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LES MANDATAIRES JUDICIAIRES DANS LE DROIT

OHADA
Par Dieunedort NZOUABETH
Agrégé de Droit privé et des Sciences criminelles
Chef du département de Droit privé à la FSJP-UCAD

SALY, LAMANTIN BEACH, 13 JANVIER 2017

La législation applicable aux entreprises en difficulté dans l’espace OHADA s’est


révélée au fil du temps inefficace et contre-productive pour les entreprises traversant
une situation financière difficile. Le diagnostic posé laissait apparaître que les objectifs
fixés à savoir le sauvetage des entreprises viables, la liquidation des entreprises non
viables, le paiement substantiel des créances, le tout de manière rapide et transparente,
n’étaient pas atteints dans des proportions significatives. Et les causes de cet échec
étaient multiples et diverses. Entre autres causes, le rapport d’audit commandité à ce
propos pointait du doigt entre autres causes, le dysfonctionnement des organes de la
procédure collective qui ne peut réaliser les finalités poursuivies qu’avec le concours
d’un certain nombre d’organes mis en place par le législateur OHADA. Ainsi distingue-
t-on les organes judiciaires des organes extrajudiciaires.
Les organes judiciaires sont au nombre de deux : un organe collégial et lourd qui
est le tribunal compétent ; ce tribunal depuis la réforme de l’organisation judiciaire au
Sénégal est le tribunal de grande instance et un organe à composition unique donc léger
qui est le juge commissaire. A ces organes tend à s’ajouter le ministère public dont le
rôle devient de plus en plus important dans les procédures collectives d’apurement du
passif du fait qu’elles revêtent un caractère d’ordre public et concernent l’intérêt général.
A côté de ces organes judiciaires, on retrouve les organes extrajudiciaires et dont
le rôle est primordial dans l’adoption d’une mesure préventive de cessation des
paiements, d’une part et dans le déroulement et le dénouement des procédures
collectives d’apurement du passif, d’autre part.
Ces organes extrajudiciaires que sont l’expert et le syndic sont regroupés depuis
la révision de l’AUPC/AP sous le statut de mandataires judiciaires dont le travail

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rémunéré se fait dans le cadre du règlement préventif, du redressement judiciaire et de
la liquidation des biens.
Dans le souci de s’assurer de la compétence et de l’intégrité des mandataires
judiciaires pour une efficacité des procédures collectives, le législateur OHADA a placé
ces derniers au centre des préoccupations de ses préoccupations. Ce d’autant plus que
l’absence d’une réglementation claire du statut des mandataires judiciaires était l’une
des faiblesses de l’Acte uniforme de 1998.
Le renforcement du rôle des organes extrajudiciaires explique l’amoindrissement
de celui des organes des créanciers que sont l’assemblée des créanciers et les
contrôleurs. En effet, dans l’AUPC/AP le rôle des créanciers s’est amoindri ;
l’assemblée des créanciers est chargée de voter le concordat en cas de redressement
judiciaire à la condition d’ailleurs que le projet de concordat contienne une demande de
remise de dettes. Quant aux contrôleurs dont la désignation effective par le juge-
commissaire dans une procédure est facultative, sauf lorsqu’elle est demandée par la
majorité des créanciers, ils ont pour mission de surveiller et de contrôler le déroulement
de la procédure (Art. 48 et suivants AUPC/AP). Ils sont consultés sur des questions
importantes comme la vérification des créances (Art. 84, 112, 119, 122 et 127-1
AUPC/AP) et peuvent formuler des suggestions pour le bon déroulement de la
procédure. Ils comblent aussi parfois les carences du syndic (Art. 72, al. 2 AUPC/AP).
Avec l’adoption de l’AUPC/AP en 1998, il y avait eu, certes, une certaine
avancée quant au statut des organes extrajudiciaires ; avancée marquée par la fin du
dualisme syndic de faillite et liquidateur, pratique héritée de la législation française et
qui était en cours dans la plupart des législations nationales africaines. Toutefois, cette
seule innovation n’a pas été jugée suffisante faute d’avoir prévu pour ces organes de la
procédure collective un véritable statut incluant des conditions de nomination, de
responsabilité de discipline ainsi qu’un minimum de règles gouvernant les modalités de
leur rémunération. Ainsi durant le processus de révision de l’AUPC/AP, les
représentants du secteur privé avaient souligné l’absence de tout contrôle sur les
conditions de recrutement et de nomination des experts et syndics ainsi que sur le mode
de calcul obscur et aléatoire de leur rémunération.

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Cette critique, somme toute fondée et légitime ne pouvait être ignorée du
législateur. Dès lors, il apparaissait indispensable de consacrer un véritable statut des
mandataires judiciaires, qu’ils soient syndics ou experts. C’est la raison pour laquelle,
le texte issu de la rencontre de Grand Bassam du 10 septembre 2015 et entré en vigueur
le 24 décembre 2015 consacre, avant même de décliner les procédures collectives
proprement dites, le Titre 1 à une réglementation de base du statut des mandataires
judiciaires dont la profession apparaît dès lors, mieux encadrée.
Un dispositif clair et innovant sur certains aspects a ainsi été consacré à l’accès
aux fonctions de mandataire judicaire, aux conditions de désignation et d’exercice de
ces fonctions, aux règles de contrôle et discipline, à la responsabilité, à la rémunération
des mandataires judiciaires et à l’exigence d’ouverture d’un compte spécial.
Ce dispositif de base devait être complété par des textes nationaux,
conformément aux dispositions de l’article 4 AUPC/AP qui prévoit « Chaque Etat
partie adopte, en tant que de besoin, le règles d’application des dispositions du présent
Titre. Il prévoit, selon des modalités appropriées, la régulation et la supervision des
mandataires judiciaires agissant sur territoire, au besoin en mettant en place à cet effet
une autorité nationale dont il fixe l’organisation, la composition et le fonctionnement ».
Mais cet article 4 de l’AUPC en disposant que chaque Etat adopte « en tant que
de besoin» les règles d’application des dispositions relatives à l’encadrement des
mandataires et qu’il prévoit leur supervision au besoin par une autorité nationale qu’il
met en place, hypothèque de fait le dispositif du Titre I en renvoyant au bon vouloir des
Etats sa mise en œuvre effective. Plus loin, le législateur met en effet à la charge de cette
autorité compétente (ou de la juridiction compétente qui risque ne pas avoir les moyens
de le faire), le contrôle de la comptabilité des mandataires, l’ouverture des poursuites
disciplinaires à leur encontre et leur mise en application.
Bien plus, en mettant à la charge de ces mêmes Etats, l’élaboration des listes
nationales d’inscription des mandataires judiciaires (Première étape vers un contrôle et
une harmonisation de ces professionnels) et en leur permettant de compléter les
conditions d’inscription sur ces listes, le législateur remet une fois de plus en cause son
propre travail. Nul ne doute que des raisons de souveraineté et économiques expliquent
ce choix de l’OHADA, mais connaissant la lenteur des Etats à mettre en œuvre les « lois

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d’application» des Actes Uniformes, il est à craindre que cet encadrement législatif des
mandataires judiciaires, annoncé à grands cris, ne soit qu’une simple déclaration écrite
d’intention. Le sort de ces mesures innovantes et pertinentes concernant les mandataires
judiciaires est donc entre les mains du temps, de chaque Etat partie, des éventuelles
autorités mises en place pour faire appliquer la loi et aussi bien évidemment, des experts
et des syndics. La mise en application de ces mesures sera sans doute à observer de près
durant les prochaines années. N’insultons, cependant, pas l’avenir.
Heureusement qu’il existe quelques Etats pour dissiper notre pessimisme du
moment. Ainsi la Côte d’Ivoire qui sans être aussi complet comme le Sénégal, a réagi
par décret n° 2016-48 du 10 février 2016 portant création, attributions, organisation et
fonctionnement de la Commission nationale de contrôle des mandataires judiciaires et
quant au Sénégal, il a par deux textes, le décret n° 2016-570 du 27 avril 2016 relatif au
statut des mandataires judiciaires pris en application de l’AUPC/AP et l’arrêté
ministériel n°7934 en date du 31 mai 2016 relatif au barème de rémunération des
mandataires judiciaires pris en application du décret sus-évoqué, complété les règles
régissant le statut de mandataires de justice. Ce dispositif pose des règles empreintes
d’éthique dont les unes sont relatives à l’accès (I) et les autres à l’exercice (II) de la
fonction de mandataire judiciaire.

I. L’ACCES A LA FONCTION DE MANDATAIRE JUDICIAIRE


Le Titre 1 de l’AUPC/AP comporte pas moins de 24 articles, répartis en 7
chapitres dont certains organisent l’accès aux fonctions des mandataires judiciaires
(Articles 4‐1 à 4-3). Il résulte de ces textes que des conditions de fond (A) et de forme
doivent être respectées (B).
A. Les conditions de fond
Elles sont pour l’essentiel relatives à la personne du mandataire de justice. Ainsi pour
être Expert au règlement préventif ou syndic du redressement judiciaire ou de la
liquidation des biens, il faut être une personne physique remplissant certaines conditions
strictes telles que :
- le plein exercice des droits civils et civiques ;

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- l’absence de toute sanction disciplinaire, autre que l’avertissement ou d’une
condamnation pénale définitive à une peine privative de liberté pour un crime de droit
commun ou à une peine d’au moins trois (03) mois d’emprisonnement non assortie du
sursis pour un délit contre les biens ou une infraction en matière économique ou
financière incompatible avec la fonction de mandataire judiciaire ;
- avoir la qualité d’expert-comptable inscrit au tableau de l’Ordre ou l’habilitation de la
législation nationale ;
- justifier d’une résidence fiscale dans l’Etat partie dans lequel l’inscription est sollicitée
et être à jour de ses obligations fiscales ;
- présenter des garanties de moralité jugées suffisantes par l’autorité ou la juridiction
compétente de l’Etat partie.
On notera qu’il s’agit là de conditions de bonne moralité et de compétence.
Dans le cadre de l’habilitation envisagée par le législateur OHADA, le législateur
sénégalais à travers l’article 7, 3°) du décret n° 2016-570 du 27 avril 2016 a ajouté à la
liste des personnes susceptibles de devenir mandataires de justice, les experts inscrits
aux sections commerciale, fiscale, maritime-marchandises de l’Ordre national des
experts et évaluateurs agréés (ONEEAS) et au §. 7 du même article 7, les avocats
inscrits au tableau de l’Ordre des avocats et remplissant les conditions de moralité
exigées de tout mandataire judiciaire. Toutefois et curieusement, ces derniers ne peuvent
s’inscrire sur la liste qu’en qualité de syndic.
B. Les conditions de forme
Toute personne désirant être inscrite au tableau nationale des mandataires
judiciaires en fait la demande à la Commission nationale de contrôle et de discipline des
mandataires judiciaires avant le 30 juin de chaque année.
Cette demande est faite par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre
recommandée avec avis de réception ou par tout moyen laissant trace écrite. Il s’agit ici
d’établir, le cas échéant, la preuve d’une demande. La demande doit être accompagnée
d’un certain nombre de pièces (06) originales ou en copies certifiées conformes (Article
8 du décret).
La Commission nationale est chargée entre autres, de recevoir et de statuer sur
les demandes d’inscription sur la liste des mandataires, d’arrêter la liste des mandataires

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qu’elle transmet au Ministre chargé de la justice qui prend un arrêté portant liste
nationale des mandataires, Cette liste est publiée JO de la république du Sénégal et au
JO de l’OHADA au plus tard le 30 novembre de chaque année et communiqué sans délai
aux cours et tribunaux (Article 9 du décret). Mais cette liste doit être révisée chaque
année pour prendre en compte les inscriptions nouvelles et les radiations.
La Commission nationale est composée de onze (11) personnes placées sous la
présidence du Directeur des affaires civiles et du sceau. Le mandat de la Commission
est de trois (03) ans renouvelables une fois (Articles 3 et 4 du décret). Il faut regretter
qu’il ne soit pas pris en compte dans la liste l’Association des Banques et établissements
financiers.
La décision de refus d’inscription doit être motivée et la Commission est tenue
de notifier son refus à l’intéressé qui peut dans un délai de quinze (15) jours à compter
de la publication de ladite décision introduire un recours pour excès de pouvoir (qui
sera l’autorité adressataire ? Le Ministre ou le président de la Commission ?)
(Article 10 décret).
Lorsqu’une demande d’inscription est admise, la décision doit être communiquée
aux différents ordres professionnels auxquels appartiennent les mandataires judiciaires
(Dans quels délais ? Et en cas de non communication ?) et ceux-ci peuvent exercer
un recours pour excès de pouvoir contre l’inscription (Al. 3, Article 10 du décret).

II. L’EXERCICE DE LA FONCTION DE MANDATAIRE JUDICIAIRE


Les conditions d’exercice des fonctions de mandataire (articles 4-4 et 4-5), leur
régime de contrôle et de discipline (articles 4-6 à 4-11), leur responsabilité et leur
assurance professionnelles (articles 4-12 à 4-15), leur rémunération (articles 4-16 à 4-
21) et enfin, l’obligation d’ouverture d’un compte spécial pour domicilier les produits
des opérations afférentes aux procédures curatives (articles 4-22 et 4-23), traduisent la
volonté du législateur OHADA d’accroître l’efficacité des procédures collectives
d’apurement du passif. Ces dispositions précisent le régime de l’exercice de la
profession (A) ainsi que l’étendue de la responsabilité des mandataires judiciaires (B).
A. Le régime de l’exercice de la profession
1. La désignation du mandataire judiciaire

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On retrouve dans l’article 4-4 AUPC/AP, l’expression d’une réglementation à
la fois précise et complète qui ne devrait pas poser un problème d’interprétation et
encore moins susciter d’ajouts ou de compléments de la part des législations nationales.
Ces dispositions nouvelles précisent en effet, de manière exhaustive les garanties
exigées à tout mandataire judicaire dans l’exercice de sa mission, à savoir :
l’indépendance, la neutralité ainsi que l’impartialité de leur comportement
professionnel.
La déclinaison de ces principes conduit à exclure de la désignation en qualité
d’expert au règlement préventif ou syndic d’une procédure collective, tout parent ou
allié du débiteur, de son comptable agréé et a fortiori de son commissaire aux comptes,
ainsi que tout salarié, mandataire du débiteur ou de ses créanciers. Sont également visés
par cette interdiction les personnes physiques qui ont eu précédemment ou ont
actuellement un différend avec le débiteur ou un de ses créanciers.
En outre tout mandataire judicaire doit signer une déclaration d’indépendance de
neutralité et d’impartialité avant d’entrer en fonction et prêter serment. Il apparaît à
l’évidence que ces conditions d’exercice de mandat sont empreintes d’une réelle volonté
de moraliser les fonctions d’expert ou de syndic.
Si certaines règles relatives aux incompatibilités existaient déjà avant la réforme,
il faut reconnaître l’apport considérable du législateur de 2015 qui les a davantage
enrichies.
2. Le contrôle de l’activité du mandataire
L’Acte uniforme révisé renvoie à chaque Etat partie le soin de faire procéder au
contrôle des mandataires judiciaires dans l’exercice de leurs fonctions. C’est ainsi que
le décret de 2016 sus-visé a institué une commission nationale chargée de la régulation,
de la supervision, du contrôle et de la discipline des mandataires judiciaires agissant sur
le territoire sénégalais.
Organe de contrôle et de discipline, la Commission nationale apparaît comme une
autorité administrative indépendante.
L’Acte uniforme, suivi en cela par le texte national, précise toutefois le contenu
et les sanctions pouvant découler de ce contrôle étendu. Il implique un pouvoir général
d’investigation et de vérification de tout document détenu par le mandataire judiciaire

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sans que celui-ci puisse opposer à ce contrôle le secret professionnel. Il prévoit
également et plus particulièrement le pouvoir de procéder au contrôle de sa comptabilité.
L’Acte uniforme ne précise pas cependant si ce contrôle doit être effectué sur
place ou sur pièces, chaque Etat étant libre d’en déterminer les modalités. L’article 13
du décret de 2016 prévoit à ce propos, que le comité de contrôle peut procéder
notamment à l’inspection de la comptabilité et de tout document détenu par un
mandataire judiciaire en rapport avec son activité et celui-ci peut, tout de même, se faire
assisté par toute personne de son choix. Par ailleurs, toute violation des lois et des règles
professionnelles ou tout fait contraire à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse, expose
le mandataire à des sanctions disciplinaires prononcées par la commission nationale de
contrôle et de discipline. Cette commission peut être saisie d’une demande en poursuite
disciplinaire par le ministère public. Elle peut aussi se saisir d’office soit au vu d’un
rapport établi par le comité de contrôle soit lorsqu’un mandataire judiciaire a vu son
mandat révoqué par la juridiction compétente.
Quant aux sanctions, l’article 4-9 AUPC/AP prévoit, outre l’interdiction
provisoire, la possibilité de prononcer à l’encontre du mandataire un avertissement, un
blâme avec inscription au dossier, une suspension d’exercer pendant une durée de trois
ans au maximum et enfin la radiation de la liste nationale. Ces sanctions doivent être
notifiées au mandataire ainsi qu’à son instance professionnelle. Le mandataire, s’il est
radié, doit naturellement être remplacé dans le cadre de la procédure collective en cours,
sans qu’il soit toutefois précisé, si ce remplacement peut prendre effet dès l’engagement
de la procédure disciplinaire ou uniquement à son terme, une fois la sanction rendue
définitive.
Ces sanctions seront sans doute à la fois plus persuasives et plus dissuasives que
la simple révocation du syndic prévu à l’article 42, al. 1 de l’ancien texte, unique moyen
alors de remédier à ses incuries (voir le jugement n° 389 du 15 mars 2001 sur requête
aux fins de révocation du syndic Mamadou Lamine Niang, Tribunal Hors Classe
de Dakar, disponible sur www.ohada.com, Ohadata, J-05-46).
L’article 4-7 AUPC/AP précise que l’action disciplinaire se prescrit par trois à
compter de la découverte des faits, comme par exemple en matière d’abus de biens
sociaux.

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3. La rémunération des mandataires judiciaires
Les modalités de fixation de la rémunération de l’expert et du syndic ont toujours
constitué une source de discorde dans presque tous les pays et ce, quelle que soit la
procédure suivie. Ainsi la rémunération pouvait être fixée de façon exagérément élevée
au point de remettre en cause les possibilités de redressement de l’entreprise ou de
paiement des créanciers. Le législateur OHADA innove sur cette question en déclinant
un cadre général tout en renvoyant aux législateurs nationaux pour parfaire la solution.
Il a été proposé de déterminer les règles de rémunération en imposant un barème
de tarification et en encadrant le paiement de celle-ci en fonction de l’avancement de la
procédure. Le mérite de cette démarche est d’autant plus grand qu’il n’existait
jusqu’alors aucune tarification applicable dans les Etats parties. Ainsi la Cour d’appel
de Dakar, 27 avr. 2001, n° 26, SCI Teranga c/ Abdoulaye Dramé, avait relevé «
qu’aucun texte législatif ou règlementaire ne fixe le barème applicable aux prestations
» et « qu’il convient dès lors de se référer aux usages compte tenu de la mission confiée
». En l’espèce, la cour devait fixer la rémunération en fonction du nombre d’heures de
travail effectuées et de l’estimation d’un coût unitaire de l’heure de travail.
Les articles 4-17 et 4-19 AUPC/AP vont plus loin. Ils prévoient que la
rémunération des mandataires judiciaires est déterminée par la juridiction compétente
dans sa décision de clôture de la procédure collective selon un barème fixé par la
réglementation de chaque Etat. C’est dans ce cadre qu’au Sénégal un arrêté du ministre
de la justice (n°7934) en date du 31 mai 2016 fixe le barème de la rémunération des
mandataires judiciaires. Ce barème tient compte du montant du chiffre d’affaires réalisé
par le débiteur au cours de l’exercice précédant l’ouverture des procédures collectives,
du nombre de travailleurs employés par le débiteur au cours de cette même période, du
recouvrement des créances, du temps passé et des difficultés éventuelles rencontrées
ainsi que la célérité des diligences accomplies.
L’article 4-19 AUPC/AP fixe par ailleurs un plafond en cas de liquidation des
biens, à savoir le montant total de la rémunération du syndic ne peut excéder 20% du
montant total résultant de la réalisation de l’actif du débiteur. Sont incluses dans ce
plafond les rémunérations versées par le syndic à des tiers experts ou consultants qu’il
aurait missionnés.

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Le dernier alinéa de l’article 4-19 AUPC/AP précise également que pour les
redressements judiciaires simplifiés et les liquidations des biens simplifiées, l’Etat partie
peut fixer un montant forfaitaire pour la rémunération des syndics.
Au Sénégal l’article 10 de l’arrêté ministériel prévoit que lorsqu’il s’agit d’une
procédure de redressement judiciaire simplifié ou de liquidation des biens simplifiée, le
syndic perçoit une somme forfaitaire d’un million de francs (HT).
Enfin dans le souci de voir clôturer les dossiers, l’article 4-20 AUPC/AP dispose
que la juridiction compétente peut accorder dans la décision le désignant ou dans une
décision ultérieure une provision sur sa rémunération qui ne peut excéder 40% du
montant provisionnel de celle-ci. Le complément de 60%, quant à lui ne peut être versé
qu’à compter de l’homologation du redressement judiciaire ou de la clôture de la
procédure de liquidation des biens.
En admettant que la juridiction compétente puisse accorder à l’expert et au syndic
dans la décision les désignant ou dans une décision ultérieure, une provision sur leur
rémunération (Articles 4-18 pour l’expert et 4-20 pour le syndic), le législateur vient
confirmer une pratique jurisprudentielle observée dans les Etats parties. En effet,
quelques juridictions nationales fixaient le montant des provisions à payer au mandataire
judiciaire préalablement à l’exécution de ses missions. (TGI du Moungo, Ordonnance
n°CAB/PTGI/N’SBA du 09/11/2005, affaire LA SOCIETE LACHANAS,
disponible sur www.ohada.com, Ohadata J--07-182). En l’espèce, le Tribunal fixa à
8.000.000 de FCFA le montant de la provision que le débiteur devait verser à l’expert «
pour permettre à celui-ci d’accomplir sa mission ».
Dans le même état d’esprit, l’article 10 de l’arrêté ministériel ajoute que si le
règlement préventif, le redressement judiciaire ou la liquidation des biens est géré avec
célérité, c’est-à- dire dans le respect du délai prescrit, le syndic perçoit 0,1% du chiffre
d’affaires. Il est évident que toutes ces dernières mesures sont dictées par le souci de
voir se clôturer les procédures collectives dans les meilleurs délais. Des règles similaires
sont prévues pour la rémunération de l’expert au règlement préventif par l’article 4-18
AUPC/AP.
L’article 4-20 AUPC/AP dispose enfin que les décisions rendues en matière de
rémunération du syndic ou de l’expert au règlement préventif sont susceptibles d’appel

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devant la juridiction compétente de l’Etat partie dans les quinze jours de leur prononcé
à la requête du débiteur, du mandataire ou du ministère public.
La mise en place de ces règles a naturellement pour objectif de rendre plus juste
et plus transparente la rémunération des mandataires judiciaires. En effet, ils doivent
être rémunérés même pour les dossiers peu importants et ce, à la juste valeur de leur
travail et de leur responsabilité. De même la fixation de critères objectifs tels que le
chiffre d’affaires ou le nombre de salariés ainsi que les recours possibles peuvent
permettre d’éviter les abus jusqu’alors trop souvent constatés.
4. L’exigence de l’ouverture d’un compte spécial de procédures collectives
Les articles 4-22 et 4-23 AUPC/AP introduisent une innovation majeure dans la
gestion et dans le contrôle des procédures collectives, à condition toutefois que les Etats
parties acceptent l’invitation qui leur est faite de prévoir que l’autorité ou la juridiction
compétente désigne la ou les banques auprès desquelles les syndics ont désormais
l’obligation d’ouvrir un compte spécial afin d’y domicilier les opérations afférentes aux
procédures collectives.
Il reviendra désormais à l’autorité ou à la juridiction compétente de désigner la
ou les banques pouvant recevoir les fonds, à la fois pour les sécuriser et pour éviter que
le syndic choisisse un établissement donné, par intérêt personnel. Cette règle se fonde
sur les principes généraux, qui, en matière d’éthique, s’appliquent aux mandataires
judiciaires. Elle contribue d’avantage à l’institution d’une transparence dans la gestion
des procédures collectives et constitue une continuité de la règle qui impose à tout
mandataire de tenir une comptabilité distincte de sa comptabilité personnelle pour
chacune des procédures collectives dans laquelle il est désigné. Ainsi chaque procédure
collective se verra attribuer un compte spécial ouvert dans une banque désigné, compte
spécial dont les produits financiers seront utilisés pour le redressement de l’entreprise
ou le paiement des créanciers.
On remarquera que finalement il n’a pas été tenu compte de la proposition qui
souhaitait que les produits du compte spécial servent au paiement des honoraires des
procédures impécunieuses, à la formation des mandataires judiciaires et au financement
de la commission nationale de contrôle des mandataires judiciaires.

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B. La responsabilité et l’assurance
Il convient de signaler qu’en certains points, le législateur de 2015 n’est pas parti
du néant pour envisager certaines règles applicables aux mandataires de justice ; il s’est
par moment inspiré des anciennes dispositions de l’AUPC/AP. Il en est ainsi par
exemple, des règles relatives à la responsabilité des mandataires judiciaires.
En effet, l’article 43, al. 1 de l’ancien AUPC/AP disposait déjà que les syndics
étaient « civilement responsables de leurs fautes dans les termes du droit commun sans
préjudice de leur responsabilité pénale », tandis que l’article 13, al. 2 du même texte
prévoyait que la responsabilité de l’expert pouvait être engagée par le débiteur et ses
créanciers en cas de violation des délais prévus pour rendre son rapport.
C’est le même principe qui est posé à l’article 4-12 AUPC/AP selon lequel le
mandataire judiciaire engage sa responsabilité civile à l’égard du débiteur, des
créanciers et des tiers, sans préjudice de sa responsabilité pénale. Il est aussi tenu
solidairement responsable des agissements des tiers dont il a sollicité l’intervention dans
l’exercice de ses attributions. Se trouvent ainsi visés notamment les experts ou
consultants qu’il avait missionnés. L’action en responsabilité engagée à son encontre
relève de la compétence de la juridiction de l’Etat partie en charge des procédures
collectives du lieu de l’établissement du mandataire judiciaire.
Cette attribution de compétence est justifiée pour des raisons pratiques, mais
selon un expert, elle peut susciter des inquiétudes au regard des liens informels qui
unissent bien souvent le mandataire et la juridiction qui l’a désigné et devant laquelle, il
exerce habituellement ses fonctions. On peut par exemple craindre selon une collision
qui risque d’entraver toute possibilité de poursuites. Il serait souhaitable qu’une option
de compétence fût ouverte pour engager cette responsabilité.
Sous l’empire de l’ancienne législation, ce principe de responsabilité avait été
mis en application. C’est ainsi que s’agissant du règlement préventif, nous pouvons citer
l’affaire STANDARD CHARTERED c/ MANGA EWOLO A (Tribunal de Grande
Instance de Yaoundé, jugement n° 262 du 9 janvier 2003, affaire STANDARD
CHARTERED c/ MANGA EWOLO ANDRE, notes Y. Kalieu, disponible sur
www.ohada.com, Ohadata J-08-124). En l’espèce, la banque créancière d’une société
bénéficiant d’une procédure de règlement préventif, avait demandé la condamnation de

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l’expert à payer à titre de dommages et intérêts une somme d’environ 69.000.0000
FCFA, pour avoir méconnu les délais légaux de dépôt de son rapport. Reconnaissant le
préjudice subi, la juridiction compétente avait condamné l’expert à payer la somme de
10.000.000 FCFA au demandeur. Deux ans plus, dans une procédure de liquidation des
biens, le juge de la Cour d’appel de Ouagadougou dans son arrêt n° 73 du 17 juin
2005, KUELA Nathalie et 3 autres c/ Syndic liquidateur du PPCR, disponible sur
www.ohada.com, Ohadata J-09-15, rappelait que les syndics sont civilement
responsables de leurs fautes et que cette responsabilité ne s’éteint pas avec la clôture de
la liquidation.
Les dispositions nouvelles imposent par ailleurs à tout mandataire la souscription
d’une assurance en responsabilité civile professionnelle destinée à garantir la réparation
des préjudices nés de l’exercice de ses fonctions. Cette obligation d’assurance est une
heureuse initiative si l’on sait que les préjudices causés par la faute professionnelle du
mandataire peuvent dépasser la solvabilité de celui-ci.
Cette mesure est inédite d’autant plus que, aux termes de l’article 4-14 AUPC,
les mandataires judiciaires devront à tout moment justifier de la validité et de
l’effectivité de cette assurance. Une difficulté pratique risque cependant de se poser, si
les Etats parties ne mettent pas en place des mesures incitatives afin que les assureurs
puissent collaborer avec les mandataires à savoir trouver des compagnies d’assurances
proposant ce genre de couverture à un coût raisonnable, ce qui ne semble pas être gagné
alors que l’effectivité de cette mesure en dépend.
Conclusion
De manière générale, l’œuvre du législateur dans la définition de la
règlementation applicable aux mandataires judiciaires est à saluer, d’autant plus qu’au
niveau national, aucun Etat partie n’avait efficacement supplée à cette carence de
l’OHADA et il était temps que le législateur mette de l’ordre dans le corps des
mandataires judiciaires, tant leur négligence et leurs indélicatesses ont causé du tort au
droit des entreprises en difficulté OHADA, à telle enseigne que dans un humour noir et
plein de frustration, un auteur a dit « qu’en Afrique les entreprises en difficulté, il y en a
et les entreprises en difficulté qui se redressent, on en cherche ».
«La plus funeste des innovations serait de ne pas innover». Portalis.

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