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La famille romano-germanique

Objectifs pédagogiques :

-Comprendre les principes et fondements des droits de la famille romaniste

-Comprendre que la famille romaniste est composée des droits de plusieurs pays dont la France et
l’Allemagne

-Connaitre l’histoire de la formation des droits romanistes et la place de la codofication

-Connaitre l’évolution et l’état actuel du droit français

-Connaitre l’évolution et l’état actuel du droit allemand

On qualifie les droits de l'Europe continentale et ceux qui ont subi leur influence de
droits romanistes. Ils ne sont plus romains, mais ils restent empreints de droit romain. La
famille romaniste est dite parfois aussi famille romano-germanique, parce que les droits
germaniques (allemand, autrichien, suisse) ont également reçu l'influence du droit romain et
appartiennent donc à la même famille de droits que les droits latins (français, espagnol,
italien, roumain) et nordiques… Certains auteurs parlent encore de famille romano-
coutumière, parce que ces droits marient droit romain et droit coutumier. Tous ces droits ont
des traditions communes: ils partagent un esprit de famille et ils présentent un même air de
famille. Ils forment ce que l'on appelle, en Suisse romande, une grande famille et, en France,
une famille nombreuse.
L'intérêt de l'étude du droit romain est double. Cette étude donne l'exemple rare, si ce
n'est unique, en tous cas le premier dans l'Histoire, ainsi qu'un modèle, d'un droit œuvre des
jurisconsultes, de la doctrine des professeurs, et pas seulement de la loi, de la coutume, des
précédents judiciaires, de la pratique. Cette étude fournit aussi la clé d'un héritage juridique
qui donne toujours des fruits, d'un legs incorporé dans ces divers droits civilistes, qui donne
une voie d'accès à ces droits.
Dans cette Introduction au Droit comparé, il n'est pas possible d'étudier les droits des
divers pays appartenant à la famille romaniste. Nous nous bornerons donc au droit français
(Section 1) et au droit allemand (Section 2), qui présentent une particulière importance, au
sein de la famille romaniste, et qui exercent une puissante influence sur le monde latin et sur
le monde germanique, tout en mentionnant, à l'occasion, d'autres droits nationaux,
notamment le droit espagnol, le droit italien, les droit de la Belgique et celui des Pays-Bas,
le droit suisse et le droit autrichien.
Section I : Le droit français

Ce droit national, né de la volonté des rois et du travail des jurisconsultes, a reçu le nom
d'ancien droit (Paragraphe 1), c'est-à-dire de droit de l'ancien régime politique et social: droit
de la monarchie et de la société d'ordres (clergé, noblesse et tiers état). La Révolution
française (1789-1799), événement majeur de l'histoire politique et sociale du pays, s'est
traduite par une révolution du droit et par un épanouissement du droit national (Paragraphe
2). La période la plus récente a été marquée par la construction européenne et la globalisation
de l'économie. Pour s'adapter et survivre à la concurrence, le droit français a opéré des
réformes importantes. Il est entré dans l'âge de la maturité (Paragraphe 3).
Paragraphe 1 : L'ancien droit: la naissance du droit français

Comme tout phénomène d'unification du droit à partir de matériaux multiples, la


formation du droit français a été stimulée par le besoin matériel d'un droit unique ressenti par
des sujets en relations juridiques. Les contacts humains et les échanges commerciaux ont
rendu souhaitable le recours à des règles identiques. La volonté politique des rois, qui
souhaitaient développer le sentiment d'appartenance à la Nation française, d'unifier le droit
s'est manifestée très tôt et s'est exercée avec continuité. Dès le XIIème siècle, le roi évoque
«la coutume du royaume». Au XIIIème siècle, un jurisconsulte de l'entourage royal, Philippe
de Beaumanoir, mentionne «un droit qui est commun à tous au royaume de France.» Au
XIVème siècle, le procureur du roi au parlement de Paris, première cour de justice du
royaume, invoque «la coutume générale du royaume.» Au XVème siècle, le roi ordonne la
rédaction de l'ensemble des coutumes du royaume. Au XVIème siècle, il encourage
l'unification des coutumes par la promotion de la coutume de Paris; la promotion de celle-ci
est facilitée par le travail des jurisconsultes (en particulier Charles du Moulin) et celui des
magistrats (en particulier Christofle de Thou). Aux XVIIème et XVIIIème siècles, les rois
font codifier, par des ordonnances royales, des pans entiers du droit public et du droit privé.
Colbert, ministre du roi Louis XIV, fit ainsi rédiger: une ordonnance civile (1667), qui est un
code de procédure civile uniforme pour toutes les juridictions royales; une ordonnance des
eaux et forêts (1669); une ordonnance criminelle (1670), qui est un code de procédure pénale;
une ordonnance sur le commerce de terre (1673) et une ordonnance de marine (1681).
D'Aguesseau, chancelier du roi Louis XV, fit rédiger des ordonnances unifiant le droit des
donations (1731), des testaments (1735) et des fidéicommis (1747).
Ces ordonnances royales de codification puisent leur matière dans des sources très
diverses. Les deux ordonnances de procédure de Colbert empruntaient à une succession
d'ordonnances royales antérieures, parfois interprétées différemment de parlement à
parlement et selon les matières, elles-mêmes influencées par la procédure romano-canonique
du droit savant. Les ordonnances relatives au commerce de terre et de mer s'inspiraient des
usages du droit commercial et du droit maritime (hollandais et anglais).
Les trois ordonnances de d'Aguesseau, touchant au droit privé coutumier, fort divers
malgré la promotion de la coutume de Paris, furent délicates à rédiger. Le chancelier prit acte
de la divergence entre le Nord et le Centre de la France, d'une part, où dominaient les
coutumes, et le Sud, où les populations pratiquaient le droit romain. Il réussit à unifier les
coutumes. Mais il garda deux formes de testament, l'une pour le Nord et le Centre, fusion des
coutumes, l'autre pour le Midi, d'inspiration romaine. L'unification du droit était bien
avancée. Elle fut poursuivie, au nom de l'uniformité de la Nation, par la Révolution française.
Paragraphe 2 : La Révolution française et l'Empire: l'épanouissement du
droit français

La Révolution, en plus d’être idéologique, est également juridique: elle adopte un


ensemble de lois novatrices formant ce que les historiens désignent comme le «droit
intermédiaire» (1), parce qu'il s'est marié à l'ancien droit des rois, dans les divers codes
réalisés, de 1800 à 1810, par le régime autoritaire de Napoléon Bonaparte (2).
(1) Le «droit intermédiaire» de la décennie révolutionnaire (1789-1799)
Avant la loi, œuvre de la communauté politique, ou des représentants des citoyens, les
hommes des Lumières reconnaissent l'existence de droits naturels. Avant la formation de la
société, par le contrat social conclu entre les citoyens, les hommes, vivant à l'état de nature,
connaissent certains droits: selon cette théorie politique, les droits de l'homme auraient
précédé, historiquement, les droits du citoyen. Ces droits de l'homme, droits naturels,
inaliénables et sacrés, ne peuvent être décrétés, mais seulement déclarés. La Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen, énoncée au début de la Révolution française (26 août 1789),
mentionne: la liberté, la propriété, la sureté et la résistance à l'oppression (art. 2). Cette
philosophie libérale, inspirée de Locke et de Montesquieu, est tempérée par l'influence de
Rousseau. La loi, expression de la liberté générale peut poser des bornes à la liberté, à la
propriété …
Aux mains de l'Assemblée nationale constituante, la loi abolit l'ancien droit
institutionnel, économique, social. Dans la nuit du 4 août 1789, dans un grand élan de
générosité, les députés décidèrent l'abolition de tous les privilèges sociaux au nom de l'égalité
civile (égalité des droits) et au nom de l'individualisme. Les groupes (ordres sociaux,
corporations …) et leurs privilèges disparaissent au profit des individus soumis à un droit
uni, unique et uniforme. Les institutions également furent bouleversées. Le territoire est
redéfini: les provinces sont abolies et remplacées par les départements, dépourvus de
traditions et de droits particuliers, après que Sieyès ait proposé un découpage géométrique à
l'américaine, en carrés de18 lieues de côté. La constitution coutumière de la monarchie de
droit divin est remplacée par la constitution écrite d'une monarchie constitutionnelle limitée,
qui s'inspire des principes des constitutions britannique et américaine (21 septembre 1791).
L'économie également est métamorphosée. Les corporations de métiers sont dissoutes et
interdites, afin que s'établisse la liberté d'entreprendre, et les douanes intérieures sont
supprimées, pour que s'instaure la liberté de commercer dans un marché national unique
(1790).
La loi de réforme de la justice (août 1790) annonce une révolution du droit: la rédaction d'un
«code général de lois simples, claires et appropriés à la Constitution» alors en cours
d'élaboration. C'est le régime autoritaire de Napoléon Bonaparte, général de la Révolution
(1794-1799), consul de la Ière République (1799-1804), empereur des Français (1804-1815),
qui réalisa cette codification.
(2) La codification du droit par Napoléon Bonaparte
Bonaparte voulait ficher dans le sol de France des «masses de granit» qui donneraient
au pays des fondements solides, après les ébranlements de la Révolution (1789-1799). Il fit
rédiger une série de codes, dans une volonté et une démarche qui s'apparentent à celles de
Louis XIV et de Colbert.
Le premier de ces codes, le code civil des Français, commencé en 1800, fut promulgué
en 1804. Sur le plan des sources formelles du droit, le code civil annonce la victoire de la loi
sur les autres sources du droit. La dernière disposition du code abolit toutes les sources
antérieures: ordonnances royales, coutumes, arrêts des cours, lois romaines, règles
canoniques. Sur le plan des sources matérielles, le code civil des Français, droit commun des
Français, constitue une transaction, un compromis entre l'ancien droit de la monarchie et le
droit de la décennie révolutionnaire, le droit intermédiaire.
En droit des personnes (Livre Ier), le principe ancien d'autorité du chef de famille ou
pater familias Ŕ du mari sur son épouse et du père sur leurs enfants - est restauré. Mais les
principes révolutionnaires de liberté et d'égalité civile ont inspiré le divorce et l'égalité
successorale. En droit des biens (Livre II), les principes révolutionnaires d'individualisme et
de respect de la propriété, droit inviolable et sacré, conduisent à définir la propriété comme
«le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue.» La propriété de
l'ancien droit, issue du droit coutumier et du droit féodal, admettant des droits d'usage
collectifs et une propriété éclatée est abolie. En droit des obligations (Livre III), l'ancien droit
prédomine, issu des ouvrages de Domat et Pothier, très inspirés de droit savant.
Quatre autres codes furent promulgués, où se montrent à nouveau la présence de l'ancien
droit de la monarchie et celle du droit intermédiaire de la Révolution. Le code de procédure
civile (1806), largement repris de l'ordonnance civile de 1667, montre un retour à la tradition
de la monarchie. Le code de commerce, également inspiré du l'ordonnance sur le commerce
de terre de 1673, est un supplément du code civil: «Les lois du commerce n'étant que des lois
d'exception, qui reçoivent leur complément du droit civil, ne peuvent former un système
complet sur presque aucune des matières qu'elles règlent». On voit ici un nouvel avatar de
l'opposition romaine entre droit commun et droit particulier ou droit d'exception. Le code de
commerce contient un droit d'exception à un autre point de vue: Napoléon, comme Louis
XIV, voyait dans le commerce une activité à contrôler et à orienter vers des buts de politique
économique fixés par l'Etat, et non par le marché.
En matière pénale, le code d'instruction criminelle (1808) et le code pénal (1810) sont
également des amalgames. Le code d'instruction criminelle (code de procédure pénale) a
maintenu le jury de jugement, mais supprimé le jury d'accusation (instruction préparatoire de
l'affaire), tous deux établis par la Révolution (1791) sur le modèle de la justice britannique,
et censés garantir les droits de l'individu. Le code pénal (1810) était plus répressif que le droit
de la Révolution (peine de mort et prison à perpétuité), tout en assouplissant le principe de la
légalité et de la fixité des peines: il redonnait un pouvoir d'appréciation aux juges, fixant des
peines maximales et minimales pour certaines infractions.
Cette codification a été peu réformée ou infléchie, par la loi elle-même, par la
jurisprudence et par la doctrine, au cours du XIXème et de la première moitié du XXème
siècle. Elle a donc donné ses traits distinctifs et ses caractères actuels, de forme et de fond,
au droit positif français contemporain, un droit exposé à des concurrences nouvelles et entré
dans l'âge de la maturité.
Paragraphe III : Le droit contemporain: la maturité du droit français

L'amour de la loi ou nomophilie, amour exclusif, et la codification du droit ont favorisé


l'esprit de positivisme juridique: n'est digne d'intérêt que le droit en vigueur; toute
considération doctrinale, qu'elle soit d'inspiration philosophique idéale ou simplement
utilitaire, doit être exclue. Cette mentalité, ajoutée au nationalisme juridique, qui a dominé le
XIXème et le début du XXème siècle, a affaibli les notions de justice et d'équité. Quant au
nationalisme juridique, il a semblé ouvrir le déclin de la notion de droit commun, de ius
commune de la famille romaniste.
Cette vision du droit français ignore pourtant que les codes napoléoniens n'ont pas
éliminé les emprunts aux droits étrangers (y compris à la Common Law) du droit de la
Révolution (le jury anglais, la séparation des pouvoirs et le veto royal à l'américaine) et qu'ils
ont eux-mêmes exercé une influence sur les codes du XIXème et du XXème siècle: codes
allemands, italiens, néerlandais, suisses et même américains … L'isolationnisme du droit
national est un leurre.
Les codes français, et le droit privé français dans son ensemble, reçoivent l'influence de
droits étrangers. On a vu, au chapitre consacré à l'histoire du droit, que le droit français avait
emprunté, au cours du XXème siècle, au droit constitutionnel des Etats-Unis (le conseil
constitutionnel imité de la cour suprême), au droit des sociétés allemand (la société à
responsabilité limitée et la société à directoire et conseil de surveillance), au droit américain
de la concurrence (les ententes) et de la finance (la législation boursière) …
Aujourd'hui, le droit français subit l'influence de l'évolution législative de ses voisins,
comme on le voit présentement en matière de droit des personnes: facilité du divorce,
extension du mariage aux personnes de même sexe …
Les influences les plus fortes viennent du droit européen, qui s'impose, dans certaines
matières, au législateur français (parlement et gouvernement confondus), qui doit prendre les
mesures d'intégration de la réglementation européenne dans le droit national.
Le droit français est exposé à des concurrences multiples qui le portent à s'améliorer, à
se réformer, à s'adapter au temps présent, toujours fuyant. Depuis les années 1960, le droit
civil, notamment le droit des personnes, mais aussi le droit des affaires, le droit pénal, le droit
judiciaire (institutions et procédures) … sont l'objet de réformes successives de
modernisation.
La nationalisation du droit, œuvre des codifications des XVIIIème, XIXème et XXème
siècle, est maintenant concurrencée par la comparaison et par le rapprochement des droits.
La conscience de la menace que font peser sur l'avenir de l'humanité les nationalismes et les
armes nucléaires a provoqué, dès la fin de la Première guerre mondiale (1914-1918), et
encore plus après la fin de la Deuxième guerre mondiale (1939-1945), des efforts
d'unification des droits. Le développement des relations commerciales, entre toutes les parties
du monde, constitue un second facteur, peut-être encore plus puissant que le premier, de
rapprochement des droits, et parfois d'unification du droit, par les conventions
internationales, les lois modèles, la jurisprudence des tribunaux arbitraux internationaux ....
Tel qu'il est, le droit français garde des traits et des caractères, de fond et de forme, de
ses origines lointaines et proches. La loi demeure la première source d'un droit qui est conçu
comme une règle de vie sociale, et pas seulement comme un ensemble de normes destinées
à trancher les conflits. Le droit joue un rôle fondamental - il est la base même de l'ordre de la
société - et la loi est l'expression et l'instrument de la volonté commune. La jurisprudence
n'est pourvue que de l'autorité reconnue aux juridictions, qui ne forment pas un pouvoir
judiciaire, en France. La coutume et la doctrine jouent un rôle d'appoint. Quant à la structure
et au contenu du droit français, ses catégories demeurent marquées par son histoire: ses
concepts, ses règles, ses institutions-mécanismes (faisceaux de règles) et ses grandes
divisions restent marqués par les apports successifs de la science du droit: le droit romain, le
droit savant du Moyen âge, le droit naturel moderne. Le droit français partage ces grandes
caractéristiques, avec des nuances certes, avec le droit allemand.
Paragraphe II : Le droit allemand

A la différence des Etats de l'Europe occidentale qui se formèrent à la fin du Moyen âge
(Angleterre, Espagne, France, Portugal), l'Allemagne n'a trouvé, à cette période, ni son
espace, ni ses institutions. Le Saint empire romain germanique, tentative de reconstitution de
l'empire romain de l'Antiquité, par des princes germaniques et avec la coopération de l'Eglise
de Rome, est restée une fédération lâche de principautés, pendant six siècles (de 1250 à 1850).
Et il fallut encore un siècle et demi (1848-1990), la fin du XXème siècle, pour que
l'Allemagne trouve des frontières incontestées, des institutions stables, un droit national. Ce
décalage par rapport aux autres Etats européens fournit une explication de la spécificité tant
des institutions de l'Etat que du droit allemand.
 La genèse du droit allemand
La fragmentation politique de l'Allemagne a provoqué ce retard à s'unifier
institutionnellement et juridiquement. Le droit territorial, qu'il émane des princes, des villes
ou des coutumes féodales ou rurales, était d'application locale. Et le droit impérial, issu des
ordonnances des empereurs, qui requérait, selon la Bulle d'or de 1456, l'unanimité des trois
chambres de la diète impériale, difficile à obtenir, fut rare. Les lacunes furent comblées par
une réception massive de droit savant, avant que la codification n'opère une synthèse du droit.
La codification du droit fut un phénomène précoce dans le monde germanique, antérieur
à la Révolution française et à la promulgation du code civil des Français en 1804. Les
despotes éclairés, notamment Marie Thérèse d'Autriche (1740-1780 et Frédéric II de Prusse
(1740-1786), animés d'une volonté réformatrice puissante, ordonnèrent la codification du
droit. Marie Thérèse d'Autriche donna instruction au comité de rédaction de rédiger le projet
de code sur la base du droit commun (gemein Recht issu de la jurisprudence du
Reichskammergericht). Le droit naturel améliorerait et complèterait le droit savant. La Codex
Theresianus (1766) rencontra l'opposition des conservateurs, comme trop uniforme, et celle
des progressistes, comme insuffisamment égalitaire. Modifié plusieurs fois, le projet fut
promulgué en partie, appliqué expérimentalement dans une province, puis promulgué
généralement (1811), sous le titre de «Code civil général» (Allgemeines Bürgerliches
Gesetzbuch). Concis, transaction entre le droit romain et le droit naturel, moderne (il
supprime les distinctions d'état civil), le code civil autrichien était d'une qualité remarquable
et il a eu une grande longévité: il est toujours en vigueur. Il fut complété par un code pénal.
Frédéric II de Prusse ordonna la codification du droit des Etats prussiens sur la base du «droit
de la raison». Le «Droit général des Etats de Prusse» (Allgemeines Landrecht für die
Preussischen Staaten) fut promulgué par son successeur, en 1794. Comprenant 19.000
articles, le code couvrait tout le droit public et privé, le droit pénal, le droit commercial, le
droit féodal, le droit ecclésiastique. Il combinait l'égalité devant la loi («Les lois de l'Etat
s'appliquent à tous les citoyens sans distinction de classe, de rang ou de sexe»), l'inégalité de
la loi («Les droits des hommes sont déterminés par leur naissance, leur classe, les actions et
évènements auxquels la législation a attaché certains effets»), et le principe que les droits de
l'homme sont limités par ceux des autres hommes («Les droits généraux des hommes sont
fondés sur leur liberté naturelle à poursuivre leurs propres intérêts, sans toutefois enfreindre
de quelque manière les droits des autres hommes»). Autant dire qu'il était imprégné d'esprit
féodal et d'inégalité de classe. Le code, tout en s'inspirant de Pufendorf, rentrait dans un luxe
de détails dans chaque matière, qui le rendit peu praticable. Pour régler les difficultés, une
commission législative spéciale (Gesetzkomission) reçut la mission et le pouvoir de donner
des interprétations officielles du code.
Le code civil des Français, promulgué par Napoléon Bonaparte en 1804, fut traduit,
entre autres langues, en italien, en hollandais et en allemand, pour être promulgués et
appliqués dans les parties de ces pays où les armées de la Révolution française avait imposé
ses idéaux. Son caractère progressiste le fit apprécier en Allemagne (Rhénanie et Bade). Mais
la forme de la codification ne put s'appliquer au droit allemand lui-même que dans la
deuxième partie du XIXème siècle. Avant cela, les codifications furent des œuvres partielles,
par le ressort géographique et par les branches du droit concernées.
A partir du milieu du XIXème siècle, après l'année 1848, qui vit le «printemps des
peuples» et des révolutions éclater en Belgique, en France, en Italie, en Allemagne, en
Autriche, en Hongrie, en Pologne… le nationalisme s'épanouit en Allemagne. Les aspirations
se réalisèrent à une union douanière (1833-1888), à une union monétaire (1849-1869), à une
union politique (1830-1870). L'union juridique, commencée avec un code général de
commerce (1857-1869), poursuivie par une constitution fédérale (1866 et 1871), continuée
par un code pénal (1869), par une loi judiciaire (1877), fut complétée par le grand code civil
entré en vigueur le 1er janvier 1900, le Bürgerliches Gesetzbuch ou BGB.
Les professeurs se lancèrent dans l'aventure de la création d'un droit national.
L'unification du droit privé et la création d'un droit civil privé allemand (Deutsches
bürgerlisches Privatrecht) fut facilitée par les synthèses d'Eichhorn, de Gerber, de Beseler,
de Roth. Certains auteurs écrivaient des traités de droit civil comparé des nombreuses
législations qui se partageaient le territoire de l'Allemagne: royaumes de Prusse, de Bavière
et de Wurtemberg, principauté de Saxe, grand duché de Bade … Les plus importants de ces
traités ont été composés par des historiens du droit, tel Stobbe, qui offre, en tête de chaque
chapitre, une présentation de l'évolution historique. Paul Gide a pu écrire, en 1878: «Les
Allemands ont pu faire du droit comparé sans sortir de chez eux».
Le Bürgerliches Gesetzbuch a requis vingt-cinq années de préparation. La composition
des deux commissions et le travail de celles-ci furent conflictuels et difficiles. Le plan est
divisé en cinq parties. La première partie, générale, expose les règles communes aux
différentes branches du droit civil: théorie de la capacité, théorie de la déclaration de volonté,
théorie de l'acte juridique et de l'acte contractuel, théorie de l'exécution des devoirs juridiques,
théorie de la prescription. La première partie, comme la seconde, consacrée aux obligations,
est très marquée par le droit savant. La troisième partie, qui traite des choses, de la propriété
et de la possession, notamment, et la quatrième partie, dédiée à la famille, sont plus
influencées par le droit germanique. Enfin, la cinquième partie étudie le droit des successions.
Ecrit dans un style où se lit un grand effort de rigueur terminologique, le code civil allemand
de 1900 est un texte savant, conceptuel, systématique et logique, de très grande valeur. Il a
exercé une très grande influence. Sa première partie, générale, théorique, a été abondamment
copiée.
Le BGB a inspiré, dès la période de son élaboration, par ses projets publiés et diffusés,
la codification japonaise, en cours d'élaboration à la même époque.
Le BGB a également influencé la rédaction des codes suisses. Comme l'Allemagne est
passée de l'état d'une confédération de principautés à celui d'Etat fédéral, la Suisse s'est
transformée, d'une confédération, en une fédération de cantons, dans la deuxième partie du
XIXème siècle. Après la guerre du Sonderbund (1845), une nouvelle Constitution a donné
une souveraineté à la fédération, à l'Etat fédéral, que les Suisses continuent à appeler la
«Confédération», quand ils ne disent pas «Berne», du nom de la capitale fédérale. L'Etat
fédéral a reçu la souveraineté dans les domaines des relations extérieures, des douanes, de la
monnaie … Le développement des relations économiques entre les cantons a encouragé
l'unification du droit. Le commerce transcantonal et les mouvements de populations
suscitaient des conflits de lois inter cantonaux.
En 1874, une réforme constitutionnelle donna compétence à la Confédération dans le
domaine du droit privé, du droit des obligations, du droit commercial. L'association des
juristes suisses commanda un tableau complet et comparé du droit privé de tous les cantons
en vue d'une codification. Eugen Huber, professeur à l'université de Bâle, puis à celle de
Berne, publia, de 1886 à 1893, System undGeschichte des schweizerischen Privatrechts,
ouvrage qui contient une introduction générale sur l'évolution historique du droit des divers
cantons suisses, et qui présente une synthèse du droit privé. Le ministre de la justice
commanda alors à Huber la rédaction d'un projet de code civil.
Le code civil suisse (Zivil Gesetzbuch) et le Code des obligations suisse, qui constitue
la cinquième et dernière partie du code civil, constituent un travail de très grande qualité, qui
a suscité un enthousiasme parfois extatique. Son plan est d'une grande simplicité. Après une
brève section introductive, quatre parties traitent successivement du droit des personnes et
des associations, du droit de la famille, des régimes matrimoniaux et des tutelles, du droit des
successions, et du droit de la propriété. Son style, clair et accessible, est celui du grand
pédagogue que fut le Pr. Huber. Son contenu, enfin, est une synthèse de la doctrine
allemande, du code civil français, et des droits locaux des divers cantons helvétiques. Le ZGB
a même reçu un accueil favorable en Allemagne, où certains ont proposé qu'il remplace le
BGB, et il a été copié étroitement par le code civil turc.
Le mouvement de codification a touché tous les pays romanistes: les Pays-Bas, au début
du XIXème siècle, l'Italie, au milieu, l'Espagne, à la fin de ce siècle, et d'autres Etats encore.
Le phénomène de la codification n'est d'ailleurs pas le monopole des droits de la famille
romanistes. Le droit des Etats-Unis d'Amérique est largement codifié. Et les Britanniques
n'ont pas hésité à recourir à la codification du droit, dans leurs colonies, quand une synthèse
de droit local devait être réalisée rapidement pour les besoins de l'administration de la justice.

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