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Fascicule 7
Points sensibles
L'expertise de gestion
- Remaniements effectués par la loi NRE au sein des sociétés par actions
(procédure distincte de celle concernant la SARL)
- Conditions de désignation (conditions de recevabilité de la demande -
procédure de désignation de l'expert)
- Concurrence de l'article 145 du code de procédure civile (recours au droit
commun de l'expertise en cas de non réunion des conditions de recevabilité de
la demande d'expertise de gestion propre au droit des sociétés)
- Mission de l'expert (simple mesure d'information : toute sanction concrète des
dirigeants suppose la mise en œuvre de mesures complémentaires : nullité de la
décision, responsabilité des dirigeants, révocation, etc.)
Documents
Réflexion à mener
Document 1
Expertise de gestion
Dès lors que la société demanderesse justifie d'un intérêt légitime de conserver ou
d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les
conditions d'application de l'article 145 NCPC sont remplies : la demande de
complément de l'expertise de gestion par une mesure d'instruction in futurum
concernant une opération effectuée par la filiale doit être accueillie, sans que la
société soit tenue de justifier d'un intérêt distinct de son intérêt d'actionnaire
minoritaire.
LA COUR
Attendu, selon l'arrêt attaqué (CA Angers, 25 septembre 2000), que la Société des
praticiens de la clinique Pasteur (SCPCP), actionnaire minoritaire de la société
Cliniques du Maine (CDM), a assigné celle-ci devant le président du tribunal de
commerce sur le fondement de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 afin de voir
désigner un expert chargé de recueillir des éléments d'information sur un certain
nombre d'opérations de gestion susceptibles de léser gravement ses intérêts ; que
cette demande n'a été accueillie que pour certaines des opérations de gestion
présentées comme litigieuses ; que la CDM ayant fait appel de cette décision, la
SCPCP a formé un appel incident en faisant valoir que les demandes portant sur
des actes de gestion de filiales devaient être accueillies sur le fondement de l'article
145 du nouveau Code de procédure civile ; que la cour d'appel a réformé
l'ordonnance du premier juge en décidant que l'expertise devait également porter,
par application de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, sur une
opération de crédit bail immobilier réglée par une filiale de la CDM, et a confirmé
pour le surplus l'ordonnance en toutes ses dispositions ;
Attendu que la CDM fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé l'ordonnance ayant
ordonné une expertise sur le fondement de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966,
ajouté à celle-ci, et dit que sur plusieurs points elle était justifiée par l'article 145 du
nouveau Code de procédure civile, alors, selon le moyen que l'expertise prévue par
l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l'article L. 225-231 du Code de
commerce, ne peut porter sur des opérations de gestion d'une filiale ; que si des
associés minoritaires peuvent néanmoins solliciter une mesure d'expertise excédant
le cadre de ce texte, notamment en ce qu'elle porte sur une filiale, en invoquant les
dispositions de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, c'est à la
condition expresse que les juges du fond constatent que les conditions prévues par
ce dernier texte sont remplies ; que, dès lors, en ordonnant les mesures d'expertise
sollicitées sur le fondement, au besoin, de l'article 145 du nouveau Code de
procédure civile, sans caractériser un intérêt de la Société civile des praticiens de la
clinique Pasteur distinct de son intérêt d'associé minoritaire, la cour d'appel a violé
les textes susvisés ;
Mais attendu que dans son dispositif la cour d'appel a confirmé l'ordonnance du
premier juge en toutes ses dispositions, ne la réformant que pour étendre l'expertise
à une seule opération de gestion concernant une filiale sur le fondement de l'article
145 du nouveau Code de procédure civile ; que pour cette opération, la cour
d'appel, après avoir rappelé les raisons pour lesquelles la SCPCP souhaitait une
expertise, a souverainement estimé que cette dernière établissait l'existence d'un
intérêt légitime de conserver ou d'établir la preuve des faits dont pourrait dépendre
la solution d'un litige ; que dès lors, en décidant de fonder le complément
d'expertise qu'elle ordonnait sur l'article précité, la cour d'appel n'a méconnu aucun
des textes visés par le moyen ; que celui-ci n'est pas fondé ;
Rejette le pourvoi.
Il reste que la Cour régulatrice avait déjà eu l'occasion par le passé de faire savoir
que les deux expertises, celle de droit des sociétés et celle de droit commun
procédural, coexistaient et pouvaient l'une comme l'autre recevoir application dans
la vie des sociétés 3 . Cette opinion n'est pas démentie par le présent arrêt du 21
septembre 2004. La Chambre commerciale y réaffirme implicitement la coexistence
des deux expertises et, par conséquent, l'admission de l'expertise in futurum malgré la
présence d'une expertise autonome en droit des sociétés. Plus précisément, il
ressort nettement de l'arrêt sous examen que l'article 145 peut être utilisé lorsque les
conditions restrictives du recours à l'article L. 225-231 ne sont pas réunies.
Par conséquent, en admettant qu'un même actionnaire puisse faire expertiser une
série d'opérations en empruntant la voie de l'expertise de gestion, pour certaines
d'entre elles, et la voie de l'expertise in futurum, pour d'autres, la Cour de cassation
indique très clairement que les deux types de mesures coexistent en droit des
sociétés et qu'elles sont complémentaires plutôt que concurrentes (I). Par cette
solution qui n'est pas nouvelle, l'expertise in futurum est donc susceptible d'occuper
les domaines du droit des sociétés sur lesquels l'expertise de gestion ne peut
aujourd'hui prospérer. Il reste que l'articulation des deux expertises continue de
poser un certain nombre de questions, en particulier celle relative au libre choix par
l'actionnaire de l'une ou l'autre mesure à son gré (II).
Alors même que le droit des sociétés n'est pas l'univers naturel de l'expertise de
l'article 145 NCPC 4 , la présente décision de la Chambre commerciale de la Cour de
cassation réaffirme la possible utilisation de ce texte par un actionnaire en manque
d'informations 5 . Loin d'être bannie, cette mesure d'instruction peut même être
d'un véritable secours pour l'actionnaire, lorsque celui-ci est débouté de sa demande
d'expertise de gestion, comme en témoigne la présente espèce. En l'occurrence,
l'actionnaire minoritaire n'avait pu voir l'ensemble de sa demande d'expertise
portant sur diverses opérations aboutir et, en particulier, l'une d'elles qui se
rapportait à une opération de crédit bail immobilier réalisée par une filiale. En effet,
à l'époque des faits de l'espèce, c'est-à-dire avant que la loi sur les nouvelles
régulations économiques (NRE) n'étende l'expertise de gestion aux opérations
accomplies par des filiales, une règle jurisprudentielle fondée sur la lettre de l'ancien
texte légal interdisait à l'actionnaire d'une société mère, n'étant pas actionnaire de la
filiale, de solliciter une expertise de gestion concernant une opération réalisée par
cette filiale 6 . Pareille restriction du domaine de l'expertise de gestion était au
demeurant critiquable du fait que, dans les groupes de sociétés, les abus se
commettent fréquemment par le biais de filiales 7 . Cette critique explique
probablement que la Cour de cassation avait admis parallèlement que l'obstacle
puisse être levé par une utilisation dans les groupes de l'article 145 ouvert à « tout
intéressé » justifiant d'un « motif légitime » aux fins de recueillir des informations
sur des opérations intervenues au sein de filiales, voire de sous-filiales 8 . Dès lors,
l'expertise du droit procédural est apparue en mesure de pallier les insuffisances de
l'expertise du droit des sociétés au sein des groupes et d'atteindre des opérations qui
sinon n'auraient pu être expertisées.
Michel Jeantin s'était félicité de cette application de l'article 145 NCPC dans le
fonctionnement des sociétés. L'éminent auteur justifiait la position jurisprudentielle
par « l'intérêt supérieur de la bonne information des associés » 10 . « Là où cesse
l'application (des dispositions réglementant l'expertise de gestion), le relais doit être
pris par le droit commun de l'expertise, et notamment, de l'expertise in futurum de
l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, qui devrait, sauf si les juges en
restreignent excessivement l'usage, permettre aux cotés de l'article 226 (C. com., art.
L. 225-231), mais sans concurrence réelle avec lui, aux associés minoritaires
d'obtenir l'information impartiale à laquelle ils ont droit » 11 .
Il reste que si le recours à l'expertise in futurum n'est pas soumis aux conditions
strictes de l'expertise de gestion, l'existence d'un juste motif conditionne la
recevabilité de la demande et constitue le pivot du régime des mesures d'instruction
préventives 13 . Il est bien évident en effet que la demande doit présenter une
légitimité, en l'absence de laquelle le fonctionnement des sociétés serait en
permanence perturbé par des demandes intempestives. De même, elle ne peut
briguer « une mesure générale d'investigation » afin de « découvrir un fondement
juridique pour une action en justice postérieure » 14 . En somme, le demandeur
d'une expertise préventive doit établir « d'une part l'existence d'une situation
litigieuse, et d'autre part que la preuve des faits qu'il cherche à mettre en lumière est
utile pour la solution du litige » 15 .
Le présent arrêt est une parfaite illustration de cette double démonstration. La Cour
de cassation approuve en effet le complément d'expertise ordonné sur le
fondement de l'article 145 au motif que la cour d'appel « après avoir rappelé les
raisons pour lesquelles [l'actionnaire minoritaire] souhaitait une expertise, a
souverainement estimé que [ce dernier] établissait l'existence d'un intérêt légitime
de conserver ou d'établir la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un
litige ». En procédant à une telle vérification des conditions de recevabilité propres
à l'expertise préventive, la Haute juridiction affirme donc l'autonomie de cette
mesure d'instruction, dont la fonction est de préconstituer des éléments de preuve,
dans la perspective d'un procès au fond 16 , et non pas tant de fournir aux
actionnaires des renseignements fiables sur des opérations suspectes.
En définitive, l'arrêt commenté montre que la Cour de cassation continue de rester
sourde aux réprobations d'une autre partie importante de la doctrine qui considère
que, par ses facilités de mise en uvre, l'article 145 livre une concurrence indélicate 17
ou déloyale 18 à l'expertise de gestion qui se trouve ainsi vampirisée 19 .
Bien qu'ayant été rendue sous l'empire d'un texte antérieur à la loi NRE, la présente
décision conserve aujourd'hui encore un grand intérêt pratique compte tenu du
domaine finalement restreint de l'expertise « de groupe ». La reconnaissance par la
loi NRE d'une expertise de gestion extensible aux opérations de filiales ne sonne
pas pour autant le glas de l'expertise in futurum au sein des groupes de sociétés.
En effet, l'admission de l'expertise de gestion au sein des groupes n'est pas générale.
L'élargissement opéré par la loi du 15 mai 2001 résulte de la nouvelle rédaction de
l'article L. 225-231 du Code de commerce qui autorise qu'un actionnaire sollicite
l'examen des opérations passées par la société à laquelle il appartient, mais aussi
désormais par des sociétés contrôlées au sens de l'article L. 233-3. C'est là le
domaine réservé. La demande d'expertise est donc à sens unique : de la société-
mère vers la filiale, c'est-à-dire descendante. En revanche, l'analyse d'opérations
faites par la société-mère demeure inaccessible à l'actionnaire d'une filiale, de même
que celles accomplies par une société-sur 20 . Le recours à l'expertise de l'article 145,
validé par le présent arrêt du 21 septembre 2004, constitue donc dans ces
hypothèses le seul moyen de recueillir des informations impartiales.
Plus encore, ce dernier texte est le seul à pouvoir être appliqué lorsque la société-
mère revêt la forme d'une SARL. L'article L. 223-37 du Code de commerce n'ayant
pas été remanié par la loi NRE, l'expertise « de groupe » n'y est pas admise, ce qui
prive alors l'associé d'une SARL, société-mère, de la possibilité d'obtenir une
expertise de gestion portant sur des opérations passées par des filiales, quelle que
soit leur forme 21 .
Il faudra donc attendre de nouvelles décisions avant de savoir s'il existe une
véritable concurrence entre les deux expertises ou, au contraire, si la voie de
l'expertise de gestion est la seule à devoir être empruntée lorsque les conditions de
cette mesure sont réunies. Une coexistence « pacifique » entre ces deux mesures
voisines se dessine néanmoins. L'expertise de gestion pourrait fort bien être la seule
technique envisageable, à l'exclusion donc de l'expertise préventive, dès l'instant où
les strictes conditions d'ouverture exigées par l'article L. 225-231 sont présentes.
Quant à l'expertise préventive, elle redeviendrait applicable en droit des sociétés si
ces strictes conditions ne sont justement pas réunies. Tel pourrait être le fruit d'un
compromis entre « l'intérêt supérieur de la bonne information des associés » 27 et la
lutte contre le détournement de l'expertise de gestion par « un article 145 dévoyé
» 28 .
Laurent Godon
1 T com. Paris, 27 juin 2002 : Bull. Joly Sociétés, 2002, p. 942, note A. Couret ;
Rev. sociétés, 2002, p. 719, note P. Le Cannu ; JCP, éd. E, 2002, n° 1253, note A.
Viandier ; Banque et droit, juill. 2002, p. 36, obs. M. Storck ; N. Vignal, « Expertise
de gestion - expertise in futurum : la fin d'une cohabitation ? » : Lamy Sociétés
commerciales, G, Bull. n° 151.
2 CA Paris, 25 oct. 2002 : Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 213, note A. Couret.
3 Cass. com., 7 déc. 1981 : Bull. civ., IV, n° 425, p. 338 ; Rev. sociétés, 1982, p. 519,
note S. Michelin-Finielz ; D., 1982, IR, p. 312 ; v. aussi Cass. 1re civ., 16 déc. 1992 :
Bull. Joly Sociétés, 1993, p. 349, note M. Jeantin ; JCP, éd. E, 1993, II, n° 440, note
Th. Bonneau ; Rev. sociétés, 1992, p. 508, note Y. Guyon ; Dr. sociétés, 1993,
comm. n° 54, obs. H. Le Nabasque.
5 Cass. com., 7 déc. 1981, précit. ; Cass. 1re civ., 16 déc. 1992, précit. Pour des arrêts
d'appel v. CA Paris, 4 sept. 1998 : Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 250, note F.-X. Lucas
; CA Paris, 9 déc. 1994 : Rev. sociétés, 1995, p. 368 ; CA Reims, 7 janv. 1980 : D.,
1981, jur. p. 666, note J.-Cl. Bousquet ; CA Metz, 6 janv. 1982 : D., 1983, jur. p.
564, note Y. Reinhard.
6 Cass. com., 14 déc. 1993 : Rev. sociétés, 1994, p. 494, note Ch. Gavalda ; JCP, éd.
E, 1994, II, n° 567, note Y. Guyon ; RJDA, 1994/4, p. 325, n° 421. Adde P. Le
Cannu, « L'expertise de gestion et les filiales » : Bull. Joly Sociétés, 1994, p. 147.
11 M. Jeantin, note sous Cass. com., 19 nov. 1991 : JCP, éd. G, 1992, II, n° 21833.
18 A. Viandier, note sous T. com. Paris, 27 juin 2002 : JCP, éd. E, 2002, n° 1253.
22 N. Vignal, précit.
23 CA Paris, 25 oct. 2002 : Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 213, note A. Couret.
26 CA Versailles, 23 oct. 2002 : Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 204, note P. Le Cannu.
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Document 2
Abus de minorité : Définition reposant, là aussi, sur deux conditions car il faut que
l'on soit en présence : 1) d'une opération "essentielle" pour la société (c'est-à-dire
vitale), 2) que l'associé minoritaire ait eu pour unique dessein de favoriser ses
propres intérêts (égoïstes) au détriment des autres associés. Sanctions : nullité de la
décision abusivement adoptée + Dommages-Intérêts versés aux minoritaires lésés,
voire à la société.
Une telle sanction est applicable en cas de défaillance (absence) de l'associé titulaire
de la minorité de blocage à l'assemblée, comme en cas de présence de ce dernier,
ayant effectivement participé au vote, lequel est abusif (v. arrêt du 5 mai 1998 ci-
dessous rapporté).
Attention : le juge ne peut fixer le sens du vote du mandataire ad hoc car il ne lui
appartient pas de s'immiscer dans le fonctionnement des sociétés (C ass. com. 4
fév. 2014, n° 12-29348). Position assez illusoire en pratique car quelle sera la marge
d'autonomie réelle du mandataire contraint de voter dans le sens des majoritaires et
de participer ainsi à l'adoption de la décisions collective en cause ?
Abus d'égalité : les principes sont les mêmes que pour l'abus d'égalité car un associé
bloque ce que l'autre propose
Cass. com., 5 mai 1998, n° 987 P, SA Arti Moul c/ Couvaud (cons. rapp.
Métivet)
La Cour
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Riom, 13 mars 1996) et du jugement qu'il a
partiellement confirmé, que les capitaux propres de la société Arti Moul SAAM (la
société SAAM) étant devenus inférieurs à la moitié du capital social, une assemblée
générale extraordinaire avait été convoquée afin de décider s'il y avait lieu à
dissolution anticipée et dans la négative de procéder à une augmentation de capital ;
que la dissolution ayant été repoussée, l'augmentation de capital n'avait pu être
adoptée à la majorité requise, par suite du refus de M. Couvaud, détenteur de 40 %
des actions, de la voter ; que la société l'avait alors assigné pour voir dire que son
attitude constituait un abus de minorité, obtenir la désignation d'un mandataire
chargé de le représenter et de voter à une assemblée générale à venir le principe de
l'augmentation de capital et sa condamnation au paiement de dommages et intérêts
;
Mais attendu que l'arrêt retient que le refus de M. Couvaud de voter l'augmentation
de capital indispensable à la survie de la société, avait eu pour seul but d'entraver le
fonctionnement de celle-ci et avait été dicté par des considérations purement
personnelles, notamment son éviction du conseil d'administration et les intérêts
qu'il possédait dans une société concurrente, dont son gendre, lui-même évincé de
la société SAAM, détenait la majorité du capital ; qu'en l'état de ces constatations et
énonciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le
moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs Rejette les pourvois tant principal qu'incident formés contre l'arrêt
rendu par la cour d'appel de Riom, ch. civ. et com., le 16 mars 1996.
Le présent arrêt est l'occasion de préciser la portée que peuvent avoir les solutions
exprimées par la Chambre commerciale de la Cour de cassation lors de la célèbre
affaire Flandin 1. En l'espèce, une assemblée générale extraordinaire avait été
convoquée afin de décider du sort de la SA Arti Moul (SAAM) dont les capitaux
propres étaient devenus inférieurs à la moitié du capital social (L. no 66-537, art.
241). La décision de poursuivre l'exploitation en repoussant la dissolution anticipée
de la société ayant été votée, la régularisation effective de la situation imposait une
augmentation du capital social. Or, cette dernière mesure n'avait pu être adoptée à
la majorité requise par suite du refus de M. Couvaud, détenteur d'une minorité de
blocage.
Cela étant, l'appréciation des motifs égoïstes de l'intéressé semble avoir été peu
rigoureuse dans l'affaire examinée. En effet, l'éviction de M. Couvaud du conseil
d'administration de la société victime ainsi que la possession d'intérêts dans une
société concurrente dominée par son gendre semblent avoir suffi à rapporter la
preuve que l'intéressé poursuivait la défense de ses intérêts personnels au détriment
de ceux de l'ensemble des associés. Or, on peut reprocher à ces éléments
d'information de s'apparenter davantage à de simples présomptions qu'à de
véritables mobiles prouvés. Mais, pour que la condition subjective de l'abus de
minorité soit remplie et en l'absence de déclarations de l'associé Couvaud pouvant
établir son intention de nuire, il est vrai que les juges n'avaient d'autre solution que
de spéculer sur ces éléments pour parvenir à déceler un esprit de revanche de celui
qui fut évincé de la société ou la poursuite d'intérêts familiaux égoïstes au travers
d'une tierce société concurrente appartenant à un gendre...
En définitive, il apparaît une fois encore que les mobiles de l'associé minoritaire
développant une attitude de refus sont particulièrement difficiles à cerner. En bref,
il semble que lorsque la survie de la société est en jeu, l'élément essentiel
d'appréciation de l'abus de minorité réside dans la violation de l'intérêt social. Le
blocage est en effet répréhensible dès lors que l'augmentation de capital projetée est
vitale pour la société 3 . Dans le cas contraire, il ne l'est pas 4 . Encore faut-il dans le
premier cas que le minoritaire ait conscience de provoquer par son attitude la
disparition de la société, ce qui suppose qu'il ait été suffisamment informé avant
d'émettre un vote éclairé (CA Paris, 26 juin 1990, précité). Cette dernière précision
est intéressante eu égard au présent litige. En effet, lors d'une première décision, la
Cour de cassation a refusé d'admettre que l'associé minoritaire Couvaud était
l'auteur d'un abus de minorité au motif qu'il lui manquait l'information adéquate
pour se prononcer en connaissance de cause sur l'augmentation de capital en
question 5 . La conscience d'empêcher l'adoption d'une mesure indispensable faisait
donc défaut.
On notera enfin qu'une nouvelle fois la décision de la Cour est rendue au visa de
l'article 1382 du Code civil et non à celui d'un texte du droit des sociétés, tel l'article
1833 du Code civil visant la préservation de « l'intérêt commun des associés ». Il est
vrai que l'article 1382 rattaché au droit de la responsabilité civile attribue une grande
marge d'initiative au juge, notamment quant au choix de la réparation adéquate. A
cet égard, l'arrêt rapporté est particulièrement révélateur de la liberté d'appréciation
des modalités de la sanction d'un abus de minorité.
Ayant abusé de son droit de vote, le minoritaire Couvaud doit être condamné à
réparer le préjudice subi par la société et les majoritaires. Après les sanctions
préconisées par l'arrêt Flandin, la cour était particulièrement attendue sur la
question. Et, fidèle à la solution qu'elle avait exprimée en 1993, la Chambre
commerciale approuve la cour de Riom d'avoir suivi scrupuleusement ses
recommandations en procédant à la désignation d'un mandataire chargé de
représenter le minoritaire fautif et de voter lors d'une prochaine assemblée générale
en ses lieu et place le principe de l'augmentation de capital. Quant à la réparation de
l'abus par l'allocation de dommages et intérêts, elle est repoussée, tant en appel que
devant la Cour de cassation, faute pour la société demanderesse d'établir la réalité
du préjudice financier invoqué. Par cet arrêt du 5 mai 1998, la Cour précise donc sa
conception en matière de sanction d'un abus de minorité.
La sanction prononcée laisse croire que les hauts magistrats, comme les juges du
fond ont préféré choisir un mode de réparation non pécuniaire propre à replacer la
victime dans la situation antérieure à l'acte dommageable du minoritaire et à tarir
ainsi la source du dommage invoqué 6 . De fait, la désignation du mandataire chargé
de voter à une nouvelle assemblée dans le sens de la survie de la société apparaît
comme un mode de compensation adéquat du préjudice. Cette préférence pour une
réparation en quelque sorte « en nature » peut se déduire de la démarche des juges
qui n'ont même pas estimé utile d'ordonner des mesures d'instruction
complémentaires, ainsi que les réclamait la société dans le pourvoi principal, aux
fins d'établir la réalité du préjudice financier (NCPC, art. 143 et 144). Il est vrai, du
reste, que le versement d'une indemnité n'est guère adapté à la réparation du
préjudice subi par la société menacée de dissolution par l'attitude du minoritaire 7 .
d'une dissolution anticipée que l'absence de lien direct entre les frais financiers
allégués par SAAM et le vote de blocage du minoritaire que critique la Cour de
cassation et avant elle la cour de Riom.
Laurent Godon
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Document 3
L'administration provisoire
Note sous Cour de cassation (com.) 25 janvier 2005, Société Majestic MNC
Vu les articles L. 223-18 du code de commerce et 873, alinéa 1er, du nouveau code
de procédure civile ;
Attendu selon l'arrêt attaqué que la société à responsabilité limitée Majestic hôtel
(la société), dont le gérant, M. Jean-Pierre Laugier, est titulaire avec son épouse et
ses enfants de 80 % du capital social, exploitait un hôtel à Nîmes ; qu'au cours
d'une assemblée générale extraordinaire tenue le 5 avril 1999, la cession de ce
fonds de commerce a été décidée par la majorité des actionnaires, seul M. Alain
Laugier, frère du gérant et détenteur de 10 % du capital social, s'étant opposé à
cette décision ; que reprochant au gérant de ne pas avoir réuni les assemblées
générales depuis 1990, de ne pas avoir communiqué et fait approuver les comptes
sociaux, d'avoir considéré qu'il pouvait s'affranchir des obligations légales et
statutaires au motif qu'il détenait directement ou indirectement la majorité du
capital social, et d'avoir obtenu abusivement l'accord de l'assemblée générale de la
société pour vendre le fonds sans donner aux associés, et notamment au
minoritaire, toutes informations utiles concernant la valeur du fonds, le prix
projeté et l'économie de l'opération, M. Alain Laugier a fait assigner la société en
référé devant le président du tribunal de commerce afin d'obtenir la désignation
d'un « administrateur provisoire » chargé de convoquer une assemblée générale
appelée à autoriser la vente du fonds avec indication d'un prix minimum ou
déterminé à dire d'expert ; que cette demande a été accueillie par une ordonnance
du 19 mai 1999, alors que le fonds avait été vendu par le gérant le 4 mai 1999 ;
que le 4 juin 1999, le gérant a convoqué les associés à une assemblée générale
ordinaire et à une assemblée générale extraordinaire devant se tenir le 29 juin
suivant, pour statuer sur les comptes annuels, et modifier l'objet social désormais
consacré à la numismatique, la cartophilie et la marcophilie ; que M. Alain Laugier
a saisi, le 15 juin 1999, le président du tribunal de commerce sur requête afin de
voir la mission de « l'administrateur provisoire » étendue à l'administration
provisoire de la société, d'obtenir l'annulation des convocations aux assemblées du
29 juin et de toutes les décisions qui pourraient y être prises ; que cette demande a
été accueillie par une ordonnance du 17 juin 1999, dont la société a sollicité la
rétractation, mais qui a été confirmée en toutes ses dispositions par une nouvelle
ordonnance de référé du 25 août 1999 ; que la société a, en outre, formé appel des
trois ordonnances précitées ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
M. Tricot, prés. ; Mme Gueguen, cons. référendaire rapp. ; M. Métivet, cons. doyen ; M.
Viricelle, av. gén. ; SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier, av.
Note
1. L'absence ou la défaillance des organes sociaux constituent les motifs classiques
de désignation d'un administrateur provisoire. Or, de plus en plus, la nomination
d'un administrateur provisoire permet également de résoudre un conflit entre
associés. Il s'agit ici d'un des traits les plus marquants de la jurisprudence de ces
dernières années. En effet, depuis la célèbre décision Fruehauf de la Cour d'appel
de Paris du 22 mai 1965 (1), les juges reconnaissent la possibilité de désigner un
administrateur provisoire, à la demande des minoritaires. Mais c'est surtout dans
une période récente que les décisions en la matière se sont multipliées. Si cette
extension jurisprudentielle concrétise une attitude plus ouverte en faveur de
l'admission d'un administrateur provisoire, il n'en demeure pas moins que les
tribunaux veillent à ce que l'intérêt social soit toujours en jeu. On constate,
effectivement, que les minoritaires demandent souvent la nomination d'un
administrateur provisoire lorsqu'ils sont en désaccord avec la politique suivie par
les dirigeants majoritaires. Ils pourraient certes invoquer l'abus de majorité, et cela
semble plus logique, mais le droit de désigner un administrateur provisoire, dans
cette hypothèse, puisqu'il est désormais consacré par les tribunaux, constitue une
arme beaucoup plus redoutable vis-à-vis des dirigeants qui voient peser sur eux la
terrible menace d'être destitués de leurs fonctions. Une telle mesure ne manquera
pas d'ailleurs de porter atteinte à leur honneur et à leur réputation. Il est par
conséquent indispensable que la demande de désignation soit strictement encadrée
afin d'éviter qu'elle ne devienne un instrument au service des actionnaires
minoritaires pour contester la politique sociale régulièrement menée par les
majoritaires. La décision de la Chambre commerciale du 25 janvier 2005, tout en
rappelant ces principes, est riche d'enseignements.
Dans une première demande, qui fut accueillie, l'associé minoritaire sollicita la
désignation d'un « administrateur provisoire » (3) chargé de convoquer une
assemblée appelée à autoriser la vente du fonds avec indication d'un prix
minimum ou déterminé à dire d'expert. Or depuis un mois, le fonds avait déjà été
vendu. Le gérant se contenta de convoquer une assemblée afin de modifier, par
une décision extraordinaire, l'objet social désormais consacré à la numismatique, la
cartophilie et la marcophilie. Le minoritaire, dans une deuxième demande, saisit
alors le président du tribunal de commerce sur requête pour voir la mission de «
l'administrateur provisoire » étendue à l'administration de la société et afin
d'annuler toutes les décisions qui pourraient être prises au cours de cette deuxième
assemblée. L'ordonnance, qui accueillit cette demande et qui désigna un
administrateur avec pour « mission d'administrer et de gérer la société jusqu'à ce
qu'il soit mis fin à tout litige ou mésentente entre associés », fut confirmée par les
juges d'appel. Or, au visa des articles L. 223-18 du code de commerce et 873
alinéa 1er du nouveau code de procédure civile, la Cour de cassation opéra une
cassation partielle (seule la deuxième ordonnance étant annulée) au motif que « la
désignation d'un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle, qui
suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le
fonctionnement anormal de la société, et menaçant celle-ci d'un dommage
imminent ».
11. La Cour de cassation estimant, dans cette décision, non réunies les conditions
relatives au fonctionnement anormal de la société et à l'existence d'un dommage
imminent, il restait alors à se demander si la désignation d'un administrateur
provisoire aurait pu être justifiée par la seule atteinte à l'intérêt social.
16. Ce mandataire n'est pas une notion inconnue en droit des sociétés puisque L.
223-27 et L. 225-103 du code de commerce précisent que peuvent être désignés
en justice des mandataires chargés de convoquer une assemblée générale ou une
assemblée spéciale (l'article L. 235-7 du code de commerce visant, quant à lui, le
mandataire qui a pour mission d'accomplir la formalité de publicité omise ou
irrégulièrement opérée par les représentants légaux de la société). Le mandataire
devra alors convoquer l'assemblée et il devra également en assurer la tenue dans
des conditions régulières. En dehors de ces hypothèses légales, le juge peut
décider de la désignation d'un mandataire ad hoc, la jurisprudence rappelant que le
mandataire ad hoc ne dessaisit pas les dirigeants sociaux qui continuent d'exercer
toutes leurs attributions (25). Le juge lui confie ainsi une mission ponctuelle :
convoquer une assemblée (26) ; assister le conseil d'administration pour mettre fin
à un conflit (27) ; vérifier des comptes (28). Si le mandataire ad hoc doit convoquer
une assemblée générale, il peut prendre part au vote et voter dans l'intérêt social
au cas où sa mission, et plus précisément le sens de son vote, ne sont pas
spécifiquement délimités et que l'absence de vote entraînerait un blocage de la vie
sociale (29).
17. Par conséquent, la seule possibilité qui s'offrait en l'espèce au juge consistait à
désigner un mandataire chargé de convoquer une assemblée afin que des décisions
fussent prises quant à la modification de l'objet social et que toutes informations
utiles fussent fournies à l'ensemble des associés.
19. Le conflit entre associés, sans qu'il ait réellement des répercussions sur le
fonctionnement normal de la société, peut exceptionnellement justifier la
nomination d'un administrateur provisoire. Il en est ainsi lorsque, par exemple, il
nuit dangereusement à l'image de marque de la société dans son secteur d'activité.
Il s'agissait, ici, d'une société de haute couture et la révélation des dissentiments
entre le minoritaire, ex-dirigeant, ancien propriétaire des marques et créateur de
collection et le majoritaire pouvait nuire gravement à l'image de marque de la
société. Mais cela implique alors que la preuve soit rapportée que l'intérêt social
est gravement compromis. En effet, à la lecture de certaines décisions, on a pu
considérer que cette dernière condition était autonome. L'arrêt Fruehauf (30) est
d'ailleurs le premier à admettre qu'une politique nuisible à l'intérêt social pouvait
justifier la désignation d'un administrateur alors que la société fonctionnait
normalement. En effet, dans cette affaire, la direction de la société fonctionnait
dans des conditions normales. Or le respect de la décision prise par la majorité du
conseil d'administration aurait mené la société à déposer son bilan. Ce sont donc
les conséquences de la décision qui ont justifié la nomination d'un administrateur
provisoire car la décision de la direction mettait de manière évidente en péril la
société (31).
20. Si donc la preuve est rapportée que l'intérêt social est gravement compromis,
la jurisprudence peut tolérer qu'il s'agisse d'une condition autonome (32). Ainsi,
dans la décision de la troisième civile du 27 février 2001 (33), les organes sociaux
n'étaient pas paralysés : la gérante avait parfaitement le pouvoir de régler des
créances importantes de la société ; un seul associé pouvait valablement approuver
les comptes lors de l'assemblée puisque selon les statuts, l'assemblée pouvait
valablement délibérer, quel que soit le nombre de parts représentées. Pourtant,
même si la condition de blocage n'était pas remplie, les tribunaux ont admis la
désignation d'un administrateur provisoire. En effet, en l'espèce, il y avait péril en
la demeure car la gérante violait gravement l'intérêt social : face à la situation
déficitaire de la société, la gérante s'était contentée de régler des créances
importantes à des sociétés, dans lesquelles elle avait des intérêts personnels.
21. Dans notre affaire, la Chambre commerciale, on l'a vu, ne se contente pas de
conditions alternatives mais cumulatives. La seule mise en péril des intérêts
sociaux ne saurait donc suffire. La jurisprudence récente est en ce sens : en effet,
dans les dernières décisions, les juges exigent, en plus de la preuve de l'existence
d'une mise en péril de l'intérêt social, celle du caractère anormal du
fonctionnement de la société (34).
23. Il restait alors une dernière arme entre les mains du minoritaire : prouver
l'abus de majorité. En effet, on a vu que la modification de l'objet social avait été
décidée, en toute légalité, par l'assemblée. La loi de la majorité impliquait donc que
les minoritaires se soumettent à la décision de l'assemblée, celle-ci étant seule
maître pour décider si la mesure exceptionnelle envisagée est adéquate et
inévitable. Invoquer l'abus de majorité impliquait de prouver que la délibération
de l'assemblée générale extraordinaire avait été adoptée « contrairement à l'intérêt
social et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au
détriment de la minorité ». Ainsi, a été considéré comme un abus de majorité le
fait de changer totalement d'objet social afin d'apporter à une autre société, dont
seuls sont membres les associés majoritaires, un fonds de commerce, activité
essentielle et prospère de la première société (40). Dans notre affaire, l'abus de
majorité n'a pas été invoqué par l'associé minoritaire. Mais force est de constater
que la demande aurait eu peu de chance d'aboutir dans la mesure où l'abus est
subordonné à l'existence d'une décision contraire à l'intérêt social. Or, selon la
Cour de cassation, les juges du fond n'avaient pas ici constaté l'existence d'un
dommage imminent pour la société. Implicitement, c'était considérer que la
modification de l'objet ne compromettait pas l'intérêt social. Peut-être alors le juge
aurait-il pu désigner un enquêteur conciliateur. Qualifié par certains d'«
administrateur aux petits pieds » (41), cet enquêteur aurait été chargé de faire un
rapport sur les causes de la crise, sur la situation du groupement et inviter les
parties, sous sa médiation, à trouver une solution amiable (42).
(2) L'arrêt commet ici un double abus de langage. D'une part, il est question
d'assemblées générales ordinaires et extraordinaires. Or, s'agissant d'une SARL, et
non d'une société anonyme, il semble plus adéquat d'opérer une distinction entre
les assemblées suivant qu'elles adoptent des décisions ordinaires ou
extraordinaires. D'autre part, on comprendra que la cession du fonds de
commerce a été décidée par la majorité des associés, et non par celle des
actionnaires.
(4) Cass. com. 3 juillet 1984, Rev. sociétés 1985, p. 628, note P. Didier ; CA Paris
5 octobre 1988, Bull. Joly 1988, § 307, p. 936.
(5) Cass. com. 5 janvier 1976, Bull. civ. IV, n° 4; Rev. sociétés 1976, p. 635, note
M. Guilberteau.
(6) Trib. com. Toulouse 24 mai 1972, D. 1973, p. 196, 2e esp., note D. Schmidt ;
Rev. sociétés 1973, p. 83, 2e déc., note C. de Buttet.
(7) Cass. com. 3 mai 2000, Bull. Joly 2000, § 194-195, p. 811, note P. Le Cannu.
(8) Bull. Joly 1989, § 333, p. 965, note D. L. ; D. 1989, IR, p. 288.
(9) V. également CA Paris 5 octobre 1988, Bull. Joly 1988, p. 936; RTD com.
1989, p. 86, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.
(10) Rev. sociétés 1989, p. 209, note Y. Guyon ; Bull. Joly 1989, p. 321, note Y.
Chartier.
(11) note sous Cass. com. 17 janvier 1989, Rev. sociétés 1989, p. 209.
(12) V. Cass. com. 24 mai 1994, Bull. Joly 1994, § 211, p. 789 ; RJDA 1994, n°
1031 et 1035 ; Dr. sociétés 1995, comm. 3, note Th. Bonneau ; CA Paris 22
novembre 1996, Dr. sociétés 1997, comm. 47, obs. D. Vidal ; Trib. com. Paris 30
avril 2002, Gaz. Pal. 2003, p. 27.
(13) Cass. com. 26 avril 1982, Bull. civ. IV, n° 136 ; Cass. com. 24 mai 1994, Bull.
Joly 1994, p. 789 ; RJDA 1994, n° 1031 et 1035 ; Dr. sociétés 1995, comm. n° 3,
note Th. Bonneau.
(14) Cass. com. 23 mars 1981, Rev. sociétés 1981, p. 784, note J.-L. Sibon.
(16) CA Toulouse 13 septembre 1999, Dr. sociétés 2000, n° 44, p. 16, obs. D.
Vidal ; v. également Cass. com. 3 juillet 1984, Rev. sociétés 1985, p. 628, note P.
Didier.
(17) Cass. com. 26 avril 1982, Rev. sociétés 1984, p. 93, note J.-L. Sibon ; JCP
1982, IV, 239 ; CA Rouen, 19 mars 1974, Rev. sociétés 1974, p. 718, note J.-J.
Burst.
(18) Cass. com. 7 janvier 2004, n° 01-10.034, inédit ; Cass. 1re civ. 11 janvier 2005,
n° 01-13.936, inédit.
(19) CA Douai 18 janvier 1980, D. 1980, IR, p. 440 ; CA Paris 22 novembre 1996,
Dr. sociétés 1997, comm. n° 47, obs. D. Vidal ; CA Paris 5 septembre 1997, Bull.
Joly 1998, § 3, p. 18, note J. J. Daigre ; JCP E 1997, I, 710, spéc. n° 3, obs. A.
Viandier ; CA Toulouse 13 septembre 1999, Dr. sociétés 2000, n° 44, p. 16, obs.
D. Vidal ; CA Paris 27 octobre 1999, Bull. Joly 2000, § 65, p. 338, note B.
Saintourens.
(20) Cass. com. 3 juillet 1984, Bull. civ. IV, n° 210; JCP 1984, IV, 296, Rev.
sociétés 1985, p. 628, note P. Didier ; Cass. com. 26 novembre 1996, RJDA 1997,
n° 210.
(21) V. CA Paris 5 novembre 2003, Bull. Joly 1994, § 6-7, p. 59. En d'autres
termes, la mésentente doit provoquer une crise grave au sein de la société : v. CA
Paris 26 juillet 1991, Rev. sociétés 1991, p. 826 ; CA Paris 17 mars 1999, Bull. Joly
1999, § 182, note P. Scholer.
(22) CA Paris 29 novembre 2002, Bull. Joly 2002, § 110-111, p. 554, obs. P.
Scholer.
(23) CA Paris 27 octobre 1999, Bull. Joly 2000, § 65, p. 338, note B. Saintourens.
(25) Cass. com. 14 février 1989, JCP 1989, IV, 143 ; Rev. sociétés 1989, p. 633,
note D. Randoux.
(26) V. Cass. com. 13 novembre 2003, n° 99-19.201, inédit ; fixer un ordre du jour
; voter à la place d'un associé défaillant (Cass. com. 9 mars 1993, Bull. Joly 1993, §
152, p. 537, note P. Le Cannu ; Dr. sociétés 1993, n° 95, obs. H. Le Nabasque).
(27) CA Paris 7 juin 1990, D. 1990, IR, p. 194 ; Bull. Joly 1990, § 222, p. 760, note
P. Le Cannu.
(28) CA Paris 14 juin 1994, Bull. Joly 1994, p. 1228 ; BRDA 1994, n° 15-16, p. 4 ;
RJDA 1994, n° 1025, p. 808.
(29) Arrêt Flandin, Cass. com. 9 mars 1993, Rev. sociétés 1993, p. 403, note Ph.
Merle ; Bull. Joly 1993, § 152, p. 537, obs. P. Le Cannu ; JCP E 1993, p. 547, obs.
A. Viandier ; D. 1993, p. 541, note sous A. Couret.
(32) Pour une société qui connaissait des difficultés financières, v. Cass. 3e civ. 15
novembre 1995, n° 93-13.451, inédit ; CA Paris 3 avril 1998, Bull. Joly 1998, §
361-362, p. 1185, note Th. Granier ; CA Paris 14 mai 1999, RTD com. 1999, p.
680, obs. C. Champaud et D. Danet ; Bull. Joly 1999, § 203-204, p. 866, obs. P.
Scholer ; TGI Carpentras, ord. référé, 12 janvier 2000, RTD com. 2001, p. 155,
obs. J.-P. Chazal et Y. Reinhard ; CA Paris 5 septembre 1997, Bull. Joly 1998, § 3,
p. 18, note J.-J. Daigre ; CA Versailles 18 juin 1998, RTD com. 1999, p. 124, obs.
Cl. Champaud et D. Danet
(34) V. Cass. com. 25 juin 2002, n° 00-17.497, inédit ; Cass. com. 7 janvier 2004,
n° 01-10.034, inédit ; Cass. com. 9 juin 2004, n° 02-19.858, inédit.
(39) CA Lyon 1er février 1892, Journ. Sociétés 1893, p. 515 ; Cass. com. 23 mars
1971, Bull. civ. IV, p. 83.
(40) V. CA Lyon 29 janvier 1970, JCP 1971, II, 16606, note Bernard ; Y. Chaput,
De l'objet social des sociétés commerciales, th. Clermont-Ferrand, 1973, spéc. n° 88.
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Document 4
L'essentiel
La Cour,
Considérant qu'il ressort des écritures et des pièces versées aux débats que la
société Socpresse, dépendant du Groupe Dassault, a décidé de mettre en vente, au
début de l'année 2005, la société Delaroche et ses filiales, propriétaires d'un grand
nombre de titres de presse régionale du sud-est de la France, dont le Progrès et le
Dauphiné libéré ;
Qu'un contrat de cession a été établi le 10 avril 2006 au profit d'une société Est
Bourgogne Rhône Alpes (Ebra) constituée par la société l'Est Républicain et le
Crédit Mutuel, sous la condition suspensive de l'autorisation du ministre de
l'Economie, s'agissant d'une opération de concentration soumise à cette formalité
par les articles L. 430-1 et suivants du code de commerce ;
Que le groupe Hersant, qui, par sa filiale la société Grande chaudronnerie Lorraine,
détient 27 % du capital social de la société l'Est Républicain avec la famille Lignac
laquelle détient, au travers de la société Renaudot Investissements (SRI), 34% de ce
capital, s'est désolidarisé de l'opération ;
Que le ministre ayant autorisé l'opération le 17 mai 2006, l'acquisition par Ebra de
la société Delaroche a été réalisée le 8 juin 2006 ;
Que, sur le recours de la société France Antilles devenue Groupe Hersant Média
(GHM) (ci-après groupe Hersant), la décision du 17 mai 2006 du ministre de
l'Economie, des Finances et de l'Industrie a été annulée par arrêt du Conseil d'Etat
du 31 janvier 2007 ;
Que par ailleurs, pour participer à la constitution de la société Ebra, les consorts
Lignac ont dénoncé, le 14 février 2006, le pacte d'actionnaires du 30 avril 1997 qui
les liait à la filiale du groupe Hersant ; que, saisi par le groupe Hersant, le président
du tribunal de grande instance de Paris, après avoir tenté en vain de rapprocher les
parties, a ordonné la suspension des effets de cette dénonciation et des
modifications statutaires adoptées le 27 mars 2006 jusqu'à décision définitive des
juges du fond, par ordonnance du 15 décembre 2006 soumise à la cour par une
procédure distincte plaidée le même jour ;
Que c'est dans ces conditions que le groupe Hersant a saisi le juge des référés du
tribunal de commerce d'une demande en désignation d'un administrateur provisoire
pour les sociétés Ebra et Delaroche et que l'ordonnance entreprise a été rendue ;
que, postérieurement, une nouvelle demande d'autorisation a été adressée au
ministre de l'Economie qui a décidé de saisir le Conseil de la concurrence pour avis
;
Considérant qu'au soutien de leur recours, les appelantes font valoir que
l'annulation de l'autorisation du ministre de l'Economie et des Finances fait peser
de graves incertitudes sur le devenir de la société Ebra et du groupe Delaroche,
puisque le transfert des actions et le paiement du prix sont intervenus alors que
l'autorisation ministérielle, condition nécessaire à la réalisation de l'opération
n'existe plus ; que, tant qu'une nouvelle décision du ministre n'est pas
définitivement acquise, l'opération devrait être suspendue et ne produire aucun
effet afin de permettre d'assurer la remise en l'état antérieur à la concentration qui
serait la conséquence d'un refus parfaitement possible et plausible des autorités
compétentes en matière de contrôle des concentrations ; que seule, la désignation
d'un mandataire de justice dans l'attente d'une décision définitive est susceptible de
limiter les effets pouvant être négatifs de cette situation inédite, d'en réduire les
incertitudes et de préserver les intérêts de toutes les parties en cause ;
Considérant que les sociétés intimées opposent une fin de non-recevoir tirée du
défaut de qualité et d'intérêt à agir des sociétés du groupe Hersant ;
Considérant que la société GHM n'est associée dans aucune d'elles ; qu'elle n'a
donc aucun lien de droit direct avec ces sociétés ;
Que sa qualité d'actionnaire de l'Est Républicain, ne lui permet pas d'exercer les
droits que cette société détient dans la société Ebra pour demander la nomination
d'un administrateur provisoire auprès de ladite société ; qu'elle ne peut non plus se
substituer au représentant légal de la société Ebra pour exercer le droit appartenant
à celle-ci de faire nommer un mandataire judiciaire pour la société Delaroche dont
elle est actionnaire ;
Que sa qualité de partie au pacte d'actionnaires signé le 30 avril 1997 avec la famille
Lignac ne lui donne pas plus le droit de s'immiscer dans la gestion des sociétés
Ebra et Delaroche pour la sauvegarde de ses intérêts propres que les dites sociétés
n'ont pas vocation à assurer ; qu'au demeurant, les droits qu'elle détient en vertu de
ce pacte se trouvent préservés par la suspension des effets de sa dénonciation par
les consorts Lignac prononcée par l'ordonnance de référé du 15 décembre 2006
confirmée par la cour selon arrêt de ce jour ;
Qu'ainsi la société GHM et ses filiales n'ont pas qualité à solliciter la désignation
d'un administrateur provisoire des sociétés Ebra et Delaroche ni celle d'un
administrateur ad hoc auquel elles voudraient que soient conférés des pouvoirs
d'ingérence quasiment identiques dans le fonctionnement de ces sociétés ;
Qu'elles n'ont pas enfin qualité à demander le séquestre des actions Delaroche
cédées à Ebra, le droit de demander cette mesure conservatoire appartenant aux
représentants légaux des sociétés parties à la cession ;
Considérant que les appelantes qui échouent en leur recours et à qui incombe la
charge des dépens seront condamnées à payer à la Socpresse la somme de 5 000 €
et aux autres intimés ensemble la somme de 10000 € en application de l'article 700
du nouveau code de procédure civile ;
Statuant à nouveau :
1. Cet arrêt de la Cour d'appel de Paris ne saurait passer inaperçu. S'il porte sur le
thème récurrent des conditions de désignation d'un administrateur provisoire pour
résoudre une situation de crise grave au sein d'une société, son intérêt est de
préciser quelles sont les personnes qui, au sein d'un groupe de sociétés, ont qualité
pour agir en vue d'obtenir une telle nomination dans l'une des sociétés groupées. Il
est inutile d'insister sur l'importance de la question de savoir si les organes d'une
société membre d'un groupe sont admis à requérir la mise sous administration
provisoire d'une autre société du groupe, toute autre condition réunie par ailleurs.
Dès lors, au sein d'un groupe de sociétés, il est aisé de comprendre que les
différents liens existant entre les sociétés membres puissent parfois fonder l'intérêt
des dirigeants ou des associés de l'une d'elles à s'intéresser de près aux affaires d'une
autre, surtout si cette autre est une société contrôlée placée sous domination. Un
remarquable exemple de la prise en compte de la dimension du groupe peut être
rapporté par la décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation
d'admettre la recevabilité d'une action sociale ut singuli exercée par l'actionnaire
minoritaire d'une société mère à l'encontre des dirigeants d'une filiale auteurs d'abus
de biens sociaux (3).
C'est précisément cette prise en compte d'une certaine communauté d'intérêts qui a
aussi conduit la Chambre commerciale à consacrer, il y a longtemps maintenant,
l'administration provisoire « de groupe » (4).
La décision de la cour d'appel impose par conséquent l'exigence d'un lien « direct »
entre le demandeur et la société devant accueillir la mesure sollicitée. Encore faut-il
s'entendre sur la notion de « lien direct », pour le moins susceptible de multiples
interprétations.
6. L'on peut se féliciter ici que les magistrats parisiens aient apporté des
éclaircissements sur le sens de cette expression qui détermine rien moins que la
qualité à agir du demandeur.
Et les juges du fond d'ajouter que le fait que la société mère soit actionnaire dans la
filiale, et non dans la sous-filiale, ne lui permet pas d'exercer au sein de cette
dernière les droits conférés par la qualité d'associé pour demander la nomination
d'un administrateur provisoire, ni de se substituer au représentant de la sous-filiale
pour exercer le droit appartenant à celle-ci de faire nommer cet administrateur.
Dès lors, au terme de cette analyse, la demande formulée par une société associée «
indirecte » n'avait de chance d'être accueillie, faute pour celle-ci d'être
personnellement et directement associée de la société susceptible d'accueillir
l'administrateur judiciaire. L'existence d'un lien de droit « indirect » est donc jugée
manifestement insuffisante pour fonder un intérêt à agir. Le demandeur qui ne peut
arguer que d'un tel lien l'unissant à la société concernée apparaît même aux yeux
des magistrats de la Cour d'appel de Paris comme « un tiers dépourvu de lien de
droit avec la société concernée » et, pour cette raison, privé du droit d'exercer une
demande d'administration provisoire.
Force est alors de constater que la notion de lien direct, seule susceptible de fonder
la qualité et l'intérêt à agir, est étroite et qu'elle ne permet pas, comme en l'espèce, à
une personne détentrice d'une participation indirecte dans une société, par
l'entremise d'une autre société, de formuler une demande de nomination d'un
administrateur provisoire. A l'évidence, une telle conception réduit
considérablement le nombre des demandeurs potentiels (5).
7. La solution affirmée dans l'arrêt sous examen marque probablement un recul par
rapport à la position adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 5 février
1985 (6).
9. De surcroît, l'exigence d'un lien de droit direct fondé sur l'état d'associé conduit
également à s'interroger sur les chances d'un associé minoritaire d'une société mère
d'obtenir la désignation d'un administrateur provisoire au sein d'une filiale dans la
mesure où c'est évidemment la société mère, et non lui-même, qui se trouve être
associée de la filiale. Pourrait-il, à tout le moins, agir ut singuli ?
10. Quant à l'expression « lien de droit direct », elle est évidemment ambiguë. Aux
termes de l'arrêt, la notion semble devoir être reliée à la qualité d'associé («
considérant que la société GHM [société mère] n'est associée dans aucune d'elles [les
sociétés visées par la mesure] ; qu'elle n'a donc aucun lien de droit direct avec ces
sociétés »).
Au-delà, le lien de droit évoqué peut-il s'entendre d'un lien « contractuel » ? Dans
l'éventualité où les problèmes d'exécution d'un contrat peuvent justifier la
nomination d'un administrateur provisoire, l'hypothèse n'est pas inenvisageable,
surtout au moment où la notion de domination contractuelle, « exercée en vertu
d'un contrat ou de clauses statutaires », a fait son entrée dans la définition du
contrôle telle qu'elle résulte de l'article L. 233-16 du code de commerce. Il reste que
la lecture du présent arrêt n'incline pas à la prise en compte d'un simple lien
contractuel pour fonder la qualité à agir du cocontractant, sauf si ce dernier revêt
simultanément le statut d'associé ou celui de membre d'un organe social, ainsi qu'il
a été vu. Cependant, le rejet du lien « contractuel » n'apparaîtrait-il pas alors en
contradiction avec les décisions ayant accordé à de simples créanciers le droit d'agir
en désignation d'un administrateur provisoire (7) ?
11. Au final, c'est une conception assurément restrictive qui ressort de l'arrêt
commenté. Celle-ci paraît pouvoir être expliquée par la particulière gravité de la
mesure en cause qui implique un dessaisissement des organes légaux de gestion et
un risque de discrédit jeté sur la société. Une comparaison suggestive peut d'ailleurs
être effectuée avec le dispositif, distinct, de l'expertise de gestion (C. com., art. L.
225-231).
Cette autre mesure de protection de l'intérêt social est elle-même soumise à des
conditions de mise en œuvre très rigoureuses (8) compte tenu de l'effet
perturbateur qui résulte des investigations menées au sein d'une société et qui sont
destinées à mettre en lumière la réalité de la gestion des dirigeants ainsi mis en
cause. Ce risque n'a pourtant pas dissuadé le législateur d'étendre le dispositif de
l'expertise de gestion à l'intérieur des groupes de sociétés, en le restreignant
toutefois strictement puisque l'expertise ne peut être mise en œuvre qu'au sein de
sociétés « contrôlées » (9). Il reste qu'un lien de contrôle direct ou indirect suffit
dans la mesure où le contrôle retenu par la loi est celui défini à l'article L. 233-3 du
code de commerce. En conséquence, rien n'interdit à l'actionnaire minoritaire d'une
société contrôlante de solliciter l'expertise d'une opération de gestion décidée par
les organes d'une société indirectement contrôlée (sous-filiale) envers laquelle le
demandeur comme la société dont il est membre sont juridiquement des tiers.
Replacé dans cette perspective, le présent arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris
peut donc être interprété comme un refus d'accorder à un tiers un droit
d'intervention dans la gestion d'une société par la mise en oeuvre d'une mesure
d'administration provisoire dont les effets envers la société mise en quelque sorte
sous « tutelle », ainsi qu'envers ses dirigeants et associés, sont beaucoup plus graves
que ceux résultant d'une expertise de gestion.
(3) Crim. 4 avr. 2001, D. 2002. 1475, note E. Scholastique ; JCP E 2001. 1817, note
J.-H. Robert.
(4) Com. 5 févr. 1985, Bull. civ. IV, n° 44 ; JCP 1985, n° 20492, note A. Viandier. :
"Une société actionnaire minoritaire d'une autre société, dont le président faisait
l'objet de poursuites pénales, est recevable et bien-fondée à faire désigner un
administrateur provisoire non seulement à cette société mais aux autres sociétés du
groupe auquel elle appartient
(5) V. infra, n° 8.
(6) V. références nbp 4.
(7) V. nbp 2.
(8) L. Godon, v° Expertise de gestion, Rép. Dalloz Sociétés.
(9) C. com., art. L. 225-231, tel que remanié par la loi sur les nouvelles régulations
économiques du 15 mai 2001.
(10) Com. 5 févr. 1985, préc.
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Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 juin 2017), rendu en référé, que
la SCI 27/33 Baie des Anges (la SCI) a été constituée entre Fernand S., associé
majoritaire et gérant de la société, et Mme C. ; que Mme C. épouse S. a ensuite été
désignée en qualité de co-gérante ; qu'à la suite du décès de Fernand S., ses trois
enfants nés de son union avec Mme C., Marc, Eric et Patricia, sont devenus nus
propriétaires indivis de ses parts, Mme C. en ayant l'usufruit ; que, faisant valoir
qu'ils n'avaient pas été informés de la tenue d'une assemblée générale au cours de
laquelle M. Marc S. avait été désigné en qualité de gérant unique de la SCI, Mme
Patricia S. et M. Eric S. ont assigné la SCI et Mme C. à l'effet d'obtenir la désignation
d'un administrateur provisoire avec mission de convoquer une assemblée générale
afin de désigner un nouveau gérant et d'examiner les comptes ; que Mme C. est
intervenue volontairement en première instance et M. Marc S. en appel ;
Attendu que M. Marc S. et la SCI font grief à l'arrêt de déclarer Mme Patricia S.
recevable en sa demande de désignation d'un administrateur provisoire, alors que,
selon le moyen, la qualité d'associé des indivisaires de parts sociales ne leur
accordant individuellement des droits d'associé que dans la mesure où l'exercice de
ceux-ci demeure compatible avec les droits des autres indivisaires, la demande de
nomination d'un administrateur provisoire est une mesure grave qui, conduisant à
dessaisir le gérant de ses pouvoirs de gestion de la société, ne peut pas être
présentée par un seul des indivisaires, associé minoritaire et qu'en se fondant sur la
qualité d'associé de Mme Patricia S. pour juger que cette associée minoritaire était
recevable à solliciter la désignation d'un administrateur provisoire de la SCI, la cour
d'appel a violé l'article 815-9 du code civil et 873 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant constaté que Mme Patricia S., nue propriétaire indivise de
droits sociaux, avait la qualité d'associée, la cour d'appel en a déduit à bon droit
qu'elle était recevable à agir en désignation d'un administrateur provisoire ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur
les deuxième et troisième branches du moyen, qui ne sont manifestement pas de
nature à entraîner la cassation ;
Rejette le pourvoi ;
M. Chauvin, prés. ; Mme Djikpa, cons. référendaire rapp. ; M. Maunand, cons. doyen ; MM. P.,
N., Bureau, Mmes F. N., G. B., MM. Jacques, Bech, cons. ; Mmes Guillaudier, Georget, Renard,
cons. référendaires, M. Brun, av. gén. ; SCP Potier de La Varde, Buk Lament et Robillot, SCP
Garreau, Bauer Violas et Feschotte Desbois, Me Laurent Goldman, av. ; M. Brun, av. gén.
Note
1. L'indivision est une situation très fréquente en pratique, ne serait-ce que parce
qu'elle peut être la conséquence d'une transmission successorale, comme dans
l'espèce ici rapportée (1). Chacun sait que cette figure de la propriété collective
aboutit à ce que les indivisaires soient titulaires de droits de même nature portant
sur des mêmes biens. Or, lorsque ces biens sont constitués de parts sociales ou
d'actions, l'indivision s'inscrit dans le cadre plus vaste des rapports à l'intérieur
d'une société, lieu d'exercice des droits sociaux. Dès lors, les règles de droit des
sociétés doivent trouver à s'articuler avec celles du régime légal de l'indivision
ordinaire. Et de fait, la situation est caractéristique d'une superposition de deux
groupements : celui constitué par la société au sein de laquelle chaque indivisaire se
voit reconnaître l'exercice de droits sociaux et celui constitué par l'indivision qui a
pour objet ces mêmes droits sociaux (2). Ces deux collectivités ne sont à l'évidence
pas nécessairement composées des mêmes personnes, bien d'autres pouvant
participer à la vie de la société sans être contraintes par l'existence d'une indivision,
ce qui est source de difficultés supplémentaires.
Cependant, le code civil, non plus que le code de commerce, ne contient des
dispositions qui déterminent de manière complète et détaillée les modalités
d'exercice des prérogatives attribuées à chaque indivisaire (3). Cette situation est
d'autant plus embarrassante que, précisément, la problématique principale du
régime de l'indivision des droits sociaux est relative à la façon dont l'indivisaire peut
mettre en oeuvre les prérogatives attachées aux parts ou actions indivises. Car si
l'indivisaire dispose assurément de la qualité d'associé (4), il subit néanmoins une
restriction de l'exercice des droits liés à cette qualité en raison du fait, qu'à l'égard
des autres coindivisaires, il ne peut se voir attribuer des droits exclusifs sur les parts
sociales ou actions indivises qui sont l'objet d'une véritable propriété commune,
mais uniquement des droits concurrents. Il s'ensuit que la question essentielle est de
savoir quelles sont parmi les multiples prérogatives inhérentes à la qualité d'associé
celles qu'un indivisaire est autorisé à initier seul par dérogation au principe
d'unanimité voire, depuis la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des
successions et libéralités, par dérogation aux possibilités d'une majorité qualifiée (5).
Cette question étant ignorée par le législateur dans la plupart des cas, c'est sans
surprise au juge qu'est revenu le soin d'apporter, au cas par cas, les solutions
attendues. Le présent arrêt rendu le 17 janvier 2019 rejoint ainsi la liste des
décisions venues compléter le régime de l'indivision portant sur des droits sociaux
en déterminant les actes qu'un indivisaire est admis à accomplir individuellement
ou, au contraire, collectivement avec l'accord de ses coindivisaires. L'affaire
rapportée est d'un intérêt particulier en ce que, pour la première fois, la Cour est
conduite à se prononcer sur le droit d'agir en désignation d'un administrateur
provisoire, ce qui justifie que l'arrêt soit soumis à la plus large publicité.
Pour autant, cet arrêt n'emporte pas pleinement l'approbation car si la recevabilité
de la demande judiciaire de désignation d'un administrateur provisoire est
incontestable (I), il en va différemment du bien-fondé de cette demande qui suscite
davantage de réserves (II).
4. Dès lors que le nu-propriétaire indivis de droits sociaux est considéré comme un
associé, il est recevable à agir en désignation d'un administrateur provisoire. Tel est
l'enseignement de cet arrêt de principe qui établit, fermement, une telle corrélation.
Que la qualité d'associé fonde le droit d'agir, nul n'en a jamais douté au regard de
l'intérêt qu'à le demandeur dans la société. Pour autant, la formulation choisie par la
troisième chambre civile de la Cour de cassation ne doit pas laisser croire que
l'action dont il est ici question serait une action attitrée, réservée à ceux qui
possèdent la qualité d'associé. En effet, parce que cette mesure d'origine purement
prétorienne ne se fonde sur aucun texte, elle n'est expressément attribuée à aucune
personne en particulier mais a priori à toute personne qui se prévaut d'un intérêt
légitime (C. pr. civ., art. 31) (6). Néanmoins, la volonté de canaliser l'immixtion du
juge dans la vie des sociétés conduit la jurisprudence à apprécier, au-delà de l'intérêt
à agir du requérant, l'utilité véritable de l'intervention d'un administrateur provisoire
dont on rappelle qu'elle constitue une mesure grave qui s'inscrit, comme on le
verra, dans un contexte de crise qui affecte dangereusement le fonctionnement de
la société, en menaçant celle-ci d'un péril imminent.
7. Cependant, même sans le dire, la Cour exprime bien implicitement l'idée que le
droit de recourir à une administration provisoire est de ceux qui peuvent être
reconnus à chaque indivisaire et mis en oeuvre individuellement. Or, le pourvoi
rejeté par les hauts magistrats soutenait exactement l'inverse, à savoir que la
demande de nomination d'un administrateur provisoire « ne peut pas être présentée
par un seul des indivisaires ». L'auteur du pourvoi espérait ainsi convaincre de ce
que la mesure demandée porte atteinte aux droits des coindivisaires et s'appuyait
pour cela sur l'article 815-9, alinéa 1er, du code civil, selon lequel « chaque
indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination,
dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires ». L'argument est
balayé. Comment admettre alors que la Cour de cassation n'ait pas eu conscience de
libérer par voie de conséquence le recours à pareille mesure en donnant l'indication
qu'elle s'avère parfaitement compatible avec les droits des autres membres de
l'indivision ?
Dès lors, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un indivisaire se voie ici reconnaître le droit
d'agir individuellement dans l'espoir de mettre fin au dysfonctionnement de la
société. Et notre arrêt de se situer logiquement dans la lignée de ceux ayant
précédemment admis l'action d'un indivisaire pour obtenir, outre une expertise de
gestion (21), l'engagement de la responsabilité d'un dirigeant auteur d'actes d'abus
de biens sociaux dans le cadre d'une action sociale ut singuli (22). Dans le même
ordre d'idée, d'autres droits ressortissent à des prérogatives de contrôle de la
direction justifiant ainsi qu'ils puissent encore être exercés par un associé indivisaire
sans même le consentement de ses pairs, comme le droit à la communication de
documents sociaux (23), à la convocation judiciaire d'une assemblée générale (24),
de participer à l'assemblée (25) (bien que le droit de vote doive, lui, être exercé par
un mandataire unique).
Si l'arrêt de la Cour de cassation est ainsi digne d'être pleinement approuvé quant à
la solution de principe qu'il porte, c'est sur le terrain du bien-fondé de la mesure
ordonnée qu'il se révèle critiquable.
____
(1) Arrêt égal. publié : D. 2019. 623, note T. de Ravel d'Esclapon ; AJ fam. 2019.
341, obs. J. Casey ; RTD civ. 2019. 379, obs. W. Dross ; RTD com. 2019. 157, obs.
A. Lecourt.
(3) C. Albigès, Indivision et droits sociaux, Mélanges J. Prieur, Litec 2014, p. 89.
(4) V. infra, n° 5.
(5) Très différente est la problématique en cas de droits sociaux, non plus indivis,
mais démembrés. Dans cette dernière hypothèse, il ne s'agit plus de savoir quel est
le mode d'exercice (individuel ou collectif) des prérogatives d'associé reconnues à
chaque indivisaire mais de déterminer qui d'entre le nu-propriétaire ou l'usufruitier
est titulaire de tel ou tel droit envisagé isolément.
(8) Civ. 3e, 5 juin 1973, Bull. civ. III, p. 291, « En cas de reprise, par une société,
d'un immeuble donné à bail rural, la loi exige seulement que l'exploitant soit
membre de cette société ; que la cour d'appel répondant aux conclusions qui lui
étaient soumises, a retenu à bon droit qu'un nu-propriétaire de parts sociales avait
cette qualité ».
(9) Com. 4 janv. 1994, n° 91-20.256 (« aucune dérogation n'est prévue concernant
le droit des associés et donc du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives »),
Rev. sociétés 1994. 278, note M. Lecène-Marénaud ; RTD civ. 1994. 644, obs. F.
Zenati ; Dr. sociétés 1994, n° 45, obs. Th. Bonneau ; Defrénois 1994. 556, note P.
Le Cannu ; JCP E 1994. I. 363, n° 4, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain ; v. égal. J.-J.
Daigre, Un arrêt de principe : le nu-propriétaire de droits sociaux ne peut être
totalement privé de son droit de vote (à propos de Com. 4 janv. 1994), BJS 1994.
249.
(10) L'art. 578 indique clairement que le nu-propriétaire garde la propriété du bien
objet d'un usufruit, v. not. F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens, PUF, 3e éd., n°
340 et 344 : « L'existence de l'usufruit n'enlève pas au propriétaire sa qualité » ; J.
Carbonnier, Droit civil, Les biens, PUF, 2004, n° 754.
(12) Civ. 1re, 6 févr. 1980, n° 78-13.270, Bull. civ. I, n° 49 ; Rev. sociétés 1980. 521,
note A. Viandier ; RTD com. 1980. 353, obs. Alfandari et Jeantin ; Rev. sociétés
1981. 346, obs. J. G. ; D. 1981. IR. 36, obs. J.-C. Bousquet.
(13) Crim., 4 nov. 2009, n° 09-80.818, Rev. sociétés 2010. 379, note L. Godon ; BJS
2010. 498, note F.-X. Lucas.
(14) Com., 21 janv. 2014, n° 13-10.151, Rev. sociétés 2014. 487, note P. Le Cannu ;
D. 2014. 647, obs. A. Lienhard, note N. Borga ; ibid. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et
N. Reboul-Maupin ; ibid. 2434, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ;
RTD civ. 2014. 413, obs. W. Dross ; BJS 2014. 212, note D. Poracchia et H.
Barbier ; Dr. sociétés 2014, comm. 27, note R. Mortier ; JCP E 2014. 1069, note A.
Couret.
(15) Ainsi, sous l'influence de certains auteurs (J. Escarra et J. Rault, Traité théorique
et pratique de droit commercial, Les sociétés commerciales, Sirey, 1951, t. 2, n° 588 ; J. Hamel
et G. Lagarde, Traité de droit commercial, Dalloz, 1954, n° 688 ; C. Champaud, RTD
com. 1969. 505), la Cour de cassation a pendant un temps refusé de voir en chaque
indivisaire un associé et préféré accorder cette qualité à l'indivision elle-même (lors
même que l'indivision est dépourvue de personnalité morale...), Civ. 1re, 19 nov.
1958, Bull. civ. I, n° 501 ; JCP 1959. II. 11023, note J. Derruppé ; Com. 9 oct. 1972,
n° 70-13.919, D. 1973. 273, note J.-J. Burst.
(17) Com., 4 déc. 2007, n° 05-19.643, D. 2008. 1251, note L. Godon ; ibid. 78, obs.
A. Lienhard ; AJDI 2008. 145 ; RTD com. 2008. 133, obs. P. Le Cannu et B.
Dondero ; BJS 2008. 205, note A. Lecourt ; Dr. sociétés 2008, comm. 46, note M.-
L. Coquelet ; JCP E 2008. 1280, obs. J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker.
(18) À cet égard, la nouvelle rédaction de l'art. 1833 c. civ. issue de la loi Pacte du
22 mai 2019 (« La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en
considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ») pourrait-
elle élargir les conditions d'accès à l'administration provisoire au motif d'enjeux
sociaux et environnementaux ?
(19) Dans le même sens, J. Heinich, note sous le présent arrêt, JCP 2019. 237.
(20) Civ. 3e, 3 mai 2007, n° 05-18.486, Rev. sociétés 2007. 767, note B. Dondero ;
D. 2007. 1435 ; BJS 2007. 1057, note B. Saintourens ; Dr. sociétés 2007, comm.
127, obs. H. Lécuyer ; Dr. et patr. 2008, p. 110, note D. Poracchia
(23) Com. 5 mai 1981, n° 78-13.270, Rev. sociétés 1982. 95, note A. Viandier.
(24) Paris, 7 janv. 2009, n° 08/14713, Rev. sociétés 2009. 631, note L. Godon
(encore que le demandeur n'avait pu obtenir satisfaction faute, probablement,
d'avoir pu établir le caractère urgent de la convocation qu'exige l'art. 815-6 c. civ.
invoqué à l'appui de la demande).
(27) Civ. 3e, 21 juin 2018, n° 17-13.212, Rev. sociétés 2019. 187, note B. Lecourt ;
D. 2018. 1381 ; ibid. 2056, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; RTD com. 2018.
932, obs. A. Lecourt ; ibid. 984, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; BJS 2018. 504, note J.-
F. Barbièri.
(29) P. Le Cannu, note sous Paris, 4 déc. 2002, BJS 2003. 416.
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Document 5
LA COUR
Considérant que le capital social de la société ATG, fixé à 550 000 F, est divisé en 5
500 parts, réparties comme suit :
Que Michel Lehugeur exerce les fonctions de gérant de la société tandis que Josiane
Marin revendique la qualité de salariée de l'entreprise, chargée de gérer le secrétariat
et les relations avec certains fournisseurs ;
Considérant que la procédure de référé a été mise en œuvre par Josiane Marin, qui
sollicitait à titre principal la désignation d'un administrateur provisoire de la société,
subsidiairement celle d'un contrôleur de gestion ;
Considérant qu'au soutien de sa demande Josiane Marin invoque les faits suivants :
– la décision prise au mois d'octobre 1998 par la société d'expertise comptable qui
traitait la comptabilité d'ATG de cesser toutes relations avec celle-ci,
– l'obstacle qui serait mis à l'exercice par Josiane Marin de ses fonctions de salariée
et de ses droits d'associés ;
Considérant que la nomination d'un administrateur provisoire ne se justifie qu'en
cas de circonstances exceptionnelles entraînant la paralysie du fonctionnement du
groupement ou mettant gravement en péril les intérêts sociaux ; que si les pièces de
la procédure établissent à l'évidence l'existence, au sein de la société ATG, de
relations personnelles conflictuelles entre certains associés, elles ne sont pas pour
autant à elles seules, leur valeur et leur portée devant être précisées ou
approfondies, de nature à démontrer que la gestion de la société par Michel
Lehugeur met actuellement en péril son existence ou compromet son
fonctionnement ; qu'ainsi le premier juge a, à juste titre, écarté la demande de
désignation d'un administrateur provisoire ;
L'occasion est fort opportunément saisie par la cour d'appel de Paris de faire œuvre
pédagogique tout en exerçant sa fonction de justice, en restituant à chacune des
mesures envisagées de manière un peu confuse sa juste place.
En dernier lieu, la cour d'appel précise que la mesure prise laisse intacte la faculté
de recourir à l'expertise de gestion prévue par l'article 64-2 de la loi. L'associé
minoritaire, en complément de la nomination du contrôleur de gestion 6 , peut
demander en justice la désignation d'un expert chargé de présenter un rapport sur
une ou plusieurs opérations de gestion déterminées. Une telle expertise, menée sur
une opération particulière, peut être un complément efficace à la mission générale
de surveillance confiée au contrôleur de gestion. On peut ajouter enfin, même si la
cour d'appel n'y fait pas référence, qu'une mesure d'expertise fondée sur l'article
145 NCPC peut parachever l'ensemble puisqu'elle peut avoir un objet plus large
qu'une ou plusieurs opérations de gestion déterminées 7 , même si elle est limitée à
l'examen des seuls éléments de fait contestés 8 .
Si chacune des mesures de protection est maintenue dans son domaine propre,
comme y invite la cour d'appel de Paris, la diversité n'est plus alors une cause de
confusion, mais la manifestation de la richesse du droit des sociétés.
Bernard Saintourens
4 CA Paris, 7 juin 1990 : Bull. Joly Sociétés, 1990, p. 760, § 222, note P. Le Cannu ;
CA Paris, 24 janvier 1986 : Bull. Joly Sociétés, 1986, p. 389, § 114.
5 Critère qui n'est pas toujours d'une précision extrême. V. pour la nomination
d'un administrateur provisoire alors qu'il n'y avait pas péril pour la société mais
simple atteinte à son image de marque (CA Paris, 12 octobre 1989 : Bull. Joly
Sociétés, 1989, p. 965, § 334, note D. Lepeltier ; Rev. sociétés, 1990, p. 78 note Y.
Guyon) ou suspicion sur la gestion sociale (Cass. com., 17 octobre 1989 : Bull. civ.
IV, no 250).
8 CA Versailles, 14e ch., 4 juin 1999 : Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 1123, § 264, note
M. Menjucq.