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Droit des entreprises en difficulté et droit du travail : tentative de


clarifications

Issu de Bulletin Joly Entreprises en difficulté - n°03


Date de parution : 01/05/2014
Id : BJE111c7
Réf : BJE mai 2014, n° 111c7

Auteur :
Anaëlle Donnette, maître de conférences à l'université Montpellier 1

Cet article a été publié dans le cadre du dossier « - Prévention et procédures collectives : nouvelle réforme ! - Sous
la direction scientifique de Françoise Pérochon » du Bulletin Joly Entreprises en difficulté.

L ’o rdo nnanc e du 12 mars 2014 réf o rmant le dro i t des entrepri ses en di f fic ulté c o nsac re
quelques no uveautés i ntéressant les relati o ns de travai l. L es préc i si o ns so nt no mbreuses
et le plus so uvent lo uables, no tamment en c e qui c o nc erne l’arti c ulati o n des pro c édures
c o llec ti ves et de li c enc i ement po ur mo ti f éc o no mi que. Mai s les déc epti o ns so nt to ut
aussi i mpo rtantes tant d’autres questi o ns et un réel beso i n d’harmo ni sati o n restent sans
répo nse.

L’ordonnance du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures
collectives intéresse, aussi, les relations de travail. L’objectif essentiel est de clarifier les conditions d’application,
aux entreprises en difficulté, de la nouvelle procédure de licenciement pour motif économique issue de la loi du 14
juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Si les précisions apportées doivent être favorablement accueillies,
l’ordonnance est malgré tout source de déceptions. Il est, de manière générale, à nouveau regrettable que le droit
du travail et le droit des entreprises en difficulté ne fassent pas l’objet d’un véritable effort d’harmonisation.

I – Les précisions
L’ordonnance modifie certaines dispositions, à la fois du Code du travail et du Code de commerce, afin de clarifier
l’articulation entre les procédures collectives et les procédures de licenciement pour motif économique. C’est tout
d’abord la question du moment de la consultation du comité d’entreprise sur le projet de licenciements
accompagnant l’adoption d’un plan de continuation ou d’un plan de cession qui retient l’attention du législateur.
On se souvient que, sur cette question et aux lendemains de la loi relative à la sécurisation de l’emploi,
l’Administration avait consacré une conception nouvelle dans une circulaire du 19 juillet 2013. Elle décidait,
contrairement à ce qui prévalait jusque-là, que la consultation portant sur le projet de licenciements et le plan de
sauvegarde de l’emploi devait intervenir après l’adoption du jugement arrêtant le plan. L’Administration justifiait
sa position ainsi : puisque le jugement doit intervenir avant l’homologation du document unilatéral ou la validation
de l’accord collectif mais que la Direccte doit prendre sa décision dans le délai imparti courant à compter de la
dernière réunion du comité d’entreprise, ce délai n’aurait pas pu être respecté si la consultation du comité devait
être clôturée avant que le tribunal n’ait arrêté le plan.

Par la modification de l’article L. 1233-58 du Code du travail et des articles L. 631-19 et L. 642-5 du Code de
commerce, l’ordonnance du 12 mars 2014 apporte les précisions attendues et procède à des rectifications
bienvenues. Les nouvelles dispositions mettent fin à la doctrine de l’administration en prévoyant que la
consultation du comité d’entreprise doit intervenir au plus tard le jour ouvré avant l’audience du tribunal qui
statue sur le plan. C’est bien que la consultation du comité d’entreprise, qui conserve du reste son droit de recourir
à un expert1, doit être antérieure au jugement arrêtant le plan. Ensuite, tout doute est désormais dissipé sur la
question du délai accordé à l’autorité administrative pour notifier sa décision de validation ou d’homologation du
plan de sauvegarde de l’emploi. Tandis que la consultation du comité d’entreprise doit être antérieure au
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jugement arrêtant le plan de continuation ou le plan de cession, la validation ou l’homologation par la Direccte
intervient postérieurement à celui-ci. C’est ce que l’on apprend de l’article L. 1233-58 du Code du travail et de
l’article L. 631-19 du Code de commerce modifiés en vertu desquels le délai imparti à la Direccte pour homologuer
le document unilatéral ou valider l’accord collectif ne court plus à compter de la dernière réunion du comité
d’entreprise mais « à compter de la date de réception de la demande de validation ou d’homologation qui est
postérieure au jugement arrêtant le plan »2. Il est clair que la décision de la Direccte intervient donc, quant à elle,
après le jugement arrêtant le plan.

Selon le rapport remis au président de la République, ces précisions visent à permettre à l’administrateur de
consulter les institutions représentatives du personnel avant que le tribunal n’arrête le plan et à l’autorité
administrative de statuer en ayant connaissance du jugement arrêtant le plan. Mais que se passerait-il en cas de
contrariété entre le jugement arrêtant le plan et la décision de refus d’homologation ou de validation de
l’Administration ?

Quoi qu’il en soit, le même partage des temps d’intervention s’applique lorsque l’entreprise est dépourvue
d’institutions représentatives du personnel et ne peut fournir de procès-verbal de carence. En effet, l’ordonnance
prévoit qu’à titre exceptionnel, au vu des circonstances et des motifs justifiant le défaut d’établissement de procès-
verbal de carence, l’autorité administrative peut prendre une décision d’homologation. Il s’agit là d’un autre
objectif, louable, de l’ordonnance que de permettre l’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi lorsque
l’entreprise est dépourvue d’institutions représentatives du personnel et ne peut fournir un procès-verbal de
carence. Selon le rapport précité, les clarifications apportées par l’ordonnance manifestent la prise en compte des
contraintes imposées par la procédure administrative et de la nécessité de respecter ces contraintes dans le cadre
de la garantie AGS. Sur l’AGS justement, il est désormais prévu de l’associer beaucoup plus étroitement aux
procédures collectives, bien avant qu’elle ne soit appelée en garantie. Il s’agit de faire en sorte que l’AGS ne soit
plus simplement une tirelire dans laquelle on peut puiser sans préalables ! Ainsi, lorsque l’entreprise emploie plus
d’un nombre de salariés qui sera fixé par décret, l’AGS devra être consultée lors de la désignation du mandataire
ou du liquidateur judiciaire, le tribunal devant solliciter ses observations3. Par ailleurs, l’AGS devra, si elle en fait la
demande, être désignée contrôleur4. Constatons qu’il s’agit là de la consécration d’une pratique habituelle.

L’ordonnance introduit également une nouveauté relative au régime de la rupture du contrat d’apprentissage lors
d’une liquidation judiciaire. En effet, elle précise qu’en cas de liquidation judiciaire sans poursuite d’activité, le
liquidateur est autorisé à rompre le contrat d’apprentissage. L’apprenti peut alors prétendre à des dommages et
intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat5. Il s’agit
de la consécration d’une solution jurisprudentielle déjà ancienne6. L’ordonnance revient enfin sur la modification
du contrat de travail pour motif économique. Le délai de réflexion d’un mois laissé au salarié qui se voit proposer
par l’employeur une modification de son contrat de travail pour motif économique est ramené à quinze jours
lorsque l’entreprise est en redressement ou en liquidation judiciaire7. Ces nouvelles dispositions manifestent, elles
aussi, la prise en compte des conditions de la garantie AGS.

II – Les déceptions
Lorsque l’adoption d’un plan de continuation ou d’un plan de cession s’accompagne d’un projet de licenciements,
une réunion de consultation du comité d’entreprise suffit-elle ou bien faut-il au moins deux réunions, espacées
d’un nombre minimal de jours ? Sur cette question, c’est le statu quo. Et c’est profondément regrettable. En effet,
non seulement l’ordonnance ne résout pas expressément cette difficulté, mais elle maintient aussi l’exclusion, par
l’article L. 1233-58 du Code du travail, du dernier alinéa du I de l’article L. 1233-30 du même code, lequel prévoit
deux réunions espacées de quinze jours au moins. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir attiré l’attention du
législateur sur cette difficulté sérieuse résultant des modifications apportées par la loi relative à la sécurisation de
l’emploi. Si le comité d’entreprise a droit à l’assistance d’un expert-comptable8, on voit mal comment une seule
réunion pourrait suffire. Au contraire, il importe de tenir une première réunion afin de permettre au comité
d’exercer ou non son droit de recourir à un expert et, le cas échéant, de laisser le temps à l’expert d’accomplir sa
mission. Ensuite seulement la seconde réunion peut avoir lieu, au terme de laquelle le comité se prononce sur le
projet de licenciements collectifs et le plan de sauvegarde de l’emploi. Plus encore, même en l’absence de recours
à un expert-comptable, une seule réunion serait insuffisante pour permettre au comité d’entreprise de rendre un
avis éclairé sur un sujet aussi épineux, sensible et complexe que celui de l’adoption d’un projet de licenciements et
d’un plan de sauvegarde de l’emploi, surtout dans le cadre d’un plan de continuation ou d’un plan de cession.
Peut-on considérer que la mention, maintenue au II de l’article L. 1233-58 du Code du travail, de la « dernière
réunion » du comité d’entreprise faisant courir le délai d’homologation réserve la possibilité d’organiser une
réunion supplémentaire ? Rien n’est moins sûr à la lecture des premières décisions rendues à propos du nouveau
régime du licenciement9.
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Par ailleurs, en cas de procédure de conciliation, l’ordonnance prévoit que le comité d’entreprise ou, à défaut, les
délégués du personnel doivent être informés du contenu de l’accord lorsque le débiteur demande son
homologation10. Cette obligation d’information renforce l’idée d’abandon de la confidentialité de la conciliation
lorsque l’homologation de l’accord est demandée. Cette nouvelle disposition est importante mais elle apporte,
selon nous, une réponse insuffisante à la question de l’information des représentants du personnel dans le cadre
d’une procédure de conciliation. Si le principe de confidentialité gouverne toute la procédure en vertu de l’article L.
611-15 du Code de commerce, il doit être concilié avec le droit à l’information-consultation des institutions
représentatives du personnel. Les règles du droit du travail en la matière ne sont pas suspendues pendant la
procédure de conciliation. Pour le dire autrement, l’entrée en scène du Code de commerce ne suspend pas
l’applicabilité du Code du travail. Certes, le seul recours à la conciliation n’affecte pas, en lui-même, l’organisation,
la gestion ou la marche générale de l’entreprise. Les représentants du personnel n’ont alors pas à être informés ou
consultés avant le dépôt de la requête en désignation d’un conciliateur, ni même lorsque cette désignation est
effective, sauf s’il y a cessation des paiements11. En revanche, toutes les mesures concrètes proposées par le
conciliateur afin de redresser l’entreprise, telles que les mesures de restructuration ayant des répercussions sur
les effectifs de l’entreprise12, et ce peu important qu’elles soient ou non contenues dans l’accord de conciliation
dont le débiteur demande l’homologation, sont susceptibles d’intéresser l’organisation, la gestion ou la marche
générale de l’entreprise. Elles doivent alors être soumises à la consultation13. Ainsi, prévoir le droit à l’information
pour le seul contenu de l’accord de conciliation lorsque le débiteur en demande l’homologation nous paraît
insuffisant car trop tardif, mais surtout en contrariété avec les prescriptions du Code du travail et les attributions
économiques du comité d’entreprise qui en découlent. Le Code du travail permet de justifier une information plus
précoce ainsi qu’une vraie consultation et, même si elle est justifiée par le principe de confidentialité, la précision
apportée par l’ordonnance ne saurait être lue comme empêchant toute information-consultation avant la
demande d’homologation dès lors qu’elle ne l’interdit pas expressément. Sur ce point, il est heureux de constater
qu’en pratique, les représentants sont consultés au moins au stade de l’établissement de l’accord qui concrétise
les mesures intéressant la marche générale de l’entreprise et, si rien n’est dit quant à la sanction d’un défaut
d’information, on peut penser que l’accord resterait valable mais le débiteur, en sa qualité d’employeur,
s’exposerait à une condamnation pour délit d’entrave.

Enfin, il faut relever que, au-delà de la nouvelle considération du CHSCT par le droit des entreprises en difficulté
dont il faut se féliciter14, les attributions du représentant des salariés sont renforcées puisqu’il est désormais prévu
qu’en l’absence de comité d’entreprise et de délégués du personnel, il « exerce les fonctions dévolues à ces
institutions par les dispositions du présent titre »15. Cette fonction de suppléance existait avant la réforme de 2005
mais avait, par erreur, disparu suite à celle-ci. Il est heureux qu’elle soit réintroduite. Mais pourquoi n’avoir pas, en
conséquence, profité de la réforme pour corriger le dernier alinéa de l’article L. 662-4 du Code de commerce qui,
organisant la protection du représentant des salariés, vise le seul redressement judiciaire ?

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NOTES DE BAS DE PAGE

1 – L’ordonnance ajoute les articles L. 1233-34 et L. 1233-35 du Code du travail à la liste des dispositions
applicables en cas de redressement ou de liquidation judiciaire figurant à l’article L. 1233-58 du Code du travail,
ce qui conforte le droit du comité d’entreprise de recourir à un expert-comptable.
2 – Précisons que, en dehors de tout plan arrêté par le tribunal de la procédure, le point de départ du délai
imparti à l’Administration pour rendre sa décision de validation ou d’homologation est toujours la dernière
réunion du comité d’entreprise.

3 – C. com., art. L. 621-4 modifié.

4 – C. com., art. L. 621-10 modifié.


5 – C. trav., art. L. 6222-18 modifié.

6 – Cass. soc., 15 janv. 2002, no 99-41608.


7 – C. trav., art. L. 1222-6 modifié et art. L. 1233-60-1 nouveau. Est en revanche inchangée la règle selon laquelle
à défaut de réponse dans le délai imparti, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.

8 – Droit reconnu par la jurisprudence et désormais consacré par la loi, v. Cass. soc., 7 juil. 1998, n° 96-21205 et
C. trav., art. L. 1233-58 modifiés.
9 – V. not. BJE mars 2014, p. 105, n° 110x4, note L. Driguez.

10 – C. com., art. L. 611-8-1.


11 – Avant la recodification, l’ancien article L. 432-1 du Code du travail prévoyait l’information-consultation du

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comité d’entreprise avant toute déclaration de cessation des paiements et lorsque l'entreprise faisait l'objet
d'une procédure de sauvegarde ou de redressement ou de liquidation judiciaire. Aujourd’hui, l’article L. 2323-44
du même code prévoit l’information-consultation du comité d’entreprise avant le dépôt au greffe d’une
demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Sont visées les
procédures susceptibles d’être ouvertes lorsqu’il y a état de cessation des paiements. Nous pouvons, par
analogie et en considération de l’ancienne formulation du texte, estimer que le comité d’entreprise doit être
consulté dès lors qu’il y a cessation des paiements, y compris dans le cadre d’une demande de conciliation.

12 – Notamment lorsque le conciliateur est chargé, en vertu de l’article L. 611-7 du Code de commerce, d’une
mission ayant pour objet l’organisation d’une cession partielle ou totale de l’entreprise.
13 – Si rien n’est prévu pour le mandat ad hoc c’est que, a contrario, l’information ne s’impose pas. Pourtant,
l’information-consultation est vivement conseillée, au moins au stade de la concrétisation des mesures. Rien
ne justifie une distinction entre les mesures proposées dans le cadre de la conciliation et celles qui le sont dans
le cadre du mandat ad hoc. Toutes, dès lors qu’elles intéressent la marche générale de l’entreprise, doivent
être soumises à la procédure d’information-consultation.

14 – C. trav., art. L. 1233-58, 4°, nouveau et C. com., art. L. 631-19, L. 641-4 et L. 642-5 modifiés.
15 – C. com., art. L. 641-1 modifié.

Issu de Bulletin Joly Entreprises en difficulté - n°03


Date de parution : 01/05/2014
Id : BJE111c7
Réf : BJE mai 2014, n° 111c7

Auteur :
Anaëlle Donnette, maître de conférences à l'université Montpellier 1

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