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UNITE DE FORMATION ET DE RECHERCHE

DE SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES

Histoire du Droit Pénal et de la Procédure Pénale

2019-2020

Licence 2

Présentation. Pr Yamar Samb, Maître de Conférences Agrégé

  1  
CHAPITRE I : AUX ORIGINES DU DROIT CRIMINEL

Parce que l’action de l’Etat ou de la société se joue souvent sur le terrain pénal avant

de s’étendre à d’autres sphères d’intervention, on trouve très tôt des manifestations

du droit pénal. Plusieurs étapes marquent l’émergence de ce droit. C’est de l’Orient

ancien que nous sont parvenues les premières tentations de codification pénale. Mais

il s’agit d’un droit, pour ainsi dire, sans doctrine qui ne permet pas de saisir les

concepts et s’en tenir à de simples prescriptions.

Les grecs ont eu le mérite d’approfondir la philosophie pénale et les fondements du

droit de punir. Le droit Romain reste cependant la matrice de ce qui constituera à

l’époque médiévale le creuset de la procédure inquisitoire.

SECTION 1 : LE DROIT PENAL DE L’ORIENT ANCIEN

Paragraphe 1er : L’exemple du code d’Hammourabi

Les sources juridiques qui nous sont parvenues des peuples orientaux sont riches.

Elles prennent la forme de texte législatif qu’on qualifie assez habituellement de code

mais aussi de dizaines de milliers de tablettes qui font foi d’actes de la pratique se

répartissant en contrats, en décisions judiciaires ou en lettres officielles et qui

fournissent de nombreux détails sur les mœurs et règles propres à ces peuples. Sur le

fond, le contenu se structure en trois parties.

D’abord le prologue étant une forme d’invocation aux dieux et qui rappelle le rôle

protecteur d’Hammourabi, notamment à l’égard des opprimés et des faibles et son

rôle de justicier.

Ensuite, il y a les articles qui sont au nombre de 282 décrets d’équité, des décisions

de justice qui ont trait notamment au droit civil, au droit commercial, à la procédure

et au droit pénal.

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Enfin, un épilogue en forme de bilan sur l’œuvre de justice réalisée par Hammourabi1.

Les formules des articles s’articulent dans un style simple, compréhensible de tous

sous la forme conditionnelle d’une hypothèse suivie d’une réponse au futur sous la

forme d’une sanction. Ces prescriptions sont regroupées en chapitres et abordent des

infractions très diverses et qui traitent de l’adultère, de l’inceste mais aussi du vol de

nuit.

Le droit pénal y est rigoureux. Au côté de la vengeance privée2 conservée pour

certaines infractions telles que le vol nocturne ou l’adultère flagrant de la femme, le

code d’Hammourabi repose sur un système de composition pécuniaire et édicte des

peines fixes imposées par l’Etat. La responsabilité y est individuelle et non collective

de même que l’on tient compte de l’intention du délinquant. Ainsi, les blessures

involontaires n’entrainent aucune sanction mais une place reste faite à la loi du talion

qui fonde un certain nombre de règles3.

Les modes de preuve y sont variés et manifestement hiérarchisés reposant sur des

preuves écrites, à défaut : l’aveu, le témoignage ou l’ordalie4 associée au serment.

Paragraphe 2 : Les lois hébraïques

A. Les sources

Chez les hébreux, les lois hébraïques s’intéressent aussi au droit pénal. Elles nous sont

connues par l’ancien testament et d’abord par le pentateuque que les juifs appellent

la Torah, ensuite le décalogue.

                                                                                                                       
1
 L’empereur  de  Babylone.  Il  a  été  le  sixième  roi  de  la  première  dynastie  d’origine  amorrite  de  Babylone.    
2
 Cela  consiste  à  exercer  une  vengeance  sur  l’agresseur  et  sa  famille.  
3
 Par  exemple,  si  un  fils  frappe  son  père,  ses  mains  seront  tranchées  à  la  hache.  
4
  Présentée   aussi   comme   un   moyen   d’acquittement   passif,   l’ordalie   est   une   forme   de   procédure   en   justice  
d’origine  religieuse  que  certains  considèrent  comme  un  jugement  divin.  C’est  un  mode  de  preuve  consistant  à  
soumettre   le   plaidant   à   une   épreuve   dont   l’issue   est   déterminée   par   Dieu   et   qui   mettra   la   lumière   sur   l’affaire.  
Ex  :  l’ordalie  du  feu,  ordalie  du  fleuve.    

  3  
La loi naturelle inscrite dans le cœur de l’homme est formulée par le Décalogue. De

même, le code de l’alliance établit les règles à partir de la loi du talion sur l’homicide,

la vengeance, les coups et blessures, le vol ou la fornication.

B. Les principes

Deux principes fondamentaux qui imprègnent encore notre droit pénal, sont d’ores

et déjà dégagés et constituent l’un des apports majeurs de la pensée juive aux droits

antiques.

D’abord la responsabilité individuelle qui supplante la responsabilité collective. On

trouve en effet dans la Bible, un certain nombre d’illustrations de châtiment collectif

et le Judaïsme admet la responsabilité des fils pour les fautes des générations

antérieures. Dieu en proclame lui-même le principe et le principe même du péché

originel commis par l’homme en découle. Ceci étant, l’individualisme triomphe sur

l’antique solidarité du clan nomade au point que la doctrine des prophètes reconnait

le principe d’individualisation de la peine. Sur ce point, l’évolution est notable ; on la

voit déjà dans le Deutéronome qui interdit « de faire mourir les enfants pour les pères

», y compris les cas de régicide où pourtant, il est fréquent de présumer une

complicité de l’entourage. L’idée d’une rétribution individualisée est affirmée

nettement par Jérémie puis par Ezéchiel. La responsabilité collective ne persistant

qu’à l’égard de Dieu comme c’est le cas pour le péché originel.

Ensuite, l’intention du coupable est mise en avant. Le seul acte matériel étant négligé,

ainsi se trouve repoussée la responsabilité objective.

C. Les juridictions

D’abord exercée par les patriarches qui traitent des conflits au sein de leurs groupes

respectifs, la justice est largement concurrencée par la vengeance privée et les

principes de solidarité qui trouvent application entre groupes pour régler des offenses

réciproques.

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La monarchie substitue à ce fonctionnement une justice royale, le roi s’affirmant

comme le garant de la justice. Son pouvoir est délégué à une cour de justice

constituée de juges royaux et de lévites (magistrats) titulaires notamment de

compétence criminelle.

Au plan local, le conseil des anciens, survivance de l’organisation tribale, reste

compétent. Le juge est considéré comme interprète de la volonté divine et la décision

qu’il rend, comme un jugement de Dieu rendu par son intermédiaire.

D. Les preuves

Le régime des preuves s’appuie sur le témoignage. Toutefois, une série de personnes

en est exclue en raison de leur proximité avec l’affaire jugée trop grande. On retiendra

aussi la personne des parents, des femmes, des mineurs, des incapables etc.

Il est à noter également qu’un seul témoignage ne peut suffire à emporter la peine

capitale. A défaut de témoignage suffisant, le serment est déféré aux parties

présumant leur culpabilité en cas de refus.

Très détaillé, cette hiérarchisation des preuves inspire largement le droit canonique

médiéval et à travers le droit canonique, le droit criminel séculier.

E. La répression

Elle repose assez largement sur la loi du talion qui suppose de rendre coup pour coup.

L’idée de vengeance reste au cœur des mentalités justifiant les peines, aussi bien à

l’encontre hommes qu’à l’égard des animaux. Pour autant, l’aspect d’expiation de la

faute et son corollaire de réparation, est également très présent.

Moins rigoureuses que les peines mésopotamiennes, les peines hébraïques ne

connaissent pas des mutilations. En revanche, la bastonnade y a cours, ainsi que la

lapidation à la porte de la ville en cas de faute grave portant atteinte aux cultes et à

la pureté comme l’inceste, l’adultère par exemple. L’homicide exige cependant des

preuves solides.

  5  
SECTION 2 : LE DROIT PENAL GREC

A Athènes, l’organisation des tribunaux et la procédure sont très complexes ; la

répartition des compétences manquant de précision et du fait de nombreuses

réformes, on retiendra ce qui suit.

• D’abord, l’aéropage : ancien conseil de l’âge aristocratique qui va

progressivement perdre ses premières attributions politiques pour ne

conserver que son rôle judiciaire. Tribunal compétent en matière de crimes

graves, il connait des meurtres ou blessures avec préméditation, des

empoisonnements, des blessures portées avec l’intention de donner la mort et

des incendies.

• Ensuite, le tribunal des éphètes (des magistrats spéciaux) qui est une sorte de

tribunal itinérant compétent pour l’homicide non prémédité et pour l’homicide

excusable (dans les cas où l’auteur pourrait postuler pour les circonstances

atténuantes, ex : crime passionnel) ou légitime.

• Enfin, la juridiction populaire appelée l’Héliée : juridiction de second degré,

qui a pour vocation d’examiner l’appel des décisions rendues par les

magistrats. Tribunal populaire, il est composé de 6000 citoyens (qualifiés

d’héliastes) qui sont tirés au sort parmi les hommes volontaires de plus de 30

ans qui composent les 10 tribus et répartis du fait de l’augmentation du

contentieux, en 10 sections : les dicastères qui traitent de tel ou tel contentieux.

Initialement juridiction d’appel, l’Héliée absorbe peu à peu l’essentiel des

compétences civiles et criminelles débordant même sur les affaires politiques.

Chaque dicastère représente le peuple et juge sans appel ni révision. La procédure y

est accusatoire. Dépourvu de Ministère public, L’Héliée peut être saisi par tout

particulier sans qu’il puisse se désister une fois l’action engagée à moins d’amende

ou de dégradation civique. L’action est reçue par un magistrat qui examine sa

recevabilité. L’accusation est par la suite affichée publiquement de manière à

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déclencher d’éventuels témoignages (l’un des objectifs de l’affichage public est d’en

recueillir d’ailleurs). Par la suite, le jugement est prononcé sous la présidence d’un

magistrat après un vote secret sans délibération préalable. Selon l’acte considéré, le

procès peut être sans estimation. La peine étant précisée par un texte ou avec

estimation, auquel cas, l’accusateur et l’accusé proposent chacun une peine.

Chez les grecs, le droit reste très imprégné par son origine sacrée, contrairement aux

romains qui, très vite opèrent une distinction entre les règles d’ordre juridique et

d’ordre moral.

Le cas de l’homicide le montre bien dans la mesure où sa commission entraine la

souillure sur le coupable ; souillure considérée à certains égards comme contagieuse

pour l’entourage. C’est la raison pour laquelle le procès pénal entraine

l’excommunication de l’accusé qui ne peut plus se rendre dans les lieux de culte et

que le procès se déroule en plein air.

Toutefois, l’apport de la Grèce au droit pénal plus que juridique reste, malgré ses

institutions élaborées, philosophique. En effet, les Grecs se sont en premier penchés

sur les questions que pose la philosophie pénale quant à la justification de la peine.

Platon par exemple, s’interroge notamment sur l’homme criminel et fonde la peine

sur l’idée de liberté de l’homme. L’homme étant libre, c’est librement qu’il choisit le

mal et qu’en cela, son châtiment est justifié.

Aristote se fonde sur cette même notion de liberté humaine considérant le mal

comme le fruit d’une habitude vicieuse. La peine est envisagée comme un substitut

de la vengeance privée, lorsqu’elle se résout en une transaction par le paiement d’une

composition pécuniaire qui équivaut à une réparation matérielle et une rançon pour

la vie du coupable.

Sous l’impulsion de philosophes comme Protagoras, si l’idée de vengeance est

toujours soulignée, elle est dépassée par celle d’amendement. Elle n’appartient plus

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qu’à l’Etat et répond désormais à l’idée de correction du coupable. Ainsi la vertu de

la peine est d’empêcher la récidive5.

SECTION 3 : LE DROIT PENAL ROMAIN

Paragraphe 1er : Le droit archaïque

Au premier temps de Rome, le droit répressif s’articule autour de certains nombres

de coutumes archaïques. La répression est encore imprégnée du sacré et le crime y

est alors considéré comme une souillure fort déplaisante pour les dieux et dont il faut

débarrasser la cité. Devenu maudit, le criminel doit être livré avec ses biens à la

divinité offensée. Il s’agit de la consécration de la tête et des biens et il est à la merci

de qui veut. Cette malédiction dérive par la suite en une excommunication qui frappe

alors le condamné à un exil forcé qui entraine la mort civile et la confiscation de ses

biens. On peut donner en guise d’exemple l’enfant qui exerce des sévices sur ses

parents.

Paragraphe 2 : L’ordre des procès publics

A ce droit archaïque succède un droit plus élaboré qui repose à ses débuts sur la loi

des 12 tables, premier corpus de loi romaine écrite. Quelques cas exceptionnels

restent néanmoins dévolus à la justice privée. C’est le cas du vol nocturne ou du

meurtre par son père d’une fille surprise en état d’adultère. Malgré cela, se dessine

très tôt la distinction fondamentale entre les intérêts d’ordre privé et ceux visant la

société dans son entier.

Ainsi, ne considère-t-on pas sur le même plan les crimes et les délits de nature privée

qui ne lèsent que les seuls particuliers. Alors que les premiers relèvent bien de la

justice pénale proprement dite, les deuxièmes lui échappent de par leur nature civile

                                                                                                                       
5
 «  nemo  prudens  punit,  quia  peccatum  est,  sed  ne  peccetur  »,  «  aucun  homme  avisé  ne  punit  parce  qu’il  y  a  
faute,  mais  pour  qu’il  n’y  ait  plus  faute  »  
 

  8  
de sorte qu’au début de l’Empire Romain (an 27 avant JC), une frontière s’est établie

entre l’ordre judiciaire civil et l’ordre judiciaire public.

Sont considérés comme constituant un dommage d’ordre privé, le furtum, c'est-à-dire

le vol qui est une soustraction frauduleuse du bien d’autrui, le dommage causé à la

propriété privée ainsi que les atteintes à la personne ou à l’honneur d’autrui. Le délit

public s’entend quant à lui de l’homicide volontaire du parricide, du meurtre d’un

esclave, des attentats aux mœurs, de la corruption électorale ou des crimes politiques

de lèse-majesté. De toute évidence, le droit pénal est alors envisagé très

concrètement comme une sphère juridique appelée à régler des désordres de

société. Cette fonction politique s’accentuant au fur et à mesure que le poids de l’Etat

augmente.

Paragraphe 3 : Les peines

En dehors de l’amende, les peines du droit romain sont très variées. Toutes ces peines

entrainent l’infamie, c’est-à-dire une souillure qui dérive de l’ignominie infligée par les

censeurs qui privent le condamné d’une part de ses droits civils (une peine infamante

est une peine qui atteint la dignité humaine).

Paragraphe 4 : La procédure

A Rome, la procédure pénale oscille entre accusatoire et inquisitoire. Trois types de

procédure d’apparition successive peuvent être distingués.

A. La commission comitiale

Plus ancienne, elle prévoit l’appel au peuple, elle est ouverte à tous les citoyens

condamnés par un magistrat devant les comices centurias quand la peine prononcée

est la peine capitale ou devant les comices tributes en cas d’amende dépassant le

maximum légal. C’est une procédure d’office qui fonctionne sur la base d’un Ministère

public ; lequel est chargé de l’accusation.

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La nature de cette procédure reste encore obscure : appel pour certains, seconde

phase du procès pour d’autres ; elle consiste en tout état de cause à obtenir

confirmation ou infirmation de la décision du magistrat par le vote du peuple. Quoi

qu’il en soit, elle est rapidement considérée comme inadaptée face à l’expansion de

Rome. Inadaptation qui explique l’attrait des juristes pour la procédure des

quaestiones perpetuae.

B. Les questiones perpetuae

Apparues en 149 avant J.C., ce ne sont ni plus ni moins des jurys permanents

composés de 50 à 75 juges tirés au sort le jour de l’audience. Chaque jury se voit

attribuer une compétence particulière de sorte qu’on assiste semble-t-il, à la création

successive de 11 jurys gouvernés par une procédure accusatoire. Aucune poursuite

ne peut s’ouvrir à défaut d’accusateur qui sera chargé de l’instruction préparatoire et

de l’accusation publique à l’audience. La procédure est orale, publique et

contradictoire. Le rôle du jury reste donc assez limité. En revanche, il se borne au vote

et sous le gouverne du principe de l’intime conviction. La décision est alors considérée

irrévocable et seul l’exil peut permettre au condamné de se soustraire à l’exécution.

C. Les juridictions extraordinaires

La création des juridictions extraordinaires prépare le retour à une procédure

inquisitoire. De nouvelles infractions sont dévolues à l’empereur ou aux fonctionnaires

impériaux. Aux côtés des juridictions existantes, des instances extraordinaires se

mettent donc en place. La place de l’Etat s’accroit sensiblement d’ailleurs dans ce

domaine. Des délits jusque-là privés sont désormais regardés comme touchant l’ordre

public. C’est le cas du vol, du vol de bétail ou du pillage. Devant ces nouvelles

instances, la procédure est d’abord accusatoire ou inquisitoire selon les cas avant que

ne s’impose une procédure d’office qui engage une information secrète.

  10  
CHAPITRE II : LE DROIT PENAL FRANC ET MEDIEVAL

SECTION 1 : LE DROIT PENAL BARBARE

Paragraphe 1er : Les tarifs

A. Les textes

La chute de l’empire romain et les invasions germaniques du 5ème siècle n’ayant pas

manqué de bouleverser profondément les équilibres démographiques et

institutionnels, provoquent un recul des procédures criminelles élaborées du droit

romain.

L’époque franque reste gouvernée par le principe de la personnalité des lois qui

implique la juxtaposition, sur le territoire de la Gaule :

- des lois romaines, applicables aux autochtones gallo-romains ;

- des lois barbares, destinées aux envahisseurs germaniques.

En théorie, les populations se voient appliquer pour les romains, le bréviaire d’Alaric ;

compilation tirée du code théodosien mais amplement simplifiée par des

interprétations, puis par des sortes de résumés du bréviaire lui-même.

Pour les barbares, des codes seulement ont été envisagés à partir de la fin du 5ème

siècle.

B. La logique « Vendicatoire »

Rédigée dans une langue sommaire, elle édicte des règles simples faites de

prescriptions et d’interdictions. Il s’agit en fait le plus ordinairement d’une liste de

tarifs qui indique des prix à payer pour parvenir à trouver un terrain d’entente entre

la victime ou son groupe et l’agresseur.

Les lois barbares se présentent donc comme de véritables tarifs qui par leur

application, permettent d’éviter la vengeance en versant une somme d’argent là où

les lois romaines multipliaient les peines afflictives. On parle alors du « Wergeld » ou

  11  
prix de l’homme qui s’analyse comme la composition de base que doit payer le

meurtrier à la famille de la victime. Ils tiennent compte de plusieurs facteurs tels que

la race, le sexe, l’âge, la fonction de la victime etc. C’est le titulaire du « Mund », de

la protection au sens littéral du terme qui perçoit l’amende. Il est souvent de la

parentèle et à son défaut, son supérieur jusqu’au roi. Ce n’est qu’à défaut du

paiement par le coupable et sa famille que le coupable doit composer de son corps,

c’est-à-dire mourir ou être réduit à l’état d’esclave (par la famille de sa victime).

La composition est même généralisée pour les crimes de sang, les atteintes

corporelles ou les atteintes à l’honneur.

La lecture de ces prescriptions permet par ailleurs de saisir la hiérarchie des crimes

dans les mentalités barbares, soulignant le cas échéant, la valeur donnée à la vie dans

la société du haut moyen-âge ou le respect avec lequel la femme est traitée. Reste

que la conception du fait criminel semble demeurer très matériel. Ce que confirme

les spécialistes qui dénient toute place aux concepts de vice et de péché y compris

dans les versions tardives plus exposées à l’influence chrétienne.

C. La présence de l’autorité publique

Aux côtés du Wergeld, on note l’existence des peines corporelles, écartant dans les

cas les plus graves la possibilité de composer. La place de l’Etat varie ici en fonction

de l’infraction, mais il convient de préciser que le paiement du « Fredum », « argent

de la paix » équivalent d’un tiers de la composition versé au roi, montre qu’aux cotés

de la vengeance privée, se tient une autorité de justice publique.

D. Opposition ou transition avec Rome ?

Le succès des lois barbares s’explique en premier lieu par leur simplicité qui conduit

à l’abandon du système romain trop complexe. Tant sur le plan de la procédure que

du fond et à l’essor d’une procédure accusatoire archaïque, depuis longtemps

abandonnée chez les romains. Dans une moindre mesure, la technicité du droit

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romain influence elle aussi les règles barbares à l’instar des lois des Burgondes ou

celles des Wisigoths dans lesquelles triomphent les procédures d’office ou certains

modes de preuve en vigueur dans la procédure romaine.

Paragraphe 2 : L’organisation judiciaire

Elle s’articule autour de deux institutions : le tribunal du palais ou plaid du palais au

sommet ,et le Mallus, à la base dans chaque circonscription.

A. Le tribunal du palais

Il est composé du roi et ses conseillers. Toutefois, sa composition n’est pas fixe en ce

qu’elle évolue au gré des affaires. Sa compétence est limitée aux affaires qui touchent

au roi directement ou indirectement, notamment ses prérogatives, ses proches ou les

personnes à qui le roi a accordé une protection spéciale.

L’action peut avoir lieu d’office ou par voie accusatoire. Enfin, le tribunal du palais

peut faire office de second degré de juridiction sans que l’on puisse parler d’appel. Il

s’agit d’un procès second intenté contre le juge et les assesseurs si la loi n’a pas été

appliquée avec justice et non contre le jugement lui-même.

B. Le Mallus

Le Mallus est installé dans chaque circonscription de base, la centaine, est composé

d’un représentant local du roi : le Comte ou le centenier, assisté par les notables : «

les prud’hommes » qui varient d’une affaire à une autre. Le tribunal siège en plein air

dans un lieu élevé en présence de tous les hommes libres de la province, suivant une

obligation judiciaire analogue à l’obligation militaire.

Dans le sens d’une simplification, on apprend que l’institution sera ensuite réformée

par Charlemagne. L’obligation judiciaire est limitée à trois sessions par an. Les

assesseurs occasionnels étant remplacés par les assesseurs personnels permanents :

les échevins au nombre de 07 choisis pour leur sagesse par les envoyés du roi dans

les provinces : les missi dominici.

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La compétence du mallus est resserrée au point de ne viser que les affaires criminelles

les plus graves, les causes majeures, notamment les homicides, l’incendie, le vol, le

rapt (enlever une personne dans le but d’obtenir une rançon). Les causes mineures

restent dévolues au Mallus ordinaire sous la présidence du centenier. Cette distinction

entre haute et basse justice n’opère pas de hiérarchie entre les juridictions, mais une

simple juxtaposition de compétences.

La procédure y est accusatoire et s’ouvre donc sur plainte de la victime. Le recours au

tribunal étant facultatif, la vengeance privée restant la voie privilégiée et le recours au

Mallus est souvent le résultat de l’échec des procédures de conciliation. Toutefois,

Charlemagne6 va progressivement rendre obligatoire la justice du Mallus pour les

crimes les plus graves ; auxquels cas la procédure est exceptionnellement inquisitoire.

A compter de 802, se généralise la juridiction des missi dominici similaires à des

inspecteurs itinérants et dont la charge est de surveiller les comptes et de faire régner

l’ordre public grâce à l’acquisition de larges pouvoirs d’inquisition pour renforcer

l’ordre public menacé.

Paragraphe 3 : La procédure pénale et ses modes de preuves

Les formes procédurales suivies devant ces tribunaux, tiennent d’une justice encore

hésitante entre arbitrage et justice classique. De façon générale, la procédure est

accusatoire. Ainsi, s’y applique le principe d’une plainte nécessaire au déclenchement

de la procédure. Dans ce récit, il revient à l’accusé la charge de fournir la preuve

négative de son innocence. On parle alors de preuve diabolique. D’autant que cette

preuve intervient souvent sur de vraies difficultés opposant accusateur et accusé. Ainsi

distingue-t-on divers modes de preuve.

                                                                                                                       
6
 Charlemagne  est  né  le  2  avril  742,  et  mort  le  28  janvier  814.  On  l'appelait  aussi  Charles  1er  le  Grand.  Roi  des  
Francs,   il   devint   Empereur   en   800.   Deuxième   roi   franc   de   la   dynastie   Carolingienne,   Charlemagne   reste  
le  restaurateur  de  l'Empire  d'Occident.  
 

  14  
A. L’aveu de l’accusé

Considéré comme la reine des preuves, l’aveu permet la sanction immédiate de

l’accusé qu’elle transforme en coupable. C’est l’accusé qui reconnait l’exactitude

d’une partie ou de la totalité des faits qui lui sont reprochés. A défaut, on fait appel

au témoignage, au serment purgatoire ou à l’ordalie.

B. Le témoignage

Il reste un élément de preuve difficile à identifier à cette époque dans la mesure où

sont largement confondues les parties, les témoins de visu ou de auditu qui ont assisté

à l’infraction et les témoins de crédit qui ont simplement pour objet de conforter la

position d’une partie en affirmant sa crédibilité. Par ailleurs, la défaveur dans laquelle

tombe le témoignage vient des abus qu’il a pu susciter dans la pratique (achat de

témoignage, extorsion de témoignage), des mécanismes vont être imaginés. On

oblige par exemple le témoin à venir à jeun et on institue des peines très sévères

contre les parjures. Ceci explique que le témoignage est souvent accompagné par le

serment purgatoire.

C. Les serments

Le serment consiste à faire jurer l’accusé de son innocence sur les évangiles ou sur

des reliques. La place importante du culte dans ces sociétés peut en justifier le

recours. Ainsi, Dieu est-il pris à témoin de la véracité du témoignage ou de la justesse

de la cause dénoncée au tribunal. L’auteur d’un parjure, pour avoir fait un faux

témoignage, risque le courroux divin, soit à sa mort, soit sur le champ comme en

atteste un certain nombre de chroniques qui rapportent sur ce point des parjures

foudroyés sur place, ou frappés de cécité quand ils ne deviennent pas muets.

Le serment concerne les témoins, Il est alors l’accessoire du témoignage. Mais il

concerne surtout, au premier chef, l’accusé qui se disculpe de cette façon des

accusations portées contre lui, auquel cas, il est dit purgatoire. Dans cette hypothèse,

  15  
l’accusé n’est pas seul puisque jurent avec lui un certain nombre de personnes

appelées les co-jureurs et qui sont supposés cautionner sa parole en prêtant serment

à leur tour, non des faits, mais de l’honorabilité de l’auteur du serment. Leur nombre

est fixé par la loi en fonction de l’importance du crime ou de la dignité de l’auteur du

crime. Le serment purgatoire est conforté par la crainte de sanctions divines, mais

aussi d’une amende tandis que Charlemagne prescrira devant les dérives de faux

témoignages, la peine d’amputation de la main droite : main posée sur les évangiles

ou sur les reliques. Il reste malgré tout insuffisant, car il succombe au serment inverse

formulé par la partie adverse. Ainsi, la querelle doit alors se vider au moyen d’un

jugement de Dieu.

D. L’ordalie

L’ordalie est une épreuve physique subie par les parties ou leurs champions pour

attester de la pureté ou de l’impureté du serment prêté. Elle est dite unilatérale

lorsqu’elle est pratiquée par une partie isolée et bilatérale lorsqu’elle est effectuée

par les deux parties ensemble ou l’une contre l’autre et auquel cas, on institue le duel

judiciaire.

1. L’ordalie unilatérale

C’est une mise à l’épreuve d’une partie grâce à un élément naturel. On peut donner

à titre d’exemple l’ordalie du feu dans laquelle on saisissait une main nue sur laquelle

on posait une braise ; si la personne ne se brûlait pas, on en déduisait son innocence.

Il y a aussi d’autres exemples d’ordalie comme celle de l’eau et celle du cadavre.

2. L’ordalie bilatérale

C’est celle qui est imposée aux deux parties. La plus fréquente reste celle du duel

judiciaire. A l’origine, l’épreuve répond à une double fonction puisqu’il s’agit tout

autant de punir que d’éprouver. L’issue pouvait être la mort d’un des combattants.

  16  
Par la suite, le duel judiciaire n’est plus regardé comme un procédé probatoire (mais

également punitive). Le combat s’arrêtant avant la mort et le recours au champion

était de plus en plus fréquent. A la vérité, on supposait que celui qui remportait le

duel, était considéré comme étant dans le vrai. Ce n’était plus la mort qui était

recherchée mais le fait de pouvoir malmener son adversaire.

Paragraphe 4 : Les peines

Le système répressif franc est fondé principalement sur la peine pécuniaire qui

correspond au prix du rachat de la vengeance. C’est le prix du sang. Ainsi, la loi

Salique rédigée à l’initiative de Clovis au début du 6ème siècle, apparait-elle comme

un catalogue de peine. Le tarif essentiel à partir desquels les autres se définissent est

celui du wergeld (prix de l’homme). Ce prix variait en fonction de la race, de la classe

sociale de la victime ou de sa protection éventuelle par le roi (un membre de la cour

du seigneur ou bénéficiaire d’un privilège royal).

En règle générale, la composition pécuniaire comprend une partie versée pour la

vengeance à la famille : le faidus.

Dans certains cas exceptionnels comme les violences commises contre le roi, le

wergeld est prohibé. Seule la peine de mort est reçue pour ce type d’infraction jugé

impardonnable. Ce qui montre que les peines corporelles sont encore regardées

comme exceptionnelles, du moins à l’égard des hommes libres ; les hommes non

libres n’ayant pas la faculté de composer.

SECTION 2 : LE DROIT PENAL FEODAL

Le droit pénal féodal se caractérise par une certaine patrimonialisation de la justice

singularise également par l’organisation de son procès.

Paragraphe 1 : La patrimonialisation de la justice

L’appareil judiciaire des carolingiens va en effet se disloquer. La justice, jusque là dans

les mains du roi, va passer aux mains des seigneurs et qui aboutira à une certaine

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patrimonialisation7. Ce sont des anciens fonctionnaires et grands du royaume qui

exerçaient sous Charlemagne un pouvoir de justice délégué qui vont la reprendre à

leur compte pour l’exercer cette fois à leur nom. On note à ce propos que la justice

seigneuriale remonte à l’époque franque, quand les fonctionnaires du roi ont procédé

à la privatisation de leurs fonctions. On va dire que le pouvoir de juger connaitra à

cette époque un émiettement qui commencera avec les princes territoriaux. Les

seigneurs détiennent ainsi le ban : pouvoir de commandement et de justice. On

qualifie alors la seigneurie de banale ou de justicière. Les anciennes juridictions

perdent leur sens, le comté disparait ou au contraire se maintient mais n’est plus alors

que l’accessoire d’un pouvoir de nature seigneuriale.

Au 9ème siècle, la carte judiciaire est donc largement fonction des seigneuries au

détriment d’une justice royale unifiée ; au détriment aussi du modèle de justice édifié

par les carolingiens. La justice des seigneurs en effet, repose largement sur l’idée de

force ; la force du seigneur sur ses sujets qui répond davantage à un pouvoir qu’à un

devoir. Apparaissent ainsi plus que des juges, des justiciers.

Ce rapport de force permet la mise en place d’une répartition des compétences qui

repose essentiellement sur l’idée de sang. Le critère du sang englobe aussi bien les

affaires dans lesquelles le sang a été versé que celle qui mérite qu’on verse le sang

du coupable.

De même qu’à l’époque carolingienne, on distingue des causes majeures telles que

le meurtre, le rapt, l’incendie et des causes mineurs sans pour autant qu’à cette

distinction, s’attache des dispositions très précises. Au 12ème siècle, la répartition des

compétences se précise lorsque le seigneur titulaire a perdu au profit d’un autre

                                                                                                                       
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On parle de patrimonialisation de la justice parce qu’elle permettait d’avoir des rentrées d’argent par

le biais des taxes de la plèbe, des confiscations de biens des condamnés à mort qui seront vendus et

versés dans la caisse du roi.

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seigneur la compétence des affaires les plus graves. Cette distinction entre haute et

basse justice n’implique pas pour autant une hiérarchie entre les juridictions puisqu’il

n’existe pas de degré ni d’appel entre l’une et l’autre de ces juridictions. La même

population peut donc relever de deux tribunaux différents selon l’affaire en cause

sachant qu’aucune frontière ne peut très précisément être dessinée.

Paragraphe 2 : L’organisation du procès

Au sujet de l’organisation du procès dans le droit pénal féodal, il y a lieu d’en venir

aux origines de l’exception nobiliaire avant de s’étendre sur la procédure seigneuriale.

A. Les origines de l’exception nobiliaire

Tous les justiciables n’en relèvent pas puisqu’une certaine partie d’entre eux n’y ont

recours qu’à titre facultatif, se satisfaisant en général de la vengeance privée. Dans le

cas du recours à la justice seigneuriale par les chevaliers, celle-ci est regardée comme

une instance arbitrale. Elle implique la mise à l’écart des règles juridiques pures pour

préférer celle de l’équité la plupart du temps. L’instance arbitrale permet d’éviter une

grande publicité autour d’une affaire arbitrale ainsi que le jeu de preuve irrationnel au

profit d’une enquête.

Classiquement, elle se résout en dommages-intérêts qui, là encore, diffèrent

essentiellement des catalogues barbares puisqu’ils ont une nature conventionnelle.

A. La procédure seigneuriale

La juridiction seigneuriale peut être saisie, non plus à titre d’instance arbitrale, mais

de façon plus classique, par une victime qui demande vengeance sans pouvoir la

dispenser elle même. Le procès s’ouvre alors par une accusation. Les formes

procédurales tiennent en grande partie aux usages en vigueur dans tel ou tel détroit.

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1- Les modes de preuve

S’agissante de la preuve, aucune difficulté ne se présente en cas de crime flagrant ou

poursuivi sur la clameur publique, le haro, ou si l’accusé avoue, l’aveu étant considéré

par Beaumanoir comme « la meilleure et la plus claire, et la moins coûteuse de toutes

les preuves ».

Le témoignage est également reçu mais on affine ce mode de preuve en élaborant

des théories sur les témoins dits reprochables. Le témoignage a bien sûr cours mais

reste entouré d’une réglementation très précise pour éviter les abus : on peut toujours

recourir au « faussement de témoins », qui revient à opposer à un serment, un serment

contraire et se résout à un duel entre les parties8.

On assiste par ailleurs à une persistance de l’ordalie, de l’eau bouillante ou du fer

rouge, supplantée en pratique par le duel judiciaire considéré comme moins infamant.

2- L’arbitraire des incriminations et des peines

Au regard des rustiques, la justice seigneuriale, est au premier chef un instrument de

puissance et de domination. La procédure du duel judiciaire laisse place à la volonté

du seigneur ou de ses agents.

L’arbitraire se manifeste dans la définition des incriminations comme dans la

détermination des peines. La plupart des textes de l’époque témoigne des excès

commis par les seigneurs dans le cadre de la justice répressive. La justice se

caractérise alors par son aspect expéditif et sanguinaire.

                                                                                                                       
8   En   dépit   de   certaines   pratiques   tendant   à   la   ritualisation   de   l’ordalie,   qui   s’accompagne   de   prières,   la  
bénédiction  du  matériel  destiné  à  l’ordalie,  en  dépit  de  la  faveur  des  clercs  pour  les  ordalies  les  plus  douces,  
l’Eglise   refuse   de   cautionner   ces   pratiques.   Malgré   une   tentative   d’introduire   l’ordalie   dans   les   juridictions  
ecclésiastiques  le  clergé  cultivé  rappelle  la  parole  des  livres  saints  selon  lesquelles  «  les  jugements  de  Dieu  sont  
insondables  ».  

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Deux éléments vont contribuer à rééquilibrer ces rapports judiciaires :

- L’influence pacificatrice de l’Eglise : l’Eglise va dénoncer ces agissements et

diffuser un idéal de bonne justice conforme à celui du roi chrétien ;

- Les effets du développement urbain : le renforcement des villes et des

communautés rurales converge pour donner un poids aux roturiers de façon à

obtenir la reconnaissance de droits par des chartes de franchise. Ces chartes

ont pour effet de reconnaître des privilèges, d’ordre procédural9 et sur le plan

pénal10.

                                                                                                                       
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 Un  grand  nombre  de  chartes  comporte  le  principe  «  pas  d’accusation,  pas  de  procès  »,  laissant  les  justiciables  
la  faculté  de  s’orienter  vers  une  instance  arbitrale.  La  compétence  du  seigneur  reste  en  revanche  inchangée  pour  
les  crimes  les  plus  graves.  
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 Les  coutumes  et  chartes  de  franchises  fixent  des  peines  contre  l’arbitraire  du  Seigneur  sauf  pour  les  crimes  les  
plus  graves  où  les  délinquants  restent  à  la  «  miséricorde  du  seigneur  ».  

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