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Audition du 1er mars 2021 – Groupe Sociaiste, Ecologiste et Républicain

Loi « Confortant les principes républicains »

Bien que tous les lanceurs d’alerte ne contactent pas les journalistes et ne cherchent pas à
médiatiser leur affaire, la médiatisation est parfois la seule solution viable disponible pour des
lanceurs d’alerte, lorsque les autorités ne réagissent pas à ce qui est dénoncé, ou qu’il s’agit
d’affaires d’une telle ampleur que le droit du public à l’information est en jeu.

Comme le démontre l’affaire « Luxleaks », les lanceurs d’alerte et les journalistes sont affectés de
manière similaire par les atteintes à la liberté d’expression : Rappelons que le journaliste Edouard
Perrin et les lanceurs d’alerte Antoine Deltour et Raphael Halet ont tout trois été poursuivis pour
atteinte à des secrets d’affaire et vols d’information par les autorités du Luxembourg, et que les
poursuites visent à la fois le secret des sources, et la liberté d’expression des lanceurs d’alerte. Par
ailleurs, comme le démontre l’affaire Valérie Murat (pesticides dans le vin) ou d’Inès Léraud, les
journalistes tout comme les lanceurs d’alerte font l’objet de poursuites baillon, visant à les faire taire.

Plus largement, les journalistes et ONG devant disposer d’informations précises pour accomplir leurs
activités, elles ont souvent besoin d’avoir accès à certaines informations pour remplir leur rôle
d’informatrices sur les sujets d’intérêt public. Or, la fragilisation de la liberté d’expression de ces
dernières, qui peuvent jouer le rôle de relais d’alertes de lanceurs d’alerte qui restent anonymes,
fragilise le statut du lanceur d’alerte. D’une part, cela peut éroder la confiance que les lanceurs
d’alerte anonymes/sources accordent aux journalistes. D’autre part, cela multiplie les risques que
des sources anonymes voient leur identité révélée.

Dans ce contexte, les articles 18 à 20, en ce qu’ils restreignent – certes pour des motifs légitimes – la
liberté d’expression des journalistes et la liberté d’expression sur internet, sont susceptibles par
ricochet d’atteindre la liberté d’expression des lanceurs d’alerte.

L’article 18 crée une nouvelle infraction pénale punissant de trois ans d’emprisonnement et 45.000
euros d’amende « le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelque moyen que ce soit, des
informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de
l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque
immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens. Lorsque les faits
sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une
mission de service public, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros
d’amende.

Cet article 18 est une réminescence de l’article 24 du projet de loi « Sécurité globale ». Néanmoins ,e
périmètre de l’infraction est réduit :

 D’une part, cet article incrimine la diffusion d’informations de nature essentiellement privée et ne
relevant pas d’un sujet d’intérêt général ;

 D’autre part, il vise à protéger tout individu contre le risque de mise en danger associé à la
diffusion d’informations permettant de l’identifier ou de le localiser.

Néanmoins, en l’état, l’article reste problématique en raison de ses nombreuses imprécisions,


soulignées par le Défenseur des Droits et la CNCDH :

Le terme d’ « intégrité psychique » est mal défini, et présente un contenu extrêmement large. Il en
va de même de la nature « immédiate » de l’atteinte, ou de la nature de l’atteinte aux biens qui n’est
pas non plus circonscrite. De même, les catégories d’informations qui ne peuvent être divulguées
sont particulièrement larges et couvrent des informations de nature professionnelle. Cela signifie,
par exemple, que des informations tel que le matricule ou l’appartenance à X ou Y brigade de police
d’un agent de police relève du champ d’application de cet article. Certes, le fait qu’il faille que
l’information soit révélée « dans le but de porter atteinte à l’intégrité (…) » d’une personne constitue
un garde fou, mais en l’état, en dépit des changements, l’article est encore largement similaire à
l’article 24 du PJL « Sécurité Globale » qui, rappelons le, a été pointé par le Conseil de l’Europe
comme constituant une atteinte à la liberté d’expression. Il faut donc revoir le périmètre de
l’infraction et en particulier supprimer la référence à l’ « intégrité psychique » des personnes, sans
quoi le travail des journalistes qui filment les abus policiers et font office de relais d’alerte pourraient
faire l’objet de procédures abusives.

L’article 19 permettent en premier lieu à toute partie à la procédure judiciaire, ou à l’autorité


administrative de demander aux hébergeurs ou aux fournisseurs d’accès à Internet d’empêcher
l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant le contenu du service visé par la
décision judiciaire. Dans les mêmes conditions, le projet de loi permet en second lieu, à l’autorité
administrative uniquement, de demander aux hébergeurs ou aux fournisseurs d’accès à Internet
d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne identique ou
substantiellement similaire à celui visé par la décision de justice.

La mesure s’inscrit dans le développement depuis 2004 de capacités de blocage administratif de sites
web, qui, comme l’on souligné les associations de défense des libertés en ligne, conduisent
(…) « inévitablement à bloquer de nombreux contenus parfaitement licites sans aucune intervention
de l'autorité judiciaire  »

En l’occurrence, la possibilité pour l’autorité administrative de demander de bloquer les sites qui
reprennent le contenu litigieux (« sites miroir ») présente le risque d’une atteinte à la liberté
d’expression par ricochet très forte, puisque de nombreux sites ayant repris un contenu litigieux
pourraient se retrouver bloqués. Au vu d’une telle atteinte, l’article paraît trop imprécis. La définition
des sites-miroirs ainsi que le rôle dévolu à l’autorité administrative dans la procédure d’exécution
d’une décision de justice en vue d’obtenir le blocage ou le déréférencement de contenus illicites,
sont trop imprécises, et devraient faire l’objet d’une délimitation pour éviter les risques de censure
collatérale.

L’article 20 permet enfin de soumettre à procédure accélérée (notamment comparution immédiate)


les personnes soupçonnées d’avoir commis les infractions suivantes :

- les provocations directes et publiques non suivies d’effet, à la commission des crimes ou délits
relevant des catégories suivantes: atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité des personnes,
agressions sexuelles (livre II du code pénal), vols, extorsions, destructions et dégradations
dangereuses pour les personnes (livre III du code pénal), atteintes aux intérêts fondamentaux de la
nation (titre Ier du livre IV), actes de terrorisme (art. 24 alinéas 1 à 4).

- les apologies ou la justification des crimes d'atteintes à la vie, des crimes de guerre, des crimes
contre l'humanité et des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi (art. 24 alinéa 5).

- les provocations publiques à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne


ou d'un groupe de personnes, en relation avec leur appartenance à une ethnie, une nation, une race,
ou une religion déterminée, ou à raison de leur sexe, ou de leur orientation sexuelle ou encore, d'un
handicap (art. 24 alinéas 7 et 8).

En raison de l’exclusion des responsabilités « en cascade » du champ de cet article, les « blogueurs »,
cumulant les qualités d'auteur et de directeur de la publication, ne pourront faire l’objet de telles
poursuites, pas plus que les directeurs de publication. En revanche, l'auteur d'un message rendu
public au sein d’un « espace de contributions personnelles » au sens de l’article 93-3 de la loi du 29
juillet 1881 (sans possibilité de contrôle par le directeur de publication) peut être poursuivi suivant
les procédures accélérées permises par le projet, qu’il soit détenteur ou non d’une carte de presse. Il
en suit que peuvent potentiellement faire l’objet de poursuites des personnes qui jouent le rôle de
« chien de garde » de la démocratie, tels que des journalistes, sans pour autant que ces derniers ne
bénéficient pleinement des garanties de la loi de 1881, ce qui est problématique.

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