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COUR D’APPEL
N° : 500-09-029082-203
(500-06-001022-199)
E... L...
APPELANTE – demanderesse
c.
APPALACHES
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LAVAL
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LANAUDIÈRE
ARRÊT
[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 3 août 2020 par la Cour
supérieure, district de Montréal (l’honorable Chantal Tremblay), lequel lui ordonne de
communiquer aux intimés une copie intégrale et complète de ses dossiers des centres
jeunesse où elle était détenue et de ses dossiers de santé provenant de différentes
institutions et autorise ceux-ci à les déposer à titre de preuve appropriée aux fins de
l’audition sur autorisation1. La juge ordonne également à l’appelante d’entreprendre les
démarches nécessaires afin d’obtenir les dossiers qu’elle n’aurait pas en sa
possession.
[2] L’appelante désire intenter une action collective contre le procureur général du
Québec et dix-huit centres de santé et de services sociaux, au nom des enfants ayant
été détenus, confinés ou victimes d’abus, alors qu’ils se trouvaient en centre jeunesse.
[3] L’appelante allègue en effet que de 1973 à 1976, entre l’âge de 13 et 16 ans, elle
a été mise en confinement de manière répétée dans une cellule d’isolement, alors
qu’elle était confiée aux soins de deux centres jeunesse. Elle prétend aussi avoir été
contrainte de prendre certains médicaments et avoir été témoin de gestes à caractère
sexuel commis à l’égard d’autres enfants par les gardiens de l’établissement.
[5] À ce titre, elle réclame des intimés des dommages compensatoires et punitifs.
[6] Saisi d’une requête de bene esse pour permission d’appeler, un juge de la Cour
[7] Notre collègue déclare que l’appelante n’a pas besoin de la permission pour en
appeler de la question du secret professionnel3 et accorde la permission sur la question
d’« ultra petita ». Il refuse la permission quant à la question 2.
[8] En alléguant que les abus et mauvais traitements dont elle se dit victime sont la
cause directe et immédiate de ses problèmes de santé et de comportement, l’appelante
fait de son état de santé, un élément central du litige. Cela constitue, au regard de la
jurisprudence applicable4, une renonciation implicite au secret professionnel et à la
confidentialité des informations pertinentes contenues aux dossiers médicaux.
[9] L’appelante prétend que la règle de la renonciation implicite doit être adaptée au
contexte particulier de la demande d’autorisation d’action collective. En ce sens, elle
indique que puisque l’autorisation d’une action collective n’est qu’un mécanisme de
filtrage et que les faits allégués dans la demande d’autorisation doivent être tenus pour
avérer, la règle de renonciation implicite au secret professionnel ne peut être appliquée
lors de l’étape de l’autorisation. Elle ajoute que ses dossiers de santé seront pertinents
uniquement au stade du recouvrement individuel.
[10] L’appelante a certainement raison qu’il est de jurisprudence constante que les
allégations sont tenues pour avérées5 à moins d’une preuve contraire6. Ainsi, vu le seuil
[12] La Cour ne siège pas en révision des jugements de ses juges refusant la
permission d’appeler9. En effet, le recours à l’encontre d’une telle décision du juge
unique est un appel à la Cour suprême.
[14] Concernant l’argument selon lequel la juge aurait décidé de manière ultra petita,
il est clair que la demande des intimés ne porte pas sur la production, mais uniquement
sur la communication des documents en question. La juge, à ce stade, ne pouvait ainsi
en ordonner le dépôt au dossier de la cour.
[15] De plus, la juge doit avoir l’occasion d’examiner les documents que les intimés
entendent produire et d’entendre les représentations des parties avant de se prononcer
sur leur production. De telles questions ne peuvent être traitées dans l’abstrait. Il se
peut en effet par exemple que certains documents dépassent le cadre des questions en
litige ou que d’autres doivent être mis sous scellés ou caviardés pour protéger les
renseignements confidentiels de l’appelante ou d’autres individus. Il est nécessaire que
les parties et la juge soient en possession des documents en question avant de
loteries du Québec, 2019 QCCA 813, paragr. 28 [Karras]; Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA
1299, paragr. 14; Harmegnies c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380, paragr. 44.
6 Karras, supra, note 5, paragr. 28; Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716, paragr. 43;
Option Consommateurs c. Bell Mobilité, 2008 QCCA 2201, paragr. 38.
7 La jurisprudence requiert l’établissement d’une « cause défendable » ou d’une « apparence sérieuse
de droit » : L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35, paragr. 58; Vivendi Canada
Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, paragr. 37; Infineon Technologies AG c. Option
consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, paragr. 65 et 67; Marcotte c. Longueuil (Ville),
2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65, paragr.23.
8 Glegg, supra, note 4, paragr. 22.
9 Nguyen c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCA 709, paragr. 1-4; Lessard-Gauvin c. Comité
de révision de la Commission des services juridiques, 2007 QCCA 1529; Apotex inc. c. Régie de
l'assurance maladie du Québec, 2005 QCCA 200; J.L.D. c. Vallée, 1994 CanLII 5486 (QC CA), p. 2,
pourvoi à la CSC accordée, [1996] 1 R.C.S. 893.
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Me Lev Alexeev
Me Marianne Brouillet
Me Élise Veillette
CABINET D’AVOCATS NOVAlex inc.
Procureurs ad litem de l’appelante
Me Jean-Philippe Groleau
Me Guillaume Xavier Charlebois
DAVIES WARD PHILLIPS & VINEBERG
Procureurs-conseil de l’appelante
Me Isabelle Brunet
BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)
Pour procureur général du Québec
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