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Objectifs pédagogiques :
-Comprendre que la famille romaniste est composée des droits de plusieurs pays dont la France et
l’Allemagne
On qualifie les droits de l'Europe continentale et ceux qui ont subi leur influence de
droits romanistes. Ils ne sont plus romains, mais ils restent empreints de droit romain. La
famille romaniste est dite parfois aussi famille romano-germanique, parce que les droits
germaniques (allemand, autrichien, suisse) ont également reçu l'influence du droit romain et
appartiennent donc à la même famille de droits que les droits latins (français, espagnol,
italien, roumain) et nordiques… Certains auteurs parlent encore de famille romano-
coutumière, parce que ces droits marient droit romain et droit coutumier. Tous ces droits ont
des traditions communes: ils partagent un esprit de famille et ils présentent un même air de
famille. Ils forment ce que l'on appelle, en Suisse romande, une grande famille et, en France,
une famille nombreuse.
L'intérêt de l'étude du droit romain est double. Cette étude donne l'exemple rare, si ce
n'est unique, en tous cas le premier dans l'Histoire, ainsi qu'un modèle, d'un droit œuvre des
jurisconsultes, de la doctrine des professeurs, et pas seulement de la loi, de la coutume, des
précédents judiciaires, de la pratique. Cette étude fournit aussi la clé d'un héritage juridique
qui donne toujours des fruits, d'un legs incorporé dans ces divers droits civilistes, qui donne
une voie d'accès à ces droits.
Dans cette Introduction au Droit comparé, il n'est pas possible d'étudier les droits des
divers pays appartenant à la famille romaniste. Nous nous bornerons donc au droit français
(Section 1) et au droit allemand (Section 2), qui présentent une particulière importance, au
sein de la famille romaniste, et qui exercent une puissante influence sur le monde latin et sur
le monde germanique, tout en mentionnant, à l'occasion, d'autres droits nationaux,
notamment le droit espagnol, le droit italien, les droit de la Belgique et celui des Pays-Bas,
le droit suisse et le droit autrichien.
Section I : Le droit français
Ce droit national, né de la volonté des rois et du travail des jurisconsultes, a reçu le nom
d'ancien droit (Paragraphe 1), c'est-à-dire de droit de l'ancien régime politique et social: droit
de la monarchie et de la société d'ordres (clergé, noblesse et tiers état). La Révolution
française (1789-1799), événement majeur de l'histoire politique et sociale du pays, s'est
traduite par une révolution du droit et par un épanouissement du droit national (Paragraphe
2). La période la plus récente a été marquée par la construction européenne et la globalisation
de l'économie. Pour s'adapter et survivre à la concurrence, le droit français a opéré des
réformes importantes. Il est entré dans l'âge de la maturité (Paragraphe 3).
Paragraphe 1 : L'ancien droit: la naissance du droit français
A la différence des Etats de l'Europe occidentale qui se formèrent à la fin du Moyen âge
(Angleterre, Espagne, France, Portugal), l'Allemagne n'a trouvé, à cette période, ni son
espace, ni ses institutions. Le Saint empire romain germanique, tentative de reconstitution de
l'empire romain de l'Antiquité, par des princes germaniques et avec la coopération de l'Eglise
de Rome, est restée une fédération lâche de principautés, pendant six siècles (de 1250 à 1850).
Et il fallut encore un siècle et demi (1848-1990), la fin du XXème siècle, pour que
l'Allemagne trouve des frontières incontestées, des institutions stables, un droit national. Ce
décalage par rapport aux autres Etats européens fournit une explication de la spécificité tant
des institutions de l'Etat que du droit allemand.
La genèse du droit allemand
La fragmentation politique de l'Allemagne a provoqué ce retard à s'unifier
institutionnellement et juridiquement. Le droit territorial, qu'il émane des princes, des villes
ou des coutumes féodales ou rurales, était d'application locale. Et le droit impérial, issu des
ordonnances des empereurs, qui requérait, selon la Bulle d'or de 1456, l'unanimité des trois
chambres de la diète impériale, difficile à obtenir, fut rare. Les lacunes furent comblées par
une réception massive de droit savant, avant que la codification n'opère une synthèse du droit.
La codification du droit fut un phénomène précoce dans le monde germanique, antérieur
à la Révolution française et à la promulgation du code civil des Français en 1804. Les
despotes éclairés, notamment Marie Thérèse d'Autriche (1740-1780 et Frédéric II de Prusse
(1740-1786), animés d'une volonté réformatrice puissante, ordonnèrent la codification du
droit. Marie Thérèse d'Autriche donna instruction au comité de rédaction de rédiger le projet
de code sur la base du droit commun (gemein Recht issu de la jurisprudence du
Reichskammergericht). Le droit naturel améliorerait et complèterait le droit savant. La Codex
Theresianus (1766) rencontra l'opposition des conservateurs, comme trop uniforme, et celle
des progressistes, comme insuffisamment égalitaire. Modifié plusieurs fois, le projet fut
promulgué en partie, appliqué expérimentalement dans une province, puis promulgué
généralement (1811), sous le titre de «Code civil général» (Allgemeines Bürgerliches
Gesetzbuch). Concis, transaction entre le droit romain et le droit naturel, moderne (il
supprime les distinctions d'état civil), le code civil autrichien était d'une qualité remarquable
et il a eu une grande longévité: il est toujours en vigueur. Il fut complété par un code pénal.
Frédéric II de Prusse ordonna la codification du droit des Etats prussiens sur la base du «droit
de la raison». Le «Droit général des Etats de Prusse» (Allgemeines Landrecht für die
Preussischen Staaten) fut promulgué par son successeur, en 1794. Comprenant 19.000
articles, le code couvrait tout le droit public et privé, le droit pénal, le droit commercial, le
droit féodal, le droit ecclésiastique. Il combinait l'égalité devant la loi («Les lois de l'Etat
s'appliquent à tous les citoyens sans distinction de classe, de rang ou de sexe»), l'inégalité de
la loi («Les droits des hommes sont déterminés par leur naissance, leur classe, les actions et
évènements auxquels la législation a attaché certains effets»), et le principe que les droits de
l'homme sont limités par ceux des autres hommes («Les droits généraux des hommes sont
fondés sur leur liberté naturelle à poursuivre leurs propres intérêts, sans toutefois enfreindre
de quelque manière les droits des autres hommes»). Autant dire qu'il était imprégné d'esprit
féodal et d'inégalité de classe. Le code, tout en s'inspirant de Pufendorf, rentrait dans un luxe
de détails dans chaque matière, qui le rendit peu praticable. Pour régler les difficultés, une
commission législative spéciale (Gesetzkomission) reçut la mission et le pouvoir de donner
des interprétations officielles du code.
Le code civil des Français, promulgué par Napoléon Bonaparte en 1804, fut traduit,
entre autres langues, en italien, en hollandais et en allemand, pour être promulgués et
appliqués dans les parties de ces pays où les armées de la Révolution française avait imposé
ses idéaux. Son caractère progressiste le fit apprécier en Allemagne (Rhénanie et Bade). Mais
la forme de la codification ne put s'appliquer au droit allemand lui-même que dans la
deuxième partie du XIXème siècle. Avant cela, les codifications furent des œuvres partielles,
par le ressort géographique et par les branches du droit concernées.
A partir du milieu du XIXème siècle, après l'année 1848, qui vit le «printemps des
peuples» et des révolutions éclater en Belgique, en France, en Italie, en Allemagne, en
Autriche, en Hongrie, en Pologne… le nationalisme s'épanouit en Allemagne. Les aspirations
se réalisèrent à une union douanière (1833-1888), à une union monétaire (1849-1869), à une
union politique (1830-1870). L'union juridique, commencée avec un code général de
commerce (1857-1869), poursuivie par une constitution fédérale (1866 et 1871), continuée
par un code pénal (1869), par une loi judiciaire (1877), fut complétée par le grand code civil
entré en vigueur le 1er janvier 1900, le Bürgerliches Gesetzbuch ou BGB.
Les professeurs se lancèrent dans l'aventure de la création d'un droit national.
L'unification du droit privé et la création d'un droit civil privé allemand (Deutsches
bürgerlisches Privatrecht) fut facilitée par les synthèses d'Eichhorn, de Gerber, de Beseler,
de Roth. Certains auteurs écrivaient des traités de droit civil comparé des nombreuses
législations qui se partageaient le territoire de l'Allemagne: royaumes de Prusse, de Bavière
et de Wurtemberg, principauté de Saxe, grand duché de Bade … Les plus importants de ces
traités ont été composés par des historiens du droit, tel Stobbe, qui offre, en tête de chaque
chapitre, une présentation de l'évolution historique. Paul Gide a pu écrire, en 1878: «Les
Allemands ont pu faire du droit comparé sans sortir de chez eux».
Le Bürgerliches Gesetzbuch a requis vingt-cinq années de préparation. La composition
des deux commissions et le travail de celles-ci furent conflictuels et difficiles. Le plan est
divisé en cinq parties. La première partie, générale, expose les règles communes aux
différentes branches du droit civil: théorie de la capacité, théorie de la déclaration de volonté,
théorie de l'acte juridique et de l'acte contractuel, théorie de l'exécution des devoirs juridiques,
théorie de la prescription. La première partie, comme la seconde, consacrée aux obligations,
est très marquée par le droit savant. La troisième partie, qui traite des choses, de la propriété
et de la possession, notamment, et la quatrième partie, dédiée à la famille, sont plus
influencées par le droit germanique. Enfin, la cinquième partie étudie le droit des successions.
Ecrit dans un style où se lit un grand effort de rigueur terminologique, le code civil allemand
de 1900 est un texte savant, conceptuel, systématique et logique, de très grande valeur. Il a
exercé une très grande influence. Sa première partie, générale, théorique, a été abondamment
copiée.
Le BGB a inspiré, dès la période de son élaboration, par ses projets publiés et diffusés,
la codification japonaise, en cours d'élaboration à la même époque.
Le BGB a également influencé la rédaction des codes suisses. Comme l'Allemagne est
passée de l'état d'une confédération de principautés à celui d'Etat fédéral, la Suisse s'est
transformée, d'une confédération, en une fédération de cantons, dans la deuxième partie du
XIXème siècle. Après la guerre du Sonderbund (1845), une nouvelle Constitution a donné
une souveraineté à la fédération, à l'Etat fédéral, que les Suisses continuent à appeler la
«Confédération», quand ils ne disent pas «Berne», du nom de la capitale fédérale. L'Etat
fédéral a reçu la souveraineté dans les domaines des relations extérieures, des douanes, de la
monnaie … Le développement des relations économiques entre les cantons a encouragé
l'unification du droit. Le commerce transcantonal et les mouvements de populations
suscitaient des conflits de lois inter cantonaux.
En 1874, une réforme constitutionnelle donna compétence à la Confédération dans le
domaine du droit privé, du droit des obligations, du droit commercial. L'association des
juristes suisses commanda un tableau complet et comparé du droit privé de tous les cantons
en vue d'une codification. Eugen Huber, professeur à l'université de Bâle, puis à celle de
Berne, publia, de 1886 à 1893, System undGeschichte des schweizerischen Privatrechts,
ouvrage qui contient une introduction générale sur l'évolution historique du droit des divers
cantons suisses, et qui présente une synthèse du droit privé. Le ministre de la justice
commanda alors à Huber la rédaction d'un projet de code civil.
Le code civil suisse (Zivil Gesetzbuch) et le Code des obligations suisse, qui constitue
la cinquième et dernière partie du code civil, constituent un travail de très grande qualité, qui
a suscité un enthousiasme parfois extatique. Son plan est d'une grande simplicité. Après une
brève section introductive, quatre parties traitent successivement du droit des personnes et
des associations, du droit de la famille, des régimes matrimoniaux et des tutelles, du droit des
successions, et du droit de la propriété. Son style, clair et accessible, est celui du grand
pédagogue que fut le Pr. Huber. Son contenu, enfin, est une synthèse de la doctrine
allemande, du code civil français, et des droits locaux des divers cantons helvétiques. Le ZGB
a même reçu un accueil favorable en Allemagne, où certains ont proposé qu'il remplace le
BGB, et il a été copié étroitement par le code civil turc.
Le mouvement de codification a touché tous les pays romanistes: les Pays-Bas, au début
du XIXème siècle, l'Italie, au milieu, l'Espagne, à la fin de ce siècle, et d'autres Etats encore.
Le phénomène de la codification n'est d'ailleurs pas le monopole des droits de la famille
romanistes. Le droit des Etats-Unis d'Amérique est largement codifié. Et les Britanniques
n'ont pas hésité à recourir à la codification du droit, dans leurs colonies, quand une synthèse
de droit local devait être réalisée rapidement pour les besoins de l'administration de la justice.