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DROIT COMMUN DES SOCIETES

(Professeur Laurent GODON)

Fascicule 4
Les parties au contrat de société : les associés
Condition juridique 1

Points sensibles

- La variété des "figures" de l'associé (personne physique, personne morale, simple


investisseur, salarié, dirigeant, indivisaire, nu-propriétaire, etc.)

- L'unicité et la pluralité d'associés (distinction société unipersonnelle et société


pluripersonnelle et les incidences quant au fonctionnement interne, par exemple quant
au processus d'adoption des décisions)

- La diversité des droits d'associé ("financiers", "politiques", "patrimoniaux" à savoir


la cession des parts sociales ou actions)

Etude particulière et approfondie de l'article 1844 du Code civil et du "droit de


participer aux décisions collectives" :
- la distinction du droit de "participer" aux décisions collectives et du droit de "vote".
Illustration éclatante de cette distinction en matière d'indivision (Cass. com. 21 janv. 2014, n° 13-
10151. Travail à effectuer : commentez cette décision) ou en matière d'usufruit portant sur des
droits sociaux.

- La question de la suppression du droit de vote


- Par une clause des statuts (arrêt Arts et entreprise, Com. 23 oct. 2007)
- Par la loi (le cas des actions de préférence, art. L. 228-11 Com.)

- La nullité des décisions collectives d'associés


- La nullité ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du Livre II du cod de
commerce, et non de la violation d'une "simple" stipulation des statuts (arrêt Larzul, Com. 18 mai
2010)
Documents

Observation liminaire : Les multiples "visages" de l'associé

Document 1 : Fable de La Fontaine (à l'origine de l'appelletaion des clauses "léonines")

Document 2 : Le droit de participer aux décisions collectives (art. 1844 Civ.)


- Seuls les associés ont le droit de "participer" aux décisions collectives (arrêt SCI du Musée ,
civ. 3è, 8 juill. 2015).

Document 3 : Le droit de vote


- Un associé ne peut être privé du droit de "vote" que dans les cas prévus par la loi (arrêt
Arts et entreprise, com. 23 oct. 2007).

Document 4 : L'arrêt Larzul (com. 18 mai 2010) et la nullité des décisions collectives
d'associés

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Les anamorphoses de l'associé. Quelques variations récentes

Depuis les travaux qu’Alain Viandier a consacrés à La notion d’associé (LGDJ,


préf. Terré F., 1978), les juristes n’ont cessé de s’interroger sur les avatars de cette
notion (v. Constantin A., « Recherche notion d’associé, désespérément ! »,
Dr. sociétés mars 2016, Dossier, n° 2 ; Masson F., « Les métamorphoses de
l’associé », Rev. sociétés 2016, p. 84) et de se passionner pour les « figures » que la
pratique des entreprises lui attribue volontiers : les qualités d’investisseur, de salarié,
de dirigeant, de garant, notamment, contribuent à déformer une notion difficile à
cerner (v. Dossier « Les figures de l’associé », Dr. sociétés mars 2016).

L’actualité alimente cette quête d’une vérité, sans doute insaisissable tant l’évolution
des règles de droit ne cesse d’en changer les reflets.

Ainsi attend-on avec curiosité, mais sans illusion quant à la dégradation du concept
d’associé qui devrait en résulter, la transposition de la directive (UE) n° 2019/1023
du 20 juin 2019 sur la restructuration et l’insolvabilité. On sait que les finalités
propres au droit des procédures collectives tendent à courber et à distordre les
notions du droit, très formel et structurant, des sociétés : la proche transposition de
la directive devrait faire passer l’associé d’une entreprise en difficulté sous les
fourches caudines de toute restructuration jugée nécessaire à la sauvegarde ou au
redressement de l’entreprise. De la sorte, cet associé serait menacé d’être ravalé au
rang de simple créancier, et même de créancier de dernier rang, sous-chirographaire
(v. les propos prémonitoires mais réalistes de Lucas F.-X., « Vers un statut de
l’associé de société en difficulté », BJS mars 2020, n° 120q9, p. 1).

À l’inverse de cette régression annoncée, une autre « figure », celle de l’associé


coïndivisaire, ne cesse de prendre de l’épaisseur en jurisprudence : après la
consécration prétorienne de sa faculté d’exercer diverses prérogatives, sans être le
mandataire commun des indivisaires, dans l’intérêt de l’indivision et dans le sien – il
a le droit de « participer aux décisions collectives » –, voici que l’associé indivis est
recevable à demander le report d’une assemblée générale au motif qu’elle aurait été
prématurée et n’avait pas été précédée d’une information suffisante (Cass. com.,
7 juill. 2020, n° 18-19330 : BJS sept. 2020, n° 121e5, p. 17, note Dalmau R.). Belle
démonstration du droit d’intervenir dans la vie de la société, qui serait un caractère
majeur de la qualité d’associé, selon Alain Viandier. En revanche, ce droit
d’intervention demeure incomplet puisque l’exercice du droit de vote impose à
l’associé indivis de passer par un représentant commun à l’ensemble des
indivisaires : certes coassocié, mais atypique, l’indivisaire ne rejoindra jamais
l’archétype idéal de l’associé.

Il en est de même, quoiqu’en principe de façon temporaire, du nu-propriétaire de


droits sociaux. La nouveauté n’est pas là : déjà qualifié d’« associé insolite »
(Godon L., Rev. sociétés 2010, p. 143), le nu-propriétaire ronge toujours son frein
en attendant la reconstitution du droit de propriété. Mais surtout, il est désormais
concurrencé par un « associé en germe » puisqu’en cas de démembrement d’une
part sociale, usufruitier et nu-propriétaire ont tous deux le droit de participer aux
décisions collectives qui est reconnu à « tout associé » (C. civ., art. 1844, rappr. al. 3
et 1). On ne peut manquer de gloser sur les effets induits, imprévus (v., parlant
d’enfer pavé de bonnes intentions, Kilgus N. et de Ravel d’Esclapon T., « Le droit
de l’usufruitier de participer aux décisions collectives : quelques interrogations au
lendemain de la loi Soilihi du 19 juillet 2019 », D. 2020, p. 398), mais voici bien un
tandem d’associés pour le moins curieux !

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Document 1

LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS,


EN SOCIÉTÉ AVEC LE LION

La Génisse, la Chèvre et leur sœur la Brebis,


Avec un fier Lion, Seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,
Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs (1) de la Chèvre un Cerf se trouva pris ;
Vers ses associés aussitôt elle envoie :
Eux venus, le Lion par ses ongles (2) compta,
Et dit : Nous sommes quatre à partager la proie ;
Puis en autant de parts le Cerf il dépeça ;
Prit pour lui la première en qualité de Sire :
Elle doit être à moi, dit-il, et la raison,
C'est que je m'appelle Lion :
À cela l'on n'a rien à dire.
La seconde par droit me doit échoir encor :
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord.

Jean de la Fontaine

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Document 2

Seuls les associés ont le droit de "participer" aux décisions collectives

En vertu de l'article 1844 du Code civil, seuls les associés ont le droit de participer
aux décisions collectives. En conséquence, une cour d'appel en a exactement déduit
que les héritiers d'un associé qui n'avaient pas obtenu d'agrément ne pouvaient
participer à l'assemblée générale et à l'élection d'un nouveau gérant. L'assemblée
litigieuse irrégulièrement tenue doit être déclarée nulle, comme la désignation du
gérant qui en résulte.

Cour de cassation, 3ème civ., 8 juillet 2015, n° 13-27248 (F-P+B)


SCI du Musée c/ Henry

SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE - Héritiers - Agrément (non) - Qualité


d'associé (non) - Droit de participer aux décisions collectives (non) - Article 1844
du Code civil - Disposition impérative - Nullité - Assemblée générale

Note : Laurent Godon, Professeur à l'Université de Rennes 1

1. L'arrêt de principe rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation


le 8 juillet 2015 prend parti sur une question d'une grande importance pratique. Il y
est affirmé que l'assemblée générale d'une société civile est nulle si elle a eu lieu en
présence d'héritiers qui ont pris part aux décisions collectives sans avoir été
préalablement agréés en qualité d'associés dans les conditions prévues par les
statuts. Ainsi, se trouve établi avec netteté un lien indéfectible entre le droit de
participer aux décisions et la qualité d'associé. Les implications de cette corrélation
sont considérables car, si l'on savait de longue date que tout associé a le droit de
participer aux décisions collectives comme le prévoit l'article 1844, alinéa 1er, du
Code civil, l'on peut être à présent certain que seul un associé est admis à exercer
un tel droit. Le présent arrêt est donc remarquable en ce qu'il permet à la Cour de
cassation d'ajouter aux dispositions du Code civil une sorte de principe d'exclusivité
en réservant aux associés, et à eux seuls, la faculté de prendre part aux décisions
sociales, sauf à ce que celles-ci soient entachées d'irrégularité en cas d'intervention
dans le processus décisionnel de tiers "non-associés".

L'importance de la décision justifie pleinement qu'elle fasse l'objet d'une publication


au Bulletin, ce d'autant plus qu'elle est porteuse d'une double extension. D'abord, à
l'égard de toute personne, non pas seulement d'un héritier, dont la qualité d'associé
pourrait être contestée. Envers toute société ensuite puisque, rendue au visa de
l'article 1844 du Code civil, ressortissant au droit commun des sociétés, la solution
intéresse toutes les formes sociales, qu'elles soient civiles ou commerciales.
Assurément, l'arrêt rapporté fait donc partie de ces grandes décisions qui viennent
enrichir certains principes fondamentaux de fonctionnement des sociétés en
général.

2. En l'espèce, après le décès d'un associé, également gérant, d'une société civile
immobilière (SCI), un administrateur provisoire avait été nommé judiciairement à la
demande d'un associé survivant aux fins de représenter la société et de convoquer
une assemblée générale destinée à procéder à la nomination d'un nouveau gérant.
Une assemblée est alors effectivement convoquée au cours de laquelle les héritiers
de l'associé décédé prennent part au vote, l'un d'eux ayant d'ailleurs été élu en
qualité de nouveau gérant de la SCI. Cette décision est cependant contestée par
l'associé à l'origine de la demande de nomination de l'administrateur provisoire au
motif que les héritiers du défunt n’avaient pas été agréés par les associés survivants
ainsi que le prévoient les statuts de la société, et qu'ils ne pouvaient, en
conséquence, se prévaloir de la qualité d'associé pour participer aux décisions
collectives. Et l'associé contestataire de réclamer la nullité de l'assemblée générale
qui s'était irrégulièrement tenue.
Par un arrêt du 2 octobre 2013, la cour d'appel de Colmar fait droit à la demande et
prononce l'annulation de l'assemblée ainsi que de la nomination du gérant
intervenue au cours de cette dernière1. Aux termes du présent arrêt du 8 juillet
2015, la troisième chambre civile de la Cour de cassation l'en approuve fermement
et rejette le pourvoi. Au visa de l'article 1844 du Code civil, la Cour rend une
décision de principe de grande portée en déclarant, pour la première fois semble-t-
il, que "seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives de la société", à peine
de nullité de l'assemblée générale litigieuse. Pour le dire autrement, la qualité
d'associé constitue une condition de la participation aux décisions collectives et,
partant, de la régularité même de ces décisions. Dans ces conditions, comment ne
pas relever qu'il vaut mieux, pour diminuer le risque d'annulation des assemblées,
éviter de faire participer des personnes dont la qualité d'associé est incertaine ?

3. Une fois ces précisions fondamentales apportées par la Juridiction suprême, il


convient à présent d'en prendre la mesure en examinant logiquement les deux
indications essentielles qui ressortent de l'arrêt, à savoir, l'attribution aux seuls
associés du droit de participer aux décisions collectives ainsi que l'affirmation de la
nullité de l'assemblée générale tenue avec la participation d'un non-associé.

I. L'attribution aux seuls associés du droit de participer aux décisions collectives

4. A la lettre, l'article 1844, alinéa 1er, du Code civil dispose que "tout associé a le
droit de participer aux décisions collectives"2. Continuant son œuvre
d'interprétation de cette formulation très générale, la Cour de cassation ajoute, par
le présent arrêt, une indication supplémentaire en précisant que seuls les associés
ont le droit de participer aux décisions collectives. Ce faisant, la Cour analyse cette
prérogative comme un "droit propre" de l'associé qui ne saurait être reconnu à des
personnes n'ayant pas cette dernière qualité. Un "droit fondamental"3 aussi, dont
"tout associé" (art. 1844) est titulaire sans pouvoir en être privé et qui, par suite, est
aussi une manifestation de l'égalité des associés en la matière4. On l'aura compris, le
droit de participer fait partie des prérogatives essentielles de l'associé, inhérentes à
son statut. Et l'on voit avec l'arrêt ci-dessus qu'il doit être désormais tenu pour
acquis qu'un tel droit ne saurait être conféré à une personne qui n'est pas partie au

1 CA Colmar, 1ère ch. civ., sect A., 2 octobre 2013, n˚ 12/01 824.
2 A rapprocher de l'article L. 225-113 du code de commerce selon lequel : "tout actionnaire peut participer
aux assemblées générales extraordinaires et tout actionnaire possédant des actions visées à l'article L. 225-
99 peut participer aux assemblées spéciales. Toute clause contraire est réputée non écrite".
3
Cass. 2e civ., 13 juill. 2005 (Roquelaure), n° 02-15904 : Bull. civ. 2005, II, n° 114 ; Bull. Joly sociétés 2006,
p. 217, note P. Le Cannu ; D. 2005, p. 2152, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles ; Dr. et patrim. 2005, p.
89, obs. D. Poracchia ; RJCom. 2006, p. 37, obs. L. Grosclaude. Cet arrêt classe expressément le droit de
participer aux décisions collectives parmi les "droits fondamentaux d'associé" dont le nu-propriétaire de
parts sociales ne saurait par conséquent être privé, contrairement au droit de vote qui peut être
intégralement attribué à l'usufruitier dont la qualité d'associé n'est pas reconnue.
4 P. Le Cannu : Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives, in Mélanges Ph. Merle, Dalloz,

2013, p. 441, n° 4.
contrat de société, sans doute parce que la nature de ce droit-fonction qui permet
l'élaboration des orientations de la société explique qu'il ne puisse être attribué qu'à
celui qui revêt incontestablement la qualité d'associé et supporte l'aléa social. Le
sens de l'article 1844 du Code civil se précise donc peu à peu : de même qu'il est
inadmissible que des associés soient empêchés de participer aux décisions
collectives, de même il est condamnable d'accueillir avec bienveillance des tiers au
sein de l'assemblée générale. La non-participation d'associés présente ainsi le même
degré de gravité que l'admission de personnes extérieures à la société5. En ajoutant
à la loi, l'arrêt sous examen montre bien que "la jurisprudence s'édifie lentement sur
un sujet plus complexe que la phrase qui lui sert d'appui dans la loi"6.

5. Pour autant, à la lecture de l'attendu de cet arrêt de principe, il ressort que la


solution consacrée n'est pas exempte de certaines imprécisions, voire d'ambiguïtés.
Est-il si sûr en effet que "seuls les associés" ont le droit de participer aux décisions
collectives ? De fait, chacun sait que "toutes sortes de personnes"7 qui n'ont pas
cette qualité peuvent assister à une assemblée, voire prendre part aux débats,
comme, par exemple, les dirigeants non associés, les usufruitiers, les représentants
de la masse des obligataires8 ou de la masse des porteurs de titres participatifs9, les
commissaires aux comptes10, les représentants du comité d'entreprise11... Cette
participation ouverte à d'autres acteurs n'est-elle donc pas en contradiction avec la
position exprimée par la troisième chambre civile dans cet arrêt du 8 juillet 2015 ?

A l'évidence, l'arrêt fait donc incidemment ressurgir le débat autour de la délicate


distinction entre droit de participer et droit de vote12. Or, à bien la lire, la solution
retenue par la troisième chambre civile n'envisage pas dans le cas présent la
participation aux assemblées générales comme un droit distinct et séparable du
droit de vote, comme ce peut être le cas en matière d'usufruit établi sur des droits
sociaux13, ou en cas d'indivision14, où la participation peut être réduite au droit
5 V. dans le même sens B. Dondero, note sous le présent arrêt, Gaz. Pal. 29 septembre 2015 n° 272, p. 13.
6
P. Le Cannu, art. préc., n° 32.
7
P. Le Cannu, art. préc., n° 22. Adde Ph. Merle : Droit commercial, Sociétés commerciales, Dalloz, Précis,
19e éd., n° 528 ; M. Germain et V. Magnier : Traité de droit commercial, Les sociétés commerciales, LGDJ,
20e éd., n° 1559.
8
C. com., art. L. 228-55.
9
C. com., art. L. 228-37, al. 2.
10
C. com., art. L. 823-17.
11
C. trav., art. L. 2323-67, al. 3.
12 Sur le sujet, v. notamment A.-V. Le Fur : "Concilier l'inconciliable" : réflexions sur le droit de
vote de l'actionnaire, D. 2008, p. 2015.
13 V. concernant la dissociation du droit de participer (du nu-propriétaire associé) et du droit de

vote (conféré à l'usufruitier), Cass. com. 4 janv. 1994 (de Gaste), n° 91-20-256 : Rev. sociétés 1994,
p. 279, note M. Lecène-Marénaud ; RTDCiv. 1994, p. 645, note F. Zenati ; Dr. sociétés 1994, n° 45,
obs. Th. Bonneau ; Defrénois 1994, p. 556, note P. Le Cannu ; JCP éd. E, 1994, I, 363, n° 4, obs. A.
Viandier et J.-J. Caussain ; RTDCiv. 1994, p. 644, note F. Zenati ; V. également J.-J. Daigre : un
arrêt de principe : le nu-propriétaire de droits sociaux ne peut être totalement privé de son droit
de vote (à propos de Cass. com. 4 janvier 1994), Bull. Joly sociétés 1994, p. 249 ; Cass. com. 22 fév.
2005 (Gérard), n° 03-17421 : Rev. sociétés 2005, p. 353, note P. Le Cannu ; JCP éd. E, 2005, 968,
note R. Kaddouch ; Dr. et patrim. 2005, p. 102, obs. D. Poracchia ; Defrénois 2005, p. 1792, note
D. Fiorina ; D. 2005, somm., p. 1430, obs. B. Thuillier ; JCP éd. E, 2005, 1046, n° 3, obs J.-J.
d'être convoqué à l'assemblée et de prendre part aux débats, sans pour autant
inclure l'exercice du droit de vote lui-même. Il ressort en effet des circonstances de
l'espèce que, pour les besoins de la cause, le droit de participer n'avait nullement
besoin d'être appréhendé comme un droit autonome mais, au contraire, comme
une prérogative indissociablement liée au droit de vote ayant permis aux héritiers de
contribuer à la désignation du gérant contesté. Et de fait, en l'absence de distinction
établie par l'arrêt, il n'est guère douteux que "le droit de participer aux décisions
collectives" était ici compris par les hauts magistrats comme la faculté de prendre
part au vote de la décision litigieuse de nomination15. Cette approche "unitaire" est
en effet nettement confortée par les termes employés par les juges évoquant
successivement le fait que les héritiers de l'associé défunt avaient "pris part à
l'assemblée générale" ainsi qu'à "l'élection" du nouveau gérant, établissant ainsi très
nettement une corrélation entre le droit de participer et le droit de vote lui-même,
conçus en l'occurrence comme les deux facettes complémentaires d'un même droit
politique. Dans une moindre mesure, une autre marque de ce que les deux droits
n'avaient pas à être distingués résulte également de la sanction retenue, à savoir
l'annulation de l'assemblée et de la désignation du gérant, c'est-à-dire du vote à
l'origine de sa nomination.

En conséquence de cette analyse, il nous semble nécessaire de nuancer la


formulation de l'arrêt et de considérer que si, effectivement, seuls les associés ont le
droit de participer au vote des décisions collectives, pour autant cela n'exclut pas que
des personnes qui ne sont pas associées puissent simplement assister aux
assemblées, sans voter, du moins si la loi ou les statuts, voire le juge, selon les cas,
ouvrent cette perspective.

6. Cette précision fondamentale étant apportée, il convient encore de souligner qu'il


demeure des situations particulières où une personne, non associée, est admise à
voter, mais cela en vertu d'une autorisation expresse de la loi, voire du juge lorsqu'il
nomme un mandataire ad hoc chargé de représenter le titulaire du droit de vote. Le
principe selon lequel l'exercice du droit de suffrage procède de la qualité d'associé
n'est donc pas sans exceptions. Des cas de dissociation se rencontrent en effet dans
nombre de circonstances où l'exercice de cette prérogative de gouvernement est
confiée à un tiers, ou du moins à une personne non pourvue du titre d'associé. Sans
bien sûr prétendre à l'exhaustivité, il n'est qu'à mentionner le cas de l'usufruitier de

Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; JCP éd. N 2005, 1428, note J.-P. Garçon ; Cass. 2e civ., 13
juill. 2005 (Roquelaure), n° 02-15904, préc. Adde L. Godon : Un associé insolite : le nu-
propriétaire de droits sociaux, Rev. sociétés 2010, p. 143, n° 32.
14 Cass. com. 21 janv. 2014, n° 13-10151 : Rev. sociétés 2014, p. 487, note P. Le Cannu ; D. 2014,

p. 274, obs. A. Lienhard ; ibid. p. 647, note N. Borga; p. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et p. 2439,
obs. A. Rabreau ; RTDCiv. 2014, p. 413, note W. Dross ; Bull. Joly sociétés 2014, p. 212, note D.
Poracchia et H. Barbier ; JCP E 2014, 1069, note A. Couret ; Dr. sociétés 2014, comm. n° 59, note
R. Mortier ; RLDA avr. 2014, p. 10, obs. B. Dondero.
15 V. également en ce sens, J.-P. Garçon, note sous le présent arrêt Bull. Joly sociétés 2015, p. 585,

note de bas de page n° 7.


droits sociaux16, du locataire17, du tiers mandataire unique d'associés indivisaires18,
du tiers représentant d'un actionnaire19 ou d'un associé20, d'un mandataire ad hoc
chargé de voter en lieu et place d'un associé coupable d'abus de minorité21 ou ayant
refusé le vote d'une augmentation de capital dictée par le plan de redressement
d'une entreprise en difficulté22, voire d'un séquestre exceptionnellement autorisé par
le juge à exercer le droit de vote attaché à des parts sociales ou à des actions dont la
propriété est contestée23... Pour autant, ces conceptions plus souples ne doivent pas
faire oublier le risque que ferait aussitôt peser sur la régularité des décisions
collectives la participation de telles personnes au cas où elles sortiraient du cadre
légal ou judiciaire ainsi tracé et outrepasseraient les pouvoirs qui leur sont conférés.

7. Aucune contestation de cette sorte n'était cependant en cause dans le cas


d'espèce puisque le droit pour les héritiers de l'associé décédé de participer et de
voter impliquait plus fortement la reconnaissance, au préalable, de leur qualité
même d'associés. De fait, dans la société civile comme dans nombre de sociétés, la
combinaison de l'affectio societatis et de l'intuitus personae conduit à écarter tout
principe qui voudrait qu'au décès d'un associé sa place au sein de la société soit
automatiquement occupée par ses héritiers24. C'est ainsi que l'article 1870 du Code
civil, applicable à la SCI en cause dans la présente affaire, admet que les statuts
puissent prévoir une procédure d'agrément des héritiers par les associés survivants,
ce qui était justement le cas en l'espèce. L'article 11 des statuts stipulait en effet que
"en cas de décès d'un associé, la société continue entre les associés survivants et les
héritiers et ayants droit de l'associé décédé, et éventuellement son conjoint
commun en biens, à condition que lesdits héritiers, ayants droit et conjoint soient
agréés comme associés par la collectivité des associés survivants statuant dans les
mêmes conditions qu'en cas de cession à des tiers". Et, comme une preuve
supplémentaire de ce que la qualité d'associé ne se transmet pas automatiquement à
cause de mort, on peut rappeler que les juges du fond considèrent que l'agrément
doit être sollicité par chaque héritier indivisaire et non en bloc, ou collectivement,

16 C. civ., art. 1844, al. 3 et 4 ; C. com., art. L. 225-110, al. 1 et 4.


17 C. com., art. L. 239-3, al. 2.
18 C. civ., art. 1844, al. 2 ; C. com., art. L. 225-110, al. 2.
19 C. com., art. L. 225-106.
20 C. com., art. L. 223-28, al. 2 et 3.
21 Cass. com. 9 mars 1993, n° 91-14685 (Flandin) : Rev. sociétés 1993, p. 403, note Ph. Merle ; JCP

E 1993, II, 448, note A. Viandier ; D. 1993, p. 363, note Y. Guyon ; Dr. sociétés 1993, n° 95, note
H. Le Nabasque ; JCP 1993, II, 22107, note Y. Paclot ; Bull. Joly sociétés 1993, p. 537, chron. P.
Le Cannu ; adde Cass. com. 4 fév. 2014, n° 12-29348 : Rev. sociétés 2014, p. 426, note B.
Saintourens ; D. 2014, p. 421 ; ibid. Panorama, p. 2434, obs. E. Lamazerolles ; Bull. Joly sociétés
2014, p. 302, note D. Schmidt.
22
C. com., art. L. 631-19-2 issu de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances
économiques (dite loi Macron).
23
V. dernièrement Cass. com. 25 sept. 2012, n° 11-20061 : Rev. sociétés 2013, p. 152, note A.
Couret ; Bull. Joly sociétés 2013, p. 111, note A. Gaudemet ; Cass. com. 15 fév. 1983, n° 80-11960 :
Bull. civ. IV, n° 66 ; Rev. sociétés 1983, p. 593, note M. Guilberteau.
24 B. Saintourens : L'héritier de l'associé, Mélanges B. Bouloc, Dalloz, 2006, p. 1015.
puisque l'indivision n'a pas la personnalité morale25.

C'est dire que la qualité d'héritier ne suffit pas à conférer de plein droit celle
d'associé. Bien au contraire, comme les statuts comportaient une clause d'agrément,
les successeurs de l'associé défunt ne pouvaient obtenir, sans une décision en ce
sens, le statut d'associés assorti de l'intégralité des prérogatives attachées à cet état.
Cette situation classique n'est que le résultat de la dissociation entre le "titre" et la
"finance" des droits sociaux car, si les héritiers sont bien propriétaires en indivision
des parts sociales comprises dans l'actif successoral, cela ne permet pas de faire
d'eux des associés tant qu'ils n'ont pas été formellement reconnus en cette qualité
par les associés survivants26. Au cas où ils ne seraient finalement pas admis à faire
partie du groupement à l'issue de la procédure d'agrément, ces héritiers ne
pourraient alors prétendre qu'au remboursement de la valeur des parts sociales de
leur auteur, comme le prévoit l'article 1870-1 du Code civil s'agissant des sociétés
civiles. Par conséquent, puisque le processus de l'agrément n'avait pas ici été mis en
œuvre afin de statuer sur la transmission aux héritiers du titre d'associé, ces derniers
n'avaient certainement pas à être convoqués ni à exercer cette prérogative
essentielle de l'associé qu'est le droit de prendre part aux décisions collectives.
L'existence d'une procédure d'agrément légale ou statutaire peut donc constituer, le
cas échéant, un obstacle insurmontable pour autant que cette procédure aboutisse à
un refus d'agrément ou qu'elle n'ait, comme en l'espèce, tout simplement pas été
mise en mouvement.

8. Il reste que, dans cette affaire, près de deux ans s'étaient écoulés entre le décès de
l'associé (septembre 2006) et l'assemblée générale litigieuse (juin 2009), sans que le
sort des droits sociaux ne fût réglé dans l'intervalle. Sans doute désormais pressé
d'exercer ses fonctions, l'héritier élu gérant de la société à l'issue de cette assemblée
s'était alors prévalu d'un agrément tacite. Mais c'est un cinglant rejet de cette idée
qui émane de la décision des hauts magistrats : "les héritiers [de l'associé décédé],
qui n'avaient pas obtenu d'agrément dans les conditions prévues par les statuts, ne
pouvaient se prévaloir d'un agrément tacite et n'étaient pas associés de la SCI".
L'arrêt du 5 juillet 2015 restera donc également comme celui du refus de la notion
d'agrément tacite, au moins en matière de dévolution successorale, ce malgré un
arrêt dissonant autrefois rendu par une cour d'appel ayant autorisé la participation
d'une veuve usufruitière représentant l'indivision successorale dans son ensemble
dès lors que les associés n'avaient manifesté aucune opposition27.

Sans doute faut-il se réjouir de l'analyse restrictive qui veut qu'une formalité aussi

25 CA Besançon 29 avr. 2009 : Jurisdata n° 2009-376728 ; Dr. sociétés 2009, comm. n° 155, note R.
Mortier.
26 CA Paris 13 mars 2013, n° 12-06788 : Dr. sociétés 2013, comm. n° 99, note H. Hovasse,

"l'héritier devenu propriétaire des parts sociales de la SCI de l'associé décédé, n'en devient pas
pour autant de plein droit associé. Pour acquérir cette qualité d'associé, il doit présenter une
demande en vue d'obtenir l'agrément".
27 CA Paris 16 fév. 1989 : Jurisdata n° 1989-020397.
importante que la procédure d'agrément, dont dépend rien de moins que l'octroi du
statut même d'associé, ne puisse implicitement résulter de déductions tirées
d'éléments de fait aléatoires et incertains, sujets à discussion. Au nom de la sécurité
juridique et du respect des stipulations statutaires, l'accès à l'état d'associé ne saurait
s'accommoder d'une méconnaissance de la procédure d'agrément formellement
établie par les statuts de la société. En refusant d'accueillir la notion d'agrément
tacite, le présent arrêt coupe court aux revendications émanant de toute personne
qui n'aurait pas franchie avec succès le cap de la procédure d'agrément. La stabilité
des sociétés par la préservation de l'intuitus personae sort donc renforcée de cette
approche restrictive.

II. La nullité de l'assemblée générale à laquelle a participé un non-associé

9. Le second apport très important de l'arrêt du 8 juillet 2015 réside dans l'énoncé
de la sanction devant frapper une assemblée générale irrégulièrement tenue du fait
de la participation de personnes non-associées. La Haute juridiction a l'occasion
d'affirmer très nettement que l'assemblée "devait être déclarée nulle" et, avec elle, les
décisions votées, à savoir en l'espèce la désignation en tant que gérant de l'héritier
non agréé.

Le choix de la sanction la plus efficace a donc été fait, ce qui est en phase avec le
caractère d'ordre public de l'article 1844, alinéa 1er, du Code civil. En effet, bien
qu’il ne soit pas expressément assorti de la nullité, le premier alinéa de l’article 1844
fait figure de disposition impérative tant par le ton impératif qui s'en évince que par
l'impossibilité d'y déroger exprimée par le dernier alinéa de ce texte28. C'est donc
fort légitimement que la nullité de l'assemblée et de la nomination du nouveau
gérant ont pu être prononcées judiciairement par renvoi à l'article 1844-10, alinéa 3,
du Code civil qui prévoit que "la nullité des actes ou délibérations des organes de la
société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent
titre".

Le recours à cette sanction radicale n'est autre que la conséquence du raisonnement


prétorien qui consiste à rattacher expressément à l'article 1844, alinéa 1er,
l'interdiction faite à des non-associés de participer aux décisions collectives. Par la
technique du renvoi, ce dernier principe emprunte donc au texte visé une sanction
identique, qui lui confère une égale dimension d'ordre public au sens de l'article
1844-10 dernier alinéa. La présence de l'article 1844, alinéa 1er, au visa de l'arrêt
étaie assurément cette interprétation extensive. Ce faisant, comme on l'a
précédemment souligné (supra, n° 4), l'intrusion dans une assemblée générale d'une
personne sans qualité pour y prendre part est juridiquement traitée de la même
façon que la privation du droit de participer d'un associé qui, par exemple, n'aurait
28 L'alinéa 4 de l’article 1844 dispose : « Les statuts peuvent déroger aux dispositions des deux
alinéas qui précèdent». Il en résulte que l’on ne peut déroger à l'alinéa 1er.
pas été convoqué ; quoique ces deux hypothèses se différencient. Il reste que, en se
rangeant à cette orientation extensive augmentant les hypothèses d'annulation des
délibérations d'assemblée, la troisième chambre civile porte ici un coup au caractère
restrictif du régime des nullités en droit des sociétés29.

En revanche, la sanction pénale prévue à l'article L. 242-6 du code de commerce


applicable aux sociétés anonymes ne devrait pouvoir être prononcée, marquant
ainsi une limite à l'assimilation entre les deux situations. En effet, en vertu du
principe d'interprétation stricte de la loi pénale, "le fait d'empêcher un actionnaire
de participer à une assemblée d'actionnaires" ne saurait se confondre avec le cas,
d'une certaine manière inverse, où une personne participe effectivement à
l'assemblée mais sans avoir le titre nécessaire.

10. Par ailleurs, serait-il exceptionnellement concevable que la nullité de l'assemblée


et des résolutions adoptées puisse elle-même être évitée ? La question se pose au
regard de la théorie dite du "vote utile", qui conduit à écarter la demande de nullité
émanant d'un associé lorsqu'il apparaît que sa participation ne lui aurait pas permis
d'exercer une influence sur le résultat du vote litigieux30. Autrement dit, le prononcé
de la nullité serait une faculté, non une obligation. Accueillie favorablement par
certains juges il y a déjà longtemps31, l'application de la théorie du vote utile semble
conforme au mouvement qui tend à limiter au maximum les cas de nullité en droit
des sociétés32. En outre, cette approche purement mathématique fut antérieurement
admise dans un contexte de succession où l'un des héritiers associés, n'ayant pas été
régulièrement convoqué à l'assemblée, avait poursuivi l'annulation de celle-ci, mais
sans succès car le nombre d'actions détenues par l'indivision ne lui permettait pas
de disposer d'une minorité de blocage aux assemblées tandis que les conditions de
quorum et de majorité étaient par ailleurs satisfaites33. L'on comprend alors que
cette théorie du vote utile fut de nouveau invoquée, dans l'affaire jugée en 2015, par
le nouveau gérant, mais cette fois dans l'espoir que soit validée la décision de sa
nomination en faisant valoir que la majorité nécessaire aurait, de toute façon, été
obtenue déduction faite des votes irrégulièrement exprimés par les héritiers non
encore agréés. Le souhait était donc que l'élection du gérant ne soit pas annulée dès
lors que, malgré la soustraction ainsi opérée, il demeurait celui ayant obtenu le plus
de suffrages. Espoir cependant déçu par la troisième chambre civile de la Cour de
cassation qui condamne cette analyse développée au sein du pourvoi.
29
A. Constantin, note sous le présent arrêt, RTDCom. 2015, p. 533.
30
Sur cette théorie, V. not. J.-P. Legros, J.-Cl. Sociétés Traité, Fasc. 32-50 : Nullité des décisions
sociales - actions en nullité, 2014, n° 162 s. J. Mestre et alii, Lamy Sociétés commerciales, 2015,
2787.
31 Cass. civ., 30 mai 1894 : S. 1894, 1, p. 305 ; Cass., req., 17 déc. 1894, S. 1895, 1, p. 272 Cass. civ. 20 juin

1898 : S. 1899, 1, p. 257 ; Cass., req., 31 déc. 1906, DP 1908, I, 513, note J. Percerou ; Cass. civ. 31 déc.
1913 : D. 1917, jur., p. 143 ; CA Paris 22 juill. 1938 : D. 1939, jur., p. 44. TC Paris, 16 nov. 1970 : JCP
G 1971, II, 16826, note N. Bernard ; RTD com. 1971, p. 719, note R. Houin.
32 F.-X. Lucas, note sous Paris 27 mars 2001, Dr. sociétés 2002, comm. n° 14.
33 Paris 27 mars 2001 (SA Editions du Témoignage chrétien) : Jurisdata n° 149-860 ; Bull. Joly

sociétés 2002, p. 89, note H. Le Nabasque ; Dr. sociétés 2002, comm. n° 14, note F.-X. Lucas.
En privilégiant une conception rigoureuse, la Haute juridiction donne à penser que
la participation à l'assemblée de personnes n'ayant pas la qualité d'associé peut avoir
une incidence sur les délibérations et qu'il vaut mieux annuler l'assemblée plutôt
que de laisser ces personnes jouer de leur force de persuasion pour convaincre les
associés de voter dans un certain sens. Redisons alors encore une fois combien il
peut s'avérer risqué pour le maintien des résolutions de faire pleinement participer à
une assemblée quelqu'un dont la qualité d'associé peut être mise en doute, ce qui
pourrait justifier une remise en cause ultérieure des décisions votées. La recherche
de la sécurité juridique devrait par conséquent mener à ne pas faire le "pari de la
qualité ou de la non qualité d'associé"34. Avec d'autres, il est alors permis de penser
que le piège se referme sur la société qui, au regard des risques encourus, ne peut
plus se permettre de faire participer aux décisions une personne dont il n'est certain
qu'elle ait le titre d'associé35.

11. Pour finir, il convient d'observer l'harmonisation qui résulte de cet arrêt quant
aux solutions applicables à deux hypothèses distinctes, mais finalement voisines. En
effet, qu'il s'agisse, comme en l'espèce, de la participation de personnes dépourvues
du statut d'associé ou de l'absence d'associés n'ayant pas été convoqués36, la
troisième chambre civile annule pareillement les décisions prises par l'assemblée
irrégulièrement constituée au motif, dans l'un et l'autre cas, d'une atteinte à l'article
1844, alinéa 1er, du Code civil. C'est dire aussi toute l'étendue du pouvoir
d'appréciation que permet ce texte tant la formulation, si brève et si générale, qu'il
contient offre toute sorte de flexibilité.

La question qui demeure, à partir de cet arrêt du 8 juillet 2015, est désormais de
savoir si la chambre commerciale s'alignera elle aussi sur la conception maximaliste
de la troisième chambre civile en considérant à son tour que la participation de
non-associés est une cause de nullité des décisions. S'il est incontestablement
malaisé de concevoir que puissent être maintenues des décisions collectives
adoptées grâce aux voix de personnes qui ne sont pas associées, la question subsiste
de savoir si la chambre commerciale se montrera sensible à la théorie du vote utile
pour sauver celles qui, après retranchement des suffrages irrégulièrement exprimés,
continuent de satisfaire aux conditions de quorum et de majorité. Cette question se
pose avec une acuité particulière dans les sociétés par actions d'une importante
dimension, là où le caractère personnel des relations entre des actionnaires en grand
nombre est naturellement moins accusé que dans les sociétés de personnes

34 R. Mortier, note sous le présent arrêt, Dr. sociétés 2015, comm. n° 189.
35
A. Constantin, note préc.
36Cass. 3e civ., 21 oct. 1998 (Angeli c/SCI Domaine de Grignon) : JCP E 1999, p. 85, note Y.
Guyon ; Bull. Joly 1999, p. 107, §24, note L Grosclaude, Defrénois 1999, p. 1192, obs. J. Honorat ;
Dr. sociétés 1999, comm. n° 10, note Th. Bonneau ; RTDCom. 1999, p. 116, obs. C. Champaud et
D. Danet. Dans cet illustre arrêt, la troisième chambre civile affirme le principe selon lequel le
défaut de convocation de certains associés à l'assemblée générale d'une société civile est une cause
de nullité des décisions qui y sont prises.
composées d'un cercle restreint d'associés. C'est précisément cet effet de nombre
qui conduit à relativiser l'influence que peuvent avoir sur le vote certains
participants lorsque les décisions sont en réalité bien souvent préalablement
arrêtées dans leur principe par les majoritaires. La différence de nature entre les
sociétés de personnes et les sociétés par actions justifierait-elle cependant qu'une
divergence d'appréciation existe au sein de la Cour de cassation quant à l'application
de la théorie du vote utile ?

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Document 3

Nullité de la décision d'exclusion d'un associé privé du droit de prendre part


au "vote"

Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter, les statuts
ne pouvant déroger à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi.

Si les statuts d'une société par actions simplifiée peuvent, dans les conditions qu'ils
déterminent, prévoir qu'un associé peut être tenu de céder ses actions, ils ne
peuvent pas, lorsqu'ils subordonnent cette mesure à une décision collective des
associés, priver l'associé dont l'exclusion est proposée de son droit de participer à
cette décision et de voter sur la proposition.

En conséquence, doit être cassé pour violation des articles 1844, alinéa 1, du Code
civil et L. 227-16 du Code de commerce, l'arrêt rejetant la demande d'annulation de
la décision ayant prononcé l'exclusion d'un associé, sans que celui-ci ait été appelé à
voter sur cette décision.

Fondement : C. civ., art. 1844, al. 1 ; C. com., art. L. 227-16

Cass. com. 23 oct. 2007, n° 06-16537 (SAS Arts et entreprises)

La cour

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 1844, alinéa 1er, du Code civil, ensemble l'article L. 227-16 du Code de
commerce ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que tout associé a le droit de
participer aux décisions collectives et de voter et que les statuts ne peuvent déroger
à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi ; que si, aux termes du second,
les statuts d'une société par actions simplifiée peuvent, dans les conditions qu'ils
déterminent, prévoir qu'un associé peut être tenu de céder ses actions, ce texte
n'autorise pas les statuts, lorsqu'ils subordonnent cette mesure à une décision
collective des associés, à priver l'associé dont l'exclusion est proposée de son droit
de participer à cette décision et de voter sur la proposition ;

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que la société par actions simplifiée Arts
et entreprises a été constituée entre M. X., son épouse Mme Y. et M. Z., lequel
détenait près des deux tiers des actions composant le capital social ; que la société,
faisant application de l'article 16 des statuts, a décidé l'exclusion de M. Z. sans que
celui-ci ait été appelé à voter sur cette décision ; que M. Z., soutenant que cette
clause portait atteinte au droit de vote reconnu à tout associé, a demandé
l'annulation de la décision d'exclusion ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que
dans le contexte de liberté contractuelle qui caractérise la société par actions
simplifiée, il est possible de prévoir que l'associé susceptible d'être exclu ne
participe pas au vote sur cette décision, que compte tenu de la répartition du capital
entre les associés, cette stipulation a manifestement pour objectif d'empêcher que
l'associé majoritaire ne puisse jamais être exclu ou qu'il puisse à lui seul exclure un
associé minoritaire, que la suppression du droit de vote est donc nécessaire pour
régler certaines situations de conflit d'intérêts entre la société et les associés, que
tous les associés y ont consenti librement lors de la signature des statuts et qu'elle
n'est en outre prévue que dans cette seule hypothèse ; que l'arrêt relève encore, par
motifs propres, que si, par application de l'article 1844, alinéa 1er, du Code civil, tout
associé a le droit de participer aux décisions collectives, ce principe n'est pas absolu
et peut connaître des dérogations législatives expresses ou implicites, que
précisément, la société par actions simplifiée repose sur la dissociation du pouvoir
financier et du pouvoir décisionnel, qu'ainsi en dispose l'article L. 227-9 du Code de
commerce qui en son premier alinéa fait de la décision collective une valeur
supplétive selon une énumération limitative des cas dans les statuts, qu'il résulte du
second alinéa du même texte qu'à l'exception des modifications du capital, du sort
de la société et du contrôle des comptes, toute la vie d'une société de ce type peut
obéir aux décisions d'une minorité en capital et que l'article L. 227-16 du même
code, qui évoque l'exclusion d'un associé, n'en dispose pas autrement ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Note de H. Hovasse, Professeur à l'Université de Rennes

L'arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 23 octobre


2007 est un arrêt de principe qui a trait à l'existence du droit de vote attaché
aux actions d'une SAS. Dans quelle mesure peut-il être supprimé par une
stipulation statutaire ?

Cette question était clairement posée au juge lors d'un litige relatif à l'exclusion
d'un actionnaire majoritaire d'une SAS. Pour rendre possible une telle
exclusion, les statuts de la société stipulaient que le droit de vote attaché à ses
actions ne pouvait être exercé dans la délibération collective qui le concernait.
L'actionnaire majoritaire, soutenant que cette stipulation statutaire portait
atteinte au droit de vote reconnu à tout associé, a demandé l'annulation de la
décision d'exclusion.

D'emblée, la question posée révèle les intérêts majeurs mis en jeu par la
réponse. La SAS a connu un réel succès qu'elle doit à la liberté contractuelle à
laquelle le législateur a fait la plus grande place. Faut-il la faire rentrer dans le
rang par la voie de l'ordre public ? Le conflit de frontière entre le droit
commun sociétaire et le droit spécial de la SAS, entre l'ordre public et la liberté
contractuelle se présente à propos du droit de vote dont l'importance est sujette
à controverse (cf. S. Castagné, Vote en faveur du droit de vote : Dr. sociétés
2000, chron. 21). La tension apparaît d'autant plus forte que la Cour de
cassation a « sacralisé » le droit de vote par l'arrêt « Château d'Yquem » du
9 février 1999 (Cass. com., 9 févr. 1999, n° 96-17.661 : Dr. sociétés 1999,
comm. 67 note T. Bonneau ; JCP E 1999, 724, note Y. Guyon ; Bull. Joly
Sociétés 1999, p. 566, note J.-J. Daigre ; D. 2000, somm. p. 231, obs. J.-C.
Hallouin ; Rev. sociétés 1999, p. 81, note P. Le Cannu ; Défrénois 1999, p. 625,
note H. Hovasse), tandis que le législateur a fait plusieurs pas dans le chemin
inverse comme l'attestent la SAS elle-même et les nouvelles actions de
préférence.

La cour de Douai, dans un arrêt en date du 16 mars 2006, a admis la validité de


la clause statutaire supprimant le droit de vote de l'actionnaire majoritaire dans
la délibération sur son exclusion. Ses motifs rédigés avec soin soulignaient la
spécificité de la SAS qui ouvre à la liberté contractuelle un champ qui dépasse
ce que permet le droit commun sociétaire.

La Cour de cassation n'emprunte pas cette voie. Prenant appui à la fois sur
l'article 1844 alinéa 1 du Code civil. et l'article L. 227-16 du Code de commerce,
elle casse l'arrêt de la cour de Douai au motif « qu'il résulte du premier de ces
textes que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de
voter et que les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions que dans les cas
prévus par la loi, que, si, aux termes du second les statuts d'une SAS peuvent,
dans les conditions qui les déterminent, prévoir qu'un associé peut être tenu de
céder ses actions, ce texte n'autorise pas les statuts, lorsqu'ils subordonnent
cette mesure à une décision collective des associés, à priver l'associé dont
l'exclusion est proposée de son droit de participer à cette décision et de voter
sur la proposition ». Ainsi la Cour de Cassation s'emploie à réaffirmer la
prééminence du droit commun des sociétés qui, en l'espèce, formule une règle
d'ordre public, sans altérer la spécificité de la SAS qui repose sur la liberté
contractuelle. Cet équilibre qui tient, pour une part, de l'acrobatie donne un
fondement fragile à la solution adoptée et contribue à ne lui conférer qu'une
portée modeste.

1. Le fondement de l'arrêt

L'article L. 227-1 alinéa 3 du Code de commerce dispose que « dans la mesure


où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le
présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception des
articles L. 225-17 à L. 225-126 et L. 225-43 sont applicables à la société par
actions simplifiée ». Or, parmi les dispositions dont l'application à la S.A.S. est
écartée, figurent celles de l'article L. 225-122-I du Code de commerce aux
termes duquel « le droit de vote attaché aux actions de capital ou de jouissance
est proportionnel à la quotité de capital qu'elles représentent et chaque action
donne droit à une voix au moins. Toute clause contraire est réputée non
écrite ». Ainsi les actions de SAS sont affranchies de deux règles des sociétés
par actions, d'une part, celle de la proportionnalité du droit de vote au capital,
ce qui autorise les actions à droit de vote plural, d'autre part, celle de l'existence
même d'un droit de vote, ce qui permet la création d'actions sans droit de vote.

Précisément, la Cour de cassation ferme la faculté ouverte par l'article L. 227-1


alinéa 3 du Code de commerce de créer des actions sans droit de vote en
prenant appui sur le droit commun des sociétés et plus particulièrement sur
l'article 1844 alinéa 1 du Code civil dont il n'est pas discuté qu'il est d'ordre
public. « Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ». La
doctrine a toujours considéré que le droit de participer englobait le droit de
voter, jusqu'à ce que la Cour de Cassation distingue entre l'un et l'autre (Cass.
com., 4 janv. 1994, n° 91-20.256 : Dr. sociétés 1994, comm. 45, note Th.
Bonneau ; JCP G 1994, IV 616 ; Bull. civ. 1994, IV, n° 10 ; Défrénois 1994,
p. 556, obs. P. Le Cannu), mais celle-ci a dissipé toute incertitude en associant,
dans l'article 1844 al.1, le droit de voter à celui de participer (Cass. com., 9 févr.
1999 précité). C'est par l'affirmation de la prééminence du droit commun que la
Cour de Cassation condamne les stipulations statutaires qui priveraient un
actionnaire d'une SAS de voter dans les délibérations collectives, sous la réserve
de créer des actions de préférence sans droit de vote dans les limites fixées par
l'article L. 228-11 du Code de commerce. Mais on peut douter, en l'espèce, de
cette prééminence du droit commun et considérer que le droit spécial de la SAS
y déroge. Deux séries d'arguments peuvent être présentées en ce sens.

En premier lieu, l'article L. 225-122-I du Code de commerce qui attribue une


voix à toute action n'est que la transcription dans le droit des sociétés par
actions de la règle formulée par l'article 1844 alinéa 1 du Code civil, l'une et
l'autre disposition partagent d'ailleurs le même caractère d'ordre public. Il est
malaisé d'admettre que le législateur, en décidant de soustraire la SAS à la
première, ait entendu maintenir à son égard l'application de la seconde, alors
que l'une et l'autre ont la même justification et la même force.

En second lieu, la Cour de Cassation ne convainc pas lorsqu'elle souligne la


liberté contractuelle d'organiser l'exclusion d'un actionnaire et qu'elle énonce
l'interdiction de le priver de son droit de vote, lorsque cette exclusion est
subordonnée à une décision collective. L'article L. 227-16 alinéa 1 du Code de
commerce dispose que « dans les conditions qu'ils déterminent, les statuts
peuvent prévoir qu'un associé peut être tenu de céder ses actions ». En d'autres
termes, le pouvoir d'exclure un associé peut être attribué à un quelconque
organe de la société, tel le président ou un comité quelconque. Dans un tel cas,
l'associé exclu est tenu à l'écart de la décision qui l'atteint. Pourquoi alors ne pas
permettre aux statuts de retirer son droit de vote à l'associé exposé à
l'exclusion, lorsqu'ils subordonnent cette mesure à une décision collective. Qui
peut le plus peut le moins. La portée de la solution de principe adoptée par la
Cour de Cassation est à la mesure de la fragilité de son fondement.

2. La portée de l'arrêt

Insérer une solution de rigidité dans un contexte de large liberté contractuelle,


c'est s'apprêter à observer qu'elle ne trouvera pas d'application.

La Cour de cassation restreint elle-même la portée de sa solution. Puisqu'un


actionnaire ne saurait être privé de son droit de voter qu'autant que la décision
doit être collective, les stipulations statutaires ne manqueront de soustraire à la
collectivité des actionnaires les décisions que le législateur ne lui attribue pas
impérativement, notamment les décisions d'exclusion. Il n'est pas sûr que la
transparence y gagne.

S'agissant des décisions impérativement attribuées à la collectivité des


actionnaires par l'article L. 227-9 alinéa 2 du Code de commerce, celui-ci en
abandonne les modalités aux statuts. On pouvait concevoir que dans l'exercice
collectif de ces attributions, certains actionnaires pourraient se borner à
« participer » tandis que d'autres voteraient. C'en est fini : tous, à présent,
doivent voter. Mais la difficulté est aisée à surmonter par la création d'un droit
de vote plural au profit de certains actionnaires pour certaines décisions.
L'article 1844 alinéa 1 du Code civil aura été respecté par l'attribution d'une
voix à certaines actions mais sera en réalité sans effet en face d'un droit de vote
plural à d'autres actions.

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Document 4

Les décisions prises en méconnaissance des statuts ou du règlement


intérieur ne peuvent être annulées qu'exceptionnellement

Note sous Cour de cassation (com.) 18 mai 2010, FS-P+B+I+R, n° 09-14.855, Sté
Française de gastronomie c/ Sté Larzul

Paul Le Cannu , Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Paris I)

L'essentiel
Il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce que la nullité des actes
ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que
de la violation d'une disposition impérative du livre II du même code ou des lois
qui régissent les contrats ; que, sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage
de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager
conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations
contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la
nullité

La Cour,
Sur le moyen unique, après avertissement délivré aux parties :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 17 mars 2009), que les actions composant le
capital de la société par actions simplifiée Larzul sont détenues pour moitié par la
société Vectora et pour moitié par la société FDG, directement ou par
l'intermédiaire de sa filiale, la société Ugma ; que les statuts de la société Larzul
stipulent notamment que la société est dirigée par un conseil d'administration
composé de quatre membres au moins et qu'en cas de vacance par décès ou
démission, le conseil d'administration peut, entre deux décisions collectives,
procéder à des nominations à titre provisoire ; qu'aux termes du règlement intérieur
de cette même société, les associés sont convenus que le nombre d'administrateurs
désignés par chacun d'eux devra refléter leur parité dans la répartition du capital ;
qu'après la démission de l'un des deux administrateurs représentant la société FDG,
le conseil d'administration de la société Larzul, réduit à trois membres, a tenu deux
réunions, les 22 mai et 12 septembre 2007 ; que la société FDG a fait assigner la
société Larzul et son président M. Larzul et demandé notamment l'annulation de la
réunion du conseil d'administration du 12 septembre 2007 ainsi que celle des
procès-verbaux des deux réunions ;
Attendu que la société FDG fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes alors,
selon le moyen, qu'aux termes de l'article 14, a) I des statuts de la société paradions
simplifiée Larzul, article reproduit par la cour d'appel, le conseil d'administration est
composé de quatre membres au moins et de six au plus choisis parmi les associés
ou en dehors d'eux ; qu'en vertu de l'article 2 du règlement intérieur, les associés
conviennent que le nombre d'administrateurs désignés par chacun d'eux devra
refléter leur parité dans la répartition du capital ; que selon l'article 14, b) II, la voix
du président de séance n'est pas prépondérante en cas de partage ; qu'enfin, l'article
14, a) IV prévoit, en cas de vacance, la possibilité de désigner provisoirement un
administrateur en conseil d'administration, étant rappelé que, comme le relève la
cour d'appel, une procédure de saisine de l'assemblée générale des associés peut
également être demandée à cet effet et "sur le champ" par les associés représentant
20 % du capital social ; qu'il résulte de ces dispositions claires et précises que le
conseil d'administration doit, pour être valablement composé, être composé d'au
moins quatre membres, reflétant la parité des associés dans la répartition du capital
de chaque personne juridique ; qu'en relevant néanmoins qu'en cas de vacance le
conseil d'administration composé différemment de ce qui est prévu au statut peut
valablement statuer, la cour d'appel dénature les dispositions précitées des statuts et
du règlement intérieur et partant viole l'article 1 134 du code civil ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce que la
nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne
peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre Il du même
code ou des lois qui régissent les contrats ; que, sous réserve des cas dans lesquels il
a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager
conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations
contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la
nullité ; que par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, l'arrêt se trouve
légalement justifié ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Par ces motifs :


Rejette le pourvoi ;
Mme Favre, prés. ; M. Petit, cons. rapp. ; Mme Tric, cons. doyen ; Mmes Pezard, Laporte, Bregeon,
Mandel, M. Le Dauphin, cons. ; Mmes Beaudonnet, Farthouat-Danon, Michel-Amsellem,
Maitrepierre, MM. Sémériva, Pietton, Salomon, cons. référendaires ; Mme Batut, av. gén. ; Me
Blondel, SCP Gaschignard, av.
Note : Nullité des actes ou délibérations des organes sociaux : un important arrêt
d'étape

1. Belle, cette fleur de jurisprudence, mais urticante. Belle, parce qu'elle affronte une
question que le législateur a largement laissée au juge, et qui est susceptible de se
poser souvent, au moins par anticipation. Urticante, à cause de sa double vérité,
d'un côté trop simple, et de l'autre trop mystérieuse. L'arrêt (1) rappelle que la
violation des statuts d'une société commerciale n'est pas sanctionnée par la nullité.
Il ouvre ensuite une porte dont le code comporte des chiffres imprécis : la nullité
pourra quand même être encourue si l'irrégularité méconnaît un « aménagement
conventionnel » d'une règle impérative. Disons-le franchement : il sera difficile de
s'en tenir à cet arrêt. L'on préférerait qu'il soit écrit pour provoquer une
intervention du législateur (il sera un thème de développement dans le Rapport
annuel de la Cour de cassation). Sinon, il annonce une débauche d'argumentations
compliquées sur la seule ouverture qu'il laisse à l'annulation des actes ou
délibérations contraires aux statuts ou au règlement intérieur (voire aux deux à la
fois).
2. Orné de toutes les marques d'égard que révèlent les signes en usage à la Cour,
l'arrêt comporte une formule dont tout laisse penser qu'elle a été savamment pesée.
Après avoir rappelé la norme posée par l'article L. 235-1 du code de commerce, la
Chambre commerciale énonce que, « sous réserve des cas dans lesquels il a été fait
usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager
conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations
contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la
nullité ».
Il s'agit d'un motif de pur droit, substitué à ceux dont la cour d'appel de Rennes
avait elle-même conçus pour rejeter la demande d'annulation qui lui était soumise.
L'attaque visait des réunions du conseil d'administration d'une société par actions
simplifiée, qui s'étaient tenues avec trois membres, alors que les statuts de la société,
complétés par le règlement intérieur, imposaient une parité, avec deux membres «
représentant » l'un des actionnaires et deux membres « représentant » l'autre
actionnaire.
3. La cour d'appel de Rennes n'avait sans doute pas voulu s'élever trop visiblement
à la hauteur des grands principes du droit des sociétés. Elle avait recherché si « les
décisions du conseil d'administration [avaient] été prises en violation du droit des
contrats », et y avait répondu par la négative. Elle avait ensuite observé qu'un
conseil d'administration réduit à trois membres a « le pouvoir de prendre des
décisions ».

Les statuts précisaient qu'en cas de vacance par décès ou démission, le conseil
d'administration pouvait, entre deux décisions collectives, procéder à des
nominations à titre provisoire. Cette possibilité de cooptation, on le sait, est admise
dans le droit de la société anonyme, qui a servi de modèle, en partie, aux statuts de
la SAS en cause. Or, après la démission de l'un des deux administrateurs
représentant l'une des deux sortes d'actionnaires, le conseil d'administration de la
SAS, réduit à trois membres, avait tenu deux réunions, dont l'annulation était
recherchée.
La règle violée était en partie dans les statuts, en partie dans le règlement intérieur.
Les statuts lui semblant contradictoires, la cour d'appel s'était prononcée par voie
d'interprétation pour dire que le contrat avait été respecté.
4. La motivation substituée par la Cour de cassation est centrée sur une disposition
du droit des sociétés, relative à la nullité des actes et délibérations des organes
sociaux, l'article L. 235-1. On sait que ce texte traduit le désir de limiter les cas
d'annulation : la nullité « ne peut résulter que de la violation d'une disposition
impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats ». On
pouvait s'interroger sur les modalités d'application de ce texte à la SAS. Mais la
Chambre commerciale a évité toute règle spécifique ; son arrêt pose un principe
applicable à toutes les sociétés commerciales, et une exception tout aussi générale.
I. Les statuts ne sont pas en eux-mêmes des dispositions impératives sanctionnées
par la nullité

5. Toute une série d'arrêts ont pu affirmer que les statuts ne constituent pas une
disposition impérative du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les
contrats. Pas plus les autres normes internes, comme le règlement intérieur. Cette
solution, reprise par le présent arrêt, a pour elle d'assez solides raisons.
L'affirmation selon laquelle le non-respect des statuts constitue une violation de
l'article 1134 du code civil, juste en elle-même, ne suffit pas à raccrocher ce texte au
wagon des dispositions impératives ; les atteintes à la règle pacta sunt servanda sont
telles, de nos jours, que l'article 1134 y perd de son caractère « impératif ». Dans le
contexte du droit civil, l'article 1134 n'est pas compris comme une norme posant
une condition de validité des contrats. Dans le contexte du droit des sociétés,
l'article L. 235-1 laisse apparaître qu'une hiérarchie des normes est instaurée sous le
rapport de la sanction. En outre, le raisonnement proposé par Yves Guyon aurait
des conséquences très larges : ce ne seraient pas les seules dispositions impératives
des statuts qui pourraient être sanctionnées, mais toutes les stipulations de ces
derniers. En effet, le caractère impératif serait exigé de l'article 1134 lui-même, et
non des clauses qu'il devrait faire rentrer dans le champ de la sanction.
Cette sorte de recours à l'article 1134 serait donc trop puissante par rapport au but
recherché.
6. Fallait-il, cependant, traiter à cet égard la SAS comme les autres sociétés
commerciales ? La Cour de cassation a montré, en d'autres occasions, qu'elle voulait
bien moduler le champ des nullités, malgré le caractère hermétique de l'article L.
235-1 (2) On a souvent dit et écrit que c'est son caractère « contractuel » qui type la
SAS. Le refoulement de la nullité, dans une société largement dépourvue de règles
impératives pour son fonctionnement interne, est assez surprenant (3). La nullité,
quelle que soit l'opinion qu'on ait de son champ d'application, reste le moins
mauvais moyen d'empêcher le fait accompli. La chasser du domaine de
l'organisation statutaire de la SAS revient à encourager diverses infractions
contractuelles, dont les conséquences préjudiciables ne sont pas toujours
définissables et prouvables. La SAS est le royaume de l'astuce - à encourager si les
parties sont capables de bien comprendre ce qu'elles font, mais redoutable si
certaines manquent de défense. Si, outre les stipulations déséquilibrées, on permet
aux promoteurs de SAS de violer sans dommage leurs engagements, on ne rend pas
un grand service à cette forme de société dans tous les cas où il existe des associés
qui n'ont pas les mêmes intérêts.
7. Pour autant, le raisonnement exégétique donne raison à la Cour de cassation. Il
existe des nullités en matière d'actes accomplis par un organe de SAS ; ce sont
celles de l'article L. 227-9, lorsque des décisions sont prises en violation des règles
posées par cet article (notamment lorsqu'une décision légalement collective n'a pas
fait intervenir tous les associés, et celles visées par l'article L. 227-15. Il n'est donc
pas permis de penser que le législateur a omis les nullités pour les SAS. Il a
seulement fait sa sélection, y compris en incluant certaines violations des statuts : «
toute cession effectuée en violation des clauses statutaires est nulle ».
Enfin, la SAS n'est pas, tant s'en faut, la seule forme de société où les statuts ont
une grande importance. Sans parler de la société en participation, toutes les sociétés
de personnes laissent une place très large à la détermination conventionnelle de
leurs règles de fonctionnement.
Une approche plus fine du phénomène de la violation des statuts s'impose donc.
C'est ce qu'a voulu faire la Cour de cassation.

II. Des aménagements conventionnels d'une règle impérative peuvent être


sanctionnés par la nullité des actes qui ne les respectent pas

8. Trois éléments situent l'exception au principe selon lequel les statuts, et a fortiori
le règlement intérieur, ne sont pas sanctionnés par la nullité.
Selon le premier, une règle impérative doit servir de souche à l'extension. L'idée est
très compréhensible. D'une part, elle permet de garder le contact avec l'article L.
235-1. D'autre part, beaucoup de règles légales impératives nécessitent des
précisions pour leur mise en oeuvre. Il incombe aux statuts de les donner, pour que
la règle impérative ait quelque chance de s'appliquer !
En tout cas, la formule inscrite dans l'arrêt condamne l'autonomie de la « clause de
nullité », celle par laquelle les statuts prévoient eux-mêmes que telle de leur
stipulation sera sanctionnée par une nullité. Cette solution ne peut être envisagée
que pour un aménagement conventionnel d'une règle impérative ; autrement dit, en
l'état, elle n'a qu'un faible intérêt.
9. Selon le deuxième élément, il faut une convention. Le terme, on le sait, est
généralement perçu comme plus large que celui de contrat. Il ne fait pas de doute
que la Chambre commerciale a voulu inclure les statuts dans ces « conventions ».
A-t-elle voulu aller plus loin ? L'arrêt laisse penser que la notion peut abriter le
règlement intérieur. Mais ce n'est pas certain. En effet, l'arrêt rejette un pourvoi
contre un arrêt qui lui-même déboutait un demandeur qui se fondait sur la violation
d'un règlement intérieur. La Cour de cassation ne dit donc pas que le règlement
intérieur est une convention, ni que les « aménagements » que ce règlement peut
comporter sont nécessairement sanctionnés par la nullité.
Elle ne l'exclut pas non plus, et cela se comprend, car le règlement intérieur peut, à
certaines conditions, prendre une valeur conventionnelle. Nous maintenons que ce
n'est pas le cas lorsqu'il émane, unilatéralement, d'un organe social comme un
conseil, un comité, un directoire... En revanche, lorsqu'il procède d'un accord
unanime des associés, il n'y a aucune difficulté à lui reconnaître une nature
conventionnelle. La question est beaucoup moins claire si le règlement intérieur
procède d'une décision collective prise à la majorité.
10. Enfin, troisième élément, la règle légale impérative reçoit un « aménagement ».
Le terme est choisi. Il ne s'agit évidemment pas d'une « exception ». Ce n'est pas
non plus une simple modalité d'application, ni même une précision « nécessaire » de
ladite règle. L'aménagement suggère déjà une modification, mais d'une nature telle
qu'elle ne méconnaît pas les traits essentiels de la règle impérative.
11. Les premières études ont déjà montré à quel point il était difficile de cerner les «
aménagements » de diverses règles impératives. Le problème, comme un diamant
très travaillé, comporte en effet de très nombreuses facettes, tant du côté de la règle
impérative que du côté de la stipulation conventionnelle. Les exemples ont été pris,
à juste titre en raison de la portée générale de la règle posée par la Cour de
cassation, dans le droit de la société anonyme, et nous renvoyons pour leur étude
aux excellentes notes de nos collègues Le Nabasque, Couret et Dondero.
Comme l'arrêt du 18 mai 2010 concerne une SAS, nous nous contenterons de «
faire tourner le modèle » à propos des règles propres à ce type de société.
12. Première observation : les dispositions qui donnent mission, plus ou moins
libre, aux statuts, de déterminer les règles de fonctionnement de la société ne sont
pas tournées de telle manière que l'on puisse dire qu'un organe social a violé l'un
des ces dispositions. On pourra généralement lui reprocher de ne pas avoir exécuté
l'obligation de rédiger des statuts complets, mais il n'y a matière ni à nullité, ni à
aménagement.
13. Deuxième observation : supposons une norme clairement impérative, et que les
violations n'atteignent pas forcément sa substance. C'est ainsi que toute SAS doit
nommer un président ; peu de doute que la règle soit impérative. En revanche, si le
processus de nomination est irrégulier au regard des clauses des statuts, il n'est pas
certain que « l'aménagement conventionnel » que constitue le procédé de
désignation du président soit suffisamment important dans sa nature pour justifier
une annulation de cette désignation. On pourrait dire, en effet, que la loi exige
seulement que la SAS soit représentée. Toutefois, le droit commun des sociétés
protège les tiers, et l'on peut donc admettre que la nullité soit prononcée dans ce
cas, son effet erga omnes dépendant du jour où la publicité est réalisée.
14. Troisième observation : la loi peut elle-même écarter toute possibilité
d'aménagement conventionnel si, à propos d'une règle impérative, elle exclut la
nullité. Tel nous semble être le cas au sujet des conventions réglementées. On sait
que le dispositif qui leur est applicable obéit à des règles moins strictes que dans la
société anonyme. Il est cependant prévu que les associés doivent statuer sur le
rapport que le commissaire aux comptes établit sur ce genre de conventions. Cette
règle n'est pas facultative. L'article L. 227-10 admet néanmoins que les conventions
non approuvées produisent leurs effets. Il semble difficile, dans la lecture
aujourd'hui choisie par la Cour de cassation, d'imposer statutairement une
annulation des conventions sur lesquelles les associés n'ont pas statué. A fortiori ne
peut-on espérer qu'une exigence d'autorisation préalable appellerait la nullité des
conventions non autorisée. Ce que l'on peut regretter.
15. Dernière observation : les décisions prises en violation des dispositions de
l'article L. 227-9 « peuvent être annulées à la demande de tout intéressé ». Les
statuts peuvent-ils utilement remplacer le mot « peuvent » par le mot « doivent » ?
La réponse est nécessairement négative. Outre ce qui est dit plus haut à propos de
la clause de nullité, cette rédaction aurait pour effet de rendre impérative pour le
juge une règle qui, légalement, ne l'est pas.

Mots clés :
SOCIETE EN GENERAL * Nullité * Statut * Règlement intérieur * Non-respect

(1) Publié au Bulletin ; D. actualité, 20 mai 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. AJ.
1345 ; JCP E 10 juin 2010, § 1562, note A. Couret et B. Dondero ; Bull. Joly 2010.
651, note H. Le Nabasque.
(2) Elle a décidé que des dispositions légales impératives situées en dehors du livre
II du code de commerce pouvaient être sanctionnées par la nullité ; elle a transposé
la distinction entre nullités relatives et nullités absolues.
(3) Tel est l'avis d'éminents auteurs (V. notamment note A. Couret et B. Dondero,
préc.).

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