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Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.

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« L’ordre public et libertés publiques à l’épreuve de la crise sécuritaire au Cameroun »

YOUSSOUFA YAYA

Doctorant en droit public interne,

Université de Maroua-Cameroun

RESUME

La question sur le tandem ordre public-libertés publiques est très délicate. Ce sont deux
notions qui cohabitent sans nécessairement faire bon ménage. En réalité, on assiste à une
extension du pouvoir de l’administration par le biais de la police administrative.
L’élargissement des pouvoirs de l’administration a pour conséquence la priorisation quasi-
absolue de l’ordre public au détriment des libertés. La contradiction permanente entre l’offre
faite d’un côté par le législateur et de l’autre coté la demande faite par le citoyen à qui est
destinée la jouissance des libertés n’est pas en adéquation. L’accroissement des pouvoirs de
l’administration se manifeste par l’interprétation extensive de ses compétences, la
préservation du privilège des actes de police administrative par le juge, extension de la
prévention des troubles éventuels à l’ordre public par l’administration, l’indulgence du juge
administratif à l’égard de l’administration sont des procédés courants auxquels les autorités
recourent pour établir la conciliation entre les nécessités d’exercer les libertés et le besoin
du maintien de l’ordre public.

MOTS-CLES : Libertés Publiques-Crise-Sécurité

ABSTRACT

The question of the public order-public freedom tandem is very delicate. These are two
notions that coexist without necessarily going hand in hand. In reality, we are witnessing an
extension of the power of the administration through the administrative police. The extension
of the powers of the administration results in the almost absolute priority of public order to
the detriment of freedoms. The permanent contradiction between the offer made on the one
hand by the legislator and on the other hand the request made by the Citizen for whom the
enjoyment of freedoms is intended is not in adequacy. The increase in the powers of the
administration is manifested by the extensive interpretation of its powers, the preservation of
the privilege of administrative police acts by the judge, extension of the prevention of possible
disturbances to public order by the administration, the indulgence of the administrative Judge
with regard to the administration are common procedures used by the authorities to establish
a balance between the need to exercise freedoms and the need to maintain public order.

KEYWORDS : Public Freedom-Crisis-Security


Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.html

INTRODUCTION

Pour Etienne Picard, l’ordre public n’a plus toutes les libertés car « les libertés sont devenues
d’ordre public »1 . Plus qu’un simple exercice d’esthétique des mots, cette phrase recouvre
une réalité obsédante. Jamais l’un sans l’autre. Dépassant le temps, l’ordre et la liberté sont au
fondement même de la vie. La dialectique ordre-liberté est éternelle comme le bien et le mal,
la joie et la peine. Aucun sens véritable à l’un sans le recours à l’autre. Dans ce sens, la liberté
de Robinson Crusoé n’était certainement pas la bonne, de même que l’ordre imposé par le
Léviathan à travers ruse, force et cruauté. Dans son essence, l’ordre n’a jamais pu se
concevoir en totale Abstraction de la liberté. Le « Caligula » d’Albert Camus 2 le montre bien.
La liberté sans les autres n’est que chimère. La liberté n’a de sens que dans le contact avec les
autres, et conformité avec la loi. Dès lors que l’on conçoit un rapport entre les hommes, il
n’est plus possible de se défiler à l’impératif d’ordre. Mais la permanence du rapport entre
l’ordre et la liberté n’a guère suffi à trancher la difficulté qu’il peut poser à travers l’espace et
le temps. La présente étude donne de nouvelles pistes d’analyse de ce rapport dans un climat
de crise. Il ne se définit plus en marge de la protection des droits et des libertés. Par
conséquent, une certaine qualité dans les rapports entre l’ordre public et les libertés
publiques. Il existe un sempiternel problème de cohabitation entre ordre public et libertés
publiques. Le duo ordre public-liberté publique obéit à des logiques différentes selon le
temps normal, ou le temps de crise d’où l’intérêt de la présente étude qui part du constat de la
dégradation des rapports entre l’ordre public et libertés publiques qui demeurent une quête
sociale permanente en ce que celles-ci peuvent être limitées par des mesures administratives.
Par contre en temps de crise celles-ci sont quasiment effacées par des mesures administratives
restrictives. A la vérité, le législateur a ainsi aménagé la conciliation entre l’ordre public et
libertés publiques sous l’égide du juge administratif et ce conformément à la constitution et à
la loi et en vigueur. Ainsi, les libertés publiques sont les pouvoirs d’auto-détermination de la
personne humaine ou des groupes que la puissance publique reconnait, définit, aménage et
garantit3. En effet, le constituant camerounais, en l’occurrence celui du 18 janvier 1996 vient

1
PICARD (E), « L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public », Actualité juridique : Droit
administratif, 20 juin 1996, n° spécial, p. 56.
2
Camus (C) représente dans une pièce de théâtre une scène dans laquelle l’empereur de Rome Caius Caligula,
pour trouver la liberté, met à mort son entourage, pour se rendre compte de son erreur. Il s’écrit à la fin de la
pièce : «je n’ai pas pris la voie qu’il fallait, je n’aboutis à rien. Ma liberté n’est pas la bonne ! ».
3
www.studlity.com , introduction aux libertés publiques, consulté23/03/2023.
raffermir les libertés consacrées par les textes de 19904. Les libertés publiques constituent des
droits fondamentaux pour le citoyen au sein de la société. Mais, les exigences relatives à la
responsabilité sociale de l’Etat5 tendent à fragiliser lesdites libertés. Il sera donc question dans
le présent article de comprendre les raisons de la restriction des libertés publiques en temps de
crise au moyen de l’ordre public. Tel que conçue et aménagé par le législateur, les rapports
entre l’ordre public et libertés publiques sont-ils conflictuels ou harmonieux ? La réponse à
cette interrogation mérite que l’on passe en revue aussi bien la constitution que les
dispositions législatives, réglementaires régissant les libertés publiques ainsi que la politique
jurisprudentielle mise en œuvre par le juge administratif pour contrôle de celles-ci. À ce titre,
nous avons retenue l’hypothèse selon laquelle malgré la consécration des libertés publiques
par les textes d’inspiration libérale, la jouissance des libertés publiques s’est avérée limitée en
temps de crise sécuritaire d’où l’amenuisement des pouvoirs du juge par le législateur en
matière de contrôle des libertés.

En réalité, la restriction des libertés apparait comme la condition nécessaire de subsistance,


voire même de l’épanouissement des libertés en période de crise. En adoptant une démarche
duale nous analyserons respectivement la restriction des libertés publiques à forte connotation
politique d’une part (I) et dans la deuxième approche nous nous attarderons sur la restriction à
forte connotation administrative d’autre part (II).

I- LA RESTRICTION DES LIBERTÉS PUBLIQUES FORTE CONNOTATION


POLITIQUE

Dans les Etat de l’Afrique noire francophone, la faible crédibilité6 des lois fondamentales en
temps de crise entraine généralement l’essor des accords politiques. En effet, l’administration
publique est détentrice des pouvoirs dans le but d’atteindre des objectifs précis. De ce fait,
l’acte juridique, est non seulement une manifestation de la volonté, mais aussi et surtout

4
Il s’agit notamment des Loi N° 90/046 du 19 décembre 1990 abrogeant l’ordonnance n° 62/ OF/18 du 12 mars
1962 consacrant du même coup la liberté d’expression, d’opinion et de circulation. • Loi N° 90/52 du 19
décembre 1990 portant sur la liberté de communication sociale ; de la loi n° 90/53 du 19 décembre 1990 portant
sur la liberté d’association consacrant un régime juridique approprié pour les associations ordinaires, syndicales
et religieuses. • Loi N° 90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des manifestations
publiques. • Loi N° 90/056 du 19 décembre 1990 portant sur les partis politiques • Loi sur les organisations non-
gouvernementales du 22 décembre 1999
5
ABOMO EFOUA (C), La responsabilité sociale de l’Etat en droit public au Cameroun, Thèse de doctorat,
Université de Douala, inédit, 450 p. 15. V. rapport sur l’état de la protection civile au Cameroun, 200-2004, p. 35
6
MAMBO (P), « Les rapports entre la constitution et les accords politiques dans les États Africains : réflexion
sur la légalité constitutionnelle en période de crise », Revue de de Mc Gill, n°57, 2012, p. 926
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« l’exercice d’un pouvoir légal7 », « un pouvoir administratif 8


» et est fondé selon les
circonstances et les objectifs précis. En effet, Plusieurs circonstances de fait et même de droit
favorisent davantage la restriction de la jouissance des libertés publiques. Le législateur
camerounais prévoit qu’en cas de trouble à l’ordre public que l’autorité administrative prenne
de mesures nécessaire à fin de prévenir le risque. Pour ce faire l’autorité administrative
compétente utilise de manière extensive les pouvoirs de la police administrative (A) et
favorise l’obligation de suppression de décision litigieuse de l’administration (B)

A- L’extension du pouvoir de la police administrative

Eu égard aux origines du droit administratif, il a souvent été soutenu que ce droit a été conçu
en faveur de l’administration9 car des nombreuses règles du droit administratif sont,
effectivement, plus favorables à l’administration qu’aux administrés auxquels ils sont
destinées. En effet, dans le contexte camerounais les libertés publiques sont marquées par la
récurrence de limitation grâce aux moyens de la police administrative si bien que le
contentieux portant sur celles-ci sont rarement tranchés en faveur des administrés justiciables,
les interdictions des réunions, ou des manifestations publiques reçoivent très souvent
l’onction du législateur et l’adoubement du juge administratif qui réconforte l’administration
dans ses actes. Au terme de l’article 2 de la loi sur le maintien de l’ordre il est prévu que « les
autorités administratives peuvent, en tout temps et selon les cas, dans le cadre des opérations
de maintien de l’ordre public, prendre les mesures ci-après : soumettre la circulation des
personnes et les biens à des contrôles ; requérir les personnes et les biens dans les formes
légales, requérir les forces de police et de gendarmerie pour préserver ou rétablir l’ordre,
prendre les mesures de garde à vue … »10 . En revanche, la loi n°90/055 du 19 décembre
1990 portant régime des réunions et des manifestations publiques fixe le régime du
contentieux relatif à l’exercice des libertés à ce sujet justement, il faut formellement
distinguer la condition fixée aux réunions publiques de celle liée aux manifestations
publiques. Pour ces dernières, l’article 8 (3) et (4) confie le contentieux de l’interdiction au
président du Tribunal de grande instance territorialement compétent qui siège sous huitaine et

7
JEZE (G), « les principes généraux du droit administratif », edit.1925t.1, p. 19 ; cité par Bernard PACTEAU, le
juge de l’excès de pouvoir et les motifs de l’acte 1977, p. 12.
8
Selon Hauriou (Maurice), note sous CE, 16/11/1990, Maugras, s.1901.03.57. Cité par Bernard Pacteau, pp.15-
16, il faut « que les motifs soient administratifs (…), c’est-à-dire conforme aux buts de la fonction
administrative »
9
DE LAUBADERE (A) VENEZIA (J-C) GAUDEMET (Y), Droit administratif, 16 ème édition, LGDJ, 2013, p 27
10
Article 2 de la loi n°90/054 du 19 décembre 1990 relative au maintien de l’ordre
dont l’ordonnance est susceptible de recours selon les conditions de droit commun. Par
ailleurs, pour les réunions publiques, aucune disposition légale n’est clairement prévue pour
son contentieux. Cette omission n’est pas un oubli, dans la mesure ou le législateur
camerounais n’a pas prévu d’hypothèse d’interdiction d’une réunion publique qui ne peut être
interdite ou interrompue qu’à la seule initiative du bureau organisateur. La difficulté consiste
à déterminer si cette omission est synonyme de l’exclusion de toute intervention judiciaire en
matière de réunion publique. Cette posture du juge favorise l’accroissement des pouvoirs de
l’administration, d’où la présomption de légalité des actes administratifs mieux, l’érection de
l’administration en juge du fait dans certains cas de figure.

Dans l’espèce Moubarak Ibrahim Mbombo11 du nom de ce cet imam, dont la réunion
légalement déclarée, moyennant récépissé de dépôt de déclaration, avait plus tard été interdite
et le récépissé annulé par un arrêté du sous-préfet de l’arrondissement de douala 4e. Saisi aux
fins d’annulation dudit arrêté, le juge administratif, après avoir rappelé les dispositions de
l’article 8 précité, se déclara incompétent au motif que « c’est le juge de droit commun qui
est compétent pour statuer sur les contestations résultant des décisions de l’autorité
administrative en ce qui concerne les réunions ou manifestations publiques ». Après une
analyse profonde de cette décision il y a lieu d’émettre les hypothèses de la manipulation de
la loi a des fins politiques, soit une à une confusion de rôle entre l’administratif et le judiciaire
soit le juge administratif refuse de statuer pour les pressions politiques qu’il subit et qui par la
constitue une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de sa tête. C’est d’ailleurs en suivant cette
logique d’appréhension que peuvent être orientés les hypothèses respectives de la
présomption de légalité des actes administratifs (1) et de la suppression de l’obligation de
production de décision litigieuse de l’administration (2)

1- Une présomption certaine de la légalité des actes politico-administratifs

En droit, la présomption est un mode de raisonnement juridique en vertu duquel on induit


l’établissement d’un fait à un autre fait qui n’est pas approuvé. Autrement dit, une
présomption est la conséquence que la loi ou le juge tire d’un fait connu à un fait inconnu
dont l’existence est rendue vraisemblable par le premier12.Ainsi, l’administration n’a pas
seulement le devoir négatif de respecter les droits qui sont consacrés. Il a encore et surtout le
devoir positif de protéger leur exercice. En France par exemple, le juge constitutionnel a eu à

11
CS/CA, jugement no 94/2011/CA/CS du 23 mars 2011, Moubarak Ibrahim Mbombo
C/ État du Cameroun.
12
www.justice ooreka.fr consulté le 30 juillet 2022.
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préciser dans l’affaire la Nouvelle Calédonie que « l’ordre public est nécessaire à la
sauvegarde des libertés »13. Au Cameroun, le juge a tendance à faire une interprétation
extensive de la compétence de l’administration emboitant ainsi les pas de son homologue
français. La faible implication du juge administratif camerounais dans l’instruction du dossier
tient en premier lieu à la limitation des prérogatives qui lui sont aujourd’hui reconnues en la
matière. En effet, l’article 17 de la loi de 2006 portant organisation des tribunaux
administratifs positionne le juge en second lieu dans la hiérarchie des autorités compétentes
lorsqu’il dispose « le recours devant le tribunal administratif n’est recevable qu’après rejet
d’un recours gracieux adressé à l’autorité auteur de l’acte attaqué ou à celle statutairement
habilitée à représenter la collectivité publique ou l’établissement public en cause »14. En
raison de la dimension souvent coercitive des actes qui lui sont soumis, son office devrait en
toute logique, comme on l’a déjà souligné, se rapprocher de celui d’un juge pénal lequel peut
notamment ordonner tout acte d’enquête utile à la manifestation de la vérité15. Or ses pouvoirs
sont encore moins étendus que ceux d’un juge civil.

S’il peut se transporter sur les lieux, ordonner l’audition de témoins sous la forme d’une «
enquête » et demander aux parties de fournir telle ou telle pièce utile au débat 16, le juge
administratif ne peut, contrairement à son homologue judiciaire, ordonner la production d’une
pièce se trouvant en possession d’un tiers17. Il ne peut d’avantage procéder, à titre de mesure
d’instruction, à l’interrogatoire d’une partie18. Enfin, s’il peut toujours ordonner une
expertise19, l’observation de la pratique montre qu’il n’en use qu’avec une extrême
parcimonie20. En vérité, l’essentiel des mesures « d’instruction » aujourd’hui ordonnées par
les juridictions administratives se limitent à la mise en état du dossier, c’est-à-dire la
communication des mémoires des parties. In fine, les circonstances de crise sécuritaires
favorisent davantage l’extension du pouvoir discrétionnaire de l’administration le juge y joue
un rôle prépondérant en vue d’accroître la compétence administrative notamment par la
suppression de l’obligation de production des décisions litigieuses de l’administration

13
Conseil constitutionnel français, affaire Nouvelle Calédonie, 1985.
14
Article 17 alinéa 1 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des
tribunaux administratifs.
15
Article du code de procédure pénale français s’agissant du juge d’instruction et 463 du même code s’agissant
du tribunal correctionnel.
16
Article R.611 10 et R622-1 et R623-1 du code de justice administrative.
17
Article 138 du code de procédure civile.
18
Article 184 et suivants du code de procédure civile
19
Article R.621-1 et suivants du code de justice administrative.
20
En 2017, les décisions avant-dire droit, dont les expertises ne constituent pas qu’un parti, représentaient
seulement 0,76 % de l’ensemble des décisions rendues par les tribunaux administratif. V. conseil d’Etat, p.78.
2- Une suppression de l’obligation de production de décision litigieuse de l’administration

Généralement, le juge administratif ne peut remplir pleinement sa mission de gardien des


libertés21 s’il doit se contenter des seules pièces du dossier produites par les plaideurs c’est-à-
dire, se contenter des pièces misent à sa disposition par l’administration. En matière civile, on
justifie généralement l’interdiction qui est faite au juge de suppléer la carence d’un justiciable
dans l’administration de la preuve par la rupture d’égalité qu’une telle intervention causerait.
Une justification qui ne vaut que si l’on veut bien faire abstraction de l’inégalité sociale et
économique qui, bien souvent, caractérise les plaideurs, qu’il s’agisse du litige opposant un
salarié à son employeur, un locateur à un bailleur institutionnel ou encore un consommateur à
une grosse entreprise commerciale. Et une justification qui n’a plus aucun sens si on essaye de
la transposer au procès administratif, caractérisé par une asymétrie structurelle entre les
parties, et ce dans des proportions souvent bien plus importantes encore que dans une enceinte
judiciaire.

Dans une telle configuration, c’est précisément le fait de s’en tenir aux seuls éléments
produits par les parties qui est de nature à créer une inégalité devant la justice mais également
à amoindrir la protection des droits en cause. Toute personne essayant de contester une
décision rendue par l’Administration se trouve, par rapport au défendeur, nécessairement
défavorisée dans l’accès aux pièces et aux informations qui peuvent lui permettre d’appuyer
son recours. Cette asymétrie est particulièrement forte s’agissant des personnes qui, tels les
ressortissants étrangers, souffrent en outre dans une situation de vulnérabilité. Il est donc
nécessaire de faire évoluer les règles gouvernant l’instruction des requêtes devant la
juridiction administrative, du moins à chaque fois qu’est en cause une décision restrictive de
droit ou de liberté. Sur le modèle de ce qui existe aujourd’hui en matière de discriminations 22,
il pourrait ainsi être envisagé, du moins s’agissant des actes les plus attentatoires aux libertés
publiques, de mettre à la charge de l’administration la preuve de leur légalité dès lors que le
requérant apporte suffisamment d’éléments de nature à la remettre en cause.

Les pouvoirs d’instruction du juge doivent par ailleurs être renforcés, notamment en lui
permettant de demander à toute personne publique et pas seulement au défendeur la

21
Lire RIVERO (Jean), « Le juge administratif : gardien de la légalité administrative ou gardien administratif de
la légalité ? », Mélanges Marcel Waline, Paris, LGDJ, 1974, pp.701-717.
22
CE (Ass.), 30 octobre 2009, MME PERREUX, n°298348.
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production de pièces utiles à la solution du litige dans la mesure où l’administration est, dans
tout État de droit (Rechtsstaat), soumise à la règle de droit dans sa poursuite de l’intérêt
général. C’est dans le caractère subordonné de ses fins et de ses moyens que s’exprime la
nature même de son action23. Du reste, en attendant une hypothétique réforme de la justice
administrative, c’est en ce dernier sens que se dessine l’évolution jurisprudentielle, qui semble
prendre la mesure de ce qu’implique le rôle croissant des juridictions administratives dans la
préservation directe des libertés publiques au Cameroun.

En guise de comparaison nous pouvons convoquer le droit français notamment le conseil


d’Etat qui a pu rappeler, à l’occasion de la dernière mise en œuvre de l’état d’urgence, que le
juge administratif devait ordonner toutes les mesures nécessaires au contrôle de légalité des
mesures qui lui étaient soumises24. Plus largement, il a, dans une décision de principe, affirmé
qu’il « revient au juge de l’excès de pouvoir, avant de se prononcer sur une requête assortie
d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en
défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre
toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui
permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente
la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du
demandeur »25. Un positionnement qui, s’il devait être suivi, marquerait une évolution
remarquable dans l’office du juge administratif, justifiant que soit parallèlement renforcé son
pouvoir de soulever d’office les moyens de droit utiles à la solution du litige. Ainsi, nous
éviterons peut-être de privilégier et de concentrer les pouvoirs entre les mains des autorités en
charge de la police administrative.

B- le privilège accorde aux actes de police administrative

L’administration a le « privilège du préalable »26. Cette formule de Maurice Hauriou,


signifie que les décisions de l’administration s’imposent aux administrés sans qu’elles aient à
demander à un juge qu’elle leur donne force exécutoire. Elles sont présumées légales. En droit
administratif, les décisions administratives sont présumées régulières. « La décision
exécutoire bénéficie, avant toute vérification par le juge, d’une présomption de conformité au

23
VANDER STICHELE(A) le contrôle de l’administration et le contentieux administratif en droit belge, Revue
générale de droit, Volume 4, numéro 1, 1973, p.2
24
CE, 22Janvier 2016, ABDELMALEK (H), 396116.
25
CE, 03 Octobre 2018 section française de l’observatoire international des prisons, n°413989.
26
C’est un principe de droit, formule énoncé par le doyen Maurice HAURIOU selon lequel l’administration
dispose d’une prérogative qui lui permet de créer du droit par ses propres moyens, sans avoir recours à un
juge .Ses décisions produisent des effets de droit immédiatement.
droit »27. Cette présomption a pour effet l’entrée en vigueur automatique après leur publicité
officielle qui s’opère par la notification ou par la publication. Plus encore, la présomption de
régularité des actes administratifs est tellement nécessaire qu’elle leur permet de s’opposer
aux administrés mêmes en l’absence de publicité officielle. En effet, le juge admet
aujourd’hui que l’acte administratif puisse s’opposer aux justiciables dans le cas où ces
derniers, en l’absence de notification ou de publication avaient simplement eu connaissance
de son existence. C’est la théorie de la connaissance acquise28. La publicité est donc non
seulement, le fait de « donner connaissance »29, mais aussi celui de « prendre connaissance
»30. Cela signifie donc que les décisions administratives sont opposables d’office.
L’administration n’a pas besoin, contrairement aux particuliers, d’avoir recours au juge pour
leur donner une force obligatoire.

L’administré doit exécuter, appliquer les actes administratifs qui lui sont opposables, même
s’il est convaincu de leur illégalité, il doit utiliser auprès de l’administration ou du juge les
voies de recours qui lui sont ouvertes mais tant qu’elles n’ont pas abouti, il ne peut se
soustraire à l’autorité de la chose décidée car la vie en société l’exige impérieusement31. C’est
dans ce sens que le Professeur Roger-Gérard Schwartzenberg relève que « tandis que les
individus sont obligés, pour donner à leur titre force exécutoire et pour faire vivre leurs droits
de recourir au notaire, de s’adresser au juge, l’Administration se passe de l’un et de l’autre …
L’individu est obligé, pour la réalisation de ses droits, d’intenter une procédure
juridictionnelle préalable, longue et coûteuse. L’Administration en est dispensée. Une
décision de sa part est suffisante … »32. Le Doyen Georges Vedel parle de l’« autorité de la
chose décidée »33. Cette « autorité » emporte trois conséquences essentielles. Premièrement
elle crée immédiatement des droits ou des obligations à l’égard des intéressés.
Deuxièmement, elle permet à l’administration de procéder à l’exécution d’office et
troisièmement, elle crée l’effet non suspensif des recours devant le juge34.

27
RIVERO(J), WALINE (M), Précis de Droit administratif, 20ème Ed. Dalloz, 2004, p. 354.
28
Arrêt n°51/CFJ-SCAY du 25 mars1969 Dame Ngue André C/Commune de plein exercice de Mbalmayo,
jugement CS-CA 1981, Noufele Simo David, ORSE/PCA du 20 décembre 1996, Mango Mbock Philippe.
29
www.dictionnairelerobert.com , le définit comme une locution, avoir connaissance de, savoir
30
www.linternaute.fr cette expression a vu le jour au cours du XXe siècle et s’utilise dans le langage courant
pour désigner le fait de commencer à s’informer d’une chose, d’en être tout juste informé.
31
TRUCHET (D) Droit administratif, 6e édition mise à jour, Thémis droit P.U.F, p.243
32
SCHWARTZENBERG(R-G), L’autorité de chose décidée, Paris, LGDJ, 1969, p. 58.
33
Ibid.
34
Jugement n°33/CS/CA du 28 septembre 1978 Owoundi Jean Louis.
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La loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des


tribunaux administratifs en son article 30 indique sur ce point que « le recours gracieux
contre un acte administratif n’en suspend pas l’exécution »35. Mais, cette règle connaît des
exceptions. Le juge peut prendre des mesures conservatoires pour éviter que l’acte qui
bénéficie du privilège du préalable ne cause un préjudice à certains droits, ou prononce des
mesures pour surseoir à l’exécution de l’acte administratif. Il s’agit dans le premier cas du
référé administratif et dans le deuxième cas du sursis à exécution. Ces exceptions trouvent
leur conformité dans l’urgence de certaines situations sans lesquelles des droits des
particuliers pourraient irrémédiablement être violés.

L’interdiction est faite au juge de prononcer le sursis à exécution, pour les décisions
intéressant l’ordre public permet à ces derniers de garder sauf leur privilège du préalable.
Cette exception de l’exception qui évite aux décisions les plus restrictives des libertés
publiques, d’être suspendues où de s’exercer suivant quelques réserves, limite fortement la
protection de ces dernières, et permet aux actes de police de bénéficier sur un temps
relativement long d’une véritable immunité. C’est dans ce sens que nous pouvons citer la
décision n°29 DJO/06/01/SP du sous-préfet de Yaoundé 1 portant interdiction du concert
musical de l’artiste petit pays organisé par le promoteur de Bakarou Lounge en date du 25
mars 2021.

Par ailleurs, il reste universellement admis que le droit n’existe pas pour lui-même. « Il a
pour finalité l’organisation de la vie sociale, et il ne faut surtout pas que le respect qui lui est
dû se retourne contre les intérêts qu’il a pour mission de servir »36. Aussi, le législateur
comme le juge ont-ils été sensibles à la nécessité d’affranchir, dans certaines circonstances,
les autorités administratives de la stricte obligation d’observer les règles qui régissent
normalement leur action, surtout face aux libertés publiques. Cette nécessité a été soutenue
par MONTESQUIEU en ces termes : « il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un
voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des dieux »37. En effet, il s’avère parfois
nécessaire de restreindre les libertés publiques au profit de la sécurité et de l’ordre public.
Dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, le juge est appelé à dire le droit afin de
départager les parties au litige qui lui est soumis. En réalité, dans le contentieux administratif
en particulier, l’enjeu est le sauvegarde des droits des citoyens devant la toute puissante

35
Article 30 alinéa 1 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation des tribunaux
administratifs
36
BURDEAU (G), Libertés publiques op. cit, p. 48.
37
CHAPUS (R), Droit administratif, op. cit. p. 1040.
administration chargée de la fonction de police, sans toutefois handicaper cette dernière, il est
nécessaire que le juge, qu’il soit administratif ou judiciaire, mette en place un contrôle dont
les instruments permettront de mesurer sa volonté d’œuvrer soit en faveur des intérêts de la
puissance publique, soit en faveur de ceux des citoyens38.

En réalité, « le régime de cette responsabilité n’a cessé de d’assouplir, ce qui s’est traduit
notamment par un remarquable déclin de la faute lourde, à tel point que l’on s’interroge
aujourd’hui sur son éventuelle disparition »39. Cette soumission rigoureuse de la police
administrative aux principes de légalité et de responsabilité par le juge français apparaît
comme un véritable gage de libéralisme. Elle fait de la police administrative dans ce pays un
domaine de construction approfondie de l’Etat de droit. Par contre au Cameroun, l’analyse du
contentieux relatif à la police administrative révèle une tendance contraire. Plutôt que de
participer à la construction d’un libéralisme, à l’instar du cas français, le contentieux de la
police administrative contribue plutôt ici à garantir une indéniable hégémonie, c’est-à-dire est
considérablement orienté vers la protection des intérêts de l’administration40.

Tout ceci se fait dans le cadre d’une politique jurisprudentielle dont la logique et la rationalité
sont indéniables. En matière de contrôle de la légalité par exemple, le juge est réticent à
instituer des mécanismes efficaces de contrôle du pouvoir discrétionnaire, pourtant ces
mécanismes ont fait leurs preuves ailleurs en France notamment. Il développe en ce domaine
ce que nous qualifierions de véritable « refusionnisme »41.Cette tendance du juge à faire
perdurer un telle pratique est sans doute justifié par le contexte de crise car, Albert Camus
disait que « l’Etat peut être légal, mais il n’est légitime que lorsque, à la tête de la nation il
reste l’arbitre qui garantit la justice et ajuste l’intérêt général aux libertés
particulières42 ».Quid donc de l’extension du pouvoir discrétionnaire de l’administration (1)
et de l’extension constante du concept d’ordre public par l’administration qui sont considérés
comme des mesures restrictives des libertés (2).

38
BEYEGUE BOULOUMEGUE (Ghislain) l’ordre public et les libertés : étude à la consolidation de l’Etat de
droit au Cameroun depuis 1990, Université Yaoundé II, p.633
39
Dans ce sens : EVEILLARD (G), « Existe-t-il encore une responsabilité administrative pour faute lourde en
matière de police administrative ? », RFDA juillet-août 2006, pp.733-747.
40
BEYEGUE BOULOUMEGUE (Ghislain) l’ordre public et les libertés op.cit.
41
On nous pardonnera l’emploi de ce néologisme un peu barbare, que nous avons dû l’employer, faute de
mieux. Mais l’objectif est de systématiser l’idée que, dans le contrôle que le juge exerce sur les mesures de
police vis-à-vis du principe de légalité, il met en place une véritable politique du refus, consistant à éviter de
mettre en place des instruments de contrôle qui pourraient mettre à mal les pouvoirs de l’administration dans
ce domaine du maintien de l’ordre public.
42
CAMUS (A), L’affaire Jean de Maison seul, 1956.
Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.html

1- L’extension du pouvoir discrétionnaire de l’administration

On parle de pouvoir discrétionnaire lorsque « l’administration dispose d’une certaine liberté


d’action d’agir ou ne pas agir et de sa décision de choix entre plusieurs solutions légales 43»
conduite lui soit dictée préalablement par une règle de droit. Bien qu’il n’existe pas de
pouvoir complètement discrétionnaire, il apparait que l’imprécision des normes favorise son
extension. La non-impérativité de la formulation législative relative à la nécessité de
sauvegarder l’ordre public amène l’administration à procéder largement à une appréciation
discrétionnaire des situations de trouble ou non de l’ordre public44. Ce faisant, les autorités
administratives font un recours constant au motif du maintien de l’ordre public sans toujours
prendre les soins de préciser les contenus qui permettent d’établir le risque de trouble à l’ordre
public. Il faut donc le souligner avec Paul Bernard face à la récurrence de cet usage : « N’est-
on pas en présence d’une étiquette camouflant le vide »45 . Le trouble favorise une extension
constante de l’ordre public par l’administration dans la mesure où la limitation des libertés est
légitimée par la sauvegarde de l’ordre public qui devient une nécessité dans certaines
circonstances.

En outre, la police administrative désigne l’opération de prévention des troubles, c’est-à


dire « assurer le bon ordre, la sureté, la sécurité, et la salubrité publique »46.En effet, Le
pouvoir de police administrative désigne l'ensemble des pouvoirs accordés par la loi ou en
vertu de la loi aux autorités administratives, leur permettant d'imposer, en vue d'assurer l'ordre
public, des limitations aux libertés publiques. L'ordre public s'entend principalement du
maintien de la tranquillité, la sécurité et la salubrité publique47. L’autorité administrative,
représentant quotidiennement l’Etat dans la vie civile se doit d’assurer un cadre possible
d’expression des libertés publiques. C’est la préoccupation permanente de cette autorité
relayée dans cette mission par l’appui des forces de maintien de l’ordre. Ainsi, le maintien de
l’ordre public aux termes du premier article du Décret de 1968 fixant les missions de défense
des forces régulières, supplétives et auxiliaires « a pour objet de prévenir les troubles afin de
n’avoir pas à les réprimer. Il comporte également, si l’ordre vient à être troublé, des mesures

43
MORAND-DEVILLER(J), Cours de droit administratif, Paris, Montchrestien, 6e éd, 1999, p.272.
44
Nouveau Droits de L’homme Cameroun, les libertés publiques : guide des pratiques sur la protection des
libertés publiques au Cameroun, 2019, p.38.
45
PAUL-BERNARD, La notion de l’ordre public en droit administratif français, Paris, LGDJ, 162, p.2.
46
Article.L.2212-2 du code général des collectivités territoriales.
47
DEMBOUR (J), « Les pouvoirs de police administrative générale des autorités locales », Bruylant, Bruxelles,
1956, p. 3.
destinées à le rétablir. On distingue le maintien de l’ordre préventif à base de renseignements
et pouvant entraîner l’action des forces territoriales locales avec ou sans réquisition »48. Par
ailleurs, l’article 1er de la loi du 19 décembre 1990, parle des « principes d’action à observer,
en temps normal, par les autorités administratives et les éléments de maintien de l’ordre en
vue de préserver l’ordre public ou de le rétablir quand il a été troublé »49. Ce faisant, les
autorités administratives camerounaises semblent avoir repris en leur faveur, la maxime selon
laquelle « gouverner, c’est prévoir et n’est rien prévenir c’est courir à sa perte»50.

Une analyse minutieuse de la maxime précitée, « laisse entrevoir le souci gouvernemental de


faire correspondre d’une part l’activité préventive au respect des libertés publiques et de
conformer d’autre part l’action de l’autorité de police administrative au droit »51.La mesure
primordiale visant à faire correspondre l’activité préventive de maintien de l’ordre au respect
des libertés publiques garanties reste et demeure l’information de l’autorité, en termes de
renseignement prévisionnel. Ce dernier est défini comme « ce par quoi on fait connaître
quelque chose à quelqu’un ou le fait que l’on porte à la connaissance de quelqu’un »52. De
nos jours, la valeur d’un dirigeant prévenu ne peut souffrir d’aucune comparaison avec celle
d’un dirigeant ignorant, mal informé, qui conduit inéluctablement sa troupe à sa perte53.

En réalité, l’autorité administrative, responsable à titre principal de l’ordre public dans sa


circonscription administrative54, se doit de recevoir des renseignements de manière formelle
tout comme, elle se doit de prévenir les usagers des mesures visant à restreindre l’exercice des
libertés publiques. Ainsi, les renseignements dont doit se munir l’autorité administrative sont
relatifs aux événements, tels les manifestations publiques, intéressant l’un des objets de la
police administrative notamment : le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité
publique. En effet, dans l’exercice de son pouvoir de maintien de l’ordre préventif et donc en
considération des informations qu’elle détient, l’autorité administrative peut, en application de
la loi sur le régime des réunions et des manifestations publiques, interdire une manifestation

48
Décret n°68/DF/33 du 29 janvier 1968 fixant les missions de défense des forces régulières supplétives et
auxiliaires.
49
Loi n°90/054 du 19 décembre 1990 relative au maintien de l’ordre.
50
EMILE DE GIRARDIN-La politique Universelle, 1852.
51
IVAHA DIBOUA (S-D) L’autorité administrative et la protection des libertés publiques au Cameroun,
mémoire D.E.A en droit fondamental, Université de Yaoundé II, 2002, p. 23.
52
ROBERT PAUL, cité par MESSING (Jean-Louis), La problématique du maintien de l’ordre dans les Etats
d’Afrique noire francophone : le cas du Cameroun (1960-1992), Thèse de 3ème cycle Droit public, Université de
Yaoundé, 1994, p. 63.
53
OUMAROUDJAM YAYA, L’ordre public, mission principale de la Gendarmerie nationale, Edition Karthala,
Paris, 1998, p. 63.
54
Art. 2 al. (2) du Décret du 29 janvier 1968, précité.
Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.html

publique projetée ou lui assigner un autre lieu ou un autre itinéraire55. C’est sur cette base
qu’est intervenue la décision n°000018/D/J0602 portant interdiction de la manifestation
publique par le sous-préfet de Yaoundé 2 dont le motif est une fois de plus le risque de trouble
à l’ordre public.

Cependant, dans sa gestion quotidienne des libertés publiques, l’autorité de police


administrative doit nécessairement trouver une base juridique fondant ses interventions56.
L’objectif étant la sécurisation des libertés publiques consacrées dans l’ordre juridique de
l’Etat et le respect de la règle du droit dans son ensemble57. Il s’agit aussi pour les autorités
administratives chargées du maintien de l’ordre de ne pas violer leurs propres décisions en
vertu de la maxime latine : « tu patere legem quam fecisti »58. Qui signifie « subis les
conséquences de ta propre loi » .En effet, dans le droit positif camerounais, la notion de
l’ordre public comporte une dimension restrictive des libertés assez importante. Cette dernière
est d’ailleurs celle qui est la plus éprouvée par les sujets de droit, principalement les citoyens.
L’ordre public est donc d’abord un ordre de limitation de libertés. Et si la Convention franco-
camerounaise59 relative à la défense, à l’ordre public et à l’emploi de la gendarmerie dispose
en son article 8 que « le maintien et le rétablissement de l’ordre public comportent la
protection des personnes et des biens, l’exécution des lois et règlements, la répression des
troubles intérieurs », loin de régler le problème ici étudié, elle en crée plutôt un autre,
puisqu’on peut légitimement s’interroger sur sa pertinence ou son caractère opératoire dans le
domaine de la police administrative. En tous cas, elle est le signe du caractère globalisant
donné ici à l’ordre public de la police administrative60. Cette convention est d’ailleurs l’un des

55
Art. 8 (2) loi n°90/055 du 19 décembre 1990.
56
CHAPUS (R), Droit administratif op. cit. p. 1009.
57
CCA, 27 décembre 1957, Sieur NDJOCK Paul c/ Etat du Cameroun ; CS/CA, ONO NGAFOR Albert c/ Etat
du Cameroun.
58
Maxime latine qui veut dire : « tu dois souffrir des conséquences de loi que tu as faite »
59
Convention signée le 31 décembre 1958. Voir J.-P. GUIFFO MOPO, Constitutions du Cameroun. Documents
politiques et diplomatiques, 1977, p. 40.
60 Il convient en effet de rappeler, à toutes fins utiles, que l’ordre public qui constitue le fondement et le but
de l’action de police administrative ne doit pas être confondu à l’ordre public global en vigueur au sein de la
société étatique. Ce dernier est en effet celui qui est recherché et régulé par l’ensemble du droit, toutes
branches confondues. Mais l’ordre public peut connaitre un certain compartimentage, en raison des
spécificités qui sont les siennes en fonction des branches du droit dans lesquelles il se déploie. Aussi peut-il
connaitre des applications variés en fonction du fait qu’il se déploie en droit administratif, en droit
constitutionnel, en droit civil, en droit pénal, en droit international public ou privé, etc. Même si une
conception d’ensemble de l’ordre public est possible, celle-ci ne gomme pas les spécificités de la notion qui,
en plus, peut être perçue différemment selon que l’on se place du point de vue substantiel ou du point de vue
procédural. Sur toutes ces questions, lire M.-C. VINCENT-LEGOUX, L’ordre public. Etude de droit comparé
interne, précité ; N. JACQUINOT, Ordre public et constitution, précité. Dans le cadre de la présente étude,
lorsque l’on parle d’ordre public général, cela signifie deux choses possibles : il peut s’agir soit de l’ordre
public général au sens de la police administrative, et qui fonde le pouvoir de police générale, soit de l’ordre
rares textes camerounais bien que d’origine internationale à donner un contenu à l’ordre
public. Quant aux textes constitutionnels, ils sont également très elliptique à cet égard.

A la vérité, tout groupe social ne se dote de règles qui vont limiter la liberté de quelques-uns
pour le bonheur de tous. Ainsi, se trouve justifiée l’existence de la constitution affiche deux
attitudes distinctes quant au régime d’exercice des pouvoirs de police en période de crise. Par
exemple l’état d’urgence confère des pouvoirs spéciaux au Président de la République qui
n’en dispose que dans le cadre fixé par le législateur.

Il revient donc au pouvoir législatif de déterminer les conditions du recours aux pouvoirs de
police par le Président. Il confine la priorisation de l’ordre public sur les libertés dans des
délais précis, fixe les règles de compétences des autorités de police, détermine l’étendue de
leurs pouvoirs et leurs limites. Il est alors question du respect du principe de la séparation des
pouvoirs si chère à Montesquieu. En effet, ce dernier défend l’idée du morcèlement du
pouvoir entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire pour éviter l’abus. Autrement dit, celui qui
fait les lois ne doit pas être celui qui les exécute. Cet encadrement permet d’éviter que le
Président ne soit porté à abuser de son pouvoir. D’où l’institution du juge administratif pour
veiller au respect des libertés publiques surtout en temps de crise .En réalité, aucun Etat au
monde n’est assuré d’une stabilité permanente. Il est donc logique que pendant la période
d’incertitude que les exigences de l’ordre publique l’emportent sur les libertés publiques.

Cette rupture de l’équilibre doit normalement s’inscrire dans le temps pour éviter la dérive
autoritaire. C’est pourquoi le législateur a mis au point des mécanismes qui mettent pour un
temps le voile sur les libertés publiques par le biais de la dictature constitutionnelle61.Par ce
mécanisme, on assiste à une réglementation peu protectrice des libertés publiques, surtout les
libertés de réunion, et les libertés de manifestation publiques qui sont sujets au trouble de
l’ordre public selon les autorités administratives. C’est pour cette raison que l’on assiste à une
extension permanente du concept de l’ordre public par l’administration.

public général au sens le plus globalisant, c’est-à-dire celui en vigueur au sein de la société toute entière. La
précision sera faite chaque fois que nécessaire.
61
MINTIGHA (B), Le sort des libertés pendant l’état d’urgence, mémoire de maitrise, U.Y.II, F.D.S.E, 1990,
p.1
Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.html

2 -Une extension constante du concept d’ordre public par l’administration

Parler de l’ordre public, revient à éviter toutes les équivoques, car dans la norme juridique, la
formule a plus d’un sens. Les lois d’ordre public, ce sont les lois auxquelles les particuliers
dans leurs conventions ne peuvent déroger62. Les nullités d’ordre public, ce sont celles que le
juge au cours d’un procès doit relever d’office. En effet, l’ordre public est perçu comme objet
de la police administrative et dont les forces de police et de gendarmerie ont pour mission
d’en assurer le maintien. En réalité, dans chaque Etat, il existe un certain nombre de valeurs
considérées comme essentielles pour la vie de la collectivité toute entière. L’ordre public
désigne alors le respect de ces valeurs. S’attaquer à ces dernières, c’est menacer l’ordre public
et cette menace justifie l’entrée en scène constante de la police sous sa double forme :

La police administrative, a pour but de prévenir les atteintes à l’ordre public, et la police
judiciaire, pour découvrir ceux, qui en perpétrant ces atteintes, ont enfreint les limites posées
par la loi pénale et qui prépare l’intervention du juge compétent. Seulement, les valeurs par
lesquelles une société donnée définit son ordre public, varient selon le type d’Etats
considérés63. Le contenu de l’ordre public, et partant, le champ d’action de la police, varie
exactement dans la même proportion.

La nécessité de défendre l’ordre public ne se comprend donc, que par rapport à une fin 64. Les
autorités administratives responsables de l’ordre et de la tranquillité publique, ont donc le
devoir de prendre des mesures nécessaires pour prévenir des troubles65. Les autorités
administratives font un recours constant au motif de l’ordre public, alors que le but est de
réduire l’exercice des libertés publiques. En effet restriction constante des libertés préoccupe
la doctrine. Ainsi, le Professeur Bernard Raymond Guimdo Dongmo qualifie l’ordre public
comme une notion changeante, redoutable entre les mains de l’administration66. Le professeur
Jean-Calvin. Aba ’a Oyono quant à lui s’interroge en ces termes : « Cette notion est-elle
suffisamment interprétée pour recevoir une application indiscutable? » 67. En France comme

62
Art 6 du Code civil : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre
public et les bonnes mœurs ».
63
Aux deux extrêmes, on retrouve d’une part l’ordre public de l’Etat totalitaire et, d’autre part l’ordre public de
l’Etat libéral.
64
ROUALT (M-C), « L’essentiel du droit administratif general », Gualino Lextenso, 18e edition, p. 212.
65
ABIABAG (I), Les droits de l’homme et les libertés publiques au Cameroun, FASST, Yaoundé, 1998.p.174
66
GUIMDO DONGMO (B-R), Le juge administratif camerounais et l’urgence : Recherches sur la
place de l’urgence dans le contentieux administratif Camerounais, Thèse de doctorat d’Etat en droit
public, Soa, 2004, p.316.
67
ABA’A OYONO (J-C), « Note sur l’affaire Mama Biloa Sandrine C/ Université de N’Gaoundéré, CS/ CA,
ordonnance du 07 décembre 2000 », Juridis périodique, 2002, n°51, pp.19-32.
au Cameroun, autant que dans bon nombre de pays, le législateur évite de définir clairement
cette notion. Devant cette réserve, on s’attendrait à ce que le juge qui est en contact direct
avec les justiciables s’en charge. Comme l’écrit à juste titre le Professeur Bernard Raymond
Guimdo Dongmo, « le législateur n’a posé qu’une règle générale régissant les mesures de
police, c’est en réalité au juge qu’incombe la tâche de rendre la règle légale déterminant
l’étendue du pouvoir de police, l’ordre public ne recouvre pas une notion préexistante. C’est
le juge qui doit trouver sa substance »68. En effet, les idées défendue par la doctrine ne
trouvent pas toujours échos auprès des autorités administratives qui font un usage abusif de
l’ordre public.

La décision n°076/D/JO6/01/BAAJP du 28 septembre 2012 portant annulation d’autorisation


d’une réunion publique du sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé 1er en est un exemple
palpable. En effet, en date du 31 août 2012, M. Fogue Tedom Alain fait une déclaration de
réunion publique comme le prévoit la loi pour la tenue de la Convention Nationale du
Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). Il lui est délivré, conformément à la
loi, le récépissé n°438/RDRP/JO6-01/SP. La loi prévoit que la déclaration soit faite 3 jours au
moins avant la tenue de la réunion. Cela signifie que le MRC se trouvait largement dans les
délais légaux. Seulement, en date du 27 septembre 2012, le sous-préfet de l’arrondissement de
Yaoundé 1er, M. Luc Ndongo notifie au MRC la décision sus indiquée qui annule
l’autorisation administrative délivrée à travers le récépissé.

Les motifs énoncés sont : « la résiliation du contrat de location de la salle de réunion » et les
« menaces de troubles à l’ordre public ». L’autorité administrative prend le soin de préciser
les dispositions pénales qui s’appliqueront au cas où il viendrait à l’idée de certains de
contrevenir à la décision d’annulation mais rien, absolument rien n’est indiqué pour expliquer
ou seulement indiquer ce qui, dans la réunion du MRC pourrait représenter un danger pour
l’ordre public. Une décision de plus qui montre l’étendue du pouvoir des autorités
administratives de police. Le MRC ne va pas intenter de procès contre l’acte. Seulement, 1
jour plus tard, soit le 28 septembre 2012, la même autorité administrative va prendre un autre
acte, la décision n°078/D/JO6/01/BAAJP portant retrait d’annulation d’autorisation d’une
réunion publique, sans, une fois de plus expliquer les raisons de cette levée.

Le sous-préfet indique de manière très brève que « est retiré avec effet immédiat la décision
n° 076/D/JO6/01/BAAJP en date du 27 septembre 2012, annulant le récépissé de déclaration

68
GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), op. cit. p. 492. .
Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.html

de réunion n°438/RDRP/JO6-01/SP du 31 aout 2012 en vue de la tenue de la Convention


Nationale du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) délivré à Monsieur
Fogue Tedom Alain. Ledit récépissé de déclaration de réunion publique est par conséquent
réhabilité et permet à son requérant de tenir lesdites assises de son parti politique dans les
délais annoncés (29 septembre), en respect des dispositions de la loi n°90/055 du 19
décembre 1990 portant régime des manifestations publiques et du maintien de l’ordre
public ». Au regard de ces éléments, l’on peut se poser des questions suivantes.

Qu’est ce qui au départ faisait croire à l’administration que des troubles à l’ordre public
pouvaient apparaitre du fait de la tenue de la Convention du MRC qu’est ce qui explique un
tel revirement ? Cette l’incertitude du contenu de l’ordre public ayant participé à la gestion «
plastique » de l’affaire par l’administration.

Il est important que l’autorité administrative de police précise ce qui représente une menace,
l’identifie avant de le convoquer. Cela ne rendrait plus pertinente sa démarche, et la
légitimerait. C’est bien le flou qui entraine très souvent, une véritable voie aux troubles à
l’ordre public. L’autorité administrative estime que, constitue un trouble à l’ordre public, le
fait pour Madame Atole d’effectuer des travaux d’investissement sur une parcelle querellée
où est encore attendu le règlement définitif de ce différent69. Là encore les contours ne sont
pas clairement précisés ce qui, dans ce cas représente une menace de trouble à l’ordre public.
Il est donc nécessaire que le juge administratif camerounais veille sur les libertés publiques
en tranchant judicieusement les litiges soumis à son appréciation. Au regard de ce qui
précède, nous pouvons affirmer de manière péremptoire que la politisation de l’action
administrative constitue un obstacle au développement des libertés publiques. Cependant
qu’est-il donc de la tentative de substitution du juge par l’administration en juge de fait ?

II – LA TENTATIVE DE SUBSTITUTION DE L’ADMINISTRATION EN JUGE: LA


RÉPRESSION DES TROUBLES CAUSES A L’ORDRE PUBLIC

Le droit administratif camerounais s’accommode des réalités spécifiques aux relations entre
l’administration et les administrés qui s’y trouvent. La contribution du juge peut conduire à
consolider ou à fragiliser cette discipline en fonction des circonstances. En statuant sur le
contentieux administratif, le juge construit des bases de la matière en s’appuyant sur une

69 Décision n° 026/L/J06/BRAG du 17 juin 2011.


logique imposée par le contexte sécuritaire qui prévaut. Suivant ces considérations, l’analyse
des fondements jurisprudentiels des libertés publiques nous suggère dans le présent article que
nous prenons en compte les méthodes et les mécanismes employés par le juge.

Cette pratique se matérialise à travers l’indulgence du juge administratif à l’égard de


l’administration (A) dans un premier temps et dans un second temps sur la rigueur du juge à
l’égard des individus (B)

A-l’ indulgence du juge administratif a l’égard de l’administration

Le règlement des litiges par le juge de plein contentieux est le but ultime pour lequel le juge
administratif déploie toute sa technicité dans le traitement des litiges. Ainsi, il peut être
considéré comme un indice d’efficacité le plus déterminant du plein contentieux. Mais les
phases des jugements et d’exécution des décisions rendues révèlent quelques fois son
caractère insuffisant70. Dans la mesure où ce que le justiciable attend n’est forcément pas
l’étalage de l’art jurisprudentiel que la solution au problème qui l’oppose à l’administration. A
l’image du médecin qui doit guérir d’un patient du mal doit-il souffre. Dans ce sens, des
pesanteurs et autres aléas inhibe l’effet attendu de ces étapes non moins cruciales. C’est le lieu
d’observer, à la suite d’autres auteurs71, que les jugements sont généralement orientés à la
faveur de l’administration (1). En revanche, cette dernière se montre toujours réticente à
exécuter les moindres condamnations dont elle est frappée (2).

1-Une permanente orientation des certaines décisions en faveur de l’administration

D’une manière générale, certaines décisions juge administratif concourent à la protection des
biens de l’administration dans le but de défendre l’intérêt général. En effet, le juge
administratif, juge du contentieux de pleine juridiction rend majoritairement le verdict en
faveur de l’administration, car la restriction des conditions de responsabilité administrative au
Cameroun a une dimension éminemment politique. L’impératif du développement des jeunes

70
SALAMI-IBRAHIM (D), « l’efficacité du contentieux de pleine juridiction en droit administratif Béninois
Camerounais », REA, décembre 2016, pp.1-29.
71
Entre autres, ONDOA (M), L’économie des dépenses d’indemnisation en droit camerounais, Thèse de 3e
cycle, université de Yaoundé II, 1990, 542 p ; NLEP (R-G), L’administration publique camerounais :
contribution à l’étude du système africain publiques, Paris, LGDJ, 1985, 406 p ; BILONG (S) La responsabilité
publique et la compétence du juge en droit Camerounais, Thèse, Université de Douala, 2001, 467 p.
Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.html

Etats africains, véhiculé par la doctrine institutionnelle de la construction de l’unité nationale,


avait conduit à la faible prise en compte des exigences de de droit72.

Dans un contexte d’autoritarisme, de crise sécuritaire, la protection des libertés et les droits
des citoyens par le juge administratif est notoirement mitigés. En effet, le professeur
Kontchou Komegni pense que les autorités politiques des jeunes Etats indépendants
souhaitaient unir toutes les forces vives pour œuvrer au développement73. La prise en compte
de cette doctrine s’est manifestée au plan juridique par la limitation législative de la
responsabilité publique et l’allégement jurisprudentiel de la charge indemnitaire74. C’est
d’ailleurs dans ce sens que la loi camerounaise du 26 juin 1964 portant répression des actes
terroristes avait exclu de la compétence du juge administratif toute réclamation sur
l’indemnisation du préjudice causé par les actes de terrorisme. Ainsi, la loi de 27 novembre
1980 avait-elle eu pour unique objet de dessaisir les cours et tribunaux de tout litige né de la
désignation des chefs traditionnels.

Ne pouvant être indifférent à cet environnement, le juge administratif a développé une


politique jurisprudentielle tout aussi protectrice de l’administration. Chaque fois qu’un
recours est susceptible d’entrainer la condamnation de l’administration à payer une somme
d’argent, il s’attache à déceler un motif d’irrecevabilité ou d’incompétence, et sa sévérité
dans l’appréciation de ces conditions était devenu proverbiale. Cette attitude expliquait en
grande partie la pauvreté des solutions de fond déplorée par la doctrine. Dans ce cas un élan
de conscientisation des juges s’est avéré nécessaire. Ils ont dû trouver, mieux d’imaginer les
équilibres délicats, embarrassants et complexes : tenir compte d’indemnisation pécuniaire en
fonction des contraintes budgétaires des personnes morales de droit public ou leurs
démembrements. En sorte que certaines indemnités apparaissent symboliques ou de principe ;
le souci étant de ne pas laisser les préjudices imputables à l’administration sans réparation.

De même, dans l’examen de certaines demandes de réparation, le juge procède à la réparation


des dommages et intérêts en distinguant nommément les différends préjudices subis par le
requérant, en distinguant ceux qui méritent effectivement une réparation. Ce travail de
sélection permet au juge de mettre à l’écart des préjudices dont la réparation constituerait une

72
KAMTO (M) pouvoir et droit en Afrique. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les pays de
d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, B.A.M., 1987, p.334.
73
KONTCHOU KOUOMEGNI (A), « le droit public camerounais, instrument de construction de l’unité
nationale » RJPIC n°4, oct.-nov.-déc. 1979, pp.415-441.
74
ONDOA (Magloire), Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en développement. Contribution à
l’étude de l’originalité des droits Africains postcoloniaux, Le harmattan, 2010, p.651.
perte dans les finances de l’Etat. On peut prendre par exemple le préjudice éventuel et
certain75. L’économie des deniers publics conduit à reconnaitre le droit de réparation que pour
des dommages certains, directs, personnels76. Cela ne saurait etre possible par contre si
l’administration refuse d’exécuter délibérément les décisions de justice.

2- l’inexécution incertaine des certaines décisions par l’administration

Le problème majeur ici est de recenser les difficultés inhérentes à l’exécution des verdicts du
juge administratif lorsque c’est l’administration qui est condamnée. Par administration ici, on
entend « l’ensemble des autorités, agents et organismes chargés sous la pulsion des pouvoirs
politiques, d’assurer les multiples interventions de l’Etat moderne »77 .En effet,
l’administration donne rarement d’explications sur sa non-exécution des décisions de justice.
En outre, la chambre administrative n’a presque jamais statué quand il est ressaisi pour le
refus d’exécuter les décisions par les justiciables bénéficiaires de l’une, cela nous prive en
réalité l’occasion d’entendre le mobile. Cette situation renforcement la violation des libertés
publiques par l’administration, mieux elle instaure un climat de frustration voire même de
tension au sein de la population. Cet aspect du contentieux administratif fait rarement objet
d’étude. D’où la vague quant au taux de conformité de l’administration aux décisions du juge
administratif. Par-delà de ces insinuations, se trouve l’autorité de la chose jugée. L’autorité de
la chose jugée signifie qu’il est interdit de remettre en cause un litige qui a été tranché par une
juridiction compétente, ce que les latins qualifie de « res judicata pro veritate habetur » c’est-
à-dire la chose jugée est tenue pour être une vérité. Ainsi, pour qu’une décision jouisse de
l’autorité de la chose jugée, il faut que trois conditions soient réunies, l’identité des parties, la
cause, et l’objet78.

Par ailleurs, il est de jurisprudence que les parties aux litiges respectent le verdict final, parce
que statué sur le fond, ce qui veut dire que les ordonnances et les sursis à exécution et
d’autres arrêts, provisoire avant-dire-le-droit ne jouissent pas de l’autorité de la chose jugée79.

75
CS/CA, jugement n°35 du 22 février 1979, Caisse nationale de la prévoyance sociale c/ United du Cameroon
International Company (UCIC)
76
CS/AP, Arrêt du 24 mars 1983, Njikam Towa Maurice
77
DE LAUBADERE (A) Traité de droit administratif T.I, Paris, 1984.p.11.
78
CFJ/CAY. Arrêt n°42 du 30 Avril 1968, EKWALLA EDOUBE EYANGO Stéphane C/ Etat fédéré du
Cameroun oriental et CFJ/CAY Arrêt n°104 du 27 Janvier 1970. TCHOUMBA NGOUANKEU Isaac C / Eta du
Cameroun oriental.
79
Article14(6) de l’ordonnance du 26 Aout 1972 fixant l’organisation de la cour suprême le rappelle en termes
très clairs : L’appel d’une décision avant-dire-droit ne peut-être interjeter que conjointement avec l’appel à
l’encontre de la décision définitive sur le fond. Il est recevable même en cas d’exécution sous réserve de ladite
décision avant-dire-droit ».
Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.html

En réalité, la confiance du législateur en la bonne foi de l’administration est telle qu’il a été
superflu de coucher l’exigence du respect de l’acte juridictionnel dans un texte. C’est dans cet
ordre d’idée que le professeur Jean Marie Bipoum Woum déclare qu’ «… fait confiance
démesurée aux bonnes dispositions de l’administration, ou sous-estimé l’influence que
pourrait avoir la faculté conférée au juge administratif de pouvoir au moins suivre
l’exécution des décisions de justice »80. C’est-à-dire que le législateur fait une donne l’onction
au juge pour veiller à l’application et au respect des textes en vigueur.

A l’inverse, l’exécution des décisions de justice issue du contentieux administratif entraine


les problèmes qui lui sont spécifique en ce sens que l’administration ne peut pas user de la
contrainte contre elle-même, une règle « dont nul ne peut établir l’origine » selon Louis
Favoreu81 et qui plus est, l’acte administratif est l’acte juridictionnel se diluent parfois comme
on le verra. In fine, sur le plan sociologique, nous constatons l’indifférence civique des
camerounais vis-à-vis du système de la juridiction administrative. Le professeur
A.S.Mesheriakoff avait déjà tiré une sonnette d’alarme en parlant du « déclin de la fonction
administrative contentieuse au Cameroun82 ». Le non-respect de l’autorité de la chose jugée
constitue donc l’un des freins aux plaignants potentiels en matière des libertés publiques. Par
contre la position du juge change et ses décisions contrastes quand il est appelé à juger les
particuliers d’où sa rigueur vis-à-vis des individus.

B- la rigueur du juge à l’égard des individus

Le droit positif camerounais obéit à une nouvelle configuration de l’organisation


juridictionnelle en vigueur, elle n’influence pas d’ailleurs sur la construction du droit
jurisprudentiel en matière du contentieux administratif. Elle présente les faiblesses liées à
l’indépendance du juge statuant sur le contentieux administratif, marquée par une réelle
absence de séparation organique des pouvoirs des autorités administratives, judiciaires tant
souhaité par Montesquieu.Dresser le profil de la rigueur du juge revient à présenter non
seulement une responsabilité pénale affirmée des particuliers (1) mais aussi et surtout une
responsabilité des particuliers engagée au plan civil (2)
80
NGWA FOBIN (E.H), « Le problème d’inexécution des décisions du juge administratif camerounais », RASJ,
vol.7 n°1, 2010, pp.297-317.
81
L’effectivité des décisions de justice. Travaux de l’association Henri Capitant. (Journaux français).TXXXVI.
p. 606.
82
Le déclin de la fonction administrative contentieuse au Cameroun. RJPIC.n°4, octobre Novembre 1980. Cet
avis du professeur ne fait l’unanimité. Voir le professeur Jean-Marie Bipoum Woum. Bilan de 20 ans de la
jurisprudence administrative de la cour supreme.1957-1965. RCD.N° 15 et 16. 1978 en plus. Les cinq des
volumes des recueils du professeur Jacquot ainsi que les deux volumes des grands arrêts de la jurisprudence
administrative de Bouyoum (X) pour ne citer que ceux-ci.
1- Une responsabilité pénale affirmée des particuliers

Le législateur camerounais a tiré les conséquences de la création d’une catégorie d’infractions


autonomes en leur attribuant le régime juridique spécifique. En effet, la loi du 23 décembre
2014 portant répression du terrorisme lesquelles ne cessent de se multiplier, bafouant
allègrement les principes de légalité à défaut de pression l’élément matériel, et faisant de plus
en plus dépendre l’élément intentionnel des spéculations hasardeuses, des aggravations
concernant tout autant des peines principales que des peines accessoires. Ainsi, le législateur
de 2014 marque clairement son option de la répression institutionnelle à travers la
mobilisation des fonctions symboliques et politiques de l’action punitive, caractéristique de la
théorie de la prévention spéciale. Bien plus, la sévérité du législateur à l’égard des individus
ne se manifeste pas seulement quant à l’élévation de l’échelle des peines d’emprisonnement
ou de réclusion mais également à l’égard des peines accessoires.

Les peines accessoires prévues à l’article 19 du code pénal sont pour les personnes
physiques : les déchéances, la publication du jugement, la fermeture de l’établissement et la
confiscation. Ces peines complémentaires dont le juge fait usage en matière de terrorisme
sont marquées d’une sévérité qui se traduisent par l’interdiction temporaire, pouvant aller
jusqu’à l’interdiction définitive83.De ce fait, peuvent ainsi être prononcées les peines
d’interdiction du territoire camerounais à titre définitif ou provisoire, ou encore l’interdiction
de séjour d’un étranger sur le territoire camerounais dès lors qu’une personne est impliquée
dans les infractions de terrorisme84. C’est donc une loi qui exprime toute la rigueur du droit à
l’endroit des adeptes de la violence et de la terreur.

Bien plus, d’organisation d’une manifestation non déclarée ou interdite vise seulement les
organisateurs. « Il en résulte que la liberté de participer à une manifestation pacifique est
entière »85.Une limite à cette liberté existe et reste liée au maintien de l’ordre public. C’est
notamment le cas, lorsque la manifestation prend l’aspect d’un attroupement défini
légalement comme : L'attroupement s'entend de toute réunion sur la voie publique d'au moins

83
MAINA (J-C), La lutte contre le terrorisme à l’épreuve de la protection des droits de l’homme au Cameroun,
Mémoire de Master recherche en droit privé, université Maroua, 2018-2019 p.78-79.
84
Article 39 alinéa 2-a de la loi n°97/012/ du 10 janvier relative aux conditions d’entrée, de séjour et de sorties
des étrangers au Cameroun, « seront notamment expulsé, tout étranger : dont la présence sur le territoire national
soit constitué une menace pour la sécurité nationale, l’ordre public, la sécurité publique, la santé, la moralité ou
les bonnes mœurs, soit est devenu indésirable suite à la suite d’une condamnation définitive à une peine au
moins égale à un an d’emprisonnement sans sursis »
85
FIALAIRE (J) et MONDIELLI (E), « Les libertés et droits fondamentaux », Collection Universités-Droits
p.548.
Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.html

cinq personnes, de nature à troubler la paix publique86. Il s’agit donc de tout rassemblement
de personne sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public,
qu’il s’agisse d’un rassemblement spontané ou d’un rassemblement organisé ayant dégénéré.

Il appartient à « l’autorité de police de déterminer l’exercice ou l’éventualité de trouble à


l’ordre public »87.Une personne continuant volontairement à participer à un attroupement, à la
première sommation de l’autorité compétente, commet alors un délit de participation à un
attroupement88. Et si ce dernier n'a pu être dispersé que par la force, la peine est doublée
contre ceux qui s'y sont maintenus après deux sommations demeurées sans effet89.

Le délit de participer à une réunion ou manifestation publique non déclarée ou interdite ou à


un attroupement est puni d’un emprisonnement de 15 jours à six mois90. La peine est aggravée
celui qui faisant partie d'un attroupement armé au sens des articles 115 (3) et 117 du présent
code, porte lui-même une arme ou ne s'en retire pas à la première sommation de l'autorité
compétente. Les peines sont alors doublées au cas où l'attroupement a lieu pendant la
nuit91.Le juge pénal vérifie tant le respect de la procédure d’ordre de dispersion précédé des
deux sommations que l’appréciation portée par l’autorité compétente pour ordonner la
dissolution de l’attroupement.

En réalité, « la responsabilité pénale des manifestants peut être engagée conformément à la


loi pénale, soit pour défaut de déclaration ou pour tenue d’une manifestation interdite »92. En
effet, lorsque la manifestation, tout comme d’ailleurs la réunion, a lieu sans avoir été déclarée
ou après avoir été interdite, elle engage la responsabilité des acteurs sur le fondement de
l’article 231 du CP. Et ces manifestants peuvent d’ailleurs voir leur responsabilité être
engagée devant le juge civil.

2-Une responsabilité des particuliers engagée au plan civil

Suivant le droit commun, la responsabilité civile d’un manifestant ou d’un organisateur peut
être engagée s’il a causé des dommages aux biens ou aux personnes. La difficulté réside ici
86
Art. 232 (1) loi n°67/LF/1 du 12 juin 1967 portant code pénal camerounais.
87
FIALAIRE (J) et MONDIELLI (E), GRABOY-GROBESCO (A) « Les libertés et droits fondamentaux »
Collection Universités-Droits p. 551.
88
Art. 232 (2) loi n°67/LF/1 du 12 juin 1967 susmentionnée.
89
Art. 232 (3) loi n°67/LF/1 sus-citée.
90
Art. 231 (a) et suiv. du Code pénal camerounais.
91
Art. 233 al. (1), (2), (3) et (4) du Code pénal camerounais.
92
ABIABAG (I), Les droits de l’homme et les libertés publiques op. cit., p. 179.
dans l’établissement de la preuve, l’organisateur ou le manifestant n’étant responsable que des
dommages qu’il a personnellement causés. La loi « anticasseurs » du 8 juin 1970, partant du
principe que « les casseurs doivent être les payeurs »93, avait aggravé cette responsabilité.
Elle prévoyait que l’organisateur d’un rassemblement illicite ou interdit qui n’avait pas donné
l’ordre de se disperser à temps était directement responsable des dommages causés. Ce même
organisateur était également responsable des dommages causés par d’autres manifestants si
ceux-ci se révèlent insolvables. Ce régime pénal, qui fut en son temps fortement critiqué, a été
abrogé par une loi du 23 décembre 1981. Dans ce contexte, le droit français constitue un cas
d’école dans la mesure où la responsabilité du fait des attroupements a d’abord pesé sur les
communes en vertu d’un décret du 10 vendémiaire An IV. Confirmé par la loi municipale du
5 avril 1884, ce régime a été transformé pour être fondé non plus sur la faute, mais sur
le « risque social»94. La responsabilité de l’Etat a remplacée celle de la commune à la suite
d’un transfert opéré par l’article 92 de la loi du 7 janvier 1983. Enfin cette responsabilité,
après avoir relevé du contentieux judiciaire, à intégrer le contentieux administratif depuis une
reforme opérée par l’article 27 de la loi du 9 janvier 1986. Cet article (devenu l’article L.
2216-3 du CGCT) prévoit que : « L’Etat est responsable des dégâts et dommages résultants
des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou
rassemblement armés ou non armés, soit contre les personnes soit contre les biens »95.

Il en découle trois conditions auxquelles est subordonnée la mise en jeu de ce régime de


responsabilité, tenant dans l’existence :

De dommage résultant de délits ou de crime ;

De crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence ;

D’un attroupement ou d’un rassemblement, qui est la circonstance particulière entourant la


commission de ces infractions.

La détermination du champ d’application de ce régime revêt des enjeux importants, quant aux
conditions d’engagement de la responsabilité et quant aux préjudices réparables.

93
Loi n°2019-290 du 10 avril 2019 visant renforcer et garantir le maintien de lors des manifestations. Cette loi
est un texte législatif promu, à l’origine par les sénateurs Les Républicains, défendu par le gouvernement à la
suite des manifestations des gilets jaunes.
94
Loi française du 16 avril 1914 portant modification des articles 106, 107, 108 et 109 de la loi municipale du 5
avril 1884
95
Article L.2216-3 du Code générale des Collectivité Territoriale
Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.html

S’agissant de l’engagement de la responsabilité, le problème provient d’une absence de


définition précise de la notion de l’attroupement et de rassemblement donné dans la loi. La
jurisprudence a retenue : la notion de groupe agissant de manière collective et concertée96.
Elle s’est révélée très libérale, admettant l’engagement de cette responsabilité pour des
dommages causés par : « Une série d’actions concertées ayant donné lieu sur l’ensemble du
territoire ou sur une partie substantielle de celui-ci à des crimes et délits97. »

Dans une période récente, s’est posée la question de savoir si l’indemnisation des dommages
commis à l’occasion des violences urbaines pouvait incomber à l’Etat. Un champ
d’indemnisation large est retenu par le juge administratif, qui considère que : Sont seuls exclus
des rassemblements organisés dans l’unique but de se livrer à des dégradations, du type
opérationnel des « casseurs98 ».

Par contre, une preuve doit être établie permettant de rattacher le dommage au fait d’un
attroupement ou d’un rassemblement, plutôt qu’à une « opération commando »99 qui, suivant
une jurisprudence constante, ne peut donner lieu à l’enchainement de la responsabilité de
l’Etat100. L’application de ce critère a pu être perturbée par un certain subjectivisme, un juge
du fond ayant interprété largement la notion de lien avec une manifestation initiale, jusqu’à
faire jouer la responsabilité de l’Etat pour réparer les conséquences de débordements
intervenus après l’achèvement d’une manifestation, imputables à certains manifestants101. La
haute juridiction est venue plus récemment « ré-objectiver » l’emploi du critère, en refusant
d’engager la responsabilité de l’Etat du fait des attroupements dans un cas où les actions
délictueuses étaient intervenues après la dispersion de la manifestation102.

Diverses sortes de préjudices sont réparables au titre de cette responsabilité, y compris un


préjudice commercial : le cas d’une perte de recettes ou de l’augmentation des dépenses

96
CE Sect., 29 décembre 2000, AGF, AJDA février 2001, p. 164.
97
CE Ass., 20 février 1998, Cofiroute, Rec. P.50
98
CE Sect., 29 décembre 2000, AGF, AJDA février. 2001, p. 164.
99
Il s’agit des opérations dites de « coup de main », dans lesquelles la discrétion n’est pas recherchée. Elles
visent à neutraliser un point décisif lors d’une bataille. En principe, elles sont menées par des troupes dites
« d’élite », de « choc » ou « d’assaut ». Le secret n’est pas une condition ciné qua non du succès dans ce type
d’opérations.
100
CE, 25 mars 1992, Cie d’assurance Mercator NV ; 16 juin 1997 Caisse centrale de réassurance, cité in
Cahiers administratifs et politistes du Ponant, n°8- 2003, p. 157.
101
CAA Nantes, 11 avril 2002, Groupama de Bretagne, Cahiers Administratifs et Politistes du Ponant, n°8-2003,
p. 167.
102
CE, 3 mars 2003, Ministre de l’Intérieur c/Cie Generali France Assurances, note Ph. J.Quillien, JCP
Administrations et collectivités territoriales, n°24, 10 juin 2003, p. 787.
d’exploitations103.Il y a lieu de constater que le juge est susceptible de se pencher sur les
litiges de diverses natures lorsqu’il est saisit par les justiciables.

103
CAA Nantes 28 mars 2002, Sté Bretanor, Cahiers Administratifs et Politistes du Ponant, n°8-2003, p.159.
Article publié en août 2023 sur le Village de la Justice: https://www.village-justice.com/articles/ordre-public-libertes-publiques-epreuve-crise-securitaire-cameroun,47001.html

CONCLUSION

Somme toute, il était question de poser une réflexion sur l’épineuse question de cohabitation
de l’ordre public-libertés publiques. Il ressort de cette analyse que le tandem ordre public-
libertés publiques fait partie intégrante du paysage juridique camerounais. En réalité, ces
dernières ont été abondamment consacrées par les textes à valeur constitutionnelle, infra-
constitutionnelle voire législative. Ces normes dont l’objectif est de permettre la jouissance
effective des libertés par les citoyens sont parfois mis à mal par des entités en charge de la
régulation de l’ordre public .Mais dans certaines circonstances notamment celle de crise
sécuritaire, le législateur a plutôt opté pour la primauté de l’ordre public, à la mise entre
parenthèses des libertés, dans la mesure où l’on peut « mettre un voile sur les libertés »104
pour reprendre les propos de René Chapus. Autrement dit, « il vaut mieux hasarder de sauver
un coupable que de condamner un innocent »105, le système judiciaire est cocu de façon à
éviter les faux positifs. Privilégier la sécurité au détriment de la liberté est une réalité
conjoncturelle surtout dans un Etat ou l’embellissement du pouvoir juridictionnel est une
coutume et que, par ailleurs, le système politique est peu favorable à l’émergence d’un droit
administratif épuré de l’arbitraire administratif. Ce constat est d’autant plus réel qu’on
observe un certain adoubement de l’administration par le juge administratif. La réticence,
l’hésitation ou l’amenuisement des sanctions prononcées contre la puissance publique sont
quelques-unes de multiples faveurs accordée à l’administration. In fine, il y a donc lieu de
conclure à un ancrage constitutionnel106 de la soumission de l’administré à l’administration.

104
CHAPUS (R) Droit administratif général, op.cit. p.1040
105
VOLTAIRE, Zadig/La destinée, 1748
106
ABA’A OYONO (J-C), in les fondements du droit administratif les fondements du droit administratif
camerounais : actes du colloque organisé à l’université de Yaoundé II, 3 et 4 novembre 2015, p. 85

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