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E.L. c.

Procureur général du Québec 2021 QCCA 782

COUR D’APPEL

2021 QCCA 782 (CanLII)


CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL

N° : 500-09-029082-203
(500-06-001022-199)

DATE : 12 mai 2021

FORMATION : LES HONORABLES MARK SCHRAGER, J.C.A.


STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.
CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

E... L...
APPELANTE – demanderesse
c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC


CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DU BAS-SAINT-
LAURENT
CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DU
SAGUENAY-LAC-SAINT-JEAN
CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA
CAPITALE-NATIONALE
CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA
MAURICIE-ET-DU-CENTRE-DU-QUÉBEC
CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE
L’ESTRIE – CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE SHERBROOKE
CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE
L’OUEST-DE-L’ÎLE-DE-MONTRÉAL
CENTRE INTÉGRÉ UNIVERSITAIRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DU
CENTRE-SUD-DE-L’ÎLE-DE-MONTRÉAL
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE L’OUTAOUAIS
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE L’ABITIBI-
TÉMISCAMINGUE
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA CÔTE-NORD
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA GASPÉSIE
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE CHAUDIÈRE-
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APPALACHES
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LAVAL
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LANAUDIÈRE

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CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DES LAURENTIDES
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA MONTÉRÉGIE-
EST
RÉGIE RÉGIONALE DE LA SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DU NUNAVIK
CONSEIL CRI DE LA SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA BAIE-JAMES
INTIMÉS – défendeurs

ARRÊT

[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 3 août 2020 par la Cour
supérieure, district de Montréal (l’honorable Chantal Tremblay), lequel lui ordonne de
communiquer aux intimés une copie intégrale et complète de ses dossiers des centres
jeunesse où elle était détenue et de ses dossiers de santé provenant de différentes
institutions et autorise ceux-ci à les déposer à titre de preuve appropriée aux fins de
l’audition sur autorisation1. La juge ordonne également à l’appelante d’entreprendre les
démarches nécessaires afin d’obtenir les dossiers qu’elle n’aurait pas en sa
possession.

[2] L’appelante désire intenter une action collective contre le procureur général du
Québec et dix-huit centres de santé et de services sociaux, au nom des enfants ayant
été détenus, confinés ou victimes d’abus, alors qu’ils se trouvaient en centre jeunesse.

[3] L’appelante allègue en effet que de 1973 à 1976, entre l’âge de 13 et 16 ans, elle
a été mise en confinement de manière répétée dans une cellule d’isolement, alors
qu’elle était confiée aux soins de deux centres jeunesse. Elle prétend aussi avoir été
contrainte de prendre certains médicaments et avoir été témoin de gestes à caractère
sexuel commis à l’égard d’autres enfants par les gardiens de l’établissement.

[4] L’appelante soutient que ses divers problèmes de santé et nombreuses


difficultés éprouvées au cours de sa vie ont été causés par ces mauvais traitements.
Elle fait notamment état d’itinérance, de dépression, d’anxiété, de cauchemars,
d’attaques de panique, de consommation abusive de drogues et autres substances, de
tentatives de suicide, de difficultés à conserver un emploi stable et de sentiments de
honte. Elle soutient que de tels problèmes sont communs aux autres membres du
groupe.

1 E.L. c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCS 2585 [jugement entrepris].


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[5] À ce titre, elle réclame des intimés des dommages compensatoires et punitifs.

[6] Saisi d’une requête de bene esse pour permission d’appeler, un juge de la Cour

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constate les trois moyens soulevés par l’appelante au stade de l’appel :

[4] Dans sa déclaration d’appel et sa requête pour permission d’appeler de


bene esse, la requérante soutient que la juge de première instance a erré en
ordonnant la divulgation de certains dossiers de santé, et ce, pour
essentiellement trois types de motifs : (1) la requérante n’a pas renoncé à son
droit fondamental au respect du secret professionnel; (2) les informations que
ces dossiers contiennent ne sont pas essentielles et indispensables au stade de
l’autorisation de l’action collective et leur communication nécessite que la
requérante obtienne des documents auprès de tiers et (3) la juge a statué ultra
petita en permettant aux parties intimées de déposer les dossiers médicaux
communiqués en preuve.2

[7] Notre collègue déclare que l’appelante n’a pas besoin de la permission pour en
appeler de la question du secret professionnel3 et accorde la permission sur la question
d’« ultra petita ». Il refuse la permission quant à la question 2.

[8] En alléguant que les abus et mauvais traitements dont elle se dit victime sont la
cause directe et immédiate de ses problèmes de santé et de comportement, l’appelante
fait de son état de santé, un élément central du litige. Cela constitue, au regard de la
jurisprudence applicable4, une renonciation implicite au secret professionnel et à la
confidentialité des informations pertinentes contenues aux dossiers médicaux.

[9] L’appelante prétend que la règle de la renonciation implicite doit être adaptée au
contexte particulier de la demande d’autorisation d’action collective. En ce sens, elle
indique que puisque l’autorisation d’une action collective n’est qu’un mécanisme de
filtrage et que les faits allégués dans la demande d’autorisation doivent être tenus pour
avérer, la règle de renonciation implicite au secret professionnel ne peut être appliquée
lors de l’étape de l’autorisation. Elle ajoute que ses dossiers de santé seront pertinents
uniquement au stade du recouvrement individuel.

[10] L’appelante a certainement raison qu’il est de jurisprudence constante que les
allégations sont tenues pour avérées5 à moins d’une preuve contraire6. Ainsi, vu le seuil

2 E.L. c. Procureur général du Québec, 2020 QCCA 1327 (Sansfaçon, j.c.a.).


3 L’article 31 C.p.c. accorde un droit d’appel de plein droit sur cette question.
4 Glegg c. Smith & Nephew Inc., 2005 CSC 31, [2005] 1 R.C.S. 724, paragr. 19 [Glegg]; N9ne Realty
Inc. c. First Capital (Aylmer Principale) Corporation Inc., 2019 QCCA 2027, paragr. 2; Bleau c.
Commission administrative des régimes de retraite et d'assurances (CARRA), 2005 QCCA 1063,
paragr. 34. Voir aussi : Jean-Claude Royer et Catherine Piché, La preuve civile, 6e éd., Cowansville,
Yvon Blais, 2020, paragr. 1373.
5 L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35, paragr. 59; Infineon Technologies AG c.
Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, paragr. 67 ; Karras c. Société des
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peu élevé au stade de l’autorisation7, l’argument faisant valoir que la communication


d’une telle preuve ne soit pas pertinente au stade de l’autorisation est sérieux, malgré le
fait que sa pertinence soit interprétée largement par les tribunaux 8. Les intimés

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soutiennent qu’ils ont le droit de prendre connaissance de la documentation en question
pour vérifier si l’appelante présente une cause défendable.

[11] Cette question afférente à la pertinence des dossiers médicaux de l’appelante au


stade de l’autorisation est celle résumée par le juge unique de la Cour sous le moyen
numéro 2 cité ci-avant et au sujet duquel la permission d’appeler a été refusée.

[12] La Cour ne siège pas en révision des jugements de ses juges refusant la
permission d’appeler9. En effet, le recours à l’encontre d’une telle décision du juge
unique est un appel à la Cour suprême.

[13] Les arguments de l’appelante requièrent de la Cour qu’elle tranche cette


question relative à la pertinence et ce faisant, qu’elle entreprenne la révision du
jugement du juge unique, ce qui n’est pas possible. En conséquence, ce moyen ne peut
pas réussir.

[14] Concernant l’argument selon lequel la juge aurait décidé de manière ultra petita,
il est clair que la demande des intimés ne porte pas sur la production, mais uniquement
sur la communication des documents en question. La juge, à ce stade, ne pouvait ainsi
en ordonner le dépôt au dossier de la cour.

[15] De plus, la juge doit avoir l’occasion d’examiner les documents que les intimés
entendent produire et d’entendre les représentations des parties avant de se prononcer
sur leur production. De telles questions ne peuvent être traitées dans l’abstrait. Il se
peut en effet par exemple que certains documents dépassent le cadre des questions en
litige ou que d’autres doivent être mis sous scellés ou caviardés pour protéger les
renseignements confidentiels de l’appelante ou d’autres individus. Il est nécessaire que
les parties et la juge soient en possession des documents en question avant de

loteries du Québec, 2019 QCCA 813, paragr. 28 [Karras]; Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA
1299, paragr. 14; Harmegnies c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380, paragr. 44.
6 Karras, supra, note 5, paragr. 28; Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716, paragr. 43;
Option Consommateurs c. Bell Mobilité, 2008 QCCA 2201, paragr. 38.
7 La jurisprudence requiert l’établissement d’une « cause défendable » ou d’une « apparence sérieuse
de droit » : L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35, paragr. 58; Vivendi Canada
Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, paragr. 37; Infineon Technologies AG c. Option
consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, paragr. 65 et 67; Marcotte c. Longueuil (Ville),
2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65, paragr.23.
8 Glegg, supra, note 4, paragr. 22.
9 Nguyen c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCA 709, paragr. 1-4; Lessard-Gauvin c. Comité
de révision de la Commission des services juridiques, 2007 QCCA 1529; Apotex inc. c. Régie de
l'assurance maladie du Québec, 2005 QCCA 200; J.L.D. c. Vallée, 1994 CanLII 5486 (QC CA), p. 2,
pourvoi à la CSC accordée, [1996] 1 R.C.S. 893.
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déterminer si ceux-ci, en considérant l’ensemble des circonstances et les intérêts


respectifs des parties doivent ou non être déposés au dossier de la cour. La juge ne
pouvait donc à ce stade ordonner la production de tels documents.

2021 QCCA 782 (CanLII)


POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :

[16] ACCUEILLE l’appel en partie;

[17] INFIRME le jugement de première instance en partie;

[18] BIFFE le paragraphe 15 du dispositif du jugement;

[19] LE TOUT sans frais, vu le résultat mitiger de l'appel.

MARK SCHRAGER, J.C.A.

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

Me Lev Alexeev
Me Marianne Brouillet
Me Élise Veillette
CABINET D’AVOCATS NOVAlex inc.
Procureurs ad litem de l’appelante

Me Jean-Philippe Groleau
Me Guillaume Xavier Charlebois
DAVIES WARD PHILLIPS & VINEBERG
Procureurs-conseil de l’appelante

Me Isabelle Brunet
BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)
Pour procureur général du Québec
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Me Jean Saint-Onge, Ad. E.


Me Mélanie Champagne
Me Alexandra Hébert

2021 QCCA 782 (CanLII)


Me Anne Merminod
Me Valérie Lafond
BORDEN LADNER GERVAIS
Pour Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay-Lac-Saint-
Jean
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-
Centre-du-Québec
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie-Centre
hospitalier universitaire de Sherbrooke
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île-de-
Montréal
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-
Montréal
Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais
Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue
Centre intégré de santé et de services sociaux de la Côte-Nord
Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie
Centre intégré de santé et de services sociaux de Chaudière-Appalaches
Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval
Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière
Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides
Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est
Régie régionale de la santé et de services sociaux du Nunavik
Conseil Cri de santé et de services sociaux de la Baie-James

Date d’audience : 7 mai 2021

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