en nullité est
exercée quelques années après. C’est intenable comme solution.

• Venons-en, ensuite, à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. A nouveau,


la Cour de cassation commence par rappeler la règle posée par le texte. Puis, elle la confronte aux
faits de l’espèce :

➢ Selon elle, quand le droit français prohibe le mariage entre alliés proches, il y a bien ingérence
dans le droit au respect de la vie privée.

➢ Mais l’ingérence poursuit un but légitime, à savoir sauvegarder l’intégrité de la famille et


préserver les enfants.

➢ Vient enfin le contrôle de proportionnalité. S’appuyant sur la motivation des juges du fond, la
Cour de cassation estime que l’atteinte n’est pas disproportionnée dès lors que « l’époux » a
été une référence paternelle de « l’épouse » + le mariage a duré 8 années + le couple n’a pas
eu d’enfants.

Conclusion : que se passe-t-il si on change un des éléments, juste un (pas de référent paternel ;
ou mariage de 15 ans ; ou enfants) ?

B. L’EMPECHEMENT DE BIGAMIE

La bigamie doit être distinguée de la pluralité de mariages successifs. Dans la bigamie, les mariages se
chevauchent (= une personne est mariée à deux personnes à un même instant. NB : il peut y avoir bigamie en

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cas de pluralité de mariage entre les mêmes personnes), alors que des mariages successifs ne se chevauchent
pas (La personne est toujours mariée à une seule personne. Simplement, la dissolution d’un mariage est
rapidement suivie de la conclusion d’un nouveau). Cette distinction est importante car si la bigamie est interdite,
les mariages successifs sont permis.

Ce principe d’interdiction de la bigamie est posé par l’article 147 du Code civil qui dispose qu’« on ne peut
contracter un second mariage avant la dissolution du premier », étant précisé que la dissolution peut résulter
d’un divorce ou d’un décès.

L’importance de ce principe est telle que la bigamie est sanctionnée, non seulement en droit civil, mais également
en droit pénal (peine de prison + amende). Sur le plan civil, la sanction est la nullité absolue du second mariage.

Le législateur s’efforce également de prévenir la bigamie en exigeant que les futurs époux produisent, avant la
célébration du mariage une copie de leur acte de naissance, datant de moins de trois mois, sachant que le
mariage est toujours inscrit en marge de l’acte de naissance. Cependant, il peut quand même y avoir des fraudes.

Civ. 1, 26 octobre 2011 : une femme se marie 3 fois et divorce trois fois. Problème : elle se remarie à
chaque fois avant la dissolution (par prononcé d’un divorce) de sa précédente union. Ainsi, elle
contracte un premier mariage qui dure de juillet 1991 à octobre 1999. Elle contracte un second mariage
de décembre 1995 à juin 2000 (après avoir falsifié un extrait de naissance, de sorte que le précédent
mariage n’apparaissait pas), soit avant la dissolution du premier. Enfin, elle contracte un troisième
mariage qui va durer de décembre 1999 à mars 2006 (à nouveau elle falsifie son extrait de naissance).
Le troisième mari demande la nullité du mariage pour bigamie. L’épouse se défend en produisant une
assignation tendant à l’annulation de son second mariage pour bigamie. Elle demande un sursis à
statuer dans l’attente de la décision devant intervenir sur cette assignation (puisque si le second
mariage est annulé pour bigamie, un tel vice disparaît pour le 3 e mariage… qui deviendra un second
mariage contracté alors que Madame était divorcée de son premier mari – seul mariage antérieur
subsistant).
La cour d’appel écarte l’argumentation de la femme et prononce l’annulation du 3e mariage pour
bigamie.
Mais la Cour de cassation va censurer l’arrêt au visa de l’article 189 du Code civil. Ce texte prévoit que
« si les nouveaux époux opposent la nullité du premier mariage, la validité ou la nullité de ce mariage
doit être jugée préalablement ». Et de fait, la « nouvelle » épouse opposait la nullité du « premier »
mariage (= mariage précédent, le 2e en l’espèce). Il fallait donc d’abord trancher la question de la
validité du deuxième mariage avant de s’interroger sur la validité du 3 e.

Remarque : pourquoi l’épouse voulait-elle éviter la nullité du 3e mariage ? Vraisemblablement pour


contraindre son époux au divorce et bénéficier d’avantages pécuniaires qu’elle n’aurait pu obtenir sur
le terrain de la nullité du mariage en raison de sa mauvaise foi (cf. ci-après les développements sur le
mariage putatif).

SECTION 3. LES FORMALITES DU MARIAGE

I. Les formalités préalables

Il y a la publication (du projet de mariage), la production de certaines pièces et l’audition des époux. Ces
formalités ont été alourdies par les lois de 2006 afin de renforcer le contrôle du consentement matrimonial.

A. LA PUBLICATION

L’idée de la publication est de prévenir les tiers et de les inciter à faire connaître les empêchements dont ils
pourraient avoir connaissance. C’est l’article 63 du Code civil qui prévoit les formes de la publication, à savoir
l’apposition d’une affiche sur les portes de la maison commune (= la mairie) du lieu où sera célébré le mariage
et du lieu, s’il est différent, où chacun des époux a son domicile ou sa résidence. L’affichage sera maintenu
pendant les 10 jours qui précèdent le mariage. C’est ce que l’on appelle la publication des bans.

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Le procureur de la République peut, pour cause grave, dispenser les futurs époux de la publicité du projet de
mariage (= mariage in extremis ou grossesse très avancée, par exemple).

Néanmoins, toute cette publicité organisée par le Code civil est d’une efficacité douteuse, car peu de gens lisent
les affiches dans les mairies (en dehors des photographes spécialisés dans les photos de mariage…).

B. LES PIECES A PRODUIRE

Le premier objectif est de mieux informer l’officier d’État civil sur l’identité des futurs époux. Ceux-ci doivent dès
lors produire chacun une copie intégrale de leurs actes de naissance datant de moins de trois mois, ce qui
permet de vérifier leur identité, le fait qu’ils ne sont pas déjà mariés et qu’aucun lien de parenté prohibé par
la loi n’existe entre eux. Ils devront aussi fournir une pièce d’identité officielle.

On peut exiger une autorisation (s’il s’agit d’un mineur), une dispense d’âge (même remarque) ou encore un
certificat attestant que les époux ont fait un contrat de mariage (s’ils ont choisi d’en faire un).

Enfin, les époux doivent indiquer à l’avance l’identité de leurs témoins.

C. L’AUDITION DES FUTURS EPOUX

L’article 63 du Code civil impose à l’officier d’État civil de procéder à l’audition commune des époux, sauf lorsqu’il
apparaît que les conditions relatives aux articles 146 et 180 sont remplies, c’est-à-dire celles liées au
consentement (= existence du consentement certaine + absence de vice évidente).

II. La célébration du mariage

Caractère solennel du mariage :


- Le mariage est célébré à la mairie du lieu où l’un des époux au moins a son domicile établi par au moins un mois
d’habitation.
- Le mariage est célébré par un officier d’État civil, c’est à dire par le maire ou par un adjoint qui lira aux époux
les articles du Code relatifs aux effets du mariage (articles 212 à 215 et 371-1… Mais plus l’article 220), recueillera
leurs consentements, prononcera leur union au nom de la loi et enfin dressera l’acte de mariage. Cet acte est
important car il est le mode de preuve normal du mariage.
- La cérémonie est publique et requiert la présence des époux, ainsi que des témoins qui doivent être deux au
minimum, quatre au maximum.

L’article 146-1 du Code civil impose la comparution personnelle des époux lors de la célébration du mariage
(= pas de représentation possible).

Quant au mariage posthume (qui n’est autre que le mariage d’une personne défunte), l’article 171 du Code
civil qui prévoit que le président de la République peut pour motif grave autoriser la célébration d’un tel
mariage. Pour pouvoir prétendre à un tel mariage, le survivant doit naturellement prouver qu’au moment de son
décès, le défunt entendait réellement se marier avec lui.

Pour éviter que ce système ne se transforme en une chasse aux successions, le mariage posthume ne produit
toutefois pas d’effets successoraux. L’époux survivant n’a aucun droit sur la succession du défunt en vertu de la
loi. En réalité, l’essentiel des effets de ce mariage concernait l’enfant, qui était ainsi considéré comme enfant
légitime. Mais depuis l’ordonnance de 2005, cela n’a plus aucun intérêt puisque la distinction entre enfants
légitimes et naturels a disparu.

Par ailleurs, le mariage donne aussi le droit à l’épouse survivante de porter le nom du défunt et de réclamer des
droits sociaux.

Il faut enfin noter que le mariage posthume a un effet rétroactif qui remonte à la date du jour précédant le décès
de l’époux.

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SECTION 4. LA SANCTION DES CONDITIONS DE FORMATION DU MARIAGE

Important : ne pas confondre les sanctions de la formation du mariage avec le divorce qui concerne l’exécution
d’un mariage valable

Il est à présent question de la formation du mariage et des sanctions qui s’attachent à un vice de formation de
l’engagement. En d’autres termes, nous nous attachons ici à des vices qui existent ab initio (= dès le début du
mariage).

Il ne faut alors pas confondre la question de la sanction des vices qui affectent la formation du mariage avec celle
de la sanction des difficultés rencontrées en cours d’exécution du mariage (ce qui suppose que l’on soit en
présence d’un mariage valable). C’est le divorce qui permettra de mettre fin à un mariage dont « l’exécution »,
si on veut parler en termes contractuels, serait sujette à caution.

Ainsi, on annule un mariage pour bigamie lorsqu’au moment de s’engager, l’un des époux était déjà marié, alors
qu’on prononce un divorce pour faute en cas d'adultère survenu après le mariage. Parce que les vices ne sont
pas les mêmes (la bigamie affecte la conclusion du mariage, quand l’adultère concerne l’exécution du devoir de
fidélité), les sanctions diffèrent (nullité avec, en principe, effet rétroactif dans le premier cas ; divorce avec
disparition du mariage seulement pour l’avenir dans le second).

Quant à la formation du mariage, il faut comprendre qu’il existe des sanctions qui vont intervenir avant que le
mariage ne soit célébré, et d’autres qui interviendront après la célébration pour remettre en cause ce mariage.
Il faut donc distinguer les sanctions préventives (= les oppositions à mariage, I), des sanctions répressives (= les
nullités, II).

I. Les oppositions à mariage

Les oppositions à mariage sont préventives, en ce sens qu’elles visent à empêcher la conclusion du mariage.

En principe, l’officier d’État civil ne doit pas célébrer un mariage s’il existe un empêchement à mariage, c’est-à-
dire s’il manque une de ses conditions de validité. Concrètement, cet empêchement va être signalé à l’officier
d’État civil par le biais d’une opposition (formée par une personne). Mais dans la mesure où l’opposition ainsi
formée empêche le mariage, ses conditions et effets sont encadrés. Cela signifie, très concrètement, que tout le
monde ne peut pas former opposition à un mariage pour n’importe quel motif.

Qui peut former opposition ?

Lorsque l’officier d’État civil soupçonne une absence de consentement ou un vice du consentement (article
146 et 180), notamment à l’issue de l’audition facultative qui peut avoir lieu avant la célébration du mariage, il
« peut » saisir sans délai le ministère public (article 175-2, al. 1).

Le procureur de la République doit alors décider, dans le délai de 15 jours (même texte, al. 2 à 4) :
- de laisser le mariage se célébrer,
- ou d’y faire opposition,
- ou de faire surseoir à sa célébration en attendant les résultats de son enquête (ce sursis ne peut excéder
deux mois à l’issue desquels il est décidé de lever l’opposition ou de s’opposer à la célébration).

Un tel droit d’opposition est accordé au ministère public par l’article 175-1 du Code civil. Ce texte dispose que :
« le ministère public peut former opposition pour les cas où il pourrait demander la nullité du mariage », c’est-
à-dire non seulement pour les cas sanctionnés par une nullité absolue, mais aussi pour vice du consentement
(article 180). Le texte vise plus spécialement l’hypothèse où l’intention conjugale fait défaut chez les futurs époux
qui s’apprêtent à contracter un mariage fictif (cas de nullité absolue. Cf. ci-après) ou bien l’hypothèse du mariage
forcé (violence, cas de nullité relative pour vice du consentement).

Ce système a été validé par le Conseil constitutionnel dans une décision QPC du 22 juin 2012. Le Conseil
constitutionnel a relevé les nombreuses garanties (le ministère public doit motiver sa décision de former

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opposition + possibilité de contester l’opposition du ministère public devant un juge + la charge de la preuve du
bien-fondé de l’opposition qui pèse sur le ministère public). Conclusion : pas d’atteinte excessive à la liberté de
mariage (selon le Conseil).

Cependant, les vérifications de l’officier d’État civil et du ministère public ne sont pas toujours suffisantes.
Aussi, elles s’accompagnent de la possibilité pour les proches des futurs époux d’avertir l’officier d’État civil de
l’existence d’un empêchement à mariage, par le biais d’une opposition. L’officier d’État civil est alors obligé de
surseoir à la célébration jusqu’à ce que la mainlevée de l’opposition soit obtenue.

C’est un moyen de prévenir la nullité qui est salutaire, mais qui doit être encadré afin qu’il ne dégénère pas en
malveillance. Cette opposition des tiers est régie par les articles 172 et suivants du Code civil :

• Le droit d’opposition est tout d’abord accordé à celui qui est encore uni par les liens du mariage
avec l’un des futurs époux, en cas de bigamie (article 172).

• Selon l’article 173 du Code civil, le droit de former opposition appartient également aux ascendants
(père et mère et, à défaut, les aïeuls et aïeules). Les ascendants peuvent invoquer n’importe quel
empêchement (donc même le défaut de publication des bans).
Mais, afin d’éviter que les ascendants ne se relayent pour former des oppositions et retarder
indéfiniment le mariage (puisqu’ils disposent d’un droit d’opposition assez étendu), l’article 173,
alinéa 2, du Code civil prévoit qu’ils ne peuvent faire opposition qu’une seule fois. Par conséquent,
lorsqu’une première opposition a fait l’objet d’une mainlevée, les ascendants ne peuvent plus faire
opposition, même pour un motif nouveau.

Formes de l’opposition :

L’opposition est formée par acte d’huissier et doit mentionner, à peine de nullité la qualité de l’opposant et le
texte fondant l’opposition.

Effets de l’opposition :

L’opposition cesse de produire effet :

- soit en raison de sa mainlevée (= son retrait).

o La mainlevée peut être judiciaire (= le ou les futurs époux ont rapporté la preuve en justice de
ce que l’opposition n’était pas fondée).

o La mainlevée peut également être volontaire (= l’auteur de l’opposition l’a verbalement retirée
devant l’officier d’État civil ou les futurs époux ont produit une copie d’un acte notarié ou
d’huissier attestant de la mainlevée par l’auteur de l’opposition).

- soit en raison de sa péremption (après une durée d’un an, l’opposition est automatiquement caduque).

NB : en cas d’opposition faite par le ministère public, elle ne cesse de produire effet que par décision de justice.

II. Les nullités du mariage

La nullité sanctionne le non-respect, au moment du mariage d’une condition de formation, de fond ou de forme
exigée par la loi.

Point de départ : toutes les conditions de formation du mariage ne sont pas des conditions de validité. En d’autres
termes le mariage peut être considéré comme valable, alors même que certaines conditions n’ont pas été
réunies. Ces conditions de formation, qui ne sont pas des conditions de validité, constituent des empêchements
que l’on appelle empêchements simplement prohibitifs, par opposition à des empêchements que l’on appelle
dirimants.

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• Les empêchements prohibitifs ou simples font obstacle à la célébration du mariage s’ils sont révélés avant
celle-ci. L’officier d’État civil est dans l’interdiction de procéder à la célébration. Mais si le mariage a été célébré,
ils ne justifient pas l’annulation.

Ces empêchements, qui recouvrent en réalité des exigences secondaires, se sont réduits à un seul empêchement
aujourd’hui : le défaut de publication des bans.

• Les empêchements dirimants sont ceux dont l’inobservation conduit à la nullité du mariage, ce dont il va être
question dans les développements qui suivent.

A. LE PRONONCE DE LA NULLITE

1°) Les cas de nullité

Le droit français distingue entre deux catégories de nullités, les nullités relatives (qui ne protègent, en résumé,
que des intérêts privés) et les nullités absolues (qui protègent l’intérêt général), qui obéissent à un régime
différent (la voie de la nullité est plus étroite en présence d’une nullité relative. A l’inverse, une nullité absolue
sera plus facilement prononcée). Il faut donc veiller à ne pas confondre ces deux types de nullités.

Les cas de nullité relative sont :


1. le vice du consentement d’un des époux (erreur ou violence visées à l’article 180 du Code civil),
2. l’absence d’autorisation de certaines personnes alors qu’une telle autorisation était requise (il s’agit des
mariages des mineurs et des majeurs protégés, article 148 et 182).

Les cas de nullité absolue sont plus nombreux. Ils sont prévus par l’article 184 du Code civil :
1. L’impuberté : c’est le mariage d’une personne qui n’a pas atteint l’âge légal (18 ans), sans avoir obtenu
de dispense du procureur de la République pour ce faire.
2. Le défaut de consentement : ce sont les hypothèses d’un mariage contracté sous l’empire d’un état de
démence ou encore l’hypothèse du mariage simulé, c’est à dire l’absence de véritable intention
conjugale. Ne pas confondre avec les vices du consentement (cas de nullité relative).
3. Le défaut de comparution personnelle.
4. La bigamie, étant précisé que le mariage peut être annulé même si la bigamie a cessé depuis (par
exemple en cas de décès du premier conjoint).
5. L’inceste. Il faut alors noter que la nullité est encourue même si la prohibition pouvait être levée par
une dispense, dès lors que cette dispense a été refusée ou n’a pas été demandée.

A cela, il faut ajouter deux cas de nullité absolue facultative (article 191) :

1. L’incompétence de l’officier de l’État civil : il peut s’agir par exemple d’un mariage célébré dans une
commune où aucun des deux époux n’avait son domicile ou sa résidence.
Le juge dispose toutefois d’une faculté d’appréciation concernant l’opportunité de prononcé l’annulation du
mariage. En d’autres termes, il peut écarter la nullité du mariage. En pratique, la nullité sera prononcée si
l’incompétence de l’officier d’État civil a eu pour conséquence de rendre le mariage clandestin avec une
volonté de fraude à la loi. Et c’est normal : pourquoi annuler un mariage célébré dans une commune au sein
de laquelle les époux ne résidaient pas depuis assez longtemps (de sorte que leur domicile n’y étant pas fixé,
le maire n’était pas compétent) ? Si les époux ont voulu un mariage « au soleil » et que ça a marché, tant
pis. On ne va pas annuler le mariage pour ça. En revanche, il en va tout autrement si les époux se sont
arrangés pour faire célébrer leur mariage dans un lieu loin de celui qui n’aurait pas manqué de former
opposition et se sont arrangés pour que la publicité n’ait pas lieu. Il y a ici une volonté de fraude, qui doit
être sanctionnée par la nullité du mariage.

2. La clandestinité est également un cas de nullité absolue facultative. En pratique cependant, les juges vont à
nouveau avoir tendance à écarter la nullité, même en présence du vice de clandestinité. Ils vont retenir la
nullité uniquement lorsque la clandestinité trahit une volonté de fraude à la loi (exemple : les époux n’ont
pas voulu avertir les tiers pour éviter une opposition qui aurait, sinon, été immanquablement formée).

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Attention : ne pas confondre la clandestinité avec l’absence de publication préalable

La clandestinité s’entend d’une absence de témoins et/ou de la fermeture des portes de la marie ou d’un
mariage célébré dans un lieu privé.

2°) La mise en œuvre de la nullité

Les différences entre nullité absolue et nullité relative ressortent lorsqu’on envisage la mise en œuvre de ces cas
de nullité.

a/ les titulaires de l’action en nullité

Dans les hypothèses de nullité relative, les personnes qui peuvent agir sont celles que la loi méconnue
cherchait à protéger.

• Par conséquent, en cas de vice du consentement l’action ne devrait pouvoir être intentée que par
l’époux dont le consentement a été vicié.

Mais l’article 180 du Code civil prévoit que l’action en nullité peut également être intentée par le
ministère public en cas de consentement non libre (= violence, mais pas erreur) : cette intervention
est considérée comme nécessaire en cas de mariage forcé, car la contrainte persiste après la
célébration du mariage, empêchant par là-même l’époux dont le consentement est vicié d’exercer
l’action en nullité.

A nouveau, ce droit d’agir du ministère public a été critiqué devant le Conseil constitutionnel (décision
QPC du 22 juin 2012, préc.). Et à nouveau, les textes ont été validés. Le Conseil constitutionnel a
notamment relevé que l’article 180 du Code civil permettait au ministère public d’agir en cas de
contrainte. Donc loin de porter atteinte à la liberté matrimoniale, ce texte la renforce.

Pour l’erreur, en principe, seul l’époux dont le consentement a été vicié peut demander la nullité.
Pourtant, dans l’affaire de la nullité du mariage pour défaut de virginité de l’épouse (où les deux époux
étaient d’accord pour faire annuler le mariage en première instance), c’est le ministère public qui a
interjeté appel du jugement qui avait prononcé l’annulation du mariage. Sur le fondement de quel
texte le ministère public a-t-il pu ainsi relever appel d’une décision concernant une erreur sur les
qualités essentielles d’un des époux ? C’est l’article 423 du Code procédure civile qui a été invoqué
dans cette affaire. Ce texte autorise le ministère public à agir pour la défense de l’ordre public, même
dans des cas non spécifiés par la loi.

• De la même manière, lorsque le mariage d’un majeur protégé ou d’un mineur a été contracté sans
l’autorisation requise, l’action en nullité peut être intentée par ceux qui devaient autoriser le mariage
et par le majeur protégé ou le mineur (éventuellement devenu majeur) lui-même (article 182 du Code
civil).

En présence d’une cause de nullité absolue, en principe tout intéressé peut agir. En réalité, on distingue deux
catégories de personnes :

• Certaines personnes peuvent fonder leur demande sur leur simple qualité, laquelle fait présumer
l’existence d’un intérêt moral : ce sont les époux eux-mêmes, les ascendants et le conseil de famille.
Toutes ces personnes peuvent agir du vivant des époux ou après le décès de l’un d’eux. De la même
manière, en cas de bigamie, le premier conjoint (à condition qu’il soit encore uni par les liens du
mariage) n’a pas à justifier d’un intérêt particulier. On présume son intérêt moral.

• D’autres personnes doivent justifier d’un intérêt né et actuel.

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✓ Il s’agira, souvent, d’un intérêt pécuniaire. Il en va ainsi des collatéraux ou des enfants d’un
précédent mariage, qui agiront en général pour défendre un intérêt successoral (cf. l’article 187 du
Code civil).

Important : attention à bien comprendre la portée de la règle sur le droit d’agir des enfants d’un
précédent mariage

Concrètement, cela signifie que les enfants d’une précédente union ne peuvent pas agir en nullité
absolue du mariage de leur auteur tant que celui-ci est en vie. Ce n’est qu’à son décès qu’ils
disposeront d’un intérêt à agir (intérêt patrimonial, né de la dévolution successorale). C’est cette
règle qui explique que dans les nullités du mariage pour inceste entre alliés, les enfants du défunt
(en ce compris l’ex-mari, qui agit alors en qualité d’enfant d’un premier lit) n’agissent qu’à sa mort :
tant que les époux sont en vie, ils ne peuvent pas agir !

Une QPC a récemment été dirigée contre l’article 187 du Code civil. La question était soulevée par
une épouse dans le cadre d’un litige l’opposant aux enfants d’un premier lit de son époux qui, au
décès de leur auteur (l’époux), avaient soulevé la nullité du mariage pour bigamie. Dans le cadre de
ce litige, l’épouse survivante a formé une QPC. Selon elle, l’article 187 du Code civil serait de nature
à porter atteinte au droit de mener une vie familiale normale, ainsi qu’à la liberté du mariage en ce
qu’il retarde l’action en nullité au jour du décès d’un des époux (donc bien après les faits litigieux).
Mais la QPC n’a pas été transmise au Conseil constitutionnel. La Première Chambre civile a en effet
jugé, par un arrêt du 4 mai 2017, que la question était ni nouvelle (pas de disposition
constitutionnelle nouvelle en cause), ni sérieuse (l’article n’empêche pas les membres d’une même
famille de vivre ensemble + la liberté de se marier n’est pas en cause dès lors que l’annulation
n’intervient qu’a posteriori, au moment du décès d’un des époux + le jeu du mariage putatif peut
permettre d’atténuer les conséquences de la nullité du mariage pour l’époux de bonne foi).

Par ailleurs, il est aussi possible que les créanciers d’un des époux aient un intérêt à faire prononcer
la nullité du mariage (exemple : des créanciers d’un conjoint qui se voient opposer, par l’autre époux,
une hypothèque légale en sa qualité de conjoint).

✓ Enfin, le ministère public peut agir pour défendre l’ordre social (mais il ne peut agir que du vivant
des époux). Cela veut dire que si un divorce a déjà été prononcé, le trouble à l’ordre social a cessé
et l’action du ministère public n’est plus possible.

b/ Prescription et fins de non-recevoir

Là aussi, les différences entre nullités relatives et nullités absolues ressortent.

Quant aux nullités relatives :

La demande de nullité du mariage fondée sur un vice du consentement prévu par l’article 180 est régie par
l’article 181 du Code civil. Au terme de ce second texte, l’action en nullité se prescrit par cinq ans à compter du
mariage (le point de départ du délai ne peut pas être reporté au jour où l’époux a acquis sa pleine liberté, ni au
jour où l’époux a découvert l’erreur). L’objectif est ici de ne pas laisser l’incertitude planer trop longtemps sur la
validité du mariage.

Critique : il ne semble pas que ce soit un progrès dans la protection du consentement obtenu par violence
car le délai de 5 ans à compter du mariage est relativement court.

Il faut également noter que les époux peuvent confirmer le mariage (= renoncer à se prévaloir d’une cause
de nullité) lorsqu’ils ont connaissance du vice du consentement qui en affecte la validité. Seul souci : quelle
peut être l’incidence d’une telle confirmation sur l’action du ministère public (article 180, al. 1 : action du
ministère public en cas de violence) ?

S’agissant du défaut de consentement des parents (article 182 et 183) :

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• les époux peuvent agir dans les cinq ans qui suivent leur majorité,
• les parents dans les 5 ans à partir du moment où ils ont eu connaissance du mariage. Cependant, les
parents ne peuvent agir en nullité s’ils ont approuvé le mariage, même tacitement, en recevant par
exemple le jeune ménage chez eux.

Quant aux nullités absolues :


La loi du 17 juin 2008 a maintenu un délai de trente ans à compter la célébration du mariage. Ce long délai a été
maintenu en raison du délai de révélation de certaines causes de nullité, comme la bigamie.

L’avenir de ce délai de 30 ans est toutefois incertain dans le domaine de la nullité du mariage pour inceste entre
alliés. La Cour de cassation a en effet jugé, par l’arrêt de la Première Chambre civile du 4 décembre 2013, qu’une
action exercée 20 ans après le mariage pouvait être tardive.

Récemment, la Cour de cassation a toutefois jugé que le respect de la vie privée ne pouvait pas faire obstacle à
la nullité du mariage dans le cas particulier du défaut d’intention matrimoniale en présence de certaines
circonstances (Civ. 1, 1er juin 2017).

Dans cette affaire, un homme avait épousé la fille de sa maîtresse, vraisemblablement pour des motifs
successoraux (l’époux était beaucoup plus âgé que l’épouse. Le mariage visait à assurer l’avenir de
l’épouse, lors du décès de son époux). Le mariage dure près de 11 ans, au terme desquels l’époux
décède. Les enfants qu’il avait eus d’un autre lit agissent alors en nullité du mariage pour défaut
d’intention matrimoniale. Ils obtiennent gain de cause devant les juges du fond. L’épouse forme un
pourvoi en cassation, à l’appui duquel elle fait état d’une violation de l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme, ensemble l’article 9 du Code civil. Selon elle, la volonté
matrimoniale du défunt serait établie. Si l’on ajoute à cela la communauté de vie qui aurait suivi pendant
onze années, l’annulation du mariage emporterait violation de son droit au respect de sa vie privée.

Mais l’argument est sèchement balayé par la Cour de cassation au motif qu’un « mariage fictif ne relève
pas de la sphère protégée par les articles 8 et 12 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, en l’absence de toute intention matrimoniale et de
toute vie familiale effective ». Revenant à l’espèce, la Cour de cassation s’appuie ensuite sur les
éléments de faits constatés par les juges du fond desquels il ressort que, contrairement aux allégations
du pourvoi, il n’y a pas eu de réelle communauté de vie entre les époux (l’homme a même fini par vivre
avec sa maîtresse, la mère de « l’épouse »). Quant à l’intention matrimoniale, elle aurait tout autant fait
défaut, le mariage n’étant que « de façade » (pour reprendre les termes des juges du fond). Il a été
contracté dans le seul but d’assurer l’avenir financier de « l’épouse » au décès de son « époux ».

Si l’on pousse plus avant l’analyse de l’arrêt, il faut donc retenir que :
1) Le mariage fictif ne saurait être protégé sur le terrain du droit au respect de la vie privée et familiale
et, surtout, sur le terrain du droit au mariage. Son annulation peut donc toujours être sollicitée dès lors
que le demandeur agit dans les délais prévus en droit français pour ce faire.
2) Pourquoi ? Parce qu’il n’y a bien souvent pas de vie familiale (ce qui fait échec au jeu de l’article 8 de
la Convention européenne des droits de l’homme) et, surtout, parce qu’il manque une condition
essentielle du mariage, à savoir le consentement (ce qui fait échec au jeu de l’article 12 de la
Convention).

Enfin, le ministère public (et seulement lui) peut agir en nullité absolue uniquement du vivant des époux. Si l’un
d’eux décède, il ne peut plus solliciter la nullité absolue du mariage (article 190).

Autre obstacle à l’exercice d’une action en nullité absolue : la clandestinité du mariage ne peut être invoquée si
les époux ont la possession d’état d’époux (= s’ils vivent, en fait, comme des époux et sont traités, par les autres,
comme des époux). Cf. l’article 196.

B. LES EFFETS DE LA NULLITE

En principe l’annulation du mariage, comme l’annulation de tout autre acte juridique, produit un effet rétroactif.
En droit, le mariage est censé n’avoir jamais existé. C’est là une grande différence avec le divorce qui dissout le

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mariage seulement pour l’avenir. Mais cette annulation pourrait avoir des effets excessifs en matière de mariage,
ce qui explique que la loi pose des limites au principe de rétroactivité.

1°) Le principe de l’effet rétroactif

Le principe, c’est que le mariage est censé n’avoir jamais existé (en droit, encore une fois). Les effets personnels
et patrimoniaux sont anéantis rétroactivement. L’homme et la femme sont censés avoir vécu en concubinage.

De nombreuses conséquences en résultent : la femme ne peut plus porter le nom de l’homme ; la nationalité
française acquise par mariage est perdue ; les empêchements au mariage, par exemple entre alliés,
disparaissent ; les droits successoraux sont censés n’avoir jamais existé ; etc…

On peut aussi envisager d’autres conséquences, moins usuelles (par exemple, sur le jeu de la nullité pour
bigamie).

2°) Les tempéraments au principe

Une institution, appelée mariage putatif permet, lorsque son bénéfice est accordé à l’un, voire aux deux époux,
de supprimer l’effet rétroactif de la nullité. De plus, la rétroactivité de l’annulation ne concerne jamais les
enfants.

a/ Le mariage putatif

Le mariage putatif est un mariage nul que le droit traite comme s’il était valable parce que la cause de nullité
est ignorée par l’un ou parfois même par les deux époux. Cette institution permet au conjoint qui croyait son
mariage valable de bénéficier des effets que le mariage produit jusqu’au moment où le jugement qui constate la
nullité devient définitif. Dans cette hypothèse, l’annulation n’opère donc que pour l’avenir, un peu comme le
divorce.

Quelles sont les conditions du mariage putatif (prévues par l’article 201 du Code civil) ?
• Il faut tout d’abord un minimum de célébration : il faut une apparence de mariage pour éviter que le bénéfice
du mariage putatif ne soit accordé à de simples concubins.
• Il faut aussi et surtout que la bonne foi des époux au moment de la célébration soit retenue. Les juges sont
très indulgents dans l’appréciation de la bonne foi (une bonne foi même « candide » peut être utilement
invoquée), d’autant qu’ils considèrent, conformément au droit commun, que la bonne foi est présumée. Il
appartient alors à celui qui allègue la mauvaise foi au moment de la célébration de la prouver.

Et c’est tout. Il n’y a pas d’autres conditions. Ainsi, pas de condition relative à la nature de l’erreur (une erreur
de droit peut être admise), pas de condition relative à la gravité du vice (même pour les vices les plus graves, on
peut envisager le mariage putatif), peu importe que les époux aient ensuite découvert le vice (du moment qu’ils
l’ont ignoré au moment de la célébration), et ainsi de suite…

Quels sont les effets du mariage putatif ?

• Si les deux époux étaient de bonne foi il n’y a aucun problème : la nullité opère comme un divorce. Le
versement d’une prestation compensatoire peut donc être envisagé (Civ. 1, 23 octobre 1990).

• En revanche, si un seul des époux était de bonne foi, il sera seul à bénéficier de la putativité. Il y aura
donc un effet unilatéral, l’époux de mauvaise foi perdant tous les avantages matrimoniaux et les
libéralités faites par son conjoint en vue du mariage (si son « conjoint » décède, il n’aura pas la qualité
de conjoint survivant du point de vue successoral). Il pourra même être condamné, sur le fondement de
l’article 1240 du Code civil, à des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par
l’annulation au détriment de son « conjoint putatif ».

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Seule limite : l’indivisibilité du régime matrimonial. Si le conjoint de bonne foi choisit de demander
l’application du régime matrimonial, cela ne peut se faire au profit d’un seul époux. Le régime
matrimonial régit en effet les relations, non pas d’un époux (avec qui ?), mais des deux époux.

NB : le mariage putatif doit avoir été reconnu en justice pour produire effet au profit de l’époux de bonne foi.

b/ La situation des enfants issus d’un mariage nul

En vertu de l’article 202 du Code civil, le mariage produit des effets à l’égard des enfants, même si aucun des
époux n’était de bonne foi. Aujourd’hui, l’intérêt de cette règle peut résider dans le maintien de l’acquisition de
la nationalité française ou dans le jeu de la présomption de paternité du mari de la mère. En effet, nous verrons
que sur le terrain de la filiation (et des obligations qui en découlent) le principe de l’égalité des filiations a été
consacré de sorte qu’il importe peu de savoir si l’enfant est né en ou hors mariage (= cela ne change rien en
droit).

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AUTO EVALUATION

- Quel article de la Convention européenne des droits de l’homme traite de la liberté de se marier ? Que prévoit
ce texte ?

- Quelles limites peuvent être apportées à la liberté de se marier ?

- Définissez la faute et le préjudice dans la rupture de fiançailles

- Qu’est-ce que l’intention conjugale ? Quel est son rôle ?

- Quels sont les vices du consentement qui sont susceptibles d’entraîner l’annulation d’un mariage ?

- Quelle erreur peut entraîner la nullité d’un mariage ?

- Pourquoi le défaut de virginité de l’épouse ne peut-il pas entraîner la nullité du mariage pour erreur ?

- Qu’est-ce que la crainte révérencielle ? Quel est son rôle ?

- Retracez l’évolution du droit français relativement à la question du mariage entre personnes de même sexe

- Le mariage des transsexuels : solutions et difficultés persistantes

- Peut-on se marier avant 18 ans ?

- Le mariage du malade

- Expliquez la position du droit français à l’égard de l’inceste

- Qu’est-ce que la bigamie ? Quelle est sa conséquence ?

- Qu’est-ce que la publication des bans ?

- Les futurs époux doivent-ils être auditionnés par un officier d’État civil avant le mariage ?

- Le mariage posthume : conditions et effets

- Qui peut former opposition à mariage ?

- Distinguez les empêchements à mariage prohibitifs des empêchements dirimants

- Quels sont les cas de nullité du mariage (vous distinguerez les nullités absolues des nullités relatives) ?

- Qui peut agir en nullité du mariage ? Dans quel délai ?

- Quels sont les effets de l’annulation d’un mariage ?

- Qu’est-ce que le mariage putatif ? Quels sont ses effets ?

- Que faut-il retenir des arrêts suivants : Bouvier, Appietto, Berthon, B et L, Civ. 1, 4 décembre 2013, Civ. 1, 8
décembre 2016 et Civ. 1, 7 juin 2017 ?

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CHAPITRE 2. LES EFFETS DU MARIAGE

Aujourd’hui (mais pour combien de temps encore ?), le mariage a pour principal effet la constitution d’une
famille, composée des époux et des enfants.

Quels sont ses effets à l’égard des enfants ? C’est la question de l’autorité parentale : est-elle liée au mariage ?
Aujourd’hui, l’autorité parentale ne découle plus du mariage. Le législateur a établi les règles en la matière en
faisant abstraction du statut (ou de l’absence de statut en cas de concubinage et séparation) du couple des
parents. En d’autres termes, le fait que l’enfant soit né en mariage ou hors mariage n’a plus d’incidence
particulière. Nous verrons donc les questions d’autorité parentale dans la seconde partie du cours, relative à
l’enfant.
Reste alors la présomption de paternité. C’est le dernier élément qui relie le mariage à la filiation (paternelle).

Ensuite, le mariage produit des effets entre les époux. Il s’agit là d’un statut qui est largement d’ordre public.
Place limitée accordée à la volonté individuelle (seul élément notable en sens contraire : le choix possible entre
les régimes matrimoniaux, qui régissent les relations pécuniaires entre les époux et entre les époux et les tiers.
Mais on ne peut pas pour autant parler de liberté contractuelle parce qu’il est impossible de ne pas contracter
dans ce domaine. Si on ne conclut pas de contrat de mariage, la loi choisit pour nous. Ainsi, le régime matrimonial
légal est un ensemble de dispositions supplétives, qui s’applique en l’absence de volonté contraire exprimée par
les époux).

Entre les époux, les effets du statut que confère le mariage sont de deux ordres : personnels (Section 1) et
patrimoniaux (Section 2).

SECTION 1. LES EFFETS PERSONNELS DU MARIAGE

Le mariage, contrairement au concubinage, implique un certain nombre de devoirs réciproques (I), mais aussi
une collaboration dans l’exercice de fonctions conjointes (II).

I. Les devoirs réciproques

L’article 212 du Code civil dispose que : « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et
assistance ». L’article 215 ajoute, dans son premier alinéa, qu’ils « s’obligent mutuellement à une communauté
de vie ».

À l’exception du devoir de secours, qui est d’ordre pécuniaire, les quatre autres sont des devoirs d’ordre
personnel, que l’on va étudier successivement.

A. LE DEVOIR DE RESPECT

Ce devoir a été ajouté à l’article 212 du Code civil par une loi du 4 avril 2006 relative aux violences au sein du
couple. Il est énoncé en premier, avant les autres devoirs. Cela montre son importance pour le législateur.

Le devoir de respect dans le mariage ne date toutefois pas de 2006. Antérieurement, la jurisprudence avait
précisé les contours d’un tel devoir. L’inscription de ce devoir dans la loi est donc symbolique.

Pour aller plus loin : est-il opportun d’inscrire, dans l’article 212 du Code civil, le devoir de respect ?

Cela n’est pas certain. L’article 212 du Code civil définit en effet les effets du mariage. Il doit donc s’agir d’effets
spécifiques, particuliers à cette institution. Or, que se passe-t-il en dehors du mariage, en présence d’un PACS ou
d’un concubinage ? Avons-nous le droit de ne pas respecter (l’intégrité physique et morale) de celui ou celle qui
partage notre vie quotidienne ? La question appelle évidemment une réponse négative. La doctrine estime dès
lors que la référence au respect, dans l’article 212 du Code civil, est regrettable car ce texte ne devrait énoncer
que les devoirs spécifiques au mariage (= des devoirs que l’on ne retrouve pas en l’absence de mariage).

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Que signifie, plus précisément, ce devoir de respect mutuel entre les époux ?

1. Consacrer le devoir de respect a tout d’abord pour but de promouvoir les libertés individuelles de chaque
époux. Il s’agit de mettre l’accent « sur la nécessaire reconnaissance de l’autre, non seulement de son corps,
mais aussi de ses opinions, de sa religion, de sa profession ou plus généralement de son identité » (A-M.
Leroyer, Regard civiliste sur la loi relative aux violences au sein du couple, RTD civ. 2006.402). Il est vrai que
les devoirs découlant du mariage et destinés à assurer l’harmonie de la vie commune portent, dans une
certaine mesure, atteinte aux libertés individuelles.

Exemples : le devoir de fidélité entrave la liberté d’entretenir des relations intimes avec des tiers ; le
devoir de cohabitation entrave la liberté d’aller et venir + celle de choisir son domicile ; etc…

Cependant, toutes ces atteintes ne sont tolérées que dans la mesure où elles sont nécessaires à la vie
commune. Lorsque la vie de couple n’est pas en jeu, les époux conservent (évidemment) leurs prérogatives
personnelles et sociales.

Exemples : les atteintes à l’intégrité physique imputables au conjoint sont punissables de la même
manière que si elles émanaient d’un tiers (les violences ne sont aucunement excusées par le lien
conjugal, pas plus que le viol qui est punissable entre époux. Cf. ci-après).

De même, chaque conjoint est seul à pouvoir donner des autorisations quant aux interventions
médicales qui le concernent, y compris la femme en ce qui concerne l’IVG. Ainsi, un époux ne peut
s’opposer à la décision d’avorter prise par son épouse.

Enfin, chacun conserve les droits fondamentaux de la personne humaine c’est à dire sa liberté de
sentiments et d’opinions politiques, syndicales ou religieuses. Ce dernier point, notamment la liberté
religieuse mérite que l’on s’y attarde un instant. Le principe est celui de la liberté de chaque époux,
liberté qui implique son droit à la conversion. Partant, le seul fait d’adhérer à une secte n’a pas été
jugé constitutif d’une faute, cause de divorce. Mais, si l’exercice de cette liberté influe sur les relations
conjugales de manière à rendre le maintien de la vie commune intolérable, la jurisprudence considère
qu’il peut y avoir là une cause de divorce (exemple de celui qui refuse de participer aux réunions
familiales, anniversaires des enfants, Noël et autres en raison de ses convictions religieuses). La
question est donc délicate, en pratique, car tout est affaire de degré. Idem pour les pratiques politiques
ou syndicales.

2. Le devoir de respect implique également l’égalité entre époux.

3. Enfin, il faut relever l’existence d’autres figures du devoir de respect plus anecdotiques, mais néanmoins
accueillies par le juge comme causes de divorce pour faute.

CA Lyon, 23 mai 2011 : une épouse est séparée de fait de son mari. Elle multiplie les infractions
routières au volant d’une voiture dont la carte grise est au nom du mari, dans le seul but de lui faire
payer des amendes et lui faire perdre des points sur son permis de conduire. Un manquement au
devoir de respect a été retenu par les juges du fond (NB : on aurait également pu parler de déloyauté).

B. LE DEVOIR DE COMMUNAUTE DE VIE

Comme souvent, les adages de Loysel peuvent aider à comprendre le principe : « boire, manger, coucher
ensemble, c’est mariage ce me semble ». La communauté de vie, ce serait donc l’essence du mariage.

Le devoir de communauté de vie est consacré par l’article 215, alinéa 1, du Code civil (« les époux s’obligent
mutuellement à une communauté de vie »). Il faut cependant noter que ce devoir recouvre en réalité deux
devoirs : la communauté de toit (aspect objectif ou matériel) et la communauté de lit (aspect subjectif ou
charnel). Nous allons les reprendre successivement, en envisageant d’abord l’obligation de cohabitation, puis
l’obligation d’entretenir des relations charnelles.

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L’obligation de cohabitation a évolué au fur et à mesure du temps. Elle impliquait au départ une vie sous le
même toit. Mais les conditions de vie ont évolué (développement des métiers où l’on voyage beaucoup), de sorte
qu’aujourd’hui, il est possible de s’accommoder de résidences séparées pourvu qu’il y ait suffisamment de
rencontres et que la volonté d’une communauté de vie existe. On trouve une confirmation de cela à l’article 108,
alinéa 1, du Code civil, qui dispose que « le mari et la femme peuvent avoir un domicile distinct, sans qu’il soit
pour autant porté atteinte aux règles relatives à la communauté de vie ».

Par ailleurs, le mariage implique des relations charnelles. Autrement dit, le devoir de communauté de vie fait
obligation à chaque époux d’entretenir des relations sexuelles avec son conjoint. Mais celles-ci doivent être
consenties et non imposées.

Crim., 11 juin 1992 : les juges admettent que la qualification de viol peut être retenue en présence de
deux époux (ce qui implique le prononcé de sanctions pénales), alors que pendant longtemps (jusqu’en
1984, plus exactement), on considérait qu’il ne pouvait y avoir de viol entre époux. Le le mariage
légitimait les rapports sexuels et la femme ne pouvait refuser de se soumettre à des rapports
« normaux ».

Aujourd’hui, on retient que la présomption de consentement des époux aux actes sexuels accomplis
dans l’intimité de la vie conjugale ne vaut que jusqu’à preuve contraire. Il y a là une présomption simple,
qu’un des époux peut renverser en rapportant la preuve de ce qu’il n’a pas consenti à l’acte.

Pour aller plus loin : l’évolution des textes sur le viol entre époux.

Lorsque la Cour de cassation a accepté de sanctionner le viol entre époux, elle s’est appuyée sur l’article
332 de l’ancien Code pénal. Ce texte prévoyait que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque
nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte ou surprise, constitue un
viol ». La Cour de cassation a jugé que le texte pénal qui incriminait le viol (de façon générale) pouvait
être appliqué en mariage dès lors que le législateur n’avait pas expressément exclu une telle solution.

Par la suite, les textes ont évolué. La loi du 4 avril 2006 (relative aux violences au sein du couple) est à
l’origine d’un texte de droit pénal qui incrimine expressément le viol dans le couple, quelle que soit la
nature des relations existant entre l’agresseur et la victime (donc même s’ils sont mariés).

Le devoir de communauté de vie (relations charnelles) a pour corollaire le devoir de procréation. La


jurisprudence est toutefois nuancée sur cette question.

On trouve en effet des arrêts ayant imputé une faute à une épouse stérile qui avait refusé de se faire
soigner pendant six ans, malgré le désir de son mari d’avoir un enfant.

D’un autre côté, une épouse manque à son devoir de loyauté et respect en concevant un enfant à l’insu
du mari (mais attention aux circonstances particulières de l’espèce : l’épouse a procédé de la sorte alors
que le couple avait préalablement perdu deux enfants. En d’autres termes, le refus de paternité du mari
était compréhensible).

Limites du devoir de communauté de vie :

1) Séparation légale : pendant l’instance en divorce (ou en séparation de corps), le juge aux affaires
familiales peut autoriser les époux à résider séparément ou homologuer la convention qui prévoit une
telle résidence séparée.
La séparation de corps, une fois prononcée, met également fin à l’obligation de cohabitation (sans
dissoudre le mariage pour autant : c’est un relâchement du lien conjugal sur lequel nous reviendrons).

2) Séparation de fait et exception d’inexécution : la jurisprudence admet que l’un des époux puisse ne
pas exécuter son devoir de cohabitation lorsque l’autre manque à ses obligations (exemples : de
mauvais traitements ou un défaut de contribution aux charges du mariage peuvent justifier un
refus de cohabitation).

37
Cours de Mme Traullé réservé à l’usage personnel des étudiants de l’UVSQ

3) En revanche, il est impossible de se dispenser du devoir de cohabitation par contrat. Impossible, donc,
de conclure un pacte de séparation amiable. Un tel pacte est nul car les dispositions du Code civil
relatives aux devoirs personnels entre époux sont d’ordre public. Si les époux veulent organiser leur
séparation, ils doivent avoir recours à la séparation de corps ou au divorce (par consentement mutuel).

C. LE DEVOIR DE FIDELITE

Incidence de ce devoir dans les relations entre époux

Le devoir de fidélité résulte de l’article 212 du Code civil, qui ne définit cependant pas cette notion. Pour autant,
il est certain qu’entretenir une relation charnelle avec un tiers (= adultère « physique ») constitue une infidélité.
Mais, l’adultère ne se résume pas à cela.

Des juges du fond ont également admis l’infidélité « morale » ou « intellectuelle » (= une attitude trop intime
avec un tiers, sans relations physiques, peut être ressentie comme une injure par le conjoint). Il va de soi
néanmoins que ce type d’infidélité (l’infidélité « morale » ou « intellectuelle »), beaucoup plus difficile à prouver,
est rarement admis par les tribunaux.

Incidence de ce devoir sur les tiers

Lorsque des tiers, complices de l’adultère (maîtresse ou agence matrimoniale) ou propagateurs de la nouvelle
(liberté d’expression), sont en cause le devoir de fidélité devient bien moins contraignant. Pourquoi ? La fidélité
en mariage est-elle d’abord l’affaire des époux, voire seulement l’affaire des époux ?

• On trouve une première illustration de ce déclin du devoir de fidélité entre époux lorsque des tiers sont
en cause avec la question du sort d’une libéralité (= une donation ou un legs) consentie à un(e) complice
de l’adultère (= libéralité consentie par une personne mariée à son amant ou à sa maîtresse).

Pendant longtemps, la jurisprudence a opéré une distinction. Les libéralités destinées à former,
reprendre ou maintenir une relation adultère étaient nulles. Pourquoi ? En vertu de quel argument, en
droit ? La libéralité était alors perçue comme la rétribution de relations sexuelles contraires au devoir
de fidélité entre époux. En revanche, les libéralités consenties à l’occasion de la rupture étaient valables.
On expliquait cela par un devoir de conscience ou de reconnaissance.

Cette jurisprudence a cependant été doublement critiquée :


1) En premier lieu, on lui a reproché de reposer sur une analyse de la psychologie des parties
difficile à effectuer et, surtout, à prouver (comment prouver dans quel but une personne a
consenti une libéralité ?).
2) Ensuite, la distinction ainsi opérée a été jugée incohérente (pourquoi admettre les libéralités
qui signent la rupture de la relation adultère ?).

Ces critiques ont fini par porter et la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, mais
dans un sens inattendu.

Civ. 1, 3 février 1999 : « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur
entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec le bénéficiaire ».

AP, 29 octobre 2004 : par cet arrêt de 2004, la Cour de cassation a « enfoncé le clou » en affirmant, en
présence de circonstances très particulières, que « n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux
bonnes mœurs, la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère ». Les circonstances
particulières de l’espèce tiennent à ce que le donateur était bien plus âgé que la donataire (homme qui
décède à 95 ans en instituant sa maîtresse de 30 ans légataire universelle alors qu’il a une femme et une
fille) + cette dernière (= la maîtresse) avait menacé de quitter son amant si elle n’était pas gratifiée (on
est proche de la prostitution avec relations sexuelles tarifées !). Les juges du fond l’avaient
expressément relevé (ils avaient souverainement relevé que le legs universel consentie à la concubine
adultère « n’avait “vocation” qu’à rémunérer les faveurs de Mme »). La Cour de cassation exagère donc

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quelque peu quand elle rattache cela au principe selon lequel la libéralité consentie « à l’occasion »
d’une relation adultère est valable. Ici, ça n’était pas « à l’occasion » de la relation que la libéralité avait
été consentie (synonyme de « entre autres choses »). La libéralité était la condition sine qua non de la
relation adultère !

Cette jurisprudence a été (et est toujours) extrêmement critiquée par la doctrine, au motif qu’elle vient
heurter de plein fouet l’article 212 du Code civil (et le devoir de fidélité), disposition pourtant impérative.

• Civ. 1, 4 novembre 2011 : par cet arrêt, la Cour de cassation a jugé qu’un contrat de courtage
matrimonial pouvait être valablement conclu par un homme marié (alors que ce type de contrat a pour
but de trouver quelqu’un avec qui partager sa vie !). La doctrine est à nouveau très critique en raison de
la violation de l’article 212 du Code civil.

Vocabulaire :

Courtage : opération par laquelle un intermédiaire met en relations deux personnes en vue de la
conclusion d’un contrat.

Un contrat de courtage matrimonial permet donc à une personne désirant se marier de faire appel à un
intermédiaire (le courtier), afin de rencontrer une autre personne qu’il ou elle pourrait épouser.

• Civ. 1, 16 décembre 2020 : par cet arrêt, la Cour de cassation a jugé que l’adultère était dans le
commerce. Dans cette affaire, une association agissait contre l’éditeur du site Gleeden (un site de
rencontre pour personnes mariées), afin de faire interdire toute publicité relative à ce site. Au soutien
de sa thèse, la demanderesse a notamment fait valoir que la fidélité est un devoir qui s’impose
impérativement aux époux et qui doit être respecté parce qu’il tend également à protéger les intérêts
de la société toute entière. Mais l’argument n’a pas emporté la conviction des juges. Ils ont estimé que
la publicité litigieuse ne pouvait pas être interdite en raison de « l’absence de sanction civile de
l’adultère en dehors de la sphère des relations entre époux ».

• On relève encore une certaine tendance de la jurisprudence à écarter la responsabilité civile (pour
faute) de la personne complice de l’adultère (même dans l’hypothèse où elle agit en connaissance de
cause).

Civ. 2, 4 mai 2000 : l’épouse trompée assigne la maîtresse de son mari en dommages-intérêts
sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil (devenu article 1240). Mais en vain :
la faute est écartée parce qu’il n’est pas prouvé que l’adultère est la cause du divorce (en
d’autres termes, il n’est pas prouvé que c’est l’adultère qui a causé la séparation du couple
marié).

Cet arrêt est toutefois difficile à interpréter :


o D’une part, il semble critiquable en ce qu’il exige que l’adultère ait conduit au divorce pour
retenir la faute. Or, la faute, en droit de la responsabilité civile, s’entend de la violation
d’une obligation consacrée par la loi ou du manquement au comportement du bon père
de famille. La complicité dans la violation de l’article 212 du Code civil devrait donc suffire
(manquement à une obligation légale, sans compter que le bon père de famille ne se rend
pas complice d’un adultère. Les mœurs évoluent, certes, mais quand même ! Possible
cependant de nuancer aujourd’hui en rapprochant de ce que l’on va voir à propos de la
diffamation).
o D’un autre côté, il ne faut pas solliciter l’arrêt à l’excès : en posant une telle exigence (le
fait que l’adultère ait conduit au divorce), la Cour de cassation ne fait que répondre au
pourvoi qui soutenait une telle thèse (selon la femme bafouée, demanderesse au pourvoi,
il y a faute lorsque l’adultère conduit au divorce).

Reste que, de façon générale, il y a peu d’arrêts, voire pas, où la responsabilité civile de la maîtresse a
été retenue au profit de la femme trompée.

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Cours de Mme Traullé réservé à l’usage personnel des étudiants de l’UVSQ

• Civ. 1, 17 décembre 2015 : à l’occasion de la sortie du livre « la frondeuse », consacrée à Mme


Trierweiler, les auteurs sous-entendent qu’avant de s’engager avec François (Hollande ?), elle a eu une
liaison avec un autre homme politique (alors qu’elle et l’amant étaient engagés par ailleurs). Ce dernier
(l’ancien amant de Mme Trierweiler) s’estime diffamé (en clair : on lui impute une relation adultère. Cet
homme devait être marié à l’époque de la prétendue liaison avec Mme Trierweiler).
La Cour de cassation va écarter la diffamation au motif que « l’évolution des mœurs et celle des
conceptions morales ne permettait plus de considérer que l’imputation d’une infidélité conjugale
serait à elle seule de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération » !

Conclusion : que reste-t-il du devoir de fidélité entre époux lorsque des tiers sont en cause ?

D. LE DEVOIR D’ASSISTANCE

Il s’agit là de la manifestation de l’entraide conjugale extrapatrimoniale.


Il recouvre par exemple le devoir de soigner son conjoint malade ou âgé ou, plus généralement, de lui
apporter un appui et un réconfort pour lui permettre d’affronter les difficultés de la vie.

Ce devoir peut aussi recouvrir celui d’apporter une aide à son conjoint dans l’exercice de son activité
professionnelle. Mais si cette participation est très importante et dépasse le devoir d’assistance, le juge
reconnaîtra l’existence d’une véritable collaboration professionnelle permettant, en cas de divorce ou de décès,
le conjoint collaborateur pourra obtenir une indemnité (fondée sur l’enrichissement sans cause).

II. Les fonctions conjointes

La loi confère aussi des pouvoirs ou des missions aux conjoints, qui n’en sont pas investis dans leur propre intérêt
mais dans l’intérêt de la famille. Il en va ainsi de la direction générale de la famille, ainsi que du choix de la
résidence familiale.

La direction de la famille

L’article 213 du Code civil dispose : « les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille.
Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir ». Les époux sont donc placés sur un strict pied
d’égalité (ce qui n’a pas toujours été le cas).

En principe donc la direction de la famille repose sur l’accord des deux époux. Quid en cas de désaccord ? Un
recours au juge est envisageable (cf. ci-après). L’article 220-1 du Code civil permet ainsi à un époux de demander
au juge d’ordonner des mesures urgentes si son conjoint met en péril les intérêts de la famille (ces mesures vont
permettre de restreindre les droits et pouvoirs du conjoint. Cf. infra). De même, l’article 217 du Code civil permet
au juge d’autoriser un époux à passer seul un acte qui nécessiterait normalement l’accord de l’autre, lorsque le
refus de ce dernier n’est pas justifié par l’intérêt de la famille (cf. infra).

Le choix de la résidence de la famille

Les époux ont le devoir de vivre ensemble, la question maintenant est de savoir où. Aujourd’hui, la résidence de
la famille est située au lieu que les époux choisissent d’un « commun accord » (pour reprendre les termes de
l’article 215, al. 2). En cas de désaccord, aucun avis n’est prépondérant. Que se passe-t-il alors ? Rien n’est prévu
en cas de conflit, si ce n’est la possibilité pour le juge d’autoriser l’un des époux à résider séparément. Et tôt
ou tard, ce type de conflit aboutira à une procédure de divorce.

SECTION 2. LES EFFETS PATRIMONIAUX DU MARIAGE

Le mariage crée entre les époux des liens patrimoniaux qui sont soumis à un régime matrimonial (c’est donc
l’ensemble des règles qui régissent les liens patrimoniaux entre époux). Le principe de la liberté des conventions
matrimoniales permet aux futurs époux, avant la célébration du mariage de rédiger un contrat de mariage par
lequel ils vont choisir leur régime matrimonial (séparation de biens, communauté universelle, etc…). Nous y
reviendrons (II).

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Mais, indépendamment de ces règles issues du régime matrimonial qui dépendent du choix fait par les époux, il
faut étudier le statut patrimonial de base, qui s’applique à toutes les personnes mariées (I). Fin de la liberté
contractuelle : l’ordre public règne dans le régime primaire.

I. Le régime primaire

L’article 226 du Code civil le prévoit très clairement : ce régime primaire s’applique à tous les époux, quel que
soit le régime matrimonial.

A. LA SOLIDARITE CONJUGALE

1°) La solidarité pour les dettes ménagères

Texte applicable : article 220 du Code civil

« Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l'entretien du ménage ou
l'éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l'un oblige l'autre solidairement.
La solidarité n'a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du
ménage, à l'utilité ou à l'inutilité de l'opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.
Elle n'a pas lieu non plus, s'ils n'ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament
ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de
la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d'emprunts, ne soit pas
manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage ».

Que faut-il retenir de ce texte ?

Chaque époux peut agir seul


S’agissant de la vie courante, l’article 220 du Code civil donne la possibilité à chaque époux de conclure seul les
contrats ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants. Les dettes ménagères peuvent
donc être contractées par chaque époux, individuellement, sans qu’il ait besoin du consentement de l’autre.

NB : ça peut paraître évident aujourd’hui, mais il faut savoir que cela n’a pas toujours été le cas. Il fut un temps
où la femme n’avait pas le pouvoir d’agir seule (elle était considérée comme incapable. Seul l’homme pouvait
conclure ce type de contrats).

L’acte d’un seul engage les deux époux : la solidarité ménagère


Aujourd’hui, l’intérêt de la qualification de dette ménagère ne réside pas tant dans la possibilité pour chaque
époux d’agir seul, que dans la solidarité qui découle de ces dettes. En effet, l’article 220 du Code civil précise que
la dette contractée par l’un des époux (dans le cadre de son pouvoir domestique) oblige l’autre solidairement.
Concrètement, cela signifie que celui qui n’a pas consenti à la naissance de la dette est malgré tout tenu de la
payer intégralement au créancier. C’est donc une garantie importante pour le créancier.

Il faut toutefois préciser que la solidarité ménagère ne joue pas dans un certain nombre d’hypothèses :

1. La solidarité ne joue pas lorsque la dépense est manifestement excessive (NB : l’excès est apprécié par
rapport au train de vie du ménage, à l’utilité ou l’inutilité de l’opération, ainsi qu’au regard de la
bonne ou mauvaise foi du tiers… dernier élément qui est difficile à justifier du point de vue théorique).
Dans une telle hypothèse, seul celui qui a contracté la dette est donc engagé.

2. La solidarité ne joue pas non plus pour les achats à tempérament (c’est à dire dont le prix est payable
en plusieurs versements échelonnés), sauf s’ils ont été conclus par les deux époux.

3. Enfin, la solidarité est également exclue pour les emprunts (qu’il ne faut pas confondre avec un achat à
tempérament), sauf s’ils portent sur des sommes modestes et sont nécessaires aux besoins de la vie
courante.

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Modification du texte par la loi Hamon du 17 mars 2014 : restriction de la solidarité en cas de pluralité
d’emprunts portant sur des sommes modestes et nécessaires aux besoins de la vie courante. Désormais,
pour savoir si la solidarité joue, il faut avoir égard au montant cumulé des sommes empruntés. La
solidarité jouera uniquement si le montant cumulé des différents emprunts n’est pas
« manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage ».

La question est alors de savoir ce que l’on entend par dettes ménagères. Sont considérées comme telles les
dettes alimentaires, les dettes relatives au logement (loyer, contrat d’assurance d’habitation, contrats conclus
pour l’entretien de la maison, factures d’électricité ou de téléphone), mais aussi les contrats conclus pour les
loisirs de la famille ou encore les frais de santé. Il a même été jugé que les cotisations d’assurance vieillesse
relevaient de la catégorie des dettes ménagères dès lors que le paiement de ces cotisations avait « pour but de
permettre au titulaire de la pension d’assurer, après la cessation de son activité professionnelle, l’entretien du
ménage » (Civ. 1, 9 octobre 2001).
En revanche, ne constituent pas des dettes ménagères : celles qui concernent l’activité personnelle (politique,
par exemple) ou professionnelle (comme des dépenses d’investissement dans une entreprise ou société), celles
qui relèvent d’opérations d’investissement (même si c’est pour constituer des revenus futurs au ménage).

Difficulté : l’acquisition d’une automobile. Il faut regarder la finalité. Est-ce pour déplacer la famille ?
Est-ce pour réaliser des trajets professionnels ? Est-ce mixte ?

Enfin, il est impossible de se dispenser, par contrat ou d’une autre façon (cf. l’arrêt ci-après), de cette solidarité.
La solidarité à l’égard des dettes ménagères est donc d’ordre public.

Civ. 1, 13 octobre 1992 : séparation d’un couple marié. Le mari part du domicile familial qui était loué
et donne congé au bailleur. Seule la femme reste. Une procédure tendant au divorce est introduite. Un
juge rend une ordonnance qui autorise les époux à résider séparément. Le divorce n’est pas prononcé à ce
moment-là (puisque la procédure est en cours). L’épouse a du mal à payer le loyer et sollicite des délais
de paiement, alors que le bailleur demande le paiement des arriérés de loyers. L’épouse met en cause le
mari. Ce dernier soutient qu’il ne doit rien au bailleur pour la période postérieure à la délivrance de son
congé (son argument est le suivant : le congé qu’il a délivré a rompu le contrat de bail. Il ne doit donc
plus rien au bailleur, cocontractant, a fortiori de façon solidaire).
Réponse de la Cour de cassation : le logement en cause était le logement de la famille (et peu importe
que Monsieur ait donné congé ou pas). Dès lors, le paiement du loyer constitue une dette ménagère,
justifiant par cela seul l’application de l’article 220 du Code civil. Le fait d’avoir mis fin
unilatéralement au bail ne change rien à la chose. Seule possibilité de cesser d’être tenu au paiement de
la dette de loyer : le prononcé du jugement de divorce (mais en l’espèce, les dettes litigieuses étaient
antérieures au prononcé du divorce).

2°) La contribution aux charges du mariage

Vous pouvez vous poser la question de savoir comment les dettes ménagères (pour lesquelles l’article 220 du
Code civil prévoit une solidarité des conjoints) se distinguent des charges du mariage que nous allons à présent
évoquer. En réalité, il s’agit des mêmes dépenses, mais les deux mécanismes ne se situent pas sur le même plan.
Alors que la question de la solidarité ménagère intéresse les rapports entre le créancier et les époux débiteurs,
celle de la contribution aux charges du mariage intéresse les seuls rapports entre époux.

La contribution aux charges du mariage est envisagée par l’article 214 du Code civil.

Il ne s’agit pas d’une obligation alimentaire, car elle n’est pas subordonnée à l’état de besoin de l’autre conjoint.
Seules les facultés contributives des époux sont prises en compte.

S’agissant de l’étendue de la contribution (= combien chacun doit verser ?), les époux peuvent définir leurs
participations respectives dans leur contrat de mariage, voire par un autre accord. S’ils n’ont rien prévu, l’article
214 du Code civil prévoit qu’ils y contribuent « à proportion de leurs facultés respectives », ce qui veut dire en
fonction de leurs ressources (que les juges du fond apprécient souverainement en cas de litige).

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Comment cette contribution s’exécute-t-elle ?

• Lorsqu’il y a vie commune, elle s’exécute naturellement, sans que les époux la formalisent.
Il est important de noter qu’elle peut s’exécuter par un versement d’argent, mais aussi par le travail
fourni au foyer ou encore par la collaboration qu’un époux apporte à la profession de l’autre (ce type
de contribution est très fréquent chez les agriculteurs ou chez des personnes exploitant des petits
commerces, où la femme va aider son mari dans l’exercice de sa profession).
Cependant, il convient de relever que si cette aide va au-delà de la contribution normale aux charges du
mariage, l’époux collaborateur peut, au moment de la séparation ou du décès du conjoint, demander
une indemnité pour ce qu’il a fourni au-delà du devoir imposé par la loi (fondement de cette solution :
la théorie de l’enrichissement sans cause).

• En l’absence de vie commune, la contribution aux charges du mariage prend la forme d’une pension
alimentaire.
Pendant longtemps, on s’est demandé si la contribution ne devait pas disparaître avec la disparition de
la communauté de vie. Mais la Cour de cassation a décidé que la séparation de fait ne faisait pas obstacle
à la contribution aux charges du mariage (nous verrons d’ailleurs que cela pose quelques problèmes
dans la distinction avec le devoir de secours).
En revanche, il va de soi que cette contribution ne saurait survivre à la rupture du lien conjugal. Elle
cesse donc avec le divorce.

3°) Le devoir de secours

Le devoir de secours, prévu par l’article 212 du Code civil, s’entend de l’obligation pour chaque époux de fournir
à son conjoint, s’il est dans le besoin, tout ce qui lui est nécessaire pour vivre. Il s’agit d’une application de
l’obligation alimentaire (entre époux).

Lorsque les époux vivent ensemble, le devoir de secours est masqué par l’obligation de contribuer aux charges
du mariage. Dans le cadre de la contribution aux charges du mariage, chaque époux, en contribuant aux charges
du mariage, couvre les besoins de l’autre et des enfants. Mais cette confusion pratique ne doit pas aboutir à une
confusion théorique. Le devoir de secours reste, du point de vue des principes, distinct.

Lorsque les époux sont séparés, le devoir de secours prend la forme d’une pension alimentaire. Normalement,
ce devoir ne peut bénéficier à celui qui a abandonné le domicile conjugal (c’est lui qui abandonne l’autre, qui
ne lui porte plus secours). Mais des circonstances particulières peuvent justifier la solution contraire (violences
conjugales, par exemple).

Il faut bien distinguer le devoir de secours de la contribution aux charges du mariage :

• Différence de conditions : la contribution aux charges du mariage est toujours due (elle est fonction des
facultés contributives de chacun en principe), alors que le devoir de secours n’a lieu que si un époux est
dans le besoin.

• Différence d’objet : répondre à un besoin, pour le devoir de secours ; assumer une partie des charges
du mariage, pour la contribution aux charges du mariage.

A l’extrême, on peut envisager une séparation avec l’un des époux qui n’a pas de revenus et
laisse les enfants à son conjoint. Dans ces conditions, difficile de le condamner à verser
quelque chose au titre de la contribution aux charges du mariage. Ou alors, cela va être
symbolique. En revanche, on peut envisager que l’autre époux doive lui verser une pension
alimentaire (s’il n’y a pas eu abandon du domicile conjugal injustifié).

Le devoir de secours exprime la plus forte des solidarités familiales, qui prime les autres (solidarités familiales).
• Ainsi, un époux doit d’abord réclamer secours à son conjoint, avant de demander des aliments à ses
descendants.

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• Ce devoir persiste, même en cas de faute grave du créancier, puisque l’article 207 du Code civil (sur la
sanction de la faute grave du créancier d’une obligation alimentaire, qui consiste en une déchéance,
totale ou partielle, du droit aux aliments) ne s’applique pas au secours entre époux.

4°) La protection du logement familial

Rappel :

L’article 215, alinéa 2, du Code civil prévoit que les époux choisissent d’un commun accord la résidence de la
famille. C’est une forme de protection, en ce qu’il faut l’accord des deux pour en changer.

Il existe un autre mécanisme de protection, prévu par l’article 215, alinéa 3, du Code civil. Selon ce texte, « les
époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille ni des
meubles meublants dont il est garni ». Il faut donc le consentement des deux époux pour vendre ou sous-louer le
logement familial par exemple, ou pour le grever d’une hypothèque. Si l’acte a été passé par un seul conjoint,
l’autre peut en demander la nullité (dans le délai d’un an à compter de la découverte de l’acte litigieux. A cela
s’ajoute un délai butoir : en toute hypothèse, l’action ne peut plus être intentée plus d’un an après la dissolution
du régime matrimonial).

Cette protection dure jusqu’à la dissolution du mariage.

Civ. 1, 26 janvier 2011 : le logement de la famille conserve cette qualité lorsque la jouissance en a été
attribuée, à titre provisoire, à l’un des époux pendant l’instance en divorce.
Conséquence : nullité de la vente consentie par un seul des époux, celui qui s’est vu attribuer le droit
de jouissance exclusif, sans le consentement de l’autre sur le fondement de l’article 215, alinéa 3, du
Code civil.

B. LIBERTE ET EGALITE DES EPOUX

Liberté et égalité dans la vie courante

Rappel :

L’article 220 du Code civil confère une autonomie à chaque époux pour ce qui est des dépenses ménagères.
Chacun peut les contracter seul (en engageant les deux).

Mais ce n’est pas tout. Les époux disposent également d’une liberté bancaire. En effet, en vertu de l’article 221,
alinéa 1, du Code civil chacun est libre de se faire ouvrir, chez un intermédiaire financier, tout compte de dépôt
ou de titres en son nom personnel et de procéder à tout dépôt ou retrait de fonds, sans avoir besoin d’une
quelconque autorisation de son conjoint. La loi accorde ainsi un pouvoir en matière bancaire à chacun des époux
(= le pouvoir attribué). En outre, l’alinéa 2 du même texte prévoit qu’« à l’égard du dépositaire [= à l’égard du
banquier], le déposant [= l’époux client] est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre
disposition des fonds et des titres en dépôt ». En d’autres termes, le législateur présume que l’époux a le pouvoir
de disposer des fonds et titres déposés sur le compte (= le pouvoir présumé).

Pourquoi énoncer cela ? Parce que longtemps, les banquiers ont refusé de laisser une femme ouvrir (seule) un
compte et s’en servir (seule). Une loi du 22 septembre 1942 avait pourtant permis à la femme de se faire ouvrir
(seule) un compte à son nom et avait consacré la théorie de la représentation pour lui permettre d’ouvrir
(toujours seule) un compte commun. Mais les banquiers ont eu peur de voir leur responsabilité civile engagée
(par le mari, par exemple) en cas de litige relatif au paiement (pour reprendre l’exemple : le mari vient à soutenir
qu’en réalité, les fonds lui appartenaient en propre). Ils ont donc continué à exiger l’intervention du mari, en
dépit des textes en sens contraire. D’où une nouvelle loi, du 13 juillet 1965, qui a forcé les banques à s’incliner
en prévoyant les dispositions que nous connaissons (article 221 du Code civil). Avec l’affirmation de la pleine
capacité de la femme et, surtout, l’édiction d’une présomption légale de pouvoir, la situation du banquier est
inversée : il va voir sa responsabilité civile engagée s’il exige l’intervention du mari, alors que la capacité et la
présomption de pouvoir jouent.

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Attention : la présomption de pouvoir ne préjuge en rien de la régularité de l’acte au regard du régime


matrimonial des époux

Cette présomption tend uniquement à mettre les banquiers à l’abri d’une action en responsabilité civile. Même
s’il est irrégulier, l’acte ne pourra leur être reproché parce que la loi présume que l’époux avec lequel ils ont
traité avait les pouvoirs pour ce faire. Si, en réalité, l’époux qui a passé l’acte ne disposait d’aucun pouvoir sur
ces fonds, son conjoint pourra le faire valoir dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, quitte à
exercer en outre une action en responsabilité civile contre son conjoint, auteur du dépassement de pouvoir (NB :
l’action en responsabilité est alors dirigée contre l’époux mais pas contre le banquier qui, encore une fois, est
protégé par la présomption de pouvoir : il s’est légitimement fié à celui qui s’est présenté à lui).

Et quitte à traiter le cas des banquiers, le législateur a également envisagé l’hypothèse d’actes portants sur des
biens meubles, plus largement. La loi de 1965 a donc également introduit l’article 222 du Code civil dans notre
droit. Ce texte consacre l’autonomie des époux en matière mobilière. Il prévoit que chacun des époux est
présumé avoir le pouvoir de faire seul un acte d’administration ou de disposition sur un bien mobilier (donc les
biens immobiliers ne sont pas concernés ! La publicité foncière assure la protection des tiers) qu’il détient
individuellement (on exclut donc, par exemple, les meubles d’une résidence secondaire qui appartient aux deux
époux : aucune détention « individuelle »). Il s’agit d’une présomption irréfragable à l’égard des tiers (entre les
époux, celui qui conteste la validité de l’acte accompli par l’autre doit le prouver), qui est destinée à assurer leur
sécurité lorsqu’ils contractent avec une personne mariée qui agit seule. Il faut naturellement que le tiers soit de
bonne foi (ce qui signifie qu’il ne doit pas savoir que le meuble appartient à l’autre époux ou aux deux).

Ainsi lorsqu’un époux vend un objet (comme un tableau, une chaise, un écran de télévision, un
ordinateur,…), il est réputé, à l’égard du tiers qui souhaite acquérir la chose avoir la libre disposition
de cette chose, même si en réalité elle ne lui appartient pas.

Enfin, il faut encore noter que cette présomption n’est pas applicable aux meubles meublants qui garnissent le
logement familial ou aux meubles corporels dont la nature peut faire présumer la propriété de l’autre conjoint
(exemples : une femme ne peut pas vendre les vêtements de son mari et si elle le fait, le tiers doit se rendre
compte qu’il y a une difficulté, etc…). Ces exceptions sont prévues par l’alinéa 2 de l’article 222.

Autonomie professionnelle

Longtemps, la femme a dû obtenir une autorisation de son mari pour exercer une activité professionnelle. Puis,
le mari n’a plus eu à donner d’autorisation, mais il a conservé une faculté d’opposition, qu’il a perdue en 1965.

Cette liberté est appuyée par une indépendance financière, chacun pouvant disposer librement de ses gains et
salaires une fois qu’il s’est acquitté des charges du ménage. Tout cela est rappelé par l’article 223 du Code civil.

C. LE ROLE DU JUGE EN TEMPS DE CRISE

Le juge peut augmenter les pouvoirs d’un époux, soit en autorisant la représentation du conjoint (1°), soit en
autorisant l’un des époux à agir seul alors que le consentement du conjoint est normalement nécessaire (2°).
Mais il est également possible de restreindre les pouvoirs d’un époux, si les circonstances l’imposent (3°).

1°) La représentation

Texte applicable : article 219, alinéa 1er du Code civil

« Si l'un des époux se trouve hors d'état de manifester sa volonté, l'autre peut se faire habiliter par justice à le
représenter, d'une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l'exercice des pouvoirs résultant
du régime matrimonial, les conditions et l'étendue de cette représentation étant fixées par le juge ».

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La représentation permet à un représentant d’engager une autre personne, à savoir le représenté. En d’autres
termes, même si c’est le représentant qui « signe » l’acte, c’est le représenté qui est lié par l’acte (pas le
représentant).

Attention : la représentation n’est pas toujours utile

Ainsi, les deux seront engagés lorsque l’on se trouvera en présence d’une dette commune (dette ménagère),
sans qu’il y ait besoin de recourir à la représentation. En revanche, la représentation sera utile lorsqu’il s’agit
d’engager un bien propre de l’époux, hors d’état de manifester sa volonté.

A quelle(s) condition(s) peut-on avoir recours à la représentation ? Il faut démontrer l’inaptitude de l’époux à
manifester sa volonté. En d’autres termes, l’article 219 du Code civil n’est pas une solution aux conflits
conjugaux, c’est-à-dire aux hypothèses où un époux refuserait de consentir à un acte. Le juge peut accorder un
pouvoir de représentation qui n’a pas été expressément accepté (par celui qui est hors d’état de manifester sa
volonté), mais il ne peut pas accorder un pouvoir de représentation qui a été expressément refusé (parce qu’on
engage alors quelqu’un contre sa volonté. Difficile à admettre en droit français).

Quelles sont les causes pour lesquelles un époux est hors d’état de manifester sa volonté ? Le texte de loi ne dit
rien. Il pourra donc s’agir d’hypothèses très différentes, comme un éloignement (captivité, prise en otage), une
maladie, un accident, une altération des facultés mentales…

Quelle est l’étendue de la représentation ? La représentation peut être générale (pour tout acte juridique) ou
spéciale (la représentation n’est admise que dans le cadre d’un acte particulier, comme la vente d’un bien
immobilier). Tout dépend de ce que le juge décide.

Si la représentation est générale, on tend à considérer qu’elle ne peut concerner que des actes conservatoires
ou d’administration (= gestion courante), pas des actes de disposition (plus lourds de conséquence).

Vocabulaire :

Acte conservatoire : acte qui permet d’éviter la perte matérielle d’une chose ou la disparition d’un droit, voire
le simple acte nécessaire (sans que l’urgence ne soit exigée).
Exemples : faire réparer la toiture d’une maison qui menace de s’effondrer ; interrompre une prescription.

Acte d’administration : acte qui relève d’une gestion « normale » et ne compromet pas la substance du bien
ou du patrimoine en cause.
Exemples : faire repeindre un appartement mis en location au bout de 10 ans ; demander le paiement d’une
créance échue.

Acte de disposition : acte qui engage le patrimoine de manière durable et substantielle.


Exemples : détruire un bien ; donner un bien.

NB : la doctrine est divisée quant à la nature de l’acte qui consiste à vendre un bien. Classiquement, les auteurs
considéraient qu’il s’agissait d’un acte de disposition, au motif que la vente emporte une modification
substantielle du patrimoine. C’est un acte avec des conséquences importantes pour le vendeur, comme pour
l’acheteur. Mais aujourd’hui, cette analyse classique est discutée par une partie de la doctrine qui estime que
dès lors que la vente est consentie à des conditions normales (notamment, dès lors que le prix correspond à la
valeur de la chose), la vente n’est qu’un acte d’administration. Elle consiste à remplacer une valeur (le bien), par
une autre, équivalente (l’argent). Si la composition du patrimoine change dans ce qui relève alors du détail, il
reste globalement de la même valeur. Il ne serait donc pas modifié de façon substantielle.

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2°) L’autorisation

Texte applicable : article 217 du Code civil

« Un époux peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de
son conjoint serait nécessaire, si celui-ci est hors d'état de manifester sa volonté ou si son refus n'est pas justifié
par l'intérêt de la famille.
L'acte passé dans les conditions fixées par l'autorisation de justice est opposable à l'époux dont le concours ou
le consentement a fait défaut, sans qu'il en résulte à sa charge aucune obligation personnelle ».

Attention : ne pas confondre l’autorisation avec la représentation

Dans le cadre d’une autorisation, l’acte passé par un conjoint n’engage pas l’autre. Il est en revanche opposable
à ce dernier. Cela signifie, concrètement, que celui qui n’a pas donné son consentement ne peut prétendre que
l’acte est nul ou inefficace (= l’acte ne produirait aucun effet à l’égard ou au profit de l’autre conjoint) parce qu’il
n’y a pas consenti.

Quel est l’esprit de la règle ? La mesure dont il est question est une mesure ponctuelle. Elle a pour but d’autoriser
un époux à passer seul un acte pour lequel il serait normalement nécessaire que l’autre conjoint donne son
consentement, lorsque ce conjoint est hors d’état de manifester son consentement (même hypothèse que
précédemment) ou refuse de le donner (différence par rapport à la représentation. Justification : avec la
représentation, on engage le représenté. Normal qu’on n’engage pas quelqu’un contre son gré. Avec
l’autorisation, on n’engage pas celui qui ne donne pas son autorisation. Normal qu’on puisse surmonter une telle
opposition. De cette différence entre représentation et autorisation découle également l’exigence selon laquelle
l’intérêt de la famille doit être en péril, exigence que l’on ne retrouve pas en matière de représentation). Cette
autorisation met en échec (ponctuellement) la répartition normale des pouvoirs entre époux.

Bien que le texte ne l’indique pas expressément, il s’applique dans les hypothèses où le demandeur dispose d’un
certain pouvoir sur le bien, mais aurait besoin du « concours » ou du « consentement » de son conjoint
(exemple : il veut disposer du bail relatif au logement de la famille ou vendre un bien commun en étant marié
sous un régime de communauté). En d’autres termes, le texte ne s’applique pas dans l’hypothèse où l’époux qui
veut agir seul ne dispose d’aucun droit sur le bien en cause. Nouvelle différence par rapport à la représentation,
où le conjoint peut agir sur un bien sur lequel il n’a aucun droit (par exemple un bien propre de l’autre époux),
comme sur un bien sur lequel il n’a qu’une partie des droits.

Enfin, l’autorisation vise nécessairement la passation d’un acte spécial. Il ne peut pas y avoir d’autorisation
générale.

3°) Les restrictions

Les textes précédemment vus ont pour objet d’accroître les pouvoirs d’un des époux. A présent, il s’agit de
restreindre le pouvoir de celui qui est dangereux pour la famille.

L’article 220-1 du Code civil permet au juge de prendre toutes les mesures urgentes nécessaires pour
sauvegarder les intérêts pécuniaires de la famille lorsqu’un époux manque gravement à ses devoirs et met en
péril les intérêts de la famille par son activité. En effet, cet article dispose que « si l’un des époux manque
gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire
toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts ».

Analyse du texte :

- Ce texte vise aussi bien le domaine patrimonial (exemple : contracter des dettes excessives) que le domaine
personnel (exemples : violences, abandon du domicile conjugal).

- On peut rapprocher cette notion de celle de manquement grave avec la faute dans le divorce (article 242 du
Code civil : la faute cause de divorce s’entend de la violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du

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mariage et rendant intolérable le maintien de la vie commune). Ici, le législateur vise uniquement le manquement
grave. Cependant, la doctrine estime qu’une succession de manquements peu graves mais renouvelés peut
permettre de considérer, globalement, qu’il y a eu manquement grave.

- En revanche, comme on parle de manquements graves (= fautes graves), on se place sur le terrain de la
sanction… Partant, il est impossible d’appliquer cette disposition lorsque le conjoint en cause voit ses facultés
mentales altérées.

- S’agissant de la mise en péril des intérêts (patrimoniaux ou extrapatrimoniaux) de la famille, la condition


d’urgence est déterminante. Ce péril n’est pas défini par l’article 220-1 du Code civil, ce qui laisse au juge une
certaine latitude pour le caractériser. La seule chose que l’on peut dire c’est qu’il s’agit des intérêts de la famille,
et non des intérêts du conjoint de l’époux « fautif ». Toutefois, il est bien évident que, parfois, l’intérêt individuel
du conjoint peut se confondre avec l’intérêt de la famille. Enfin, le texte parle de « mise en péril ». On n’exige
donc pas un dommage avéré.

- Les mesures ordonnées par le juge visent généralement à restreindre les pouvoirs de l’époux fautif (exemples :
interdiction de faire des actes de disposition ou de déplacer des biens mobiliers).

- les mesures prises par le juge ont une durée temporaire (3 ans maximum). En outre, ces mesures sont
provisoires, ce qui signifie qu’elles peuvent être rapportées ou modifiées à tout moment.

- sanction de l’acte pris en dépit des restrictions ordonnées par le juge : nullité relative (donc confirmation
possible + seul l’époux protégé peut agir en nullité). Cependant, l’article 220-3 du Code civil semble exiger,
comme condition de l’annulation, la mauvaise foi du tiers (sauf s’il est question d’aliéner un bien soumis à
publicité et que la décision du juge restreignant les pouvoirs de l’époux a été préalablement publiée. Dans ce
cas, l’annulation est possible sans avoir à prouver la mauvaise foi du tiers… Plus exactement, on considère que
la publicité a informé les tiers de la situation).
Délai pour agir en nullité : 2 ans à compter de la connaissance de l’acte. Délai butoir : si l’acte litigieux a été
publié, 2 ans après la publication de l’acte, la voie de la nullité est fermée, quand bien même le demandeur à
l’action n’aurait pas eu connaissance de l’acte litigieux dans ce délai (butoir).

II. Les régimes matrimoniaux

En plus du statut matrimonial primaire (ou de base) applicable à tous les ménages, les rapports pécuniaires entre
les époux et avec les tiers dépendent également du régime matrimonial choisi par contrat de mariage ou bien
du régime légal.

Le contrat de mariage est un acte solennel qui suppose l’intervention d’un notaire. Il est conclu par les époux
avant le mariage, mais produit ses effets à partir du jour du mariage.

A défaut d’un tel contrat, les époux seront soumis au régime légal appelé communauté réduite aux acquêts.
C’est le cas de la majorité des couples mariés.

A. LA COMMUNAUTE LEGALE

- Sur le plan de la répartition des biens entre les époux, trois masses de biens coexistent. La communauté légale
est la communauté réduite aux acquêts : seuls les biens acquis à titre onéreux au cours du mariage tombent
dans la communauté (= les acquêts). En revanche, les biens présents (appartenant à chacun des époux au
moment du mariage) et les biens acquis à titre gratuit (= reçus par donation ou succession) au cours du mariage
n’ont pas le caractère de biens communs. Ils composent la masse propre de chaque époux.

– Sur le plan de la répartition des pouvoirs entre les époux, la communauté consacre l’égalité des époux. Ils sont
tous deux indépendants dans la gestion de leurs propres, ainsi que pour la gestion ordinaire de la communauté
(mais c’est une indépendance relative en raison d’une gestion concurrente des deux époux = chacun a les mêmes
pouvoirs que l’autre et chacun peut agir seul). Ils sont également tous deux associés dans la gestion des biens
communs, puisque pour les actes les plus graves, le double consentement des époux est nécessaire (on parle
alors, non plus de gestion concurrente, mais de cogestion).

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– Enfin, sur le plan de la liquidation et du partage des biens communs, le régime de la communauté se caractérise
par le fait que les biens communs se partagent par moitié à la dissolution du régime.

B. LES REGIMES CONVENTIONNELS

Les types de régimes conventionnels


Par contrat, les futurs époux peuvent opter pour un régime communautaire élargi à tous les biens mobiliers leur
appartenant : c’est la communauté des meubles et acquêts.

Ils peuvent aussi étendre la communauté à tous leurs biens, présents et à venir en adoptant la communauté
universelle.

Ils peuvent au contraire avoir la volonté de distinguer leurs patrimoines respectifs en adoptant le régime de la
séparation de biens. Dans cette hypothèse il n’existe aucun patrimoine commun. Tout se passe, du point de vue
patrimonial comme s’il n’y avait pas de mariage. Il est toutefois important de comprendre que la séparation de
biens ne permet pas aux époux d’éluder les règles du régime primaire (contribution aux charges du mariage,
devoir de secours et solidarité pour les dettes ménagères s’appliquent donc tout autant dans la séparation de
bien que dans le cadre d’un régime avec une communauté).

Enfin un dernier régime permet de combiner séparation et communauté : c’est le régime de la participation aux
acquêts. La séparation s’applique pendant toute la durée du mariage, mais à la dissolution de celui-ci l’époux qui
s’est le moins enrichi reçoit une part des acquêts de son conjoint.

Le changement de régime matrimonial


Il est possible de changer de régime matrimonial en cours de mariage, dès lors que ce changement est conforme
à l’intérêt de la famille.

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AUTO EVALUATION

- Quels sont les effets personnels du mariage ?

- Que signifie le devoir de communauté de vie ?

- Peut-il y avoir un viol entre époux ?

- La fidélité et les tiers

- Quelles sont les fonctions conjointes des époux ?

- Qu’est-ce que le régime primaire ?

- Que prévoit l’article 220 du Code civil (NB : il ne faut pas recopier le texte mais l’expliciter) ?

- Comment fixe-t-on la contribution aux charges du mariage ?

- Qu’est-ce que le devoir de secours entre époux ? Comment s’exécute-t-il ?

- Quelle protection la loi accorde-t-elle au logement de la famille ?

- La liberté bancaire des époux

- Les présomptions de pouvoir en matière mobilière

- L’autonomie professionnelle des époux

- Distinguez représentation d’un époux et autorisation d’agir seul (tant du point de vue des conditions, que du
point de vue des effets de la mesure de crise)

- Quelles restrictions peuvent être apportées aux pouvoirs d’un époux ?

- Quels sont les différents régimes matrimoniaux qui existent en France ?

- Quel régime matrimonial applique-t-on lorsque les époux n’en ont pas choisi de façon expresse ?

- Peut-on changer de régime matrimonial en cours de mariage ?

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CHAPITRE 3. LE DIVORCE

Pour aller plus loin : la séparation de corps

Si le divorce est bien connu, la séparation de corps l’est moins. De fait, la séparation de corps est bien plus rare,
en pratique, que le divorce. Cela tient à ses effets, qui sont moins importants que ceux produits par le divorce.
Ainsi, alors que le divorce signe la fin du mariage, la séparation de corps emporte un relâchement du lien
matrimonial, sans mettre fin pour autant au mariage.

De façon plus précise, la séparation de corps emporte plusieurs conséquences sur le plan personnel :
- Elle met d’abord fin au devoir de cohabitation (article 299). C’est d’ailleurs ce que les époux ont en vue lorsqu’ils
ont recours à la séparation de corps (= c’est l’effet principalement recherché). Chaque époux recouvre le droit
de fixer librement sa résidence.
- Et chaque époux résidant désormais séparément, le devoir d’assistance morale disparaît également.
- Toutefois, le mariage subsiste : les époux ne peuvent donc pas se remarier. Et la femme séparée de corps
conserve en principe l’usage du nom du mari, même si le jugement peut le lui interdire.

Quant aux effets patrimoniaux :


- La séparation de corps entraîne toujours une séparation de biens (ce qui est normal puisque chacun reprend
un peu de son indépendance, notamment en ne vivant plus sous le même toit). Si les époux ont été mariés sous
un régime de communauté, la communauté est alors dissoute et doit être liquidée (= on partage les biens
communs, on règle les récompenses, etc…).
- Il y a aussi disparition de la solidarité ménagère, de la contribution aux charges du mariage et de la protection
du logement familial prévue par l’article 215 du Code civil. Tout cela est la conséquence de la suppression du
devoir de cohabitation.
- En revanche, le devoir de secours subsiste.
- De même, la vocation successorale demeure, sauf exception (puisque le mariage subsiste. Les deux personnes
en cause ont donc toujours la qualité de conjoint).

Enfin, les cas et la procédure de séparation de corps sont identiques à ce qui est prévu en matière de divorce.

Parce qu’elle est très rare en pratique, nous n’étudierons pas la séparation de corps en détail. Nous nous
concentrerons sur le divorce, mode de désunion des couples mariés qui est largement plus répandu.

Pour ce qui est du divorce, il faut commencer par prendre la mesure de l’évolution qu’a connu la législation
française dans ce domaine (sans toutefois remonter très loin. Il s’agit uniquement de comprendre le sens de
l’évolution récente de la matière).

La première grande réforme moderne qu’il faut signaler est issue de la loi du 11 juillet 1975. On voit ici l’influence
du doyen Carbonnier et de la sociologie du droit. En effet, cette réforme traduit un certain alignement du droit
sur le fait. Cela a eu pour principale conséquence l’admission du pluralisme des cas de divorce (« à chacun son
divorce », en quelque sorte). C’est aussi à partir de là que le divorce par consentement mutuel va se développer.

Ensuite, une nouvelle réforme du divorce est opérée par la loi du 26 mai 2004. L’objectif est alors d’accélérer et
de pacifier le divorce, avec une conséquence directe importante : la déconnexion entre les causes du divorce et
les conséquences financières de celui-ci. C’est un point que les étudiants ont parfois du mal à comprendre, ou à
accepter. Concrètement, cela signifie qu’un époux fautif peut obtenir le versement d’une prestation
compensatoire à son profit. La faute n’a donc plus aucun intérêt (ou presque) en matière pécuniaire. Elle a une
vertu seulement « morale », ou « sentimentale », pour celui qui la fait reconnaître publiquement. D’ailleurs, on
a hésité à supprimer le divorce pour faute en 2004.

Enfin, la dernière réforme importante tient à l’admission du divorce « sans juge » par la loi du 18 novembre
2016. Il faut cependant relever que cela n’est possible que dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel.
L’objectif était de soulager des juges qui, selon les auteurs de la réforme, se seraient jusqu’alors contentés

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d’« enregistrer » des conventions de divorce par consentement mutuel, sans jamais les modifier ou presque.
Autrement dit, l’ancien divorce par consentement mutuel aurait exigé beaucoup de temps de la part des juges,
pour peu de modifications apportées aux conventions de divorce au final. D’où la transmission d’une partie des
divorces par consentement mutuel aux avocats (et aux notaires).

Cette perspective historique permet de comprendre la philosophie du droit français en matière de divorce. Avant
de rentrer davantage dans l’étude du détail de ce droit, il faut toutefois clarifier un point important : existe-t-il
un droit au divorce (comme il existe un droit au mariage, reconnu par l’article 12 de la Convention européenne
des droits de l’homme) ?

La réponse à cette question est clairement négative.

CEDH, Johnston et autres c/ Irlande, 18 décembre 1986 : un couple illégitime attaque l’Irlande en ce
qu’elle n’autorise pas le divorce (le mari est donc contraint de demeurer marié avec une femme dont il
ne partage plus la vie, alors qu’il a eu un autre enfant avec sa « maîtresse », qu’il ne peut épouser).
Voici les arguments qui vont être invoqués par les requérants et rejetés par la Cour :

1. Violation de l’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et


des libertés fondamentales (sur la liberté de mariage) : selon les demandeurs, la loi irlandaise
porte atteinte à la liberté de se (re)marier.
Mais la Cour européenne des droits de l’homme va juger qu’en réalité, cela revient à déduire,
de l’article 12, l’existence d’un droit au divorce. Or, en se fondant sur les travaux
préparatoires, la Cour va estimer que l’intention des rédacteurs de la Convention a été
clairement de ne pas consacrer un tel droit au divorce. Ils ont seulement voulu garantir le
droit de se marier… une fois.
En réponse, les requérants font valoir que peu importe, il faut interpréter la Convention de
manière évolutive (or, en 1986, nombre de pays admettent le droit au divorce).
Mais la Cour va à nouveau écarter l’argument au motif qu’une telle interprétation ne saurait
être admise en présence d’une volonté aussi claire des rédacteurs de la Convention en sens
contraire.

2. Violation de l’article 8 de la Convention : selon les requérants, en ne permettant pas le divorce


et le remariage, l’Irlande perturbe leur vie privée (ils se voient refuser les droits accordés aux
personnes mariées).
Réponse de la Cour : la Convention doit se lire dans son ensemble. Il est impossible d’obtenir,
par le biais d’un article (l’article 8), un droit qu’un autre article exclut très clairement
(l’article 12).

N. B. : l’Irlande connaît le divorce depuis que le « oui » l’a emporté de peu à un référendum qui
proposait d’introduire cette institution en droit irlandais (référendum du 24 novembre 1995).

Ainsi, il n’existe pas de « droit » au divorce. Le législateur est dès lors relativement libre d’organiser la désunion
des couples mariés. Comment cela se passe-t-il en droit français ? S’il existe plusieurs cas de divorce en droit
français (sous-section 1), les effets de la dissolution du lien matrimonial sont souvent identiques, quel que soit le
cas de divorce retenu (sous-section 2).

SECTION 1. LES CAS DE DIVORCE

Important : le caractère limitatif des dispositions du Code civil relatives aux cas de divorce

Le divorce ne peut être prononcé que pour les 4 causes prévues par la loi française (que nous allons étudier ci-
après). On dit aussi que la liste des cas de divorce prévus par la loi française est limitative. En conséquence, si
aucun des 4 cas de divorce ne peut être envisagé, il ne pourra pas y avoir de dissolution du lien matrimonial. Les
époux resteront mariés. Ainsi, la France n’admet pas (et ce ne sont que des exemples) la répudiation,
l’incompatibilité d’humeur ou encore la maladie comme cause de divorce.

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I. Le divorce par consentement mutuel

Ce cas divorce est celui qui est le plus utilisé en pratique.

Les conditions posées pour pouvoir y avoir recours sont peu nombreuses. Il y en a deux. L’une est constante : il
s’agit de l’accord des époux (A). L’autre est variable (B). Depuis la loi du 18 novembre 2016, le divorce par
consentement mutuel n’est en effet plus nécessairement homologué par un juge. Il peut être constaté par un
acte sous signature privé contresigné par avocats et déposé au rang des minutes d’un notaire.

A. LA CONSTANTE : L’ACCORD DES EPOUX

L’idée générale est que, dans le divorce par consentement mutuel, les époux sont d’accord non seulement pour
divorcer, mais également s’agissant de régler toutes les conséquences de la désunion. S’ils ne sont pas d’accord
sur tel ou tel point, le divorce par consentement mutuel n’est pas possible. Il faut envisager un autre cas de
divorce.

En revanche, la loi n’exige aucune cause objective. Les époux n’ont aucune explication à donner quant à la cause
de la rupture.

L’accord des époux occupe ainsi une place centrale dans ce type de divorce. En conséquence, aucun d’entre eux
ne peut être soumis à un régime de protection, comme la tutelle ou la curatelle. C’est prévu pour les deux cas
de divorce par consentement mutuel que connaît le droit français, à savoir le divorce sans juge (Article 229-2 du
Code civil : pas de divorce par consentement mutuel en dehors du contrôle du juge lorsqu’un régime de
protection a été prévu) et le divorce par consentement mutuel sous le contrôle du juge (Article 249-4 du Code :
aucune demande en divorce judiciaire par consentement mutuel ne peut être formulée par un majeur en tutelle,
curatelle ou sauvegarde de justice).

B. LES VARIABLES : L’ACTE SOUS SIGNATURE PRIVEE CONTRESIGNE PAR AVOCATS ET DEPOSE AU RANG DES MINUTES D ’UN
NOTAIRE OU L’HOMOLOGATION JUDICIAIRE

C’est la grande innovation de la loi du 18 novembre 2016 : le divorce sans juge, présenté comme le « droit
commun » si l’on se réfère aux nouveaux textes du Code civil (1°). Ce n’est donc que par exception, un peu à
regret, que le législateur maintient le divorce judiciaire par consentement mutuel (2°).

1°) Le divorce par acte sous signature privée contresigné par avocats et déposé au rang des minutes d’un notaire

Textes applicables : articles 229-1 (nouveau) et suivants du Code civil.

Domaine : le champ d’application de ce nouveau divorce est très large. En effet, aucun texte ne définit, de façon
positive, le domaine de ce nouveau divorce. Tout ce que l’on a, c’est une liste, extrêmement courte, des
hypothèses dans lesquelles ce divorce est exclu. Il faut donc retenir que le divorce par consentement mutuel
hors le contrôle du juge est autorisé sauf (article 229-2) :
1° Lorsque « le mineur, informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge…, demande son
audition par le juge » ;
2° L’un des époux est placé sous un régime de protection (tutelle, curatelle et autres. Cf.
précédemment).

Conditions : à supposer que la situation relève du domaine d’application de ce nouveau divorce, quelles
conditions faut-il satisfaire pour que la convention soit efficace ?

- Assistance par deux avocats : chaque époux est assisté par un avocat (deux avocats au total, par
conséquent. Alors que lorsqu’on passe devant le juge, les époux peuvent prendre un seul avocat). Cf.
l’article 229-1.

- Conditions de forme, prescrites à peine de nullité de la convention (article 229-3) :


o La convention doit donner des informations précises sur l’identité des époux et des enfants
concernés ;

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o Ainsi que des informations précises sur l’identité des avocats ayant assisté les époux ;
o Il faut un accord des époux sur le principe du divorce et les conditions ;
o Les modalités du règlement complet du divorce (notamment modalités du paiement de la
prestation compensatoire) doivent être indiquées dans la convention de divorce ;
o La convention de divorce doit également renfermer un état liquidatif du régime matrimonial
(s’il y a lieu à liquidation) ;
o Enfin, il faut insérer la mention selon laquelle le mineur a été informé par ses parents de la
possibilité d’être entendu par le juge et qu’il ne souhaite pas faire usage de cette faculté (sinon,
on bascule dans un divorce soumis au contrôle du juge).

- Article 229-3 : une fois que les époux se sont mis d’accord sur tout, chaque avocat adresse à son client
un projet de convention. Les époux disposent alors d’un délai de réflexion de 15 jours à compter de la
réception du projet (= ils ne peuvent pas signer définitivement la convention de divorce avant
l’écoulement de ce délai).

- Enfin, une fois signée, la convention est déposée au rang des minutes d’un notaire, qui contrôle le
respect des conditions de forme précitées, ainsi que le respect du délai de réflexion de 15 jours (tout
cela est prévu par l’article 229-1, al. 2).

Régime : la convention de divorce doit être établie dans les conditions prévues par l’article 1374 du Code civil (=
acte sous seing privé contresigné par avocat). Conséquences (cf. cours d’introduction au droit privé sur la
preuve) : la procédure d’inscription de faux est applicable pour ce qui est de la signature et de l’écriture des
parties + l’acte atteste de ce que l’avocat a satisfait à son devoir de conseil + l’acte est dispensé de toute mention
manuscrite (sauf disposition légale particulière… qui n’existe pas dans notre hypothèse).

A compter du dépôt au rang des minutes du notaire, la convention a date certaine (à l’égard des tiers) et force
exécutoire.

Analyse de ces dispositions :

Ce nouveau divorce soulève des interrogations autour de la protection de l’intérêt des enfants :

▪ Si on suit la lettre des textes, on constate que c’est aux parents d’informer l’enfant de ce qu’il peut être
entendu par le juge… et que ni l’avocat, ni le notaire ne doivent le vérifier. Tout ce que ces professionnels
doivent vérifier c’est qu’il est bien indiqué, dans la convention de divorce, que l’enfant a été informé de
cette possibilité. Mais ni l’avocat, ni le notaire ne doivent s’entretenir avec l’enfant. Dès lors, on peut
se demander si l’intérêt de l’enfant sera suffisamment protégé par les seuls parents.

▪ Par ailleurs, il convient de relever que les textes mettent la parole de l’enfant au centre de la césure
entre divorce hors et avec le contrôle du juge. Cela soulève une question : pourquoi la parole de l’enfant
conditionne-t-elle le passage vers le contrôle du juge ? La doctrine aurait davantage compris que le
législateur impose le contrôle du juge en la présence d’enfants (sans exiger qu’ils demandent à parler
au juge).

▪ Dans le prolongement de ce qui vient d’être relevé, il faut évoquer un risque d’instrumentalisation des
enfants. Car, en réalité, un divorce par consentement mutuel est bien souvent conflictuel (surtout
depuis que le législateur a privé le divorce pour faute de son intérêt sur le plan financier). Simplement
le conflit est latent. Il est donc possible qu’un parent menace d’influer sur l’enfant (et agite ainsi
l’épouvantail du juge) pour obtenir quelque chose dans la négociation relative au divorce (une
prestation compensatoire plus importante, un droit de visite et d’hébergement plus étendu, une pension
alimentaire moindre pour les enfants, etc…).

Si l’on met de côté la question de l’intérêt de l’enfant, il faut relever que la réforme de 2016 opère un
rapprochement du mariage avec le PACS. Plus largement, c’est le mouvement de contractualisation du droit de
la famille qui s’accentue. Beaucoup de choses sont aujourd’hui réglées par accord des parties.

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Mais cela pose la question des conditions de validité de la convention et des conditions de son exécution : peut-
on appliquer le droit commun des contrats ? Nous verrons que dans le divorce judiciaire par consentement
mutuel, la présence du juge refoule largement le jeu du droit commun des contrats. Ici, rien n’est prévu, ce qui
soulève plusieurs questions :

o Les époux peuvent-ils convenir, par contrat, de modifier leur convention de divorce (après coup) ? On
pourrait songer à répondre par l’affirmative au motif que c’est prévu dans le divorce judiciaire (on y
reviendra). Mais justement, rien de tel n’est prévu hors la présence du juge. Il semble donc qu’il faille
retenir que toute modification de la convention de divorce (révision de la prestation compensatoire ou
des mesures relatives à l’autorité parentale en pratique) devra être soumise au juge. L’article 373-2-13
du Code civil prévoit d’ailleurs, à propos de la question de l’autorité parentale, que « les dispositions
contenues dans la convention homologuée ou dans la convention de divorce par consentement mutuel
prenant la forme d'un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes
d'un notaire ainsi que les décisions relatives à l'exercice de l'autorité parentale peuvent être modifiées
ou complétées à tout moment par le juge, à la demande des ou d'un parent ou du ministère public, qui
peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non ».

o Quid en cas de vice du consentement (erreur, dol ou violence) ? Si on autorise une action en nullité de
la convention sur un tel fondement, il faut conclure que cette action peut être exercée pendant les 5
ans… qui suivent la découverte du vice, avec le jeu du délai butoir de 20 ans qui court à compter de la
conclusion du contrat (conformément aux principes de droit commun en droit des contrats et de la
prescription, que vous reverrez l’an prochain en droit des contrats). Mais à ce compte-là, on pourrait
annuler un divorce alors que l’un des époux est remarié !

o Et l’on peut dérouler tout le droit des contrats comme ça : faut-il admettre le jeu de la résolution pour
inexécution, la responsabilité contractuelle, etc…

Ceci étant, les auteurs relèvent que la rupture du PACS, qui est tout aussi peu encadrée et floue, ne donne pas
lieu à un contentieux important. Il faut donc se montrer prudent : les difficultés ne sont peut-être pas aussi
importantes que cela d’un point de vue pratique (mais les enjeux et les proportions statistiques ne sont peut-
être pas comparables non plus…).

2°) Le divorce judiciaire par consentement mutuel

Par contrecoup, ce type de divorce a vu son domaine se réduire considérablement. Alors qu’avant, c’était le
divorce le plus répandu en pratique, la réforme du 18 novembre 2016 le marginalise. L’article 230 du Code civil
prévoit en effet qu’il peut être demandé « dans le cas prévu au 1° de l’article 229-2 », soit lorsque l’enfant mineur
demande à être entendu par le juge, ce qui sera plus que rare en pratique (cf. les remarques précédentes).

Ici, la demande en divorce est présentée par les avocats des parties qui peuvent n’en choisir qu’un (article 250).
Cette requête doit être accompagnée d’une convention dans laquelle les époux règlent les effets du divorce, et
notamment présentent un état liquidatif du régime matrimonial.

Quel est alors le rôle du juge ? Le juge opère un contrôle sur la réalité du consentement des époux (article 232
du Code civil) et sur le caractère équitable de la convention (il contrôle le respect de l’intérêt des époux et celui
des enfants. L’article 278, alinéa 2, du Code civil l’autorise par exemple à refuser d’homologuer la convention
qui lui est soumise s’il estime qu’elle « fixe inéquitablement les droits et obligations des époux »). En revanche,
le juge ne s’intéresse ni aux torts dans la séparation, ni aux conditions de la vie conjugale.

Si le juge considère que la convention est conforme aux consentements et intérêts des époux (et des enfants
pour ce qui est uniquement du contrôle des intérêts. Les enfants n’ont évidemment pas à consentir au divorce
de leurs parents), il l’homologue et prononce le divorce.

Dans le cas contraire, notamment quand la convention malmène les intérêts d’un des époux et/ou d’un enfant,
les options sont limitées :

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1) Avec l’accord des parties, le juge peut supprimer une clause ou la faire modifier (article 1099, alinéa 2,
du Code de procédure civile). Cette disposition est utile, car elle permet des modifications mineures,
sans remettre à plus tard le divorce.

En revanche, elle ne permet pas de modifier sur le champ la convention de façon trop importante, car
les époux doivent pouvoir y réfléchir.

2) Si le juge constate que la convention ne préserve pas suffisamment les intérêts d’un époux ou des
enfants et que les modifications proposées sont trop importantes pour être insérées sur le champ dans
la convention, ou encore qu’elles ont été refusées par les époux, le juge n’a d’autre choix que de refuser
d’homologuer la convention. Le divorce n’est alors pas prononcé.

Dans cette hypothèse, il peut cependant homologuer les mesures provisoires envisagées par les époux…
sous réserve qu’elles soient conformes à l’intérêt du ou des enfants (article 250-2).

Dans ce cas, les époux disposent d’un délai maximum de six mois pour présenter une nouvelle
convention. A défaut ou en cas de nouveau refus, la demande en divorce est caduque (article 250-3). Si
les époux veulent impérativement divorcer, il leur faut initier une nouvelle procédure.

Enfin, il faut relever qu’une fois leur accordé homologué, les parties ne peuvent plus le modifier. Mais ce principe
connaît deux limites :
1. Elles peuvent soumettre au juge une nouvelle convention à homologuer (article 279, alinéa 2).
2. Elles peuvent prévoir, dans la convention initiale, que l’un d’entre eux (un seul donc… on n’exige pas
l’accord des deux) pourra, « en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de
l’une ou de l’autre des parties », demander au juge de réviser la prestation compensatoire (même
texte, alinéa 3).

En outre, le contrôle du juge refoule le droit commun des contrats. Il est ainsi impossible d’attaquer, après
l’homologation, l’accord en faisant valoir qu’il serait affecté d’un vice du consentement (dol ou erreur). La lésion
ne peut pas plus être invoquée. La seule chose qui a été admise par la jurisprudence, c’est la possibilité d’opérer
un partage complémentaire lorsqu’un bien ou une dette commune a été omis du partage homologué.

II. Les divorces contentieux

Parce que les divorces contentieux durent un certain temps (le temps de régler le contentieux…), il vous faut tout
d’abord retenir que le juge peut prendre des mesures provisoires pendant l’instance en divorce (= après
l’assignation en divorce). L’article 254 du Code civil, tel que modifié par la loi du 23 mars 2019, prévoit ainsi que
le juge peut tenir une audience afin de prendre des mesures visant à assurer l’existence des époux et des enfants.
L’article 255 du Code poursuit en détaillant les questions que le juge peut aborder (fixation de la résidence de
chaque époux et des enfants, attribution de la jouissance du domicile familial à l’un d’eux, fixation d’une
pension alimentaire, etc…).

 Il faut remarquer que, sauf exception prévue par le juge (comme autoriser les époux à résider séparément),
les effets du mariage sont maintenus pendant la procédure de divorce.

Cet aspect procédural des divorces contentieux brièvement exposé, il faut préciser les règles communes à tous
les cas de divorce contentieux en matière de preuve (A). Ce n’est qu’une fois ce préalable détaillé que nous
pourrons étudier les règles particulières à chaque cas de divorce contentieux, à savoir le divorce pour faute (B),
le divorce accepté (C) et le divorce pour altération définitive du lien conjugal (D).

A. LES REGLES PROBATOIRES COMMUNES

En principe, le droit commun de la preuve s’applique. Ainsi la charge de la preuve incombe au demandeur, lequel
est entendu comme celui qui émet une prétention (exemple : celui qui demande un divorce pour faute doit
prouver que son conjoint a commis une violation grave ou renouvelée des devoirs conjugaux).

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S’agissant des modes de preuve, les faits juridiques peuvent être prouvés par tous moyens. Le droit du divorce
obéit à ce principe. Il en résulte que les faits invoqués (en tant que causes de divorce ou comme défense à une
demande) peuvent être établis par tout mode de preuve. Cette règle est confirmée par l’article 259 du Code civil.

La difficulté vient de ce que les faits à démonter sont, par nature, intimement liés à la vie privée des époux, voire
à celle de tiers (le complice de l’adultère, par exemple). Si on refusait de telles preuves, on placerait les parties
dans une situation intenable (impossible, souvent, de prouver leurs allégations autrement que par un document
qui méconnaît la vie privée du conjoint). Ainsi les modes de preuve habituels sont-ils aménagés : en droit
commun, le juge peut refuser un mode de preuve qui porte atteinte à la vie privée ou qui possède un caractère
confidentiel. Ce n’est pas le cas en matière de divorce. L’article 259-1 du Code civil autorise en effet les époux à
produire des modes de preuve intimes à condition qu’ils ne les aient pas obtenus par fraude ou par violence
(« un époux ne peut verser aux débats un élément de preuve qu'il aurait obtenu par violence ou fraude »).

Cela se vérifie tout d’abord avec les lettres missives. En droit commun de la preuve, ces éléments de preuve
relèvent de la correspondance privée et ont un caractère secret. Leur production en justice est dès lors
subordonnée à l’accord du destinataire et de l’auteur de la lettre. Si on appliquait cette règle dans un procès en
divorce, les lettres (d’amour ou de confidence) devraient être écartées des débats (jamais celui à qui l’on veut
opposer un tel document, et qui en est soit l’auteur soit le destinataire, ne donnerait son accord à la production
en justice de la lettre). Dans le droit du divorce, le principe est donc renversé par rapport au droit commun de la
preuve : il est permis à chaque époux de produire en justice les lettres échangées entre lui et son conjoint, et
même les lettres échangées entre son conjoint et un tiers, mais à condition qu’il ne les ait pas obtenues par
fraude ou par violence (article 259-1).

On ne pourra donc pas produire des lettres arrachées à une personne ou obtenues suite à un stratagème
auprès des services de la poste.

Attention cependant : il appartient à l’époux qui invoque la fraude ou la violence d’en rapporter la preuve.

A ce propos, il convient d’ailleurs de relever que la jurisprudence assimile le journal intime aux lettres missives.
Ainsi, la preuve d’une faute, cause de divorce, peut être établie par la production d’un journal intime, à condition
qu’il n’y ait ni fraude, ni violence à l’origine de l’entrée en possession du journal.

Civ. 2, 6 mai 1999 : par cet arrêt, la Cour de cassation rejette le moyen dirigé contre les motifs d’un
arrêt d’appel qui avait caractérisé l’adultère de l’épouse, en utilisant, comme unique mode de preuve,
son journal intime.
La décision a été critiquée par la doctrine au motif qu’elle semble partir du principe que les faits
consignés dans le journal intime sont réels. Or, on ne saurait exclure que ce qui est couché dans un
journal intime relève parfois de l’imaginaire.

Dans le même sens, on peut envisager la preuve par SMS.

Civ. 1, 17 juin 2009 : censure d’une cour d’appel qui avait écarté des débats un constat d’huissier
dressé à la demande de la femme et relatant un échange de SMS entre son époux et une tierce personne
(tout cela avait été pris à partir du mobile professionnel de l’époux), motif pris d’une atteinte au secret
des correspondances et d’une atteinte à l’intimité de la vie privée.
Fondement de la censure : articles 259 et 259-1 du Code civil.
Motif de la censure : les juges du fond n’ont pas constaté, au soutien de leur décision, que les SMS
auraient été obtenus par fraude ou violence.

Les témoignages sont également admis. Ils sont cependant soumis à la règle de l’appréciation souveraine des
juges du fond (sous réserve de la dénaturation).

En revanche, il est interdit d’entendre les descendants sur les griefs invoqués par les époux (article 259-
1, in fine). L’interdiction concerne les déclarations directes ou indirectes des enfants (déclaration
indirecte : exemple de la mère de l’épouse, donc la grand-mère, qui relate les déclarations de ses petits-
enfants), qu’ils soient communs aux deux époux ou propres à l’un d’eux. Cette interdiction s’applique

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aussi aux enfants majeurs et à leurs concubins ou conjoints, même s’ils sont divorcés. Cette dernière
extension du texte (qui résulte de la jurisprudence) est critiquée parce que le divorce dissout le mariage
et les liens qu’il a créés. Puisque la qualité de conjoint a disparu, les interdictions qui en découlent
devraient disparaître aussi. L’idée de cette jurisprudence est néanmoins d’éviter que l’instance en
divorce se transforme en un règlement de compte entre les membres d’une famille désunie. Objectif de
maintien de la paix des familles, donc.

S’agissant du recours à la preuve biologique (que nous verrons dans le cadre de la filiation), la question est
délicate.

Civ. 1, 28 février 2006 : à l’occasion de l’appendicite de son fils (qui doit être opéré), le père - médecin
- découvre que l’enfant a un groupe sanguin incompatible avec le sien. Il s’appuie ensuite sur cela pour
prouver un adultère dans le cadre d’une action en divorce (après vérification, il apparaît même que 2
des 5 enfants du couple ne sont pas de lui). Ce faisant, il soulève la question de la recevabilité, dans
le cadre d’une procédure en divorce, d’un examen sanguin effectué sur l’un des enfants du couple, en
dehors de toute action relative à la filiation.
Les premiers juges vont rejeter cette preuve au motif qu’elle ne peut être admise que dans le cadre d’une
action relative à la filiation – qui, en l’espèce, n’était plus possible à raison de l’expiration des délais
prévus pour ce faire et de l’absence de volonté émise en ce sens par le mari (qui, donc, ne voulait pas
contester sa paternité à l’égard des enfants qui n’étaient pas, biologiquement, de lui). La cour d’appel
infirme la décision et le pourvoi (formé par la femme) est rejeté par la Cour de cassation au motif qu’en
matière de divorce, la preuve se fait par tout moyen.

Remarque : les éléments de preuve ont été obtenus sans fraude, puisque la profession du mari lui
permettait d’accéder à ce type de données.

Enfin, il faut régler une dernière question en matière de preuve : la loi et la jurisprudence française sur la preuve
dans le divorce sont-elles compatibles avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui
consacre la protection de la vie privée) ? Comme souvent, la question porte régulièrement sur le point de savoir
si l’ingérence dans la vie privée admise par le droit français est nécessaire dans une société démocratique (=
proportionnée au but recherché). Or, la Cour européenne des droits de l’homme juge, à ce propos, que l’atteinte
à la vie privée ne peut être admise que si c’est la dernière extrémité pour atteindre le but légitime (en clair, il
n’existe aucun autre moyen de prouver les faits litigieux).

CEDH, aff L. L. c/ France, 10 octobre 2006 : divulgation d’un compte-rendu opératoire concernant un
époux et faisant état de son alcoolisme chronique. Ce compte-rendu, va justifier le prononcé du divorce
pour faute aux torts du mari (violences conjugales).
La Cour européenne des droits de l’homme commence par juger que le but de l’ingérence dans la vie
privée est légitime (la femme voulait obtenir le divorce aux torts exclusifs du mari. Ce faisant,
l’ingérence était destinée à « la protection des droits et libertés d’autrui », en l’occurrence le droit à la
preuve du conjoint aux fins de faire triompher ses prétentions).
En revanche, la Cour va estimer que le dernier critère (nécessité/proportionnalité de l’ingérence) n’est
pas satisfait dès lors qu’au regard des autres éléments de preuve fournis (attestations de tiers et
certificats médicaux concernant l’épouse), les juges français auraient pu imputer les mêmes torts à
l’époux, à savoir des violences conjugales, en faisant abstraction du certificat médical litigieux (celui
concernant l’époux).

B. LE DIVORCE POUR FAUTE

Conformément aux vœux du législateur, le divorce pour faute est en net recul depuis la réforme de 2004. C’est
le grand perdant des dernières réformes (le divorce pour faute représentait ainsi 42 % des divorces au milieu des
années 1990, contre moins de 10 % aujourd’hui). Le législateur a voulu rendre le divorce pour faute moins
intéressant, moins « attractif » afin que moins de couples aient recours à cette procédure longue, donc coûteuse,
et qui avait tendance à exacerber les conflits. De ce point de vue, le législateur a atteint son objectif.

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Pour aller plus loin : les griefs occultés

L’article 245-1 du Code civil dispose que « à la demande des conjoints, le juge peut se limiter à constater dans
les motifs du jugement qu’il existe des faits constituant une cause de divorce, sans avoir à énoncer les torts et
griefs des parties ». C’est l’hypothèse des griefs occultés. Il y a des fautes. Chacun des époux en convient.
Cependant, le juge ne les précise pas davantage. Cela va dans le sens de la dédramatisation du divorce. Mais
attention, ça n’est possible qu’en cas d’accord des deux époux.

Ce point mis à part, l’essentiel est ici de cerner la notion de faute (1). En réponse, le défendeur dispose de divers
moyens de défense (2).

1°) La notion de faute

La faute, au sens de l’article 242 du Code civil, est un manquement aux devoirs et obligations nés du mariage.
Il faut entendre par là, non seulement un manquement aux devoirs nommés prévus par la loi (fidélité,
cohabitation, contribution aux charges du mariage, …), mais aussi tout manquement à d'autres devoirs que la loi
ne cite pas expressément, mais sans lesquels le mariage n’aurait plus la même signification (par exemple, le devoir
de loyauté ou encore la pratique excessive d’une religion).

En outre, il faut qu’il s’agisse d’un fait imputable au conjoint et constitutif d’une violation grave ou renouvelée
des obligations du mariage et rendant intolérable le maintien de la vie commune.

Remarques :

- Lorsque l’on parle de fait imputable, on indique que l’auteur de la faute doit avoir eu une volonté
consciente et libre lorsqu’il agissait.
Il n’en est pas ainsi si, par exemple, l’époux a agi sous l’empire d’un trouble mental.

- La loi précise également que la violation des devoirs et obligations du mariage doit être grave OU
renouvelée

- Enfin, il faut que la violation grave ou renouvelée des obligations du mariage rende intolérable le
maintien de la vie commune. Cependant, cette dernière exigence semble devenir une clause de style,
dans la mesure où, par nature, une violation des devoirs du mariage rend souvent insupportable le
maintien de la vie commune.

Pour terminer, voici quelques exemples jurisprudentiels de fautes qui ont été jugées causes de divorce :
- L’adultère.
- L’alcoolisme (Civ. 1, 11 janvier 2005).
- L’attitude particulièrement humiliante et méprisante à l’égard de l’autre, en raison du niveau d’étude
inférieur de celui-ci, le refus de toute relation sexuelle avec l’époux, tout cela accompagné d’un repli de
la famille sur elle-même, l’épouse ne laissant entrer aucun étranger dans le foyer et refusant aux
enfants les contacts avec les grands-parents (Civ. 1, 11 juillet 2006).
- Le fait, pour une épouse ayant un « caractère difficile », de ne pas vouloir fréquenter la belle-famille,
d’inventer des conspirations contre elle, de ne pas apporter au mari de soutient affectif, d’être
égocentrique, de formuler des « projets d’affaires » et d’être très intéressée par la situation financière
procurée par le statut du mari (Civ. 1, 11 mars 2009).

Reste toutefois que cette condition, liée au maintien de la vie commune, pose problème en présence de fautes
commises en cours de procédure, soit à un moment où la vie commune a déjà cessé pour beaucoup de couples.
A ce propos, la jurisprudence retient, en principe, que les obligations du mariage subsistent jusqu’à la dissolution
de celui-ci. En conséquence, une violation de ces obligations commise pendant la procédure peut être une cause
de divorce. Cependant, en pratique, les juges sont plus cléments à l’égard de ces violations lorsque la procédure
dure longtemps. En d’autres termes, plus la procédure est longue, moins la violation du devoir de fidélité sera
considérée comme une faute par exemple. Plus cette procédure est courte, plus on pourra sanctionner
l’adultère.

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Civ. 2, 27 octobre 1993 : « l’introduction de la demande en divorce ne confère pas aux époux, encore
dans les liens du mariage, une immunité destituant de leurs effets normaux les offenses dont ils
peuvent se rendre coupables l’un envers l’autre ».
Par cet arrêt, la Haute Juridiction casse, au visa de l’article 242 du Code civil, un arrêt qui avait estimé
ne pas pouvoir prendre en compte des attestations faisant état d’un adultère du mari postérieur à
l’ordonnance de non-conciliation. Erreur des juges du fond = avoir adopté une position de principe
(c’est « toujours non », en quelque sorte), sans prendre en considération la longueur de l’instance en
divorce.

Civ. 2, 29 avril 1994 : rejet d’un pourvoi qui critiquait un arrêt ayant écarté l’adultère comme faute,
au motif que « le constat d'adultère (a été) établi plus de 2 années après l'ordonnance ayant autorisé
les époux à résider séparément et (…) que le devoir de fidélité est nécessairement moins contraignant
du fait de la longueur de la procédure ».

2°) Les moyens de défense

Que peut faire l’époux contre lequel une demande de divorce pour faute est formée ?

a/ La réconciliation

S’il souhaite éviter le divorce, le défendeur peut invoquer une réconciliation avec le demandeur à l’action en
divorce. Dans cette hypothèse, l’époux défendeur cherche à obtenir le maintien du mariage.

La réconciliation a la signification d’un pardon. Elle efface les fautes. En effet, l’article 244 du Code civil prévoit
que la réconciliation des époux intervenue après les fautes commises par le défendeur empêche de les invoquer
comme cause de divorce. De fait, le pardon et l’effacement des fautes ne peut concerner que les fautes
antérieures à la réconciliation. Une nouvelle demande en divorce pourrait en revanche être formée en raison de
faits survenus ou découverts depuis la réconciliation.

Supposons être en présence de fautes antérieures à la réconciliation. Pour que cette dernière soit retenue et
produise effet, il faut cependant la réunion de deux éléments : un élément matériel, à savoir la reprise de la vie
commune, et un élément psychologique, qui est la volonté de pardonner émise par l’époux innocent. En
conséquence, la simple reprise de la vie commune qui résulterait d’une nécessité (par exemple, des problèmes de
logement) ne sera pas considérée comme une réconciliation.

b/ Les fautes de l’époux demandeur

Attention : il faut bien définir ce que souhaite obtenir celui qui, en défense, invoque la faute du demandeur à
l’action en divorce

Les fautes du demandeur à l’action en divorce peuvent être invoquées à deux fins très différentes. Elles peuvent
être invoquées soit à titre d’excuse pour tenter de s’opposer au divorce, soit au titre d’une demande
reconventionnelle afin de tenter d’obtenir à ce que le divorce soit prononcé, à tout le moins, aux torts partagés
(article 245 du Code civil).

▪ La première hypothèse est prévue par l’alinéa 1er de l’article 245 du Code civil. Elle suppose une défense au
fond de la part du défendeur. L’objectif est alors de faire rejeter la demande en divorce. Si cette défense est
accueillie par le juge, le mariage sera maintenu.

o D’abord, le défendeur peut purement et simplement contester les fautes qui lui sont reprochées : s’il
gagne, le mariage sera maintenu ; s’il perd, le divorce est prononcé à ses torts exclusifs.

o Mais il peut également chercher à imputer à son tour des fautes au demandeur. Simplement, il ne va
pas, alors, appuyer le divorce (contrairement à l’hypothèse que nous verrons par la suite). Il va utiliser les fautes
de son adversaire pour éviter le prononcé du divorce. Comment ? En se fondant sur l’article 245 alinéa 1er, du

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Code civil qui prévoit que le comportement du demandeur peut enlever aux faits qu’il reproche à son conjoint
(le défendeur) la gravité qui en aurait fait une cause de divorce. En d’autres termes, les fautes du demandeur
peuvent excuser les fautes du défendeur.

Exemple : une femme quitte le domicile conjugal en raison des violences dont elle fait l’objet ou à la
suite d’un adultère commis par le mari. L’abandon du domicile qui, en temps normal, est une faute,
sera excusé par le comportement du mari (violent ou volage). Le juge pourrait alors rejeter la demande
en divorce du mari.

▪ Cependant, le plus souvent, les fautes du demandeur ne seront pas invoquées par le défendeur pour excuser
les siennes, mais pour obtenir que le divorce soit prononcé à son avantage ou aux torts partagés. L’article 245,
alinéa 2, du Code civil prévoit ainsi la possibilité d’invoquer ces fautes au soutien d’une demande
reconventionnelle.

La demande reconventionnelle est une demande formulée par le défendeur, qui ne se borne pas à faire rejeter
la prétention de l’adversaire. A son tour, le défendeur demande quelque chose. Il devient alors lui aussi
demandeur (d’où l’expression « demande reconventionnelle »).

Si les deux demandes sont accueillies, le divorce sera prononcé aux torts partagés. Si les deux demandes sont
rejetées, le mariage est maintenu. Enfin, si une seule des demandes est accueillie, le divorce est prononcé aux
torts exclusifs du seul époux qui se sera vu imputer des fautes par le juge.

▪ Il faut également aborder l’hypothèse visée par l’article 245 alinéa 3 du Code civil, à savoir celle où les fautes
du demandeur sont relevées d’office par le juge, en l’absence de toute demande reconventionnelle du
défendeur. En d’autres termes, même si le défendeur formule aucune demande en ce sens, le juge pourra
néanmoins tenir compte des fautes du demandeur et prononcer le divorce aux torts partagés.

Dans ce cas, il doit toutefois respecter le principe du contradictoire. Il doit donc demander aux parties de
présenter leurs observations sur la question de l’incidence des fautes qui pourraient être imputées au
demandeur à l’action en divorce. En revanche, il est impossible de prononcer le divorce aux torts exclusifs du
demandeur (lorsque le défendeur est silencieux).

▪ Nous verrons d’ici quelques pages une hypothèse particulière où il existe une demande en divorce pour faute
et demande reconventionnelle pour altération définitive du lien conjugal. L’examen de la demande fondée sur
la faute passe avant.

C. LE DIVORCE ACCEPTE

Ce cas de divorce a été créé par la loi de 1975. Il est régi par les articles 233 et 234 du Code civil. Ce cas de divorce
est un cas intermédiaire entre le consentement mutuel et le divorce pour raison objective. Il a été réformé et
aujourd’hui, il constitue une sorte de divorce – faillite. Pour mieux le comprendre, il faut revenir sur les éléments
centraux que sont l’acceptation des époux (1°) et le rôle du juge (2°).

1°) L’acceptation des époux

Comme le divorce par consentement mutuel, le divorce accepté repose sur l’accord des époux quant au principe
du divorce. Mais il n’est pas aussi consensuel que cette première forme de divorce, puisque les époux ne sont
pas d’accord sur les conséquences du divorce.

L’acceptation du principe du divorce est définitive et ne peut être rétractée, même par la voie de l’appel (article
233, alinéa 4). Cette solution est lourde de conséquence dès lors que cette acceptation du principe du divorce
peut être constatée par un acte sous signature privée contresigné par avocats (conclu avant l’introduction de
l’instance en divorce !) ou intervenir à tout moment de la procédure.

Cependant, un avis de la Cour de cassation du 9 juin 2008 ouvre la voie d’une remise en cause en appel
de l’acceptation du principe de la rupture du mariage en cas de vice du consentement (alors que cette
contestation n’était pas possible dans le droit antérieur).

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Par ailleurs, l’acceptation par les époux du principe du divorce se fait sans considération des faits ou des torts à
l’origine de la rupture (article 233, alinéa 1). Il n’est plus question de faits rendant intolérable le maintien de la
vie commune. Partant, on se rapproche d’un divorce - faillite qui repose sur la double volonté des époux portant
sur le principe de la rupture du mariage et détaché de toute cause factuelle.

Enfin, et c’est une conséquence de la place ainsi faite à l’accord des époux, il faut que les deux époux puissent
appréhender les conséquences, la portée de l’acceptation. En conséquence, l’article 249-4 du Code civil exclut le
recours au divorce sur demande acceptée en présence d’un majeur en tutelle, curatelle ou sous sauvegarde de
justice.

2°) Le rôle du juge

Depuis la loi du 23 mars 2019, l’acceptation du principe du divorce n’est plus obligatoirement faite devant un
juge :

- L’alinéa deux de l’article 233 du Code civil permet aux époux de constater, avant l’introduction de
l’instance en divorce, leur accord sur le principe de la rupture par acte sous signature privée contresigné
par leurs avocats respectifs.

- Sinon, les époux peuvent accepter le principe de la rupture à tout moment de la procédure, devant le
juge ou par acte contresigné par avocat.

Quelles que soit les circonstances dans lesquelles cet accord (sur le principe de la rupture) survient, l’article 234
du Code civil prévoit que le juge doit vérifier que l’acceptation de chacun a été donnée librement. S’il estime que
tel est le cas, il prononce le divorce et en aménage les effets (= il statue sur l’autorité parentale, la contribution
à l’entretien des enfants, la prestation compensatoire, les dommages et intérêts, etc…).

D. LE DIVORCE POUR ALTERATION DEFINITIVE DU LIEN CONJUGAL

Ce divorce succède au divorce pour rupture de la vie commune (à la suite de la réforme de 2004), mais il s’en
distingue de manière notable.

Le divorce pour rupture de la vie commune (issu de la loi de 1975) :

L’objectif du législateur de 1975, avec l’introduction du divorce pour rupture de la vie commune, était d’autoriser le demandeur
à se remarier en le libérant d’un conjoint qui ne voulait pas divorcer et qui n’avait commis aucune faute (ce qui a provoqué des
débats : ne va-t-on pas vers l’admission de la répudiation ?).

Cependant, cette faculté d’imposer le divorce à l’autre était encadrée en 1975 :


- il fallait une séparation de fait de plus de 6 ans ou une altération grave des facultés mentales depuis plus de 6 ans.
- En outre, les conséquences de cette forme de divorce avaient été aménagées au détriment du demandeur. Il devait supporter
l’ensemble des conséquences matérielles du divorce (contrepartie au droit d’imposer le divorce à l’autre. A ce titre, le devoir
de secours entre ex-époux était maintenu au profit de celui qui subissait le divorce). Il perdait également tous les avantages
matrimoniaux et était déchu des droits légaux et conventionnels qu’il pouvait tenir du mariage.

Ce type de divorce, dont les conditions et effets étaient très contraignants, a été très peu utilisé (il ne représentait que 1 à 2%
des demandes).

En remplaçant le divorce pour rupture de la vie commune par le divorce pour altération définitive du lien conjugal
(en 2004), le législateur a souhaité libéraliser ce type de divorce. Ses conditions et effets ont donc été assouplis.

1°) Les conditions

Aujourd’hui, la notion d’altération définitive du lien conjugal recouvre la disparition de la communauté de vie
entre les époux (on n’envisage plus l’altération des facultés mentales). L’article 238 du Code civil dispose que
l’altération définitive du lien conjugal résulte d’une séparation d’un an depuis la demande en divorce lorsque
celle-ci précise le cas de divorce invoqué. Mais il est possible que le fondement de la demande en divorce ne soit

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pas précisé dès la demande en divorce (cela sera fait plus tard, au moment du dépôt des premières conclusions).
Dans une telle hypothèse, le délai d’un an doit être expiré au jour du prononcé du divorce (et commencera donc
à courir en cours de procédure).

Attention : il se peut que le divorce soit prononcé alors que le délai d’un an n’est pas écoulé

C’est le cas en présence d’une demande principale pour faute qui est rejetée (sinon, on part sur un divorce pour
faute) et d’une demande reconventionnelle.

Tout cela résulte de l’article 238, alinéa 3, du Code civil. Ce texte dispose que, « sans préjudice des dispositions
de l'article 246 [qui prévoit que « si une demande pour altération définitive du lien conjugal et une demande
pour faute sont concurremment présentées, le juge examine en premier lieu la demande pour faute »], dès lors
qu'une demande sur ce fondement et une autre demande en divorce sont concurremment présentées, le divorce
est prononcé pour altération définitive du lien conjugal sans que le délai d'un an ne soit exigé ».

Pourquoi écarter ainsi le délai d’un an ? Parce que dans de telles circonstances, il est acquis que les époux
souhaitent divorcer (pour mémoire, nous avons une demande principale fondée sur la faute et une
reconventionnelle), alors qu’aucun n’a commis de faute (la demande en divorce pour faute a été rejetée). Le
législateur ne souhaite pas les enfermer dans un mariage dont plus personne ne veut.

Quelques précisions concernant la disparition de la communauté de vie (pendant plus d’un an) qu’il faut en
principe prouver :

1. Faut-il démontrer, à côté d’un élément matériel qui est l’absence de cohabitation, l’existence d’un
élément intentionnel ? La jurisprudence antérieure décidait qu’il y avait séparation lorsqu’il y avait
cessation de toute communauté de vie, tant affective que matérielle, sans s’interroger sur la cause. Il
convient toutefois d’ajouter qu’alors, la volonté d’un seul suffit (normal, puisque c’est un divorce que
l’on impose à l’autre… qui peut estimer que la communauté de vie perdure).

2. En outre la séparation doit avoir duré un an, sans avoir été interrompue. L’interruption de la séparation
peut résulter d’une réconciliation, caractérisée par une reprise de la vie commune tant matérielle
qu’affective. En revanche, une simple reprise temporaire de la vie commune, motivée par des raisons
autres que la volonté de réconciliation, ne suffirait pas pour interrompre le délai.

2°) Les moyens de défense

La loi de 2004 a supprimé ce que l’on appelait la clause de dureté, qui permettait au défendeur au divorce pour
rupture de la vie commune de s’opposer au divorce si celui-ci devait avoir pour lui ou pour les enfants des
conséquences matérielles ou morales d’une exceptionnelle dureté.

Voici les moyens de défense qui sont maintenus :

1. Le défendeur peut d’abord opposer une défense au fond, tendant à faire rejeter la demande en divorce,
en contestant tout simplement le bien-fondé de la demande exercée contre lui : les conditions du
divorce pour altération définitive du lien conjugal ne sont pas remplies (séparation ou durée).

2. Il peut surtout opposer une demande reconventionnelle pour faute. Mais dans ce cas de figure, le
demandeur peut à son tour invoquer les fautes du défendeur et modifier le fondement de sa demande
en divorce, en passant d’une demande fondée sur l’altération définitive du lien conjugal, à une demande
fondée sur la faute (article 247-2).

Conclusion (sur le divorce pour altération définitive du lien conjugal) :

La doctrine se demande si, en réduisant la durée de la séparation (qui était de 6 ans, en 1975, mais a été ramenée
à un an lors de la dernière réforme de 2019), en supprimant la clause d’exceptionnelle dureté et en supprimant

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la règle selon laquelle l’époux demandeur devait supporter les charges matérielles du divorce, les réformes
successives n’ont pas rapproché un peu plus ce type de divorce de la répudiation.

E. LE CHOIX DU CAS DE DIVORCE

Il faut distinguer le choix du cas de divorce ab initio, c’est-à-dire au moment de l’assignation (1°), d’un éventuel
changement de fondement en cours de procédure (2°).

1°) Ab initio

Vous pourriez penser que le choix du cas de divorce invoqué doit être indiqué ab initio, dès-à-dire dès la demande
en divorce. Mais cela n’est pas tout à fait exact :

1) En premier lieu, le législateur interdit d’indiquer, dès l’assignation, le fondement tiré de la faute. Cela
signifie, très concrètement, que celui qui entend solliciter un divorce pour faute doit assigner son
conjoint en divorce sans préciser le cas qu’il a choisi. L’invocation de la faute ne sera possible que lors
de l’échange des premières conclusions au fond.
Pourquoi cela ? Cette interdiction vise à pacifier la procédure. En interdisant au demandeur d’invoquer
la faute dès l’assignation, le législateur évite l’exacerbation du conflit conjugal. Et qui sait, le temps
passant, peut-être l’époux demandeur abandonnera-t-il le divorce pour faute au profit d’un divorce
moins conflictuel ?

2) Si l’on met la faute à part, il faut encore relever que le législateur n’oblige pas celui qui assigne l’autre à
préciser le fondement de sa demande. Certes, l’auteur de l’assignation peut le faire (et indiquer qu’il
opte pour le divorce accepté ou pour le divorce pour altération définitive du lien conjugal). Mais il ne
s’agit pas là d’une obligation. L’assignation peut parfaitement taire le cas de divorce qui est envisagé,
alors même que l’on se situe en dehors du domaine du divorce pour faute.

2°) Les passerelles

Le législateur de 2004 favorise ce que l’on appelle les « passerelles » entre les différents cas de divorce. Il s’agit
d’un moyen de passer d’un cas de divorce à un autre, en cours de procédure. Il faut noter que ce sont les
demandes reconventionnelles qui vont permettre de passer d’un divorce à un autre (sauf pour divorce par
consentement mutuel). Concrètement, l’un des époux demande tel divorce, l’autre demande tel autre divorce.
Le juge est saisi concurremment de deux demandes en divorce reposant sur des cas différents.

Passerelle de n’importe quel divorce vers un divorce par consentement mutuel. A tout moment de la
procédure, les époux peuvent demander au juge de constater leur accord (il faut donc qu’ils aient établi la
convention réglant les conséquences du divorce) et passer à un divorce par consentement mutuel (article 247
du Code civil). Il est même possible d’opter pour un divorce par consentement mutuel hors la présence du juge
(si les conditions sont réunies pour ce faire). Le divorce par consentement mutuel est ainsi nettement privilégié.

Passerelle d’un divorce pour faute ou pour altération définitive du lien conjugal vers un divorce accepté
(article 247-1) : c’est possible également à tout moment de la procédure. A nouveau, il y a une faveur du
législateur pour l’accord (même seulement partiel).

Passerelle d’un divorce pour faute vers un divorce pour altération définitive du lien conjugal : la loi retient
une solution particulière. Lorsqu’une demande principale en divorce pour faute est introduite, le défendeur peut
riposter en formant une demande reconventionnelle en divorce pour altération définitive du lien conjugal. Dans
ce cas, le juge est obligé (article 246) de statuer d’abord sur la demande en divorce pour faute. S’il rejette le
divorce pour faute (parce que la faute n’est pas caractérisée au sens de l’article 242), il prononcera le divorce
pour altération définitive du lien conjugal, sans même que les conditions liées au délai ne soient remplies (article
238). L’engagement de deux demandes en divorce suffit à caractériser l’altération définitive du lien conjugal.

Enfin, il faut envisager la passerelle d’un divorce pour altération définitive du lien conjugal vers un divorce
pour faute. En réponse à une action en divorce pour altération définitive du lien conjugal, le défendeur peut en
effet opposer une demande reconventionnelle pour faute (article 247-2). Mais alors, le demandeur peut à son

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tour invoquer les fautes du défendeur et comme nous l’avons vu, modifier le fondement de sa demande en
divorce.
- Dans l’hypothèse de la demande reconventionnelle pour faute, sans modification du fondement de la demande
principale, si les conditions des deux demandes sont accueillies (il y a faute et altération définitive du lien
conjugal), c’est le divorce pour faute qui est prononcé.
- Dans l’hypothèse où le demandeur a modifié le fondement de sa demande initiale et que les deux demandes
en divorce (pour faute) sont accueillies, le divorce pour faute est prononcé aux torts partagés.
- Si la demande reconventionnelle (tendant au prononcé du divorce pour faute aux torts du demandeur initial)
est rejetée, la demande initiale transformée en demande en divorce pour faute peut être accueillie et le divorce
(pour faute) est alors prononcé au profit du demandeur.

SECTION 2. LES EFFETS DU DIVORCE

Le divorce a pour effet principal de faire disparaître le mariage. Cette disparition n’opère que pour l’avenir, à la
différence de la nullité (sauf mariage putatif).

Le divorce a de multiples conséquences dans les rapports entre ex-époux et dans les rapports avec les enfants.
Cependant, depuis la loi du 4 mars 2002, la séparation des parents est sans incidence sur les règles de l’autorité
parentale. Nous étudierons donc cette question à part, lorsque nous parlerons des effets de la filiation. Pour
l’instant il convient d’étudier les seuls effets du divorce entre les ex-époux, en distinguant les effets personnels
(II) des effets patrimoniaux (I).

I. Les conséquences patrimoniales

Le divorce a de multiples conséquences sur les relations patrimoniales entre époux, liées aussi bien à la
liquidation du passé commun (que faire de l’immeuble acheté en commun ? A) qu’à l’aménagement de l’avenir
(dans quelles conditions Mme va-t-elle vivre, alors qu’elle a arrêté de travailler pour élever les enfants ? B).

A. LA LIQUIDATION DU PASSE

Il s’agit essentiellement de la liquidation du régime matrimonial (1°). Mais il faut aussi envisager le sort
d’éventuelles donations entre époux (2°) et du logement familial (3°).

1°) La liquidation du régime matrimonial

La liquidation du régime matrimonial s’impose avec évidence si les époux étaient soumis au régime de la
communauté légale, puisqu’il faudra alors partager la communauté.

Mais elle ne saurait être limitée à ce cas de figure. En effet, même dans les régimes séparatistes (comme la
séparation de biens), les intérêts pécuniaires sont souvent mêlés (exemple de l’acquisition en indivision du
logement familial).

Ces règles relèvent essentiellement du droit des régimes matrimoniaux (cours de master 1). Aussi, nous ne les
étudierons pas en détail.

2°) Le sort des avantages matrimoniaux, donations ou dispositions à cause de mort

S’agissant du sort des avantages matrimoniaux, donations ou dispositions à cause de mort, la loi de 2004 a
supprimé toute prise en compte des torts dans le divorce.

Désormais, il faut distinguer selon que ceux-ci prennent effet au cours du mariage ou bien voient leur effet
reporté à la dissolution du mariage ou au décès :

- Article 265, alinéa 1, du Code civil : « le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui
prennent effet au cours du mariage et sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme »).

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En d’autres termes, si le mari a consenti une donation à sa femme pendant le mariage, le


divorce ultérieur des époux est sans incidence sur cette donation. Madame reste propriétaire de
ce qui lui a été préalablement donné.

Il faut ajouter que le texte est d’ordre public. Il ne saurait dès lors être neutralisé par une clause
résolutoire de divorce insérée dans une donation, par exemple.

Si je reprends mon exemple précédent, Monsieur ne peut pas, au moment où il consent la


donation, insérer une clause aux termes de laquelle la donation sera résolue (et Madame devra
rendre ce qui lui a été donné) en cas de divorce ultérieur.

- Pour ce qui est des avantages matrimoniaux qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial
ou au décès d’un des époux (exemple : clause attribuant l’intégralité de la communauté au conjoint
survivant) et des dispositions à cause de mort, la solution est inverse (article 265, alinéa 2). Il y a
révocation de plein droit.

Pourquoi cette différence de solution ? Parce que ces avantages ont pour but de fournir des gains de
survie au conjoint survivant… or, ce type de considération ne se justifie plus en cas de divorce. Il est
normal que celui qui divorce ne veuille pas ménager des gains de survie à celui dont il ne partage plus
la vie.

3°) Sort du logement familial

Le logement familial fait l’objet d’une protection particulière. S’il appartenait en propre à l’un des époux, le juge
peut le donner à bail à l’autre époux. Cette situation est régie par l’article 285-1 du Code civil auquel on fait
souvent référence en parlant de « bail forcé ».

En vertu de ce texte, il y aura « bail forcé » lorsque l’autorité parentale est exercée par le conjoint qui n’est pas
propriétaire du local ou bien, en cas d’exercice commun de l’autorité parentale, lorsque les enfants mineurs ont
leur résidence dans ce logement. Il faut que leur intérêt commande une telle mesure.

La durée de ce bail peut être longue, puisqu’il peut être prolongé jusqu’à la majorité du plus jeune des enfants.

B. L’AMENAGEMENT DE L’AVENIR

La prestation compensatoire (1°) n’est pas tout, lorsqu’il s’agit d’aménager l’avenir. Il faut également envisager
la question du paiement de dommages-intérêts (2°), ainsi que le sort des conventions entre époux qui aménagent
l’avenir (3°).

1°) La prestation compensatoire

Important : de la pension alimentaire à la prestation compensatoire

Sur ce point la loi de 2004 a apporté d’importantes modifications. À l’issue du divorce, les deux conjoints se
trouvent souvent dans des situations matérielles différentes. La loi estime qu’il n’est pas équitable de laisser ces
différences en l’état. Il faut donc procéder à des compensations.

Avant 1975, ces compensations prenaient la forme de pensions alimentaires, en d’autres termes des versements
périodiques et variables. Ce système avait pour inconvénient de prolonger le contentieux du divorce dans le
temps avec des problèmes d’exécution de ces condamnations qui devenaient de plus en plus grands au fur et à
mesure du temps.

C’est pourquoi la loi de 1975 a voulu modifier ce système en substituant à la pension alimentaire, un versement
définitif, qui règle une fois pour toutes les conséquences de la rupture du mariage. Ce versement, qui doit en
principe être un versement en capital, est appelé prestation compensatoire. Mais la pratique a montré une nette
tendance des juges à revenir vers des versements périodiques, sous le nom de rente.

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La loi du 30 juin 2000 a voulu revenir à une conception stricte de la prestation compensatoire, conçue comme
un versement définitif. La possibilité de fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère a été
maintenue, mais à titre exceptionnel. D’ailleurs, la Cour de cassation l’a bien entendu ainsi. Elle a
immédiatement veillé à ce que les juges du fond n’allouent une rente qu’en cas de circonstances exceptionnelles.
La loi de 2004 a repris et amélioré le système de 2000.

Aujourd’hui, l’attribution de la prestation (a) doit être distinguée de la révision de celle-ci (b).

a/ L’attribution

La prestation compensatoire est définie à l’article 270, alinéa 2, du Code civil, comme une prestation destinée à
compenser, autant que possible, la disparité que crée la rupture du mariage dans les conditions de vie respective
des époux. La Cour de cassation en déduit que la prestation compensatoire a un caractère mixte :
- Elle a une nature indemnitaire, en ce qu’elle tend à maintenir un train de vie comparable à celui que le
conjoint avait avant le divorce.
- Mais elle a également une nature alimentaire. En conséquence, la prestation compensatoire est
insaisissable.

OUVERTURE DU DROIT A PRESTATION COMPENSATOIRE

En principe, une prestation compensatoire peut être attribuée dans tous les cas de divorce, y compris en cas de
divorce pour altération définitive du lien conjugal et de divorce faute prononcé aux torts exclusifs (concrètement,
celui qui a tous les torts dans le divorce peut donc obtenir le paiement d’une prestation compensatoire - si les
conditions sont réunies – de l’époux innocent). L’article 270, alinéa 2, du Code civil énonce ainsi, de façon tout à
fait générale, que « l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant
qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ». Aucune
exclusion, aucune limite (en principe) n’est prévue par le texte.

Exceptions (article 270, alinéa 3) : plusieurs exceptions au principe sont prévues, ayant toutes pour effet de
permettre au juge de refuser l’octroi d’une prestation compensatoire qui semblait due dans un premier temps.
Ces exceptions reposent toutes sur la prise en considération de l’équité.

1. Ainsi, si l’époux exclusivement fautif n’est pas automatiquement déchu du droit à une prestation
compensatoire, le juge peut néanmoins la refuser si l’équité le commande et au regard des
circonstances particulières de la rupture.

2. De même, dans n’importe quel cas de divorce, le juge peut encore refuser d’allouer une prestation
compensatoire, si l’équité le commande, au regard des critères posés pour le chiffrage de la prestation
(critères donnés à l’article 271 du Code civil, que l’on va étudier ci-après)

Pour aller plus loin : cette seconde exception est, à la réflexion, peu cohérente.

Si les critères définis par l’article 271 du Code civil invitent le juge à allouer une prestation
compensatoire, comment l’équité peut-elle, à elle seule, commander une autre solution ? Conclusion :
la doctrine considère que cette partie du texte est dépourvue de toute pertinence.

Mais la jurisprudence ne paraît pas en ce sens. On trouve ainsi des arrêts qui, après avoir « examiné »
les critères consacrés par l’article 271 du Code civil, écartent néanmoins le versement d’une prestation
compensatoire sur le fondement de l’équité. Il faut donc comprendre que le texte autorise le juge à
refuser, sur le fondement de l’équité, une prestation compensatoire à celui qui devrait en obtenir au
regard des critères énoncés par l’article 271. En revanche, la lettre du texte ne semble pas autoriser
l’inverse (à savoir accorder une prestation compensatoire alors qu’elle n’est, en principe, pas due, pour
des raisons tenant à l’équité).

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MONTANT

L’article 271, alinéa 1, du Code civil prévoit qu’elle est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et
les ressources de celui qui doit la verser, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution
de celle-ci dans un avenir prévisible. Naturellement, pour apprécier ces différents éléments, le juge se place au
moment du prononcé du divorce (donc pas au moment de la séparation de fait, pas au moment où les effets du
divorce ont été reportés, pas au moment de l’appel si celui-ci ne porte pas sur le principe même du divorce).

L’article 271 du Code civil (qui est très « bavard » !) énumère par ailleurs un certain nombre de critères qui
doivent permettre au juge de déterminer les besoins et les ressources (NB : la liste donnée par ce texte n’est pas
limitative. Le juge peut donc avoir égard à d’autres éléments que ceux qui vont être cités) :
- La durée du mariage,
- L’âge et l’état de santé des époux,
- Leur qualification et leur situation professionnelle,
- Les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour
l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son
conjoint au détriment de la sienne,
- Le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du
régime matrimonial,
- Leurs droits existants et prévisibles,
- Leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible,
la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation
compensatoire, par les circonstances liées à l’éducation des enfants et l’implication dans la carrière du
conjoint.

Cela ouvre la voie à une jurisprudence pour le moins subtile.

- Ainsi, il n’est pas possible de refuser l’octroi d’une prestation compensatoire au seul motif que la
disparité dans les conditions de vie des époux préexistait au mariage (Civ. 1, 18 mai 2011). Pourquoi ?
Parce que l’article 270, alinéa 2, du Code civil indique que la prestation compensatoire vient compenser
la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Il faut donc s’en tenir
aux questions suivantes : quelles étaient les conditions de vie de chaque époux (juste) avant le divorce ?
Quelles sont leurs conditions de vie après le divorce ?

En revanche, la Cour de cassation juge qu’il peut être déduit des choix de vie faits en commun par les
époux durant l’union que la disparité ne résulte pas de la rupture du mariage (Civ. 1, 24 septembre
2014). En l’espèce, les époux étaient « séparés de fait depuis vingt ans, avaient changé de régime
matrimonial pour adopter celui de la séparation de biens, liquidé la communauté ayant existé entre eux
et poursuivi chacun de leur côté une activité de promotion immobilière, sans que l’épouse n’ait
demandé de contribution aux charges du mariage depuis la séparation ni de pension alimentaire au titre
du devoir de secours lors de l’audience de conciliation ». Conclusion : la disparité ne résulte pas du
divorce. Elle lui préexistait. Le divorce ne changera rien aux conditions de vie de chacun des époux.

- La collaboration à la profession du conjoint ne peut être prise en compte que si elle excède la
contribution aux charges du mariage.

- Les sommes versées à l’un par l’autre au titre de l’entretien et l’éducation des enfants ne sont pas
comptées parmi les ressources du créancier, mais sont prises en compte comme charges du débiteur.

- Les revenus du concubin du créancier et du débiteur peuvent être pris en compte (ce qui est
dangereux… le concubinage présentant, par définition, un risque de précarité).

- Interrogations autour de la vocation successorale : en l’état actuel, la jurisprudence semble considérer


qu’il ne faut prendre en compte que la vocation successorale sûre et certaine (ce qui suppose une
succession ouverte). Cela peut se comprendre (le testateur dispose d’une faculté d’exhérédation qui
subsiste jusqu’à son décès).

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Mais les auteurs estiment que, dans certaines situations, les juges devraient tenir compte d’une
vocation successorale future (mais quasi-certaine… C’est l’exemple des enfants d’une personne
extrêmement fortunée qui, avec le jeu de la réserve, voient leur avenir nécessairement assuré).

- On ne tient pas compte des allocations familiales que peut percevoir l’époux demandeur (parce que
ces sommes sont destinées à profiter aux enfants, non au conjoint).
En revanche, on prend en compte les allocations chômage et autres indemnités de fonction (de maire,
par exemple), parce qu’ici, il s’agit de revenus alloués à l’époux.

- Même chose avec la part que chacun retirera de la dissolution de la communauté : non prise en compte
(parce qu’on part du principe que chaque époux aura des droits identiques sur la communauté).
En revanche, on tient compte des propres de chaque époux.

La conventionnalité des dispositions du Code civil relatives à l’octroi d’une prestation compensatoire, et plus
particulièrement la conventionnalité de l’article 270 du Code civil, a été discutée sans succès.

Il a été soutenu, devant la Cour de cassation, que ce texte de droit français méconnaîtrait les dispositions
de l’article 1, § 1, du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales. De façon plus précise, il a été reproché au texte de ne pas avoir égard aux
causes du divorce ou, à tout le moins, aux causes de la disparité dans les conditions de vie des époux,
de ne pas exiger que le demandeur se trouve dans un état de besoin, ou encore de ne poser que des
exceptions résiduelles et insuffisantes au principe d’attribution. Il a également été relevé que le texte
allouait une compensation sans limite de temps, au regard de la durée de vie restante des époux (en
d’autres termes, un époux jeune avait vocation à percevoir une prestation compensatoire plus
importante qu’un époux nettement plus âgé).

La Cour de cassation a écarté ces critiques par un arrêt de la Première Chambre civile en date du 30
novembre 2022.

Après avoir admis l’existence d’une atteinte aux biens, la Cour a tout d’abord précisé que la
disposition dont la conventionnalité était discutée poursuivait des buts légitimes, à savoir
protéger le conjoint dans la situation la moins favorable et régler rapidement les conséquences
du divorce.
Ensuite, la Cour de cassation a constaté que l’attribution d’une prestation compensatoire
reposait sur des critères « objectifs, définis par le législateur et appréciés souverainement par
le juge afin de tenir compte des circonstances de l’espèce ».
Sur le terrain de la « cause », la Cour a répondu que les textes imposaient au juge de ne
compenser que les conséquences du divorce.
Enfin, après avoir rappelé les éléments permettant de refuser l’octroi d’une prestation
compensatoire (art. 270, al. 3), la Haute Juridiction a estimé que les dispositions critiquées
« ménageaient un juste équilibre entre le but poursuivi et la protection des biens du débiteur
sur lequel elles ne font pas peser, par elles-mêmes, une charge spéciale et exorbitante ».

De la sorte, la Cour de cassation a délivré un brevet de conventionnalité in abstracto à l’article 270 du


Code civil (la question de la conventionnalité in concreto peut dès lors toujours être soulevée si les
circonstances d’un litige particulier s’y prêtent).

MODALITES DE VERSEMENT

Les articles 270 et 274 du Code civil prévoient que la prestation compensatoire a un caractère forfaitaire et
qu’elle est en principe fixée sous forme de capital. Objectif de l’affirmation du caractère forfaitaire de la
prestation compensatoire : supprimer l’irritante question de la révision de la prestation compensatoire (ce qui
est versé en une seule fois l’est une fois pour toute… Très différent par rapport à une rente).

Dès lors que c’est possible, le capital doit être versé immédiatement et en totalité (afin de purger le contentieux
du divorce des conflits postérieurs). Le juge peut alors choisir soit le versement d’une somme d’argent (il peut

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même subordonner le prononcé du divorce à la constitution de garanties de la part du débiteur), soit l’attribution
de biens. Il peut également combiner ces deux possibilités.

Il faut noter, à ce propos, que le juge peut imposer le paiement par attribution d’un bien. Nous avons
donc là une hypothèse de cession forcée. Une réserve est toutefois prévue : il ne peut y avoir de cession
forcée portant sur un bien reçu par succession ou donation (article 274, 2° in fine). Il faut nécessairement
l’accord du débiteur pour que la prestation compensatoire soit payée par cession d’un bien reçu par
succession ou donation.

En outre, le Conseil constitutionnel a jugé que, eu égard au droit de propriété (qui a valeur
constitutionnelle), la cession forcée ne peut être envisagée qu’à titre subsidiaire, c’est-à-dire si un
paiement en argent de la prestation compensatoire ne peut pas être envisagé (Conseil constitutionnel,
décision QPC du 13 juillet 2011).

Toutefois, il est impossible de s’en tenir au versement en capital en une seule fois. Il est des hypothèses où cela
ne sera pas possible. Par conséquent, lorsque le débiteur n’est pas en mesure de verser le capital en une seule
fois, l’article 275 du Code civil prévoit un versement périodique, avec un échelonnement sur huit ans maximum.
Il faut alors noter que le juge ne peut pas retarder le paiement de la première annuité (laquelle est due dès le
prononcé du divorce).

Remarques :

1. Nous sommes toujours dans l’hypothèse d’un versement en capital. Simplement, le capital ne peut
pas être versé en une seule fois. Il y a un échelonnement.

2. Il est possible de combiner le versement périodique (sur 8 ans maximum) avec le versement
immédiat d’une partie du capital (sous forme de versement d’une somme d’argent ou d’attribution
d’un bien). L’article 275-1 du Code civil le prévoit.

Enfin, « à titre exceptionnel », l’article 276 du Code civil autorise une rente viagère (rente qui doit être servie
jusqu’à la mort du créancier). Il faut une décision spécialement motivée, et qui se fonde sur l’âge ou l’état de
santé du créancier qui ne lui permet pas de subvenir à ses besoins.

Civ. 1, 30 juin 2004 : versement d’une prestation compensatoire sous forme de rente viagère mensuelle
au profit d’une épouse relativement jeune (49 ans), mais en arrêt de travail pour longue maladie et ne
pouvant, en raison de son état de santé, retrouver un travail. En outre, l’épouse disposait d’un
patrimoine peu important (pas de patrimoine immobilier. Seuls revenus = les indemnités journalières
de la CPAM, c’est-à-dire la Sécurité sociale. Et ses droits à la retraite étaient également faibles parce
qu’elle n’avait pas suffisamment cotisé). Conclusion retenue par les juges : l’épouse est dans
l’impossibilité de subvenir à ses besoins.

Civ. 1, 23 avril 2003 : des juges du fond optent pour la rente dans des circonstances proches, mais pas
identiques. En l’espèce, la rente avait été allouée à une épouse de 42 ans, « sans emploi et sans
formation », au motif qu’elle « devait assumer pendant de longues années l’éducation des 5 enfants
issus du mariage » et que « ses chances de s’insérer professionnellement sont quasi-inexistantes »,
« ses seules ressources [étant] constituées de prestations sociales ». Sans surprise, la Cour de cassation
censure cette décision. L’article 276 du Code civil prévoit en effet expressément que la rente ne peut
être allouée qu’au regard d’un âge relativement avancé ou d’un état de santé du créancier qui ne lui
permette pas de subvenir à ses besoins. Or, en l’espèce, l’épouse était relativement jeune et (différence
par rapport à l’espèce précédente) en bonne santé.

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b/ La révision

Remarque :

Lorsque la prestation compensatoire est versée en capital en une fois, la question de sa révision ne se pose
évidemment pas (c’est tout l’intérêt du versement immédiat et intégral en capital !).

Mais nous venons de voir que le juge peut échelonner le versement sur huit ans. Pour autant, cela reste un
versement en capital. Le Code ne considère pas cela comme une rente. En conséquence, on peut seulement
réviser les modalités de paiement (pas le montant de la prestation compensatoire).

• Voici ce que peut faire le débiteur :

o Selon l’article 275, alinéa 2, du Code civil, il peut demander la révision des modalités de
paiement « en cas de changement important de sa situation ». Le juge pourra alors
exceptionnellement, par décision motivée, autoriser le versement du capital sur une durée
totale supérieure à huit ans.

o A l’inverse, il peut aussi se libérer à tout moment du solde (article 275, alinéa 3). On voit ici la
faveur du législateur pour le paiement du capital le plus rapide possible.

• Il est enfin possible que le créancier demande au juge le paiement du solde du capital après la liquidation
du régime matrimonial (parce qu’il sait que le débiteur dispose alors des moyens pour se libérer en tout
ou partie de sa dette).

Lorsque la prestation est fixée sous forme de rente viagère :

• elle peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de « changement important » dans les
ressources ou les besoins de l’un ou l’autre des époux (article 276-3, alinéa 1). Mais la révision ne peut
jouer qu’à la baisse (article 276-3, alinéa 2).

Civ. 1, 28 juin 2005 : censure d’une décision des juges du fond qui refuse de prendre en
compte le remariage et l’existence de nouvelles charges (un nouvel enfant) dans le cadre d’une
action exercée par le débiteur afin d’obtenir la révision à la baisse de la rente viagère.

Civ. 1, 19 juin 2007 : une mise à la retraite anticipée est aussi à prendre en considération,
dès lors qu’elle n’a pas été envisagée lors de la fixation de la prestation compensatoire.

• Le débiteur peut demander à transformer la rente en capital, à tout moment et même partiellement
(article 276-4, alinéa 1). Aucune condition relative à un changement de situation n’est ici exigée. Mais
le juge peut refuser par décision spécialement motivée (alinéa 3 du même texte).

• Le créancier peut former la même demande, s’il établit qu’une modification de la situation du débiteur
permet cette substitution (article 276-4, alinéa 2). A nouveau, le juge peut refuser par décision
spécialement motivée.

En résumé, seule la rente viagère peut être modifiée dans son montant, et seulement à la baisse.

Enfin, lorsque la prestation compensatoire a été fixée par une convention définitive dans le cadre d’un divorce
par consentement mutuel :

- Celle-ci peut être révisée par une nouvelle convention, que le juge devra homologuer.

- Mais plus encore, la prestation compensatoire peut être révisée selon les termes de l’article 279, alinéa
3, du Code civil en vertu d’une clause de révision insérée par les parties. En vertu de cette clause, chaque

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partie pourra demander au juge de réviser la prestation compensatoire en cas de changement


important dans les ressources et les besoins des parties, même si l’autre n’est pas d’accord.

NB : cette clause de révision a un avantage considérable sur les révisions judiciaires dans la
mesure où elle peut prévoir une révision à la hausse ou à la baisse, alors que les révisions
judiciaires ne peuvent que conduire à diminuer le montant de la rente.

- En dehors de ces possibilités de révision conventionnelle, la révision de la prestation compensatoire


fixée dans la convention des époux obéit aux règles de droit commun sur la révision des prestations
compensatoires. Elle pourra donc être révisée sur le fondement des articles 275, 276-3 et 276-4 du Code
civil qui organisent la révision des modalités de paiement du capital ou de la rente viagère.

2°) Les dommages-intérêts

Texte applicable : article 266 du Code civil

« Des dommages et intérêts peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d’une
particulière gravité qu’il subit du fait de la dissolution du mariage soit lorsqu’il était défendeur à un divorce pour
altération définitive du lien conjugal et qu’il n’a lui-même formé aucune demande en divorce, soit lorsque le
divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint ».

Ces dommages-intérêts doivent rétablir (pour l’avenir) l’équilibre rompu par le fait générateur de responsabilité.
En d’autres termes, ils doivent réparer le préjudice découlant de la fin du mariage.

Il est dès lors important de ne pas confondre dommages-intérêts et prestation compensatoire :


• Dans le calcul des dommages-intérêts, on ne prend pas en compte les ressources des parties. On
indemnise uniquement au regard du préjudice, au regard du tort que le divorce cause à l’un des époux.
• De même, les dommages-intérêts ne tendent pas à compenser la disparité dans les conditions de vie,
mais à réparer un dommage.

Quelles sont les conditions pour allouer des dommages et intérêts à un époux dans le cadre d’une procédure de
divorce sur le fondement de l’article 266 du Code civil ?

1. Ce texte ne peut être invoqué que par celui qui est « défendeur à un divorce pour altération définitive
du lien conjugal et [qui] n’a lui-même formé aucune demande en divorce » ou « lorsque le divorce est
prononcé aux torts exclusifs de son conjoint ». En d’autres termes, le demandeur est « innocent ».

2. Le préjudice doit en outre être d’une « particulière gravité ». On explique cette condition par la volonté
de pacifier le divorce (= le législateur veut diminuer le recours à l’article 266 du Code civil, comme moyen
de « punir » l’autre).

Il faut noter que, fidèle à l’esprit de la loi, la jurisprudence se montre exigeante en la matière. Elle admet
rarement d’existence d’un préjudice « d’une particulière gravité », sur le fondement de l’article 266 du
Code civil.

Civ. 1e, 1er juillet 2009 : un homme quitte sa femme après 39 ans de mariage « dans des
conditions difficiles et en recherchant une nouvelle compagne ». La cour d’appel estime qu’il y
a là des conséquences d’une particulière gravité et alloue des dommages et intérêts sur le
fondement de l’article 266 du Code civil. Mais elle est censurée par la Cour de cassation qui ne
voit pas, dans de tels éléments, de conséquence « d’une particulière gravité ».

3. Il faut enfin un préjudice qui découle de la rupture du mariage. A nouveau, la jurisprudence se montre
assez exigeante sur ce point.

Civ. 1, 9 juin 2022 : les juges du fond sont censurés pour avoir appliqué l’article 266 du Code civil
à tort. Ils avaient indemnisé, sur un tel fondement, le préjudice résultant de ce que l’épouse avait

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été « contrainte de fuir les agressions physiques de son conjoint, qui l’ont obligée à quitter son lieu
de vie habituel pour se réfugier dans un foyer d’urgence, source de difficultés matérielles et
psychologiques ». Selon la Cour de cassation, un tel préjudice ne découle pas de la rupture du
mariage.

Cet arrêt montre que la Cour de cassation veille à ne réparer, sur le fondement de l’article 266 du Code
civil, que les préjudices qui découlent de la rupture du mariage. De fait, dans cette affaire, le même
préjudice aurait pu être subi à la suite de la rupture d’un concubinage ou d’un PACS. C’est en cela que
les juges du fond sont censurés : ils ont indemnisé un préjudice qui ne découlait pas de la rupture du
mariage.

Cette condition selon laquelle le préjudice réparé doit découler de la dissolution du lien matrimonial
invite dès lors à soulever la question de l’articulation avec l’article 1240 du Code civil avec l’article 266 :
à ce propos, il faut retenir que si l’article 266 du Code civil répare le préjudice né de la « dissolution du
mariage » (par exemple, le préjudice moral résidant dans la douleur de voir mettre fin à une union
consacrée, aux yeux de la société, par le mariage et qui a duré longtemps… mais encore faut-il, pour
obtenir des dommages-intérêts, que le préjudice en découlant soit d’une particulière gravité), l’article
1240 du Code civil répare les autres préjudices (par exemple, des violences physiques. Ainsi, il faut
faire attention à ne pas commettre de contresens sur l’arrêt du 9 juin 2022, précédemment évoqué. Si
la Cour de cassation censure l’indemnisation de l’épouse qui a dû fuir un conjoint violent sur le
fondement de l’article 266 du Code civil, cela ne veut pas dire qu’elle refuse toute indemnisation de
l’épouse. La Cour indique seulement que cette indemnisation ne peut pas se faire sur le fondement de
l’article 266 du Code civil. En revanche, il semble possible de faire alors appel à l’article 1240 du même
Code).

Qu’est-ce que cela change me direz-vous ? Pourquoi est-ce important de bien distinguer le domaine de
ces deux textes ? Pourquoi ne faut-il pas confondre une indemnisation sur le fondement de l’article 266
du Code civil, avec une indemnisation sur le fondement de l’article 1240 du même Code ? En d’autres
termes, quels sont les enjeux de la distinction ?
• Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, on n’aura plus la barrière des conséquences
d’une particulière gravité.
• Sur le fondement de ce même texte, il n’y a pas d’exigence quant au lien avec la procédure en
divorce, alors que sur le fondement de l’article 266, l’action en réparation doit être exercée au
moment de la procédure en divorce.
• En revanche, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, le demandeur à l’action doit
prouver la faute de l’adversaire (ce que l’on n’a pas à faire sur le terrain de l’article 266 du Code
civil). Cependant, il faut nuancer : en réalité, la faute est déjà prouvée en présence d’un divorce
aux torts exclusifs. Reste donc l’hypothèse du divorce pour altération définitive du lien conjugal
(cette fois-ci, l’article 266 du Code civil présente un réel avantage : il permet d’obtenir
réparation sans avoir à prouver une faute de l’adversaire).

3°) Les conventions entre époux

La loi de 2004 encourage les accords entre époux, dès l’instance en divorce, pour aménager les conséquences de
ce divorce, même hors divorce par consentement mutuel.

Ainsi, pendant l’instance en divorce, les époux peuvent « passer toutes conventions pour la liquidation et le
partage de leur régime matrimonial ». L’article 265-2 du Code civil a été modifié par la loi de 2004 pour étendre
cette possibilité à tous les régimes matrimoniaux.

Il faut noter que, dans tous les cas de divorce contentieux, les époux peuvent fixer la prestation compensatoire
par convention homologuée par le juge. Les modalités de révision seront alors les mêmes que dans le cadre d’un
divorce par consentement mutuel.

De façon générale, l’article 268 du Code civil prévoit que les époux peuvent soumettre à homologation du juge
des conventions réglant tout ou partie des conséquences du divorce : obligation alimentaire, résidence des

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enfants, utilisation du logement familial, etc… L’homologation est prononcée par le juge au regard de l’intérêt
des époux et de celui des enfants.

II. Les effets personnels

Ces conséquences se produisent à la date à laquelle le jugement prononçant le divorce devient définitif (c’est
à dire le jour où aucune voie de recours n’est plus susceptible d’être intentée contre ce jugement) ou à la date à
laquelle l’accord des époux devient définitif (en cas de divorce « hors » le contrôle du juge).

Les conséquences du divorce en matière d’effet personnel sont dominées par une double idée : d’une part le
divorce fait disparaître le lien matrimonial et ses incidences (A), d’autre part le mariage laisse quelques séquelles
(B).

A. LA DISPARITION DU LIEN MATRIMONIAL

Les époux redeviennent célibataires. Chacun peut donc se remarier, sans avoir à respecter un délai minimum
avant de s’engager à nouveau.

Avec la disparition du mariage, disparaissent aussi bien évidemment, les devoirs du mariage, notamment tous
les devoirs personnels que sont les devoirs de fidélité, de cohabitation, d’assistance (si le devoir de cohabitation
est déjà suspendu par l’autorisation de résidence séparée, souvenez-vous que le devoir de fidélité subsiste tout
au long de la procédure ce qui explique qu’un adultère commis pendant la procédure peut être une faute cause
du divorce).

B. LA SURVIVANCE DE CERTAINS EFFETS DU MARIAGE

Cela concerne le nom des époux divorcés. Le principe en la matière est posé par l’article 264 du Code civil : à la
suite du divorce chacun reprend l’usage de son nom. Néanmoins, le même texte prévoit qu’un époux peut garder
l’usage du nom de son conjoint dans deux cas :

• avec l’accord du conjoint, sachant que cet accord peut être révoqué à tout moment.

• avec l’autorisation du juge, s’il est prouvé qu’un intérêt particulier s’y attache pour le conjoint ou pour
les enfants.

Il s’agira par exemple des femmes qui se sont fait connaître sous le nom de leur ancien mari dans
l’exercice de leur profession.

Quant à l’intérêt des enfants il sera en jeu à chaque fois que la mère se verra confier la garde des
enfants mineurs, les tribunaux considérant souvent qu’il est souhaitable que, pendant la période
d’éducation des enfants, la femme porte le même nom que ses enfants.

Parmi ces séquelles, il faut encore mentionner les empêchements à mariage tenant au lien d’alliance. Si le lien
d’alliance disparaît, en ce sens que par exemple il n’y a plus d’obligation alimentaire entre un époux divorcé et
ses anciens beaux-parents, les empêchements au mariage entre ex-alliés en ligne directe subsistent (c’est ce que
nous avons vu à propos de la nullité du mariage pour inceste entre alliés : cet empêchement ne disparaît qu’en
cas de décès de la personne qui a créé le lien d’alliance et si le président de la République lève la prohibition pour
cause grave. Cf. les articles 161 et 164 du Code civil).

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AUTO EVALUATION

1. Existe-t-il un droit (un droit fondamental, un droit de l’homme) au divorce ?

2. Quels sont les cas de divorce que le droit français connaît ?

3. Dans quelles hypothèses peut-on divorcer par acte contresigné par avocat (et déposé au rang des minutes
d’un notaire) ?

4. Quelles sont les questions, ou les difficultés, que soulève le divorce par acte contresigné par avocat ?

5. Quel est le rôle du juge dans le divorce judiciaire par consentement mutuel ?

6. Décrivez la procédure en cas de divorce contentieux

7. Quels éléments de preuve peuvent être utilisés dans le cadre d’une action en divorce (et quels éléments de
preuve ne peuvent pas être utilisés dans un tel cadre) ?

8. Définissez la faute, cause de divorce

9. De quels moyens de défense dispose celui qui est assigné en divorce pour faute ?

10. Quels sont les conditions et les effets du divorce accepté ?

11. Quels sont les conditions et les effets du divorce pour altération définitive du lien conjugal ?

12. Quelles sont les passerelles qui sont admises entre les différents cas de divorce ?

13. A quelles conditions un époux peut-il obtenir de l’autre le paiement d’une prestation compensatoire ?

14. Comment calcule-t-on le montant d’une prestation compensatoire ?

15. Quelles sont les modalités de paiement d’une prestation compensatoire ?

16. L’application de l’article 270 du Code civil par un juge du fond peut-elle traduire une violation de l’article
premier du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales ?

17. A quelles conditions peut-on réviser une prestation compensatoire ?

18. A quelles conditions (et sur quel fondement) un époux peut-il obtenir de l’autre le paiement de dommages
et intérêts ?

19. La femme divorcée peut-elle conserver le nom de son ancien mari ?

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TITRE 2. LE COUPLE NON MARIÉ

Jusqu’à une époque récente, la situation des couples non mariés était étudiée en marge du mariage. Dans cette
perspective, le concubinage était perçu comme relevant d’une situation de fait (par opposition à la situation de
droit qu’est le mariage). Le droit ignorait alors largement cette situation de fait. En d’autres termes, le
concubinage ne conférait aucun droit (par exemple, pas de droits et de devoirs réciproques entre les concubins,
qui seraient semblables à ceux qu’on connaît entre époux). Mais le développement du concubinage dans la
société française a obligé le droit à s’adapter. Désormais, le droit n’ignore plus le concubinage et lui fait produire
certains effets (Chapitre I).

En outre, un statut « intermédiaire » entre le mariage et le concubinage a été créé en 1999 : le pacte civil de
solidarité (Chapitre 2). Aujourd’hui, le PACS tend de plus en plus à s’aligner sur le mariage. Certes, il reste des
différences. Mais la question est celle de la justification du maintien de ce statut, surtout depuis que le mariage
a été ouvert aux couples de même sexe. A trop se rapprocher du mariage, le PACS n’est-il pas voué à disparaître ?
Le PACS est-il « soluble » dans le mariage ?

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CHAPITRE 1. LE CONCUBINAGE

Le concubinage est traditionnellement perçu comme relevant du non-droit, du fait. Mais l’évolution des mœurs
(c’est-à-dire le développement du concubinage) va obliger le droit à revoir sa position. Parce qu’il concerne un
grand nombre de personnes, le concubinage va progressivement produire de plus en plus d’effets juridiques.
Attention cependant : il ne faut pas exagérer. Le concubinage reste, aujourd’hui encore, le mode de vie à deux
de ceux qui ne veulent pas s’engager, ou pas trop s’obliger en droit.

Pour aller plus loin : l’avenir, c’est la définition des effets de droit que le concubinage doit produire.

La question est loin d’être résolue. Ainsi, certains se demandent s’il ne faudrait pas faire produire plus d’effets
en droit au concubinage, en considération de la fréquence du concubinage. Si oui, lesquels ? Mais ne va-t-on pas
alors s’orienter vers un nouveau statut (à côté du mariage et du PACS), pour quitter ainsi le non-droit ?

A l’inverse, d’autres auteurs se demandent si cela est conforme au souhait de la population française. De même,
l’apparition du PACS n’invite-t-elle pas, au contraire, à limiter les effets juridiques du concubinage (puisque les
couples disposent d’un statut « intermédiaire », moins contraignant que le mariage) ?

SECTION 1. DEFINITION

L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie
commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de
même sexe, qui vivent en couple ». Que faut-il retenir de cette définition ?
• Le concubinage est une « union de fait » : ainsi il s’oppose à l’union de droit par excellence qu’est le
mariage (il s’oppose également au PACS que nous allons étudier d’ici quelques pages).
• Un concubinage est stable et continu.
• Il faut par ailleurs relever que le concubinage peut unir deux personnes de sexe différent ou de même
sexe. Le Code civil admet ainsi le concubinage homosexuel.
• Enfin, le concubinage concerne la vie en couple : le concubinage ne concerne donc pas la vie en fratrie,
ni la colocation entre amis.

Une question demeure toutefois irrésolue : peut-on reconnaître l’existence d’un concubinage entre deux
personnes entre qui il existe un empêchement à mariage ? Le concubinage peut-il être incestueux, par exemple ?

Enfin, il faut dire quelques mots sur le problème de la preuve du concubinage. Qu’il soit invoqué par les concubins
eux-mêmes ou par des tiers, le concubinage doit être prouvé. Selon quelles règles ? Le concubinage est un fait
juridique. Donc, comme tout fait juridique, il peut se prouver par tout moyen. On note toutefois que :
• Certaines municipalités facilitent les choses en établissant des certificats de concubinage, qui n’ont
cependant aucune valeur en droit : il s’agit (pour le juge) d’un indice parmi d’autres.
• Lorsque la preuve doit être rapportée par un tiers, celui-ci peut se heurter à la barrière de la vie privée.

SECTION 2. EFFETS

La méthode utilisée par le législateur en 1999 est pour le moins « curieuse » : il définit le concubinage, mais n’en
donne pas le régime. Or, la question se pose nécessairement en pratique (une dette contractée par un concubin
peut-elle engager les deux, comme nous l’avons vu en mariage par exemple ?). Pour répondre à cette difficulté,
il faut partir de trois constatations. D’abord, le concubinage ne relève pas du statut matrimonial (I). Cependant,
il va néanmoins produire des effets, en vertu de règles propres au concubinage (II) ou encore tirées d’autres
branches du droit (III).

I. L’exclusion du statut matrimonial

Malgré l’existence d’une vie commune, le droit positif considère les concubins comme des célibataires. L’absence
de mariage exclut l’application du statut matrimonial. Contrairement aux époux, les concubins ne sont liés par
aucun lien de droit. La solution n’est pas vraiment choquante, puisque bien souvent les concubins refusent le
mariage et les obligations juridiques qui en découlent.

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1) Ils échappent aux droits et devoirs du mariage régis par les articles 212 et suivants du Code civil (sur le plan
personnel, comme patrimonial).

Conséquences (et ce ne sont que des exemples) :

- La cohabitation des concubins est volontaire et ils ne se doivent (en droit) ni respect, ni fidélité, ni
secours, ni assistance.

- Il n’y a pas de contribution aux charges de la vie commune selon les facultés de chacun. Chaque
concubin doit supporter seul les frais qu’il a exposés, sans possibilité de se retourner contre l’autre (sauf
accord contraire, nous y reviendrons). La Cour de cassation rappelle ainsi régulièrement qu’un
concubin qui paie seul les frais de logement et d’électricité au cours de la vie commune ne dispose pas
d’un recours contre l’autre, en l’absence d’accord en ce sens.

- Les concubins ne sont pas tenus solidairement des dettes ménagères à l’égard des tiers, car l’article
220 du Code civil ne trouve pas à s’appliquer à leur situation. Le créancier peut se retourner uniquement
contre le concubin qui a souscrit l’engagement. Il ne peut pas demander le paiement de la dette à celui
qui ne s’est pas obligé.

- Chacun reste propriétaire de ses biens et les gère librement. Et si des biens sont acquis en commun
par des concubins, ils sont indivis (= chacun a droit à une quote-part du bien. Souvent, cela correspondra
à la moitié pour chacun. Vous reprendrez les règles propres à l’indivision en droit des biens).

- Aucune vocation successorale ne résulte du concubinage.

C’est donc un principe d’indépendance qui régit les relations entre concubins, pendant la durée du concubinage.

2) La désunion n’est pas davantage régie par une règle comparable au divorce. Les concubins ne sont donc pas
contraints de saisir le juge pour mettre fin à leur relation. Il n’y a pas non plus de prestation compensatoire. Tout
au plus le juge sera-t-il saisi en cas de désaccord sur la liquidation des intérêts patrimoniaux communs.

Pour aller plus loin : il existe ainsi une différence assez marquée entre le concubinage, d’un côté, et le mariage
(et le PACS), de l’autre. Est-ce légitime ?

Conseil constitutionnel, QPC, 29 juillet 2011 : le Conseil constitutionnel devait dire si l’article L 39 du Code des
pensions civiles et militaires, qui réserve le bénéfice d’une pension de réversion aux couples mariés « à l’exclusion
de toute autre forme de vie de couple » (donc notamment sans prendre en compte la durée d’un PACS conclu
avant le mariage), porte atteinte au principe d’égalité devant la loi. Mais, le Conseil constitutionnel va élargir la
question posée et se demander s’il y a une discrimination injustifiée entre le refus de verser une telle pension à
un couple non marié (concubins ou PACSés) et l’octroi d’un tel avantage aux couples mariés. Et il va juger qu’« à
la différence des époux, les concubins ne sont légalement tenus à aucune solidarité financière à l’égard des tiers
ni à aucune obligation réciproque ». Le régime de la vie de couple en concubinage ou en mariage est donc
différent. A chaque mode de vie de couple ses droits et obligations. Partant, il est normal que le législateur ait
apporté une réponse différente sur le terrain de la pension de réversion.

CEDH, Van der Heijden c/ Pays-Bas, 3 avril 2012 : une femme vit avec un homme en concubinage depuis 18 ans.
Ils ont deux enfants. L’homme est poursuivi pour meurtre. Les autorités néerlandaises demandent à la concubine
de venir témoigner. Elle refuse et reçoit une sommation (= un ordre des autorités de l’Etat). Elle persiste dans
son refus et est incarcérée pendant 13 jours. Puis, elle attaque les Pays-Bas pour atteinte au droit de mener une
vie familiale normale (article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales), en faisant valoir que l’article 217 du Code de procédure pénale néerlandais dispense le conjoint
et le partenaire enregistré (équivalent du PACS chez nous) de témoigner contre la personne qui partage sa vie.
La Cour européenne des droits de l’homme va estimer qu’il n’y a pas de violation de la Convention :
- La Cour commence par relever l’absence de consensus au sein de l’Europe sur la question de la définition des
droits et obligations qui découlent du concubinage.

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- Ensuite, la Cour admet qu’il y a une atteinte au droit de mener une vie familiale normale. Mais cette atteinte
est légitime (l’objectif de l’obligation de témoigner, de ce devoir civique est de lutter contre le crime, c’est-à-dire
assurer la protection de la société).
- En outre, elle ne traduit pas de différence de traitement injustifiée : mariage et PACS se distinguent du
concubinage en ce qu’ils reposent sur un « engagement public ». Dans le concubinage, il y a un refus de tout
« accord juridiquement contraignant ».
- A cela, il faut ajouter un argument d’ordre pratique ou pragmatique : retenir la thèse de la requérante
supposerait de définir le concubinage (à partir de quel seuil de vie à deux y a-t-il concubinage, ouvrant un
minimum de droits et obligations ? Il est impossible de répondre à une telle question qui repose largement sur
une appréciation des faits au cas par cas).
- Enfin, si les états alignent parfois les droits des concubins sur ceux des gens mariés ou PACSés, c’est à propos
de questions d’un ordre différent (droits sociaux par exemple). L’intérêt général justifie de faciliter (par
l’obligation de témoigner qui pèse sur la concubine) la poursuite des infractions graves.

Appréciation doctrinale de l’arrêt :

Pour : les concubins ont fait le choix de ne pas officialiser leur union (généralement parce qu’ils refusent les
règles qui découlent d’une union officielle). Ils peuvent toujours aller vers une union officielle.

Contre : l’esprit de la disposition en cause (pourquoi dispense-t-on un époux ou un partenaire enregistré de


témoigner contre son conjoint ou son partenaire ? Il y a là une volonté de ne pas porter atteinte à une relation
affective particulière, avec vie commune. Or, cela se retrouve dans le concubinage).

II. Des règles spéciales fragmentaires

Les concubins sont exclus du statut matrimonial, certes, mais pas nécessairement ignorés par la loi. Il existe
quelques règles spéciales, ponctuelles, qui concernent généralement les relations des concubins avec les tiers
(pas les relations des concubins entre eux).

1°) Domaine patrimonial

Le concubinage est reconnu par la législation sociale, qui tend à accorder aux « compagnes » ou aux « personnes
à charge » des droits identiques à ceux des conjoints. Il en est ainsi du bénéfice de l’assurance-maladie, maternité
et retraite, dont les prestations sont servies par la Sécurité sociale.

Le droit au bail peut également être transmis au concubin lorsque le titulaire décède ou quitte les lieux (sur le
fondement de la loi de 1989).

2°) Domaine personnel

Devoirs :
En pratique, cela renvoie à la question du devoir de communauté de vie : les concubins sont-ils tenus, comme
les époux, de respecter un devoir de communauté de vie ? La réponse est assurément positive car ce premier
devoir est expressément imposé par la définition du concubinage. On peut alors opérer un rapprochement avec
ce qui a été vu à propos du mariage (communauté de toît, avec possibilité d’une résidence séparée, et relations
charnelles).

Mais le texte ajoute d’autres éléments, que l’on ne retrouve pas dans le mariage : la notion de stabilité et de
continuité.

Enfin, l’exigence d’une communauté de vie fait elle obstacle à ce qu’une personne entretienne plusieurs relations
de concubinage ?
- Le texte évoque une vie « à deux ». On s’orienterait donc, implicitement, vers un rejet du multi-
concubinage.
- Mais dans le même temps, la jurisprudence n’a jamais exigé une exclusivité dans les relations charnelles
entre concubins (pas d’obligation de fidélité). On peut donc avoir une concubine… et une maîtresse
très officielle.

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Autres règles :
Depuis la loi du 4 mars 2002, les parents qu’ils soient concubins, pacsés ou mariés exercent les mêmes droits
parentaux.

III. Les ressources des autres branches du droit

Les autres branches du droit sont souvent sollicitées par les concubins.

Droit des contrats :

Sur le plan personnel, ces contrats sont limités aux pactes parentaux (= contrats passés entre les parents
concernant les enfants. Exemple : les parents peuvent conclure un contrat organisant la journée du mercredi
pour les enfants. Ils peuvent encore s’accorder sur le financement des soins et vacances par chacun d’entre eux).
Les autres conventions (exemple : convention imposant un devoir de fidélité, d’assistance, et/ou de respect) sont
nulles en raison d’une atteinte à la liberté de mariage et à la liberté individuelle.

Sur le plan patrimonial, il y a une plus grande liberté. Les concubins peuvent répartir les charges du ménage,
stipuler une clause de solidarité vis-à-vis des tiers, acquérir un bien en indivision, créer une société, instituer
un légataire par testament, etc …

La rupture pourra également être organisée (par le biais du versement d’une indemnité, du versement d’une
pension permettant de subvenir aux besoins de l’autre, etc …).

Tout cela est utile, mais nécessairement limité :


• Seules les parties aux conventions sont engagées (encore une fois, il n’existe pas d’équivalent à l’article 220
du Code civil. Il faut, pour chaque créancier, faire souscrire un engagement solidaire pour chaque acte aux
deux concubins).
• En pratique, les concubins recourent rarement à ce type de contrats.

Responsabilité civile :

Depuis un certain temps maintenant, la jurisprudence estime que celui qui est civilement responsable d’un
accident doit indemniser le préjudice résultant du décès d’un concubin dans l’accident (Ch. mixte, arrêt
Dangereux, 27 février 1970. Auparavant, les juges n’indemnisaient pas le préjudice subi par le concubin resté
seul. Ils n’indemnisaient que le préjudice subi par un époux resté seul).

SECTION 3. RUPTURE

En pratique, la rupture du concubinage va soulever deux questions :


- savoir si la rupture du concubinage peut entraîner une responsabilité (I).
- le problème de la liquidation du concubinage (II) : comment faut-il régler la situation au moment de la rupture
lorsque les intérêts patrimoniaux des concubins ont été mêlés (des biens achetés en commun, un commerce
exploité en commun, etc…) ?

I. La responsabilité civile de l’auteur de la rupture

Le principe est la liberté de rompre le concubinage. En effet, en l’absence de lien de droit entre les concubins, la
rupture peut intervenir par décision unilatérale, sans qu’aucune procédure semblable au divorce ne soit
nécessaire. Le seul fait de rompre un concubinage ne donc peut être considéré comme une faute, car c’est
l’essence même de cette union que d’être libre.

Mais si le seul fait de la rupture ne peut être une faute, il est des circonstances qui peuvent rendre une rupture
fautive.

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Conclusion : il faut opérer un rapprochement avec ce qui a été vu à propos de la rupture des fiançailles (même
si c’est différent. Ici, il n’y a pas de « promesse » de mariage rompue. Simplement, on met fin à la relation
informelle, hors droit). La responsabilité civile d’un concubin sera dès lors engagée lorsqu’une faute peut lui être
imputée (le moment de la rupture va beaucoup jouer. On pourrait également envisager un contrôle des motifs
de la rupture dès lors que ceux-ci sont connus). Il faut enfin que cette faute ait causé un dommage à l’autre.

Civ. 1, 7 avril 1998 : une concubine délaissée obtient 500 000 francs à titre de dommages et intérêts
afin de réparer le préjudice matériel et moral causé par la rupture. Le concubin forme un pourvoi en
cassation. Mais celui-ci est rejeté, au motif qu’il avait exigé de sa concubine qu’elle renonce à son
emploi pour se consacrer au foyer et à l’éducation de son fils, puis de leur enfant commun, avant de
la congédier brusquement après onze années de vie commune, pour la remplacer par une autre femme,
cela sans subvenir à ses besoins.

II. La liquidation des intérêts patrimoniaux

Lors de la dissolution d’un mariage, des règles spécifiques régissent les effets de cette rupture sur la situation
patrimoniale de chacun des époux. Lorsque le concubinage cesse, aucune règle spécifique n’existe (il n’y a ainsi
ni prestation compensatoire, ni allocation de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 266 du Code
civil).

Partant, ce sont des dispositions empruntées à d’autres matières que le droit de la famille qui vont s’appliquer.
Les mécanismes les plus souvent appliqués en jurisprudence sont ceux de l’indivision, de la société de fait et de
l’enrichissement sans cause. Ce sont des mécanismes que vous découvrirez à l’occasion de l’étude d’autres
matières (en d’autres termes, je ne détaillerai pas davantage ces trois mécanismes car cela nous amènerait trop
loin).

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AUTO EVALUATION

1. Définissez le concubinage

2. Distinguez mariage et concubinage du point de vue de leurs effets ?

3. La rupture du concubinage

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CHAPITRE 2. LE PACTE CIVIL DE SOLIDARITE

Quelques mots afin de vous présenter la loi du 15 novembre 1999, qui est à l’origine du PACS :

• Le texte vise à satisfaire les revendications de couples de même sexe, qui, à l’époque, ne pouvaient pas se
marier (NB : nous sommes en 1999, avant le « mariage pour tous », de 2013). Dans ce cas, pourquoi le PACS
n’est-il pas réservé aux couples de même sexe ? Parce que le législateur a craint qu’on reproche à ce statut son
caractère discriminatoire (une sorte de « mariage moins » ou « mariage de bas étage » réservé aux couples de
même sexe, en guise de lot de consolation). On a donc ouvert le PACS aux couples hétérosexuels, ce qui
présentait également l’avantage d’offrir un statut intermédiaire entre le concubinage et le mariage. D’ailleurs,
aujourd’hui, 96% des PACS sont conclus par des personnes de sexe différent (ce qui signifie que seuls 4% des
PACS sont conclus au sein de couples de même sexe). En revanche, le législateur n’a pas été jusqu’à dépasser la
notion de couple (pour l’ouvrir aux frères et sœurs, aux amis… voire admettre un PACS à plus de deux personnes).
La justification de ce choix est la suivante : « qui trop embrasse mal étreint », selon l’adage bien connu. En effet,
peut-on sérieusement envisager de traiter en même temps la vie de couple, la vie en fratrie et la colocation ?
Ces différentes formes de vie à plusieurs peuvent-elles être régies par les mêmes règles ? Il semble que cela ne
soit pas possible.

• Qu’est-ce que le PACS : un contrat ou un statut ? La réponse n’est guère aisée.

Une chose est sûre : en 1999, le PACS a été présenté comme un contrat. Le Conseil constitutionnel en tirera
d’ailleurs un certain nombre de conséquences lorsqu’il devra se prononcer sur la constitutionnalité de la loi (dans
une décision du 9 novembre 1999), comme l’application des règles du droit commun des contrats dès lors
qu’elles ne sont pas en contradiction avec les dispositions de la loi de 1999 (cons. 28).

Pourquoi ranger ainsi le PACS parmi les contrats ? Le législateur a opté pour une telle présentation afin de donner
des gages à ceux qui ne voulaient pas d’un mariage « bis » pour les couples de même sexe. En outre, le PACS
ayant été ouvert aux couples hétérosexuels, il ne pouvait pas se confondre avec le mariage. Le législateur a donc
présenté le texte comme ayant un aspect contractuel et patrimonial très marqué.
Cependant, dès le début, la doctrine a relevé que l’objet de ce contrat (organiser la vie commune) commandait
de traiter celui-ci de façon dérogatoire par rapport au droit commun des contrats. D’ailleurs, le législateur en a
eu conscience, puisque la loi a été intégrée au Livre 1er du Code civil (qui traite des personnes), et non pas au
sein des dispositions relatives au droit des contrats. Le PACS n’est donc pas un « vulgaire » contrat, ou un contrat
comme les autres.

Quant au Conseil constitutionnel, il a bien pris soin de neutraliser le jeu du droit commun des contrats dès lors
que cela venait contredire la loi nouvelle (toujours dans sa décision du 9 novembre 1999).

Aujourd’hui, les choses semblent plus claires et la doctrine est quasiment unanime : le PACS n’est pas
véritablement un contrat, ou bien il s’agit d’un contrat très particulier. Il relève, en réalité, bien plus d’un statut
personnel que du domaine contractuel. Pourquoi cette évolution dans l’analyse du PACS ? Cela tient à ce que le
législateur n’a cessé de venir en modifier le contenu (la « copie » de 1999 était décidément à revoir…), pour
l’aligner de plus en plus sur le mariage (cf. le rapprochement en matière de contributions aux charges de la vie
de couple et autre solidarité ménagère ou présomptions de pouvoir en matière mobilière : quelles différences
entre mariage et PACS ?).

Les origines du PACS connue, il faut maintenant détailler ses conditions (section 1), ses effets (section 2) et sa
rupture (section 3).

SECTION 1. LES CONDITIONS D’EXISTENCE

La conclusion du PACS est soumise à des conditions de fond (I) et de forme (II).

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I. Les conditions de fond

Elles sont peu nombreuses. L’article 515-1 du Code civil dispose ainsi qu’« un PACS est un contrat conclu par
deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ».

Conséquence de cette définition très large (Civ. 1, 8 mars 2017) : la Cour de cassation admet qu’un PACS
peut être valablement conclu entre deux hommes ayant un écart d’âge important (44 ans) et ayant
déclaré que le lien qui les unissait était d’ordre filial dès lors que l’existence d’une vie commune est
établie (vie commune depuis 24 ans en l’espèce) et qu’aucun empêchement légal à la conclusion d’un
PACS (cf. ci-après) n’a été relevé. C’est aller très (trop ?) loin.

NB : dans cette affaire, les deux protagonistes n’étaient pas, juridiquement, unis par un lien de filiation.
Mais, dans les faits, ces deux hommes entretenaient des rapports similaires à ceux d’un père et d’un fils
(encore une fois, sans que l’un ne soit le père ou le fils de l’autre en droit).

Les mineurs : l’article 515-1 exclut la conclusion d’un PACS par un mineur (comme on exclut le mariage avec un
mineur). Et il n’y a pas de dispense possible (ce qui est une différence par rapport au mariage).

En outre la conclusion d’un PACS est interdite entre certaines personnes. C’est ce qu’on appelle les
empêchements, qui sont très proches de ce que l’on a vu à propos de la prohibition de l’inceste en mariage. Leur
inobservation est sanctionnée par la nullité du PACS (article 515-2 du Code civil).
• Ainsi, la conclusion d’un PACS est interdite entre ascendant et descendant en ligne directe, entre alliés
en ligne directe (beau-père et belle-fille ou encore belle-mère et gendre) et entre collatéraux jusqu’au
troisième degré inclus (oncle et nièce ne peuvent donc pas contracter un PACS).
• Elle est aussi prohibée pour toute personne mariée ou déjà liée par un PACS.

Ces différentes interdictions traduisent la prohibition de l’inceste et l’attachement au principe de la monogamie,


ce qui confirme la place du PACS au sein du droit de la famille. Ce type de considération n’a aucune place en droit
des contrats (on peut évidemment conclure un contrat de bail, de vente, de mandat etc… avec ses proches
parents ou alliés). Le rapprochement avec le mariage est évident sur ce point.

Tirant les conséquences de ce rapprochement, le Conseil constitutionnel a précisé, en 1999, que la nullité
encourue en cas de méconnaissance de ces empêchements était absolue (cons. 27). C’est une reprise de la
solution consacrée en matière de mariage, qui se justifie pleinement : les raisons qui expliquent ces
empêchements sont les mêmes qu’en matière de mariage (intérêt général en jeu, et non pas uniquement des
intérêts privés).

Mais quelques différences subsistent par rapport aux empêchements à mariage :


- Il n’y a pas de dispense en matière de PACS.
- Le régime de la prescription de l’action en nullité est défini par le droit commun (il n’existe pas de disposition
spéciale qui, comme en mariage, prévoit une prescription de 30 ans. Donc, on en revient à l’article 2224 du
Code civil et à la prescription de 5 ans).

Le consentement :

Existence : le législateur n’a pas été très disert sur ce point. La doctrine suggère de s’inspirer de ce qui a été vu
pour le mariage. Il faudrait donc exiger un consentement réel et sérieux, sous peine de nullité du PACS. Les
partenaires doivent avoir en vue l’organisation de leur vie de couple. A défaut, il faudrait transposer la
jurisprudence Appietto (et sanctionner par la nullité les « PACS blancs »).

Cependant, le contrôle de la réalité et du sérieux du consentement ne s’opère pas de la même façon que dans le
mariage. Ni le greffier, ni le notaire, ni l’officier d’État civil qui interviennent lors de la conclusion du PACS ne
peuvent refuser de prêter leur concours au motif qu’ils ont un doute sur la réalité et le sérieux du consentement
des partenaires.

Vices : faute de dispositions spéciales dans le Code civil, il faut en revenir au droit commun des contrats, dès lors
que cela ne heurte pas une règle spécialement prévue pour le PACS.

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Ceci étant, cela ne change pas beaucoup les choses par rapport au mariage. En effet, pour les mêmes raisons que
celles évoquées à propos du mariage, les auteurs n’envisagent pas l’annulation d’un PACS pour dol. Il reste donc
l’erreur et la violence (étant précisé que si l’on peut s’interroger sur le jeu de la crainte révérencielle en la matière
– pour mémoire elle est admise en droit du mariage mais pas en droit des contrats – force est de constater que
le débat est largement théorique. Il y a peu de PACS « forcés » pour l’instant).

II. Les conditions de forme

Les partenaires ont longtemps dû faire la déclaration conjointe de leur PACS devant le greffe du tribunal
d’instance dans le ressort duquel ils résidaient. Depuis la loi du 18 novembre 2016, cette compétence a été
transférée aux mairies, plus exactement aux officiers d’État civil (vers un rapprochement de plus avec le mariage).
Enfin, depuis une loi du 28 mars 2011, il est également possible de faire cette déclaration conjointe devant un
notaire.

Une fois la convention reçue, l’officier d’État civil ou le notaire vérifie que les conditions légales de fond et de
forme sont réunies. Il appose son visa et la date sur chaque page de la convention, il l’enregistre (ce qui permet
de conférer date certaine au PACS et permet au PACS de commencer à produire effet entre les parties), puis la
restitue aux partenaires.

Enfin, le PACS est mentionné sur l’acte de naissance de chaque partenaire. Cette mention est importante
puisqu’elle conditionne l’opposabilité du PACS aux tiers et assure une dimension institutionnelle au PACS (on
trouve mention du mariage… et du PACS, dans un acte de naissance. Vers un rapprochement du PACS et du
mariage, de ce point de vue).

SECTION 2. LES EFFETS

L’objet du pacte est de permettre aux partenaires d’organiser leur vie commune. La loi de 1999 était
essentiellement tournée vers les effets patrimoniaux du PACS. Il fallait éviter de consacrer une institution trop
proche du mariage. Les parlementaires ont alors refusé de faire produire des effets personnels au PACS. Mais
l’évolution jurisprudentielle puis législative montre qu’aujourd’hui, le PACS modifie le statut personnel des
partenaires.

I. Les effets personnels

Le PACS a désormais, comme le mariage, une incidence sur l’État civil des partenaires et leur impose des devoirs
très semblables à ceux qui résultent du mariage.

A. L’ÉTAT CIVIL DES PARTENAIRES

L’article 515-3-1 du Code civil (introduit par une loi de 2006) dispose qu’il est fait mention, en marge de l’acte
de naissance de chaque partenaire, de la déclaration de PACS ainsi que de l’identité de l’autre partenaire. Le
PACS fait dès lors partie intégrante de l’état des personnes, ce qui est symboliquement fort : cela signifie que,
comme le mariage, le PACS fait l’objet d’une inscription à l’État civil.

L’enjeu de la mention du PACS en marge des actes de l’État civil est d’en faire la publicité. Cette mention est très
utile en pratique : elle permet de justifier très facilement auprès des tiers de ce qu’une personne est - ou non -
pacsée, ce qui évite d’avoir à demander des certificats de non PACS, pratique qui était devenue extrêmement
courante avant la loi de 2006 et qui surchargeait de travail les greffiers des tribunaux d’instance (puisque c’était
alors les greffiers qui enregistraient les PACS).

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B. LES DEVOIRS RECIPROQUES

La loi de 1999 avait déjà donné naissance à des devoirs réciproques entre les partenaires. La loi du 23 juin 2006
les confirme et les renforce. Ces devoirs sont désormais très semblables à ceux des époux, mais uniquement
dans leur contenu (1°). Les sanctions de ces devoirs demeurent différentes (2°).

1°) Contenu

L’article 515-4 du Code civil dispose que les partenaires s’engagent à une « assistance réciproque ». Cette
modification marque la différence avec la loi de 1999 (dans le cadre de laquelle il n’était question d’aucune
aide morale, ni d’assistance). Les rapports entre partenaires ne se limitent donc plus à la seule dimension
pécuniaire.
La loi ne définit pas le devoir d’assistance. Cependant, son contenu peut être délimité par le biais du devoir
d’assistance (morale et autre) qui est mis à la charge des époux.

• L’article 515-4 dispose également que les partenaires s’engagent à une « vie commune ». En réalité, c’est à
la fois une condition (article 515-1) et un effet (article 515-4) du PACS.

• La question se pose de savoir si cette obligation de vie commune implique une obligation de fidélité entre
les partenaires. Les lois de 1999 et 2006 n’ont rien dit à ce sujet. Le Conseil constitutionnel n’a pas davantage
statué sur cette question.

Ordonnance du Président du TGI de Lille, 5 juin 2002 : « il découle de l’article 515-1 du Code civil
une obligation de vie commune entre les partenaires d’un pacte civil de solidarité, qui doit être
exécutée loyalement ; l’obligation de devoir exécuter loyalement le devoir de communauté de vie
commande de sanctionner toute forme d’infidélité entre partenaires ; le manquement à l’obligation
de vie commune justifie une procédure en résiliation de PACS aux torts du partenaire fautif ».
Pour statuer de la sorte, le juge s’est appuyé sur des textes relevant du droit commun des contrats
(comme l’ancien article 1134, alinéa 3, du Code civil qui prévoyait que les contrats doivent être
exécutés de bonne foi).
La doctrine a critiqué cette utilisation du droit des contrats, au motif que le PACS ne saurait être
ramené à un « vulgaire » contrat. En réalité, s’il faut bien exiger la fidélité dans le PACS, c’est plutôt
à la suite d’un rapprochement avec le mariage (cf. les empêchements en matière de PACS,
l’exclusion de la pluralité de PACS, la monogamie dans le PACS…).

2°) Sanctions

Le législateur n’a pas prévu de sanction en cas d’inexécution, par les partenaires, de ces obligations
personnelles. L’analogie avec le mariage est techniquement impossible (il est impossible de reprendre les règles
relatives au divorce si le législateur ne l’a pas prévu). La sanction doit donc être recherchée dans les dispositions
spécifiques du PACS et dans le droit des contrats.

Dans cette perspective, il faut tout d’abord relever que la rupture unilatérale du pacte, telle que prévue à l’article
515-7 (que nous verrons plus tard), peut être envisagée par la victime de l’inexécution.

Ensuite, comme en droit des contrats, toute inexécution doit permettre à la victime de réclamer à son partenaire
des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité civile contractuelle. Il s’agit alors de réparer le
préjudice causé par la rupture du PACS.

II. Les effets patrimoniaux du PACS

Le PACS est doté d’un véritable régime patrimonial, à la différence du concubinage.

Bien que les textes ne le prévoient pas clairement, on peut retrouver, parmi les dispositions relatives aux effets
patrimoniaux du PACS, la même distinction que dans le mariage : un régime primaire (A) et des régimes du type
régimes matrimoniaux, lesquels se résument à un choix qu’il faut opérer entre un régime légal et un régime
conventionnel (B).

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A. LE REGIME PRIMAIRE

Ce régime est loin d’être aussi développé que dans le cadre du mariage. Ainsi, aucune disposition n’a été prise
pour protéger le logement commun pendant la durée du PACS (alors qu’il existe des dispositions spécifiques en
cas de décès).

Trois séries de règles s’imposent aux partenaires, quel que soit le contenu de leur convention :

• L’aide matérielle : ce principe était déjà prévu par la loi de 1999, mais la loi de 2006 ajoute à l’article
515-4 que « si les partenaires n’en disposent pas autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à
leurs facultés respectives ».

Pour aller plus loin : les interrogations doctrinales concernant les prolongements du devoir d’aide
matérielle dans le PACS

Dans un premier temps, on peut penser que l’exigence est la même que celle évoquée à l’article 214
du Code civil en matière de mariage (à propos de la contribution aux charges du mariage). D’un autre
côté, le PACS ça n’est pas le mariage. Le législateur n’emploie d’ailleurs pas les mêmes termes. En
définitive, la jurisprudence tranchera et dira s’il faut, ou non, reprendre les solutions vues à propos de
la contribution aux charges du mariage.

Par ailleurs, la doctrine s’interroge également sur la possibilité d’introduire un devoir de secours. Les
textes ne le prévoient pas. Mais on ne voit pas de raisons de l’écarter. En outre, le résultat de
l’exclusion du devoir de secours sera incohérent : l’un des partenaires pourrait être tenu de contribuer
aux charges du ménage, mais pas d’aider son partenaire dans le besoin (qui, par exemple, a du mal à
se soigner en raison de faibles ressources) ? Tout cela paraît illogique dès lors que le PACS se rapproche
de plus en plus d’une institution familiale.

Enfin, là aussi il faut s’interroger sur la sanction de la méconnaissance du devoir d’aide matérielle. Le
législateur n’ayant rien prévu de spécifique, la doctrine s’en remet aux remèdes contractuels
(exception d’inexécution, résolution pour inexécution, responsabilité contractuelle… Quid de la
validité des clauses aménageant les sanctions de l’inexécution du PACS ?).

• La solidarité pour les dettes nées des besoins de la vie courante : selon l’article 515-4, alinéa 2, du Code
civil, la solidarité joue pour les dettes contractées « pour les besoins de la vie courante ».

Pour aller plus loin : le rapprochement du PACS et du mariage en ce qui concerne la solidarité des dettes
ménagères

La loi de 2006 a exclu de cette solidarité passive des partenaires les dépenses « manifestement
excessives » et la loi du 1er juillet 2010 a ajouté, au titre des exclusions de la solidarité, les emprunts
conclus par un seul des partenaires (sauf, pour les emprunts, s’ils portent sur des sommes « modestes
nécessaires aux besoins de la vie courante ») et les achats à tempérament. Enfin, la loi Hamon de 2014
a traité, en mariage et en PACS, l’hypothèse de la pluralité d’emprunts.

Conclusion : on se rapproche (dangereusement ?) de l’article 220 du Code civil ! Quelle différence entre
les deux textes ? Donc quelle différence entre un PACS et un mariage ? Aucune du point de vue de la
solidarité ménagère.

• La présomption de pouvoirs pour les biens meubles détenus individuellement : l’article 515-5 al 3 édicte
cette présomption de pouvoirs, qui permet aux partenaires d’accomplir seuls un certain nombre d’actes,
sans que les tiers ne puissent opérer de vérifications (ouverture d’un compte en banque).

NB : si l’on constate un alignement progressif du PACS sur le mariage quant aux effets du statut (pour un exemple
récent, voir la loi Hamon du 17 mars 2014 qui a modifié en même temps les article 220 et 515-4 concernant

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les limites de la solidarité ménagère en cas de pluralité d’emprunts), il n’en demeure pas moins que lorsque le
législateur réserve le bénéfice de certaines dispositions aux époux, la jurisprudence refuse d’en étendre le
bénéfice aux partenaires PACSés.

Civ. 1, 23 janvier 2014 : solution réaffirmée à propos de l’attribution du droit à pension de réversion
prévu par l’article 353-1 du Code de la sécurité sociale. Si les textes ne visent que les époux, les partenaires
ne sauraient en bénéficier.

B. LES REGIMES COMPLEMENTAIRES

Comme en mariage, le régime primaire se double d’un régime optionnel. Mais le choix est plus limité dans le
PACS qu’en mariage. Les partenaires ont en effet le choix entre un régime légal (1°) et un régime conventionnel
(2°).

1°) Le régime légal

C’est le régime qui s’appliquera aux partenaires s’ils n’en ont pas décidé autrement (ici, il vous faut opérer un
rapprochement avec le régime matrimonial légal qu’est la communauté légale réduite aux acquêts).

Mais attention, à la différence de ce qui est prévu en mariage, le régime légal n’est, dans le PACS, pas un régime
qui repose sur l’existence de biens communs. C’est même l’inverse. Dans le PACS, le principe est celui du régime
séparatiste, où chacun des partenaires est propriétaire des biens qu’il acquiert à titre onéreux pendant le PACS
et conserve les pouvoirs sur ces biens. Chacun est tenu de ses dettes personnelles.

Ce principe est toutefois assorti d’une présomption d’indivision, à défaut de preuve contraire. Cela concerne les
biens pour lesquels les partenaires ne peuvent pas justifier d’une propriété exclusive. Ces biens sont réputés
leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.

2°) Le régime conventionnel

Si le régime légal ne satisfait pas les partenaires, ils peuvent choisir d’opter pour l’indivision en ce qui concerne
tous les biens qu’ils acquièrent, ensemble ou séparément, pendant la durée du PACS (solution légale de 1999).
C’est le régime d’indivision des acquêts. Certains biens demeureront néanmoins personnels « par nature »
(article 515-5-2).

Les biens indivis seront soumis à la gestion concurrente, sauf si les partenaires en décident autrement par
convention (la loi de 2006 soustrait ainsi la gestion des biens indivis au droit commun de l’indivision).

Pour aller plus loin : on assiste à un alignement progressif du PACS sur le mariage, alors qu’au départ, le PACS a
été pensé comme un contrat. Cependant, il reste encore des différences. Ces différences sont-elles justifiées ?

Conseil constitutionnel, décision QPC, 29 juillet 2011 : le problème qui était posé était celui de savoir si l’article
L 39 du Code des pensions civiles et militaires peut réserver le bénéfice du versement d’une pension de réversion
aux couples mariés, « à l’exclusion de toute autre forme de vie de couple » (donc notamment sans prendre en
compte la durée d’un PACS conclu avant le mariage). Cela ne porte-t-il pas atteinte au principe d’égalité devant
la loi ? Le Conseil constitutionnel va élargir la question posée et se demander s’il y a une discrimination injustifiée
entre le refus de verser une telle pension à un couple non marié et l’octroi d’un tel avantage aux couples mariés.
Et la réponse est négative. Au soutien d’une telle solution, le Conseil constitutionnel indique tout d’abord que
« le législateur… a défini 3 régimes de couples qui soumettent les personnes à des droits et obligations
différents ». Poursuivant plus spécialement en ce qui concerne le PACS, le Conseil énonce que « les dispositions
du Code civil ne confèrent aucune compensation pour perte de revenus en cas de cessation du PACS entre
partenaire ni aucune vocation successorale au survivant en cas de décès d’un partenaire ». Sous cet angle, le
PACS est bien différent du mariage puisque ce dernier, selon le Conseil constitutionnel, a « pour objet » …
« d’organiser les relations personnelles et patrimoniales » (ce que le PACS fait également) mais aussi d’assurer
« une protection en cas de dissolution du mariage » (notamment avec le bénéfice de la pension de réversion –
ce que le PACS ne permet pas).

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La doctrine critique la conclusion retenue par les juges après avoir relevé qu’on se PACSe aussi pour se protéger
et conférer un statut (et des droits …. donc une protection) à l’autre. Si la loi accordait plus de protection dans le
cadre du PACS, les partenaires n’y trouveraient probablement rien à redire. D’ailleurs, quand ils acquièrent un
bien, le notaire conseille généralement aux partenaires PACSés de rédiger un testament « réciproque » pour
assurer le maintien du cadre de vie en cas de décès de l’un d’eux.

SECTION 3. LA RUPTURE

On distinguera les modes de rupture (I), des effets de la rupture (II).

I. Modes de rupture

La rupture du PACS peut intervenir principalement de quatre façons :

1. Par déclaration conjointe à l’officier d’État civil ou au notaire qui a enregistré le pacte (article 515-7, al. 3 et 4).

2. Par décision unilatérale de l’un des partenaires (article 515-7, al. 5) qui doit alors signifier sa décision à l’autre
et en adresser une copie à la mairie ou au notaire qui a enregistré l’acte initial.
N.B. : la rupture unilatérale du PACS n’est pas subordonnée à la preuve d’une violation de ses obligations par
l’autre partenaire.

3. Par le mariage de l’un des partenaires : le pacte prend alors fin à la date du mariage (et oui, cela n’est pas très
« élégant ». L’un des partenaires est mis devant le fait accompli. L’autre s’est marié… avec un tiers et le PACS est
automatiquement rompu. Mais on peut également envisager une issue plus heureuse : les partenaires peuvent
se marier).

4. Par le décès de l’un des partenaires : le pacte prend fin à la date du décès.

Remarque : même dans les deux derniers cas (mariage et décès), une déclaration doit être adressée au greffe du
tribunal ou au notaire qui a enregistré l’acte initial (article 515-7, al. 1 et 2). C’est normal parce qu’il faut, ensuite,
procéder aux formalités de publicité (modifier les actes de l’État civil des partenaires).

II. Effets de la rupture

Les partenaires doivent procéder eux-mêmes à la liquidation de leurs droits et obligations (article 515-7, alinéa
10, du Code civil).

À défaut d’accord, il appartient au juge de régler les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice
d’éventuels dommages-intérêts en cas de faute à l’origine de la rupture (Cons. constit., 9 novembre 1999, consid.
n° 61 et 62).

Pour aller plus loin : le régime de l’indemnisation du préjudice causé dans la rupture du PACS

Il n’existe pas d’équivalent à l’article 266 du Code civil dans le domaine du PACS, de sorte que l’on peut alors
faire appel à la responsabilité civile pour faute (sans exiger un préjudice d’une particulière gravité, par exemple),
ce qui semble incohérent (étant précisé que l’incohérence est imputable au législateur, qui n’a pas réglé la
question de la responsabilité civile dans la rupture PACS). Pourquoi limiter aussi drastiquement les dommages-
intérêts dans le divorce et les autoriser, comme en droit commun, dans la rupture du PACS ?
En outre, comme la rupture unilatérale est libre, en principe, dans le PACS, la faute ne peut pas résider dans la
rupture, mais dans les circonstances de celle-ci (même principe que pour la rupture des fiançailles… ce qui amène
aux mêmes difficultés : subtilité pour identifier la faute et le préjudice qui en découle).

Les biens indivis ont par ailleurs vocation à être partagés.

En revanche, il reste une grosse différence par rapport au mariage : le partenaire n’est pas héritier en vertu de
la loi (mais il peut l’être en vertu d’un testament, ceci d’autant plus que le fisc traite pareillement, en termes de

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droits de mutation, les partenaires et les conjoints. Seuls les concubins sont fortement taxés parce que
considérés comme des étrangers).

Conclusion : le rapprochement entre PACS et mariage

Pour ce qui est des conditions de fond et des effets du PACS, on se rapproche du mariage (exigences en matière
de consentement, empêchements, solidarité ménagère…).
En revanche, lors de la dissolution, on est plus proche du concubinage (pas de recours obligatoire au juge, pas
de prestation compensatoire, pas de vocation successorale du partenaire…).

Il y a là un curieux mélange des genres (à mi-chemin entre le mariage et le concubinage) qui ne restera
vraisemblablement pas en l’état très longtemps.

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AUTO EVALUATION

1. Retracez l’histoire du PACS

2. Quelles sont les conditions de fond et de forme du PACS ?

3. Distinguez le PACS, du mariage et du concubinage, du point de vue des effets

4. La rupture du PACS

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2ÈME PARTIE
L’ENFANT

Il faut distinguer la question de l’établissement de la filiation (Titre 1), de celle des incidences de cette filiation,
ou encore celle du statut de l’enfant (Titre 2).

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TITRE 1 :
LE RATTACHEMENT DE L’ENFANT À SA FAMILLE : LA FILIATION

La filiation est un lien de droit qui unit l'enfant à son père et ou à sa mère.

Est-ce que ce lien doit nécessairement correspondre à la vérité biologique, ou peut-il s’en écarter (à quelles
conditions alors) ? Souvent, la filiation reflète la réalité biologique. Nous le reverrons à propos des présomptions
en matière de conception de l’enfant, à propos du fondement de la présomption de paternité, ou encore quant
au rôle de la possession d’état. Il faut enfin relever la place cardinale qui est faite à la vérité biologique dans les
actions relatives à la filiation.

Pourquoi cette faveur pour la réalité biologique ? Plusieurs explications peuvent être avancées :
- cela ancre l’enfant dans la chaîne généalogique de l’humanité.
- la vérité biologique correspond à une réalité stable, quand la société est de plus en plus changeante.
- cela correspond bien souvent à la volonté des parents (surtout aujourd’hui, où l’on maîtrise mieux la
survenance des enfants).
- c’est conforme au désir des enfants qui, quand ils ne connaissent pas leur père ou mère biologique,
n’ont souvent de cesse de connaître leur origine.

Mais attention : vérité juridique et vérité biologique ne coïncident pas toujours.

• Tout d’abord, la filiation, en droit, doit être « légalement établie ». La seule vérité biologique ne suffit pas.
Il faut encore satisfaire aux conditions posées par le Code civil (conditions posées même en matière de
filiation par le sang, aussi appelée filiation charnelle).
En l’absence de contentieux, il faut se contenter des modes de preuves retenus par le Code civil (à savoir
l’acte de naissance, la présomption de paternité, la reconnaissance ou la possession d’état). Point de salut
en dehors de ces modes de preuves.
En matière de filiation établie par contentieux, c’est moins vrai : c’est le règne de la preuve biologique… à
ceci près que l’expertise biologique doit être ordonnée par un juge.

• En outre, il existe des filiations construites, c’est-à-dire reposant sur la volonté des adultes (comme
l’adoption ou la procréation médicalement assistée avec recours à des tiers donneurs). Dans de telles
hypothèses, la filiation juridique est fondée sur la seule volonté et ne correspond pas à la vérité biologique.

• Il arrive également que la vérité biologique soit rejetée par le droit (et la solution est plus fréquente que ce
vous pouvez penser de prime abord).

Voici quelques exemples :


- L’adoption plénière détruit tout lien de filiation avec les parents par le sang, ou parents
biologiques. Dans cette hypothèse, le père et/ou la mère de l’enfant en droit, c’est-à-dire son parent
adoptif, n’est pas son parent biologique.
- La filiation incestueuse ne peut être établie à l’égard des deux parents en cas d’inceste absolu,
c’est-à-dire ne pouvant être levé par dispense. Dans une telle hypothèse, l’un des parents
biologiques de l’enfant, souvent le père en pratique, ne sera pas, en droit, le parent de l’enfant.
- L’accouchement sous X permet à la mère qui accouche de demander à conserver son anonymat.
- La procréation médicalement assistée avec tiers donneur exclut la possibilité d’établir un lien de
filiation entre le donneur et l’enfant.
- Une filiation établie par une reconnaissance et confortée par une possession d’état de plus de 5
ans ne peut plus être contestée en principe, même s’il est prouvé, par un test biologique, que
l’enfant n’est pas de l’auteur de la reconnaissance paternelle.
- Enfin, le principe chronologique, sur lequel nous reviendrons, peut également conduire à
maintenir une filiation, en droit, qui ne correspond pas à une réalité biologique. Dans cette
hypothèse, celui ou celle qui veut faire établir le lien de filiation à l’égard de l’enfant ne peut le
faire car l’enfant est déjà doté d’une filiation – inattaquable en droit – à l’égard d’un tiers.

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En définitive, il ne faut donc pas mélanger filiation juridique, vérité biologique et réalité sociologique (= le vécu).
Et la difficulté réside dans la détermination de l’endroit où l’on met le curseur : quand la réalité sociologique doit-
elle prévaloir sur la réalité biologique ? Quelle place laisser à la volonté individuelle (ceux qui ne peuvent pas,
biologiquement, être parents, mais qui souhaitent l’être juridiquement) ? Etc… Ce sont des choix de société que
seul le législateur peut faire.

Quels sont les choix qu’il a opérés en cette matière ? C’est difficile à dire, dans la mesure où l’on relève des
courants en sens contraire.

D’un côté, on constate, sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme, l’émergence d’un droit
à connaître ses origines, rattaché à l’article 8 de la Convention (on le verra à propos de la question de
l’accouchement sous X, de l’adoption et de la procréation médicalement assistée avec recours à un tiers donneur.
Mais on constate l’émergence de ce même phénomène en ce qui concerne les actions visant à contester une
filiation légalement établie ou à faire reconnaître une nouvelle filiation, le tout sur le fondement de la vérité
biologique).

D’un autre côté, le droit de la filiation fait de plus en plus de place à la volonté individuelle (plus exactement à
la volonté des « parents »). Il est vrai que la vérité biologique ne fait pas des parents parfaits. Parfois, mieux vaut
un parent d’intention (volontaire, donc, pour assumer la prise en charge de l’enfant) qu’un parent biologique aux
« abonnés absents ».
- On trouve une première traduction concrète de cela avec la réforme de 2013 qui a ouvert le mariage aux
personnes de même sexe. En effet, cette réforme a, dans le même temps, ouvert la voie de l’adoption aux
époux de même sexe. Aujourd’hui, on peut donc avoir deux pères ou deux mères, en droit.
- Une seconde illustration de cette montée en puissance de la volonté individuelle en droit de la filiation
résulte de la loi du 2 août 2021 sur la bioéthique. En ouvrant l’assistance médicale à la procréation aux
couples de femmes, le législateur a fait de la volonté le fondement de la filiation en résultant.

A cela, il faut ajouter que la place ainsi faite à la volonté individuelle pourrait s’accentuer à l’avenir :
- Quid de la gestation pour autrui, par exemple ? Quelle place réserver aux parents d’intention, qui n’ont pas
de lien biologique avec l’enfant ?
- Quid des conditions d’âge en matière d’adoption ? Si l’on se détache de la biologie, pour fonder davantage
la filiation sur la volonté, ces conditions peuvent-elles être maintenues ?

Enfin, la notion de vérité biologique s’obscurcit avec le développement des techniques relatives à la procréation
médicalement assistée. Lorsqu’un embryon est conçu à l’aide d’un ovule d’une femme donneuse, pour être
implanté dans l’utérus de celle qui va mettre l’enfant au monde, quelle est la vérité biologique ? Est-ce que les
gênes doivent primer sur l’accouchement ? La difficulté s’accroît encore lorsqu’on apprend que les scientifiques
travaillent sur une fécondation in vitro impliquant 3 femmes : selon une nouvelle technique, visant à éviter la
transmission de certaines pathologies, il serait possible d’insérer le noyau d’un ovocyte d’une première femme
dans l’ovocyte d’une deuxième (dont le noyau aura été préalablement retiré) puis implanter cet ovocyte dans
l’utérus d’une troisième qui accouchera de l’enfant. Qui est alors la mère biologique de cet enfant ?

Ainsi, le droit de la filiation est tiraillé entre le primat de la biologie (laquelle reste à définir précisément comme
on vient de le voir), la place faite au vécu et l’inévitable prise en compte de la volonté. Cela se vérifie lorsqu’on
étudie la filiation établie par le sang (chapitre 1), l’adoption (chapitre 2) et la procréation médicalement assistée
(chapitre 3).

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HAPITRE 1ER. LA FILIATION PAR LE SANG

Pour étudier le droit de la filiation par le sang, nous allons suivre le plan du Code en abordant tout d’abord les
dispositions générales (section 1), puis l’établissement non-contentieux de la filiation (section 2) et enfin les
actions relatives à l’établissement ou à la contestation de la filiation (section 3).

SECTION 1. LES REGLES GENERALES

Parmi les règles générales, on trouve le principe d’égalité des filiations (I). Il faut aussi relever que les modes
d’établissement de la filiation sont définis par la loi (II), laquelle interdit l’établissement d’une filiation
incestueuse (III). Enfin, il convient de préciser les présomptions visant à fixer la date de la conception de l’enfant
(IV).

I. Le principe d’égalité des filiations

Ce principe est énoncé par l’article 310 du Code civil. Ce texte dispose que « tous les enfants dont la filiation est
légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et leur mère.
Ils entrent dans la famille de chacun d’eux ».

Concrètement, cela veut dire que le droit français ne fait aucune différence selon que l’enfant est né en ou hors
mariage, ou encore selon qu’il est adultérin ou non. Les enfants nés hors mariage (y compris les enfants
adultérins) ne disposent pas de moins de droits ou devoirs que ceux qui sont nés en mariage.

II. la définition des modes d’établissement de la filiation

L’article 310-1 du Code civil énumère les modes d’établissement de la filiation. En d’autres termes, on n’établit
pas la filiation d’un enfant librement (spécialement hors contentieux). Il faut avoir recours à l’un des modes
d’établissement de la filiation prévus la loi.

Ainsi, la filiation peut être établie de façon non contentieuse soit par l’effet de la loi (ce qui revient à évoquer
l’établissement de la filiation maternelle par l’acte de naissance et la présomption de paternité), soit par
reconnaissance, soit par possession d’état (constatée dans un acte de notoriété).

À défaut, elle peut être établie par un jugement à l’issue d’une action en justice (= établissement contentieux de
la filiation avec preuve libre + place importante de l’expertise biologique, qui ne peut cependant être réalisée
sans autorisation préalable du juge).

III. La prohibition de la filiation incestueuse

L’article 310-2 du Code civil maintient, en cas d’inceste absolu, la prohibition de l’établissement de la filiation
envers l’autre parent, lorsque la filiation est déjà établie à l’égard de l’un d’eux. Le nouveau texte renforce même
la vigueur de l’interdiction (« … il est interdit d’établir la filiation à l’égard de l’autre par quelque moyen que ce
soit ») afin d’interdire l’adoption simple d’un enfant par l’autre parent, ce qui consacre une position que la Cour
de cassation avait précédemment adoptée.

Vocabulaire :

Adoption simple : par opposition à l’adoption plénière, l’adoption simple crée un nouveau lien de filiation entre
l’adopté et l’adoptant sans rompre le lien de filiation existant avec la famille d’origine ou famille par le sang.

Civ. 1, 6 janvier 2004 : une requête en adoption simple est présentée par le (demi) frère de la mère
biologique. L’idée du père est ainsi de ne pas rompre le lien de filiation établi avec la mère à la naissance
de l’enfant, tout en devenant le père (adoptif) de l’enfant. La requête est accueillie par la cour d’appel.
Mais la Cour de cassation censure l’arrêt pour méconnaissance de la règle « d’ordre public » interdisant
l’établissement d’une filiation complète en cas d’inceste absolu.

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Que faut-il penser d’une telle solution ?

- contre la solution retenue par la Cour de cassation (ce qui correspondait d’ailleurs à la position de la
cour d’appel en l’espèce, soit en faveur de l’adoption de l’enfant par le père), on peut faire valoir qu’il
s’agissait d’une adoption simple. Or, l’adoption simple emporte, comme on le verra, création d’un lien
volontaire de filiation qui n’est pas fondé sur la vérité biologique (puisque la famille d’origine demeure,
à côté de la famille adoptive. L’enfant faisant l’objet d’une adoption simple peut avoir deux pères par
exemple : un père par le sang et un père adoptif). Donc la demande ne tendait pas à faire apparaître
l’inceste au grand jour. Lorsqu’il demande à être considéré comme le père adoptif de l’enfant, le
demandeur ne soutient pas, indirectement, qu’il en est le père biologique (puisqu’encore une fois,
l’adoption simple ne repose pas sur la vérité biologique).

- pour : la Cour de cassation se fonde sur la portée du texte de loi. En d’autres termes, elle résout la
difficulté par l’interprétation de la loi (interprétation des textes relatifs à l’adoption et de celui qui
prohibe l’établissement d’un double lien de filiation en cas d’inceste absolu). Selon elle, lorsque le Code
civil interdit d’établir une filiation à l’égard des deux parents en cas d’inceste absolu, cela vaut quelle
que soit la nature du lien de filiation dont il est question (filiation charnelle, comme adoption).
Remarque : à l’époque de l’arrêt, le texte de loi (article 334-10, que l’on retrouve aujourd’hui à l’article
310-2) n’employait pas l’expression « par quelque moyen que ce soit » (nous sommes en 2004).
L’introduction de cette expression par l’ordonnance de 2005 vient donc conforter la jurisprudence de la
Cour de cassation.

NB : le texte ne vise que le cas où il existe, entre les père et mère de l’enfant, un des empêchements à mariage
prévus par les articles 161 et 162. La prohibition ne joue donc qu’en cas d'inceste entre parents en ligne directe
(père et fille, mère et fils...) et en ligne collatérale au deuxième degré (frère et sœur). Dans ces cas, l’inceste est
dit absolu en ce sens que l’empêchement à mariage ne peut être levé par dispense.

Les conséquences d’une telle interdiction d’établir un double lien de filiation sont lourdes. L’enfant n’a pas de
vocation successorale, pas de droit au nom. Il n’est pas créancier d’une obligation alimentaire à l’égard du parent
en cause (le père en pratique). Le droit lui ouvre uniquement une action à fins de subsides (que nous étudierons
plus tard) contre le parent biologique dont la filiation ne peut être reconnue en droit.

La prise en considération de la situation des enfants explique d’ailleurs peut-être que la Cour de cassation ait
jugé, par un arrêt du 16 décembre 2020, que l’article 310-2 du Code civil ne fait en revanche pas obstacle à ce
qu’une tante adopte, en la forme plénière, les enfants de son frère prédécédé (conçus avec une autre femme).
De façon plus précise, la Cour a retenu que les textes de droit français « n’ont pas pour effet d’interdire l’adoption
des neveux et nièces par leur tante ou leur oncle, dès lors que les adoptés ne sont pas nés d’un inceste ».

Attention à ne pas tout confondre en ce qui concerne l’inceste

Dans le cadre des développements qui précèdent et qui concernent la filiation de l’enfant, il ne faut pas évoquer
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme étudiée à propos du mariage entre alliés (arrêt B
et L c/ Royaume-Uni de 2005) :
- En effet, cette jurisprudence concerne la prohibition de l’inceste entre alliés, laquelle peut être surmontée par
une dispense. Or, à présent, nous étudions la prohibition d’établir un double lien de filiation en cas d’inceste
absolu.
- En outre, il est alors question d’interdire un mariage (alors que nous envisageons à présent l’établissement
d’une filiation).

IV. Les présomptions relatives à la conception

Il est souvent important de connaître la date de la conception d’un enfant pour identifier le père.

En vertu de l’article 311, alinéa 1, du Code civil, la loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui
s’étend du 300e au 180e jour inclusivement avant la naissance (soit de 10 à 6 mois avant la naissance, environ).
Cette période s’appelle la période légale de conception. Elle correspond au plerumque fit, soit la situation qui est
la plus répandue en pratique.

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À l’intérieur de cette période, la loi présume que la conception a eu lieu à un moment quelconque suivant
l’intérêt de l’enfant (article 311, alinéa 2, du Code civil).

Exemple : un enfant est né le 31 décembre 2015. 300 jours avant la naissance, nous amène au 7 mars
2015. 180 jours avant la naissance, nous amène au 5 juillet 2015. La période légale de conception
s’étend donc du 7 mars au 5 juillet 2015. À l’intérieur de cette période, la date de la conception peut
être placée à un moment quelconque de cette période, en fonction de l’intérêt de l’enfant.

Quel peut être cet intérêt ? Il peut être lié à un mariage ou encore décès du mari dans cette période.

Dans notre exemple, si la femme est mariée et que le mari décède en avril, la présomption permet de
considérer que la conception est antérieure au décès. Autrement dit, on rattache alors l’enfant au mari
décédé (par un lien de filiation).

Enfin, il faut encore préciser que ces deux présomptions sont des présomptions simples, ou réfragables (article
311, alinéa 3). En d’autres termes, il est permis d’apporter la preuve contraire, notamment à l’aide d’expertises
biologiques qui permettent d’écarter ou de prouver une paternité avec une quasi-certitude. Le caractère
réfragable de la présomption est consacré pour permettre le triomphe de la vérité biologique.

SECTION 2. L’ETABLISSEMENT NON CONTENTIEUX DE LA FILIATION

Dans l’immense majorité des cas la filiation est établie en dehors d’un tribunal, de manière non-contentieuse.

Le Code civil dénombre 3 modes d’établissement non-contentieux de la filiation : par l’effet de la loi (I), par
reconnaissance (II) et par possession d’état (III).

Vocabulaire : la notion d’établissement « légal » de la filiation (ou établissement de la filiation selon la loi) revêt
plusieurs sens.

Au sens large, cela désigne tous les modes d’établissement de la filiation (donc hors et en contentieux) prévus
par la loi (le Code civil, en fait).

Au sens strict, cela vise les modes d’établissement de la filiation hors contentieux par le « seul » effet de la loi
(soit l’acte de naissance et la présomption de paternité, ce dont il va être à présent question).

I. L’établissement de la filiation par l’effet de la loi

Sur ce point, l’ordonnance du 4 juillet 2005 apporte une innovation et consacre une solution traditionnelle.
L’innovation concerne la filiation maternelle (A), la tradition, la filiation paternelle (B).

A. LA FILIATION MATERNELLE : L’ACTE DE NAISSANCE

L’article 311-25 du Code civil dispose que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-
ci dans l’acte de naissance ».

L’acte de naissance d’un enfant est un acte authentique, qui est établi par un officier d’État civil (à la mairie) du
lieu de la naissance. C’est un mode de preuve très répandu dès lors que la loi oblige pères et médecins à déclarer
l’enfant à l’État civil rapidement après sa naissance (articles 55 et 56 du Code civil : 5 jours après la naissance.
C’est le père qui doit déclarer et, à défaut, toute personne ayant assisté à l’accouchement). Il s’agit donc d’une
preuve préconstituée, qui est établie sous le contrôle de l’autorité publique.

Remarques :
• La maternité établie par l’acte de naissance se fonde sur la conformité à la vérité biologique (le père ou le
médecin déclare que l’enfant qui est né est biologiquement celui de la femme).

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• Il est possible de déclarer l’enfant sous le nom de jeune fille de la mère (et non sous son nom d’épouse), ce
qui permet aux enfants adultérins a matre d’avoir une filiation maternelle, sans toutefois déclencher le jeu
de la présomption de paternité du mari (qui n’est pas le père, puisque l’enfant est adultérin).
• La filiation maternelle établie par l’acte de naissance ne passe pas, en pratique, par une manifestation de
volonté de la mère (c’est le père qui déclare la naissance dans les faits) … sauf à considérer, dans l’hypothèse
d’une mère mariée, que cette dernière a préalablement manifesté sa volonté d’assumer sa maternité
lorsqu’elle a consenti au mariage (ce qui est peut-être un peu excessif).
C’est très différent pour les pères (qui vont déclarer l’enfant à l’État civil, ce qui va déclencher le jeu de la
présomption de paternité ou leur permettre de reconnaître l’enfant hors mariage). Dans tous les cas, l’acte
suppose la volonté du père.
La doctrine relève qu’il est pour le moins curieux d’opérer une telle distinction entre la filiation maternelle
et la filiation paternelle.
• La désignation de la mère dans l’acte de naissance établit uniquement que la mère a accouché d’un enfant
à la date indiquée. En revanche, l’acte de naissance ne prouve pas que celui qui s’en prévaut est l’enfant
dont elle a accouché, de sorte que si la question est discutée, ce dernier devra prouver (par tous moyens)
cet élément de fait.
• La mention de l’identité de la mère n’est pas obligatoire. La mère a donc la faculté de demander le secret de
son identité (= accouchement sous X). Cf. l’article 326 du Code civil. On y reviendra.

B. LA FILIATION PATERNELLE : LA PRESOMPTION DE PATERNITE DU MARI

Important : cette présomption ne joue qu’en présence d’un couple marié

A cette occasion, on constate donc que si l’ordonnance de 2005 a supprimé les notions de filiation légitime et
naturelle, elle n’a pas effacé toute différence, s’agissant de l’établissement de la filiation, entre les parents mariés
et ceux qui ne le sont pas. L’homme marié voit sa filiation établie « par le seul effet de la loi », alors que l’homme
qui n’est pas marié doit reconnaître son enfant.

Conséquence de la présomption de paternité : la présomption de paternité entraîne l’indivisibilité de la filiation


en mariage. Paternité et maternité sont en même temps établies. Cornu disait ainsi : « cherchez la mère, grâce
au mariage, voilà le père ».

Pourquoi l’enfant d’une femme marié est-il présumé avoir le mari de sa mère comme père ? Quelles sont les
justifications de la présomption de paternité ?

• Une première justification peut être tirée des devoirs et obligations du mariage :

1. L’obligation de fidélité qui existe en mariage permet de présumer qu’en règle générale, les
enfants sont ceux du mari. Cette justification a été évoquée dans le rapport remis au président
de la République au soutien de la réforme de 2005 (qui a conservé la présomption de
paternité).

Mais la preuve d’un adultère (= une femme infidèle) de suffit pas à neutraliser l’application de
la présomption de paternité. En outre, à l’inverse, on va parfois neutraliser cette présomption
alors même que l’obligation de fidélité survit (par exemple dans le cadre d’un divorce
contentieux. Cf. ci-après).

2. L’obligation de communauté de vie est une autre justification, qui est parfois avancée au
soutien de la présomption de paternité. Cependant, elle soulève les mêmes objections.

Plus généralement, la doctrine relève qu’il est difficile d’asseoir la présomption sur les devoirs du
mariage dès lors que la présomption couvre des enfants nés pendant le mariage, mais conçus avant (soit
lorsque les devoirs et obligations du mariage ne s’imposaient pas).

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Cours de Mme Traullé réservé à l’usage personnel des étudiants de l’UVSQ

• Le mari accepterait par avance la paternité des enfants à naître de sa femme (présomption découlant,
donc, de la volonté du mari). A nouveau, ce fondement a été évoqué dans le cadre du rapport remis du
président de la République au soutien de la réforme de 2005.

Mais le père peut revenir sur cette acceptation en contestant sa paternité. En outre, l’explication est un
peu artificielle : est-ce que lorsqu’un homme se marie, il pense à accepter les enfants de sa femme à
venir ?

• Le plerumque fit (souvenez-vous, c’est l’argument « statistique ») est enfin régulièrement avancé au
soutien de la présomption de paternité. Il est vrai qu’en règle générale, les enfants nés dans les
conditions évoquées par la présomption sont bien du mari. Il faut alors ajouter qu’un tel argument
s’appuie sur la vérité biologique.

Mais :

1. A ce compte-là, on devrait envisager d’étendre l’empire de la présomption.

▪ Pourquoi ne pas l’appliquer aux PACS et aux concubinages stables ? En règle générale, la
femme qui a un enfant dans de telles conditions l’a conçu avec son partenaire ou son concubin.
Il faudrait alors étendre la présomption de paternité à toutes les hypothèses de cohabitation
stable.

Cependant, à raisonner de la sorte, la présomption de paternité ne devient-elle pas trop


étendue. Si on appliquait la présomption de paternité dans tous les couples stables, il y aurait
très peu de place pour les autres modes d’établissement de la paternité, qui deviendraient
marginaux. Qui ira reconnaître l’enfant ? Celui qui ne cohabite pas avec la mère, ce qui est
finalement relativement rare.
En outre, qu’est-ce qu’une cohabitation stable ?

▪ Et quid du mariage entre les personnes de même sexe ? Aujourd’hui, la présomption de


paternité joue pour les seuls mariages hétérosexuels.

Pourquoi cela ? C’est lié au contexte de l’introduction du mariage pour tous. Ceux qui ont
proposé l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe ont détaché le mariage de la
procréation. Ils ont fait valoir que le mariage n’avait pas à être le berceau d’une famille (par le
sang). Le mariage devait être centré sur l’union du couple (par sur les enfants). Dès lors, la
parenté ou la parentalité ne doit pas découler automatiquement (par le biais d’une
présomption de paternité) du mariage entre personnes de même sexe.

Mais aujourd’hui, n’y a-t-il pas là une discrimination que d’aucuns (la Cour européenne des
droits de l’homme, le législateur ?) jugeront d’ici peu inacceptable ? Allons-nous vers une
extension du jeu de la présomption de paternité au profit des couples de même sexe ?

2. Au demeurant, on pourrait aussi envisager l’inverse, à savoir la suppression de cette présomption.


Après tout, aujourd’hui on pourrait facilement prouver, avec la biologie, la paternité du mari.
Cependant, cela aurait un coût non négligeable.

Reste alors la possibilité de considérer que l’indication du nom du mari, au moment de


l’établissement de l’acte de naissance, vaut comme preuve de sa paternité. Certes, mais il faudrait
également admettre cette solution pour les enfants nés hors mariage (cf. l’évolution sur la preuve
de la maternité par la mention du nom de la mère dans l’acte de naissance : initialement réservée
aux femmes mariées, aujourd’hui étendue à toutes les femmes). Cependant, dans ce cas, n’ira-t-
on pas vers une « désinstitutionnalisation » du mariage ?

En définitive, force est de constater que la question du fondement de la présomption de paternité est loin d’être
résolue aujourd’hui (et pour cause : c’est une question qui est loin d’être simple !).

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Cours de Mme Traullé réservé à l’usage personnel des étudiants de l’UVSQ

Alors, oublions le droit prospectif et revenons-en au droit positif. En 2005, la présomption de paternité du mari
a été conservée : le père est celui que le mariage désigne comme tel. De ce que l’enfant a pour mère telle femme
mariée, fait connu, la loi tire quant au fait inconnu de la paternité la conséquence que le mari est le père et il en
résulte une dispense de preuve au profit de tous les intéressés. C’est un bel exemple de présomption légale. Il
faut en étudier l’étendue (1°) et les limites (2°).

1°) Étendue de la présomption de paternité

Le principe résulte désormais de l’article 312 du Code civil : « l'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour
père le mari ».

Cette solution n’appelle pas de remarque particulière pour ce qui est de la conception pendant le mariage. En
revanche, la solution est plus originale pour ce qui concerne l’enfant né pendant le mariage. En effet, la naissance
pendant le mariage n’implique pas que l’enfant ait été conçu pendant le mariage : l’enfant né dans les 179
premiers jours du mariage (6 mois) a manifestement été conçu avant le mariage.

2°) Limites de la présomption de paternité

Il est des hypothèses où, bien que la conception se situe pendant le mariage, la présomption de paternité est
écartée (a). Mais elle peut être rétablie à la suite de la constatation de certains faits (b).

a/ La neutralisation de la présomption

L’article 313 du Code civil (dans sa rédaction issue de la loi du 23 mars 2019) prévoit deux cas de mise à l’écart
de la présomption de paternité du mari :

1. La présomption est écartée de plein droit s’agissant des enfants d’une femme mariée inscrits à l’État
civil sans indication du nom du mari en qualité de père. De fait, de telles circonstances donnent à penser
que le mari de la mère n’est pas le père de l’enfant (il y a bien une raison qui explique que le déclarant
n’ait pas indiqué le nom du mari de la mère, comme père de l’enfant. Quelle peut-être cette raison, si
ce n’est qu’il n’est pas le père de l’enfant ?).

2. La présomption de paternité est également écartée (dans les mêmes conditions, donc de plein droit)
pour les enfants conçus au cours d’une période de séparation légale (mais pendant le mariage). A
nouveau, la raison est liée aux apparences : dans de telles circonstances (séparation légale… pas de fait),
le mari de la mère n’est vraisemblablement pas le père.
Qu’est-ce alors qu’une séparation légale ? Sont ici visées, la procédure de divorce ainsi que celle tendant
au prononcé d’une séparation de corps.
De façon plus précise, l’article 313 du Code civil vise les enfants nés plus de 300 jours après
l’introduction de la demande (en divorce ou en séparation de corps, soit à un moment où les époux ne
cohabitent plus, ce qui rend la présomption peu vraisemblable. Il n’y a plus de plerumque fit…) ou après
le dépôt de la convention dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel hors présence du juge
(donc 300 jours après le divorce… ce qui suppose un enfant conçu et né hors mariage. Il est alors logique
que la présomption ne joue plus !). Le même texte neutralise encore la présomption de paternité s’il y
a eu rejet définitif de la demande ou réconciliation des époux et que l’enfant est né moins de 180 jours
après cet évènement (le rejet définitif de la demande ou la réconciliation). A nouveau, cela se comprend
aisément au regard du plerumque fit… Si on prend le cas de l’enfant né moins de 180 jours après la
réconciliation, cela signifie que l’enfant a été conçu avant la réconciliation et pendant une période de
séparation légale.

Dans toutes ces hypothèses, la neutralisation de la présomption de paternité traduit le souci de faire prévaloir la
vérité biologique.

b/ Le rétablissement de la présomption de paternité

Plusieurs hypothèses de rétablissement de la présomption de paternité sont prévues par le Code civil.

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Selon l’article 314 du Code civil, la présomption de paternité est rétablie de plein droit (= sans avoir à saisir un
juge pour le faire constater) si l’enfant a la possession d’état à l’égard de chacun des époux ET s’il n’a pas une
filiation paternelle déjà établie à l’égard d’un tiers (si c’est le cas, le mari devra d’abord contester la filiation
établie au profit du tiers puis fera jouer le rétablissement de la présomption de paternité pour établir sa filiation.
C’est une des conséquences du principe chronologique que l’on va étudier par la suite).
L’idée est alors la suivante : les parents se réconcilient et donnent à l’enfant la possession d'état d’enfant du
couple.

Mais cette règle soulève un certain nombre de questions :

- Faut-il que la possession d’état existe dès la naissance ? Le texte ne l’exige pas. Et que décider en cas de
possession d’état qui a existé mais a aujourd’hui disparu ?

- La possession d’état doit-elle être constatée par un acte de notoriété (ce qui est le principe lorsqu’on
prouve la filiation par le seul recours à la possession d’état. Cf. ci-après) ? Certains auteurs estiment que le
silence du texte, sur l’acte de notoriété, conduit à écarter une telle exigence. La possession d’état seule (ou
« nue ») suffirait donc à rétablir la présomption de paternité. Mais cette analyse ne fait pas l’unanimité.
D’autres auteurs (et une circulaire de la Chancellerie de 2006 !) estiment qu’il faut avoir recours à l’acte de
notoriété.

Par ailleurs, selon l’article 315 du Code civil, la présomption peut également être rétablie en justice. Il faudra
alors prouver par tous moyens que le mari est le père (cf infra).

Mais, encore une fois, cela n’est pas envisageable si l’enfant a une filiation établie à l’égard d’un tiers. Dans une
telle hypothèse, celui qui agit en justice pour obtenir le rétablissement de la présomption de paternité (le père,
la mère ou l’enfant majeur) devra préalablement contester le lien de filiation établi au profit du tiers. C’est à
nouveau le jeu du principe chronologique qui commande une telle solution.

Enfin, il faut relever l’existence d’une limite pratique au jeu de l’action en justice : le mari de la mère peut établir
sa paternité par le biais d’une reconnaissance de paternité, (sauf si une telle reconnaissance a déjà été réalisée
par un autre homme. C’est encore et toujours le principe chronologique). Et les pères vont souvent préférer avoir
recours à la reconnaissance paternelle, plutôt qu’à l’action en justice (plus rapide et moins coûteux).

Pourquoi laisser ainsi la possibilité au mari de reconnaître l’enfant ? Cela permet de faire contrepoids à
la volonté de la mère (qui n’a pas indiqué le nom du mari au moment de l’établissement de l’acte de
naissance et qui peut éventuellement faire obstacle à la possession d’état). Le mari doit pouvoir établir
sa paternité par une reconnaissance, sans avoir à agir en justice.

Il convient toutefois de réserver certaines hypothèses (= l’action en rétablissement de la présomption


de paternité peut conserver une certaine utilité) : le rétablissement en justice de la présomption de
paternité suppose en effet que soit rapportée la preuve biologique du lien de paternité (ce que n’exige
pas une reconnaissance). Un père peut dès lors préférer agir en justice pour clarifier définitivement la
question de sa paternité plutôt que d’opter pour une reconnaissance.

II. L’établissement de la filiation par reconnaissance

La reconnaissance, c’est une déclaration faite, dans des conditions de forme déterminées, par un homme ou une
femme et qui indique que le déclarant se prétend être le père ou la mère de l’enfant.

A. CONDITIONS

Distinction des conditions de fond (1°), des conditions de forme (2°). Puis il faudra préciser les sanctions en cas
de méconnaissance de ces conditions (3°).

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1°) Conditions de fond

a/ Conditions relatives à l’auteur

La reconnaissance est un acte juridique, plus précisément un acte unilatéral de volonté.

Cela emporte plusieurs conséquences :


• La volonté doit être consciente : la reconnaissance peut être annulée pour absence de consentement due à
une altération des facultés mentales.
• Le consentement ne doit pas être vicié : la reconnaissance peut être annulée pour erreur ou pour violence
(nullité relative, donc possibilité de confirmation). Mais c’est assez théorique. En pratique, si les tribunaux
estiment que la reconnaissance correspond à la réalité biologique, il y a de grandes chances qu’ils refusent
d’annuler l’acte pour vice du consentement.

Important : l’absence de condition de délai

La reconnaissance d’un enfant n’est enfermée dans aucune condition de délai. Elle peut donc avoir lieu à tout
moment, de la vie de son auteur et de la vie de l’enfant (sous réserve de ce que l’enfant reconnu ne dispose pas
d’une filiation établie antérieurement. C’est le jeu du principe chronologique sur lequel nous allons revenir par
la suite).

b/ Conditions relatives à l’enfant

Tout enfant peut être reconnu sauf :

1. En cas d’inceste absolu (article 310-2 du Code civil).

2. Lorsque l’enfant dispose déjà d’une filiation :

a. Il peut s’agir d’un lien de filiation contraire qui aurait été établi antérieurement à l’égard d’un
tiers. Dans une telle hypothèse, le parent prétendu doit d’abord agir en contestation, aux fins
d’obtenir l’annulation de la filiation actuelle de l’enfant.

C’est l’application du principe chronologique (consacré par l’article 320 du Code civil et sur
lequel nous allons bientôt revenir plus en détail) qui commande une telle solution.

b. Mais l’enfant peut également disposer d’une filiation identique, à l’endroit de celui qui
voudrait le reconnaître (la filiation aurait déjà été établie par le jeu de l’acte de naissance ou
de la présomption de paternité). Or, en droit français, on ne peut pas reconnaître un enfant
qui dispose déjà d’une filiation établie à l’égard de celle ou celui qui veut la reconnaître.

Ici, c’est le principe de subsidiarité de la reconnaissance qui impose une telle solution. L’article
316 du Code civil dispose en ce sens que « lorsque la filiation n'est pas établie dans les
conditions prévues à la section I du présent chapitre [c’est-à-dire lorsque l’acte de naissance
ou le jeu de la présomption de paternité n’établissent pas déjà la filiation de l’enfant à l’endroit
du parent prétendu], elle peut l'être par une reconnaissance… ».

Très concrètement, cela signifie que la reconnaissance est très utilisée par les pères qui ne sont
pas mariés avec la mère de l’enfant.

Faut-il, en outre, que l’enfant soit en vie au moment de la reconnaissance ? Non, on admet tant les
reconnaissances posthumes, que les reconnaissances prénatales.

Les reconnaissances posthumes :

Leur validité est discutée. La loi ne dit rien à ce sujet, mais il y a un soupçon si les parents se sont désintéressés
de l’enfant de son vivant et ne s’en préoccupent qu’à sa mort, pour hériter (s’il ne laisse pas de descendance).

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De vieux arrêts ont admis la validité de reconnaissances posthumes. Aujourd’hui, on déduit du silence du Code
civil qu’une telle reconnaissance doit être admise.

Pour aller plus loin : les propositions doctrinales en matière de reconnaissance posthume

La doctrine suggère de poser des limites aux reconnaissances posthumes, comme de n’admettre la
reconnaissance après la mort que lorsque les parents ne peuvent pas hériter (donc en présence de descendants).
Ou alors, il faudrait admettre la reconnaissance posthume sans condition, mais en la privant de tout effet
successoral.

Les reconnaissances prénatales :

La possibilité d'une reconnaissance prénatale est expressément admise par l'article 316 du Code civil, qui précise
que la reconnaissance peut être faite avant ou après la naissance.

Cependant, la reconnaissance ne peut être faite que si l'enfant est déjà conçu. On ne peut pas reconnaître, à
l'avance, les enfants qu'une femme pourrait mettre au monde (l'officier de l'État civil n'est cependant pas en
droit d'exiger un certificat de grossesse). En outre, il faut ajouter que la reconnaissance prénatale ne produira
effet que si l’enfant naît vivant et viable.

Quel peut être l’intérêt de procéder à une reconnaissance prénatale ? Les hypothèses sont diverses. On peut
envisager une femme (mariée ou non) qui veut accoucher sous X, alors que le père veut assumer sa paternité
(on va y revenir). On peut aussi envisager l’hypothèse du père ou de la mère qui risque de décéder avant la
naissance.

Le problème du conflit entre une reconnaissance prénatale (faite par un tiers) et le jeu de la présomption de
paternité (au profit du mari de la mère) :

La première difficulté vient du jeu du principe chronologique : quelle est la filiation qui est établie en premier
dans cette hypothèse, c’est-à-dire lorsqu’une reconnaissance prénatale a été effectuée au profit d’un tiers et
que le mari de la mère bénéficie dans le même temps du jeu de la présomption de paternité ?

Faut-il avoir égard à la date d’établissement de l’acte, et la reconnaissance prénatale prévaudra alors
sur la présomption de paternité qui ne s’appliquera qu’au moment de la naissance de l’enfant ? Cette
solution peut être dangereuse en cas de reconnaissance frauduleuse. Un tiers mal intentionné peut alors
priver le mari, vrai père de l’enfant, du jeu de la présomption de paternité, lequel n’aura, de surcroît,
pas toujours connaissance de l’existence d’une reconnaissance prénatale relative à son enfant.

Ou bien faut-il considérer que les deux filiations sont établies au même moment (celui de la naissance
de l’enfant, puisque la reconnaissance ne prend effet qu’à cette date) ?

Pour mettre fin à ces difficultés, le législateur est intervenu. L’article 336-1 du Code civil prévoit en ce sens que
« lorsqu’il détient une reconnaissance paternelle prénatale dont les énonciations relatives à son auteur sont
contredites par les informations concernant le père que lui communique le déclarant, l’officier d’État civil
compétent en application de l’article 55 établit l’acte de naissance au vu des informations communiquées par
le déclarant. Il en avise sans délai le procureur de la République qui élève le conflit de paternité sur le fondement
de l’article 336 ». C’est donc le juge qui va trancher le conflit, en ayant vraisemblablement recours à la preuve
biologique.

Le problème des reconnaissances prénatales avec accouchement sous X :

Précisons la difficulté : une femme décide d’accoucher sous X et, afin d’être certaine que son identité sera
ignorée de l’enfant, elle tient le père à l’écart de l’accouchement. L’homme peut alors reconnaître l’enfant avant
l’accouchement de la mère (= il fait une reconnaissance prénatale). Mais il ne peut pas identifier rapidement
l’enfant concerné à la naissance de celui-ci. En effet, tenu à l’écart de l’accouchement, il ne sait pas quand, ni où
l’enfant est né. Or, il lui faut ces deux informations pour retrouver l’acte de naissance de l’enfant et faire inscrire

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sa reconnaissance sur cet acte de naissance. La reconnaissance paternelle n’étant pas rapprochée de l’enfant,
celui-ci naît sans père identifié à la naissance et va rapidement être placé en vue d’une adoption.

Or, l’article 352-2 du Code civil dispose, dans son premier alinéa, que « le placement en vue de l'adoption
plénière fait obstacle à toute restitution de l'enfant à sa famille d'origine. Il [= le placement de l’enfant] fait échec
à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance ». Dans de telles conditions, on s’est demandé si la
reconnaissance prénatale n’était pas de nature à permettre l’établissement d’un lien de filiation qui préexiste au
placement et autoriserait donc la restitution de l’enfant.

En faveur d’une réponse positive, certains soulignent que le fait que la reconnaissance n’ait pas été
transcrite immédiatement en marge de l’acte de naissance de l’enfant ne changerait rien. La
reconnaissance produirait effet dès la naissance de l’enfant. Celui-ci serait, en droit, doté d’une filiation
paternelle à compter de sa naissance, donc au moment de son placement. Or, dans un tel cas de figure,
l’adoption ne devrait-elle pas intervenir avec le consentement du père (qui n’a bien évidemment pas été
obtenu dans les faits) ?
A ce premier argument, il est ajouté que la philosophie de l’adoption envisagée à la suite d’un
accouchement sous X serait en ce sens : l’adoption est là pour donner une famille à l’enfant qui n’en a
pas. Celui qui en a une (ne serait-ce que paternelle) doit rester dans sa famille par le sang. L’adoption n’est
pas là pour priver un père par le sang d’un enfant qu’il souhaite prendre en charge depuis sa naissance.

Comme souvent en droit, les choses ne sont toutefois pas si simples et il existe des arguments en sens
inverse (= plaidant en faveur de la validité de l’adoption à laquelle le père n’a pas consenti). Un autre
texte, l’article L. 224-4, 1°, du Code de l’action sociale et des familles, prévoit en effet que « sont admis
comme pupille de l’état », les enfants dont la filiation (paternelle dans notre hypothèse) est « inconnue »
(ce qui semble correspondre à l’enfant né sous X dont la filiation paternelle n’est pas transcrite en marge
de l’acte de naissance : il a peut-être une filiation, mais celle-ci n’est pas « connue ». En d’autres termes,
le CASF ne se place pas sur le terrain du droit, mais sur celui de la « connaissance » de la filiation juridique…
ce qui est tout autre chose). Une fois qu’il est pupille de l’Etat, l’enfant est donné à l’adoption par le conseil
de famille des pupilles de l’Etat (pas par son père par le sang).
Sans compter que les adoptants ont un droit légitime à voir leur situation être définitivement consolidée
le plus rapidement possible. Doivent-ils vivre avec l’épée de Damoclès que constituerait l’irruption du
père par le sang au bout de plusieurs mois de vie commune avec l’enfant ?

La Cour de cassation a dû trancher cette difficulté. Elle l’a fait en tentant de ménager les intérêts du père par le
sang et ceux des adoptants, sans oublier de faire prévaloir l’intérêt de l’enfant.

Civ. 1, 7 avril 2006, affaire « Benjamin » : un père procède à une reconnaissance prénatale. La mère
accouche sous X. L’enfant est admis comme pupille de l’Etat, puis placé dans une famille en vue de son
adoption. Pendant ce temps, le père entreprend des démarches pour retrouver son enfant (il saisit le
procureur de la République, mais à l’époque le rôle de celui-ci dans un tel domaine est mal défini : le
procureur ne l’aide pas vraiment. Il commence par répondre que le père doit assigner la mère pour savoir
où est l’enfant. A la seconde sollicitation, il ne répond pas). Le père finit par retrouver l’enfant et demande
à ce qu’il lui soit restitué. Mais dans le même temps, la famille dans laquelle l’enfant a été placé demande
son adoption plénière. Le conseil de famille des pupilles de l’Etat, averti des intentions du père biologique,
donne néanmoins son consentement à l’adoption. S’en suit une bataille judiciaire dans le cadre de laquelle
la famille qui a recueilli l’enfant demande son adoption et le père demande que son fils lui soit restitué.
Les premiers juges écartent l’adoption, au motif qu’elle est contraire à l’intérêt de l’enfant (qui doit être
élevé par son père) et rendent l’enfant au père.
Mais la cour d’appel infirme le jugement et prononce l’adoption en relevant que la reconnaissance
paternelle se trouvait privée d’efficacité du fait de la volonté de la mère de dissimuler la naissance. Selon
les juges d’appel, dès lors que l’enfant a été placé en vue de son adoption, le père ne peut plus rien faire.
Le conseil de famille a valablement donné son consentement à l’adoption. Et tout cela est conforme à
l’intérêt de l’enfant.
La Cour de cassation va censurer une telle décision, au visa notamment de l’article 7.1 de la Convention
internationale des droits de l’enfant. Selon la Haute Juridiction, la reconnaissance du père a établi la
filiation au jour de la naissance. Et l’enfant ne pouvait plus être adopté sans le consentement du père,

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dès lors que le conseil de famille a donné son consentement à l’adoption après l’identification de
l’enfant par le père et alors qu’il était informé de l’existence de la reconnaissance prénatale du père.

Question : quid lorsque, comme cela peut arriver, le conseil de famille décide du placement en ignorant
l’existence d’une reconnaissance du père antérieure ?
L’arrêt ne répond pas clairement à cette question (qui ne lui était certes pas posée au regard des
circonstances de l’espèce).
Quant à la doctrine, elle a tendance à interpréter l’arrêt a contrario et à considérer que si le conseil de
famille ignore l’existence d’une reconnaissance paternelle lorsqu’il consent à l’adoption, cette dernière
serait régulière.

Le législateur (dans le cadre d’une loi du 22 janvier 2002, relative à l’accès aux origines) a tenté de remédier à
ces difficultés en prévoyant, dans un nouvel article 62-1 du Code civil, que « si la transcription de la
reconnaissance paternelle s’avère impossible, du fait du secret de son identité opposé par la mère, le père peut
en informer le procureur de la République. Celui-ci procède à la recherche des date et lieu d’établissement de
l’acte de naissance de l’enfant » (NB : ce dispositif n’était pas applicable au moment des faits dans l’affaire
Benjamin). L’objectif de la réforme de 2002 est clair : permettre au père de faire transcrire rapidement sa
reconnaissance et ainsi de s’opposer au placement de l’enfant en vue de son adoption.

S’appuyant sur ces nouvelles dispositions, le Conseil constitutionnel a rejeté une question prioritaire de
constitutionnalité qui était dirigée contre les anciens articles 351 et 352 du Code civil. A cette occasion, il s’est
appuyé sur la jurisprudence de la Cour de cassation (décision QPC du 7 février 2020).

Pour comprendre cette décision, il faut commencer par préciser les griefs qui étaient formulés contre
ces textes. En quoi auraient-ils été inconstitutionnels ? Le requérant (un père biologique d’un enfant né
sous X, qui n’avait pu identifier et reconnaître son enfant qu’après son placement en vue de son
adoption) formulait une double critique :

1) C’était tout d’abord le délai de deux mois qui était visé. Il est vrai qu’à l’expiration de ce délai,
l’enfant né sans filiation connue peut être placé en vue de son adoption (anc. art. 351, al. 3). Et, à
partir de ce placement, son père ne peut plus le reconnaître (anc. art. 352, al. 1). Le requérant a
alors soutenu que ce faisant, le Code civil aurait excessivement privilégié la filiation adoptive au
détriment de la filiation par le sang. In fine, le droit (de l’enfant) de mener une vie familiale normale
et son intérêt supérieur auraient été méconnus.

2) Ensuite, le requérant a soutenu que les dispositions du Code civil seraient contraires au principe
d’égalité devant la loi. La mère et le père par le sang seraient en effet soumis au respect du même
traitement (le délai de 2 mois), alors que seule la mère a connaissance de la naissance (donc de ce
que le délai a commencé à courir). En outre, l’égalité de traitement serait encore méconnue au
préjudice du père par le sang, et au profit de la famille adoptive, en ce que le premier ne pourrait
plus faire établir sa filiation à compter du placement de l’enfant chez les seconds.

Ces critiques ont été écartées par le Conseil constitutionnel :

1) Pour ce qui est de la violation du droit de l’enfant à mener une vie familiale normale, le Conseil a
commencé par relever que le législateur avait entendu concilier l’intérêt des parents par le sang et
celui de l’enfant. S’agissant de ce dernier point, le Conseil a insisté sur le fait qu’il était nécessaire
au bon développement de l’enfant d’être rapidement placé au sein d’un environnement stable.
Poursuivant, en s’attachant davantage à la situation du père par le sang, le Conseil a relevé
l’existence de l’article 62-1 du Code civil (qui permet au père de saisir le parquet pour faire
transcrire sa reconnaissance prénatale), ainsi que la position de la Cour de cassation dans l’affaire
Benjamin (un père a pu récupérer son enfant alors qu’il avait été placé en vue de son adoption). Il
en déduit que la conciliation opérée par le législateur entre l’intérêt de l’enfant et celui du père
par le sang n’est pas « manifestement déséquilibrée », de sorte qu’il ne saurait substituer son
appréciation à celle du législateur.

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2) Quant au principe d’égalité, il a rapidement écarté la critique estimant qu’il n’était pas méconnu
dès lors que le Code civil traite pareillement les deux parents et dès lors que le Code n’institue pas
non plus de différence de traitement entre la famille par le sang et la famille adoptive.

Cependant, il n’est pas certain que la Cour européenne des droits de l’homme valide cette approche. La situation
concrète des pères ne semble en effet pas avoir été précisée par le Conseil constitutionnel. Les juges de la rue
de Montpensier n’ont pas déterminé si, dans les faits (= en pratique), un père diligent pouvait retrouver son
enfant avant qu’il ne soit placé (ou bien si, en raison de la brièveté des délais, c’était impossible quand bien
même le ministère public prêterait son concours).

Partant, il n’est guère surprenant de constater qu’une fois la constitutionnalité de la loi française acquise, la Cour
de cassation a opéré un contrôle de conventionnalité (dans le cadre de la même affaire que celle ayant donné
lieu à la QPC précédemment évoquée).

Civ. 1, 27 janvier 2021 : dans cette affaire, il ne faut pas perdre de vue le fait que le père reconnaît son
enfant alors que celle-ci a déjà été placée en vue de son adoption (NB : il n’y avait donc pas de
reconnaissance prénatale. Les faits étaient différents de ceux à l’origine de la jurisprudence Benjamin).
Lorsqu’il apprend que ceux qui ont recueilli l’enfant ont déposé une requête en adoption, il intervient
volontairement à l’instance devant mener à l’adoption de l’enfant.
Les juges du fond appliquent les textes internes et concluent que son intervention est irrecevable. Ils
annulent également la reconnaissance et prononcent l’adoption de l’enfant.
Le père forme un pourvoi en cassation, fondé sur une violation de l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme. Il reproche notamment aux juges du fond de ne pas avoir effectué
de contrôle de proportionnalité in concreto.
La Cour de cassation suit et censure l’arrêt au visa, notamment, du texte international. Il est plus
précisément reproché aux juges du fond de ne pas avoir recherché « si l’irrecevabilité de l’action du
père de naissance, qui n’avait pu, en temps utile, sans que cela puisse lui être reproché, faire valoir
ses droits au cours de la phase administrative de la procédure, ne portait pas, eu égard aux différents
intérêts en présence, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale
en ce qu’elle interdisait l’examen de ses demandes ».

A la lecture de cet arrêt, vous pourriez penser que désormais, la situation du père diligent sera
grandement améliorée grâce au contrôle de conventionnalité. Sa reconnaissance pourrait avoir effet et
le lien de filiation entre l’enfant et lui pourrait être établi (quand bien même la reconnaissance serait
intervenue après le placement de l’enfant !). Il n’est toutefois pas certain que le contrôle de
conventionnalité produise un tel résultat dès lors que, comme la Cour de cassation l’a au demeurant
rappelé dans l’arrêt, l’intérêt primordial, dans ces affaires, est celui de l’enfant (pas celui des adultes,
adoptants et père biologique). Or, les juges ont tendance à considérer que la stabilité de
l’environnement familial est un élément décisif. Partant, ils ont du mal à retirer l’enfant de la famille
adoptive lorsqu’il est acquis que le quotidien de l’enfant est actuellement agréable et sera bouleversé
s’il vient à être remis à son père biologique.

2°) Conditions de forme

S’agissant d’un acte solennel, la loi exige que la reconnaissance d’un enfant soit faite par un acte authentique.
L’objectif d’une telle exigence est double : il s’agit de protéger l’auteur de la reconnaissance en attirant son
attention sur la gravité de l’acte et de garantir la sécurité juridique (quant à la qualité de l’acte et à l’information
des tiers).

Mais il peut s’agir de n’importe quel acte authentique, notamment d’une déclaration devant un officier de l’État
civil qui n’est pas forcément celui du lieu de naissance (NB : il peut être fait mention de la déclaration devant
l’officier d’État civil dans l’acte de naissance, mais cette déclaration peut également intervenir après et ne sera
donc pas mentionnée dans l’acte de naissance), d’un acte notarié ou d’un aveu judiciaire.

Ces règles font qu’en pratique, le même enfant peut faire l’objet de plusieurs reconnaissances faites en des
lieux différents. L’officier d’État civil est en effet tenu de recevoir la seconde ou la troisième reconnaissance
(surtout que la plupart du temps il ne sera pas au courant de l’existence de la première), mais uniquement à titre

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conservatoire (lorsqu’il a connaissance d’une reconnaissance antérieure) : les reconnaissances « en surnombre »


vont demeurer sans effet jusqu’à l’annulation éventuelle de la première. Il faudra donc contester la première, en
application du critère chronologique utilisé pour résoudre un tel conflit (article 320 du Code civil).

3°) Sanction : la nullité d’une reconnaissance irrégulière

La nullité absolue est encourue en cas de violation de l’article 310-2 du Code civil (c’est-à-dire en cas de
reconnaissance incestueuse) ou de vice de forme.

La nullité relative peut être demandée en cas de vice ou de défaut du consentement de son auteur.

Mais dans tous les cas, la prescription est de 5 ans, ce qui peut sembler étrange, par exemple en matière d’inceste
où la nullité du mariage pour inceste est soumise à une prescription plus longue, de 30 ans en principe.

Quant à son exactitude et sa sincérité, elles peuvent être contestées dans les conditions des articles 332 à 334
du Code civil (cf. reconnaissance mensongère infra).

B. EFFETS

La reconnaissance rétroagit, ce qui signifie qu’elle établit le lien à compter de la naissance de l’enfant.

En outre, elle est irrévocable. L’auteur de la reconnaissance ne peut la révoquer de sa seule volonté. Il peut certes
en contester la véracité (= dire qu’elle ne correspond pas à la réalité biologique). Mais il faut, pour cela, exercer
une action en justice au cours de laquelle la preuve du caractère mensonger de la reconnaissance devra être
rapportée (cf. infra).

III. L’établissement de la filiation par la possession d’état

Lorsqu’elle est établie par la possession d’état, la filiation repose sur le vécu. La filiation est déduite d’une
situation objective : le droit envisage uniquement la façon dont les gens vivent (comme enfant, mère, père de….).
On parle parfois de vérité sociologique, par opposition aux hypothèses où la filiation est fondée sur la vérité
biologique ou sur la volonté.

Après avoir précisé le rôle et les effets de la possession d’état (A), nous verrons la façon dont la possession d’état
est établie (B).

A. ROLES ET EFFETS DE LA POSSESSION D’ETAT

Dans le cadre des développements qui suivent, la possession d’état est envisagée comme mode de preuve
autonome de la filiation (= il n’est pas fait appel à d’autres modes d’établissement de la filiation, comme la
présomption de paternité ou l’action en justice. La filiation sera établie sur le seul fondement de la possession
d’état). En effet, les articles 310-1 et 310-3 du Code civil la placent parmi les modes d’établissement de la filiation,
au même titre que la reconnaissance volontaire ou l’effet de la loi (= présomption de paternité ou acte de
naissance). Et cela vaut pour la preuve de la maternité, comme pour celle de la paternité, aussi bien en mariage
qu’hors mariage.

Attention à ne pas tout confondre en ce qui concerne la possession d’état

Comme cela vient d’être souligné, nous étudions à présent la possession d’état en tant que mode de preuve
autonome de la filiation. Dès lors, faites bien attention à ne pas mélanger les présents développements avec
d’autres parties du cours où nous avons évoqué (ou où nous évoquerons) la possession d’état, mais dans une
perspective différente.

Ainsi, nous avons vu que la possession d’état pouvait jouer un rôle complémentaire. Souvenez-vous, c’est
l’hypothèse où la possession d’état permet de rétablir le jeu de la présomption de paternité (lorsqu’elle est
neutralisée si l’enfant est conçu pendant une période de séparation légale ou si le nom du mari ne figure pas sur
l’acte de naissance).

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Par ailleurs, nous verrons également (dans la suite du cours) que la possession d’état peut venir consolider un
titre en le rendant incontestable. Ici, il n’est plus question de présomption permettant d’établir une filiation. Il
s’agit de faire primer la réalité sociologique sur la vérité biologique. Quand bien même le titre (et la possession
d’état qui vient le conforter) ne correspondrai(en)t pas à la vérité biologique, l’intérêt de l’enfant et la
préservation de la paix des familles commandent d’en rester là (et de ne pas avoir égard à la vérité biologique).

Ce mode d’établissement de la filiation est admis parce qu’on considère qu’en règle générale (c’est le plerumque
fit), la vérité sociologique correspond à la vérité biologique. Si parents et enfants se traitent comme tels, c’est
vraisemblablement parce que cela correspond à la réalité biologique (l’enfant est biologiquement le fils ou la fille
de…).

Remarque :

En pratique, la possession d’état joue rarement un rôle de preuve autonome de la filiation. Les enfants ont
souvent un acte de naissance et/ou une reconnaissance qui prouve déjà leur filiation car nous vivons dans une
société « bureaucratique », selon l’expression de Mme Dominique Fenouillet.

Enfin, il faut retenir que la Cour de cassation a jugé, par un avis du 7 mars 2018, qu’« un lien de filiation ne peut
être établi, par la possession d’état, à l’égard du concubin de même sexe que le parent envers lequel la filiation
est déjà établie ». Qu’est-ce que cela signifie ? Et pourquoi avoir retenu une telle solution ?

- Précisons tout d’abord l’hypothèse et la solution : un des membres d’un couple de concubins de même
sexe est père ou mère d’un enfant (ça peut être à l’issue d’une mesure d’assistance à la procréation, ou
encore après une adoption). L’autre n’a pas de lien de filiation à l’égard de l’enfant. Mais ce dernier ou
cette dernière l’élève en se considérant et en se comportant comme son second père ou sa seconde
mère. Ne peut-il/elle pas faire établir un lien de filiation, par l’intermédiaire de la possession d’état ?
Dans ces conditions, vous pouvez vous demander, en premier lieu, pourquoi on ne passe pas par un
autre mode d’établissement de la filiation, comme l’acte de naissance ou la reconnaissance. La réponse
est acquise : cela n’est pas possible dès lors que l’on se trouve en présence de deux parents de même
sexe. Ainsi, s’il s’agit d’un couple de femmes, l’enfant est né avec l’indication de la mère par le sang dans
l’acte de naissance. Il n’est alors pas possible de faire établir un second lien de filiation au profit de la
concubine. En effet, nous avons vu que l’établissement de la filiation par l’acte de naissance repose sur
la vérité biologique (et un enfant ne peut avoir deux mères par le sang, du point de vue biologique). Le
même raisonnement vaut pour la reconnaissance paternelle.
Partant, les couples de concubins de même sexe ont pensé avoir recours à la possession d’état (qui ne
repose pas directement sur la vérité biologique, mais sur la vérité sociologique). Est-ce possible ? La
Cour de cassation a répondu par la négative.

- Comment justifier une telle solution ? L’avis indique qu’une telle solution découle de la loi. La loi du 17
mai 2013 (dite sur le « mariage pour tous ») a ouvert le mariage aux personnes de même sexe. Elle a
également, même si cela a été moins perçu (tout du moins dans l’opinion publique), permis aux couples
de même sexe qui se marient d’adopter un enfant. Ainsi, la réforme de 2013 a permis l’établissement
d’un double lien de filiation au profit de deux parents de même sexe. Mais elle ne l’a fait qu’au profit
d’un couple marié et uniquement dans le cadre d’une adoption. A contrario, le législateur a exclu
l’établissement d’un double lien de filiation au profit de deux personnes de même sexe dans les autres
hypothèses (dont celle envisagée par l’avis du 7 mars 2018, à savoir un couple de concubin qui souhaite
faire appel à la possession d’état pour établir un double lien de filiation par le sang).
Cette interprétation de la volonté du législateur est d’ailleurs confortée, ainsi que la Cour de cassation
le relève, par l’article 6-1 du Code civil. Ce texte prévoit que si le mariage et la filiation adoptive ont les
mêmes effets que les époux ou parents soient de sexe différent ou de même sexe, il n’en va pas de la
sorte des dispositions relatives à la filiation par le sang. Ainsi, la présomption de paternité ne joue qu’au
profit d’un couple de sexe différent. De même, l’établissement de la filiation par la possession d’état ne
joue qu’au profit d’un couple de sexe différent. Et, encore une fois, tout cela découle in fine, de ce que
la filiation par le sang repose largement, en droit français, sur la vérité biologique (même pour ce qui
est de la filiation établie par possession d’état, comme on vient de le voir).

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Enfin, si besoin était, l’article 320 du Code civil et le principe chronologique (que nous reverrons)
confortent une telle analyse : l’enfant ayant déjà une filiation (par le sang) établie au profit d’un premier
père ou d’une première mère, la possession d’état ne peut permettre l’établissement d’un lien de
filiation au profit d’un autre père ou d’une autre mère que si l’on fait tomber le premier lien de filiation…
ce qui n’est assurément pas le but recherché par le couple de concubins dans notre hypothèse. Les deux
pères ou les deux mères veulent avoir un lien de filiation avec l’enfant.

B. ÉTABLISSEMENT DE LA POSSESSION D'ETAT

Maintenant que nous avons cerné l’hypothèse dans laquelle la possession d’état peut permettre d’établir à elle
seule un lien de filiation, encore faut-il savoir ce qu’il faut prouver exactement (1) et comment cela doit être
prouvé (2).

1°) L’objet de la preuve

Il faut distinguer les éléments constitutifs de la possession d’état (a), des caractères ce mode d’établissement de
la filiation (b).

a/ Éléments constitutifs de la possession d'état

L’article 311-1 du Code civil dispose que « la possession d'état s’établit par une réunion suffisante de faits qui
révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir ».
L’idée de départ consiste donc à réunir des éléments qui vont prouver l’existence d’un lien de filiation. Ces
éléments, quels sont-ils ?

L’article 311-1 du Code civil donne la liste des principaux faits dont la réunion constitue la possession d’état. Ces
éléments peuvent être regroupés sous la trilogie classique : tractatus, fama, et nomen.

• Le tractatus (= le comportement) : selon l’article 311-1, alinéa 2, 1° cela signifie que « cette personne a
été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu’elle-même les a traités comme
son ou ses parents ». On inclut, dans cet élément, le fait (pour les prétendus parents) d’avoir pourvu à
l’entretien et à l’éducation de l’enfant (article 311-1, alinéa 2, 2° : « ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu
à son éducation, à son entretien ou à son installation ».

• La fama (= la réputation) : cet élément signifie que « cette personne est reconnue comme leur enfant,
dans la société et par la famille » (article 311-1, alinéa 2, 3°) et « est considérée comme telle par
l’autorité publique » (article 311-1, alinéa 2, 4°). Il faut relever l’importance du rôle de l’autorité
publique (c’est l’exemple de l’école, de la sécurité sociale, etc… : pour toutes ces institutions, l’enfant est
considéré comme étant celui des prétendus parents).

Cette condition de fama acquiert une importance particulière lorsque le père ou la mère de l’enfant
sont décédés et notamment lorsque le décès remonte loin dans le passé : les éléments du tractatus
seront minces (du fait du décès, donc de l’absence de relation avec le parent, spécialement s’il s’agit du
père et qu’il est décédé avant la naissance), mais cela sera contrebalancé par la fama.

• Enfin, il y a le nomen (ou le nom). L’individu doit avoir porté le nom de ceux dont on le dit issu (article
311-1, alinéa 2, 5°). Dans la famille fondée sur le mariage, il s’agit le plus souvent du nom du père (même
si depuis une loi de 2002, les parents peuvent choisir de transmettre les deux noms).

La réunion de tous les éléments énumérés par l’article 311-1 du Code civil n’est cependant pas nécessaire pour
que la possession d'état puisse être considérée comme établie. Il suffit, comme le prévoit le texte, qu’il y ait une
réunion suffisante de faits, c’est-à-dire la réunion de plusieurs éléments concordants. C’est le système du
faisceau d’indices.

En outre, l’énumération contenue à l’article 311-1, alinéa 2, du Code civil n’est pas limitative (on peut trouver
d’autres éléments qui vont établir l’existence d’un lien de filiation dans les faits).
Exemple : la déclaration de l’enfant à l’État civil qui aurait été faite par le père prétendu.

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b/ Caractères de la possession d’état

Pour être constituée, d’après l’article 311-2 du Code civil, la possession d’état doit être continue, paisible,
publique et non-équivoque. Cela ne signifie pas que chacun des éléments, considéré isolément, doit avoir existé
pendant toute la période considérée. Il faut porter une appréciation globale sur ces différents éléments.

- Il résulte d’abord du texte que la possession d’état doit être continue. Cependant, il n’est pas nécessaire que
les faits constitutifs de la possession d’état se déroulent à chaque instant. Simplement, ils doivent être conformes
à la normale dans la situation considérée. Ainsi, il n'est pas nécessaire, notamment, qu’il y ait communauté de
vie entre les parents ou relations constantes ; l’exercice du droit de visite peut s'avérer suffisant. Mais on ne
saurait se contenter de faits isolés et passagers.

L’exigence d'une continuité de la possession d’état implique en principe qu’elle ait une certaine durée : elle
gagne en crédibilité et en force à mesure que le temps passe.

• il n’est cependant pas nécessaire qu’elle remonte à la naissance. Les textes ne le précisent pas
expressément, mais ils n’imposent pas le contraire. Une possession d’état commencée bien après la
naissance pourrait donc valoir.

• il est aussi admis (en doctrine) qu'il n’est pas indispensable que la possession d’état existe au moment
où on l’invoque, notamment lorsqu’elle n’a cessé que par violence ou par fraude.
La solution est toutefois incertaine car les textes ne sont pas clairs sur le sujet : l’article 311-1, alinéa 2,
du Code civil semble admettre que le tractatus peut avoir cessé mais évoque, au présent, la fama et le
nomen.

• enfin, il est possible de prendre en considération des faits antérieurs à la naissance (notamment en cas
de décès du père). L’article 317, alinéa 3, du Code civil prévoit ainsi la possibilité de délivrer un acte de
notoriété constatant la possession d’état, alors que le père est décédé avant la naissance. C’est
admettre que la possession d’état sera fondée sur des faits antérieurs à la naissance.

- Le texte exige en outre que la possession d'état soit « paisible, publique et non équivoque ». Qu’est-ce que cela
signifie, plus précisément ?
Paisible : la possession d’état est établie sans violence.
Publique : la possession d’état n’est pas cachée ou occulte.
Equivoque : cela vise l’hypothèse de plusieurs possessions d’état concurrentes ou d’une attitude ambiguë du
prétendu parent (exemple : l’oncle qui s’occupe du fils de son frère décédé, comme si c’était le sien).

Civ. 1, 23 juin 1987 : celui qui était alors le mari de la mère déclare l’enfant à la mairie, prend des
photos à la maternité, fait publier un faire-part de naissance dans un journal et obtient un droit de
visite dans le cadre de la procédure de divorce qui l’oppose à sa femme.
Mais l’amant de la femme vit maritalement avec elle depuis que l’enfant a 6 mois et traite cette enfant
comme sa fille.
L’enfant a donc deux possessions d’état à l’égard de deux pères différents… dès lors, ces possessions
d’état sont équivoques et ne sauraient établir un quelconque lien de filiation.

2°) Les modes de preuve de la possession d’état

En tant que mode de preuve autonome de la filiation, la possession d'état ne suffit plus en elle-même à établir
le lien de filiation. Il faut, selon l’article 317 du Code civil, qu’elle ait été constatée dans un acte de notoriété,
c’est-à-dire dans un écrit délivré par un notaire.

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Pourquoi exiger ainsi que la possession d’état soit constatée dans un acte de notoriété ? Pourquoi un tel
formalisme ?

Cela permet de sécuriser le lien de filiation. De façon plus précise, cela permet de clarifier les hypothèses dans
lesquelles il y a ou il n’y a pas de possession d’état. En outre, cela évite aux intéressés de devoir prouver sans
cesse l’existence d’une possession d’état : la possession d’état est établie, une fois pour toutes, par l’acte de
notoriété.

Cet acte de notoriété est délivré par un notaire, à la demande d’un des parents ou de l’enfant (et seulement
par eux… donc pas par les autres membres de la famille, qui n’ont alors d’autre choix que d’exercer une action
en constatation de la possession d’état, donc se tourner vers l’établissement contentieux de la filiation). Trois
témoins (au moins) doivent être présentés pour attester de l’existence de cette possession d'état. Mais, les
éléments constitutifs de la possession d'état peuvent bien entendu être prouvés par tous moyens. Ainsi
constatée, elle est mentionnée en marge de l’acte de naissance de l’enfant.

Enfin, il faut faire attention au délai imparti pour solliciter un acte de notoriété (ce qui est une grande différence
par rapport à la reconnaissance, qui n’est enfermée dans aucune condition de délai) : l’article 317, alinéa 3, du
Code civil prévoit qu’un acte de notoriété doit être sollicité dans un délai de 5 ans à compter de la cessation de
la possession d’état (idée = les témoignages sont moins crédibles lorsque plus de temps s’est écoulé) ou à
compter du décès du père (certaines composantes de la possession d’état peuvent en effet survivre au décès,
comme le nomen ou la fama. Si on laisse la règle de principe, soit 5 ans à compter de la cessation de la possession
d’état, on risque d’avoir des actions exercées longtemps après le décès, alors que le règlement de la succession
est en cours. L’irruption du nouvel enfant va alors perturber les opérations de règlement de la succession. Pour
terminer, il faut ajouter que la prescription court à compter du décès du père alors même que celui-ci serait
décédé avant la naissance de l’enfant).

Attention à ne pas tout confondre en ce qui concerne la possession d’état

Comme cela a déjà été relevé, nous étudions à présent la possession d’état en tant que mode de preuve
autonome de la filiation. Dès lors, faites bien attention à ne pas mélanger les présents développements (relatifs
à la preuve de la possession d’état) avec d’autres parties du cours où nous avons évoqué (ou où nous évoquerons)
la preuve possession d’état, mais dans une perspective différente.
Ainsi, nous avons vu que lorsque la possession d’état est invoquée dans un rôle d’appoint, pour conforter la
présomption de paternité du mari, la solution est incertaine. Les textes n’exigent pas que la possession d’état ait
été constatée par un acte de notoriété. Certains auteurs soutiennent, dès lors, que la possession d’état « nue »
suffit. Mais cette analyse ne fait pas l’unanimité. D’autres (dont la Chancellerie, dans une circulaire) estiment
qu’il faut encore passer par l’acte de notoriété.
Par la suite, nous verrons que la possession d’état peut également être invoquée dans un rôle d’appoint, pour
consolider un titre qui établit un lien de filiation. Elle se prouve alors par tout moyen.
Enfin, dans un cadre contentieux (que la possession d'état fasse l’objet d’une action en constatation ou en
contestation, ou soit invoquée dans le cadre d’une autre action en établissement ou en contestation de filiation),
la preuve par tous moyens est à nouveau admise… Mais c’est déjà aborder la question de l’établissement
contentieux de la filiation.

SECTION 3. L’ETABLISSEMENT CONTENTIEUX DE LA FILIATION

Les actions se classent en deux catégories : les actions relatives à l’établissement de la filiation (II) doivent être
distinguées de celles relatives à sa contestation (III). Cependant, ces actions obéissent à des règles communes
qu’il faut examiner préalablement (I).

I. Les dispositions communes

Les actions relatives à la filiation relèvent de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (article 318-1 du
Code civil), non pas du JAF (juge unique). Pourquoi ? Pourquoi avoir retenu cette collégialité dans la prise de
décision en matière de filiation ? Parce qu’il s’agit d’un contentieux important et complexe.

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Ce point préalable précisé, il convient de relever que l’exercice des actions relatives à la filiation est encadré (A),
soumis au respect du principe chronologique (B), ainsi qu’à l’exigence d’une preuve scientifique (C).

A. L’ENCADREMENT DU DROIT D’AGIR EN JUSTICE

Les limites au droit d’agir en justice relativement à la filiation d’un enfant sont les suivantes. Tout d’abord, il n’est
pas possible d’exercer une action liée à la filiation d’un enfant qui n’est pas né viable (1°). Ensuite, le droit français
connaît un principe d’indisponibilité de l’état des personnes, qui emporte un certain nombre de conséquences
en matière d’actions relatives à la filiation (2°). Par ailleurs, les actions relatives à la filiation sont soumises à un
délai de prescription (3°). Une qualité pour agir peut également être parfois exigée (4°). Enfin, il convient de
préciser les règles applicables à l’exercice d’une action relative à la filiation d’une personne décédée : ses héritiers
peuvent-ils agir et, si oui, à quelles conditions (5°) ?

1°) L’irrecevabilité d’une action liée à la filiation d’un enfant non viable

Un premier encadrement du droit d’agir en justice résulte du caractère irrecevable d’une action relative à la
filiation d’un enfant non viable (article 318 du Code civil). Concrètement, cela signifie qu’une action en justice ne
saurait avoir pour finalité d’établir la filiation d’un enfant qui n’est pas né viable.

Remarque : que recouvre cette exigence de viabilité de l’enfant à la naissance ?

La difficulté tient à ce que la notion n’est pas définie par la loi. Partant, plusieurs approches de la viabilité
coexistent (chez les médecins notamment).

Dans une première approche, la viabilité ne signifie pas seulement que l’enfant a vécu. Elle exige, en outre, qu’il
ait eu la possibilité de vivre de façon autonome (= il dispose des organes vitaux). Autrement dit, un enfant qui a
eu une vie qui ne pouvait pas durer n’est pas né viable. A l’inverse, un enfant qui a vécu très peu de temps (une
heure seulement après sa naissance, par exemple), mais qui était pourvu des organes vitaux, est né viable.

Cependant, une autre conception de la viabilité existe. Certains médecins tiennent en effet compte des éléments
retenus par l’OMS (qui cherche notamment à lutter contre les naissances prématurées). Ils considèrent qu’un
enfant est viable lorsqu’il naît après plus de 22 semaines d’aménorrhée (= 22 semaines depuis les dernières
règles de la mère) ou pèse plus de 500 grammes. Peu importe alors qu’il ne soit pas pourvu des organes vitaux
ou qu’il soit affecté de graves malformations.

Pourquoi ne pas permettre d’établir la filiation d’un enfant qui n’est pas né viable ? Deux raisons sont avancées :
▪ La première est tirée de l’absence de personnalité juridique du fœtus.
▪ La seconde consiste à relever qu’une telle action trouble la paix publique, sans présenter un grand
intérêt en pratique du point de vue matériel (l’intérêt psychologique en revanche évident pour le parent
qui veut faire reconnaître la filiation), puisque cet enfant n’hérite pas, par exemple.

2°) Le principe d’indisponibilité de l’état des personnes et ses conséquences

Un autre encadrement de l’action en justice découle du principe d’indisponibilité de l’état des personnes. Les
actions relatives à la filiation sont indisponibles (article 323 du Code civil). Qu’est-ce que cela signifie,
concrètement ?
1. Toute convention ayant pour objet la filiation est nulle (on en déduit par exemple la nullité des
conventions de mère porteuse prévue par l’article 16-7 du Code civil. On y reviendra avec l’assistance
médicale à la procréation).
2. Il est impossible de renoncer par avance à exercer son droit d’agir en justice pour établir ou contester
une filiation (article 323 du Code civil).
Mais on peut choisir de s’abstenir de l’exercer ou se désister d’une instance engagée (attention à ne pas
confondre avec le désistement d’action qui, lui, est impossible) car cela laisse subsister le droit d’agir
pour l’avenir.
3. Enfin, il est impossible de conclure une transaction en matière de filiation.

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Le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes supporte toutefois une nuance importante avec
l’accouchement sous X.

3°) La prescription de l’action en justice

En principe, les actions en justice relatives à la filiation d’un enfant sont soumises à une prescription de 10 ans,
consacrée par l’article 321 du Code civil. Une fois le délai de 10 ans écoulé, il n’est plus possible d’agir en justice
pour faire établir ou pour contester une filiation.

L’article 321 du Code civil précise toutefois que le délai de dix ans est suspendu à l'égard de l'enfant pendant sa
minorité. Lorsqu’elle est exercée par un enfant, une action peut donc être exercée jusqu'à ce que le demandeur
soit âgé de 28 ans.

Enfin, le point de départ du délai de 10 ans est fixé « au jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame
ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté ».

Important : attention à la fixation du point de départ d’un délai de prescription

Souvent, les étudiants s’attachent à retenir la durée de la prescription et délaissent la question du point de
départ. Or, la fixation du point de départ d’une prescription est une question tout aussi fondamentale que celle
du délai. Si vous connaissez un délai de prescription, mais que vous ignorez son point de départ, vous ne pouvez
pas dire si une action est prescrite ou non.
Prenons un exemple emprunté au droit des contrats, afin que vous compreniez mieux l’importance du point de
départ d’une prescription. Vous le verrez l’an prochain, un contrat peut être annulé pour erreur sur la substance
pendant 5 ans. Oui, mais 5 ans à compter de quand ? Vous pouvez penser que c’est 5 ans à compter de la
conclusion du contrat. Or, c’est inexact. C’est 5 ans à partir du moment où la victime de l’erreur a dû,
raisonnablement, s’apercevoir de son erreur. Ainsi, une personne qui ne peut pas découvrir qu’elle s’est trompée
pendant les 15 premières années ayant suivi la conclusion du contrat (ça arrive !) devrait pouvoir agir en nullité
pour erreur (dès lors qu’elle agit dans les 5 années qui suivent la découverte de son erreur).

En droit de la filiation, il vous faut retenir (plus exactement, comprendre) les solutions suivantes, relatives à la
fixation du point de départ du délai de 10 ans :

▪ pour les actions tendant à établir une filiation, le délai de 10 ans court à partir du moment où l’enfant
a été privé de cet état (de cette filiation), sauf disposition contraire. En pratique, le délai courra le plus souvent
à compter de la naissance. Mais il pourrait courir à partir d'une date postérieure, si l'enfant a été privé de son
état postérieurement à la naissance.

▪ Le délai de dix ans jouera à l'encontre de celui qui exerce une action en contestation d'état, à compter
du jour où l’enfant a commencé à jouir de l’état qui est contesté.

Comment applique-t-on cette règle, concrètement ?

✓ La filiation établie par titre de naissance ou par reconnaissance (sans possession d’état qui vient conforter
cela. Cf. ci-après) ne pourra plus être contestée plus de dix ans après… Certes mais 10 ans à compter de
quoi ? Les auteurs optent pour la date d’établissement de l’acte de naissance ou de la reconnaissance (pas
à compter de la naissance - même si l’acte de naissance ou la reconnaissance ont un effet déclaratif qui
remonte à la naissance - parce qu’une reconnaissance établie plus de 10 ans après la naissance ne pourrait
jamais être contestée).

✓ Si la filiation est établie par la possession d'état (avec acte de notoriété), l’article 335 du Code civil fait partir
la prescription décennale du jour de la délivrance de l’acte de notoriété.

Enfin, il vous faut faire attention aux dispositions spéciales, notamment à l’article 333 du Code civil : si la
possession d’état a duré pendant 5 ans après l’établissement du titre, la contestation de la filiation est fermée.
Sinon, on peut contester la filiation dans la limite de 5 ans à compter de la cessation de la possession d’état ou
du décès du parent prétendu. On y reviendra.

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Attention : l’incidence du contrôle de conventionalité sur le jeu des délais de prescription

Sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation développe le contrôle de
proportionnalité, ce qui l’amène parfois à écarter une prescription pourtant acquise, afin de faire tomber une
filiation qui ne correspond pas à la vérité biologique. Nous y reviendrons plus longuement lorsque nous
étudierons en détail le fonctionnement de la prescription en la matière.

4°) L’exigence d’une qualité pour agir

Dans certaines hypothèses, la loi exige une qualité pour agir. Cela signifie que le seul intérêt pour agir en justice
ne suffit pas. Le plaideur a peut-être intérêt à faire juger que tel enfant est ou n’est pas l’enfant de… Mais cela
ne suffit pas pour pouvoir agir en justice. Il faut encore faire partie de ceux que la loi autorise à agir, ceux qui ont
qualité pour ce faire.

Quelques actions sont ainsi attitrées en matière de filiation. C’est le cas de :


- l’action en recherche de paternité ou maternité : selon les articles 325 et 327 du Code civil, seul l’enfant
peut l’exercer) ;
- de l’action en rétablissement de la présomption de paternité : selon l’article 329 du Code civil, seuls
les parents et l’enfant peuvent l’exercer) ;
- ou encore de la filiation établie par titre et possession d’état (l’article 333 du Code civil dresse une liste
de ceux qui peuvent agir).

Mais en dehors de ces hypothèses, on en revient au droit commun. Cela signifie que tout intéressé peut agir (ce
qui vaut, par exemple, pour la constatation de possession d’état ou pour la contestation de l’acte de notoriété
qui constate une possession d’état).

5°) L’exercice de l’action par les héritiers

Selon l’article 322 du Code civil, les héritiers du défunt peuvent poursuivre l’action déjà engagée (sauf
péremption d’instance ou désistement d’instance). Ils peuvent également introduire l’action si le défunt est
décédé avant l’expiration du délai qui lui était imparti pour agir.

Mais la jurisprudence entend strictement la notion d’héritier (qu’elle réduit aux héritiers en vertu de la loi. Ne
sont donc pas des héritiers, les successeurs désignés par le défunt dans son testament).

B. LE PRINCIPE CHRONOLOGIQUE

L’article 320 du Code civil dispose que « tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement
établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ». Avant d’établir une nouvelle
filiation, il est donc nécessaire d’exercer une action en justice pour contester la première filiation légalement
établie (NB : même si le texte ne vise que la filiation « légalement » établie, la doctrine considère que cela vaut
également lorsqu’une première filiation a été établie par une décision de justice).

L’application du principe chronologique est à l’origine d’un certain nombre de difficultés lorsqu’un des parents
vient à changer de sexe.

Pour mieux comprendre les difficultés qui peuvent survenir, je vous propose de nous intéresser à une
affaire qui a donné lieu à une décision de la Cour de cassation du 16 septembre 2020. Les faits de l’espèce
sont les suivants.

Un couple hétérosexuel et marié a deux enfants. L’homme change de sexe par la suite. Sur les registres
de l’État civil, il est désigné comme étant de sexe féminin. Puis, le couple conçoit un troisième enfant (qui
a été conçu sans faire appel à un tiers donneur, donc sans procréation médicalement assistée). L’époux,
devenu épouse, procède à une reconnaissance prénatale de son troisième enfant. De fait, devenu femme,
il ne semble plus pouvoir voir sa filiation établie par le biais de la présomption de paternité. A la naissance,
la filiation maternelle est établie à l’égard de celle qui a accouché de l’enfant. En revanche, l’officier d’État

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Cours de Mme Traullé réservé à l’usage personnel des étudiants de l’UVSQ

civil refuse de transcrire la reconnaissance prénatale au motif que cette reconnaissance a été faite par
une femme alors que l’enfant a déjà une filiation maternelle.

L’auteur de la reconnaissance prénatale conteste ce refus en justice. En première instance, les juges
persistent dans le refus d’ordonner la transcription de la filiation litigieuse. Mais en appel, cette décision
est infirmée. La Cour d’appel de Montpellier ordonne la transcription de la filiation de l’enfant, en
précisant que l’auteur de la reconnaissance prénatale devra être désigné en qualité de « parent
biologique ». Comment en est-on arrivé là ?
Les juges de la Cour d’appel ont commencé par invoquer la Convention internationale des droits de
l’enfant (notamment les articles 3 et 7 de cette Convention). Ils ont placé le litige sous l’angle de la
protection de l’intérêt de l’enfant. Or, l’intérêt de l’enfant est d’avoir un lien de filiation avec celui qui est
son parent par le sang. Et l’adoption n’est pas une bonne solution, selon les juges du fond, dès lors que le
père devenu mère refuse d’y consentir et que cela créerait une discrimination au sein de la fratrie
(souvenez-vous : les deux premiers enfants du couple ont un lien de filiation par le sang avec leurs deux
parents). Ensuite, les juges du fond s’interrogent sur la possibilité d’établir un second lien de filiation
maternelle, mais en précisant que la seconde mère de l’enfant n’est pas sa gestatrice. Ils écartent
finalement cette solution, au motif que cela nierait la filiation paternelle, tout en brouillant la filiation
maternelle de l’enfant. La doctrine ajoute (ce qui ne figure pas dans l’arrêt) qu’il est de toute façon
impossible d’indiquer une seconde filiation maternelle par le sang en raison du principe chronologique.
En outre, dans ce domaine, la mère est celle qui a accouché de l’enfant. L’auteur de la reconnaissance
prénatale de l’enfant n’ayant pas accouché de celui-ci, il ne peut être désigné comme sa (seconde) mère
par le sang. Enfin, les juges du fond écartent également la transcription d’une filiation paternelle, au motif
que cela serait contraire au droit au respect de la vie privée du parent qui a changé de sexe. En conclusion,
ils estiment que la meilleure solution est la consécration d’une nouvelle « case » dans l’État civil de
l’enfant, à savoir celle de « parent biologique ».

Mais la Cour de cassation ne va pas les suivre. Elle censure la décision de la cour d’appel par l’arrêt du 16
septembre 2020.
Au préalable, la Cour de cassation rejette la demande du père devenu femme tendant à la transcription
de la reconnaissance de maternité faite avant la naissance de l’enfant. Elle s’appuie sur l’article 320 du
Code civil (donc sur le principe chronologique). Puisque l’enfant a déjà une mère (celle qui a accouché), il
est impossible qu’il en ait une seconde (sur le terrain de la filiation par le sang. Dans l’adoption ou encore
dans le cadre de la « PMA pour toutes », ce sera autre chose). Il ne reste alors que la reconnaissance de
paternité (le jeu de la présomption de paternité était neutralisé en l’espèce car le nom du père n’avait pas
été indiqué à l’état civil). Et cela n’est pas jugé contraire à l’intérêt de l’enfant ou à l’article 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme. L’enfant dispose en effet d’une filiation qui correspond à
la réalité de sa conception et qui est la même que celle des autres membres de la fratrie (nés avant le
changement de sexe du père). Quant à ce dernier, il peut continuer à être considéré comme une femme
au regard de son propre état civil.
Les demandes parentales rejetées, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond au visa des
articles 57 du Code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La cour d’appel « ne
pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil ». C’est clairement renvoyer la balle dans le camp du
législateur.

Cette affaire montre que le droit français n’est pas armé pour résoudre de tels litiges. En l’état actuel de notre
législation, le juge ne trouve pas de réponse satisfaisante dans la loi.

C. LA PREUVE SCIENTIFIQUE

Concrètement, la preuve scientifique (ou preuve biologique) recouvre deux choses : l’examen comparé de sang
(qui existe depuis les années 1950) et l’empreinte génétique (qui est apparue plus récemment. On examine une
cellule de l’organisme pour établir un code génétique, qui prend la forme d’un code à barres).

Quelle est la position du droit français à ce sujet ? Pour répondre à cette question, nous allons tout d’abord
étudier les textes applicables (1°). Puis, nous préciserons l’état de la jurisprudence, qui est venue combler les
lacunes des textes (2°). Enfin, il nous faudra aborder la question particulière de l’expertise génétique post-
mortem (3°).

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1°) L’évolution législative

Le perfectionnement des expertises scientifiques en raison des progrès de la science est une donnée connue.
Comment le droit, et plus spécialement le législateur, a-t-il réagi à cela ?

Texte applicable : article 16-11, alinéa 2, du Code civil

Ce texte dispose qu’« en matière civile, cette identification [d’une personne par ses empreintes génétiques] ne
peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant
soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides. Le
consentement de l'intéressé doit être préalablement et expressément recueilli ».

On n’a donc pas librement recours aux empreintes génétiques en matière de filiation. Il faut remplir les
conditions prévues par le texte. Quelles sont alors les conditions d’application du texte ?

1. La lettre du texte vise les tests ADN (= les empreintes génétiques, test beaucoup plus précis et fiable
que la comparaison des groupes sanguins).

Mais la Cour de cassation a récemment étendu le champ d’application du texte de l’article 16-11 du
Code civil. Elle a jugé, par un arrêt de la Première Chambre civile en date du 12 juin 2018, que
l’interdiction légale de vérifier la paternité d’un homme par un test génétique avant tout procès devait
être étendue à l’examen comparé des sangs. De façon plus précise, la Cour a jugé qu’il n’était pas
possible de faire procéder à un examen comparé des sangs en dehors d’un litige portant sur la filiation
d’un enfant. De fait, la solution inverse aurait incité les plaideurs à se tourner vers l’examen comparé
des sangs, pour contourner les exigences de l’article 16-11 du Code civil. Ce texte aurait alors été
largement vidé de sa substance (pourquoi passer par le test génétique, plus contraignant, si l’on peut
obtenir un résultat identique à l’aide d’un test sanguin ?).

2. Sur le fond, l’article 16-11 du Code civil prévoit que, pour réaliser de tels tests (ADN + examen comparé
des sangs, donc), il faut exercer une action en justice tendant à l’établissement ou à la contestation
d’une filiation et obtenir l’accord d’un juge. En d’autres termes, la France n’autorise pas la cherche
d’une filiation sur simple demande de tout un chacun (des sanctions pénales sont prévues pour les
laboratoires qui procéderaient à de tels examens, sans décision préalable du juge). Il faut qu’un juge
ordonne l’examen dans le cadre d’une action relative à la filiation de l’enfant.

L’objectif du législateur est clair : préserver la paix des familles en interdisant les recherches génétiques
dans toutes les directions. Mais il y a un risque : inciter au « tourisme du test génétique (ou sanguin
désormais) », qu’un français peut aller faire librement dans certains pays étrangers.

3. Il faut obtenir le consentement exprès et préalable de l’intéressé pour réaliser l’examen (ATTENTION :
pas pour que le juge ordonne la mesure d’instruction en ce sens, mais pour qu’elle soit pratiquée,
réalisée).

Cette exigence du consentement préalable et exprès à l’expertise génétique est toutefois incertaine au
regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

CEDH, 16 juin 2011, Pascaud c/ France : dans cette affaire, une expertise ADN avait été
ordonnée par un juge et réalisée. Elle avait conclu à la paternité. Mais par la suite, l’expertise
avait été annulée pour défaut de consentement du prétendu père (entre temps placé sous
sauvegarde de justice). Enfin, le père était décédé, sans qu’une nouvelle expertise ait pu être
réalisée et alors que sa paternité biologique était quasi-certaine.

La Cour européenne des droits de l’homme va condamner la France pour avoir fait prévaloir
les « contraintes juridiques » sur la vérité biologique. Pour quels motifs ? Sur la base de quel
raisonnement ? Il n’est pas aisé de répondre à cette question, tant l’argumentation de la Cour
semble mêler des considérations très différentes.

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Voici la motivation de la Cour européenne des droits de l’homme, dans ses grandes lignes :
- Le défunt n’ayant pas de famille, le refus de reconnaître la filiation ne pouvait se justifier que
par la protection du défunt (pas par la protection d’une autre famille… qu’il n’a pas). C’est
d’ailleurs l’argument qui a été retenu par les juges du fond pour écarter l’action en
établissement de la filiation (la protection du défunt).
- Les juges du fond n’ont jamais mis en balance la protection des intérêts du défunt avec le droit
du requérant à connaître son ascendance et à voir établie sa filiation.
- De toute façon, cela n’aurait sans doute pas permis de justifier la solution dès lors que la Cour
affirme ensuite que « la protection des intérêts du père présumé ne saurait constituer à elle
seule un argument suffisant pour priver le requérant de ses droits… ».
- Par ailleurs, la Cour relève que le prétendu père avait toujours donné son consentement et
dit qu’il voulait que sa paternité soit établie. Quant aux résultats de l’expertise (établissant la
paternité), ils n’ont jamais été contestés.
- Enfin, une fois l’expertise annulée, le requérant n’avait plus aucun moyen d’établir sa filiation
(plus de reconnaissance possible en raison du décès du père + impossible d’effectuer une
nouvelle expertise sur la dépouille du père dès lors qu’il n’avait pas donné son accord de son
vivant et ne laissait aucune famille qui aurait pu donner son accord [NB : le droit français a
quelque peu évolué depuis. Mais il n’est pas certain que les nouveaux textes trouvent grâce
aux yeux de la Cour]).

2°) La consécration du « droit à l’expertise » biologique par la Cour de cassation

Civ. 1, 28 mars 2000 : « l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime
de ne pas y procéder ». Concrètement, cela signifie qu’en principe, un juge ne peut refuser d’ordonner une
expertise biologique lorsque cela lui est demandé (sauf motif légitime).

Justification de la solution : si on laisse un pouvoir souverain d’appréciation aux juges du fond, on risque d’arriver
à des solutions contradictoires, voire arbitraires, ce qui peut difficilement être admis à propos d’un sujet aussi
sensible que la filiation. Dans ces conditions, mieux vaut « en avoir le cœur net » et obliger le juge à avoir recours
à l’expertise biologique dès lors que la technique permet d’obtenir des résultats clairs et fiables.

Champ d’application du principe : le principe du « droit » à l’expertise a un champ d’application large, puisque la
Cour vise « l’expertise biologique » d’une part (ce qui signifie que sont de droit, lorsque les conditions sont
réunies, tant l’analyse comparée de sang que l’analyse génétique) et, d’autre part, la « matière de (la) filiation »
(ce qui signifie qu’elle vise toutes les actions relatives à la filiation, c’est-à-dire tant celles qui tendent à établir la
filiation que celles qui tendent à la contester).

Seule exception : ultérieurement, la Cour de cassation va neutraliser le principe en présence d’une action en
constatation de la possession d’état. Dans ce domaine, l’expertise biologique n’est pas de droit, voire, il ne
pourrait y avoir de place pour l’expertise biologique (Civ. 1, 16 juin 2011).

Et de fait, la possession d’état est, formellement, détachée de la vérité biologique. En d’autres termes,
l’objet de l’action n’est pas de faire coïncider droit et biologie, mais de faire coïncider droit et sociologie
(façon de vivre). En outre, celui qui veut se prévaloir de la vérité biologique, sans avoir égard à la vérité
sociologique, n’a qu’à le faire à l’aide de l’action en recherche de paternité ou de maternité… et s’il ne
le fait pas, c’est parce qu’il ne satisfait pas les conditions de ces actions, par exemple parce qu’il ne fait
pas partie de ceux qui ont qualité pour agir ou parce qu’il se heurte à une prescription. Autoriser le
recours à la preuve biologique pour établir une possession d’état revient alors à autoriser le
contournement des conditions propres aux actions en recherche de paternité et de maternité. Il y aurait
là un dévoiement de la possession d’état que la Cour de cassation a refusé.

Cependant, la doctrine suggère une nuance : la jurisprudence devrait admettre que l’expertise
biologique est de droit lorsqu’elle est demandée par le défendeur à l’action, en pratique le prétendu
père (parce qu’au fond, la possession d’état doit correspondre à la vérité biologique, dans la mesure du
possible, et n’établit pas une présomption irréfragable, comme on l’a vu). Pour l’instant, la Cour de
cassation ne s’est jamais prononcée sur ce point.

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Portée de la solution : l’expertise est de droit… Qu’est-ce à dire ? Il faut comprendre qu’elle est de droit
lorsqu’elle est demandée par le plaideur.

o En principe donc, l’expertise demandée par un plaideur ne peut pas être refusée par le juge.

Tempérament : l’expertise demandée n’est pas obligatoire pour le juge s’il existe un « motif légitime »
de ne pas y procéder (exemples : le prétendu père est impossible à localiser ; une précédente expertise
rend superfétatoire le recours à un nouvel examen ; il existe, par ailleurs, des éléments de preuve de la
paternité particulièrement probants ; l’action est de toute façon irrecevable, par exemple en raison de la
prescription ou parce qu’elle tend à établir un second lien de filiation en cas d’inceste absolu ; etc…).

En revanche, la Cour de cassation a jugé que l’intérêt de l’enfant ne constitue pas un motif légitime de
refus de l’expertise biologique (Civ. 1, 13 juillet 2016), ce qui est assez curieux au regard de la valeur de
l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Comme souvent, le danger vient, en définitive, de ce que la notion de « motif légitime » est une notion
souple, qui laisse une marge de manœuvre importante au juge pour refuser ou accorder l’expertise « de
droit ».

Quelques exemples d’hypothèses délicates :


▪ est-il possible, pour un juge, de refuser d’ordonner une expertise biologique au motif que
celui qui est actuellement le père en droit veut continuer à assumer sa paternité et fait
preuve de son attachement à l’enfant ?
▪ de même, peut-on refuser d’ordonner une expertise en raison de la motivation peu
avouable de l’action (homme qui agit par rancœur contre une ancienne maîtresse qui ne
veut pas reprendre une liaison) ?

Suggestions de la doctrine (pour simplifier cette question du motif légitime de refuser une expertise
biologique) : en cas de doute, le recours à l’expertise biologique doit être obligatoire lorsqu’il n’y a pas
d’autres éléments qui permettent de trancher le litige.

o En revanche, l’adversaire peut refuser de s’y soumettre : on ne peut contraindre (même


indirectement, par la voie de l’astreinte) une personne à subir un examen médical sauf à violer le respect
dû au corps humain.

Mais ce refus n’est pas sans conséquence dans la mesure où le juge peut l’interpréter contre son
auteur, s’il existe par ailleurs un faisceau d’indices allant en ce sens (le seul refus de se soumettre à une
expertise n’autorise pas le juge à conclure à l’existence d’un lien de filiation).

Quid si le refus émane de l’enfant ?

Civ. 1, 24 octobre 2012 : un couple marié a trois enfants, puis divorce. Un homme agit alors
pour contester la paternité du mari à l’égard du benjamin et faire établir sa paternité. L’enfant
(âgé d’une dizaine d’années en cause d’appel et défendeur à l’action) va refuser de se
soumettre à l’expertise biologique sollicitée. La cour d’appel va retenir la paternité de l’amant,
après avoir relevé que ce refus n’est pas légitime et qu’il existe d’autres éléments qui tendent
à établir que le demandeur à l’action est bien le père de l’enfant (« notamment des premières
déclarations de Mme Y... confirmant la réalité de ses relations intimes avec M. Z..., des
photographies et des déclarations mêmes de Baptiste qui confirmait voir régulièrement M. Z...
qu'il savait être son père et qui l'avait accueilli chez lui dès la séparation des époux... »).

La solution est critiquée en doctrine, au motif qu’il est difficile d’appliquer au refus de l’enfant les
mêmes principes qu’au refus de l’adulte. En effet, le refus de l’adulte (de se soumettre à une expertise
biologique) peut être considéré comme un aveu (de paternité). Rien de tel, lorsque c’est le refus de

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l’enfant qui est en jeu (qu’a-t-il à avouer ? Rien, sauf à considérer, ce qui peut être parfois vrai mais pas
toujours, que ce refus est dicté par l’un des parents).

o Lorsque l’expertise biologique n’est PAS demandée par le plaideur, elle ne peut pas être imposée par
le juge.

La Cour européenne des droits de l’homme va-t-elle changer quelque chose à l’affaire ? La Cour de cassation
devra peut-être préciser sa position sur les conséquences du refus de se soumettre à une expertise.

3°) L’expertise génétique post-mortem

Parmi les questions relatives à la preuve biologique, l’une d’entre elles a particulièrement ému l’opinion
publique : il s’agit de celle de l’expertise post-mortem.

Civ. 1, 3 juillet 2001 : après la naissance de sa fille, une femme assigne un homme en déclaration de paternité
naturelle et sollicite subsidiairement un examen comparé des sangs. Cet examen est ordonné par le juge, mais
le défendeur décède avant qu’il puisse être pratiqué. Le juge des référés ayant sursis à l’incinération, la mère
et le frère du défunt donnent leur accord pour que les prélèvements nécessaires à une analyse génétique soient
effectués sur le corps.
Et c’est ainsi que, à la suite de l’expert, les juges du fond déclarent établie la paternité naturelle du défunt.
Contestant alors cette décision, ses proches saisissent la Cour de cassation d’un pourvoi mettant en cause
l’atteinte à l’intégrité du cadavre en l’absence de consentement exprès et préalable des ayants droit. Mais la
Cour de cassation le rejette en se fondant sur l’accord qu’ils avaient donné pour que soient effectués les
prélèvements en cause.
Ainsi, l’arrêt admet que l’expertise puisse être réalisée post-mortem avec le consentement des ayants-droit (ou
héritiers) du défunt.

Pourquoi accorder un tel rôle aux ayants-droit ? Il faut bien avoir en tête le fait qu’à l’époque (soit en
2001 !), l’article 16-11 du Code civil, dans sa rédaction d’alors, n’envisage pas la question de l’expertise
post-mortem. Le texte se contenter d’exiger le consentement préalable et exprès de l’intéressé
(vraisemblablement dans le cadre d’une expertise réalisée de son vivant). Rationnellement, la nécessité
de ce consentement devrait donc s’opposer à ce qu’une expertise puisse être pratiquée sur le corps d’un
défunt, à moins que celui-ci n’ait autorisé la mesure de son vivant. En outre, le respect dû au cadavre et
la protection de son intégrité étaient de nature à tenir en échec l’intérêt que des vivants avaient d’établir
un lien de filiation post-mortem. Même s’il reçoit la qualification de chose, le cadavre n’est pas en effet
une chose ordinaire et doit, en considération de la personne qu’il a abritée, être préservé des atteintes
qui peuvent lui être portées. C’est pourquoi la protection de l’intégrité du corps, qui justifie du vivant
de l’intéressé qu’il puisse refuser de se prêter à une expertise génétique, commandait a priori aussi que
cette dernière ne puisse être pratiquée après sa mort sans son accord. La licéité d’un prélèvement post-
mortem paraissait dès lors ne pouvoir être admise qu’à cette seule condition : le consentement de
l’intéressé qui, par la force des choses, ne pouvait être donné que de son vivant. Est-ce à dire qu’en cas
de silence de l’intéressé (de son vivant), on ne pouvait rien faire après sa mort ? La Cour de cassation a
opté pour une réponse négative. Parce qu’ils sont les gardiens naturels du respect dû au mort, les
ayants droit se sont vus reconnaître des prérogatives identiques à celles que le défunt avait lui-même
de son vivant pour garantir son intégrité corporelle (réserve faite de la réglementation particulière des
prélèvements d’organes et de l’autopsie). Ils pouvaient donc autoriser l’expertise post-mortem, selon la
Cour de cassation.

Mais que faire en cas de refus des ayants-droit ? On voyait mal qu'on puisse en déduire que ce refus
ferait radicalement obstacle à l’établissement de la filiation. Cela aurait fait dépendre la solution du
litige de leur décision, alors que leur objectivité et leur impartialité n'étaient pas garantie ! De plus, le
demandeur aurait pu invoquer son droit à la preuve et la jurisprudence sur le droit à l'expertise
biologique. La tentation était alors grande d'appliquer la solution retenue en cas de refus d'une
personne vivante : elle peut refuser, mais son refus est librement interprété contre elle. Autrement dit,
le refus des héritiers aurait pu être interprété comme un indice permettant d’établir le lien de filiation.
Seulement, ce raisonnement était-il applicable à des héritiers ? Tout dépend du fondement que l'on
donne à la solution. Si on estime que le refus équivaut à un demi-aveu, la solution ne paraît guère

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pouvoir être étendue aux héritiers qui n'ont rien à avouer (puisqu'ils ne savent rien et d'ailleurs l'aveu
ne peut être que personnel). Nous aurions troqué une exigence discutable de volonté (celle du défunt),
contre une exigence difficile de volonté (celle des héritiers).

Ces discussions auraient pu rester limitées au cercle des juristes s’il n’y avait pas eu une affaire à fort
retentissement médiatique, l’affaire Montand. Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris a admis, par un arrêt
du 6 novembre 1997, la recherche de la preuve post-mortem en autorisant l’exhumation de la dépouille d’Yves
Montand pour déterminer sa paternité ou sa non-paternité à l’égard de la demanderesse, alors qu’il avait refusé
de son vivant de se soumettre à une telle expertise. L’examen a été rendu possible parce que les membres de la
famille ont donné leur accord, après le décès de Montant. La conclusion des tests a été négative (= pas de
paternité possible). Cette exhumation a choqué l’opinion publique (notamment au regard de la conclusions
finale : pas de paternité possible. On a donc exhumé quelqu’un qui, sa vie durant avait refusé de se soumettre à
un test de paternité au motif qu’il n’était pas le père de l’enfant, pour conclure… qu’il n’était effectivement pas
le père de l’enfant) et le législateur est intervenu.

La question est donc désormais réglée. La loi bioéthique du 6 août 2004 a complété l’article 16-11, alinéa 2, du
Code civil. En vertu de ce texte, les expertises génétiques post-mortem sont interdites, sauf accord exprès de la
personne manifesté de son vivant.

→ En pratique, il n’y a quasiment jamais de consentement. Le nouveau texte revient donc à interdire
les exhumations.

→ Le nouveau texte réserve un traitement identique à ceux qui ont refusé de leur vivant de se
soumettre à une expertise et ceux qui n’ont pas consenti en gardant le silence (parce que la question ne
leur a pas été posée). Or, ce sont deux situations différentes : comment être certain que la personne
concernée n’aurait pas accepté de se soumettre à une expertise si la question lui avait été posée ?

Le nouveau texte a été attaqué par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité. Mais le Conseil
constitutionnel n’a pas fait droit à la critique. Il a jugé le texte conforme à la Constitution.

Conseil constitutionnel, QPC, 30 septembre 2011 : la disposition prévoyant que les personnes décédées
sont présumées ne pas avoir consenti à l’expertise n’emporte pas de méconnaissance du droit au
respect de la vie privée et familiale. En effet, une telle solution est fondée sur le respect dû aux morts
et le Conseil constitutionnel ne veut pas substituer sa propre appréciation à celle du Parlement sur un
sujet aussi sensible que le respect du corps humain.

Cependant, il n’est pas sûr que la Cour européenne des droits de l’homme l’entende de cette oreille…

CEDH, Jäggi contre Suisse, 13 juillet 2006 : la Cour européenne des droits de l’homme condamne la
Suisse pour son refus d’exhumer le corps de celui dont le requérant pensait qu’il était son père, à des
fins d’expertise ADN. Mais comme toujours, la décision est fondée sur une multitude d’éléments de fait
dont on peine à discerner l’importance (des uns par rapport aux autres).
Voici les éléments relevés par la Cour au soutien de la condamnation de la Suisse :
o l’importance de la question (connaître ses origines),
o la famille du défunt n’a invoqué aucun motif d’ordre religieux ou philosophique,
o le prélèvement d’ADN est « peu intrusif »,
o c’est grâce au requérant que la concession de la tombe du défunt a été prolongée,
o la dépouille du défunt sera exhumée à l’expiration de la concession actuelle (qui venait à
échéance en 2016) : « le droit de reposer en paix ne bénéficie donc que d’une protection
temporaire »,
o il n’y a pas d’atteinte à la vie privée du défunt (car le droit au respect de la vie privée cesse avec
la mort).

Ni la paix des familles, ni la paix des morts n’ont donc justifié l’atteinte portée au droit du requérant de
connaître ses origines.

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Cours de Mme Traullé réservé à l’usage personnel des étudiants de l’UVSQ

CEDH, 16 juin 2011, Pascaud c/ France : condamnation de la France pour ne pas avoir permis à un fils
de prouver la paternité d’un défunt, alors qu’une expertise biologique (annulée après coup pour
défaut de consentement du prétendu père qui était alors sous sauvegarde de justice) avait établi la
paternité. Sur cet arrêt, je vous renvoie à ce qui a déjà été dit. Mais il faut bien faire attention à un
point : le nouvel article 16-11, alinéa 2, du Code civil n’était pas applicable en l’espèce.

Souhaitant éviter une nouvelle condamnation de la France, la Cour de cassation a pris les devants et a créé une
nouvelle action ayant pour seul but la connaissance de l’ascendance (sans que cela n’aboutisse à établir un lien
de filiation !).

Civ. 1, 13 novembre 2014 : un homme apprend de ses parents (en droit) qu’il ne serait pas le fils
biologique du mari de sa mère, mais le fils d’un autre homme, décédé il y a fort longtemps (alors qu’il
avait 4 ans). L’enfant (proche de la retraite) demande alors une expertise génétique post mortem sur la
dépouille de celui qui serait son père biologique (près de 60 ans après le décès du prétendu père !).
Point important : il ne prétend pas établir ainsi sa filiation (l’action est prescrite et il ne le conteste pas).
Il n’a pas davantage de prétention d’ordre successoral (la succession du prétendu père a été liquidée il
y a fort longtemps et il ne veut pas revenir sur le partage). Il veut seulement connaître ses origines.
Les juges du fond estiment que la demande est recevable, mais la rejettent après un examen au fond.
Ils justifient leur décision à l’aide de deux arguments. Tout d’abord, ils relèvent que l’action n’a pas pour
but d’établir une filiation ou des subsides (alors que l’article 16-11 limite la recherche d’empreintes
génétiques à de telles fins). Ensuite, ils constatent qu’il n’est pas fait état du consentement du défunt.
L’enfant forme un pourvoi dans lequel il se prévaut de la jurisprudence Pascaud de la Cour européenne
des droits de l’homme (en substance, il critique le fait qu’on lui demande d’obtenir le consentement
d’un mort).
En réponse, la Cour de cassation va relever un moyen d’office et reprocher aux juges du fond d’avoir
ainsi statué sur le fond, alors qu’ils auraient dû relever la présence d’une fin de non-recevoir. Au visa de
l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation va énoncer que « la
recevabilité d’une action tendant à la reconnaissance d’une ascendance génétique par voie
d’expertise, lorsque celle-ci nécessite une exhumation, est subordonnée à la mise en cause des
ayants-droit du défunt ». Puis, la Cour précise, incidemment, que nous sommes « en matière d’état des
personnes ». Enfin, revenant à l’espèce, la Cour reproche aux juges du fond d’avoir examiné le bien-
fondé de la requête en exhumation, alors qu’elle aurait dû opposer une fin de non-recevoir tirée de
l’absence de mise en cause des ayants-droit du prétendu père (décédé). Et, étant en mesure de statuer
sur le litige, elle casse l’arrêt sans renvoi (l’action est irrecevable puisque les ayants-droit du défunt n’ont
pas été mis en cause).

Analyse de l’arrêt :

1. Il faut tout d’abord revenir sur la censure de l’arrêt et sa portée : dans une certaine mesure, la Cour
de cassation « sauve » l’arrêt attaqué. En cassation, comme devant les juges du fond, l’enfant
n’obtiendra pas gain de cause. Mais l’identité de solution finale repose sur une argumentation très
différente. Il faut bien comprendre l’opposition, en termes de justification, entre les juges du fond
et la Cour de cassation et pourquoi il n’y a pas un rejet du pourvoi (alors même que la Cour de
cassation retient une argumentation très différente de celle des juges du fond).

2. La solution consacrée par la Cour de cassation est nouvelle et revient à créer une nouvelle action en
droit des personnes (rien que cela !!), qui permet de faire reconnaître une ascendance génétique,
sans établir pour autant une filiation.

3. La justification de la solution ne fait guère de doute : il y a un lien évident avec la jurisprudence de


la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 16 juin 2011, Pascaud c/ France). La Cour de
cassation pense que la solution qu’elle vient d’admettre est imposée par la Cour européenne des
droits de l’homme (vous retrouvez ici l’influence du droit à la connaissance de ses origines
personnelles).
Plus largement, on note une forte influence de la vérité biologique (mais elle ne fait pas tout puisqu’il
n’est nullement question de permettre l’établissement d’une filiation en droit. En d’autres termes,

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la Cour de cassation consacre, en l’espèce, le « divorce » entre la filiation juridique et la vérité


biologique !).

4. Quelques questions pour terminer :

• N’y a-t-il pas une incohérence entre le fait de rattacher l’action à l’état des personnes… et le
fait que cette action n’ait aucune incidence en matière de filiation juridique et, plus largement,
ne change rien au statut de la personne en droit civil (elle ne modifie pas la filiation ; elle permet
seulement de connaître ses origines) ?
Peut-être. Mais si la Cour de cassation se place sur le terrain des actions d’état, c’est
vraisemblablement pour des raisons d’opportunité : cela donne un cadre juridique à l’action
(notamment son caractère imprescriptible, à la différence des actions relatives à la filiation).

• La question du consentement du défunt n’a pas été abordée : faut-il l’exiger ? La Cour de
cassation n’en dit rien. Et la réponse de la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas
évidente.

Remarque : il ne faut pas confondre la mise en cause des ayants-droit (exigée par l’arrêt
pour satisfaire à l’impératif du contradictoire en procédure civile) avec l’exigence d’un
consentement (du défunt ou de ses ayants-droit). Ce sont deux choses différentes.

• La solution doit-elle être limitée à l’hypothèse où le parent prétendu est décédé ? C’est possible
au regard de la lettre de l’arrêt, mais cela mériterait d’être confirmé (« la recevabilité d’une
action tendant à la reconnaissance d’une ascendance génétique par voie d’expertise, lorsque
celle-ci nécessite une exhumation, est subordonnée à la mise en cause des ayants droit du
défunt ». A contrario, s’il n’y a pas besoin d’une exhumation parce que le prétendu père
biologique est encore en vie… ?).

• Quelle place pour la responsabilité civile (du père biologique, voire de la mère et du père en
droit) ? Pourraient-ils devoir indemniser l’enfant qui se plaindrait de la situation ?

II. Les actions visant à l’établissement de la filiation

Il existe plusieurs actions : l’action en recherche de maternité ou paternité (A) et l’action en constatation de
possession d’état (B) viennent en premier à l’esprit. A cela, il faut ajouter une action moins usitée en pratique :
l’action en rétablissement de la présomption de paternité (C).

A. L’ACTION EN RECHERCHE DE MATERNITE OU PATERNITE

Qui a qualité pour agir ?

Seul l’enfant peut agir en recherche de maternité ou de paternité (articles 325, alinéa 2, et 327, alinéa 2, du Code
civil). Ses parents ne peuvent pas agir à titre personnel (ce qui se comprend : s’ils veulent établir leur filiation à
l’égard de l’enfant, ils peuvent utiliser les modes d’établissement non contentieux de la filiation, en pratique la
reconnaissance).

Attention à bien comprendre le rôle du père ou de la mère lorsque l’enfant est mineur

Lorsque l’enfant est mineur, il est possible que ce soit celui qui est son père ou sa mère en droit qui exerce
l’action. Mais il faut bien faire attention : le parent agit alors au nom de l’enfant, pas en son nom propre (encore
une fois, il ne peut pas agir en son nom propre, car il n’a pas qualité pour ce faire).

Contre qui agir ?

L’action est dirigée contre le père ou la mère prétendue.

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Dans quel délai faut-il agir ?

Comme toutes les actions relatives à la filiation qui ne sont pas enfermées dans un délai spécial, l’action en
recherche de maternité ou de paternité doit être exercée dans un délai de dix ans, à compter du jour où l’enfant
a été « privé de l’état [qu’il] réclame » (article 321 du Code civil), soit a priori au jour de sa naissance.

En outre, il ne faut pas oublier que la prescription est suspendue pendant la minorité de l’enfant. A l’égard de
l’enfant, le délai ne commence à courir que du jour de sa majorité. Celui-ci peut donc exercer l’action jusqu’à
l’âge de 28 ans.

Important : l’avenir de la prescription décennale est incertain en raison du jeu du critère de l’intérêt de l’enfant.
S’il ne peut pas faire établir, en droit, une filiation qui correspond à la vérité biologique en raison de l’écoulement
de la prescription n’est-ce pas contraire à son intérêt ?

La Cour européenne des droits de l’homme a toujours admis que la fixation d’un délai de prescription pour
l’introduction d’une action en recherche de paternité n’était pas incompatible avec la Convention. La
préservation de la sécurité juridique et de l’intérêt des enfants constitue un objectif légitime : la Cour admet qu’il
faut limiter le risque de déperdition des preuves et la période d’incertitude planant sur les rapports familiaux.
C’est admettre la conventionnalité de la prescription.
Pour autant, la Cour européenne des droits de l’homme vérifie, au cas par cas, si la nature du délai et l’application
des règles relatives à la prescription se concilient avec la Convention. De façon plus précise, la Cour estime que
la législation interne doit prendre en considération l’impossibilité d’agir dans laquelle se serait trouvé l’enfant,
pour retarder le point de départ de la prescription ou suspendre celle-ci.

CEDH, 20 décembre 2007, Phinikaridou c/ Chypre : une action en recherche de paternité est exercée par
un enfant alors que la prescription est acquise (3 ans après la majorité de l’enfant, selon le droit interne
en cause). Or, l’enfant apprend l’identité de son père biologique après l’expiration de ce délai.
Concrètement, il n’a donc jamais pu exercer l’action en recherche de paternité. Les juges internes ne
vont cependant pas faire droit à l’action de l’enfant au motif que la prescription est acquise. La Cour ne
va pas les suivre et va conclure à la violation de l’article 8 de la Convention. Au soutien de la
condamnation de l’Etat, les juges européens indiquent avoir « du mal à admettre que le délai rigide de
prescription s’écoule, que l’enfant ait ou non eu connaissance des circonstances se rapportant à
l’identité de son père et sans qu’aucune dérogation ne soit prévue à l’application de ce délai. Le
principal problème réside donc dans le caractère absolu du délai et non dans sa computation en tant
que telle » (§ 62).

CEDH, 3 avril 2014, Konstantinidis c/ Grèce : un enfant de 20 ans apprend, de sa mère mourante,
l’identité de son père. Près de deux ans après, il agit. Mais la prescription est acquise en droit interne
car l’enfant avait un an après sa majorité pour agir (encore une fois selon le droit interne). Afin d’y
échapper, l’enfant invoque l’existence d’une cause d’interruption de la prescription (propre au droit
grec), tiré du comportement dolosif du prétendu père. L’argument est toutefois rejeté par les juges
grecs. Si le prétendu père a nié sa paternité, il n’est pas prouvé qu’il a, ce faisant, cherché à induire le
requérant en erreur afin qu’il n’agisse pas en justice avant que la prescription de son action ne soit
acquise.
Cette fois-ci, la Cour européenne des droits de l’homme ne condamne pas ce raisonnement. Pour ce
faire, elle relève plusieurs éléments :

1) Tout d’abord, la Cour relève que le droit grec fixe des délais de prescription différents selon
l’identité de celui qui agit (père, mère, enfant). Il fait donc preuve d’une certaine souplesse. Et
cette souplesse se retrouve avec l’admission de causes de suspension de la prescription (la force
majeure, c’est-à-dire l’évènement extérieur, irrésistible et imprévisible qui empêche d’agir en
justice + le dol). Or, en l’espèce, le requérant s’est contenté d’invoquer le dol (que les juges internes
ont écarté), sans jamais faire état d’une cause de force majeure (tirée de ce qu’il n’aurait eu
connaissance que très tardivement de l’identité de son père, alors que la prescription était
acquise).

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2) Le manque de diligence du requérant, qui n’a pas agi immédiatement après avoir été informé
par sa mère de l’identité de son père, est également relevé par la Cour. Il a attendu près de deux
ans pour agir, alors que la question de la filiation est une question cruciale.

Le rapprochement des deux arrêts vous montre que, pour la Cour européenne des droits de l’homme,
il est crucial de déterminer le moment où l’enfant connaît l’identité du parent en cause. C’est à partir
de ce moment là que la prescription peut courir (et elle peut être courte, comme le montrent les deux
arrêts). A chaque fois, la Cour n’a pas critiqué la durée des délais (vous remarquerez qu’ils étaient
relativement courts dans les deux arrêts - 2 et 3 ans, contre 10 ans en droit français). En revanche, elle
s’est attardée sur le point de départ de ces délais (= à partir de quand le délai commence à courir ?).

Tout cela ne va pas rester sans conséquence en droit français, spécialement avec le développement du contrôle
de proportionnalité (lien avec le cours d’introduction au droit).

Civ. 1, 9 novembre 2016 : un enfant agit pour faire établir sa filiation paternelle en justice plus de 50 ans après
sa naissance.

Cependant, le litige renferme une difficulté supplémentaire : l’enfant est né avant l’entrée en vigueur de
l’ordonnance de 2005 (1962), mais a exercé son action après (2011). Les juges vont donc d’abord être confrontés
à une question de droit transitoire. Quelle prescription faut-il appliquer ? Avant 2005, la prescription de l’action
en recherche de paternité était de 2 ans. Elle passe à 10 ans avec la réforme (article 321 du Code civil), étant
précisé que la prescription est suspendue pendant la minorité de l’enfant. Cependant, l’ordonnance contient des
dispositions transitoires : sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, l’enfant peut agir sans que
la forclusion de deux ans lui soit opposable lorsque la prescription de 10 ans n’était pas acquise au moment de
l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2005. Autrement dit, les enfants devenus majeurs moins de 10 ans avant
l’entrée en vigueur de l’ordonnance pouvaient agir sans se voir opposer l’ancienne forclusion de deux ans. Or,
en l’espèce, l’enfant a eu 18 ans en 1980, soit bien plus de 10 ans avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance de
2005. Son action est donc largement prescrite. Les dispositions transitoires de la loi nouvelle n’ont pas permis de
la faire revivre (ce qui aurait été différent s’il avait eu 18 ans moins de 10 ans avant l’entrée en vigueur de
l’ordonnance de 2005).

Est-ce contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ? La Cour de cassation admet
sans grande difficulté que l’atteinte portée à la vie privée de l’enfant est prévue par la loi et poursuit un but
légitime (« la protection des droits des tiers et la sécurité juridique »... Ce qui ne correspond pas exactement à la
lettre de l’article 8. Mais le point ne semble pas déterminant, dès lors que la Cour européenne est assez
compréhensive à ce propos). Vient alors la question du contrôle de proportionnalité (des dispositions
transitoires…). La Cour de cassation estime que les juges du fond n’ont pas méconnu l’article 8 de la Convention
au regard des éléments suivants : l’action tend à remettre en cause une situation stable qui a perduré pendant
50 ans, alors que le prétendu père est marié et père d’une fille (= il a fondé une famille par ailleurs).

NB : dans cette affaire, l’enfant n’a pas plaidé l’existence d’une impossibilité d’agir de nature à expliquer une
action aussi tardive. Il a certes évoqué la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à ce propos,
mais n’en a rien tiré par rapport à sa situation personnelle. Il s’est contenté de considérations générales et assez
théoriques finalement, sans démontrer, ni même soutenir, qu’il n’aurait pu agir plus tôt.

Quel est l’objet de la preuve ?

Il faut prouver un fait juridique, à savoir que l’on est biologiquement ou génétiquement l’enfant d’une personne.
Et, s’agissant de prouver un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tout moyen. Il faut cependant
préciser :
- Pour le père, il faut prouver que ses gamètes sont à l’origine de l’enfant.
- Pour la mère, les choses sont moins simples qu’il n’y paraît. Qu’est-ce qui établit la maternité ? On peut
distinguer entre la génitrice (celle dont les ovules sont à l’origine de l’enfant) et la gestatrice (celle qui
porte l’enfant), même si les deux correspondent généralement. Cependant, entre ces deux solutions, le
droit français semble avoir choisi la seconde. L’article 325, alinéa 2, du Code civil dispose en effet que
« l’enfant est tenu de prouver qu’il est celui dont la mère prétendue est accouchée ». En droit français,

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la mère, c’est donc celle qui accouche de l’enfant, quand bien même elle ne serait pas sa génitrice, mais
l’aurait simplement porté.

Quels sont les effets de l’action ?

A priori, c’est assez simple : si elle aboutit l’action a pour effet d’établir la seule filiation maternelle de l’enfant
ou sa seule filiation paternelle (avec toutes les conséquences qui en découlent, notamment en termes
d’obligation d’entretien).

Pour aller plus loin : est-ce que, dans l’hypothèse où la mère est mariée, le succès de l’action en recherche de
maternité n’aurait pas pour effet de rétablir la présomption de paternité du mari ?

Cette question n’a pas reçu de réponse claire en droit positif. Les textes n’abordent pas la difficulté et la
jurisprudence n’a pas encore eu à la trancher.

La doctrine est plutôt contre, au motif que l’action ne porte pas sur l’établissement de la paternité mais sur celui
de la maternité.

La recherche de maternité ou paternité et l’accouchement sous X

Un enfant né d’une femme ayant accouché sous X peut intenter une action en recherche de maternité contre sa
mère.

Il ne faut toutefois pas perdre de vue le fait que, dans un certain nombre d’hypothèses, l’action en recherche de
maternité ne sera pas possible :
- l’enfant ne peut pas agir s’il a été adopté en la forme plénière (article 352-2) ;
- il ne peut pas plus agir s’il a été doté d’une filiation maternelle qui ne peut plus être contestée (c’est une
conséquence du principe chronologique, sauf à faire jouer le contrôle de conventionnalité) ;
- il doit en outre être dans les délais pour agir en recherche de maternité ;
- enfin, il doit pouvoir identifier sa mère !

Pour aller plus loin : quel avenir pour l’accouchement sous X ?

Il est régulièrement proposé d’abandonner l’accouchement sous X. On lui reproche de sacrifier excessivement
l’enfant et le père, à la protection de la mère et des adoptants.

B. L’ACTION EN CONSTATATION DE LA POSSESSION D ’ETAT

Qui peut agir ?

L’article 330 du Code civil dispose que la possession d’état peut être constatée à la demande de toute personne
qui y a intérêt.

Remarques :
• c’est très différent de ce qui est admis pour les actions en recherche de maternité et de paternité, qui
ne peuvent être exercées que par l’enfant.
• c’est encore très différent de ce qui est admis pour l’action en rétablissement de la présomption de
paternité, qui ne peut être exercée que par les parents et l’enfant.
• c’est enfin aussi différent de ce qui est retenu s’agissant d’établir un acte de notoriété, qui ne peut être
demandé que par les parents et/ou l’enfant.

Dans quel délai faut-il agir ?

L’action en constatation de possession d’état doit être exercée dans un délai de 10 ans à compter de la cessation
de la possession d’état ou du décès du parent prétendu.

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NB : 10 ans, comme pour les actions en recherche de maternité ou de paternité, mais avec un point de
départ différent puisque dans le cadre des deux actions précédemment évoquées, on part généralement
- mais pas toujours - de la naissance.

Rappel : il ne faut pas oublier qu’à l’égard de l’enfant, la prescription est suspendue pendant sa minorité.

Quel est l’objet de l’action ?

L’action en constatation de possession d’état exige d’établir, par tout moyen, l’existence d’une possession d’état
(étant rappelé qu’en principe la vérité biologique, et donc l’expertise biologique, n’ont rien à voir là-dedans).

La Cour de cassation vient d’ailleurs de confirmer que l’action en constatation de la possession d’état ne devait
pas être confondue avec une action exigeant la preuve d’une filiation biologique. Elle a en effet jugé, par un avis
en date du 23 novembre 2022, que « fondée sur l’apparence d’une réalité biologique [la possession d’état]
correspond à une réalité affective, matérielle et sociale ». En conséquence, « la circonstance que le demandeur
à l’action en constatation de la possession d’état ne soit pas le père biologique de l’enfant ne représente pas,
en soi, un obstacle au succès de sa prétention. Il appartient au juge, en considération des éléments de l’espèce,
d’apprécier si les conditions de la possession d’état posées par les articles 311-1 et 311-2 [du Code civil] sont
remplies ». En d’autres termes, le juge doit s’attacher à déterminer si le faisceau d’indices (que constituent le
nomen, le tractatus et la fama) dont le demandeur à l’action fait état traduit une vérité sociologique attestant
d’une relation de parent à enfant. Le fait que la réalité biologique ne corresponde pas à cette vérité sociologique
n’est pas un élément qui peut, à lui seul, faire obstacle à l’établissement de la filiation. Pour rejeter l’action, le
juge doit relever d’autres éléments, comme le caractère éventuellement vicié de la possession d’état.

Tendance en jurisprudence : contrôler la légitimité du motif qui justifie le recours à la possession d’état pour
établir une filiation. La doctrine relève que la Cour de cassation est plus exigeante, s’agissant de caractériser la
possession d’état, lorsque celle-ci est invoquée dans un but successoral.

Civ. 1, 14 novembre 2006 : le 30 janvier 2001, meurt Pierre M., marié et père d'un enfant légitime. Le
21 août 2001 Sylvie M., née en 1956, assigne les héritiers de Pierre M. afin de faire constater sa
possession d'état d'enfant de Pierre M. La finalité successorale de l'action relative à la filiation est
évidente.
La Cour de cassation va approuver les juges du fond d’avoir jugé non probants de nombreux éléments
qui n’étaient pas si minces que cela (des cadeaux faits à l’enfant… mais jugés non probants parce
que trop modestes – ceci étant, tout le monde n’offre pas des cadeaux de prix à ses enfants ; des
photographies… non probantes parce qu’établissant seulement l’existence d’une relation entre sa mère
et le prétendu père ; une couronne mortuaire avec l’inscription « à mon père »… mais jugée non probante
parce qu’il n’était pas prouvé qu’elle provenait bien d’elle et avait été acceptée comme telle par les
membres de la famille).

C. L’ACTION EN RETABLISSEMENT DE LA PRESOMPTION DE PATERNITE

Rappels :

Nous avons vu, dans le cadre de l’étude de l’établissement non contentieux de la filiation, que la présomption
de paternité ne s’applique pas lorsque l’enfant est déclaré sur les registres de l’État civil sans indication du nom
du mari en qualité de père et/ou lorsque l’enfant est conçu pendant une période de séparation légale (en
instance de divorce ou de séparation de corps).

Cependant, nous avons également vu que la présomption retrouve sa force de plein droit si l’enfant a la
possession d’état à l’égard de chacun des époux (et s’il n’a pas une filiation paternelle déjà établie à l’égard d’un
tiers – principe chronologique). Dans une telle hypothèse, il n’est pas besoin d’exercer une action en justice. La
possession d’état (nue, sans acte de notoriété ?) suffit à faire jouer la présomption de paternité. La filiation du
mari de la mère est établie.

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Par ailleurs, nous avons également vu que le mari peut reconnaître l’enfant de sa femme (tant qu’une autre
reconnaissance n’a pas déjà eu lieu - principe chronologique à nouveau).

Enfin, et c’est ce que nous allons étudier à présent, la loi prévoit qu’une action en rétablissement de la
présomption de paternité peut également être exercée (article 315 du Code civil, qui renvoie à l’article 329).

L’action en rétablissement de la présomption de paternité est tout d’abord une action attitrée :

L’article 329 du Code civil indique clairement qu’elle n’est pas ouverte à tout intéressé. Cette action peut être
exercée uniquement par les deux époux pendant toute la minorité de l’enfant et par ce dernier (pendant les dix
ans qui suivent sa majorité).

Lorsqu’elle est exercée, les défendeurs à l’action varient selon la configuration du litige :

Il peut s’agir de l’un des époux (lorsque l’autre agit seul). Mais il peut aussi s’agir de l’auteur d’une reconnaissance
antérieure (si les deux époux agissent conjointement). On lie alors l’action en rétablissement de la présomption
de paternité à une autre action, tendant à la contestation de la paternité du tiers auteur de la reconnaissance
paternelle. Enfin, le défendeur à l’action peut être le parquet si les deux époux agissent conjointement et qu’il
n’y a pas eu de reconnaissance paternelle d’un tiers.

Que faut-il alors prouver pour obtenir gain de cause ?

L’article 329 du Code civil exige la preuve de la paternité du mari. Il faut donc établir que le mari de la mère est
le père biologique de l’enfant. C’est d’ailleurs là tout l’intérêt de cette action : mettre fin à toute discussion sur
la paternité du mari de la mère, démontrer définitivement celle-ci afin de prévenir toute contestation ultérieure
d’un tiers (l’amant).

III. Les actions en contestation de la filiation

Toute filiation peut être contestée. Pour obtenir gain de cause, il faut démontrer, selon le cas, que la mère n’a
pas accouché de l’enfant ou que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père (article 332 du Code
civil). Quant aux filiations établies par un acte de notoriété, elles peuvent être contestées « en rapportant la
preuve contraire » (article 335). Tout cela montre que le droit français tend à faire prévaloir la vérité biologique.

Afin d’exposer plus en détail les règles relatives aux actions en contestation de la filiation, il convient de distinguer
les actions tendant à la contestation de la maternité ou de la paternité (B), de celles tendant à la contestation de
la possession d’état (C). Mais avant, il faut préciser le rôle du ministère public dans ce domaine (A).

A. LE ROLE DU MINISTERE PUBLIC

Le rôle du ministère public dans les actions tendant à contester une filiation est défini par un texte que l’on peut
qualifier de général, l’article 336 du Code civil, en ce sens qu’il fixe les règles de principe sur cette question. Mais
il faut également tenir compte d’autres textes (les articles 333 et 336-1), qui précisent le rôle du ministère public
dans certaines hypothèses particulières.

Texte général :

Texte applicable : article 336 du Code civil

« La filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si les indices tirés des actes eux-
mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi ».

Cette solution est dérogatoire au regard du droit commun. La question de la filiation touchant à l’intérêt général,
on pourrait penser que le droit d’agir du ministère public doit être large ou important. Or, l’article 336 du Code
civil le limite à 2 hypothèses relativement circonscrites. Pourquoi ? Parce que la filiation fait également intervenir

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des sentiments d’ordre privé (affection, sentiment amoureux). Il est dès lors normal que le ministère public ne
puisse pas intervenir trop aisément.

Attention : le droit d’agir du ministère public concerne uniquement une action en contestation de filiation

Il n’est pas question, ici, de faire établir une filiation. De fait, les actions tendant à l’établissement de la filiation
sont souvent attitrées, c’est-à-dire réservées à l’enfant, voire à l’enfant et aux parents. Ce n’est que lorsqu’une
action est ouverte à tout tiers intéressé, telle l’action en constatation de possession d’état, que l’on pourrait
concevoir l’intervention du ministère public… Mais en pratique, ça n’est pas le cas. Le ministère public intervient
peu, voire pas du tout, pour faire établir une filiation, alors qu’il intervient parfois pour en contester une.

Analysons plus avant le texte de l’article 336, qui définit de façon générale le droit d’agir du ministère public dans
le domaine des actions tendant à contester une filiation.

Quel est le champ d’application du droit d’agir ainsi accordé au ministère public ? Le texte vise toute filiation
« légalement établie », donc toute filiation établie par acte de naissance, présomption de paternité,
reconnaissance ou possession d’état.
Quid lorsque la filiation est établie en justice ? Les auteurs suggèrent d’appliquer l’article 336 du Code civil.

Quels sont les cas ouvrant le droit d’agir au ministère public (sur le fondement de l’article 336 du Code civil) ?

I. Les indices tirés de l’acte qui rendent invraisemblable la filiation : c’est une preuve dite intrinsèque.
Il est toutefois possible de rapprocher l’acte litigieux d’autres actes pour faire ressortir l’incohérence
(qui, encore une fois, résulte de l’acte litigieux).

Exemples : une différence d’âge trop grande ou trop faible entre l’enfant et le parent ; une même
mère qui aurait accouché de deux enfants à deux dates trop proches (il faut alors rapprocher le
titre litigieux de celui qui établit la filiation de l’autre enfant) ; une reconnaissance qui aurait
été effectuée par une personne décédée ; etc…

II. La fraude à la loi : sont visées, ici, la fraude à l’adoption (c’est l’exemple de la reconnaissance qui est
effectuée afin d’éviter d’avoir à s’adresser au juge ou pour contourner les conditions de l’adoption
qui ne seraient pas satisfaites) ou la fraude à l’assistance médicale à la procréation. Mais on peut
élargir le propos (fraude aux avantages sociaux, fraude au droit des étrangers…).

Le devenir de cet encadrement du droit d’agir accordé au ministère public est toutefois incertain, spécialement
lorsque cela aboutit au maintien d’une filiation en droit qui n’est pas conforme à la vérité biologique (on voit ici
l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme).

Civ. 1, 10 juin 2015 : un enfant naît d’une femme mariée. Il est inscrit à l’État civil en ayant comme père
le mari. 14 ans plus tard, les époux divorcent. 4 ans après, la mère se remarie. Près d’un an après, elle
demande au ministère public d’agir pour contester la filiation de l’enfant (elle ne peut plus agir,
puisque l’enfant a une possession d’état conforme au titre qui a duré - bien - plus de 5 ans après sa
naissance. On va préciser ce point dans la suite du cours). Elle joint à sa demande son consentement,
celui de son ex-mari, le père en droit, et celui de l’enfant. 4 jours après que le ministère public a été
saisi, le prétendu père biologique décède en ayant préalablement indiqué qu’il estimait être le père
biologique de l’enfant et donnait son consentement à la réalisation d’une expertise. Le procureur suit
(il assigne tout le monde : l’enfant, le père en droit, la mère, les deux filles du père biologiques qui
s’opposent à ce que l’enfant hérite…).

Les juges du fond rejettent l’action du ministère public en invoquant les motifs suivants :

- Sur le fondement de l’article 336 du Code civil, il faut rapporter des éléments de preuve tirés des
actes qui établissent la filiation et rendent, dans le même temps, cette filiation invraisemblable.
Or, il n’y a rien de tel en l’espèce (tous les éléments de preuve sont extérieurs aux actes de l’État
civil).

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Cours de Mme Traullé réservé à l’usage personnel des étudiants de l’UVSQ

NB : la fraude n’est pas envisageable en l’espèce.

- Sur le fondement des articles 422 du Code de procédure civile (« le ministère public agit d'office
dans les cas spécifiés par la loi ») et 423 du même Code (« en dehors de ces cas, il peut agir pour
la défense de l'ordre public à l'occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci »), il faut une
atteinte à l’ordre public, que les juges du fond ne voient pas en l’espèce. Il serait uniquement
question d’intérêts privés familiaux.

Leur décision est censurée, au visa de l’article 455 du Code de procédure civile (= défaut de réponse à
conclusions) : la mère, le père en droit et l’enfant faisaient valoir « qu’un juste équilibre devait être
ménagé, dans la mise en œuvre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme,
entre le droit revendiqué par [l’enfant] de voir sa filiation établie et les intérêts des [filles du défunt],
qui opposaient un refus à ce qu’il hérite de ce dernier ». Par cet arrêt, la Cour de cassation paraît donc
admettre que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme est susceptible de faire
tomber les limites posées par les textes internes (art. 336 et 422 du CPC) au droit d’agir du ministère
public. Mais alors, la question rebondit : dans quelles circonstances, exactement ?

Attention à bien comprendre la portée de l’arrêt et à ne pas le surinterpréter

Si la Cour de cassation censure les juges du fond pour défaut de réponse à conclusions, cela signifie qu’il
faut que la cour d’appel de renvoi… réponde aux dites conclusions. En d’autres termes, les juges doivent
aborder la question soulevée par les conclusions. Mais quelle réponse doivent-ils y donner ? La Cour de
cassation ne dit rien à ce propos.

Textes spéciaux :

Les textes spéciaux sont des textes qui ne reprennent pas exactement le principe posé par l’article 336 du Code
civil, ou qui complètent ce principe dans une hypothèse particulière. La question de leur agencement avec le
premier texte qui vient d’être étudié doit être soulevée.

1) L’article 333, alinéa 2, du Code civil : « Nul, à l'exception du ministère public, ne peut contester la filiation
lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance,
si elle a été faite ultérieurement ».

✓ Hypothèse visée : la filiation est établie par un titre (acte de naissance, qui peut déclencher la
présomption de paternité, ou reconnaissance. Pas la possession d’état) et l’enfant est doté d’une
possession d’état (conforme au titre !) de 5 ans.

✓ Solution : l’action en contestation d’une telle filiation est fermée (à l’enfant, à ses parents, à tout intéressé.
On y reviendra). Mais l’article 333, alinéa 2, du Code civil autorise le ministère public à agir pour contester
une telle filiation.

✓ Combinaison avec l’article 336 du Code civil : la doctrine estime que, même si l’article 333, alinéa 2, du
Code civil ne le prévoit pas expressément, le ministère public ne peut agir que sur le fondement d’un
indice intrinsèque ou d’une fraude à la loi. De fait, loin de se contredire, les deux textes se complètent. Le
second ne saurait exclure l’application du premier. Il faut donc rapprocher les deux textes pour les
appliquer cumulativement ou successivement.

✓ Délai : le texte ne dit rien du délai dans lequel le ministère public doit agir (il ne renvoie pas au premier
alinéa du texte, à savoir l’article 333 du Code civil, et à la prescription quinquennale qui est alors prévue).
Les auteurs en déduisent qu’il faut appliquer la prescription décennale de droit commun, à compter de la
naissance ou de la reconnaissance (article 321 du Code civil).

✓ Difficulté : que décider lorsque la possession d’état n’a pas duré 5 ans ? L’alinéa 1 de l’article 333 du Code
civil envisage l’hypothèse en énonçant que l’action appartient alors à l’enfant, son père, sa mère et celui
qui se prétend le parent véritable, mais sans prévoir expressément l’action du ministère public.
L’argument a fortiori commande cependant d’admettre l’action du ministère public.

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Cependant, la question rebondit : dans quel délai doit-il agir ? La doctrine estime qu’il faut encore une
fois en revenir à la prescription décennale de l’article 321 du Code civil, tout en soulignant que cela conduit
à des résultats insatisfaisants car les autres personnes qui ont qualité pour agir (enfant, parents – en droit
et prétendu) ont, au terme de l’article 333, alinéa 1, du Code civil, non pas 10 mais 5 ans pour agir (à
compter de la cessation de la possession d’état ou du décès du parent prétendu).

2) L’article 336-1 du Code civil :

✓ Hypothèse visée : l’officier d’État civil qui dresse l’acte de naissance dispose d’une reconnaissance
paternelle prénatale qui ne correspond pas aux informations (sur le père) données par celui qui déclare
la naissance.

✓ Solution : l’officier d’État civil doit dresser l’acte conformément aux informations données par le déclarant
puis saisit le procureur de la République, qui va élever le conflit de paternité sur le fondement de l’article
336. Donc, à nouveau, on relève finalement une complémentarité (et non une opposition) entre le texte
spécial (l’article 336-1) et le texte général (l’article 336).

B. LA CONTESTATION DE LA MATERNITE OU DE LA PATERNITE ETABLIE PAR ACTE DE NAISSANCE OU RECONNAISSANCE

Les conditions de cette action ne sont pas les mêmes selon que l’enfant dispose, ou non, d’une possession d’état
qui vient conforter le titre. Lorsque le titre est conforté par une possession d’état, il est plus difficile de contester
la filiation ainsi établie (2°). A l’inverse, un titre sans possession d’état conforme peut être plus aisément attaqué
(1°).

1°) La contestation de la filiation établie par un titre qui n’est pas corroboré par la possession d'état

Textes applicables :

Article 332 du Code civil :


« La maternité peut être contestée en rapportant la preuve que la mère n'a pas accouché de l'enfant.
La paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas
le père ».

Article 334 du Code civil :


« A défaut de possession d'état conforme au titre, l'action en contestation peut être engagée par toute personne
qui y a intérêt dans le délai prévu à l'article 321 ».

Quel est l’objet de la preuve d’une action tendant à la contestation d’une filiation sur un tel fondement ?

L’article 332 du Code civil envisage successivement la situation de la mère et celle du père :
▪ Pour contester la maternité, il faut établir que la mère n’a pas accouché de l’enfant dont il est question (ce
qui ouvre une alternative : ou bien on prouve que la mère n’a jamais accouché ; ou bien on prouve qu’elle a
accouché d’un autre enfant).
▪ Du côté du père, il faut établir que le mari de la mère (en cas d’établissement de la filiation par le jeu de la
présomption de paternité) ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas, biologiquement, le père de l’enfant.

Qui peut agir ?

La filiation établie par un titre nu (= sans possession d'état conforme) présente une vraisemblance bien moindre.
Cela justifie une certaine ouverture des conditions d’exercice de l’action. L’article 334 du Code civil prévoit ainsi
que l’action peut être engagée par toute personne qui y a intérêt (sous réserve de la restriction que l’article 336
apporte au droit d’agir du ministère public, qui est un tiers).

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Cours de Mme Traullé réservé à l’usage personnel des étudiants de l’UVSQ

Rappel :

L’article 334 du Code civil renvoie à l’article 321. Il est donc possible d’agir pendant dix ans à compter de la
naissance ou de la reconnaissance (étant rappelé que ce délai est suspendu à l’égard de l’enfant pendant sa
minorité).

2°) Contestation de la filiation établie par un titre corroboré par la possession d’état

Caractérisation de la possession d’état :

Faut-il que la possession d’état ait été constatée dans un acte de notoriété ? Le texte de l’article 333 du Code
civil ne l’exige pas, à la différence des articles 310-1 et 310-3 (lorsqu’il s’agit d’établir la filiation de façon
autonome). La possession d’état « nue » suffirait donc.

Principes de solution :

Lorsque la vérité biologique et la vérité sociologique s’accordent, il est normal que les possibilités de
contestation de la filiation soient restreintes. La préservation de la paix des familles l’impose. Cette sévérité se
traduira, sur le terrain du régime de l’action, par une restriction du nombre des titulaires de l’action et par un
délai relativement bref. De façon plus précise, il faut distinguer selon que la possession d’état (qui vient conforter
le titre) a duré 5 ans (a) ou non (b).

a/ En présence d’une possession d’état ayant duré au moins 5 ans depuis la naissance ou la reconnaissance

Texte applicable : article 333, alinéa 2 du Code civil

« Nul, à l'exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au
titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement ».

Précisions :

La possession d'état doit être continue pendant 5 ans (sinon, elle ne ferme pas l’action en contestation).

La possession d'état (de 5 ans ou plus) qui a commencé après la naissance (si la filiation est établie par l’acte
de naissance) ou après la reconnaissance (si la filiation est établie par reconnaissance) ne fermera pas l’action. Il
faut qu’il y ait concomitance entre l’établissement du titre (donc pas forcément la naissance, en cas de
reconnaissance après la naissance de l’enfant) et le point de départ de la possession d'état.

Rappels :

Même si le texte ne le prévoit pas expressément, la doctrine estime que le ministère public agit alors sur le
fondement de l’article 336 du Code civil (qui exige soit une preuve intrinsèque, soit une fraude à la loi).

En revanche, il y a une hésitation concernant le délai de la prescription de l’action du ministère public : faut-il
appliquer le délai de droit commun, soit 10 ans ?

Important : est-ce que le délai de 5 ans peut être suspendu ?

La jurisprudence semble retenir que le délai de 5 ans, évoqué à l’article 333, alinéa second, du Code civil est un
délai butoir, donc préfixe ou de forclusion. Cela signifie, très concrètement, qu’il ne peut pas être suspendu ou
interrompu.

A l’égard de l’enfant, il n’y a donc pas de suspension du délai (quinquennal prévu par l’article 333, alinéa second)
pendant sa minorité !

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De même, le parent qui entend contester la filiation ne peut pas soutenir qu’il a été empêché d’agir pendant le
délai (par exemple parce qu’il ignorait le caractère irrégulier ou falsifié du titre fondant la filiation de l’enfant).

b/ En présence d’une possession d’état n’ayant pas duré 5 ans depuis la naissance ou la reconnaissance

Texte applicable : article 333, alinéa 1, du Code civil

« Lorsque la possession d'état est conforme au titre, seuls peuvent agir l'enfant, l'un de ses père et mère ou
celui qui se prétend le parent véritable. L'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession
d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté ».

Une lecture rapide du cours vous donne à penser qu’il est toujours question du même délai de 5 ans. Or, il faut
bien distinguer les deux délais de 5 ans, évoqués à l’article 333 du Code civil. Il faut, de façon plus précise, bien
comprendre l’articulation des deux délais de 5 ans (article 333, alinéas 1 et 2) :

Si la possession d’état a duré seulement un an après la naissance, l’action en contestation pourra être
exercée jusqu’aux 6 ans de l’enfant (article 333, alinéa 1).

Si la possession d’état a duré deux ans après la naissance, l’action pourra être exercée jusqu’aux 7 ans
de l’enfant (article 333, alinéa 1).

Etc…

Mais, dès lors que la possession d’état a duré 5 ans, l’action est fermée en vertu de l’article 333, alinéa
2 (sauf, éventuellement, pour le ministère public).

La doctrine souligne que le résultat est illogique puisque plus la possession d’état dure, plus le délai pour
contester le titre est long.

Reprenons deux exemples : une possession d’état qui dure 6 mois = 5 ans et demi pour contester le
titre ; une possession d’état qui dure 4 ans = 9 ans pour contester le titre ! Comment expliquer cela ?

Rappel :

L’argument a fortiori (par rapport à l’alinéa 2 du texte) commande de conférer un droit d’agir au ministère public
(mais à nouveau, se pose le problème de la prescription).

Une dernière question doit être abordée : celle de la nature du délai en cause. Jusqu’à présent, la jurisprudence
n’a pas clairement tranché cette question. Or, la doctrine s’interroge sur le point suivant : s’agit-il d’un délai de
prescription « ordinaire », soumis au même régime que le délai de droit commun de 10 ans qui est prévu par
l’article 321 du Code civil ? En d’autres termes, le délai de 5 ans prévu par l’article 333, alinéa premier, du Code
civil est-il suspendu pendant la minorité de l’enfant ?

3°) L’incidence des droits fondamentaux

Le développement du contrôle du respect des droits fondamentaux est lourd de conséquences en la matière.
Concrètement, cela risque d’emporter un bouleversement des solutions retenues par le législateur. Il convient
toutefois de relever que l’origine de ce phénomène ne doit pas être cherchée dans le droit constitutionnel. Elle
relève, bien plus sûrement, du droit européen. Quel avenir pour les délais de prescription en matière de
contestation de filiation (paternité en pratique) et, plus largement, pour les conditions qui entravent l’exercice
de ces actions ? La question mérite d’être posée au regard de l’importance que la Cour européenne des droits
de l’homme accorde à une vérité biologique qui serait contraire à la filiation et/ou à un accord entre les intéressés
pour faire tomber la filiation litigieuse.

CEDH, 12 janvier 2006, Mizzi c/ Malte : la Cour n’admet pas qu’un père n’ait eu aucune possibilité, en
droit interne, de faire tomber la présomption de paternité lorsqu’il a appris, à la suite d’un test

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biologique (réalisé avec le concours de l’enfant), qu’il n’était pas le géniteur de l’enfant. Peu importe
que l’action en contestation de filiation soit prescrite. « Une situation dans laquelle une présomption
légale [ici la présomption de paternité] peut prévaloir sur la réalité biologique ne saurait être
compatible avec l’obligation de garantir le « respect » effectif de la vie privée et familiale, même eu
égard à la marge d’appréciation dont jouissent les Etats ».
Prise à la lettre, la formule va loin ! Cela montre en tout cas la place centrale qui est faite à la vérité
biologique devant la Cour européenne des droits de l’homme, en matière d’établissement contentieux
de la filiation.

D’autres arrêts montrent cependant que la vérité biologique ne doit pas systématiquement l’emporter. La Cour
a ainsi approuvé des juges internes d’avoir écarté une action exercée par celui qui était vraisemblablement le
père biologique de l’enfant au motif que la destruction de l’actuelle filiation de l’enfant était contraire à son
intérêt (CEDH, 26 juillet 2018, Fröhlich c/ Allemagne). De façon plus précise, l’âge de l’enfant et la situation du
couple de la mère ont joué un rôle important. Les juges internes ont estimé que changer la filiation de l’enfant
aurait probablement entraîné le divorce de la mère (et de celui qui est actuellement le père de l’enfant en droit,
à savoir le mari de la mère), ce qui aurait en outre préjudicié à l’enfant. Par ailleurs, les juges du fond ont estimé
que l’intérêt d’un enfant âgé de 6 ans n’était pas d’être confronté à un changement brutal de père dès lors qu’il
n’était pas au courant du conflit relatif à l’identification de son père.

Conclusion : comme toujours, la jurisprudence de la Cour européenne est nuancée.

Certes, la Cour européenne des droits de l’homme est clairement favorable à la vérité biologique. Cela se voit
lorsque le juge européen contrôle l’application d’une prescription interne.

Mais, cette faveur pour la vérité biologique trouve sa limite lorsque la faire prévaloir est contraire à l’intérêt de
l’enfant (cf. l’arrêt Fröhlich).

La jurisprudence européenne, notamment relative à la prescription des actions, n’est pas restée sans
conséquence sur le droit français. Ainsi, nous avons vu que, tout d’abord, la Cour de cassation a laissé entendre
que les restrictions posées par les articles 336 du Code civil et 423 du Code de procédure civile à l’action du
ministère public (une fois la prescription des actions des autres protagonistes acquise) pouvaient devoir être
écartées au nom du primat de la vérité biologique (Civ. 1, 10 juin 2015).

Par la suite, la question s’est plus franchement déplacée sur le terrain de la prescription. La Cour de cassation a
alors fini par faire une place à cette considération primordiale, aux yeux de la Cour européenne des droits de
l’homme, qu’est la date de découverte de la réalité biologique. Par un arrêt du 7 novembre 2018, la Première
Chambre civile a ainsi approuvé des juges du fond d’avoir jugé prescrite une action en contestation de paternité
exercée après l’écoulement de la prescription de 10 ans (applicable lorsque le titre n’est pas conforme à la
possession d’état), au motif qu’il était acquis aux débats que la demanderesse à l’action avait eu connaissance
de la vérité biologique avant l’expiration du délai de prescription.

C. L’ACTION EN CONTESTATION DE POSSESSION D 'ETAT

Précisons l’hypothèse envisagée : la filiation est établie par la seule possession d’état (= possession d’état comme
mode autonome de la filiation).

1°) Possession d'état constatée par un acte de notoriété

L’article 335 du Code civil dispose que la filiation établie par la possession d’état constatée par un acte de
notoriété peut être contestée par toute personne qui y a intérêt (il faut ajouter le ministère public en vertu de
l’article 336).

L’action doit être intentée dans le délai de dix ans à compter de la délivrance de l’acte.

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Rappel :

Peut-on prouver que la filiation n’est pas établie en apportant une preuve biologique ? La Cour de cassation
semble avoir écarté une telle possibilité en jugeant que l’expertise biologique n’a pas sa place dans les actions
relatives à la possession d’état.

2°) Possession d’état établie par jugement

L’ordonnance de 2005 n’a rien prévu de particulier à ce propos (il s’agirait de contester judiciairement une
filiation établie… judiciairement). Mais l’article 324 du Code civil prévoit que « les jugements rendus en matière
de filiation sont opposables aux personnes qui n’y ont point été parties » et que ces dernières « ont le droit de
former tierce-opposition dans le délai de l’article 321 si l’action leur était ouverte ».

Vocabulaire :

Tierce-opposition : voie de recours contre un jugement ouverte à des tiers à ce jugement (malgré le principe de
la relativité de la chose jugée).

Autrement dit, la contestation pourra intervenir par ceux qui n’ont pas été parties à la procédure. Et puisque le
jugement qui a constaté la possession d'état résulte d’une action ouverte à tout intéressé (article 330 du Code
civil), la tierce-opposition est ouverte à tout intéressé également.

Le tiers opposant peut alors contester l’établissement du lien de filiation en arguant, par exemple, de
l’inexistence de la possession d'état ou de son caractère vicié.

Cette voie de recours est ouverte dans le délai de l’article 321 du Code civil. Ainsi, l’action est ouverte pendant
10 ans à compter du jour où la personne a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté. Mais quelle est cette
date exactement ? Celle du jugement, ou bien celle du début de la possession d'état ?

Proposition de solution doctrinale : le jugement qui constate la possession d'état (qu’il s’agit de
contester) peut très bien constater une possession d'état qui existe depuis longtemps. Si on retient la
date à laquelle la personne a commencé à jouir de l’état, il se peut que le délai pour agir en tierce-
opposition soit déjà écoulé avant même que le jugement qui constate la possession d'état ait été rendu.
D’où la suggestion, faite par la doctrine, de tenir compte de la date du jugement. D’ailleurs, c’est
seulement à compter de cette date que la filiation est (rétroactivement) établie (puisque la possession
d’état ne permet plus, à elle seule, d’établir la filiation). C’est donc seulement à compter de cette date
que la personne a joui de l’état contesté (pour reprendre les termes de l’article 321 du Code civil).

IV. L’action à fins de subsides

Elle est prévue par les articles 342 et suivants du Code civil. Cette action repose sur le principe suivant : lorsqu’un
enfant n’a qu’une filiation établie du côté maternel, la loi prévoit qu’il peut obtenir des subsides de celui qui a
eu des relations intimes avec sa mère pendant la période légale de conception. L’hypothèse est donc celle d’un
enfant né hors mariage dont la filiation paternelle n’a pas été établie (pour les enfants nés au sein d’un mariage,
la question ne se pose pas en raison de la présomption de paternité).

Important : cette action est distincte de l’action en recherche de paternité

L’action à fin de subsides n’a pas pour but d’établir un lien de filiation. Comme son nom l’indique, elle permet
uniquement d’obtenir de subsides, c’est-à-dire une somme d’argent.

Quels sont donc les fondements d’une telle action (l’action à fins de subsides) ?

• L’action a assurément un fondement alimentaire. En effet, les sommes versées par l’homme sont
destinées à l’entretien de l’enfant et ne découlent pas, comme c’est le cas d’un certain nombre
d’obligations alimentaires, de l’existence d’un lien de filiation. Cependant, la loi ne parle pas d’obligation

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alimentaire ou d’aliments. Elle parle de subsides. Il n’est donc pas possible de se limiter à l’aspect
« alimentaire » de l’action.

• La doctrine évoque alors, en plus, une forme de responsabilité pour risque (pas pour faute !) pris par
celui qui pourrait être le père : il a eu des relations avec la mère pendant la période légale de conception,
sans que l’on soit pour autant certain qu’il est le père de l’enfant (puisque l’action à fins de subsides
n’est pas une action qui suppose ou tend à établir la paternité).

Il ne faut cependant pas tomber dans l’excès inverse et couper l’action à fins de subsides de la filiation.
Il y a en effet un lien évident entre action à fins de subsides et filiation (il faut, par exemple, que ce lien
de filiation soit possible ; de même, l’action est portée devant juge des actions en matière de filiation ;
le défendeur à l’action peut faire échouer celle-ci en établissant la preuve qu’il n’est pas le père
biologique de l’enfant).

Cornu résume : « responsabilité masculine, responsabilité de l’homme destinée à compenser, par un


partage des risques, l’inégalité naturelle qui, en général, fait peser sur la seule femme les conséquences
d’un acte accompli à deux ».

A. UTILITE

Initialement, cette action était justifiée par les conditions assez strictes de l'action en recherche de paternité. En
d’autres termes, la recherche de paternité n’étant pas toujours possible ou couronnée de succès, il fallait prévoir
un palliatif.

L'ordonnance du 4 juillet 2005 a changé la donne : elle permet d'exercer librement l'action en recherche de
paternité. Si l’on ajoute à cela le progrès des sciences biologiques (qui permettent aujourd'hui de désigner le
père avec certitude, notamment lorsque la mère de l'enfant a eu des relations avec plusieurs hommes pendant
la période légale de la conception), ne faut-il pas conclure que l'action à fins de subsides devait être supprimée ?
Le législateur ne l’a pas pensé et a opté, en 2005, pour le maintien de cette action, au regard de considérations
psychologiques et/ou sociales.

Exemples :

- une femme qui a été violée et qui a eu un enfant de ce viol ne veut pas que son enfant soit
juridiquement rattaché à l’homme qui l’a violée. Sous cet angle, l’action à fins de subsides a un aspect
« conservatoire » (selon l’expression de Mme D. Fenouillet) : elle permet à la mère, agissant au nom de
l’enfant, d’opter pour une situation d’attente (l’entretien de l’enfant est assuré pendant sa minorité.
A sa majorité, il peut décider d’exercer une action en recherche de paternité).

- il n’y a pas de paternité possible en cas d’inceste absolu. Dans une telle hypothèse, l’action à fins de
subsides conserve tout son intérêt, puisque si la filiation maternelle est établie, la filiation paternelle
ne pourra pas l’être.

B. CONDITIONS

Qui peut exercer l’action ?

En vertu de l’article 342 du Code civil, tout enfant (même incestueux !) peut intenter l’action à fins de subsides.
En revanche, il faut relever que la mère ne peut pas agir en son nom propre. Si elle agit, elle va agir en
représentation de son enfant mineur. L’action est donc attitrée, comme l’action en recherche de paternité, ce
qui est normal dès lors que l’article 342-6 du Code civil renvoie aux dispositions applicables à ce propos dans
l’action en recherche de paternité.

En outre, il faut que la filiation paternelle ne soit pas légalement établie. De fait, si la paternité est établie, la loi
fait obligation au père d’assumer l’entretien de l’enfant, de sorte que l’action à fins de subsides n’a plus d’objet.

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En revanche, l’action n’est pas subsidiaire, en ce sens qu’il n’est pas nécessaire qu’une action en recherche de
paternité ait été préalablement exercée sans succès.

Conditions à satisfaire en demande :

• Fond : le succès de l’action est subordonné à la démonstration de l’existence de relations intimes entre la
mère de l’enfant et le défendeur pendant la période légale de conception. Il faut donc que la paternité soit
possible (pas forcément vraie du point de vue biologique). Cette preuve peut être apportée par tous moyens.

• Délai : l’action peut être intentée pendant toute la minorité de l’enfant et celui-ci devenu majeur peut
encore agir dans les dix ans qui suivent sa majorité si l’action n’a pas été intentée avant (article 342, alinéa
2, du Code civil).

Moyens de défense :

Le défendeur peut faire échec à la demande en apportant la preuve qu’il ne peut pas être le père de l’enfant
(article 342-4 du Code civil).

NB : aujourd’hui la preuve biologique change les données de cette action. Grâce à elle, il y a moins
d’enfants sans filiation paternelle établie, donc moins d’enfants à secourir par le biais de l’action à fins
de subsides. On en revient alors à ce qui a été précédemment relevé : cette action est utile lorsque la
mère préfère obtenir une aide matérielle, sans établir un lien de filiation (qui existe, du point de vue
biologique), entre l’enfant et un homme qui ne voulait pas de lui. Il faut aussi rappeler l’hypothèse de
l’inceste absolu.

Cela peut sembler curieux au regard du fondement de l’action à fins de subsides (le risque pris) : même si le
défendeur n’est pas le père, il a tout de même pris un risque… qu’il devrait assumer ? En répondant par la
négative, la loi rapproche l’action à fins de subsides de la filiation (et l’éloigne de la responsabilité civile, pour
risque pris).

C. EFFETS

Effets d’ordre patrimonial :

L’action a pour principal effet de permettre de condamner l’homme qui a eu des relations avec la mère de
l’enfant pendant la période légale de conception à verser à celui-ci des subsides pour son entretien. Ces subsides
prennent la forme d’une pension, dont le montant est déterminé en fonction des besoins de l’enfant, des
ressources du débiteur et de sa situation de famille. Elles sont dues pendant toute la minorité de l’enfant et
même après s’il demeure dans un état de besoin qui ne lui est pas imputable (article 342, alinéa deux, du Code
civil).

Enfin, il convient de relever que si l’action à fins de subsides est accueillie, elle ne fait pas obstacle à l’exercice
ultérieur d’une action en recherche de paternité contre le même homme ou même contre un autre homme.
Mais si l’action en recherche de paternité aboutit, le versement des subsides n’aura évidemment plus lieu d’être
(puisque le père en droit sera, encore une fois, tenu d’assumer l’entretien de son enfant).

Effet extrapatrimonial :

En cas de succès, l’action crée un empêchement au mariage entre le débiteur et le bénéficiaire des subsides (ce
qui est logique puisqu’un lien de filiation est possible… Par où l’on constate, à nouveau, que l’on s’éloigne du
risque pris pour se rapprocher de la filiation).

En revanche, l’action n’a pas d’autre incidence extrapatrimoniale. Ainsi, il n’y a pas d’effet sur le nom de l’enfant,
ni sur l’autorité parentale.

136
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AUTO EVALUATION

5. Quelles sont les règles en matière de prohibition de l’établissement de la filiation incestueuse ?

6. Quelles présomptions la loi pose-t-elle en matière d’établissement de la filiation ?

7. Quels sont les modes d’établissement de la filiation hors contentieux ?

8. Quel est le fondement de la présomption de paternité du mari de la mère ?

9. La présomption de paternité : étendue, neutralisation et rétablissement

10. Quels enfants ne peuvent pas faire l’objet d’une reconnaissance ?

11. Peut-on faire une reconnaissance posthume ?

12. Quelles sont les difficultés soulevées par la reconnaissance prénatale ?

13. La nullité de la reconnaissance

14. Quels sont les effets d’une reconnaissance ?

15. Quel est le rôle de la possession d’état en matière d’établissement de la filiation – en et hors contentieux
(NB : la question est large et appelle une réponse à la fois précise et relativement longue) ?

16. Quels sont les éléments constitutifs de la possession d’état ?

17. Quels sont les caractères de la possession d’état ?

18. La prescription des actions relatives à la filiation (NB : la question appelle une réponse longue et détaillée,
notamment au regard des textes et de la jurisprudence qu’il faut citer)

19. Le principe chronologique : fondement textuel et effet

20. Quelles sont les règles applicables en matière de preuve scientifique de la filiation (NB : la question appelle
une réponse longue et détaillée, notamment au regard des textes et de la jurisprudence qu’il faut citer) ?

21. L’action en recherche de paternité ou de maternité

22. L’accouchement sous X

23. La jurisprudence Benjamin et ses suites

24. L’action en contestation de la possession d’état

25. Quel est le rôle du ministère public dans les actions relatives à la filiation (NB : la question appelle une
réponse longue et détaillée, notamment au regard des textes et de la jurisprudence qu’il faut citer) ?

26. A quelles conditions peut-on contester une filiation établie par un acte de naissance ou une reconnaissance ?

27. L’incidence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur les règles du Code civil
relatives à l’établissement de la filiation par le sang (NB : la question appelle une réponse longue et détaillée,
notamment au regard des textes et de la jurisprudence qu’il faut citer)

28. A quelles conditions peut-on contester une filiation établie par possession d’état ?

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29. Qu’est-ce que l’action à fins de subsides ? Qui peut l’exercer et dans quelles conditions ?

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CHAPITRE 2. LA FILIATION ADOPTIVE

La filiation adoptive ne correspond pas à une descendance biologique, mais résulte d’une manifestation de
volonté (de ou des adoptant) suivie d’une décision de l’autorité publique. Elle permet de rattacher une personne
à d’autres, qui vont être regardées comme ses parents bien que ne l’ayant pas engendrée.

Historiquement, les règles en matière d’adoption ont été construites à partir du modèle de la filiation par le sang.
Le droit a eu recours à une fiction (la filiation adoptive) pour reproduire ce que la nature fait normalement (via
la filiation par le sang). Bonaparte disait ainsi qu’avec l’adoption, la société voulait « singer la nature ».

Mais cette présentation de l’adoption est datée. Les choses ont beaucoup évolué à partir de la loi du 17 mai
2013 (relative au « mariage pour tous »). Les fondements de l’adoption ont été remis en cause par cette réforme.
De façon plus précise, l’équilibre entre le phénomène volontariste et le phénomène biologique a été modifié.
En effet, la réforme de 2013 a ouvert l’adoption conjointe (= adoption de l’enfant par les deux membres du
couple) et l’adoption unilatérale de l’enfant du conjoint (= adoption de l’enfant du conjoint par l’un des époux,
qui n’en est pas le père ou la mère biologique) aux couples de même sexe. Cela signifie, très concrètement, qu’un
enfant peut avoir deux pères ou deux mères pour seuls parents (dans le cadre d’une adoption plénière). Cela ne
correspond nullement à ce que permet la nature. C’est d’ailleurs contraire aux solutions traditionnellement
retenues en droit positif en matière de filiation par le sang. Partant, une partie de la doctrine estime que le
modèle de la filiation charnelle est dépassé. Vous pourriez penser qu’il s’agit là d’une discussion théorique, sans
réelle conséquence concrète. Or, il n’en est rien. Le fondement attribué à l’adoption commande en effet les
conditions et les effets de cette institution. Si vous modifiez son fondement, vous pouvez être amenés à changer,
par exemple, les conditions (relatives à l’âge des adoptants, au couple, etc…) ou encore les effets de l’adoption.

A la vérité, toutes ces questions étaient en germe avant la réforme de 2013. Il y a longtemps que l’on s’interroge
sur l’instrumentalisation de l’adoption (exemple : les adoptions simples intrafamiliales, comme l’oncle qui veut
adopter son neveu à la suite du décès du père, font régulièrement l’objet d’un débat. Faut-il l’autoriser ? La
réponse semble devoir être négative si l’on se fonde sur le modèle de la filiation par le sang. On confond alors
l’oncle avec le père. La nature ne fait pas cela. Mais si l’on délaisse le modèle de la filiation par le sang, la
conclusion ne pourrait-elle pas changer ?).

Tout cela atteste du développement du phénomène volontariste, au détriment du fondement biologique (la
« nature des choses »). La difficulté tient alors à ce que nombre de règles en matière d’adoption s’expliquent,
aujourd’hui encore, à partir du modèle qu’est la filiation par le sang. S’il faut oublier ce modèle et fonder
davantage la filiation adoptive sur la volonté, il faut que le législateur opère une réforme d’ensemble, une
réforme ambitieuse afin de redonner une cohérence à la matière. Malheureusement, il ne l’a pas fait. Il intervient
ponctuellement, « au coup par coup », sans réelle vision d’ensemble. En conséquence, l’adoption est en quête
de modèle et de cohérence.

Conformément au plan adopté par le Code civil depuis la dernière réforme (opérée par l’ordonnance du 5 octobre
2022), on commencera par exposer les conditions requises pour adopter (section 1), avant de détailler la
procédure à suivre (section 2). Puis, il faudra exposer les effets de l’adoption (section 3). Enfin, il faudra envisager
le cas particulier de l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple (section 4).

On esquissera toutefois dès maintenant la distinction entre adoption plénière et adoption simple, qui relève
pourtant des effets de l’adoption. En effet, les conditions de l’adoption peuvent varier selon le type d’adoption
dont il est question. La première, l’adoption plénière, rompt les liens que l’enfant pouvait avoir avec sa famille
d’origine. Son ou ses seuls parents seront désormais le ou les adoptants. Il n’existera plus de lien de droit avec
sa famille d’origine. Par comparaison, les effets d’une adoption simple sont plus mesurés : l’adoption simple crée
un nouveau lien de filiation avec le ou les adoptants, sans pour autant rompre ceux existants avec la famille
d’origine. A l’issue d’une adoption simple, l’enfant peut donc avoir deux pères et/ou deux mères par exemple.

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SECTION 1. CONDITIONS DE L’ADOPTION

La loi prévoit toute une série de conditions tenant à la situation de l’adoptant (I), à celle de l’adopté (II), aux
rapports existants entre les deux (III) ainsi qu’au consentement à l’adoption (IV).

I. L’adoptant

La loi ouvre deux possibilités : l’adoption peut être réalisée par les deux membres d’un couple ou par une
personne seule.

1) Lorsque l’adoption est demandée par un couple, l’article 343 du Code civil impose deux conditions :
1. Les adoptants doivent prouver une communauté de vie d’au moins un an.
2. Ils doivent être âgés, l’un et l’autre, de plus de 26 ans.

En revanche, la loi n’exige pas que le couple soit marié. Un couple PACSé ou même un couple de concubins
peut adopter. La seule chose qui est exclue, c’est l’adoption par un couple séparé de corps. Mais à la vérité,
cette exclusion n’en est pas vraiment une : un couple séparé de corps n’a très généralement plus de vie
commune ce qui signifie, très concrètement, que la condition de communauté de vie d’au moins un an ne
sera pas satisfaite.

Ce principe (de l’adoption conjointe par un couple) est toutefois neutralisé dans certaines circonstances.
Ainsi, il est exceptionnellement possible qu’un enfant soit successivement adopté par des personnes
différentes (alors qu’en principe, encore une fois, si l’adoption est faite par un couple, il faut que les deux
membres du couple adoptent en même temps). L’article 345-2 du Code civil le prévoit en cas de décès d’un
premier adoptant, ou encore en cas de décès du premier couple d’adoptants.

2) Mais l’adoption peut aussi être demandée par une seule personne qui, du reste, peut être célibataire,
PACSée ou mariée. Cela est prévu par l’alinéa premier de l’article 343-1 du Code civil.

Ainsi, l’adoption peut être réalisée par une personne (seule) qui est mariée ou PACSée, sans être partagée
par le conjoint ou partenaire. Cependant, il faut, dans ce cas, que le conjoint ou le partenaire donne son
consentement à l’adoption par l’autre de l’enfant, sous une forme quelconque (selon l’alinéa second du
texte précité). Et ce consentement n’est pas rétractable. Pour autant, il ne faut pas vous méprendre sur la
portée de ce consentement : un seul des deux époux ou partenaires adoptera. L’autre n’adoptera pas
l’enfant. Simplement, il doit donner son accord pour que son conjoint adopte. La seule exception prévue à
cette exigence tirée de l’accord de l’autre membre du couple vise l’hypothèse où ce dernier est dans
l’impossibilité de manifester sa volonté (par exemple parce qu’il est dans le coma ou atteint de troubles
psychiques qui obèrent sa volonté).

Dans l’hypothèse d’une adoption individuelle, il faut que l’adoptant soit âgé de plus de 26 ans (art. 343-1,
al. 1).

Pourquoi le législateur pose-t-il ces différents conditions ou exigences d’âge et/ou de situation maritale ? La
réponse ne fait guère de doute : il cherche à « copier » la procréation charnelle. Comme cela a été relevé en
introduction, l’adoption a été construite à partir du « modèle » que constituerait la filiation par le sang.

Enfin, il convient de relever que dans les deux cas (= qu’elle soit demandée par un couple ou par une personne
seule), l’adoption peut être faite en présence d’enfants. Les adoptants peuvent donc avoir des enfants
biologiques ou adoptés. Le consentement de ces enfants n’est alors pas requis. Mais le juge qui statue sur
l’adoption doit vérifier que l’adoption n’est pas de nature à compromettre la vie familiale (article 353-1, alinéa
3, du Code civil). On trouve ainsi des exemples jurisprudentiels où le juge a refusé l’adoption en raison de
l’opposition des enfants du couple adoptant.

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II. L’adopté

A. CONDITIONS D’AGE

1°) En cas d’adoption plénière

L’enfant doit être âgé de moins de 15 ans (article 345, alinéa 1, du Code civil). Cette règle s’explique par le but
de l’adoption plénière, qui est, entre autres, l’éducation de l’enfant.

Cependant cette condition est écartée, et l’adoption peut être demandée jusqu’aux 21 ans de l’enfant (article
345, alinéa 2) :
1. si l’enfant a été accueilli au foyer en vue de l’adoption avant cet âge par des personnes qui ne
remplissaient pas les conditions pour adopter,
2. ou s’il a fait l’objet auparavant d’une adoption simple,
3. ou encore s’il s’agit d’un enfant qui est pupille de l’Etat ou qui a été judiciairement déclaré délaissé.

2°) En cas d’adoption simple

Il n’y a aucune condition d’âge (une personne âgée de 40 ans peut ainsi faire l’objet d’une adoption simple). De
fait, l’adoption simple, comme on le reverra, ne tend pas à assurer l’éducation d’un enfant (souvenez-vous : elle
ne rompt pas les liens avec la famille d’origine. Elle ajoute des liens avec la famille adoptive, l’adopté conservant
ses liens avec sa famille d’origine).

C’est l’exemple classique de l’adoption par le beau-parent ayant vécu avec l’enfant pendant sa
minorité. En pratique, il n’est pas rare que ce type d’adoption soit demandée alors que l’enfant est
majeur depuis un certain temps déjà.

B. SITUATION FAMILIALE DE L’ADOPTE

Tout enfant ne peut pas faire l’objet d’une adoption. L’article 344 du Code civil définit les catégories d’enfants
qui peuvent faire l’objet d’une telle adoption :

- les mineurs pour lesquels les père et mère (ou le conseil de famille) ont valablement consenti à
l’adoption ;

- les pupilles de l’Etat (pour lesquels le conseil de famille des pupilles de l’Etat a donné son consentement
à l’adoption) ;

NB : à la différence de ce qui se passe lorsque l’enfant est « donné » à l’adoption par le conseil
de famille sur le fondement de l’article 344, 1° du Code civil, le conseil de famille des pupilles
de l’Etat est composé d’étrangers pour l’enfant et on parle de tutelle administrative (qui n’obéit
pas aux mêmes règles que la tutelle civile).

- les enfants déclarés abandonnés dans les conditions prévues aux articles 381-1 et 381-2 du Code civil,
relatifs à la déclaration judiciaire de délaissement parental.

- Les majeurs (pour peu que les conditions requises par ailleurs soient satisfaites. Attention, notamment,
aux conditions d’âge pour l’adoption plénière avec la limite des 21 ans).

Vous noterez, à cette occasion, que le consentement des parents d’origine n’est pas requis lorsque
l’adoption simple concerne un adulte. En d’autres termes, les parents d’origine ne disposent pas d’un
droit de véto leur permettant de faire obstacle à l’adoption (simple) de leur enfant devenu majeur.

Important : le chevauchement des différentes hypothèses prévues par l’article 344 du Code civil

Le texte de l’article 344 du Code civil peut susciter la confusion dès lors que 3 des hypothèses qu’il présente
comme étant distinctes peuvent, en réalité, se chevaucher.

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Ainsi, un enfant dont la filiation est établie en droit (qui a donc un père et/ou une mère) peut être remis au
service de l’aide sociale à l’enfance par son/ses parent(s) en vue de son admission comme pupille de l’Etat. La
qualité de pupille de l’Etat rend l’enfant adoptable. Et le consentement à l’adoption n’est alors pas donné par
le(s) parent(s). Il est donné par le conseil de famille des pupilles de l’Etat.

Reprenons ces différents points successivement.

1) Les enfants que les parents consentent à donner en adoption montrent qu’il est permis de consentir un
abandon de son enfant (ce qui est tout de même une dérogation significative au « principe » de l’indisponibilité
de l’état des personnes).

Mais ce consentement est un acte grave. En conséquence :

- Il doit émaner des deux parents si la filiation est établie à l’égard des deux (article 348, alinéa 1). Si la
filiation n’est établie qu’à l’égard d’un seul parent, ce dernier consent seul à l’adoption (article 348-1).

- En outre, le consentement des parents doit être donné devant un notaire ou reçu par le service de
l’aide sociale à l’enfance (= ASE, anciennement Assistance publique) lorsque l’enfant a été remis à ce
service (article 348-3, alinéa 2).

Afin d’éviter un « marché des enfants » (en bas âge), les parents qui consentent à l’adoption de leur enfant ne
peuvent remettre celui-ci directement à un autre particulier. L’enfant doit être remis au service de l’aide sociale
de l’enfance s’il a moins de deux ans (article 348-4).

Après avoir donné leur consentement à l’adoption (rappelez-vous : devant un notaire ou devant le service de
l’aide sociale à l’enfance), les parents disposent d’un délai de rétractation de deux mois, qu’ils peuvent utiliser
par le simple envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception (article 348-5). Il faut ajouter que la
rétractation d’un seul suffit à faire obstacle à l’adoption. Il est même possible, pour le parent qui se rétracte, de
demander par oral la remise de son enfant. Cette remise établit alors la rétractation.
En outre, la restitution de l’enfant peut encore être demandée au-delà de ce délai de deux mois si celui-ci n’a
pas encore été placé en vue de l’adoption (les parents peuvent donc récupérer un enfant qui a seulement été
recueilli par une personne ou une famille d’accueil). Si la personne à qui l’enfant a été confié refuse de le rendre,
le tribunal décide de ce qu’il convient de faire en ayant égard à l’intérêt de l’enfant (article 348-5, alinéa 2).

Par ailleurs, l’article 348-7 du Code civil prévoit que le juge peut surmonter un refus des parents de consentir à
l’adoption et prononcer l’adoption s’il estime abusif le refus de consentement opposé par les parents ou par l’un
d’eux seulement, lorsqu’ils se sont désintéressés de l’enfant « au risque d’en compromettre la santé ou la
moralité ».

Enfin, il convient de relever que lorsque les père et mère ne sont pas en état de consentir (décès, volonté
défaillante, retrait de l’autorité parentale, voire filiation non établie), c’est le conseil de famille (généralement
composé de proches de l’enfant, puisque cet enfant a une filiation) qui donne son consentement à l’adoption
(article 348-2). Ce sont alors les principes relatifs à la tutelle dite civile qui s’appliquent.

2) Les pupilles de l’État : ce sont les enfants qui sont immatriculés comme tels par décision de l’autorité publique
après avoir été confiés au service de l’aide sociale à l’enfance (tous les enfants recueillis par l’ASE n’ont donc pas
la qualité de pupille de l’Etat. Ils doivent être « immatriculés » en cette qualité).

L’article L. 224-4 du Code de l’action sociale et des familles définit les catégories d’enfants qui peuvent être
immatriculés en qualité de pupille de l’Etat :
1° Les enfants dont la filiation n'est pas établie ou est inconnue, qui ont été recueillis par le service de
l'aide sociale à l'enfance depuis plus de deux mois ;
2° Les enfants dont la filiation est établie et connue, qui ont expressément été remis au service de l'aide
sociale à l'enfance en vue de leur admission comme pupilles de l'Etat par les personnes qui ont qualité
pour consentir à leur adoption, depuis plus de deux mois ;

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3° Les enfants dont la filiation est établie et connue, qui ont expressément été remis au service de l'aide
sociale à l'enfance depuis plus de six mois par leur père ou leur mère en vue de leur admission comme
pupilles de l'Etat et dont l'autre parent n'a pas fait connaître au service, pendant ce délai, son intention
d'en assumer la charge ; avant l'expiration de ce délai de six mois, le service s'emploie à connaître les
intentions de l'autre parent ;
4° Les enfants orphelins de père et de mère pour lesquels la tutelle n'est pas organisée selon le chapitre
II du titre X du livre Ier du Code civil et qui ont été recueillis par le service de l'aide sociale à l'enfance
depuis plus de deux mois ;
5° Les enfants qui ont été recueillis par le service de l'aide sociale à l'enfance en application des articles
381-1 et 381-2 du Code civil (= déclaration judiciaire de délaissement parental, sur laquelle nous allons
revenir par la suite).

Il faut noter que dans les différentes hypothèses qui viennent d’être évoquées, les parents disposent d’un délai
de réflexion qui court à compter de la remise de l’enfant au SASE (de 2 ou de 6 mois). S’ils le souhaitent, ils
peuvent, pendant ce délai, faire obstacle à l’immatriculation de l’enfant en qualité de pupille de l’Etat.

Pour aller plus loin : le recours contre la décision d’immatriculation de l’enfant comme pupille de l’Etat

Passé le délai de réflexion, un recours est encore ouvert contre la décision d’immatriculation de l’enfant comme
pupille de l’Etat. L’article L 224-8 du Code de l’action sociale et des familles prévoit plus précisément un délai de
30 jours à compter de l’arrêté d’immatriculation.
Ce recours est ouvert aux parents, alliés ainsi qu’à toute personne justifiant d’un lien avec l’enfant (pour l’avoir
notamment gardé, en droit ou en fait).
Afin que les proches de l’enfants soient effectivement en mesure d’agir, le texte prévoit la notification de l’arrêté
d’immatriculation aux parents, membres de la famille de l’enfant et, plus largement, à toute personne ayant
assuré la garde de l’enfant de droit ou de fait, pour autant que ces personnes ont, « avant la date de cet arrêté,
… manifesté un intérêt pour l'enfant auprès du service de l'aide sociale à l'enfance ».
L’action n’est recevable que si l’auteur du recours indique qu’il est prêt à assumer la charge de l’enfant.

Tout cela n’est-il pas trop strict ? La combinaison des différents délais (relativement brefs), n’aboutit-elle pas à
une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ? Cela a été soutenu, mais en
vain. La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi validé le système français, sur ce point.

CEDH, 10 janvier 2008, Kearns c/ France : une jeune femme irlandaise vient accoucher sous X en France,
accompagnée de sa mère et d’un avocat français. Elle signe le procès-verbal d’admission de l’enfant en
qualité de pupille de l’état (dans lequel elle donne son consentement à l’adoption de l’enfant). Plus de
deux mois après la naissance, et alors que l’enfant était déjà placé en vue de son adoption, elle invoque
la nullité de son consentement pour vice du consentement (elle aurait été trompée sur les conséquences
de son acte et mal informée). Les autorités françaises refusent la restitution de l’enfant. Selon la Cour
de cassation, n’ayant pas reconnu l’enfant à sa naissance, elle n’avait pas à consentir à son adoption.
L’enfant n’avait donc pas de filiation établie et devait seulement être remis au service de l’aide sociale
à l’enfance pour être immatriculé en qualité de pupille de l’Etat. L’expiration des différents délais et le
placement de l’enfant font dès lors obstacle à sa restitution à la mère.
Devant la Cour européenne des droits de l’homme, la mère soutient que le délai de rétractation de 2
mois est trop bref.
La Cour va tout d’abord remarquer l’absence de consensus en Europe sur cette question de délai
(certains états considèrent que le consentement à l’adoption n’est pas rétractable et ceux qui ont prévu
un délai de rétractation n’ont évidemment pas tous retenu le même). Puis, elle se fonde sur l’intérêt
supérieur de l’enfant (seule considération qui doit primer sur toutes les autres, comme l’intérêt de la
mère ou l’intérêt des parents adoptifs) et considère, au contraire, que la brièveté du délai de 2 mois
est une garantie pour que l’enfant puisse rapidement trouver une situation stable et être doté d’une
filiation conforme à son intérêt. En outre, ce délai laisse tout de même à la mère un temps de réflexion.
Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme relève que la mère a été parfaitement informée (elle
était âgée de 36 ans, est venue en France pour accoucher assistée d’un avocat et a été reçue longuement
par les services sociaux en présence d’un interprète). La France n’est donc pas condamnée.

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3) Les enfants ayant fait l’objet d’une déclaration judiciaire de délaissement parental (articles 381-1 et 381-2
du Code civil) : cette procédure a été créée par une loi du 14 mars 2016, afin de remplacer l’ancienne déclaration
judiciaire d’abandon.

Quel est l’objectif ou l’idée de la réforme ?

L’ancienne déclaration judiciaire d’abandon était soumise à des conditions qui étaient rarement réunies
en pratique. Elle visait des enfants recueillis par un particulier, une œuvre privée ou le service de l’aide
sociale à l’enfance dont les parents s’étaient manifestement désintéressés (= ne pas entretenir des
relations nécessaires au maintien du lien affectif avec l’enfant) pendant l’année qui précède
l’introduction de la demande en déclaration d’abandon. A l’issue de cette période d’un an, celui qui avait
l’enfant en charge devait transmettre la demande de déclaration d’abandon à un juge. Le juge était alors
particulièrement exigeant quant à la caractérisation du « désintéressement volontaire ».

Civ. 1, 16 mars 2016 : dans cette affaire, l’enfant avait été placé dès sa naissance. Aucun
contact n’avait été relevé entre le père et l’enfant depuis le mois d’octobre 2010. La mère avait
consenti à l’abandon. Les services de l’aide sociale à l’enfance formulaient une requête
tendant à le voir déclaré abandonné.
Mais les juges vont refuser au motif que le père a été incarcéré à plusieurs reprises de 2011 à
2012, qu’il ne sait pas correctement écrire et qu’il souffre de carences éducatives et affectives.
Pas de désintéressement volontaire du père, donc.

La loi nouvelle veut centrer davantage le dispositif sur la situation de l’enfant et retient, dans cette perspective,
une définition objective du délaissement. Selon le nouvel article 381-1 du Code civil « un enfant est considéré
comme délaissé lorsque ses parents n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à
son développement pendant l’année qui précède l’introduction de la requête, sans que ces derniers en aient
été empêchés par quelque cause que ce soit ». Problème : la fin de la phrase recentre la définition sur la situation
des parents. En résumé, il faut que ceux-ci se soient désintéressés volontairement de l’enfant… ce qui n’est rien
d’autre qu’un retour à l’ancienne procédure ! Il n’est donc pas certain que la réforme change véritablement
quelque chose en la matière. Seul espoir : la réforme permet dorénavant au ministère public d’agir de sa propre
initiative pour présenter une demande de déclaration judiciaire d’abandon parental (article 381-2, alinéa 1, in
fine). Sinon, il agit sur proposition du juge des enfants. En outre, la réforme de 2016 permet de prononcer le
délaissement à l’égard d’un seul parent (objectif : lorsque l’autre consent à l’admission de l’enfant en qualité de
pupille de l’Etat ou directement à son adoption, il s’agit de permettre cette adoption. Antérieurement, cela
n’était pas possible car le délaissement parental ne pouvait être prononcé qu’à l’encontre des deux parents.
C’était un système du tout ou rien, en quelque sorte).

En pratique, l’hypothèse qui pose problème est celle des troubles psychiatriques de la mère ou du père.
Si ces troubles empêchent le parent d’exprimer une volonté consciente, le délaissement ne pourra pas
être envisagé (= l’enfant ne pourra jamais être adopté). En revanche, si ces troubles n’empêchent pas le
parent d’avoir des moments de lucidité, la procédure de délaissement peut être envisagée avec des
chances de succès.

Remarques :

« La simple rétractation du consentement, la demande de nouvelles ou l’intention exprimée mais non suivie
d’effet de reprendre l’enfant ne constituent pas un acte suffisant pour rejeter de plein droit une demande en
déclaration de délaissement parental » (article 381-2, alinéa 2).

En revanche, « le délaissement parental n’est pas déclaré si, au cours du délai mentionné au premier alinéa, un
membre de la famille a demandé à assumer la charge de l’enfant et si cette demande est jugée conforme à
l’intérêt de ce dernier » (même texte, alinéa 3).

Voie de recours contre la décision prononçant l’abandon (article 381-2, alinéa 6, du Code civil) : tierce-opposition
(mais uniquement en cas de dol, fraude ou erreur sur l’identité de l’enfant). Autant dire que c’est une voie (très)
étroite, donc rarement envisageable !

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Comme souvent, l’application de ces principes a été discutée devant la Cour européenne des droits de l’homme.
La France n’a pas été condamnée.

CEDH, 26 septembre 2013, Zambotto Perrin c/ France : une mère se désintéresse de son enfant, alors
qu’elle traverse une période de troubles avec une sévère dépression. Son état va même nécessiter une
hospitalisation à plusieurs reprises et un placement en curatelle (seules manifestations d’intérêt à
l’endroit de l’enfant pendant ce temps : reconnaissance du lien de filiation ; une seule visite à l’enfant ;
un seul envoi de carte avec un colis d’anniversaire). La déclaration d’abandon est retenue en première
instance. La mère fait appel, en faisant notamment valoir qu’elle n’était pas assistée de son curateur en
première instance (entre temps, il est mis fin à la curatelle). La cour d’appel admet l’irrégularité de la
première décision en ce qu’elle n’a pas fait intervenir le curateur. Mais, après avoir rejugé au fond, elle
retient à nouveau l’abandon, puis prononce l’adoption. La Cour de cassation rejette le pourvoi de la mère.
Cette dernière estime alors que ses droits fondamentaux ont été méconnus dans la mise en œuvre de la
procédure d’adoption et saisit la Cour européenne des droits de l’homme (violation du droit au respect
de la vie familiale).
La Cour commence par estimer que le lien familial entre l’enfant et la mère est « ténu ». Par conséquent,
la marge d’appréciation de l’état est grande.
Poursuivant, la Cour relève que l’Etat français n’a jamais fait obstacle aux rencontres entre la mère et
l’enfant. Certes, la mère a été hospitalisée sans son consentement, mais quelques rencontres avec
l’enfant ont été planifiées, avant d’être annulées… par la mère.
Abordant la question du processus décisionnel, la Cour relève le désintérêt manifeste et constant de la
mère pour l’enfant. Et s’il est vrai qu’il y a eu une irrégularité en première instance (absence de mise en
cause du curateur), il n’en a rien été en appel (comparution en personne, puisque la curatelle était levée,
avec assistance d’un avocat + possibilité de prendre connaissance de la décision attaquée et de produire
de nouvelles pièces).
Enfin, la Cour européenne estime que le délai d’un an, qui court entre la déclaration initiale d’abandon et
la décision d’adoption, n’est pas trop court, au regard de l’intérêt de l’enfant (qui a besoin de voir sa
situation personnelle sécurisée et stabilisée).

C. LE CONSENTEMENT A L’ADOPTION

Si l’enfant est âgé de plus de 13 ans, son consentement personnel est requis (article 349, alinéa 1). Cela signifie
que ce consentement ne peut être donné par un représentant de l’enfant.

En outre, ce consentement peut être librement rétracté jusqu’au jugement qui prononce l’adoption.

III. Les rapports entre adoptant et adopté

A. ECART D’AGE

L’adoption a pour but d’établir une relation de type filial. D’où une condition d’écart d’âge. Ainsi, un écart d’âge
minimum de 15 ans doit exister entre l’adoptant et l’adopté, selon l’alinéa premier de l’article 347 du Code civil.

Mais un juge peut autoriser une adoption alors même que la différence d’âge est inférieure à 15 ans « s’il y a de
justes motifs » (article 347, alinéa 2). Cependant, en pratique, cela est rarement admis.

B. PROHIBITION DE CERTAINES ADOPTIONS INTRAFAMILIALES

Il faut également souligner que l’existence d’un lien de parenté ou d’alliance entre adoptant et adopté n’est
pas, en principe, un obstacle à l’adoption.

Cependant, on a pu observer, en jurisprudence, une tendance à écarter les adoptions intrafamiliales (par exemple,
l’oncle qui veut adopter le neveu), au motif qu’elles sont voulues pour des raisons étrangères à l’adoption (motif
purement fiscal, par exemple) ou sont inopportunes pour l’enfant (confusion et bouleversement des rôles :
l’oncle devient également le père et l’enfant devient le frère de ses cousins, si on reprend notre exemple).

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La loi du 21 février 2022 est venue préciser les règles sur ce point. L’article 346 du Code civil interdit ainsi
l’adoption entre ascendants et descendants en ligne directe (c’est-à-dire entre grands-parents et petits-
enfants), ainsi qu’entre frère et sœur (un frère ne peut pas adopter sa sœur, par conséquent).

Une exception à ces interdictions est toutefois prévue par le même texte : l’adoption sera possible « s’il
existe des motifs graves que l’intérêt de l’adopté commande de prendre en considération ».

SECTION 2. PROCEDURE

La procédure est assez complexe dans la mesure où il s’agit de vérifier la qualité des candidats à l’adoption et
d’apprécier quel est l’intérêt de l’enfant. Elle comporte trois phases.

I. L’agrément

La première phase, c’est celle de l’obtention de l’agrément administratif, qui n’est toutefois requis que s’il s’agit
d’adopter un pupille de l’Etat ou un enfant étranger qui n’est pas l’enfant du conjoint, partenaire ou concubin.

Cet agrément est accordé par le président du conseil général, après enquête et avis d’une commission
administrative. L’objectif est clair : déterminer si le candidat à l’adoption est susceptible d’offrir à l’enfant de
bonnes conditions d’accueil, tant morales que matérielles.

L’agrément est donné (dans un délai d’instruction de 9 mois) pour 5 ans. Pendant cette période, le candidat à
l’adoption doit alors « trouver » un enfant à adopter.

Le refus d’agrément doit être motivé et est susceptible de recours devant les juridictions administratives. En
outre, un juge peut passer outre et prononcer néanmoins l’adoption si tel est l’intérêt de l’enfant et qu’il estime
que le ou les requérants sont aptes à accueillir l’enfant (article 353 du Code civil).

II. Le placement

Pour que l’adoption soit prononcée, il faut ensuite, c’est la deuxième phase de la procédure, que l’enfant
adoptable soit placé, c’est-à-dire remis officiellement aux personnes qui ont formé le projet d’adopter (article
351, alinéa 2, du Code civil).

Cette phase de la procédure concerne uniquement les pupilles de l’Etat, les enfants déclarés judiciairement
délaissés et, en cas d’adoption plénière, les enfants donnés à l’adoption par leur famille d’origine.

Lorsque l’enfant naît sans filiation établie, il ne peut y avoir de placement en vue de son adoption pendant les 2
mois qui suivent son recueil (article 352, alinéa 2).

Ce placement est très important puisqu’il met obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine et à
tout établissement postérieur du lien de filiation (article 352- 2).

Rappels :

1. Attention au jeu de la jurisprudence « Benjamin » (Civ. 1, 7 avril 2006), en présence d’un accouchement sous
X avec une reconnaissance paternelle prénatale, alors que l’enfant a été immatriculé comme pupille de l’Etat : le
conseil de famille des pupilles de l’Etat ne peut pas consentir valablement à l’adoption de l’enfant dès lors qu’il
a connaissance de l’existence de la reconnaissance paternelle.

2. Le Conseil constitutionnel a validé ces dispositions, par une décision du 7 février 2020 (alors que la
combinaison du délai de deux mois avant le placement de l’enfant et l’impossibilité de reconnaître un enfant
placé était discutée).

3. Les juges judiciaires peuvent effectuer un contrôle de conventionnalité des dispositions françaises qui
imposeraient au juge de déclarer irrecevable l’intervention du père biologique dans l’instance tendant au

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prononcé de l’adoption lorsque celui-ci n’est parvenu à identifier et reconnaître l’enfant qu’après son placement
en vue de son adoption.

III. La phase judiciaire

Vient enfin la phase judiciaire. Elle ne peut être engagée que si le placement a duré au moins six mois (article
353-1). Une requête doit être déposée par le ou les adoptants auprès du tribunal. Cette requête formalise le
consentement de l’adoptant. Elle peut être rétractée jusqu’à ce que la décision judiciaire devienne définitive.

Quelle est la mission et quels sont les pouvoirs du juge ?

- Le tribunal doit examiner les conditions légales de validité de l’adoption et, surtout, son opportunité au
regard de l’intérêt de l’enfant (article 353-1, alinéa 1). Cette exigence est très importante en pratique
en ce qu’elle permet de faire obstacle à une adoption « techniquement » parfaite (= toutes les
conditions prévues par la loi sont remplies), mais dont le résultat concret est contraire à l’intérêt de
l’enfant.

- Par ailleurs, le mineur peut être entendu par le tribunal (ou selon toute autre modalité adaptée à sa
situation personnelle) dès lors qu’il est capable de discernement (en pratique, vers 13 ans).

Si la requête est accueillie, le jugement prononce l’adoption et produit ses effets à compter de la date de la
requête.

Quelles sont les voies de recours contre une telle décision ?

- La décision du tribunal est susceptible d’appel par les parties (qui peuvent se rétracter à cette occasion,
par exemple parce qu’elles divorcent), par le ministère public et par les tiers (comme les grands-
parents), auxquels le jugement aura été notifié.

- Il peut aussi être frappé de tierce-opposition par les tiers intéressés qui n’auraient pas reçu notification
du jugement (le délai est alors de 30 ans !), mais uniquement en cas de dol ou fraude des adoptants
(article 353-2).

Il y a très peu de recours qui sont exercés avec succès contre un jugement d’adoption. Dans
ces conditions, il est intéressant de se pencher sur un arrêt récent de la Cour de cassation qui
a approuvé des juges du fond d’avoir annulé une adoption sur le fondement d’une tierce-
opposition (Civ. 1, 13 juin 2019). Dans cette affaire, un homme divorce et coupe toute relation
avec ses deux enfants par le sang. Trois années après son divorce, il adopte deux sœurs
majeures. A son décès, les adoptées soutiennent qu’elles sont fondées à obtenir une part de la
succession. Les enfants par le sang refusent et, découvrant alors le jugement d’adoption, ils
forment une tierce opposition à l’encontre de cette décision ( NB : la tierce opposition est une
voie de recours contre une décision de justice qui est ouverte à ceux qui, n’ayant pas été partie
aux procès, n’ont pu y faire valoir la défense de leurs intérêts). Les juges vont accueillir cette
tierce opposition, au motif qu’il y a eu fraude ou dol de la part de l’adoptant. Ils relèvent en ce
sens qu’il a sciemment omis d’informer le tribunal ayant prononcé l’adoption de l’existence
des deux enfants par le sang avec qui il était déjà en conflit ouvert. En outre, l’adoption a été
utilisée à des fins étrangères à la création d’un lien de filiation. Les juges ont en effet relevé
que l’adoptant n’avait ni élevé, ni éduqué les adoptées (qu’il avait connues à 22 ans) et que
l’adoption avait pour seul but de réduire la part successorale des enfants par le sang. Enfin,
les juges ont vérifié que l’annulation de l’adoption ne portait pas une atteinte disproportionnée
au droit au respect de la vie familiale des adoptées. Après avoir rappelé les circonstances
particulières de l’espèce (notamment le détournement de l’adoption) et après avoir relevé que
l’annulation était intervenue 9 ans après le prononcé de l’adoption et 3 ans après le décès de
l’adoptant, les juges ont estimé que la solution était équilibrée au regard des intérêts en
présence.

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En revanche, comme il s’agit d’une décision de justice, les causes de nullité des actes juridiques (vices du
consentement, par exemple) ne trouvent pas à s’appliquer.

Enfin, le pourvoi en cassation est possible (et il est suspensif, ce qui n’est normalement pas la règle).

Transcription du jugement prononçant l’adoption :

Selon l’article 354 du Code civil, la décision d’adoption doit être transcrite dans les quinze jours sur les registres
de l’État civil du lieu de naissance de l’adopté. Cette transcription tient lieu d’acte de naissance pour l’adopté.
L’acte de naissance originaire portera la mention adoption et sera considéré comme nul. En conséquence,
l’existence d’une adoption n’apparaîtra pas lorsque l’enfant demandera un extrait d’acte de naissance.

Pour aller plus loin : les limites du secret

La doctrine relève qu’en cas d’adoption par un couple de même sexe, l’enfant (et les tiers) auront nécessairement
connaissance de l’adoption (puisqu’en l’état actuel de la science, un enfant est le fruit d’une union
hétérosexuelle… quand l’acte de naissance comportera l’indication de deux mères ou deux pères).

SECTION 3. LES EFFETS DE L’ADOPTION

I. L’adoption plénière

L’adoption plénière débouche sur un changement de famille, c’est à dire une rupture irrévocable des liens avec
la famille par le sang et une intégration à la famille adoptive (= on ne peut pas révoquer une adoption plénière
pour que l’enfant réintègre sa famille par le sang. L’article 359 du Code civil l’indique très clairement). La rupture
avec la famille d’origine concerne tant les rapports personnels que les rapports pécuniaires. Ainsi, il est d’usage
de considérer que l’enfant adoptif est pleinement assimilé à un enfant biologique, tant sur le plan
extrapatrimonial que sur le plan patrimonial. Cela concerne aussi bien les questions de nom (le changement de
nom de l’adopté est même automatique selon l’article 357 du Code civil), d’autorité parentale, d’obligation
alimentaire ou de vocation successorale.

Exception : la loi française maintient les empêchements au mariage de l’adopté avec ses parents et alliés
d’origine (empêchement entre ascendants et descendants avec leurs alliés ; entre frère et sœur ; entre oncle et
nièce et tante et neveu). Cela est prévu par l’article 356 in fine. Cependant, il faut noter que cet empêchement
est très théorique, puisque l’identité des parents d’origine n’est en principe pas connue.

II. Les effets de l’adoption simple

A. LES RAPPORTS INTRAFAMILIAUX

Contrairement à ce que l’on a vu s’agissant de l’adoption plénière, dans l’adoption simple, l’adopté conserve des
liens avec sa famille d’origine. L’article 360 du Code civil l’indique expressément lorsqu’il dispose que « l’adoption
simple confère à l’adopté une filiation qui s’ajoute à sa filiation d’origine. L’adopté conserve ses droits dans sa
famille d’origine ». Il faudra donc combiner ces liens avec ceux que crée l’adoption simple.

1°) Les rapports entre l’adopté et l’adoptant

S’agissant tout d’abord des liens entre l’adopté et l’adoptant, ce dernier acquiert tous les droits de l’autorité
parentale (lorsque l’adopté est mineur !) y compris le droit de consentir à son mariage. De façon plus précise, et
le point est important, l’article 362 du Code civil prévoit expressément, dans son premier alinéa, que « l’adoptant
est seul investi à l’égard de l’adopté de tous les droits d’autorité parentale ». En d’autres termes, la famille par
le sang perd l’autorité parentale sur l’enfant.

Cependant, le texte prévoit une exception : en cas d’adoption de l’enfant du conjoint, partenaire ou
concubin, l’autorité parentale appartient aux deux époux (au parent biologique, comme à l’adoptant
donc). Mais il faut noter que l’exercice de cette autorité est alors confié au seul parent par le sang. Les

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époux, partenaires ou concubins peuvent néanmoins écarter une telle solution, au profit d’un exercice
en commun de l’autorité parentale, en effectuant une déclaration auprès du directeur des services du
greffe du tribunal judiciaire. Et le tribunal n’effectue alors aucun contrôle.

Par ailleurs, il existe entre l’adopté et l’adoptant une obligation alimentaire réciproque (l’obligation alimentaire
des parents biologiques devient subsidiaire ; tout cela est prévu par l’article 364 du Code civil), ainsi qu’un
empêchement à mariage.

Enfin, s’agissant du droit successoral, l’adopté et ses descendants ont les mêmes droits dans la succession de
l’adoptant que si l’adopté était un enfant biologique (article 365 du Code civil).

2°) Les rapports entre l’adopté et la famille de l’adoptant

S’agissant ensuite des liens entre l’adopté et la famille de l’adoptant, il n’est pas tout à fait exact de dire ici que
l’adopté entre dans cette famille. Ainsi il n’y a pas, par exemple, d’obligation alimentaire. En outre, si l’adopté a
des droits dans la succession des parents de l’adoptant, il n’est pas héritier réservataire, ce qui signifie qu’il peut
être écarté de la succession (par un ascendant, par exemple).

Dans le même temps, l’adoption simple crée des empêchements à mariage (article 361 : entre l’adoptant,
l’adopté et ses descendants ; entre l’adopté et le conjoint ou le partenaire de l’adoptant et réciproquement ;
entre enfants adoptifs ; entre l’adopté et les enfants de l’adoptant).

Remarques :

Certains empêchements (entre enfants adoptifs et entre l’adopté et les enfants de l’adoptant) peuvent être levés
par dispense du président de la République s’il y a des causes graves.

L’empêchement à mariage mettant en cause les conjoints peut être levé lorsque la personne qui a créé le lien
d’alliance ou le PACS est décédée.

3°) Les rapports entre l’adopté et sa famille d’origine

S’agissant enfin des rapports de l’adopté et de sa famille d’origine, la loi prévoit qu’il reste dans sa famille
d’origine et y conserve tous ses droits.

Deux tempéraments sont néanmoins apportés à ce principe :

1. les père et mère biologiques de l’enfant ne doivent lui fournir des aliments que si l’adoptant, tenu en
premier lieu, est dans l’impossibilité de remplir cette obligation.

2. l’autorité parentale est transférée en entier à l’adoptant et, même après le décès de celui-ci, elle ne
revient pas aux parents par le sang. Exception : adoption de l’enfant du conjoint, partenaire ou
concubin (mais les époux peuvent convenir d’un exercice en commun de l’autorité parentale).

B. LA CESSATION DE L’ADOPTION SIMPLE

L’éventuel établissement ultérieur d’un lien de filiation (par le sang) est sans effet sur l’adoption simple (article
367 du Code civil). Celle-ci peut cesser pour d’autres causes.

Révocation de l’adoption : à la différence avec l’adoption plénière, l’adoption simple n’est pas irrévocable. Mais,
les conditions de cette révocation sont différentes selon l’âge de l’adopté (article 368 du Code civil) :

- Lorsque l’adopté est majeur, la révocation peut être demandée par l’adopté ou par l’adoptant et
uniquement pour motif grave (survenu après l’adoption, selon la jurisprudence).

NB : la gravité des faits est appréciée souverainement par le juge (donc il faut un jugement).
Concrètement, il y aura un motif grave en l’absence de liens affectifs réels.

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- Lorsque l’adopté est mineur, seul le ministère public peut demander la révocation de l’adoption simple.

Si la demande est admise, la révocation fait cesser pour l’avenir les effets de l’adoption (article 369-1 du Code
civil).

Enfin, il ne faut pas oublier qu’il est possible de demander la transformation d’une adoption simple en une
adoption plénière lorsque l’adoption simple a eu lieu avant les 15 ans de l’enfant et que les conditions de
l’adoption plénière sont remplies.

SECTION 4. L’ADOPTION DE L’ENFANT DE L’AUTRE MEMBRE DU COUPLE

Il y a une certaine faveur pour ce type d’adoption. D’où un relatif assouplissement des conditions :

- Age de l’adoptant : aucune condition d’âge (art. 370-1).

- Ecart d’âge entre adoptant et adopté : 10 ans (non pas 15), avec la possibilité d’écarter cette condition
pour « juste motif » (art. 370-1-1).

- En cas de décès de l’un des deux adoptants, une nouvelle adoption peut être prononcée à la demande
du nouveau conjoint, partenaire ou concubin du survivant.

D’un autre côté, l’adoption est là pour combler un vide. Il faut donc éviter que l’adoption plénière de l’enfant du
conjoint, partenaire ou concubin ne soit utilisée pour couper l’enfant de son parent biologique ou de ses grands-
parents (si le parent est toujours là et exerce l’autorité parentale ou s’il y a encore des grands-parents qui
s’occupent de l’enfant, il reste l’adoption simple). L’article 370-1-3 du Code civil autorise donc l’adoption
plénière de l'enfant du conjoint uniquement dans les situations suivantes :
1° Lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint, partenaire ou concubin.
2° Lorsque l’enfant a fait l’objet d’une adoption plénière par ce seul conjoint, partenaire ou concubin,
et n’a de filiation établie qu’à son égard : c’est une disposition ajoutée en 2013 et qui vise l’hypothèse
du couple de même sexe dont l’un (un seul) a adopté un enfant. L’autre peut l’adopter par la suite.
3° Lorsque l'autre parent (autre que le conjoint, concubin ou partenaire) s'est vu retirer totalement
l'autorité parentale.
4° Lorsque l'autre parent (autre que le conjoint, concubin ou partenaire) est décédé et n'a pas laissé
d'ascendants au premier degré (= l’enfant n’a pas de grands-parents de ce côté de la famille) ou lorsque
ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l'enfant.

Enfin, il faut noter que dans l’adoption simple, l’adoptant est titulaire de l’autorité parentale concurremment
avec l’autre membre du couple, sans pouvoir toutefois exercer cette autorité parentale. En principe, seul le
parent biologique exerce l’autorité parentale. Le couple peut toutefois faire une déclaration prévoyant l’exercice
en commun de l’autorité parentale sur l’enfant.

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AUTO EVALUATION

1. Distinguez adoption simple et adoption plénière

2. Quelles sont les conditions de l’adoption ?

3. Quelle est la procédure prévue pour adopter un enfant ?

4. Quelles sont les spécificités de l’adoption de l’enfant du conjoint ?

5. A quelles conditions une adoption simple peut-elle être révoquée ?

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HAPITRE 3. LA FILIATION ETABLIE A LA SUITE DU RECOURS A UNE MESURE D’ASSISTANCE


MEDICALE A LA PROCREATION

L’assistance médicale à la procréation regroupe diverses techniques. Selon l’article L. 2141-1 du Code de la santé
publique, « l'assistance médicale à la procréation s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la
conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert
d'embryons et l'insémination artificielle ». Le texte poursuit en indiquant que la liste des techniques utilisées
pour ce faire doit être fixée par un arrêté ministériel.

Pour mieux comprendre la filiation établie dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, il convient
de revenir tout d’abord sur la consécration législative de ce procédé (section 1). Ensuite, il faudra préciser les
conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation (section 2). Enfin, il faudra examiner l’établissement
de la filiation (section 3).

SECTION I. LA CONSECRATION LEGISLATIVE DE L’ASSISTANCE MEDICALE A LA PROCREATION

La Cour européenne des droits de l’homme est régulièrement amenée à se prononcer sur la question de l’accès
à l’assistance médicale à la procréation. Si les arrêts qu’elle rend ne vont pas toujours dans le même sens, on
peut néanmoins dire que la tendance est globalement favorable au développement ce type de filiation.

CEDH, Evans c/ Royaume-Uni, 10 avril 2007 : un homme refuse à son ex-compagne l’implantation de
l’embryon qu’ils avaient obtenu par assistance médicale à la procréation. Ce faisant, il utilise le droit
de rétractation que la législation anglaise lui accorde (jusqu’à l’implantation de l’embryon). La difficulté
vient de ce qu’entre temps, la femme est devenue stérile. Elle ne peut donc plus concevoir d’enfant. Les
embryons dont il est question sont sa seule chance d’avoir un enfant qui serait « génétiquement » le
sien. Partant, la femme va saisir un juge afin qu’il interdise la destruction des embryons et autorise
son implantation. Mais les juridictions internes vont débouter la requérante. Celle-ci va alors saisir la
Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une violation de l’article 2 (droit à la vie) et de
l’article 8 de la Convention (vie privée de la requérante).
Sur le terrain de l’article 2, la Cour reprend une solution consacrée par l’arrêt Vo c/ France (7 mars
2006) : elle évite de trancher la question du point de départ de la vie (l’embryon est-il une personne ?).
Elle estime que les états membres disposent d’une marge d’appréciation importante dans ce domaine.
Or le droit britannique considère que l’embryon n’a pas la personnalité juridique. Il n’y a donc pas
nécessairement atteinte au droit à la vie lorsqu’on détruit un embryon.
Sur le terrain de l’article 8, la Cour commence par relever que la requérante soulève la question du droit
de devenir parent au sens génétique du terme. Poursuivant, la Cour constate l’absence de consensus
en Europe sur la question (notamment en ce qui concerne la rétractation d’un consentement
préalablement donné). Abordant enfin le contenu de la législation anglaise, la Cour européenne des
droits de l’homme estime que l’impossibilité absolue de surmonter le refus de consentement de
l’homme est justifiée par de solides raisons (dignité humaine, protection de la libre volonté, sécurité
juridique - en évitant de discuter le bien-fondé du refus, etc…). Au passage, la Cour souligne que les
intérêts en cause sont inconciliables (ou bien on sacrifie les intérêts de la femme, ; ou bien on sacrifie
ceux de l’homme). Conclusion : le Royaume-Uni ne saurait être sanctionné pour n’avoir pas permis de
surmonter le refus de l’homme (étant précisé que la solution inverse aurait pu être envisagée, à savoir
surmonter le refus dans certaines hypothèses, en raison, encore une fois, de la grande marge
d’appréciation laissée aux états).

CEDH, Dickson c/ Royaume-Uni, 4 décembre 2007 : les autorités britanniques ont refusé au requérant,
détenu en prison (condamnation pour meurtre avec, comme peine, la réclusion criminelle à perpétuité
assortie d’une peine de sûreté de 15 ans), et à son épouse le recours à l’insémination artificielle.
La Cour commence par rappeler qu’en prison comme ailleurs, toute personne a droit au respect de ses
droits fondamentaux. L’article 8 de la Convention peut donc être invoqué par un détenu. Puis, abordant
la question de la marge d’appréciation de l’Etat membre en cause, elle estime que le Royaume-Uni
dispose d’une ample marge d’appréciation (la motivation est un peu confuse sur la question de
l’existence, ou non d’un consensus. Ce que l’on comprend, toutefois, c’est que la Cour européenne des
droits de l’homme ne veut pas imposer une solution, comme l’introduction de « visites conjugales »

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permettant de concevoir un enfant en prison. Plus généralement, elle reste en retrait au regard du sujet
- délicat - dont il est question). Le Royaume-Uni va néanmoins se faire condamner au motif que le refus
ne procède pas d’une véritable mise en balance entre les intérêts des requérants et ceux invoqués au
soutien du refus de l’assistance médicale à la procréation. De façon plus précise, la Cour va estimer que
si le droit anglais admet, dans certaines circonstances (exceptionnelles) le recours à l’assistance
médicale à la procréation dans de telles conditions, les exigences posées en la matière sont telles que
bien trop peu de demandes peuvent aboutir. En d’autres termes, la « barre est (trop) haut(e) ».
Partant, la Cour a finalement conclu que le refus des autorités britanniques constituait une atteinte
disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale.

CEDH, S.H. et autres c/ Autriche, 3 novembre 2011 : la législation autrichienne est discutée par plusieurs
couples (requérants) en ce qu’elle autorise l’assistance médicale à la procréation endogène, mais
encadre strictement, voire interdit, le don de sperme et d’ovules.
Le débat va être placé sous l’angle du droit au respect de la vie privée. Comme souvent, c’est l’exigence
de proportionnalité de l’atteinte portée par une loi interne au droit au respect de la vie privée qui va
faire l’objet de l’argumentation des juges européens.
Dans cette perspective, l’absence de consensus en Europe est tout d’abord relevée par la Cour
européenne des droits de l’homme pour accorder à l’Etat membre une ample marge d’appréciation.
Puis, la Cour va dissocier les questions et aborder séparément la question du refus du don d’ovule et
celle du refus du don de sperme.
Sur le refus du don d’ovule, elle s’en tient à la marge d’appréciation de l’Etat autrichien, notamment
après avoir relevé que le don d’ovules pose la délicate question de la coexistence entre une mère
génétique (celle qui a fourni l’ovule) et une mère gestatrice (celle qui a porté l’enfant conçu à partir
d’ovules d’une autre femme). L’absence de consensus est également rappelée pour justifier l’absence
de condamnation de l’Etat membre s’agissant du refus du don d’ovule.
Sur le refus du don de sperme, il faut commencer par préciser la situation du couple qui saisit la Cour :
la femme ne peut pas concevoir un enfant in vivo (mais c’est possible, avec ses propres forces, dans le
cadre d’une conception in vitro) et l’homme est stérile. Pour avoir un enfant, le couple est donc contraint
d’avoir recours à une fécondation in vitro + don de sperme. Or, si la législation autrichienne permet les
2 séparément, elle n’autorise pas le « cumul » des deux procédés (= la fécondation in vitro est possible
lorsqu’elle fait appel aux seules forces du couple + le don de sperme n’est possible que pour une
fécondation in vivo), ce que la Cour va également admettre. La motivation est quelque peu confuse,
mais on comprend que la Cour ne veut pas trancher une question qui soulève des considérations
morales et sociales complexes.
En définitive, la législation de l’Etat membre est donc validée. Pour autant, la Cour européenne des
droits de l’homme ajoute (après avoir exclu toute violation de la Convention) que « néanmoins, [elle]
ne peut que constater que le parlement autrichien n’a pas, à ce jour, procédé à un réexamen approfondi
des règles régissant la procréation artificielle à la lumière de l’évolution rapide que connaissent la
science et la société à cet égard ». Autant dire que le brevet de conventionnalité délivré à la législation
autrichienne est (très ?) provisoire…

Le cadre des droits fondamentaux posé, revenons à ce qui est autorisé (I) ou interdit (II) en France, en matière
d’assistance médicale à la procréation.

I. Ce qui est autorisé

Il faut reprendre la liste établie par l’article L. 2141-1 du Code de la santé publique pour déterminer ce qu’il est
possible de faire en matière d’assistance médicale à la procréation.

1°) On constate alors que l’insémination artificielle est possible. Il s’agit d’une technique bien connue qui permet
d’inséminer la femme avec les spermatozoïdes de l’homme ou même de concevoir l’embryon in vitro pour le
réimplanter ensuite dans l’utérus de la femme. L’enfant ainsi conçu est alors génétiquement issu des deux
membres du couple. On parle à ce propos de procréation endogène (parce que la conception est alors faite à
l’aide des forces du couple).

2°) Le don de gamètes est également autorisé. Nous venons de la voir, la fécondation in vitro peut permettre une
procréation avec les forces du couple (l’enfant est alors entièrement conçu par le couple, simplement il n’y a pas

153
Cours de Mme Traullé réservé à l’usage personnel des étudiants de l’UVSQ

de rapport charnel). Mais on peut aussi envisager que les gamètes proviennent de tiers. C’est l’hypothèse du don
de gamètes, dont il est maintenant question.
De façon plus précise, il est alors possible d’utiliser les spermatozoïdes d’un tiers donneur afin de procéder à
l’insémination artificielle d’une femme. Il est également possible d’utiliser les ovules d’une femme extérieure au
couple afin de concevoir un embryon par fécondation in vitro, l’embryon étant ensuite implanté dans l’utérus de
celle qui va devenir la mère de l’enfant.
Dans toutes ces hypothèses, on parle de procréation exogène (parce la conception de l’enfant fait intervenir un
tiers).

Les dons de gamètes sont soumis à des principes généraux :

• gratuité : il est impossible d’allouer une quelconque rémunération au donneur. Le don est
nécessairement désintéressé. Cette règle découle de l’article 16-6 du Code civil, qui dispose qu’« aucune
rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête … au prélèvement d'éléments de son corps ou à
la collecte de produits de celui-ci ».

• anonymat : le principe de l’anonymat joue à double sens. Le donneur ne peut pas connaître l’identité
du receveur et réciproquement.
Ce principe a toutefois été discuté, notamment au regard du droit de l’enfant à connaître ses origines,
et n’est pas admis partout (à l’étranger, certains pays l’excluent). La critique a fini par porter et la loi du
2 août 2021, si elle a maintenu le principe, en a néanmoins sérieusement limité la portée. L’article 16-
8-1 du Code civil dispose en effet que ce principe n’empêche pas l’enfant, devenu majeur, d’accéder à
l’identité du donneur.

Pour aller plus loin : la difficulté, pour l’enfant, d’avoir accès à ses origines

En pratique, il n’est pas certain que l’enfant puisse aisément lever l’anonymat du tiers donneur. En effet,
aucun élément de son acte de naissance n’indique qu’il a été conçu à la suite d’une assistance médicale
à la procréation. A fortiori, aucun élément n’indique l’intervention d’un tiers donneur. Dans ces
conditions, le secret de sa conception est largement entre les mains des parents (sauf pour les couples
de femmes).

Le double don de gamètes est enfin admis. Ce type de procédé ne peut toutefois être envisagé qu’en présence
d’un couple hétérosexuel. En présence d’un couple de femmes, il n’est pas possible de concevoir un embryon à
l’aide des forces de celle qui ne portera pas l’enfant (on appelle cela la ROPA, ou réception de l’ovocyte par la
partenaire).

3°) Le don d’embryon, conçu avec les seules forces d’un couple tiers, est également admis. Mais il est plus
strictement encadré que le don de gamètes :
- Il doit ainsi faire l’objet d’un consentement écrit, donné devant un notaire.
- En outre, il ne peut porter que sur des embryons dits « surnuméraires ». Les embryons
« surnuméraires » sont des embryons qui ont été conçus dans le cadre d’une fécondation in vitro avec
une procréation endogène (qui concerne alors le couple donneur). Imaginons par exemple qu’à la suite
d’une fécondation in vitro, un couple parvienne à concevoir 2 embryons. L’un est implanté dans l’utérus
de la femme, qui donne naissance à un enfant. L’embryon qui reste est dit en surnombre, ou
surnuméraire. Il peut alors faire l’objet d’un don en faveur d’un autre couple. Ainsi, le législateur veut
interdire le procédé permettant à un couple de concevoir, par fécondation in vitro, des embryons dans
le seul but d’en faire don à des tiers (aucun des embryons conçus ne serait utilisé pour le couple).

Pour aller plus loin : faut-il supprimer la possibilité de congeler des embryons en surnombre ?

En 1994, la possibilité de congeler des embryons en surnombre a été accordée parce qu’il était impossible à
l’époque de congeler des ovocytes. Or, la technique permet aujourd’hui la congélation des ovocytes. Dans ces
conditions, ne faut-il pas revenir sur la possibilité de congeler des embryons ?

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II. Ce qui est interdit

La loi déclare illicites un certain nombre d’opérations que la jurisprudence avait auparavant condamnées.

A. LA MATERNITE POUR AUTRUI

On distingue deux modalités de maternité pour autrui :

• La gestation pour autrui : dans le cadre d’une gestation pour autrui, stricto sensu, un embryon est conçu
avec les gamètes du couple commanditaire, ou avec celles de donneurs anonymes, puis du transféré
dans l’utérus de la gestatrice. Celle-ci consent à l’abandon de l’enfant à sa naissance et le remet au
couple commanditaire.
Par conséquent, dans la gestation pour autrui, au sens strict, l’enfant n’est pas génétiquement celui de
la femme qui le porte (il est celui des parents d’intention, voire celui de tiers). Il s’agit, en somme, d’une
simple « utilisation » de l’utérus de la femme qui porte l’enfant.

• La mère porteuse : dans cette hypothèse, tout commence par une insémination (artificielle) de la mère
porteuse avec le sperme de l’homme du couple demandeur. Puis, la mère porteuse consent à l’abandon
de l’enfant et le remet au couple demandeur.
Ici l’enfant est non seulement porté par la mère de substitution, mais aussi conçu par elle. Il y a donc
utilisation des ovocytes de la mère porteuse, ainsi que de son utérus.

La jurisprudence a tout d’abord été saisie de la question. La Cour de cassation a condamné la pratique par un
arrêt rendu en Assemblée plénière, le 31 mai 1991. A cette occasion, elle a jugé que « la convention par laquelle
une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance
contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité
de l’état des personnes ». Puis, revenant à l’espèce, la Cour de cassation a ajouté qu’il y avait eu détournement
de l’institution de l’adoption. En effet, en l’espèce, l’enfant avait été conçu par une insémination artificielle
d’une femme à l’aide du sperme du mari d’une femme qui était stérile. La femme inséminée avait porté l’enfant,
accouché et l’avait abandonné à la mère d’intention (l’épouse, stérile, du père), qui l’avait adopté. La Cour de
cassation va juger qu’une telle adoption ne saurait être valable.

Par la suite, le législateur est intervenu. Les lois bioéthiques de 1994 ont consacré l’interdiction posée par la
jurisprudence, qui figure désormais à l’article 16-7 du Code civil. Le texte dispose que « toute convention portant
sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Ce faisant, il vise tant les conventions de
mère porteuse que la « simple » gestation pour autrui. Et l’article 16-9 du Code civil ajoute que « les dispositions
du présent chapitre sont d'ordre public ».

Ces textes interdisent tout recours à un contrat de gestation pour autrui (au sens strict, comme au sens large)
sur le sol français. Mais que faut-il décider lorsque l’interdiction n’est pas respectée ? Dans une hypothèse certes
particulière, la Cour de cassation a refusé de faire tomber une filiation contraire à la vérité biologique et qui
était contestée par le parent biologique de l’enfant.

Civ. 1, 12 septembre 2019 : dans cette affaire, un premier contrat de gestation pour autrui avait été conclu
(en France !) entre un couple d’hommes et une femme. Les deux hommes avaient donné leur sperme et
l’insémination (qualifiée d’artisanale par les juges) devait être réalisée aléatoirement. La femme tombe
enceinte et l’un des deux hommes reconnaît l’enfant à naître au cours de la grossesse. La femme accouche
et indique à ses cocontractants que l’enfant est décédé à la naissance. Or, c’est faux : l’enfant est vivant
et a été remis à un autre couple (un couple hétérosexuel), qui s’était préalablement vu refuser un
agrément en vue d’une adoption. Ce second couple ignore tout des circonstances qui sont à l’origine de
la conception de l’enfant (la mère porteuse leur indique que l’enfant aurait pour père son mari et qu’ils
ne pourraient pas l’élever en raison de difficultés économiques). L’homme du couple qui recueille l’enfant
le reconnaît et l’élève. Mais les premiers cocontractants de la mère porteuse apprennent rapidement la
vérité et déposent plainte contre elle pour escroquerie. Cela donne lieu à un procès pénal, à l’issue duquel
tous les protagonistes vont être condamnés pour avoir eu recours à une convention de gestation pour
autrui prohibée en droit français. Surtout, dans le cadre du procès pénal, l’identité du père biologique de
l’enfant est établie : il s’agit de l’homme qui ne l’a jamais reconnu. Et, moins d’un an après la

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reconnaissance de l’enfant par le père d’intention qui l’élève, le père biologique agit en contestation de
paternité. Il veut faire tomber la filiation paternelle de l’enfant et établir sa propre filiation.

La cour d’appel juge l’action irrecevable au motif qu’elle repose sur la conclusion d’un contrat illicite (le
premier contrat de gestation pour autrui). Poursuivant, les juges du fond affirment que l’intérêt de
l’enfant n’impose pas de faire triompher la vérité biologique en l’espèce, dès lors qu’il est élevé depuis
sa naissance dans de bonnes conditions par le père d’intention (l’enfant a maintenant quelques années).
Enfin, il est ajouté que seul le ministère public pourrait contester la filiation paternelle de l’enfant. Or,
le procureur de la République a fait savoir qu’il n’entendait pas agir.

Le père biologique de l’enfant forme un pourvoi en cassation. Dans ce cadre de ce pourvoi, il critique
l’irrecevabilité de son action. Selon lui, le droit français ne prévoit pas une telle sanction en cas de recours
à une convention de gestation pour autrui. En outre, il invoque l’article 8 de la Convention européenne
des droits de l’homme, soutenant être victime d’une ingérence excessive dans sa vie privée. Il rappelle, à
cette occasion, le poids que la Cour européenne des droits de l’homme accorde à la vérité biologique.

La Cour de cassation va rejeter ces arguments en s’appuyant sur des motifs qui ne sont pas à l’abri de la
critique. Tout d’abord, la Cour rappelle que la convention de gestation pour autrui est nulle et que cette
nullité est d’ordre public. Elle en déduit que la cour d’appel a eu raison de conclure à l’irrecevabilité de
l’action en contestation de paternité. Puis, passant au contrôle de conventionnalité, la Cour de cassation
reprend les motifs des juges du fond et estime qu’ils ont procédé à une juste balance des intérêts en
présence.

Un tel raisonnement encourt plusieurs critiques :

• Tout d’abord, la Cour ajoute à la loi française lorsqu’elle indique que l’action en contestation de
paternité est irrecevable dès lors qu’elle repose sur une convention de gestation pour autrui qui
est nulle. De fait, on peut raisonnablement penser que le demandeur se prévalait uniquement de
sa qualité de père biologique de l’enfant. Il ne prétendait tirer aucun droit du contrat de gestation
pour autrui. Il ne soutenait pas que le contrat avait été valablement conclu et devait produire des
effets en droit. Bien au contraire, nul doute qu’il savait parfaitement que le contrat était nul et qu’il
ne pouvait donc produire aucun effet en droit. Il exposait uniquement le détail des circonstances
de la conception de l’enfant, dans un contexte que les protagonistes pouvaient difficilement
ignorer.

• Très concrètement, la solution retenue par la Cour de cassation revient à refuser d’appliquer les
dispositions de l’article 333 du Code civil (étant précisé que la prescription de l’action du père
biologique n’était visiblement pas acquise).

• Enfin, le contrôle de conventionnalité est pour le moins rudimentaire. Nulle trace du test en 3
étapes. L’ingérence est-elle prévue par la loi ? Poursuit-elle un but légitime ? Est-elle
proportionnée ? Quant au contrôle de proportionnalité stricto sensu, il est tout aussi rudimentaire.
La Cour de cassation se contente d’énoncer que les juges du fond ont procédé à une juste balance
des intérêts en présence, sans étayer cette affirmation. Elle se borne à faire (rapidement) prévaloir
le vécu sur la vérité biologique.
La suite de l’affaire montre que cet aspect n’a toutefois pas choqué la Cour européenne des droits
de l’homme.

CEDH, 7 avril 2022 : l’affaire est portée devant le juge européen par le père biologique de l’enfant.

De façon classique, la Cour européenne des droits de l’homme n’a relevé aucune difficulté au stade des
deux premières étapes du contrôle. L’ingérence dans la vie privée du requérant a bien été jugée prévue
par la loi. De fait, la gestation pour autrui est expressément interdite en droit français. L’existence d’un
but légitime, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui, en particulier ceux de l’enfant, a ensuite
été relevée.

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Sur le terrain du contrôle de proportionnalité, la conclusion a été différente. Le raisonnement de la Cour


européenne des droits de l’homme a été effectué en deux temps :

1) Dans un premier temps, le juge européen a estimé que les juridictions françaises avaient
effectué une mise en balance des intérêts en présence à l’abri de la critique au motif que
l’intérêt de l’enfant avait été placé au centre des préoccupations.
Cette affirmation pourrait vous surprendre. De fait, nous venons de voir que cela ne ressort pas
de l’arrêt de la Cour de cassation. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour européenne des
droits de l’homme s’est largement appuyée sur l’arrêt rendu par la cour d’appel française. Elle
également fait état des … conclusions de l’avocat général près la Cour de cassation.

2) Dans un second temps, la Cour européenne des droits de l’homme a relevé que la procédure
avait été d’une durée excessivement longue (tout en restant sur le terrain de l’article 8 de la
Convention, donc sans s’appuyer sur le droit au procès équitable prévu à l’article 6, § 1). Il est
vrai que l’instance a été initiée quand l’enfant avait 4 mois. Or, la première décision des juges
du fond a été rendue presque 4 ans après. Celle de la cour d’appel a été rendue alors que
l’enfant avait déjà 5 ans. Et, lorsque la Cour de cassation a mis un terme au litige, l’enfant avait
6 ans et demi. Cet écoulement du temps a été jugé problématique par la Cour européenne des
droits de l’homme dès lors qu’il avait eu un impact sur l’appréciation de l’affaire. En effet, les
juges du fond ont notamment relevé que l’enfant s’épanouissait dans un milieu stable depuis
un certain temps. En d’autres termes, l’écoulement du temps a joué en faveur des parents
d’intention, et contre le père biologique.

B. LE CLONAGE

La loi du 6 août 2004 (article 16-4 du Code civil) a interdit le clonage humain, entendu comme l’intervention
ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne (vivante ou décédée).
Même le clonage à fins thérapeutiques ou de recherche est interdit lorsqu’il porte sur l’être humain.

L’interdiction civile se double d’une interdiction pénalement sanctionnée : 30 ans de réclusion criminelle et
7 500 000 euros d’amende pour le clonage reproductif, mais 7 ans de réclusion et 100 000 euros d’amende pour
le clonage à fins industrielles ou commerciales, de recherche ou thérapeutique.

SECTION 2. LES CONDITIONS DE L’ASSISTANCE MEDICALE A LA PROCREATION

Qui peut bénéficier de l’assistance médicale à la procréation (I) ? Et comment le consentement à cette
procréation doit-il s’exprimer (II) ? Tels sont les deux points qu’il faut successivement aborder.

I. Les bénéficiaires

La loi a récemment changé la finalité assignée à l’assistance médicale à la procréation (A), dans le but avoué
d’élargir le nombre de bénéficiaires de cette technique (B).

A. LA FINALITE DE L’ASSISTANCE MEDICALE A LA PROCREATION

Pendant longtemps, l'assistance médicale à la procréation a eu pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple
ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité.
L’assistance médicale à la procréation avait alors une finalité thérapeutique. Elle était destinée à aider ceux qui
ne peuvent pas avoir d’enfants, pour des raisons médicales, en raisonnant à partir du modèle de la filiation par
le sang. Logiquement, elle avait pour modèle la filiation par le sang.

Le paradigme a changé avec la loi du 2 août 2021 sur la bioéthique. Ce texte a supprimé la finalité thérapeutique
de l’assistance médicale à la procréation. L’article L. 2141-2 du Code de la santé publique dispose désormais que
« l’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental ». Cela n’est pas sans
incidence sur la détermination des bénéficiaires de cette technique.

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B. L’ELARGISSEMENT DES BENEFICIAIRES DE L’ASSISTANCE MEDICALE A LA PROCREATION

Lorsque l’assistance médicale à la procréation était conçue comme un remède à l’infertilité ou à la transmission
d’une maladie, elle n’était pas admise pour les célibataires. Seuls les couples pouvaient y avoir recours. En outre,
les demandeurs devaient former un couple hétérosexuel. La réforme de 2021 a modifié les règles en la matière.
L’article L. 2141-2 du Code de la santé publique ouvre désormais l’accès à l’assistance médicale à la procréation
à un certain nombre de couples (1°), ainsi qu’à la femme non mariée (2°).

1°) Les couples

Désormais, l’assistance médicale à la procréation est ouverte aux couples hétérosexuels, ainsi qu’aux couples
de femmes. L’exclusion des couples d’hommes est inévitable, en revanche. En effet, ils ne peuvent pas avoir
recours aux procédés autorisés en droit français (en l’état actuel des techniques, ils ne peuvent ni porter, ni
accoucher d’un enfant. Pour les faire bénéficier de l’assistance médicale à la procréation, il faut poser la question
de la légalisation de la maternité pour autrui, ce que le législateur s’est refusé à faire jusqu’à présent).

Pour aller plus loin : la situation de l’homme transgenre

Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les
dispositions qui tendent à exclure les hommes ou couples d’homme de l’assistance à la procréation. C’est plus
précisément la situation des hommes transgenres qui a été dénoncée. Il a en effet été soutenu que le principe
d’égalité serait méconnu en ce que le droit français refuserait, à une femme devenue homme, l’accès à
l’assistance médicale à la procréation.

La critique a été écartée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 8 juillet 2022. Selon le Conseil, les
nouvelles dispositions excluent effectivement les hommes transgenres de l’assistance médicale à la procréation,
quand bien même ils auraient conservé leur capacité à concevoir et porter un enfant. Pour autant, le principe
d’égalité ne serait pas méconnu dès lors que le législateur aurait entendu traiter différemment femmes et
hommes, sans que le Conseil constitutionnel ne puisse substituer son appréciation à celle du législateur au regard
de la matière concernée.

Par ailleurs, comme en matière d’adoption, l’assistance médicale à la procréation est ouverte à tout type de
couples : les concubins, les pacsés et les époux peuvent y avoir recours.

Mais il doit bien y avoir un couple : il faut donc que les deux membres du couple fassent état d’une vie commune.

Les membres du couple doivent encore être vivants au moment de l’insémination. L’insémination post-mortem
n’est pas admise en France. Le législateur refuse de faire naître un enfant sans père.

Important : vers l’admission d’une insémination post mortem ?

Certains auteurs jugent contestable l’exclusion de l’insémination post mortem au motif que la femme qui reste
seule peut désormais avoir recours (seule) à l’assistance médicale à la procréation (cf. ci-après, le 2° et
l’admission de « la PMA pour toutes »). Ce faisant, on la contraint à utiliser les gamètes d’un tiers donneur.
Pourquoi ne pas autoriser, alors, l’insémination post-mortem ? La difficulté tient vraisemblablement à
l’établissement de la filiation paternelle et aux questions successorales qui en découleraient (quel sort réserver
à l’enfant ainsi conçu dans le cadre de la succession – qui sera parfois déjà réglée – du père défunt ?).

Comme souvent en droit de la famille, la question pourrait toutefois évoluer sous la pression de la Cour
européenne des droits de l’homme. Celle-ci a jugé, par un arrêt Baret et Caballero en date du 14 septembre
2023, que la position française n’emportait pas une violation de l’article 8 de la Convention. Pour autant, la Cour
a ajouté, dans un obiter dictum, que « l’ouverture, depuis 2021, par le législateur de l’AMP aux couples de
femmes et aux femmes seules pose de manière renouvelée la pertinence de la justification du maintien de
l’interdiction » (§ 90).

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Enfin, qui vérifie que ces conditions sont satisfaites ? Cette tâche revient à l’équipe médicale (article L. 2141-
10, alinéa 6 du Code de la santé publique). Mais cela pose un certain nombre de difficultés. Les médecins sont-
ils les mieux placés pour exercer un tel contrôle ? Ont-ils les moyens de le faire ? Par exemple, que peuvent-ils
exiger comme preuve de la vie commune ? Quid également de la femme qui poursuivrait le projet après la
séparation du couple, sans informer l’équipe médicale de cette séparation (et alors que l’homme ne l’aurait pas
plus fait) ?

2°) La femme non mariée

Jusqu’à récemment, certaines femmes désirant avoir recours à une insémination pour concevoir seules un enfant
se rendaient à l’étranger, dans des pays où cette pratique était légalement admise. En 2021, le législateur a
souhaité mettre fin à ce tourisme procréatif, en laissant la possibilité à une femme d’avoir recours seule à une
assistance à la procréation.

Il faut toutefois prendre garde à bien comprendre la portée de la réforme :

- La femme mariée ne peut pas avoir recours seule à l’assistance médicale à la procréation. Vous pouvez
légitimement vous interroger sur la justification d’une telle exclusion. La doctrine estime que le
législateur a probablement voulu éviter les complications lors de l’établissement de la filiation de
l’enfant d’une femme mariée en s’en tenant aux règles relatives à la filiation par le sang (voire à
l’adoption).

- En revanche, une femme pacsée ou en concubinage peut avoir recours seule à l’assistance à la
procréation (lorsque son ou sa partenaire ou concubin/e ne souhaite pas y participer).

Pour aller plus loin : remarques autour de l’exclusion de la femme mariée

La doctrine juge parfois contestable l’exclusion de la femme mariée du processus de l’assistance médicale à la
procréation : pourquoi une femme mariée ne pourrait-elle pas, seule, avoir recours à cette technique, dès lors
que celle qui est pacsée ou en concubinage peut le faire ? Ne serait-il pas possible de neutraliser alors le jeu de
la présomption de paternité ?

Par ailleurs, les auteurs relèvent que la différence entre PACS et mariage se creusent sur le terrain de certaines
filiations. Le PACS ne semble pas constituer le berceau d’une famille, de sorte que chaque partenaire reste
relativement libre de ses décisions. Il peut par exemple adopter seul et, s’agissant d’une femme, peut accéder
seule à l’assistance médicale à la procréation. En revanche, la femme mariée peut certes adopter seule, mais elle
doit alors obtenir l’accord de son époux. De même, elle ne peut pas avoir recours seule à l’assistance médicale à
la procréation.

II. Le consentement à l’assistance médicale à la procréation

La loi exige le consentement du couple ou de la femme ayant recours à l’assistance à la procréation :

- En présence d’une procréation endogène, le consentement est recueilli par les responsables de
l’équipe médicale. Ce consentement est donné par écrit, un mois au minimum après le dernier entretien
avec l’équipe médicale.

- Lorsqu’il y a intervention d’un tiers donneur, qu’il s’agisse du don de gamètes ou d’un don d’embryon,
les formalités sont alourdies. Le consentement doit être recueilli par un notaire, qui dresse alors un acte
authentique. Le professionnel du droit informe le ou les candidats à la procréation des conséquences
de l’acte.

Mais ce consentement n’est pas irrévocable. La révocation du consentement (sans avoir à justifier une telle
décision) est en effet possible. Cette faculté de révocation est ouverte jusqu’à la réalisation de la procréation. La
loi exige uniquement que la révocation soit faite par écrit, auprès du médecin chargé de mettre en œuvre cette
assistance.

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SECTION 3. LA FILIATION DE L’ENFANT

Important :

Les articles 342-9 et suivants du Code civil, qui règlent cette question, sont rangés dans un chapitre du Code civil
intitulé « de l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ». Ainsi, ces dispositions règlent, en réalité,
uniquement la question de la filiation de l’enfant conçu dans le cadre d’une procréation exogène. Ce faisant, le
législateur de 2021 a consacré une solution antérieurement dégagée par la Cour de cassation dans le silence des
textes alors applicables (Civ. 1, 16 mars 2016).

En menant le raisonnement jusqu’à son terme, il faut retenir que ce sont les règles relatives à la filiation charnelle
qui devront être appliquées en présence d’une procréation ne faisant pas intervenir de tiers donneur. Cela
signifie, concrètement, que l’établissement de la filiation de l’enfant peut être fait de façon non-contentieuse
(par exemple, par le biais d’une reconnaissance paternelle ou, pour les femmes, par le seul effet de l’indication
du nom de la mère dans l’acte de naissance). Il est également possible d’exercer une action visant à établir la
filiation de l’enfant (et on retombera alors sur le primat de la preuve biologique et sur les règles applicables à ce
type d’action, comme celles relatives à la prescription).

Les textes du Code civil régissant la matière (réduite, comme on vient de la voir, à la question de la filiation dans
le cadre d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur) commencent par rappeler un principe
ancien : aucun lien de filiation ne peut être établi avec un tiers donneur (I). Ils détaillent ensuite les différentes
manières dont la filiation de l’enfant peut être établie à l’égard de ceux qui ont recours à l’assistance médicale à
la procréation (II).

I. L’absence de lien avec le tiers donneur

En droit français, la parenté du tiers donneur est occultée. L’article 342-9, alinéa 1, du Code civil dispose ainsi
qu’« en cas d’assistance médicale à la procréation nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, aucun lien de
filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation ».

Pour aller plus loin : l’adoption de l’enfant par le tiers donneur est-elle condamnée ?

La question a été posée au Conseil constitutionnel. Plus précisément, il a été demandé au Conseil constitutionnel
de dire si une telle interdiction n’était pas contraire au droit de mener une vie familiale normale (droit découlant
du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946).
La Conseil constitutionnel a répondu par la négative à cette question dans une décision du 9 juin 2023. Il a plus
précisément jugé que « le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit, pour le tiers donneur,
à l’établissement, selon l’un des modes prévus par le titre VII du livre Ier du Code civil, d’un lien de filiation avec
l’enfant issu du don ». Ainsi, le législateur a pu « préserver la filiation entre l’enfant et le couple ou la femme qui
a eu recours à l’assistance médicale à la procréation ».
Poursuivant, le Conseil constitutionnel a relevé qu’au demeurant, une telle solution (prohibant l’établissement
d’une filiation adoptive avec le tiers donneur) n’avait jamais été consacrée par une jurisprudence constante (en
réalité, une telle solution n’a jamais été retenue par la Cour de cassation… tout court).

En outre, la responsabilité civile du tiers donneur ne saurait être engagée selon l’alinéa 2 du même texte (par
exemple parce que l’enfant est atteint d’une maladie transmise sciemment par le donneur). Il n’y a pas de réelle
justification à une telle immunité (qui vaudrait même en présence d’une faute qualifiée), si ce n’est l’opportunité.
Le législateur ne voudrait pas décourager des dons trop rares en faisant peser un risque d’engagement de sa
responsabilité civile sur les épaules du donneur.
Depuis que la loi permet de connaître l’identité du donneur, il faut également retenir que celui-ci n’a aucune
obligation à l’égard de l’enfant. Il n’a, en particulier, pas l’obligation de le rencontrer, ni celle d’entretenir des
relations avec lui.

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II. L’établissement de la filiation à l’égard des demandeurs

Ceux qui ont eu recours à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur doivent assumer le lien de
filiation qui en découle. En d’autres termes, la filiation est imposée et il est en principe exclu de la contester en
s’appuyant sur les règles relatives à la filiation par le sang. Cela vaut tant pour ce qui est des couples
hétérosexuels (A), qu’en ce qui concerne les couples de femmes (B), alors même que la filiation s’établit de façon
différente dans toutes ces hypothèses.

A. EN PRESENCE D’UN COUPLE HETEROSEXUEL

Il faut distinguer selon que le couple est marié (1°) ou ne l’est pas (2°).

1°) Le couple hétérosexuel marié

Curieusement, le législateur ne règle pas la question de l’établissement de la filiation à l’égard de l’enfant


lorsque le couple hétérosexuel est marié (encore une fois, nous sommes dans l’hypothèse d’une assistance à la
procréation exogène). Il faut donc appliquer, par défaut, les dispositions de la filiation charnelle (quelles autres
règles le juge pourrait-il appliquer ?).

Une fois cette filiation établie, l’article L. 342-10 du Code civil prévoit, dans son alinéa deux, que le consentement
à l’assistance à la procréation « interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation ».
Ce principe d’interdiction tolère toutefois deux exceptions :
1. Lorsque le consentement a été privé d’effet, avant l’intervention de l’assistance médicale à la
procréation. Une telle circonstance peut survenir soit à la suite d’un décès, divorce, d’une séparation de
corps ou toute autre rupture de la vie commune, soit en cas de révocation écrite.
2. Lorsqu’il est « soutenu » que l’enfant n’est pas issu de l’assistance médicale à la procréation (bref, en
cas d’adultère). A s’en tenir à la lettre du texte, une simple allégation suffit, ce qui n’est pas évident sous
l’angle de la charge de la preuve.

2°) Le couple hétérosexuel non marié

L’établissement de la filiation se fait, à l’égard du père, par une reconnaissance. Cette reconnaissance est
irrévocable et ne peut être contestée en justice (sous réserve des deux exceptions déjà évoquées à propos de la
filiation du couple marié, à savoir le consentement privé d’effet et l’adultère).

Le législateur a également réglé la situation du « récalcitrant » à l’article 342-13 du Code civil : « celui qui, après
avoir consenti à l’assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu engage sa
responsabilité envers la mère et envers l’enfant (al. 1). En outre, sa paternité est judiciairement déclarée.
L’action obéit aux dispositions des articles 328 et 331 (al. 2) ».

Pour aller plus loin : l’interprétation délicate des alinéas un et deux de l’article 342-13 du Code civil

Première difficulté : quid si la femme accouche sous X ? Peut-elle voir sa responsabilité engagée pour avoir refusé
d’assumer sa maternité ?
Le texte n’envisage que la situation de l’homme puisqu’il prévoit une responsabilité envers « la mère et l’enfant »
et une « paternité » judiciairement déclarée.
D’un autre côté, il paraît illogique de sanctionner l’homme qui ne veut finalement plus de la filiation et pas la
femme. Cependant, force est de constater qu’en pratique, il sera très difficile de découvrir l’identité de la femme
(préalable nécessaire pour l’assigner en responsabilité) … Allons-nous alors vers une impunité de fait ?

Seconde difficulté : quel est, exactement, le régime de l’action tendant à l’établissement de la paternité du
récalcitrant ? Le texte prévoit certes que la paternité (en principe hors mariage, puisque sinon la présomption de
paternité joue dans la très grande majorité des cas) peut être judiciairement déclarée à la suite d’une action qui
ressemble à l’action en recherche de paternité. Toutefois, il renvoie uniquement aux articles 328 (sur la
représentation de l’enfant mineur et la qualité pour défendre dans le cadre d’une action en recherche de
maternité ou de paternité) et 331 (sur la possibilité, pour le juge, de statuer sur l’exercice de l’autorité parentale,

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la contribution à l’entretien de l’enfant et le nom). Conclusion : on applique le droit commun (prescription


quinquennale de l’article 2224. Pas celle de l’article 333 ?) pour ce qui est de la prescription ?

B. EN PRESENCE D’UN COUPLE DE FEMMES

La réforme de 2021 crée un nouveau type de filiation, qui doit être distinguée tant de la filiation par le sang, que
de la filiation adoptive : la filiation par reconnaissance conjointe. L’article 342-11 du Code civil dispose en ce
sens, dans son premier alinéa, que « lors du recueil du consentement prévu à l’article 342-10, le couple de
femmes reconnaît conjointement l’enfant ». Cette reconnaissance conjointe est ensuite remise à l’officier d’État
civil par la personne venant déclarer la naissance. Il pourra dresser l’acte de naissance de l’enfant en
conséquence. La filiation au sein des couples de femme ayant recours à l’assistance médicale à la procréation
repose ainsi largement sur la volonté.

A bien y regarder, il faut toutefois distinguer l’établissement de la filiation à l’égard de la femme qui accouche
(1°) de l’établissement de la filiation à l’égard de la mère d’intention (2°).

1°) La filiation de la femme qui accouche

La réforme de 2021 illustre les lacunes des lois modernes relevées, au premier semestre, dans le cadre du cours
d’introduction générale au droit. En effet, le législateur n’est guère cohérent. Contrairement à ce que vous
pourriez penser à la lecture (rapide) du premier alinéa de l’article 342-11 du Code civil, la déclaration conjointe
précédemment évoquée n’établit pas la maternité de la femme qui accouche. L’alinéa deux de ce texte indique
en effet qu’à l’égard de la femme qui accouche, la filiation est établie conformément à l’article 311-25 du Code
civil. En d’autres termes, la filiation est établie conformément aux règles qui prévalent en matière de filiation
par le sang : la mère est celle qui est désignée comme telle dans l’acte de naissance.

2°) La filiation de la mère d’intention

En réalité, la reconnaissance conjointe a pour seule utilité de permettre à la mère d’intention d’établir son lien
de filiation dès la naissance de l’enfant (art. 342-11, al. 2). Il faut cependant à nouveau préciser les choses. Il faut,
plus exactement, préciser la date d’établissement du lien de filiation. Une première date doit être écartée : à
l’égard de la mère d’intention, la filiation ne peut pas être établie au jour de la reconnaissance conjointe. De fait,
l’enfant n’est alors pas conçu (la reconnaissance conjointe est un préalable à l’insémination !). La filiation ne peut
dès lors être établie qu’au jour de la naissance de l’enfant, en raison de la remise de la déclaration conjointe à
l’officier d’état civil.

Comme pour les couples, cette filiation ne peut pas être contestée en justice, sauf à soutenir que l’enfant n’est
pas issu de l’assistance médicale à la procréation ou que le consentement préalablement donné est privé d’effet.

Le législateur a par ailleurs réglé la question de l’obstacle mis à l’établissement de cette filiation. L’article 342-
13 du Code civil dispose ainsi, dans son troisième alinéa, que « la femme qui, après avoir consenti à l’assistance
médicale à la procréation, fait obstacle à la remise à l’officier de l’état civil de la reconnaissance conjointe…
engage sa responsabilité ». Ce faisant, il s’agit de traiter la séparation du couple avant la naissance : aucune des
femmes ne doit faire obstacle à l’établissement de la filiation. En particulier, celle qui accouche ne doit pas faire
obstacle à l’établissement de la filiation de la mère d’intention.

Pour aller plus loin : la différence de traitement - justifiée - entre l’homme et la femme au sein de l’article 342-
13 du Code civil

Selon la lettre de l’alinéa trois du texte, la responsabilité civile de la femme n’est engagée que lorsqu’elle « met
obstacle » à l’établissement d’une double filiation maternelle à l’égard de l’enfant. Par comparaison, l’homme
est plus lourdement responsable : l’alinéa premier du texte permet l’engagement de sa responsabilité dès lors
qu’il ne reconnaît pas l’enfant (quand bien même il aurait fait preuve d’une simple inertie).

Y aurait-il là une différence de traitement injustifiée ? Cette question appelle une réponse négative. En effet,
cette différence s’explique : nous allons le voir dans les développements qui suivent, le dernier alinéa du texte
permet à la mère qui accouche de pallier l’éventuelle inertie de la mère d’intention en faisant établir la filiation

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de cette dernière de manière forcée sans avoir à agir en justice (ce que la même femme ne peut pas faire dans
un couple hétérosexuel : elle doit alors agir en justice).

Le législateur poursuit, à l’alinéa suivant, en donnant la possibilité à l’enfant (ou à son représentant légal s’il est
mineur) de faire établir sa filiation à l’égard de la mère d’intention, au cas où cette filiation n’aurait pas été établie
dès la naissance. Pour ce faire, il faut solliciter le procureur de la République, lequel communiquera la
reconnaissance conjointe à l’officier d’état civil. Il s’agit ici de permettre l’établissement forcé de la filiation
lorsque la mère d’intention n’assume pas ses responsabilités.

Il sera cependant impossible d’établir la filiation à l’égard de la mère d’intention, si l’enfant dispose d’une autre
filiation (paternelle par hypothèse) à l’égard d’un tiers. Il faudra d’abord contester (avec succès) la filiation
existante en justice. La solution est problématique car elle fragilise la filiation de la mère d’intention en cas de
séparation du couple avant la naissance. En effet, quid si la femme qui doit accoucher obtient d’un homme qu’il
reconnaisse l’enfant avant sa naissance ? L’article 336-1 du Code civil, que nous avons étudié à propos de la
filiation par le sang, ne semble pas offrir de la solution puisqu’il vise une contradiction entre une reconnaissance
paternelle prénatale et « les informations concernant le père que lui communique le déclarant ». Autrement dit,
il vise un conflit de paternité (par le sang, en outre). Dès lors, il faudrait retenir que la filiation de la mère
d’intention ne pourra pas être établie à la naissance de l’enfant. Elle devra d’abord faire tomber la filiation
paternelle de l’enfant. La même difficulté surviendra si la mère qui accouche se marie avec un homme avant la
naissance. Le jeu de la présomption de paternité devrait donner à l’enfant une filiation paternelle et faire obstacle
au jeu de la reconnaissance conjointe au moment de la naissance.

Important : ne pas confondre la reconnaissance paternelle dans la filiation par le sang avec la reconnaissance
conjointe dans l’assistance médicale à la procréation

Il ne faut pas confondre la reconnaissance paternelle dans la filiation par le sang avec la reconnaissance conjointe
dans l’assistance médicale à la procréation car elles ne fonctionnent pas de la même façon :
- la reconnaissance paternelle produit effet à la naissance de l’enfant
- la reconnaissance conjointe ne produit pas d’effet seule : elle doit être remise à l’officier d’état civil.

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AUTO EVALUATION

1. Existe-t-il un droit à la procréation médicalement assistée ?


Variante : quelle est la position de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la procréation
médicalement assistée ?

2. Qu’est-ce qui est autorisé en matière d’assistance à la procréation ?

3. Qu’est-ce qui est interdit en matière d’assistance à la procréation ?

4. Que se passe-t-il si un enfant naît d’une convention (illicite) de gestation pour autrui sur le sol français ?

5. Quel a été l’impact de la réforme du 2 août 2021 (dite « PMA pour toutes ») sur la finalité de la procréation
médicalement assistée ?

6. Qui peut avoir recours à la procréation médicalement assistée en France ?

7. Devant qui le consentement à une procréation médicalement assistée doit-il être donné ?

8. Comment établit-on la filiation d’un enfant né d’une procréation médicalement assistée ?

9. Mariage et procréation médicalement assistée

10. La « PMA pour toutes »

11. Quelle est la situation du tiers donneur ?

12. Comment peut-on contester la filiation d’un enfant né d’une procréation médicalement assistée ?

13. Le parent « récalcitrant » et la procréation médicalement assistée

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ITRE II. LES RELATIONS ENTRE PARENTS ET ENFANTS

Les relations entre parents et enfants se traduisent par l'autorité parentale (Chapitre I) et l'existence d'une
obligation alimentaire (Chapitre II).
Cette présentation strictement juridique est naturellement très réductrice de la relation parent – enfant.

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