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MERCREDI 03 NOVEMBRE 2010

Le point sur…
La rupture conventionnelle homologuée en pratique - par V. Delage et R. Olivier P. 02

Au fil des jours


Présentation ou non d'un rapport à l'AGE d'une SA modifiant ses statuts P. 05
Procédures collectives des professionnels indépendants : rejet de la QPC P. 05
Pratiques restrictives : le déséquilibre significatif aura sa QPC P. 06
Consécration de l'obligation de révélation de l'arbitre P. 07

L'âge légal de départ à la retraite passe à 62 ans P. 08


Les entreprises obligées de négocier sur le thème de la pénibilité P. 08
Comment apprécier l'obtention d'élus par un syndicat pour la désignation P. 09
d'un représentant au CE ?
Il ne peut pas y avoir de harcèlement moral « indirect » P. 09
Le contrat ne peut prévoir une retenue sur salaire en cas de chiffre d'affaires insuffisant P. 11

Contrat d'entreprise international : loi applicable P. 12


L'autorisation du juge des tutelles ne purge pas l'acte de la nullité pour trouble mental P. 12
Réforme de la carte judiciaire : incidences procédurales de la suppression de certaines P. 14
juridictions de l'ordre judiciaire

Exécution des peines : publication de trois nouveaux décrets P. 14


Application rétroactive de l'article 226-10 du code pénal modifié par la loi du 9 juillet 2010 P. 15
Mise en examen du témoin assisté : quel délai appliquer ? P. 16

Budget 2011 : les députés votent des hausses d'impôts supplémentaires P. 17

Contentieux du recouvrement des amendes : le jugement de Salomon du Conseil d'État P. 18


Blocage des raffineries : le juge administratif pose les limites des réquisitions P. 18

Étude en avant-première
La Cour de cassation s'est-elle convertie à la théorie de l'imprévision ? - P. 20
par D. Mazeaud, et T. Genicon

OMNIDROIT I Newsletter N°119 I 03.11.2010 Page I1


Le point sur…

La rupture conventionnelle homologuée en pratique

Par Vincent Delage et Rodolphe Olivier, Avocats associés, CMS Bureau Francis
Lefebvre

Deux praticiens font le point sur le succès de la rupture conventionnelle homologuée, deux ans
après sa création, et sur le rôle de l'avocat-conseil auprès des parties ayant recours à ce mode
de rupture.

1. En 2 ans, la rupture conventionnelle créée par la loi


2008-596 du 25 juin 2008 s'est imposée dans la pratique des
entreprises. Plus de 350 000 ont été homologuées depuis
l'origine avec une moyenne de plus de 20 000 par mois depuis
le début 2010.

Pourquoi ce succès ?
2. Ce succès répond très certainement à un besoin ou encore
à une attente des parties au contrat de travail. En effet, dans
la majorité des cas que nous avons pu rencontrer, le salarié
est à l'initiative de la rupture car il souhaite mener à bien un
projet personnel et/ou professionnel en dehors de l'entreprise
sans envisager de prendre un congé sans solde ou sabbatique
tout en bénéficiant d'une indemnité spécifique de rupture au
régime social et fiscal favorable. Dans d'autres situations,
employeur et salarié, sans pour autant être en situation de conflit, estimant que le licenciement n'est pas
envisageable et la démission non souhaitée, considèrent qu'il est préférable de rompre leurs relations
contractuelles dans un cadre juridique sécurisé à la mise en œuvre simple et rapide. Sur le principe, le choix
des partenaires sociaux (ANI du 11 janvier 2008) et du législateur a donc eu le mérite de permettre, par le
biais de cette rupture négociée, de fluidifier le marché du travail.
En pratique, la rupture conventionnelle correspond le plus souvent à des dossiers simples ou simplifie
certains dossiers potentiellement complexes (salariés protégés). Dès lors, la plupart des ruptures
conventionnelles, notamment pour des départs qui tiennent plus de la démission, sont parfois d'ailleurs
gérées sans recours à l'avocat, par les experts-comptables ou les responsables de personnel.

Quelle indemnisation ?
3. Assurément plus favorable que la démission, en ce qu'elle ouvre droit à une indemnité au moins égale à
l'indemnité conventionnelle de licenciement assortie du même régime social et fiscal (la seule indemnité
légale pour les entreprises des secteurs non représentés par les signataires patronaux -Medef, CGPME, UPA-
dont l'agriculture et les professions libérales) et, le cas échéant, aux prestations de l'assurance-chômage.
En pratique, d'ailleurs, l'indemnisation va rarement au-delà de l'indemnité de licenciement même si, la
rupture conventionnelle étant d'abord un accord, une négociation peut s'engager entre les parties sur le
niveau d'indemnisation.

Qu'en est-il de la procédure ?


4. Simplifiée à l'extrême, la rupture conventionnelle suppose le recours à un formulaire administratif et une
homologation de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et
de l'emploi (Direccte).

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En pratique, près de 6 semaines sont nécessaires pour finaliser la rupture. Ce sont effectivement les délais
constatés entre l'engagement de la procédure et la prise d'effet de la rupture (*). Ce délai d'attente peut
parfois se combiner avec la prise de congés, lesquels permettent au salarié de préparer sa reconversion.
Notons à cet égard que, s'agissant des salariés protégés au sens du droit du licenciement, la procédure peut
être plus longue et plus contraignante dans la mesure où l'administration du travail doit autoriser
expressément la rupture du contrat de travail.
5. La plupart des aspects (calendrier, participants, obligation d'information, délai de rétractation...) sont
bien maîtrisés par les praticiens puisque après des débuts cahotants (12 % de dossiers irrecevables et 21 %
de refus d'homologation en août 2008), le taux d'irrecevabilité aujourd'hui constaté est de l'ordre de 3 % et
les refus d'homologation de moins de 10 %. Bon nombre de ces refus traduisent d'ailleurs une simple
maladresse éligible à une rectification ultérieure.
Sur le plan formel, le formulaire administratif est une figure imposée qui, finalement, simplifie les choses.
Cela étant, force est de constater que certains dossiers conduisent les employeurs à souhaiter adjoindre au
formulaire administratif un protocole particulier dans lequel les parties consentent à des obligations
complémentaires non imposées par le seul formulaire de rupture.
Dès lors, sauf situation particulière où le souhait est de consigner dans le cadre de la rupture
conventionnelle certaines obligations auxquelles les parties entendraient se soumettre, la pratique se limite
le plus souvent au formulaire ad hoc.
Bien que la procédure soit assez simple, le praticien préconisera cependant de ne pas négliger la
computation des délais (article R 1231-1 du Code du travail), de penser à mentionner dans le formulaire les
droits au DIF ou la levée de la clause de non-concurrence, le cas échéant, et de ne pas oublier que la
portabilité des garanties de prévoyance a vocation à s'appliquer.
En toute hypothèse, il convient de rappeler qu'à l'instar de la rupture d'un commun accord du contrat de
travail, parfois utilisée avant l'intervention du dispositif de rupture conventionnelle, cette dernière ne
constitue en aucun cas un protocole d'accord transactionnel.

Que reste-t-il alors à l'avocat-conseil ?


6. Dans notre pratique d'avocats spécialisés, certains clients nous confient des dossiers de rupture de toute
nature, mais nous voyons des dossiers plus complexes (cas de détachés internationaux posant des
problèmes fiscaux spécifiques ou de salariés relevant d'une protection particulière) ou encore assortis
d'enjeux plus significatifs (cadres de haut niveau).
Ceci étant, le rôle d'un conseil est notamment d'apprécier l'opportunité de tel ou tel mode de rupture et la
rupture conventionnelle n'est pas une panacée. En effet, le délai de contestation dont bénéficie le salarié
suite à l'homologation de la rupture conventionnelle démontre que cette technique de rupture n'est pas
exempte de risque.
La prudence pourrait donc commander de la réserver aux salariés ayant été fortement demandeurs de ce
mode de rupture ou encore au salarié protégé pour lequel un indiscutable consensus existe entre ce dernier
et la direction de l'entreprise quant à son départ. En effet et dans ce dernier cas, l'on peut penser que
l'examen et l'autorisation donnée par l'administration du travail constituent de satisfaisantes garanties.
Par ailleurs, proposer à un salarié une rupture conventionnelle implique que n'existe aucun différend entre
les parties ou encore que le poste occupé par le salarié ne soit pas menacé. Il serait en effet
particulièrement imprudent d'envisager une rupture conventionnelle avec un salarié dont le poste aurait
vocation à être supprimé ou encore d'accéder à une demande de rupture conventionnelle formulée par un
salarié en raison d'un conflit latent ou ouvert entre les parties.

Et le contentieux ?
7. Sur 350 000 ruptures, on observe en réalité peu de situations litigieuses ou contentieuses.
Le contentieux est et restera sans doute marginal en pratique, comme nous l'avions d'ailleurs anticipé.
Cette sécurité ne procède pas d'un obstacle juridique. Rappelons qu'il ne s'agit pas d'une transaction et
qu'un contentieux reste possible sur la rupture conventionnelle elle-même dans les 12 mois suivant
l'homologation. Par ailleurs un contentieux est toujours possible dans les conditions de droit commun si le
salarié entend remettre en cause des questions autres que cette rupture (harcèlement, discrimination,
travail dissimulé, rémunérations...).
Mais, par un paradoxe inverse de celui qu'ont connu la transaction et le CNE, c'est peut-être l'absence de
sécurisation juridique qui, en imposant à l'employeur et au salarié de trouver un bon compromis, fait la
sécurité effective de la rupture conventionnelle.

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8. Reste une hypothèse qui suscite parfois des volontés contentieuses de la part... des employeurs, celle
du salarié qui demande et obtient une rupture conventionnelle en dissimulant sous une motivation de
circonstance un projet réel (créer une entreprise concurrente, par exemple) qui aurait, s'il l'avait connu,
conduit l'employeur à lui refuser son accord. Le salarié peut également vouloir privilégier une rupture
conventionnelle lorsqu'il est à l'origine d'un fait fautif non encore connu de l'employeur et susceptible de
conduire à son licenciement pour faute grave ou pour faute lourde (privatif de l'indemnité de licenciement et
de l'indemnité de préavis) autorisant dans ce dernier cas l'employeur à rechercher sa responsabilité
pécuniaire. On le voit, le vice du consentement n'est pas toujours au détriment du salarié ! Le plus souvent,
l'employeur renonce cependant à initier ce contentieux. Mais cela montre qu'il peut y avoir opportunité à se
constituer quelques garanties dans le cadre d'une rupture conventionnelle.
(*) Pour les salariés ne disposant d'aucune protection exorbitante au sens du droit du licenciement.

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Au fil des jours

Présentation ou non Procédures collectives


d'un rapport à l'AGE d'une SA des professionnels
modifiant ses statuts indépendants :
rejet de la QPC
Com. 26 oct. 2010, n° 09-71.404
Le conseil d'administration d'une SA n'est pas Com. QPC, 19 oct. 2010, n° 10-40.035
tenu de présenter un rapport à l'assemblée
générale extraordinaire (AGE) qui modifie les La Cour de cassation refuse de transmettre
statuts, sauf dans les cas où la loi l'a prévu une QPC relative à la constitutionnalité des
expressément. dispositions, issues de la loi du 26 juillet 2005,
étendant les procédures collectives aux
professionnels indépendants.
La Cour de cassation vient, pour la première fois,
de poser pour principe que l'article L 225-96 du
Code de commerce, qui habilite l'assemblée La réponse de la Cour de cassation peut sembler
générale extraordinaire d'une société anonyme à décevante, mais, en vérité, c'est plutôt la question
modifier toute disposition des statuts, n'impose pas qui l'était. Sur le fond, en effet, la chambre
que cette assemblée se prononce au vu d'un rapport commerciale n'a, pour refuser la transmission au
du conseil d'administration. L'absence d'un tel Conseil constitutionnel, pu statuer que sur la seule
rapport n'est donc pas de nature à entraîner procédure de redressement judiciaire, laquelle ne
l'annulation de l'assemblée. pose pas vraiment de problème, puisque les
dispositions relatives à la liquidation judiciaire, plus
Le Code de commerce prévoit expressément que discutables sans doute, n'étaient pas applicables au
certaines décisions extraordinaires sont prises « sur litige.
le rapport du conseil d'administration ou du
directoire » : augmentation de capital (art. L Elle juge donc, et cela n'étonnera personne, selon la
225-129, al. 1), suppression du droit préférentiel de formule désormais consacrée, que la question « ne
souscription (art. L 225-135, al. 1), octroi d'options présente pas de caractère sérieux au regard des
de souscription ou d'achat d'actions (art. L exigences qui s'attachent aux dispositions, règles et
225-177), attribution d'actions gratuites (art. L principes de valeur constitutionnel invoqués » (le
225-197-1), etc. On pouvait penser que, même en principe d'égalité, le principe de non-rétroactivité, le
dehors de ces cas, le conseil d'administration ou le droit de propriété, le droit d'obtenir un emploi, le
directoire était tenu de soumettre un rapport à droit à un procès juste et équitable).
l'assemblée, ne serait-ce que pour expliquer aux
La question la plus délicate paraît en effet celle de la
actionnaires les raisons pour lesquelles il leur était
portée de l'article L. 641-9, III, selon lequel le
demandé d'approuver telle ou telle modification des
débiteur personne physique ne peut exercer, au
statuts. C'est la solution inverse que retient la Cour
cours de la liquidation judiciaire, aucune activité
de cassation.
susceptible d'être soumise à une procédure
collective, c'est-à-dire une activité de commerçant,
d'artisan, d'agriculteur ou toute autre profession
indépendante. Cette disposition n'a pas été conçue
comme une sanction, au contraire il s'agirait d'une
mesure de protection (Rép. min. n° 2059, JOAN Q,
15 janv. 2008, p. 381), visant à prévenir les effets
du principe « procédure sur procédure ne vaut » qui
interdit d'ouvrir une seconde procédure collective à
l'égard d'une personne tant que la précédente n'a
pas été clôturée, de sorte que cette personne ne
pourrait pas bénéficier de la protection que lui
accorde la procédure collective si elle rencontrait de
graves difficultés financières dans sa nouvelle
activité. Le débiteur ne peut donc exercer qu'une

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activité salariée pendant la procédure, étant Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
entendu que les salaires seront atteints par l'effet 1789).
réel de la procédure, sous réserve de la fraction
Si les applications de ce texte sont encore rares (V.
insaisissable, ce que confirme un récent arrêt de la
toutefois, T. com. Lille, 6 janv. 2010, D. 2010. Jur.
Cour de cassation (Com. 13 avr. 2010, D. 2010.
1000, note Sénéchal ; RTD civ. 2010. 324, obs.
Actu. 1072).
Fages ; JCP E 2010, n° 5, p. 5, note Grall ; JCP
Il est alors possible de se demander s'il ne s'agirait 2010, n° 516, obs. Chagny ; CCC 2010, n° 71, obs.
pas d'une véritable incapacité professionnelle, qui, Mathey ; RJDA 2010, n° 298 ; RLC avr.-juin 2010.
dans ce cas, serait contraire au principe de nécessité 43, note Béhar-Touchais ; RDLC 2010, n° 2, p. 99,
des peines. La comparaison à parfois été faite, à cet obs. Chagny ; RDC 2010. 928, note Béhar-
égard, avec la jurisprudence du Conseil Touchais ; CEPC, avis n° 10-09 du 3 juin 2010), la
constitutionnel qui avait déclaré contraire à la doctrine s'est rapidement saisie de cette disposition
Constitution l'ex-article 194 de la loi n° 85-98 du 25 (V. not. Malaurie-Vignal, La LME sanctionne le
janvier 1985, prévoyant une incapacité d'exercer déséquilibre significatif, CCC 2008, n° 238 ; Béhar-
une fonction publique élective automatique en cas Touchais, Le déséquilibre significatif, RLC oct.-déc.
de liquidation judiciaire (Cons. const. 15 mars 1999, 2008. 45 ; Buy, Entre droit spécial et droit
AJDA 1999. 379 ; ibid. 324, note J.-E. Schoettl ; D. commun : l'article L. 442-6, I, 2°, LPA 17 déc.
2000. Somm. 116, obs. G. Roujou de Boubée ; ibid. 2008 ; Pichon de Bury et Minet, Incidences de
Somm. 199, obs. J.-C. Car ; GADPG, 6e éd. 2007, l'introduction de la notion de « déséquilibre
n° 47 ; RTD civ. 1999. 724, obs. N. Molfessis ; V. J.- significatif » par la LME, CCC 2008. Étude 13 ;
P. Sénéchal, La réforme de la liquidation judiciaire, Béhar-Touchais, Sanction du déséquilibre significatif
colloque CRAJEFE du 27 mars 2004, LPA 10 juin dans les contrats entre professionnels, RDC 2009.
2004, p. 43, spéc. p. 46). Mais, aussi, comme le 202).
soulevait la QPC déclarée irrecevable, si l'article L. De la généralité des termes employés et de
641-9, III, ne serait pas contraire au principe de l'imprécision de la notion résulte nécessairement
liberté du travail (J. Vallansan, Difficultés des une appréciation subjective de l'économie du
entreprises, 5e éd., Litec, 2009, p. 336). contrat par le juge, qui voit, de ce fait, son rôle
accru, au risque d'entraîner, au moins dans un
premier temps, une certaine insécurité juridique
quant à la manière dont le texte serait appliqué ;
d'autant qu'on peut s'interroger sur le rôle que la
Cour de cassation entendrait jouer à cette
occasion : laisser la notion à l'appréciation
Pratiques restrictives : souveraine des juges du fond - qui peuvent, il est
vrai, saisir la CEPC en ce domaine - ou dégager des
le déséquilibre significatif critères en contrôlant le déséquilibre significatif.

aura sa QPC Pour l'heure, les hauts magistrats renvoient au


Conseil constitutionnel qui, s'il ne déclare pas cette
disposition contraire à la Constitution, donnera peut
être des pistes pour cerner cette notion de
Cass., QPC, 15 oct. 2010, n° 10-40.039
« déséquilibre significatif», entre une approche
L'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce civiliste empruntant à la lésion et au contrôle de
porte-t-il atteinte aux droits et libertés proportionnalité, et une approche consumériste
garantis par la Constitution, plus précisément, empruntant aux clauses abusives mais dont alors on
au principe de légalité des délits et des pourrait se demander si elle ne fait pas double
peines ? emploi avec les « conditions manifestement
abusives » de l'article L. 442-6, I, 4° (Béhar-
Touchais, Que penser de l'introduction d'une
C'est le tribunal de commerce de Bobigny qui, en protection contre les clauses abusives dans le code
plein cœur de l'été, avait estimé qu'il y avait lieu de de commerce ?, RDC 2009. 1258 ; Utzschneider et
poser la question de savoir si la notion de Lamothe, Que penser d'une règle de protection
déséquilibre significatif, posée à l'article L. 442-6, I, contre les clauses abusives dans le code de
2°, du code de commerce, satisfaisait bien au commerce ?, RDC 2009. 1261 ; Saint-Esteben,
principe de légalité des délits et des peines auquel L'introduction par la LME d'une protection des
les dispositions dont elle relève doivent se professionnels à l'égard des clauses abusives : un
conformer (T. com. Bobigny, 13 juill. 2010, D. 2010. faux ami du droit de la consommation, RDC 2009.
Actu. 1881). La Cour de cassation lui emboite le pas 1275 ; Chagny, Le contrôle des clauses abusives
et estime que la question posée présente un par le droit de la concurrence, RDC 2009. 1642).
caractère sérieux au regard de la conformité du
libellé de l'interdiction énoncée aux exigences de
clarté et de précision résultant du principe de
légalité des délits et des peines (article 8 de la

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que cette tâche n'incombe au centre d'arbitrage -
sont invitées à exiger des arbitres pressentis qu'ils
leur adressent une déclaration dans laquelle ces
derniers sont tenus de porter à leur connaissance
Consécration de l'obligation l'existence de liens antérieurs (et de décrire
minutieusement la nature de ces liens, directs ou
de révélation de l'arbitre indirects ; sur l'hypothèse de liens « indirects »,
l'arbitre étant of counsel d'un cabinet d'avocats qui
conseille régulièrement l'une des parties, V. Paris,
Civ. 1re, 20 oct. 2010, n° 09-68.997 12 févr. 2009, préc.) avec elle, ou, si une partie est
Civ. 1re, 20 oct. 2010, n° 09-68.131 une société faisant partie d'un groupe, avec les
sociétés faisant partie du même groupe, filiales et
L'arbitre est tenu de révéler à l'une des parties
société mère. Si les parties n'ont rien trouvé à
à la convention d'arbitrage l'existence d'un
redire et que l'intéressé a été désigné comme
courant d'affaires entre lui et l'autre partie à
arbitre, cette obligation de révélation qui pèse sur
cette convention, afin de mettre en mesure la
lui se prolonge même au-delà, tout le long de la
première d'exercer son droit de récusation.
procédure arbitrale et jusqu'à la reddition de la
sentence : il doit révéler aux parties tout fait
nouveau dont ils ont pu avoir connaissance (T. Clay,
Voici deux importants arrêts de droit de l'arbitrage
note sous Paris, 12 févr. 2009, préc.), afin,
qui consacrent, exactement en les mêmes termes,
précisément, que la partie qui, au regard d'un tel
l'obligation qui pèse sur l'arbitre de révéler les liens
fait, peut avoir un doute raisonnable sur
pouvant exister entre lui et l'une des parties à la
l'indépendance de l'arbitre, puisse exercer en pleine
convention d'arbitrage. L'existence d'un tel devoir a
connaissance de cause le droit de récusation de
déjà été évoqué par la Cour de cassation, parfois
l'arbitre qu'il tient de l'article 1452, alinéa 2, du
sous l'appellation d'obligation de transparence (Civ.
code de procédure civile.
2e, 6 déc. 2001, D. 2003. Somm. 2472, obs. Clay ;
RTD com. 2002. 657, obs. Loquin ; Rev. arb. 2003. La Cour de cassation confirme et prolonge l'analyse
1231, note Gaillard ; V. égal. Civ. 2e, 22 nov. 2001, de la cour d'appel de Paris qui, en consacrant
D. 2003. Somm. 2472, obs. Clay). Mais c'est le l'obligation de révélation, éclipsait en même temps
récent arrêt Avax de la cour d'appel de Paris qui lui l'obligation d'indépendance de l'arbitre. Ce, alors
a donné tout son éclat (Paris, 12 févr. 2009, D. même que, jusqu'alors, la première chambre civile
2009. Pan. 2959, obs. Clay ; Rev. arb. 2009. 186, attache traditionnellement une importance toute
note Clay ; LPA 2009, n° 144, note M. Henry), que particulière à l'obligation d'indépendance et
les présents arrêts de cassation prolongent. C'est d'impartialité de l'arbitre (Civ. 1re, 16 mars 1999, D.
même une conception très exigeante de l'obligation 1999. Jur. 497, note Courbe). Elle cesse donc
de révélation qui se trouve ici consacrée par la cour aujourd'hui de faire référence à cette exigence
régulatrice : s'il s'avère « que le caractère centrale du droit de l'arbitrage. En réalité, on peut
systématique de la désignation [comme arbitre] comprendre ce changement de perspective car,
d'une personne donnée par les sociétés d'un même lorsque l'on parle d'obligation de révélation et
groupe, sa fréquence et sa régularité sur une longue d'indépendance, on ne se situe pas dans la même
période, dans des contrats comparables, ont créé les perspective. L'obligation de révélation créée
conditions d'un courant d'affaires entre cette simplement une obligation à la charge de l'arbitre,
personne et les sociétés du groupe parties à la en amont, au moment de sa désignation ou en
procédure », « l'arbitre est [alors] tenu de révéler cours de procès arbitral. Cette révélation doit
l'intégralité de cette situation à l'autre partie ». Il déboucher sur une réaction des parties à la
est toutefois difficile d'en mesurer la portée : est-ce convention d'arbitrage qui vont alors pouvoir
uniquement en cas de « courant d'affaires » suivi décider de ne pas désigner l'arbitre pressenti ou, en
que l'arbitre est tenu d'une obligation de révélation cours d'instance, de le récuser. Du point de vue des
exhaustive des liens existant entre lui-même et la parties, l'indépendance est une conséquence de la
société partie à la convention d'arbitrage ? En cas de révélation, car c'est sur la fois des éléments qui
relation simplement épisodique, l'arbitre est-il tenu sont portés à leur connaissance qu'ils pourront
d'une obligation de révélation, et, dans l'affirmative, mettre en doute légitimement cette indépendance
peut-elle n'être que partielle ? Peut-il également lui de l'arbitre et en tirer les conséquences qui
être reproché, comme l'a également admis la cour s'imposent. L'indépendance est donc une notion
d'appel de Paris, de ne pas avoir révélé un fait… qu'il seconde ou, si l'on préfère, « dérivée ». En
ignorait, mais simplement supputait ? La formule revanche, si on se situe du point de vue du juge de
utilisée ouvre la porte à plusieurs interprétations l'annulation de la sentence, l'exigence
possibles, mais l'exigence de sécurité juridique - dès d'indépendance de l'arbitre occupe une place
lors que l'absence de révélation peut rejaillir sur la centrale et relève de son pouvoir de contrôle ; si
validité de la sentence - devrait conduire les elle n'est pas remplie, cela justifie, en tant qu'elle
praticiens à privilégier la thèse « maximaliste », en constitue un principe directeur du procès, une cause
attendant que la Cour de cassation affine sa d'annulation de la sentence, sans doute sur le
position. Très concrètement, les parties - à moins fondement de l'article 1502, 5°, du code de

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procédure civile, pour violation de l'ordre public De même, peuvent toujours partir de manière
(d'autant plus que cette indépendance est anticipée les assurés remplissant les conditions des
classiquement rattachée à l'idée de droit à un procès dispositifs « longue carrière » et « handicapés »
équitable, consacrée par l'art. 6, § 1er de la Conv. prévus aux articles L 351-1-1 et L 351-1-3 du CSS.
EDH aujourd'hui applicable en matière d'arbitrage, En effet, ces mécanismes sont maintenus et
Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-10.530, Dalloz devraient être seulement aménagés par décret.
jurisprudence). En résumé, la première créerait une 4. Parallèlement à l'âge minimum de départ à la
obligation sur l'arbitre, la seconde sur le juge. On retraite, la loi augmente progressivement, à
pourrait imaginer que cette différence conceptuelle compter de 2016, et dans les mêmes conditions,
débouche sur des sanctions qui ne soient pas l'âge à partir duquel un assuré, ne justifiant pas de
identiques : malgré tout, même en présence d'un la durée d'assurance requise, peut prétendre à une
arbitre qui ne remplit pas son obligation de retraite à taux plein. En effet, auparavant fixé par
révélation, c'est, encore une fois comme la cour la voie réglementaire à 65 ans, cet âge correspond
d'appel de Paris l'a jugé, l'annulation de la sentence désormais à l'âge légal de départ à la retraite
- ici sur le fondement de l'article 1502, 2°, pour augmenté de 5 années (CSS art. L 351-8, 1°
cause de tribunal arbitral irrégulièrement composé -, modifié). Il s'ensuit que l'assuré né après le 1er
qui, visiblement, est privilégiée par la Cour de janvier 1956 ne pourra prétendre à une retraite à
cassation. Pour certains, la responsabilité de taux plein qu'à l'âge de 67 ans.
l'arbitre, en cette circonstance, serait une sanction
mieux adaptée (M. Henri, note préc., n° 17). 5. Toutefois, certains assurés pourront, sous
conditions, continuer à prétendre au taux plein dès
l'âge de 65 ans. Sont concernés :
• les parents nés entre le 1er juillet 1951 et le
31 décembre 1955, ayant eu ou élevé 3
enfants et ayant interrompu ou réduit leur
activité pour s'occuper de leur éducation ;
L'âge légal de départ • les assurés handicapés ;
à la retraite passe à 62 ans •

les aidants familiaux ;
les parents d'un enfant handicapé.

Loi portant réforme des retraites


à paraître
La loi portant réforme des retraites relève
progressivement à 62 ans l'âge de départ à la
retraite et à 67 ans l'âge à partir duquel un
assuré n'ayant pas suffisamment cotisé peut Les entreprises obligées
prétendre à une retraite à taux plein.
de négocier sur le thème
de la pénibilité
1. La loi portant réforme des retraites,
définitivement adoptée le 27 octobre 2010 mais
dont la publication au Journal officiel est retardée Loi portant réforme des retraites
par un recours devant le Conseil constitutionnel, à paraître
relève les deux bornes d'âge de la retraite : l'âge de
départ et l'âge de droit automatique au taux plein. La loi portant réforme des retraites, adoptée le
27 octobre 2010, impose aux entreprises de
2. Actuellement fixé à 60 ans, l'âge de départ à la plus de 50 salariés de négocier sur le thème de
retraite est porté à 62 ans pour les assurés nés à la prévention de la pénibilité lorsque leurs
partir du 1er janvier 1956. Relevé progressivement salariés sont soumis à certains risques
à raison de 4 mois par classe d'âge pour les assurés professionnels
nés à compter du 1er juillet 1951, cet âge reste fixé
à 60 ans pour ceux qui sont nés avant cette date.
Insérée dans un nouvel article L 161-17-2 du CSS, Les entreprises qui emploient au moins 50
cette mesure est applicable aux pensions prenant salariés ou appartiennent à un groupe dont
effet à compter du 1er juillet 2011 dans le régime l'effectif est au moins égal à 50 salariés sont tenues
général et les régimes artisans et commerçants, de négocier sur le thème de la pénibilité dès lors
agricoles, professions libérales et avocats. qu'une proportion minimale de leurs salariés est
exposée à des facteurs de risques professionnels,
3. Les assurés remplissant les conditions d'un définis par un décret à paraître.
départ anticipé pour carrière pénible, dont les
modalités de mise en œuvre seront fixées par Les négociations doivent aboutir à la mise en place
décret, pourront toutefois continuer à partir dès d'un accord d'entreprise ou de groupe, conclu
l'âge de 60 ans (CSS art. L 351-1-4 nouveau). pour une durée maximale de 3 ans, et abordant une

OMNIDROIT I Newsletter N°119 I 03.11.2010 Page I8


liste de thèmes obligatoires fixés par ce décret. représentativité syndicale, que lorsqu'une liste
Faute d'accord, un plan d'action doit être établi. commune a été établie par des organisations
syndicales, la répartition des suffrages exprimés se
À défaut d'accord ou de plan d'action au 1 er janvier fait sur la base indiquée par elles lors du dépôt de
2012, l'entreprise devra s'acquitter d'une pénalité leur liste et, à défaut d'indication, à parts égales.
financière dont le montant est fixé au maximum à 1
% des rémunérations ou gains versés aux salariés 2. Le présent arrêt ajoute un autre indicateur de
au cours de la période au titre de laquelle elle n'est répartition : celui de la mention, sur la liste
pas couverte. Ce montant peut toutefois être commune, de l'appartenance syndicale respective
modulé par l'administration en fonction des efforts des candidats. Si, par exemple, une liste présentée
constatés de l'entreprise en matière de pénibilité. par deux syndicats obtient quatre élus dont trois ont
été expressément mentionnés comme appartenant
Les entreprises dont l'effectif est compris entre 50 et au syndicat « A », seul ce dernier pourra désigner
300 salariés, ou appartenant à un groupe dont un représentant syndical au comité d'entreprise.
l'effectif est compris entre 50 et 300 salariés, sont
exonérées de cette pénalité si elles sont 3. La solution est respectueuse de la volonté des
couvertes par un accord de branche conforme au électeurs. Mais on peut penser qu'elle ne vaut que
contenu fixé par le décret précité. pour l'application de l'article L 2324-2 du Code du
travail et non pour celle de l'article L 2122-3 du
Les entreprises pourront entamer ces négociations même Code. En l'absence de mention particulière
dès la publication des décrets d'application requis, relative au partage du score électoral déterminant la
qui ne pourront intervenir qu'après la promulgation représentativité syndicale , celui-ci doit continuer
de la loi, retardée par un recours devant le Conseil à se faire selon la règle d'égalité. On ne peut pas en
constitutionnel. effet déduire de la mention de l'appartenance
syndicale respective des élus une volonté
quelconque des syndicats colistiers de déroger au
principe du partage égal des voix. S'il fallait
s'aventurer sur ce terrain, il faudrait d'ailleurs
s'attacher, non pas à l'appartenance syndicale des
élus de la liste, mais à celle de tous les candidats de
Comment apprécier la liste, sans parler de la prise en compte (mais
selon quelles modalités ?) de l'ordre dans lequel ils
l'obtention d'élus par un ont été présentés.

syndicat pour la désignation


d'un représentant au CE ?
Soc. 13 oct. 2010, n° 09-60.456
Dans une entreprise d'au moins 300 salariés,
Il ne peut pas y avoir
la condition de désignation liée à l'obtention de harcèlement moral
d'au moins deux élus peut s'apprécier au vu de
la mention de l'appartenance syndicale sur la « indirect »
liste syndicale commune établie au premier
tour des élections.
Soc. 20 oct. 2010, n° 08-19.748
Seule la victime du harcèlement peut se
1. Dans les entreprises d'au moins trois cents
prévaloir d'un manquement de l'employeur à
salariés, un syndicat ne peut désigner un son obligation de sécurité. Les autres salariés,
représentant au comité d'entreprise que s'il a au
qui ne sont pas directement visés par ce
moins deux élus à ce comité (article L 2324-2 du harcèlement, ne sont pas légitimes à invoquer
Code du travail).
la carence de l'employeur.
La présentation de listes communes de candidats
a déjà suscité des difficultés d'application de ce
texte. Un arrêt récent a jugé que, dans une telle La décision qui vient d’être rendue par la Cour de
hypothèse, le nombre d'élus de chaque cassation tranche avec une jurisprudence qui nous
organisation se détermine sur la base indiquée par avait habitués ces derniers temps à une conception
les syndicats lors du dépôt de la liste et, à défaut, très extensive et « multi-directionnelle » de
par parts égales (Cass. soc. 4 novembre 2009). l’obligation de sécurité de l’employeur. Cette
obligation de sécurité, qui équivaut à un devoir de
La solution résultait d'une sorte de « transposition »
prévention quasi absolu contre tous les risques au
des dispositions de l'article L 2122-3 du Code du travail (risques physiques, mais aussi risques
travail qui prévoit, s'agissant de l'audience
« psychosociaux »…), cette obligation qui rend
électorale prise en compte comme critère de la

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l’employeur redevable d’une indemnisation à l’égard III. - En premier lieu, seule la victime du
du salarié lorsque celui-ci subit des dommages harcèlement peut invoquer les
corporels mais aussi des dommages d’ordre manquements de l'employeur à son
psychologique (voire même, s’agissant de la
obligation de sécurité
jurisprudence la plus récente, un stress dû à un
simple « sentiment d’insécurité »…). L’article L. 4121-1 du code du travail pose le
principe selon lequel « l’employeur prend les
A la lecture de toutes ces décisions, on finissait par
mesures nécessaires pour assurer la sécurité et
se dire que l’obligation de sécurité de l’employeur ne
protéger la santé physique et mentale des
connaissait pas de limites. Or, un arrêt rendu le
travailleurs ». Depuis longtemps, la jurisprudence y
20 octobre dernier vient de « recadrer » les contours
voit l’affirmation d’une obligation de sécurité « de
de cette obligation patronale, tout au moins
résultat » pesant sur l’employeur. En 2006, cette
s’agissant du harcèlement moral. En effet, la Cour
obligation de sécurité a été étendue à la situation de
de cassation vient de préciser que seule la victime
harcèlement moral. L’employeur doit donc
de ce harcèlement peut invoquer un manquement
absolument « prévenir » les agissements de
de l’employeur à son obligation de sécurité. Ce qui
harcèlement dans son entreprise. Il s’agit d’une
relativise quelque peu la portée de la responsabilité
obligation absolue de prévention, puisque toute
de l’employeur.
action « curative » est déjà trop tardive aux yeux
I. - A l'origine, une prise d'acte fondée sur des juges (Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914,
les mauvaises conditions de travail dues à Balaguer c/ Bourlier et a. ;Cass. soc., 3 févr. 2010,
n° 08-44.019, Margotin c/ Sté Stratorg).
un harcèlement
Pour autant, la Cour de cassation précise
A l’origine du litige, se trouve un avocat salarié, par
aujourd’hui que le manquement de l’employeur à
ailleurs titulaire d’un mandat syndical (délégué
son obligation de sécurité de résultat ne peut pas
syndical, délégué syndical auprès du CE,
être invoqué par n’importe qui. Seule la victime
représentant syndical auprès du CHSCT) qui avait
« directe » du harcèlement moral peut attaquer
présenté sa démission en faisant état de
l’employeur sur le fondement de son obligation de
comportements fautifs du directeur du bureau où il
sécurité (et donc prendre acte de la rupture du
travaillait (en l’espèce, des agissements de
contrat de travail aux torts de celui-ci). Ceci tient à
harcèlement moral). Cet avocat avait ensuite agi
la nature particulière du harcèlement moral, qui
devant les tribunaux, bien décidé à faire requalifier
s’inscrit avant tout dans une relation « individuelle »
la rupture de son contrat en licenciement abusif.
entre le harceleur et sa victime.
Ce faisant, il utilisait là une « arme » classique des
Remarque : en effet, la jurisprudence a déjà affirmé le
salariés qui se disent victimes d’un harcèlement principe selon lequel le harcèlement moral s’inscrit dans la
moral : celui de la prise d’acte (par laquelle le relation particulière entre le harceleur et sa seule victime. La
salarié prend l’initiative de rompre le contrat de Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la possibilité
travail en reprochant à l’autre partie de n’avoir pas d’un harcèlement « collectif » (notamment lorsque des
méthodes de management ont des répercussions sur
respecté ses obligations contractuelles et en l’ambiance de travail dans l’entreprise : v. Cass. soc., 10 nov.
affirmant que cette rupture lui est donc en réalité 2009, n° 07-45.321, Salon Vacances Loisirs c/ Marquis ; Cass.
imputable). Or, l’originalité de l’affaire tient dans le soc., 16 déc. 2009, n° 08-44.575, Guichard c/ Sté
fait que le salarié n’invoquait pas un harcèlement le avignonnaise d’hôtellerie la Mirande). La reconnaissance d’un
visant directement mais les répercussions sur sa harcèlement moral suppose que le salarié puisse apporter des
éléments « individualisés » permettant de présumer d’un
santé mentale d’un harcèlement pratiqué sur autrui. harcèlement à son seul égard.
II. - Une prise d'acte dont la Cour de
cassation refuse de reconnaître la On notera qu’en l’occurrence, le fait que le salarié
légitimité détienne des mandats syndicaux ne lui permet pas
plus d’attaquer l’employeur sur les manquements à
Réponse de la Cour de cassation : la prise d’acte son obligation de sécurité. Il faut dire qu’en
n’était pas justifiée car l’intéressé « n’avait pas été l’espèce, l’intéressé n’agissait pas en tant que
personnellement victime d’une dégradation de ses représentant du personnel, mais en tant que simple
conditions de travail à la suite des agissements du salarié, souhaitant faire valoir un préjudice qui le
chef de bureau subis par un autre salarié, de sorte touchait personnellement.
qu’il n’était pas fondé à se prévaloir d’un
Remarque : ce salarié, en tant qu’investi de divers mandats
manquement de l’employeur à son obligation de
syndicaux aurait pu éventuellement agir en justice sur le
sécurité de résultat en matière de harcèlement fondement de l’article L. 1154-2 du code du travail, puisque
moral ». selon ce texte les organisations syndicales représentatives
dans l’entreprise peuvent exercer en justice les actions
Cette décision est intéressante car elle replace relatives à un harcèlement moral en faveur d’un salarié de
l’obligation de sécurité (qui rappelons-le, a un l’entreprise (sous réserve de justifier d’un accord écrit de
fondement contractuel) dans sa perspective l’intéressé). Mais ce n’est pas cette voie judiciaire qui avait été
d’origine, qui est celle d’une relation contractuelle choisie.
directe entre l’employeur et un salarié déterminé.
Ce, d’autant plus qu’on se situe dans un contexte de
harcèlement. Voici pourquoi.

OMNIDROIT I Newsletter N°119 I 03.11.2010 Page I 10


IV. - En second lieu, le salarié doit pouvoir
invoquer un préjudice direct lié aux
mauvaises conditions de travail
Justement, en parlant de préjudice, et en dehors de Le contrat ne peut prévoir
toute considération liée au fait que le salarié n’était
pas victime in personae du harcèlement moral, cette une retenue sur salaire
nouvelle décision de la Cour de cassation soulève
une seconde problématique liée à l’obligation de en cas de chiffre d'affaires
sécurité de l’employeur : celle de l’indemnisation du
salarié en raison de ses mauvaises conditions de
insuffisant
travail.
Depuis peu, la jurisprudence admet que les Soc. 20 oct. 2010, n° 09-42.896
répercussions des mauvaises conditions de travail Retenir sur le salaire d'un VRP, en cas de
sur la santé du salarié puissent donner lieu à une mauvais chiffre d'affaires, une participation
indemnisation de la part de l’employeur, sur le mensuelle proportionnelle au coût du véhicule
fondement de son obligation de sécurité (Cass. soc., mis à disposition par l'entreprise constitue une
17 févr. 2010, n° 08-44.298, Sté CDF énergie sanction pécuniaire illicite.
c/ Charbonnier ép. Roussel). Mais là encore, la
décision qui vient d’être rendue par la Cour de
cassation opère un nouveau « recadrage » en
Selon l'article L. 1331-2 du code du travail, « les
refusant de reconnaître le fait que le harcèlement
amendes ou autres sanctions pécunaires sont
moral subi par un salarié puisse affecter les
interdites. Toute disposition ou stipulation contraire
conditions de travail de l’ensemble du personnel du
est réputée non écrite ». S'appuyant sur cette
bureau à tel point que cela « nuise à leur santé
disposition, la Cour de cassation vient de préciser
mentale par le stress qu’il générait ».
que "la prohibition des sanctions pécunaires a ainsi
La Cour de cassation n’admet une mise en cause de un caractère d'ordre public auquel ne peut faire
l’obligation de sécurité de l’employeur qu’en cas de échec une disposition du contrat de travail".
préjudice personnel avéré (et non pas de préjudice
Dans cette affaire, le contrat d'un VRP
collectif). Ce préjudice ne peut fonder une action en
exclusif prévoyait qu'en cas de non-réalisation d'un
justice de la part du salarié que si la dégradation de
certain chiffre d'affaires, le VRP serait tenu d'une
ses conditions de travail a entraîné, à titre
participation mensuelle proportionnelle au coût du
personnel, une altération de son état de santé. On
véhicule de l'entreprise mis à sa disposition.
notera que c’était bien le cas dans l’affaire du
17 février 2010 précitée (puisqu’en l’espèce le L'employeur avait ainsi prélevé chaque mois sur la
salarié avait fait une dépression en raison de ses rémunération du VRP une somme fixe au titre de
mauvaises conditions de travail). En revanche, dans l'avantage en nature lié au véhicule de l'entreprise
la présente affaire, l’avocat ne présentait pas mis à disposition, au motif que son chiffre d'affaires
d’éléments objectifs prouvant une altération de son était insuffisant.
état de santé et permettant de fonder une prise
d’acte (ni, à notre avis, une indemnisation de la part Or, cette pratique tombe sous le coup de
l'interdiction d'ordre public, énoncée par l'article L.
de l’employeur, sur le fondement de son obligation
de sécurité). 1331-2 du code du travail, à laquelle le contrat de
travail ne peut donc déroger.

OMNIDROIT I Newsletter N°119 I 03.11.2010 Page I 11


(mais en en anglais et en français), tandis que le
prix de la prestation était exprimé en euros (mais
également en florins, la monnaie néerlandaise de
l'époque). Toutefois, ces facteurs n'étaient eux-
Contrat d'entreprise mêmes sans doute pas suffisants pour affirmer que
le contrat présentait des liens plus étroits avec un
international : loi applicable autre pays, en l'espèce celui du créancier de la
prestation caractéristique, à savoir la France, et, par
conséquent, pour permettre de renverser la
Com. 19 oct. 2010, n° 09-69.246 présomption de l'article 4.5 de la Convention de
La Cour de cassation précise la loi applicable Rome au profit de la loi française.
en matière de contrat d'entreprise Sous l'empire du règlement Rome I, la solution, en
international au regard de la convention de l'absence de choix des parties quant à la loi
Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux applicable, serait identique, mais pas pour les
obligations contractuelles. mêmes raisons. Les rédacteurs de ce texte, au nom
de l'impératif de sécurité juridique, ont, en effet,
éliminé toute recherche du pays avec lequel le
Il est question, dans cet arrêt, de contrats contrat est censé avoir les liens les plus étroits. Ils
d'entreprise, précisément, d'une commande, par un ont préféré, pour plusieurs contrats nommés,
chantier naval français à une société néerlandaise, associer à chacun d'entre eux un rattachement fixe
de ponts en bois destinés à équiper des navires en prédéterminé (art. 4.1 ; pour une présentation, V.
construction. La société néerlandaise a été mise en T. Azzi, La loi applicable à défaut de choix selon les
faillite sans, visiblement, avoir accompli pleinement articles 4 et 5 du règlement Rome, D. 2008. Chron.
sa prestation, si bien que la société française a 2169). En ce qui concerne le contrat de « prestation
refusé de payer. Elle a néanmoins été condamnée de services », visé par le règlement, catégorie à
par le juge des référés français à verser une laquelle semble se rattacher le présent contrat
provision. Elle a alors exercé une action en d'entreprise (la prestation porte ici sur un navire,
indemnisation sur le fond, qui a été rejetée. Le litige donc un meuble ; si elle portait sur un immeuble,
comportait plusieurs aspects, parmi lesquels la c'eût été un contrat ayant pour objet un droit réel
question de la loi applicable : en l'absence de choix, immobilier, régi par la lex rei sitae), il « est régi par
exprès ou non, des parties, la loi néerlandaise a été la loi du pays dans lequel le prestataire de services
déclarée applicable aux contrats d'entreprise à tous a sa résidence habituelle », soit également la loi
les stades de la procédure. Il en est ainsi parce que néerlandaise.
la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles
(aujourd'hui remplacée par le règlement dit « Rome
I » du 17 juin 2008), ici en cause, prévoit - en
réalité pose une présomption -, en son article 4,
que, à défaut de choix des parties, la loi applicable
au contrat est celle du pays où la partie qui doit
fournir la prestation caractéristique a, au moment
L'autorisation du juge
de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle des tutelles ne purge
ou son principal établissement, à moins qu'il ne
résulte de l'ensemble des circonstances que le pas l'acte de la nullité pour
contrat présente des liens plus étroits avec un autre
pays. Le fournisseur de la prestation caractéristique, trouble mental
la fourniture des ponts, étant une société ayant son
siège en Hollande, la loi de ce pays s'imposait, ce
que contestait son cocontractant français, qui
Civ. 1re, 20 oct. 2010, n° 09-13.635
invoquait sa loi nationale, en tant que loi de lieu L'acte passé par un majeur protégé sur
d'exécution du contrat. autorisation du juge des tutelles peut être
attaqué sur le fondement de la nullité pour
Or, pour la Cour de cassation, dans le cas où la
insanité d'esprit.
présomption selon laquelle le contrat présente les
liens les plus étroits avec le pays où est établi le
débiteur de la prestation caractéristique n'est
corroborée par aucun autre facteur de rattachement, Par cet arrêt de rejet du 20 octobre 2010, la
cela ne signifie pas nécessairement que la loi du première chambre civile se prononce sur la sanction
pays où est établi ce débiteur doit être écartée au d'un acte passé par un majeur protégé sur
profit de la loi du lieu d'exécution de cette autorisation spéciale du juge des tutelles. La haute
prestation. Certes, le rattachement du contrat aux juridiction énonce que « l'autorisation donnée par le
Pays-Bas n'était effectivement corroboré par aucun juge des tutelles de vendre la résidence du majeur
autre facteur, puisque le contrat n'avait pas été protégé ne fait pas obstacle à l'action en annulation,
conclu dans ce pays, ni dans la langue de celui-ci pour insanité d'esprit, de l'acte passé par celui-ci ».

OMNIDROIT I Newsletter N°119 I 03.11.2010 Page I 12


En l'espèce, un majeur en curatelle avait été régime de protection, il peut l'être pour insanité
autorisé par ordonnance du juge des tutelles le 5 d'esprit au moment de l'acte. C'est donc la capacité
janvier 2005 à vendre son logement sur le naturelle de l'intéressé qui est en cause. Le trouble
fondement de l'article 490-2 ancien du code civil mental doit exister au moment de l'acte. En
alors applicable. Quatre mois plus tard, soit le 6 mai l'espèce, l'intéressée, hospitalisée lors de la
2005, une promesse synallagmatique de vente est signature de l'acte, présentait lors de son admission
signée. Le vendeur agit en nullité de la vente sur le une décompensation dépressive et un délire
fondement de l'article 489 ancien du code civil. La hallucinatoire et au moment de l'acte litigieux
cour d'appel (Aix-en-Provence, 12 févr. 2009) suivait un traitement comprenant treize
prononce cette nullité. Le pourvoi formé par médicaments pour la calmer. Les juges du second
l'acquéreur prétend que l'article 489 du code civil degré ont en conséquence souverainement apprécié
n'est pas applicable aux actes autorisés par le juge que la personne protégée était insane d'esprit au
des tutelles et, qu'en tout état de cause, la preuve moment où elle avait signé la promesse de vente.
de l'insanité d'esprit s'apprécie au moment où l'acte
L'autorisation judiciaire n'est donc pas un gage de
est conclu, preuve qui ne serait pas rapportée en
sécurité des transactions. La solution commentée
l'espèce.
risque de décourager les tiers à contracter avec un
La Cour de cassation se prononce en application des majeur protégé, même autorisé à agir, la nullité
dispositions issues de la loi n° 68-5 du 3 janvier pour trouble mental faisant office d'épée de
1968 puisque conformément à l'article 45-III de la Damoclès. Elle permet toutefois et à juste titre
loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de d'assurer une égalité de traitement entre tous les
la protection juridique des majeurs entrée en majeurs, non protégés et donc pleinement capables,
vigueur le 1er janvier 2009, l'appel et le pourvoi sont et protégés mais spécialement capables, qui ont agi
jugés selon les règles applicables lors du prononcé sous l'empire d'un trouble mental.
de la décision de première instance (V. « Réforme Cette solution semble devoir demeurer en
de la protection des majeurs : précisions de droit application de la loi du 5 mars 2007 pour tous les
transitoire », Omnidroit, 14 juin 2010). Ceci dit, on actes dont la validité suppose une autorisation du
verra que la solution retenue par la Cour en l'espèce juge des tutelles. En effet, l'article 465 du code civil
devrait perdurer en application du droit nouveau. énonce les sanctions applicables aux actes
Sur le fond, l'arrêt du 20 octobre 2010 a pour mérite irrégulièrement passés par le majeur protégé et
de confirmer une position défendue en doctrine. n'envisage pas notre hypothèse. Cela est cohérent
Sous l'empire de la loi de 1968, la doctrine (T. puisque l'acte passé avec l'autorisation du juge est
Fossier et M. Bauer, Les tutelles, ESF, 2007, spéc. p. régulier. La sanction ne relève donc plus du droit
334) estimait en effet que lorsque le juge des des régimes de protection mais du droit commun de
tutelles restituait une capacité partielle au majeur la nullité pour trouble mental fondé sur l'article
protégé sur le fondement de l'article 501 du code 414-1 nouveau du code civil. Au-delà de l'hypothèse
civil, l'acte régulièrement passé par le majeur de l'acte autorisé par le juge, cette sanction devrait
protégé pouvait toutefois être annulé sur le pouvoir également s'appliquer aux actes pour
fondement de l'article 489 du code civil aux termes lesquels le majeur protégé dispose ab initio d'une
duquel « pour faire un acte valable, il faut être sain capacité d'exercice pleine et entière, à savoir les
d'esprit ». actes strictement personnels de l'article 458 du
code civil, à la condition moins évidente néanmoins
En l'espèce, la question posée à la Cour de cassation que la technique même de la nullité soit praticable
est celle de savoir si l'autorisation judiciaire de pour ce type d'actes éminemment personnels.
vendre purge l'acte de nullité. En énonçant que
l'autorisation judiciaire n'empêche pas d'attaquer
l'acte pour insanité d'esprit au moment de l'acte, la
Cour affirme implicitement que l'autorisation
judiciaire ne vaut ni présomption simple ni, a
fortiori, présomption irréfragable de l'aptitude à agir
du majeur au moment de l'acte. L'autorisation
judiciaire a simplement pour effet de restituer pour
un acte particulier ici ou pour plusieurs actes de
même nature ailleurs, la capacité juridique d'agir du
majeur. Elle est donnée en amont de l'acte en
considération de la capacité naturelle d'agir du
majeur au moment où le juge statue. Elle ne
préjuge cependant pas de sa capacité naturelle à
agir au moment même de l'acte. En d'autres termes,
le majeur protégé qui se voit autoriser à passer un
acte particulier se retrouve pour l'acte donné dans la
même situation que toute personne non protégée,
capable juridiquement. Ainsi, si l'acte ne peut certes
pas être attaqué pour contravention aux règles du

OMNIDROIT I Newsletter N°119 I 03.11.2010 Page I 13


Lorsque le ressort du tribunal d'instance supprimé
est réparti entre plusieurs tribunaux d'instance :
• les procédures de saisie des rémunérations
Réforme de la carte sont directement transférées au tribunal
d'instance dans le ressort duquel le débiteur
judiciaire : a son domicile ;
• les procédures devant le juge des tutelles au
incidences procédurales de la tribunal d'instance dans le ressort duquel le
majeur à protéger ou protégé a sa résidence
suppression de certaines habituelle ou le tuteur son domicile.
juridictions de l'ordre Les parties ayant comparu devant la juridiction
supprimée sont informées, par l'une ou l'autre des
judiciaire juridictions, qu'il leur appartient d'accomplir les
actes de la procédure devant la juridiction auquel la
procédure a été transférée.
Décr. n° 2010-1234, 20 oct. 2010, JO 22
oct. Les archives et les minutes du greffe de la
juridiction supprimée sont transférées au greffe de
Un décret du 20 octobre 2010 précise les la juridiction dans le ressort duquel est situé le
incidences de la suppression de certaines siège de la juridiction supprimée. Les frais de
juridictions : tribunal de grande instance, transfert de ces archives et minutes sont pris sur le
tribunal d'instance, juridiction de proximité et crédit ouvert à cet effet au budget du ministère de
cour d'appel. la justice.

Le décret n° 2010-1234 du 20 octobre 2010


modifiant diverses dispositions du code de
l'organisation judiciaire a été publié au Journal
officiel du 22 octobre. Faisant suite à la réforme de
la carte judiciaire qui devait conduire à la Exécution des peines :
suppression de nombreuses juridictions (V. not.
Dalloz actualité, 19 févr. 2008, obs. L. Dargent), le publication de trois nouveaux
texte a pour objet de préciser les incidences de la
suppression de certaines d'entre elles: tribunal de décrets
grande instance, tribunal d'instance, juridiction de
proximité et cour d'appel.
Décr. n° 2010-1276, 27 oct. 2010, JO 28
Il en résulte ainsi que lorsque l'une de ces oct.
juridictions est supprimée, toutes les procédures en Décr. n° 2010-1277, 27 oct. 2010, JO 28
cours devant la juridiction concernée à la date
oct.
d'entrée en vigueur du décret de suppression sont
transférées en l'état à la juridiction de même niveau Décr. n° 2010-1278, 27 oct. 2010, JO 28
dans le ressort duquel est situé le siège de la oct.
juridiction supprimée, sans qu'il y ait lieu de Trois décrets du 27 octobre 2010 concernant
renouveler les actes, formalités et jugements l'exécution des peines - les procédures
régulièrement intervenus antérieurement à cette d'aménagement des peines, la libération
date, à l'exception des convocations, citations et conditionnelle et la surveillance judiciaire,
assignations données aux parties et aux témoins qui ainsi que les modalités d'exécution des fins de
n'auraient pas été suivies d'une comparution devant peines d'emprisonnement en l'absence de tout
la juridiction supprimée. aménagement - sont publiés au
Avant l'entrée en vigueur du décret de suppression
de la juridiction, les convocations, citations et
assignations données aux parties et aux témoins Le premier de ces textes (n° 2010-1276) précise les
peuvent être délivrées pour une comparution devant conditions d'application des dispositions de la loi
la juridiction à laquelle les procédures seront pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009
transférées, mais à une date postérieure à celle de instituant des procédures simplifiées
la suppression effective de la juridiction d'origine. d'aménagement des peines d'emprisonnement
(chap. 1er). Les dispositions du code de procédure
Lorsque le ressort du tribunal de grande instance
pénale relatives à la convocation des condamnés
supprimé est réparti entre plusieurs tribunaux de
libres à l'issue de l'audience sont modifiées pour
grande instance, les mesures de protection des
tenir compte de la possibilité d'aménagement des
mineurs sont directement transférées au tribunal de
peines d'emprisonnement d'une durée inférieure ou
grande instance dans le ressort duquel le mineur a
égale à deux ans (art. 2). Les conditions dans
son domicile, par dérogation au principe ci-dessus.

OMNIDROIT I Newsletter N°119 I 03.11.2010 Page I 14


lesquelles un aménagement peut être accordé sont violences faites spécifiquement aux femmes, qui a
précisées, en distinguant selon la situation de la étendu la possibilité de surveillance électronique
personne : si celle-ci libre ou incarcérée (art. 3) ; le mobile en cas de violences au sein du couples (sur
texte définit, dans le premier cas, les modalités de cette loi, V. not. « Violences faites aux femmes »,
convocation de l'intéressé devant le juge de Omnidroit, 13 juill. 2010).
l'application des peines (JAP) et le service
Le troisième décret (n° 2010-1278) détaille, dans
pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), et
une nouvelle section 10, insérée après l'article D.
indique, dans le second, les conditions dans lesquels
147-30-18 du code de procédure pénale, les
le SPIP étudie le dossier et transmet sa proposition
modalités d'exécution des fins de peines
d'aménagement au procureur, ensuite transmise
d'emprisonnement en l'absence de tout
pour homologation au JAP.
aménagement. Une nouvelle procédure allant de
Dans un chapitre 2, plusieurs autres dispositions l'instruction des dossiers des condamnés à la mise
concernant l'application des peines sont précisées, en œuvre de la surveillance électronique de fin de
dont la modification par les services pénitentiaires peine est fixée. Celle-ci envisage notamment
des horaires d'un aménagement de peine sur l'incidence d'une nouvelle peine durant cette
autorisation du JAP (art. D. 49-21-1 nouv. ; art. 4) surveillance électronique et précise l'application de
et les conséquences de la conversion en sursis ces dispositions aux mineurs. La date d'entrée en
assorti d'un travail d'intérêt général d'une peine vigueur de ce texte est fixée au 1er janvier 2011.
d'emprisonnement ayant fait l'objet d'un sursis Les deux autres entrent en vigueur immédiatement.
partiel avec mise à l'épreuve (art. D. 545 nouv. ;
ibid.). Le texte prévoit également que le président
de la chambre de l'application des peines puisse,
lorsqu'il constate que cette juridiction a été saisie
d'un appel manifestement irrecevable, décider qu'il
n'y a pas lieu de statuer sur cet appel, par
ordonnance motivée non susceptible de recours (art.
D. 49-42-1 nouv. ; ibid.). Application rétroactive
Le second décret du 27 octobre 2010 (n° de l'article 226-10 du code
2010-1277) précise les conditions d'application de
certaines dispositions relatives à la surveillance pénal modifié
judiciaire et à la libération conditionnelle, aux fins de
répondre à certaines difficultés soulevées par les par la loi du 9 juillet 2010
praticiens et prendre en compte les modifications
introduites, en ce domaine, par la loi n° 2010-242
du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de Crim. 14 sept. 2010, n° 10-80.718
récidive criminelle (sur cette loi, V. not. Dalloz Sont applicables rétroactivement les
actualité, 12 mars 201033176). Il clarifie les dispositions plus favorables de l'article 226-10
conditions dans lesquelles une surveillance judiciaire du code pénal relatif à la dénonciation
peut être prononcée après une libération calomnieuse, telles qu'issues de la loi du 9
conditionnelle révoquée, ainsi que les conséquences juillet 2010, en ce qu'elles restreignent
d'un retrait partiel de réduction de peine à la suite l'étendue de la présomption de fausseté du fait
de la violation de ses obligations par une personne dénoncé.
placée sous surveillance judiciaire. Il précise les
conditions dans lesquelles intervient l'avis de la
commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté La modification de l'article 226-10 du code pénal,
en cas de libération conditionnelle d'un condamné à relatif à la dénonciation calomnieuse, à la suite de
la réclusion criminelle à perpétuité ou en cas de l'article 16 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010
libération conditionnelle assortie d'un placement sur les violences faites aux femmes, les violences au
sous surveillance électronique mobile. Il confère à sein des couples et les incidences de ces dernières
l'administration pénitentiaire le pouvoir de fixer la sur les enfants, est à l'origine d'un conflit de lois
durée du placement au Centre national d'évaluation dans le temps, conflit qu'a dû résoudre la chambre
lorsque le placement est ordonné avant une criminelle, dans un arrêt du 14 septembre 2010. Les
éventuelle surveillance judiciaire ou la libération juges du fond avaient en effet appliqué l'article
conditionnelle d'un condamné à la réclusion
précité dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er
criminelle à la perpétuité. Il permet au JAP de
mars 1994. Cependant, la Cour de cassation avait
suspendre pour raisons médicales les obligations
considéré, au contraire, qu'il était nécessaire de
d'une personne sous surveillance judiciaire ou
procéder à un nouvel examen de l'affaire sur le
bénéficiant d'une libération conditionnelle, y compris
fondement des dispositions plus favorables issues
en cas de placement sous surveillance électronique
de la loi de 2010, sur le fondement de l'article
mobile. Des coordinations sont également opérées,
112-1 du code pénal.
liées notamment à l'abaissement du seuil de la
surveillance judiciaire ainsi qu'à l'entrée en vigueur C'est qu'en effet, cet article dispose, dans son alinéa
de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux 3, que « les dispositions nouvelles s'appliquent aux

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infractions commises avant leur entrée en vigueur et mars 1995, RSC 1996. 653, obs. Y. Mayaud ; Dr.
n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée pénal 1995. 141, obs. Véron). De même, la Cour de
en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins cassation avait déjà adopté la même solution, alors
sévères que les dispositions anciennes ». C'est le que la présomption de fausseté du fait dénoncé
principe de la rétroactivité in mitius de la loi pénale. était liée à une ordonnance de non lieu pour
insuffisance de charges (Crim. 21 janv. 1997, Bull.
Or, s'agissant de la dénonciation calomnieuse, délit
crim. n° 18 ; RSC 1997. 639, obs. Y. Mayaud ; Dr.
caractérisé lorsqu'une personne dénonce un fait qui
pénal 1997. 74, obs. Véron).
est de nature à entraîner des sanctions judiciaires,
administratives ou disciplinaires, et qu'elle sait
totalement ou partiellement inexact, les nouvelles
dispositions sont justement moins sévères que les
dispositions anciennes : tandis que la version
antérieure de l'article 226-10 du code pénal estimait
que « la fausseté du fait dénoncé résulte
nécessairement de la décision, devenue définitive, Mise en examen du témoin
d'acquittement, de relaxe ou de non lieu, déclarant
que la réalité du fait n'est pas établie ou que celui-ci assisté :
n'est pas imputable à la personne dénoncée », la loi
de 2010 a prévu que les termes « que la réalité du quel délai appliquer ?
fait n'est pas établie » soient remplacés par les
termes « que le fait n'a pas été commis », ce qui a
pour effet, comme n'a pas manqué de le relever la Crim. 22 sept. 2010, n° 10-84.917
Cour de cassation dans l'arrêt étudié, de restreindre En cas de mise en examen du témoin assisté à
l'étendue de la présomption de fausseté du fait la fin de l'information judiciaire, le délai ouvert
dénoncé. par l'article 175 du code de procédure pénale
Une telle solution ressort clairement de la lecture pour formuler des demandes d'actes ou des
des travaux préparatoires relatifs à l'article 16 de la requêtes en nullité (un ou trois mois) se
loi du 9 juillet 2010 (Rapport n° 2293 de M. Guy substitue à celui de l'article 113-8 (vingt
Geoffroy, député, fait au nom de la commission jours).
spéciale, déposé le 10 févr. 2010 ; rapport n° 564
(2009-2010) de M. François Pillet, fait au nom de la
commission des lois, déposé le 17 juin 2010 ; La mise en examen du témoin assisté peut se
rapport n° 2684 de M. Guy Geoffroy, député, déposé produire à l'initiative du témoin assisté lui-même,
le 28 juin 2010). En effet, il y est indiqué que les ou bien à celle du magistrat instructeur, lorsque les
dispositions antérieures instauraient une indices réunis au cours de son instruction
présomption irréfragable de fausseté des faits en deviennent « graves ou concordants » (art. 80-1 c.
cas de décision juridictionnelle définitive de relaxe, pr. pén.). Le juge d'instruction peut aussi procéder
d'acquittement ou de non lieu pour insuffisances de à la mise en examen du témoin assisté par lettre,
charges. Une telle présomption était donc en même temps que l'envoi de l'avis de fin
relativement étendue. Désormais, la loi nouvelle d'information. La lettre informe alors la personne de
rend les décisions prises pour insuffisance de l'ensemble de ses droits (art. 113-8). Elle peut,
charges insusceptibles d'engendrer cette notamment, demander à être entendue, le
présomption de fausseté du fait dénoncé. Dès lors, magistrat étant alors tenu de l'auditionner.
en cas de décision définitive d'acquittement, de Corollaire indispensable du régime de purge des
relaxe ou de non lieu rendue pour un tel motif, le nullités, la personne ainsi mise en examen bénéficie
tribunal devra apprécier la pertinence des également du droit de déposer les demandes
accusations portées par le dénonciateur, en vertu du d'actes qui lui semblent utiles à sa défense, ainsi
dernier alinéa de l'article 226-10. que de présenter des requêtes en nullité.

Il est à remarquer que la solution n'est pas nouvelle, Les textes qui régissent la situation décrite sont les
mais constitue l'aboutissement d'une jurisprudence articles 113-8 et 175 du code de procédure pénale.
constante rendue à l'occasion des premières Or, leur lecture combinée laisse dubitatif. On sait en
modifications de l'article 226-10, laquelle avait effet que la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 a
précisé qu'était plus favorable une loi qui permettait modifié l'article 175 pour prévoir au bénéfice des
de discuter d'un élément constitutif d'une infraction parties, à la fin de l'information, un délai de un mois
relevant jusqu'alors d'une preuve irréfragable. C'est (si une personne est incarcérée), ou trois mois
ainsi que la cour d'appel de Paris, le 23 mars 1995, (dans les autres cas) pour présenter des
avait énoncé que l'article 226-10 du code pénal observations, des demandes d'actes, ou des
contenait des dispositions plus favorables au requêtes en nullité (ce délai était auparavant fixé à
prévenu que l'état antérieur du droit, en ce qu'il ne vingt jours, anc. art. 175, al. 2). Mais le législateur
comptait plus le classement sans suite d'une plainte n'a pas songé, dans le même temps, à procéder à la
parmi les mesures valant constatation de la fausseté modification de l'article 113-8, alinéa 3, qui prévoit
des circonstances décrites dans la plainte (Paris, 23 toujours un délai de vingt jours.

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Dans l'affaire commentée, un prévenu, témoin
assisté dans une information ouverte du chef de
fourniture illégale de services d'investissement
(infraction financière consistant à fournir des
services d'investissement à des tiers à titre de Budget 2011 : les députés
profession habituelle sans avoir obtenu l'agrément
nécessaire, art. L. 573-1 c. mon. fin.), avait donc votent des hausses d'impôts
été avisé, en application des articles 113-8 et 175
du code de procédure pénale, de sa mise en examen
supplémentaires
et de la fin de l'information, ainsi que de la durée de
trois mois (art. 175) durant laquelle il pouvait
formuler des demandes d'actes ou des requêtes en Taxation accrue des plus-values immobilières,
annulation. Il se plaignait, en substance, de augmentation du prélèvement social sur les
l'absence d'information relative au délai de vingt revenus du capital, réduction d'ISF -
jours de l'article 113-8, pour solliciter l'annulation de investissement PME revue à la baisse... la
l'avis de mise en examen. La chambre criminelle de facture s'alourdit pour les particuliers. Les
la Cour de cassation rejette son pourvoi : il ne entreprises sont relativement épargnées.
pouvait se faire grief de ce que les juges n'aient
« pas répondu à sa demande d'annulation de l'avis
de mise en examen fondée sur le défaut de mention L'Assemblée nationale a adopté en première lecture,
de la durée de vingt jours (…), dès lors que le délai le 26 octobre, la première partie du projet de loi de
ouvert par l'article 175 du code de procédure pénale finances pour 2011 en durcissant son volet fiscal.
[s'était] substitué à celui de vingt jours prévu par Mesures frappant les particuliers
l'article 113-8 du même code ». Les hauts
magistrats confirment donc l'interprétation Les hausses d'impôt initialement prévues pour
raisonnable que l'on pouvait faire de la combinaison financer les retraites seraient aggravées :
des deux textes : les dispositions de l'article 175
• le taux d'imposition des plus-values
étant plus récentes, les principes généraux du droit
immobilières qui devait passer de 16 à
conduisaient en effet à considérer qu'elles avaient
17 % serait aligné sur celui frappant pour
tacitement abrogé celles de l'article 113-8 (Rép.
les plus-values mobilières et fixé à 19 % ;
pén. Dalloz, v° Lois et décrets, spéc. n° 116).
celles des plus-values immobilières qui
Pour la cohérence juridique, il serait néanmoins bénéficient d'un abattement pour durée de
souhaitable que le législateur procède à détention seraient soumises aux
l'uniformisation de ces deux textes, bien que les prélèvements sociaux sur l'intégralité de
conversions finales du statut de témoin assisté à leur montant ;
celui de mis en examen soit assez rares dans la • le prélèvement social dû sur les revenus
pratique judiciaire (F. Saint-Pierre, Guide de la du capital serait relevé de 2 à 2,2 %, ce qui
défense pénale, 5e éd., Dalloz, 2007). porterait le total des contributions sociales à
12,3 % (au lieu de 12,1 %) ;
• le taux d'imposition applicable aux plus-
values d'acquisition des stock-options
serait porté, pour leur fraction excédant 152
500 €, de 40 à 41 %.
Contre l'avis du gouvernement, les députés ont par
ailleurs ramené de 75 à 50 % le taux de la
réduction d'ISF accordé au titre des
investissements dans les PME.
Seule mesure dissonante dans ce contexte de
rigueur : le quadruplement du montant des
souscriptions au capital de PME ouvrant droit à une
réduction d'IR, qui porte la limite d'investissement
de 50 000 € à 200 000 € pour les célibataires et de
100 000 € à 400 000 € pour les couples. Mais cette
mesure, très mal accueillie par Bercy, sera sans
doute annulée au Sénat.

Mesures frappant les entreprises


Les députés ont voté le report à 2014 de la
suppression de l'imposition forfaitaire annuelle
(IFA) due par les sociétés dont le chiffre d'affaires
est supérieur à 15 millions d'euros. Les entreprises
ou associations qui ont payé l'IFA en 2010 seraient

OMNIDROIT I Newsletter N°119 I 03.11.2010 Page I 17


donc encore tenues de la payer l'année prochaine et Après avoir rappelé les dispositions du code général
les deux années suivantes. des collectivités territoriales, du code de la route et
du code de procédure pénale relatives aux missions
Comme les plus-values privées, les plus-values
des policiers municipaux, la haute juridiction
immobilières professionnelles qui bénéficient d'un
considère « que les dépenses nécessaires à
abattement pour durée de détention seraient
l'exercice des missions confiées par ces dispositions
soumises aux prélèvements sociaux sur l'intégralité
législatives à des agents communaux agissant au
de leur montant.
nom de l'État sont constituées par les frais liés à la
Le crédit d'impôt recherche serait légèrement constatation par les agents de police municipale des
corrigé afin d'en réduire le coût. Les aménagements contraventions aux dispositions du code de la route,
votés concernent notamment : ainsi qu'à la perception des amendes forfaitaires
résultant de ces contraventions lorsqu'elle est
• l'exclusion de l'assiette du crédit d'impôt de effectuée par les agents verbalisateurs ». Elle juge
tout ou partie des sommes versées à des que les frais d'établissement des avis de
intermédiaires en rémunération de contravention, cartes de paiement et quittances
prestations de conseil ; remis aux contrevenants par les agents de police
• la diminution du montant des dépenses de municipale « constituent dès lors des dépenses
fonctionnement prises en compte ; nécessaires à l'exercice des missions confiées aux
• l'obligation pour les entreprises de réaliser agents de police municipale par les dispositions
au moins 25 % des opérations de recherche législatives mentionnées ci-dessus, lesquelles ont
en interne. ainsi mis ces dépenses à la charge des
communes ».
En revanche, « ni l'article L. 2212-5 du code général
des collectivités territoriales, ni son article L.
2212-5-1, ni aucune autre disposition législative ne
met directement ou indirectement à la charge des
Contentieux communes les frais de fonctionnement des régies de
recettes mises en place par l'État auprès des
du recouvrement communes pour l'encaissement, par les comptables
publics de l'État, des amendes pouvant résulter des
des amendes : le jugement procès-verbaux établis par les agents de police
de Salomon du Conseil d'État municipale ». Par conséquent, « la
administrative d'appel n'a dès lors pas commis
cour

d'erreur de droit en jugeant que les frais de


CE 22 oct. 2010, n° 328102 fonctionnement d'une telle régie de recettes de
l'État, créée par un arrêté préfectoral auprès de la
Les frais liés à la constatation des commune de Versailles, supportés par cette
contraventions au code de la route par les dernière et chiffrés par la cour à 272 017 €,
policiers municipaux incombent aux devaient être mise à la charge de l'État ».
communes. En revanche, les régies de recettes
mises en place pour l'encaissement des
amendes doivent être financées par l'État.

En définissant les missions des agents de police


municipale en matière de contraventions au code de
la route, le législateur a implicitement mis à la Blocage des raffineries :
charge des communes les dépenses nécessaires à
ces missions, a jugé le Conseil d'État. Les
le juge administratif pose
communes ne peuvent donc prétendre au les limites des réquisitions
remboursement par l'État des dépenses liées à la
constatation des contraventions au code de la route
ou à la perception des amendes forfaitaires. En TA Melun, ord., 25 oct. 2010, n° 1007348
revanche, les frais de fonctionnement des régies de TA Melun, ord., 22 oct. 2010, n° 1007329
recettes doivent être à la charge de l'État.
CE, ord., 27 oct. 2010, n° 343966
Le Conseil d'État a ainsi partiellement annulé l'arrêt
Les réquisitions de salariés de raffineries ne
de la cour administrative d'appel de Versailles (26
sont légales que si elles sont proportionnées à
mars 2009, AJDA 2009. 1484, concl. F. Beaufaÿs)
l'urgence de la situation.
qui avait condamné l'État à indemniser la commune
de Versailles au titre de l'ensemble des frais liés aux
amendes forfaitaires émises par ses agents de police
municipale. Les pouvoirs de réquisition du préfet ne peuvent
porter atteinte au droit de grève que pour faire face

OMNIDROIT I Newsletter N°119 I 03.11.2010 Page I 18


à l'urgence et à condition que la mesure soit Le juge note également que seule une fraction de
proportionnée à celle-ci. C'est ce que rappellent l'effectif de l'établissement a été requise et juge que
plusieurs décisions des juges administratifs rendues « la détermination de l'effectif des salariés requis
dans le cadre du mouvement social dans les n'est pas, en l'état de l'instruction, entachée d'une
raffineries et les dépôts de carburant. illégalité manifeste, alors même que les salariés
requis, eu égard à leurs fonctions, représenteraient
Conditions de réquisition du personnel l'essentiel des salariés grévistes ». La requête est
d'une entreprise privée donc rejetée. Par là, le Conseil d'Etat valide le
Ainsi, le juge des référés du Conseil d'État a, dans raisonnement suivi quelques jours plus tôt par
une ordonnance du 27 octobre 2010, rappelé les plusieurs tribunaux administratifs.
principes classiques en les appliquant à la situation Un arrêté annulé par le tribunal
particulière actuelle.
administratif de Melun
Il était saisi d'un appel contre l'ordonnance du juge
La nécessité de n'agir que pour répondre à l'urgence
du référé-liberté du tribunal administratif de
et avec des moyens proportionnés à celle-ci avait
Versailles qui avait rejeté la demande de suspension
ainsi été rappelée au préfet de Seine-et-Marne par
de l'arrêté du préfet des Yvelines réquisitionnant des
le juge des référés du tribunal administratif de
salariés de l'établissement de Gargenville. Il a jugé
Melun le 22 octobre 2010. Saisi d'un référé-liberté
tout d'abord que, si le droit de grève présente le
contre la réquisition d'employés de la raffinerie de
caractère d'une liberté fondamentale, « le préfet
Grandpuits, il l'avait suspendue au motif « qu'en
peut légalement, sur le fondement des dispositions
réquisitionnant la quasi-totalité du personnel […] en
du 4°, de l'article L. 2215-1 du code général des
vue, non seulement d'alimenter en carburants les
collectivités territoriales, requérir les salariés en
véhicules prioritaires, mais également de fournir en
grève d'une entreprise privée dont l'activité présente
produits pétroliers de toute nature l'ensemble des
une importance particulière pour le maintien de
clients de la raffinerie, dans le but de permettre aux
l'activité économique, la satisfaction des besoins
entreprises du département de poursuivre leurs
essentiels de la population ou le fonctionnement des
activités, et alors, au surplus, que le représentant
services publics, lorsque les perturbations résultant
du préfet a déclaré à l'audience que des stations-
de la grève créent une menace pour l'ordre public ;
service du département étaient déjà réservées au
qu'il ne peut prendre que les mesures nécessaires,
profit des véhicules d'urgence et de secours, l'arrêté
imposées par l'urgence et proportionnées aux
a eu pour effet d'instaurer un service normal au sein
nécessités de l'ordre public ».
de l'établissement et non le service minimum que
En l'espèce, le juge relève que le 22 octobre 2010 requièrent les seules nécessités de l'ordre et de la
l'aéroport de Roissy ne disposait plus que de trois sécurité publics ».
jours de carburant. Il considère « que l'incapacité
Tirant les leçons de cette ordonnance, le préfet a
de l'aéroport à alimenter les avions en carburant
alors procédé à une nouvelle réquisition, laquelle a
aérien pouvait conduire au blocage de nombreux
été jugée proportionnée par le même juge le 25
passagers, notamment en correspondance, et
octobre. Celui-ci a estimé que la grève entamée le
menacer la sécurité aérienne en cas d'erreur de
12 octobre « compromet sérieusement
calcul des réserves d'un avion ; que par ailleurs la
l'approvisionnement en carburants des véhicules
pénurie croissante d'essence et de gazole en Ile-de-
d'urgence et de secours aux personnes ». Relevant
France le 22 octobre 2010 menaçait le ravitaillement
que l'arrêté visait exclusivement à assurer cet
des véhicules de services publics et de services de
approvisionnement prioritaire, il considère « qu'il
première nécessité et créait des risques pour la
ne ressort pas de l'instruction que le préfet disposait
sécurité routière et l'ordre public ».
d'autres moyens en vue d'obtenir le résultat
Dès lors, la réquisition de l'établissement constituait recherché ; que seuls quatorze agents sur les cent
une « solution nécessaire, dans l'urgence, à la soixante-dix environ affectés à ce site font l'objet de
prévention du risque de pénurie totale de carburant la présente réquisition sans qu'il soit allégué que ce
aérien à l'aéroport, en l'absence d'autres solutions nombre serait excessif par rapport aux besoins des
disponibles et plus efficaces ». En outre, « en raison opérations pour lesquels ils sont requis ».
de sa situation, cet établissement représentait
également une solution nécessaire à
l'approvisionnement en urgence de la région Ile-de-
France en essence et en gazole ».

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Étude en avant-première

La Cour de cassation s'est-elle convertie à la théorie


de l'imprévision ?

Par Denis Mazeaud, Professeur à l'Université Panthéon-Assas, et


Thomas Genicon, Professeur à l'Université de Rennes I
Com. 29 juin 2010, n° 09-67.369

Un arrêt, non publié au Bulletin, rendu par la chambre commerciale le 29 juin dernier, paraît bien
admettre la théorie de l'imprévision. S'agit-il vraiment d'un revirement ? Deux lectures
s'opposent, celle de Denis Mazeaud et celle de Thomas Genicon.

L'arrêt Canal « moins » ?


1. Le destin des arrêts de la Cour de cassation dépendrait-il
essentiellement de la vigilance de la doctrine, dont le rôle dans
la production des règles de droit serait alors sensiblement
rehaussé ? C'est cette première question qu'entre beaucoup
d'autres pose l'arrêt rendu le... 29 juin 2010 (soit déjà depuis
plus de trois mois) par la chambre commerciale de la Cour de
cassation. Cette décision, dont on pressent qu'elle va susciter
des débats passionnés, était apparemment passée inaperçue.
Sauf erreur, aucune plume, grande ou petite, du droit des
contrats n'avait encore daigné lui accorder la moindre
attention, absorbée qu'elles étaient sans doute par le
commentaire de l'arrêt rendu le même jour et par la même
chambre à propos des clauses limitatives de réparation(1). Grâce
soit donc rendue à Thomas « Sherlock » Génicon qui a déniché
cet OJNI (objet juridique non identifié) presque par hasard, et
avec lequel je dialoguerai à quelques pages de distance, tant
nos avis sont partagés au sujet de cet arrêt oublié.
2. Les faits de l'espèce font immédiatement penser à ceux qui avaient donné lieu au très fameux arrêt
« Canal de Craponne »(2) dans lequel la Cour de cassation a énoncé sa doctrine en matière d'imprévision.
Les sociétés SEC et Soffimat ont conclu en 1998, pour une durée de 12 ans, un contrat de maintenance
portant sur deux moteurs d'une centrale de production de cogénération moyennant une redevance
forfaitaire annuelle. Avec le temps et l'évolution des circonstances économiques, la société Soffimat a été
confrontée à de très graves difficultés en raison de l'augmentation très sensible du prix des pièces de
rechange dont elle doit faire l'acquisition pour réaliser les travaux de maintenance qui lui incombent
contractuellement, le montant des redevances dues par la société SEC étant alors devenu ridicule.
Nonobstant ce bouleversement profond de l'économie du contrat, survenu au cours de son exécution en
raison d'un changement de circonstances, la société SEC a exigé en référé l'exécution scrupuleuse des
engagements contractuels souscrits par son cocontractant. Vœu exaucé par le juge des référés qui a
condamné ce dernier à exécuter son obligation de révision des moteurs, motif pris que celle-ci n'était pas
sérieusement contestable.
3. L'arrêt confirmatif de la cour d'appel a été cassé, au visa des articles 1131 du code civil et 873, alinéa 2,
du code de procédure civile, aux motifs qu’« en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée,
si l'évolution des circonstances économiques et notamment l'augmentation du cours des matières premières
et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n'avait pas eu pour effet,
compte tenu du montant de la redevance payée par la société SEC, de déséquilibrer l'économie générale du
contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver de toute
contrepartie réelle l'engagement souscrit par la société Soffimat, ce qui était de nature à rendre

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sérieusement contestable l'obligation dont la société SEC sollicitait l'exécution, la cour d'appel a privé sa
décision de base légale ».
En clair et en bref, la Cour de cassation admet implicitement et potentiellement (3) avec cet arrêt la caducité
du contrat pour imprévision sur le fondement de la cause, et provoque une fissure dans le « Canal de
Craponne ».
La solution est pour le moins audacieuse et innovante(4), et il convient de s'arrêter sur l'explication (I) de
l'arrêt avant d'émettre une quelconque appréciation (II).

I – Explication

4. Pour correctement appréhender la teneur et mieux apprécier la saveur de l'arrêt, il est opportun d'en
disséquer la motivation, étant bien évidemment entendu que, dans cette perspective, on ne se situe plus au
stade du juge du provisoire, mais dans l'hypothèse où un juge statuant au fond serait saisi du litige. En
premier lieu, la Cour, en admettant que la disparition de la cause peut exercer une influence sur l'effectivité
de l'obligation du débiteur, suggère, comme le pourvoi l'y invitait, que la disparition de la cause d'un contrat
à exécution successive emporte sa caducité, seule sanction contractuelle appropriée lorsque la cause
disparaît. La règle n'est pas totalement inédite, mais elle est particulièrement intéressante puisqu'elle
revient sur l'adage doctrinal classique, « Cause à l'origine, cause toujours ! ». Adage en vertu duquel, d'une
part, l'existence de la cause, exclusivement appréhendée comme une condition de validité, n'est contrôlée
qu'au jour de la formation du contrat et, d'autre part, sa disparition lors de l'exécution du contrat n'affecte
pas sa vitalité. Si l'on s'en tient au XXIe siècle et à la seule figure du contrat isolé, quelques arrêts rendus
par la première chambre civile de la Cour de cassation(5) avaient déjà admis que la cause pouvait constituer
autre chose qu'un instrument de contrôle objectif de la rationalité du consentement, cantonné alors au
stade de la rencontre des volontés. La première chambre l'a aussi appréhendée comme une technique de
contrôle de l'équilibre structurel du contrat tout au long de son exécution et l'a, par conséquent, érigée en
condition de pérennité d'un contrat à exécution successive, sa disparition emportant alors la caducité de
celui-ci.
5. Mais, ce qui retient surtout l'attention dans l'arrêt commenté, c'est ce qui constitue l'amont de sa
motivation, en clair le fait générateur de la disparition de la cause en cours d'exécution. A cet égard, la
lettre de l'arrêt ne laisse aucun doute, c'est un changement imprévisible des circonstances qui a supprimé la
cause de l'engagement souscrit par le débiteur de l'obligation de révision des moteurs. C'est « l'évolution
des circonstances économiques et notamment l'augmentation du coût des matières premières et des
métaux » au cours de l'exécution du contrat qui a provoqué un bouleversement de son économie interne,
dans la mesure où l'engagement du débiteur de l'obligation de révision s'est trouvé privé de contrepartie,
au regard du montant devenu ridicule de la redevance que devait lui verser son cocontractant, laquelle avait
été fixée au jour de la conclusion du contrat en contemplation de circonstances économiques radicalement
différentes.
Chaque amateur de droit des contrats, fût-il tout jeune étudiant en droit des obligations, aura aisément
identifié, à travers la lettre de cette motivation, l'esprit qui anime la théorie de l'imprévision. En effet, ce
que suggère implicitement(6) la Cour, c'est que, parce qu'il prive de cause l'engagement d'un des
contractants, le changement imprévisible de circonstances emporte la caducité du contrat à exécution
successive, dont il bouleverse profondément l'économie telle qu'elle avait été façonnée par les contractants
au jour de sa conclusion.
Reste maintenant à se demander ce qu'il faut penser de cet arrêt et de la caducité pour imprévision, fondée
sur la disparition de la cause, qu'on peut en induire en sollicitant sa motivation.

II – Appréciation

6. L'exploitation de la théorie de l'imprévision pour libérer un contractant, victime d'un changement


imprévisible de circonstances, qui rend l'exécution du contrat excessivement onéreuse, en raison du
bouleversement de son économie interne nous paraît une source de progrès pour notre modèle contractuel,
qui refuse depuis près de 130 ans toute ingérence du juge sur le fondement de la théorie susvisée.
On ne reviendra pas dans le détail sur les raisons qui ont conduit la Cour de cassation à un tel refus et la
doctrine à l'en approuver dans sa grande majorité. Outre la défiance à l'égard de toute intervention du juge
dans le contrat, ce refus est le produit du principe de liberté contractuelle qui irrigue notre droit des
contrats ; puisque les contractants sont réputés être les meilleurs juges de leurs propres intérêts, il

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convient logiquement de faire confiance à leurs capacités d'anticipation et d'adaptation, lesquelles
s'expriment par l'insertion de clauses susceptibles de gérer le risque d'imprévision. Mieux, la règle héritée
du « Canal de Craponne » stimulerait cette liberté en favorisant l'éclosion de clauses ayant pour objet
l'adaptation du contrat au changement de circonstances(7). En définitive, la règle traditionnelle de la Cour
constituerait donc un hommage à la liberté contractuelle et une œuvre de responsabilisation des
contractants.
7. Aucun de ces arguments ne nous paraît propre à condamner, sous forme de principe, la remise en cause
du contrat pour imprévision. On ne reviendra pas sur le bien-fondé de la défiance à l'égard du juge qui
serait, via la théorie de l'imprévision, doté d'un pouvoir exceptionnel pour sauvegarder les intérêts légitimes
d'un contractant victime de la fatalité. La controverse sur ce point est éternelle, d'autant qu'elle se nourrit
de trop de données irrationnelles. Ensuite, il nous semble que c'est surestimer la rationalité des
contractants que d'affirmer que, parce qu'ils sont les meilleurs juges de leurs propres intérêts, ils sont
nécessairement capables, au jour de la conclusion de leur contrat, de gérer contractuellement le risque de
changement de circonstances via des clauses appropriées. Enfin, l'argument selon lequel le refus de la
révision judiciaire pour imprévision conduit à stimuler la liberté contractuelle nous semble pour le moins
réversible ; on peut tout aussi bien soutenir que l'admission de la révision et de la résiliation judiciaires pour
imprévision inciterait fortement les contractants à prévoir eux-mêmes le traitement du risque d'imprévision
pour éviter l'intervention du juge.
Quoi qu'il en soit, l'ingérence exceptionnelle du juge en cas d'imprévision nous semble souhaitable, du
moins si l'on accepte d'en finir avec l'image irréaliste du contrat conçu comme une nature morte, figure
abstraite déconnectée des réalités politiques, économiques et sociales, et qu'on l'envisage comme un
organisme vivant et sensible à l'environnement qui l'entoure, susceptible comme tel d'évolutions et de
modifications. Le pouvoir exceptionnel du juge, lorsque le changement imprévisible de circonstances
bouleverse profondément l'économie du contrat et lorsque la voie de la renégociation conventionnelle,
préalable nécessaire à son intervention, a échoué, constitue, en effet, en situation de crise, la seule
alternative à l'inexécution du contrat et à sa rupture, le seul remède propre soit à sauvegarder le contrat et
à assurer sa pérennité, s'il se traduit par une révision, soit à préserver les intérêts légitimes du contractant
que le changement imprévisible de circonstances accable quand il se solde par la cessation des effets du
contrat pour l'avenir.
Autant dire qu'on peut, dans une perspective de justice contractuelle, se réjouir de cet arrêt, même si, en
toute objectivité, le pas qu'il constitue vers l'admission de la théorie de l'imprévision relève plutôt du
domaine de l'infiniment petit.
8. On relèvera aussi qu'en admettant implicitement la caducité d'un contrat à exécution successive pour
imprévision, la Cour de cassation réussit le remarquable tour de force d'esquisser une mutation
fondamentale de notre modèle contractuel en exploitant une notion traditionnelle de notre patrimoine
contractuel, propre à canaliser la mise en œuvre de la théorie de l'imprévision qui acquerrait ainsi droit de
cité dans le système juridique français. En effet, en appelant la cause à la rescousse, la Cour limite
sensiblement le champ d'application de la théorie de l'imprévision au cas extrême, et donc fatalement assez
rare, dans lequel le changement de circonstances provoque, non pas un simple déséquilibre contractuel
d'ordre économique, fût-il très important, mais un déséquilibre d'ordre structurel, caractérisé par la
disparition de la contrepartie contractuellement convenue. Dans la logique de la notion de cause, le
déséquilibre ne peut emporter de conséquences sur le sort du contrat synallagmatique que s'il se traduit
pas une absence de contrepartie, ou par une contrepartie simplement illusoire ou manifestement dérisoire.
Autant dire qu'en exploitant la notion de cause comme support conceptuel de l'imprévision, plutôt que la
bonne foi, contrairement à ce que nous avions prôné avec d'autres au bon vieux temps du solidarisme
contractuel..., la Cour de cassation réduit sensiblement les risques inhérents à la mise en œuvre de cette
théorie.
D'autant que, dans la logique de l'exploitation de la cause, l'admission de l'imprévision ne se solde que par
la caducité du contrat. Ce qui rassurera ceux qui persistent à penser que le juge est l'ennemi contractuel
numéro 1, et qu'il n'est même pas question de lui accorder un pouvoir exceptionnel de révision, comme il
s'agirait de le faire, via l'admission franche et massive de la théorie de l'imprévision. En effet, le juge n'est
ici habilité qu'à mettre fin au contrat en prononçant sa caducité. Sanction qui s'impose puisqu'elle est
théoriquement la plus appropriée en cas de disparition de la cause.
9. Reste à tenter d'apprécier la portée de cet arrêt. D'emblée, ceux, sans doute très nombreux, qui lui
décerneront le label peu glorieux de « petit arrêt de la jurisprudence civile », nous sembleraient malvenus
de s'appuyer sur le fait qu'il statue en référé ou que la cour d'appel est, en l'occurrence, « sanctionnée »
pour un simple manque de base légale. Aucun de ces arguments ne nous semble décisif. En revanche, le
vice de cet arrêt, au regard de l'évaluation de sa portée et de son potentiel à être exploité dans une
instance au fond, réside dans son absence de publication au Bulletin qui, a priori, interdit sinon que la
doctrine s'y intéresse, du moins de lui attacher une importance quelconque, puisque pour reprendre les
mots du Président Weber, sur le site de la Cour de cassation, ces arrêts « n'apportent rien à la doctrine de

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la Cour de cassation ». Seul l'avenir nous dira si nous avons inutilement encombré les colonnes du Recueil
Dalloz en nous arrêtant longuement sur un arrêt qui ne mérite même pas la citation, ou si ce petit
hommage, en dépit du peu d'intérêt que lui portent ceux-là même qui l'ont conçu, était opportun. La
réponse à cette question quasi existentielle nous sera probablement donnée, à l'avenir, non par la Cour de
cassation mais par le législateur, si tant est que celui-ci n'attende pas encore une décennie pour opérer la
réforme du droit des contrats... A cet égard, l'examen comparé des trois projets de réforme est assez
édifiant, notamment si on les étudie au regard de l'arrêt commenté.
10. L’« avant-projet Catala »(8) reflète parfaitement la confiance dans la capacité des contractants à gérer le
risque d'imprévision, et reflète l'idée que la liberté contractuelle est le meilleur remède au changement de
circonstances survenu lors de l'exécution du contrat. Ainsi, aux termes des articles 1135-1 et 1135-2, dans
les contrats à exécution successive ou échelonnée, les parties sont libres de stipuler des clauses de
renégociation en cas de changement de circonstances tel que le déséquilibre contractuel prive le contrat
d'intérêt pour l'un des contractants. A défaut d'une telle clause, la renégociation du contrat peut, dans ces
circonstances, être ordonnée par le juge, et si celle-ci échoue, chaque contractant peut alors résilier
unilatéralement le contrat dont le sort dépend, on l'a compris, de la volonté des contractants tout au long
du processus. En somme, hors la liberté contractuelle, point de salut en cas de changement imprévisible de
circonstances ! Cet avant-projet est donc hermétique à la théorie de l'imprévision sous toutes ses formes et
en très net retrait par rapport à notre arrêt.
Dans l’« avant-projet gouvernemental »(9), la révision judiciaire pour imprévision n'est possible qu'« avec
l'accord des parties ». En revanche, sans qu'il soit tenu d'obtenir le blanc seing des contractants, le juge
peut « mettre fin (au contrat) à la date et aux conditions qu'il fixe ». Ce texte admet donc la cessation du
contrat pour imprévision, sans que l'on sache précisément quel est le support conceptuel du pouvoir du
juge, ni, par conséquent, les règles qui fixent son régime, notamment la portée, dans le temps, de sa
décision de mettre fin au contrat. Raisons suffisantes pour préférer la règle suggérée par la Cour de
cassation.
Reste l’« avant-projet Terré »(10) qui opère une révolution contractuelle en la matière puisqu'il admet, en cas
d'échec de la renégociation conventionnelle du contrat devenu profondément déséquilibré à la suite d'un
changement imprévisible de circonstances, que « le juge peut adapter le contrat en considération des
attentes légitimes des parties ou y mettre fin à la date et aux conditions qu'il fixe »(11). Au regard de l'arrêt,
ce texte est à la fois plus audacieux et plus imprécis. Plus audacieux, parce qu'il admet, à juste titre, la
révision judiciaire pour imprévision. Plus imprécis, parce qu'il reste coi sur le support conceptuel du pouvoir
du juge et sur son régime quand il décide de mettre fin au contrat victime des meurtrissures du temps.
11. Quand, par la grâce du législateur, la réforme du droit commun des contrats cessera d'être l'arlésienne
du droit privé, il est permis d'espérer que la loi évoluera en matière d'imprévision et consacrera le pouvoir
exceptionnel du juge, en cas d'échec de la voie de la renégociation conventionnelle, de réviser le contrat ou
de prononcer sa caducité, selon la gravité des maux dont le changement imprévisible des circonstances,
survenu pendant l'exécution du contrat, l'affectera.

Mazeaud Denis
Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)

* *
*

Théorie de l'imprévision... ou de l'imprévoyance ?

Se peut-il qu'une souris accouche d'une montagne? Nul doute que l'arrêt rendu le 29 juin dernier par la
chambre commerciale sera d'abord l'objet d'une bataille d'experts en technique de cassation(12). Simple
arrêt non publié, dira-t-on d'un côté, rendu en formation restreinte, pour défaut de base légale, tranchant
une simple question de procédure civile (le débat portait seulement sur la compétence du juge des référés).
Oui, mais arrêt de cassation tout de même, rétorquera-t-on, dont on ne peut négliger, en toute bonne foi,
le motif décisoire quand bien même il laisserait toute latitude à la cour de renvoi. Quelle formule, en effet !,
si longue, si finement ciselée et aux termes si choisis... Formule qu'on ne cesse de relire sans vraiment y
croire et qu'on dirait tout droit sortie du rêve le plus fou du précédent commentateur : « si l'évolution des
circonstances économiques (...) n'avait pas eu pour effet (...) de déséquilibrer l'économie générale du
contrat (...) et de priver de toute contrepartie réelle l'engagement (...) ». Un pavé dans la mare.

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Vraiment, cette fois, on ne voit pas comment esquiver le coup. On pourra bien minimiser la portée de cet
arrêt perdu; on ne peut, dans l'immédiat, minimiser la portée de ce qu'il dit. Car tout y est, ou presque, de
la théorie de l'imprévision telle qu'on l'enseigne aux étudiants de deuxième année avant de brandir le
célébrissime arrêt Canal de Craponne pour la balayer. Il n'est que la sanction de cette imprévision qui reste
dans l'ombre, encore que l'on pourrait deviner une forme de neutralisation du contrat, sans qu'on sache
bien si elle serait provisoire ou définitive : caducité comme le suggérait le pourvoi ? Résolution sur le mode
de l'effet produit par une condition résolutoire ? mais sans effet rétroactif ? Plus subtilement, « exception
d'imprévision » sur le mode de l'exception d'inexécution puisque l'arrêt est uniquement cassé pour ne pas
avoir recherché si le débiteur pouvait refuser de s'exécuter (conséquence logique du fait que son obligation
serait devenue sérieusement contestable) ? Et alors, cette nouvelle génération d'exception serait-elle
destinée à imposer l'ouverture d'une renégociation du contrat ? Quoi qu'il en soit, de révision judiciaire des
prestations, il n'est pas explicitement question et c'est au moins une consolation; la seule à dire vrai.
Car, pour le reste, ce revirement in petto nous semble très regrettable. S'il faut y voir un arrêt de
provocation, sorte de ballon d'essai destiné à sonder les opinions, on se permettra de dire qu'il mérite d'être
condamné. Mais on avouera partir d'un a priori défavorable sur lequel il faut s'expliquer, dans un premier
temps, afin d'essayer, dans un second temps, de s'en extraire pour voir ce qui peut être sauvé, à la rigueur,
de ce curieux arrêt.

I - Un dérapage avant l'heure

Contrairement à ce que considère une doctrine désormais majoritaire, il ne nous semble guère que la
jurisprudence Craponne soit une vieillerie dont il faudrait se débarrasser absolument. On osera même
admirer ce juge qui sait rester à sa place en refusant de jouer au justicier et qui, forcément très conscient
de l'injustice faite à l'échelle de l'espèce (on se rappellera que le déséquilibre était caricatural), n'en
maintient pas moins l'intransigeance d'un principe qu'il sait bon à l'échelle du système juridique tout entier.
En sacrifier un, pour en sauver cent, dirait un slogan révolutionnaire... Capitant, du reste, citant Herriot,
lorsqu'il parlait du « respect étroit, strict, douloureux par moment de la signature », n'avait-il pas
pleinement conscience de ce sacrifice difficile mais nécessaire ?(13) Le monde peut bien s'effondrer, le
contrat sera toujours là, proclame le droit français ! On parlerait aujourd'hui d'un message de politique
juridique dont on mesure, moralement, l'hommage qu'il rend à la parole donnée et, économiquement, le
signal rassurant qu'il envoie aux milieux d'affaires. Or, précisément, à l'heure d'une compétition
économique présumée des systèmes juridiques, on rappellera à tous ceux qui voient d'abord dans le droit
des contrats un instrument au service de ces milieux, que la common law - dont on a souvent tendance à
penser, à tort ou à raison, qu'elle y fait figure de modèle - est toute proche de la jurisprudence Craponne...
même si, par calcul et délaissant le droit comparé véritable pour le droit virtuel européen, on a souvent
laissé entendre le contraire(14) ! Le droit français aurait-il alors vraiment intérêt, en ces temps de
mondialisation, à proclamer que le contrat est désormais moins obligatoire et à s'écarter de la « sanctity of
contract » qui « entretient la réputation d'un droit sûr, prévisible, à laquelle les common lawyers sont
ouvertement attachés »(15) ? Bien sûr, il y a l'équité, le sentiment de justice élémentaire... Mais sur ce
terrain, il n'est pas certain que la théorie de l'imprévision soit elle-même à l'abri de toute critique. Ainsi que
l'a souligné M. Molfessis, n'y aurait-il pas quelque injustice à ne corriger que les déséquilibres les plus
considérables - ce qui est le présupposé de la théorie sauf à ruiner en son entier le droit des contrats -
laissant intacts les déséquilibres simplement graves(16) ? Cette « discrimination » entre les situations de plus
ou moins grande détresse ne serait pas facilement tenable ; avec le risque, à terme, d'ouvrir totalement les
vannes, ce que personne ne veut... Pire encore, la faculté de révision pourrait bien se transformer... en
instrument d'oppression du plus faible, ce que Carbonnier avait d'ailleurs pressenti(17). Il se dit parfois qu'en
ces temps difficiles, certains fournisseurs puissants, se disant dans une situation intenable, usent
(abusent...) de la clause de hardship qu'ils n'ont pas manqué d'insérer comme d'une justification un peu
facile pour arracher des révisions à la baisse des tarifs... mais de leurs partenaires faibles seulement, tout
en se gardant bien d'agir de même avec leurs partenaires forts ! Des dangers d'instiller un climat général de
« droit à » la révision... Paraphrasant le mot célèbre, on est donc bien tenté de penser, pour notre part, que
le rejet de l'imprévision, aussi crucifiant soit-il, est peut-être bien le pire des systèmes... à l'exception de
tous les autres.

Encore faut-il rechercher les mérites de celui qu'initie peut-être l'arrêt du 29 juin 2010. Passé le cap de la
théorie de l'imprévision, il est des manières plus ou moins dangereuses de naviguer sur les mers nouvelles.
Or, il n'est pas question ici de révision du contrat mais uniquement de neutralisation de l'obligation
contestée sur le terrain de l'absence de cause, puisque cette obligation aurait perdu en cours de contrat
« toute contrepartie réelle ». La contrepartie devenue insuffisante, même très gravement, ne suffit donc
pas : il en faut une quasi-disparition. De la même façon, on le sait, qu'il ne peut être question de
sanctionner l'absence partielle de cause au stade de la formation du contrat - ce serait admettre la lésion -

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il ne peut être question de sanctionner la disparition partielle de cause lors de son exécution. On doit bien
admettre qu'ainsi présentée, l'innovation est mesurée car on pourrait n'y voir que la transposition, au stade
de l'exécution du contrat, d'une jurisprudence bien connue qui accepte d'assimiler la contrepartie dérisoire
au défaut total de cause : c'est notamment la fameuse nullité de la vente à vil prix. Et nul n'a jamais
contesté cette solution traditionnelle qui frôle la lésion sans qu'elle ait conduit, semble-t-il, à des
débordements regrettables. Mais encore faudrait-il qu'il s'agisse bien de cela et la meilleure façon de le
vérifier, en l'espèce comme à l'avenir (s'il y en a un), sera de se livrer honnêtement au « test » rétrospectif
suivant : le contrat aurait-il été annulé pour « vil prix » s'il avait présenté, au jour de sa conclusion, la
physionomie déséquilibrée qu'il a prise par la suite ? En toute logique, ce n'est qu'en cas de réponse
positive que l'imprévision pourrait être consacrée techniquement sur le terrain de la cause... Faisant
coïncider exactement le domaine de la nullité pour vil prix initial avec la caducité (?) pour vil prix survenu,
on mesure qu'il y aurait là une façon de contenir sévèrement l'arrêt.
Seulement, il n'est pas du tout certain qu'en l'espèce, les juges auraient répondu par l'affirmative au
« test » évoqué, ce qui conduit à penser que l'orientation prise est loin d'être restrictive. D'abord parce que
l'idée de disparition de « toute contrepartie réelle » est mise en concurrence avec celle de « déséquilibre
(de) l'économie générale du contrat », notion beaucoup plus floue, beaucoup plus ouverte et donc beaucoup
plus dangereuse. Ensuite, parce que l'analyse des faits de l'espèce montre bien qu'on était très loin d'une
situation dramatique « à la Craponne ». Qu'on en juge, plutôt, à la lumière du pourvoi annexé qui fait
apparaître, pêle-mêle : 1°) que l'augmentation du coût des matières premières datait de 2006, soit deux
ans avant que la prestation ne devienne exigible, mais que Soffimat, outre le fait que la société SEC lui
avait déjà accordé en 2007, une nette révision à la baisse de la prestation due, n'a fait part de ses
difficultés que quatre mois avant la date d'exigibilité, ce qui rendait plutôt « suspect » - selon le terme du
juge des référés - son accablement soudain ; 2°) qu'elle était prête à s'en tenir pour quitte, à cet instant,
avec une augmentation de... 12,8 % seulement, ce qui, même à supposer qu'elle cherchait simplement à
limiter ses pertes, montrait peut-être que la situation n'était pas exactement intenable ; 3°) ainsi que l'avait
pertinemment relevé la cour d'appel, qu'une clause avait spécialement été insérée (art. 12) pour permettre
éventuellement une renégociation à raison des nouvelles circonstances économiques, mais seulement au
terme de la convention si elle était reconduite : à s'en tenir à l'économie générale du contrat, justement,
n'était-ce pas qu'a contrario, il prévoyait lui-même qu'aucune révision n'était envisageable avant cette
date ; une sorte de « clause implicite de non-imprévision » en somme ! 4°) que d'ailleurs, la difficulté
venait de l'augmentation du prix des pièces de rechange imposée par son propre fabricant alors qu'on
pourrait sérieusement se demander de façon générale si le « risque-fabricant » n'est pas par nature un
risque à la charge du prestataire. On soulignera à cet égard que certains droits étrangers font un tri
scrupuleux parmi les causes du bouleversement pour écarter celles qui devaient naturellement demeurer à
la charge du débiteur, que ce soit par exemple à raison de sa santé économique (18) ou des impératifs d'un
milieu considéré(19). Sans compter qu'il pourrait bien y avoir des erreurs d'imprévision comme il est des
erreurs inexcusables sur la substance : Capitant n'avait-il pas fustigé la thèse de l'imprévision en soulignant
« qu'elle serait plus justement dénommée la thèse de l'imprévoyance »(20) ? 5°) que le « bouleversement »
économique tenait à un triplement du coût initial ce qui, sans être monnaie courante, doit tout de même
arriver. Bien sûr, on a conscience des risques de méprise qu'il y a à glisser ainsi sur le terrain d'une analyse
économique pour laquelle nous n'avons aucune compétence. Mais on relèvera tout de même, encore une
fois, que récemment des hausses de 400 % du coût de l'exécution n'ont pas été jugées suffisantes en droit
américain pour retenir l’« impracticability »(21)...
Évidemment, la cour de renvoi restera libre d'écarter l'hypothèse d'un bouleversement économique de
nature à priver Soffimat de toute contrepartie réelle - il faut le souhaiter - mais on se demande bien
pourquoi la chambre commerciale a pris la peine de casser l'arrêt s'il ne lui semblait pas que le déséquilibre
survenu méritait quelque considération. Aussi bien, on voit déjà s'épanouir sous nos yeux le risque majeur
de la théorie de l'imprévision : celui d'un dérapage. Et il ne s'agit guère là de quelque fantasme car il faut
se souvenir de cet arrêt aberrant qu'avait rendu la cour d'appel de Nancy le 26 septembre 2007(22) par
lequel les juges entendaient imposer une révision de l'accord, non pas pour remédier à la ruine de l'un des
contractants, mais uniquement parce que l'autre avait bénéficié après coup et contre toute attente d'un
enrichissement dont les magistrats nancéens entendaient que tout le monde profite ! Autant dire, si l'on
met bout à bout cette décision et l'arrêt ici commenté, qu'on peut légitimement avoir quelque inquiétude
pour l'avenir puisque les dérapages ont commencé avant même que la théorie de l'imprévision ait
véritablement fait son entrée dans le droit français. Et si l'on voulait se montrer terriblement cynique, on
pourrait même se féliciter que l'imprévision vienne à la lumière dans des circonstances aussi peu glorieuses
et aussi dangereuses : un jaloux (Nancy) et un déçu (Com. 29 juin 2010), on fait mieux comme porte-
étendards des opprimés ! Finalement, la jurisprudence n'offre-t-elle pas sur un plateau et par l'exemple ce
qu'il fallait démontrer ? Quand un arrêt aventureux vaut mieux qu'un long discours...

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II - Un rattrapage par la loi ?

Au reste, ce que rappelle aussi cet arrêt un peu déplacé, c'est que le rôle naturel du juge n'est décidément
pas de créer le droit, au moins lorsqu'il s'agit de règles cruciales (23). Certes, on pourra bien dire qu'il y a
belle lurette que la jurisprudence est la source principale du droit des obligations mais l'ampleur d'un mal
n'a jamais été un argument très convaincant pour en prôner la persistance et même l'aggravation. Et ce
d'autant que, sur un point aussi sérieux, appelant un règlement très maîtrisé, la jurisprudence n'aura
jamais la finesse d'approche ni la précision technique que peut avoir la loi(24). Certes, elle peut tout de
même être source d'inspiration et, on l'a dit, même si elle l'a trahie en pratique, la chambre commerciale a
ici ouvert une voie théorique étroite en s'appuyant sur la disparition totale de cause. Si l'on voulait
absolument introduire la théorie de l'imprévision, il nous semble que ce serait la moins mauvaise façon de
le faire. Mais on voudrait finir par trois précisions.
D'abord, à creuser le sillon ainsi ouvert par la chambre commerciale, on aurait plutôt intérêt à dégager une
solution a minima, en faisant, en quelque sorte, un croisement entre la théorie de la frustration du droit
anglais(25) et celle de la risoluzione per eccessiva onerosità sopravvenuta du droit italien(26). Pour faire vite,
côté italien : une demande en résolution du contrat dès lors que la prestation de l'une des parties est
« devenue excessivement onéreuse » à raison d'événements « extraordinaires et imprévisibles », mais à
laquelle l'autre partie peut faire obstacle « en offrant de modifier équitablement les conditions du contrat »
(art. 1467 c. civ. italien). Côté anglais : là aussi une résolution (non rétroactive, la termination) dès lors
que des circonstances nouvelles et imprévisibles ont eu pour effet de modifier radicalement la nature des
obligations contractuelles, mais étant entendu, on l'a dit, que l'« economic frustration » n'est pas admise.
Des deux systèmes, on prendrait la sanction, c'est-à-dire la résolution, et l'on irait à mi-chemin pour les
conditions. Négativement : ni l'excessive onérosité du droit italien (trop large), ni le refus total du droit
anglais de prendre en compte le bouleversement de nature économique (qui est aussi la position de notre
droit positif). Positivement : le déséquilibre économique (influence italienne), mais le seul déséquilibre
intégral qui conduit à la ruine complète du contrat (influence anglaise). Le concept de « disparition totale de
toute contrepartie réelle et sérieuse », importé tel quel – et pas au-delà – de la vente à vil prix serait alors
l'instrument pertinent... à supposer qu'on y reste fidèle en pratique ! Le tout serait coiffé de cette
astucieuse possibilité qu'offre le droit italien de contrer la demande en résolution par une offre de
modification du contrat de la part du créancier.
Ensuite, et en prolongement, il faudrait surtout écarter la révision judiciaire(27), ce qui serait du reste en
phase avec les deux droits précédemment évoqués. Si l'on veut être pragmatique, en effet, outre les doutes
que l'on peut avoir sur la compétence et la légitimité du juge pour procéder à une sorte de thérapie
commerciale (et dont, d'ailleurs, il ne veut pas forcément lui-même), on peut présumer qu'un contrat
judiciairement révisé sera souvent voué à l'échec. On ne peut exclure en effet un sentiment de frustration
de la part du « révisé » et puisque, par hypothèse, la relation contractuelle aura déjà échoué devant le
tribunal, il serait bien étonnant qu'elle reprenne durablement après un passage plus ou moins long devant
le juge... Il y a là quelque chose de la vérité fondamentale du contrat : imposer de l'extérieur une relation
économique qui n'est pas voulue dans ses modalités essentielles par les parties est une illusion. Le droit
comparé, là encore, serait éclairant qui montre que certains systèmes ayant introduit la révision judiciaire
pour imprévision n'en usent pas faute d'être pertinente(28), le seul véritable remède à l'imprévision étant la
révision d'un commun accord, le cas échéant sous la pression du juge. Aussi bien, s'il faut élaborer
légalement un quelconque système, il doit d'abord être orienté vers une très forte incitation à « l'auto-
révision ». Et, précisément, dans cette perspective, la menace d'un anéantissement du contrat est peut-être
la voie la plus efficace car le message incitatif adressé au créancier est le suivant: « ou vous renégociez, ou
vous perdez tout le contrat et vous trouvez contraint de vous remplacer au coût exorbitant du marché ».
Autant faire alors quelque concession pour garder un contrat toujours avantageux plutôt que de le perdre
entièrement et de devoir retrouver ailleurs un prix qui ne pourra vraisemblablement pas être aussi
profitable que celui obtenu même après révision... C'est très certainement l'esprit du système italien, ce
que Carbonnier n'avait pas manqué de souligner(29).
Enfin, il faudrait tout de même veiller à ne pas offrir au débiteur une sorte de faculté immédiate de dédit. Le
risque est en effet de coupler ce droit à la résolution pour imprévision à un pouvoir de résolution unilatérale
sur le modèle de la rupture unilatérale en cas d'inexécution, pouvoir dont l'introduction en droit français est
envisagée. Un débordement s'ajouterait à un autre. N'était-ce pas d'ailleurs ce qui s'était passé en
l'espèce ? En pratique, Soffimat a tout simplement « claqué la porte » de sa propre initiative et l'on
comprend que son partenaire ait entendu obtenir son dû en référé : prima facie, force doit rester au
contrat. On comprend aussi que le président du tribunal de commerce et les juges d'appel aient prononcé
une lourde condamnation sous astreinte. Ce qu'on comprend moins, c'est que la chambre commerciale ait
refusé de consacrer le pouvoir du juge des référés d'ordonner l'exécution forcée, ne serait-ce que dans un
premier temps, au moins, et quitte à ce que la pertinence du cas d'imprévision soit discutée dans un second
temps lors de l'instance au fond(30). Car, ce faisant, et contre toute attente, elle s'est rendue complice d'une

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véritable forfaiture de la part du contractant. Josserand, dont on connaît pourtant la fibre sociale, avait
décrit cela en termes choisis : « le changement même des conditions économiques ne devrait pas, en thèse
générale, justifier le manquement à la parole donnée (...) ; la destruction du contrat est aussi celle de la
confiance et de la sécurité juridique ; si elle se généralisait, si, sous le complaisant prétexte d'ouvrir des
soupapes de sûreté afin de sauvegarder la paix sociale, on la faisait entrer dans nos mœurs, elle
entraînerait le retour à un régime non-contractuel qui (...) était celui des sociétés primitives (...) ; à quoi
bon contracter lorsque l'on sait que les engagements pris n'engagent pas ? Organisation et socialisation du
contrat, oui ; désorganisation et anarchie contractuelle, non »(31). De cet arrêt malheureux, rendu par la
chambre commerciale le 29 juin 2010, on fera peut-être une montagne. Pourvu qu'il n'en sorte qu'une
souris.

Genicon Thomas
Professeur à l'Université de Rennes I

* *
*

(1) N° 09-11.841, D. 2010. 1832, note D. Mazeaud ; RTD civ. 2010. 555, obs. B. Fages ; JCP E 2010. 1790, obs. P. Stoffel-Munck ; LEDC,
sept. 2010. 1, obs. O. Deshayes ; LPA 8 sept. 2010, note C. Grimaldi ; RDC 2010. 1220, obs. Y.-M. Laithier, et 1253, obs. O. Deshayes.
(2) Civ. 6 mars 1876, GAJC, Dalloz, 2008, n° 165, obs. Y. Lequette.
(3) « Implicitement et potentiellement » seulement, car il s'agit uniquement dans les développements qui vont suivre d'exploiter le
potentiel de l'arrêt commenté dans l'hypothèse d'une instance au fond, étant entendu que le prononcé de la caducité d'un contrat pour
disparition de la cause excède les pouvoirs du juge du provisoire.
(4) Elle avait été suggérée par Me J.-D. Bretzner in Brèves réflexions sur un outil alternatif en temps de crise : la caducité (ou comment
faire du neuf avec du vieux ?), RDC 2010. 487 s.
(5) Civ. 1re, 12 juill. 2006, n° 04-13.204, RTD civ. 2007. 105, obs. J. Mestre et B. Fages ; RDC 2007. 253, obs. Y.-M. Laithier ; 30 oct.
2008, n° 07-17.646, D. 2008. 2937, et 2009. 747, chron. P. Chauvin et C. Creton ; RTD civ. 2009. 111, obs. J. Hauser, et 118, obs. B.
Fages ; JCP 2009. II. 10000, obs. D. Houtcieff ; RDC 2009. 49, obs. D. Mazeaud ; RLDC 2008. 3283, obs. A. Cermolacce.
(6) La prudence de ces termes s'explique, une fois encore, par le fait que ces développements n'ont de portée que dans la perspective
d'une instance au fond, puisque, juge du provisoire, le juge des référés n'a pas le pouvoir de prononcer la caducité du contrat.
(7) En ce sens, Y. Lequette, op. cit., spéc. § 5.
(8) Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, Doc. fr., 2006. Sur cet avant-projet, V., entre autres, RDC
2006/1.
(9) Sur lequel, V., entre autres, RDC 2009/1.
(10) Pour une réforme du droit des contrats, Dalloz, Coll. Thèmes et commentaires, 2009. Sur cet avant-projet, V. D. Mazeaud, Une
nouvelle rhapsodie doctrinale pour une réforme du droit des contrats, D. 2009. 1364.
(11) Art. 92, al. 3.
(12) Pour une telle expertise, très minutieuse, V. les obs éclairantes de E. Savaux sur le présent arrêt, RDC 2011/1, à paraître.
(13) H. Capitant, Le régime de la violation des contrats, DH 1934. 1.
(14) V. rétablissant la vérité, dans toutes ses nuances, le remarquable article de Y.-M. Laithier, L'incidence de la crise économique sur le
contrat dans les droits de common law, RDC 2010. 407, spéc. 424 s., ainsi que les précieuses réf. On attirera spécialement l'attention du
lecteur sur les décisions citées, anglaises comme américaines, parfois récentes (2006 et 2008) qui témoignent d'une très grande sévérité,
parfaitement en phase avec la jurisprudence Canal de Craponne. Adde, G.-H. Treitel et E. Peel, The Law of Contract, 12e éd., 2007,
n° 19-032, p. 940 ; J. Cartwright, Contract Law, An Introduction to the English Law of Contract for the Civil Lawyer, Hart Publishing, 2007,
p. 240.
(15) Y.-M. Laithier, art. préc., p. 410.
(16) N. Molfessis, Le principe de proportionnalité et l'exécution du contrat, LPA 30 sep. 1998, spéc. n° 26. Adde l'argumentaire serré de T.
Piazzon, La sécurité juridique, préf. L. Leveneur, Defrénois, 2009, n° 289, p. 551.
(17) J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, PUF, 2000, n° 149, p. 287 : « (...) il n'est pas sûr que, si elle (l'imprévision) était
admise chez nous, ce serait aux contractants économiquement les plus faibles qu'elle servirait le plus ».
(18) Comp. J. Carbonnier, op. cit., eod loc., qui appelait de ses vœux une appréciation subjective de l'imprévision, « par rapport à la force
économique globale du contractant demandeur ».
(19) Sur ce que les juges de common law scrutent précisément si le contrat ne comporte pas implicitement une répartition conventionnelle
des risques d'imprévision, V. Y.-M. Laithier, art. préc., p. 426. Comp. art. 6.2.1 Unidroit, qui pose que le hardship ne peut être constitué
« que (si) le risque de ces événements n'a pas été assumé par la partie lésée ».
(20) H. Capitant, art. préc., p. 4.
(21) V. Y.-M. Laithier, loc. cit.
(22) Nancy, 2e ch. com., 26 sept. 2007, n° 06-02221, D. 2008. 1120, note M. Boutonnet, et 2965, obs. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-
Cosson ; RTD civ. 2008. 295, obs. B. Fages ; RDC 2008. 738, obs. D. Mazeaud, et 759, obs. S. Carval ; JCP 2008. II. 10091, note
Lamoureux.
(23) En ce sens, à propos de la consécration jurisprudentielle de la théorie de l'imprévision, V. E. Savaux, L'introduction de la révision ou
de la résiliation pour imprévision – Rapport français, RDC 2010. 1057, spéc. 1066.
(24) À quoi s'ajoute que l'art. 34 de la Constitution – faut-il le rappeler – donne exclusivement compétence à la loi pour « détermin[er] les
principes fondamentaux (...) des obligations civiles et commerciales ». Or, il s'agit très exactement de cela puisque l'imprévision met
directement en cause la portée de la force obligatoire du contrat.
(25) Pour une synthèse limpide, V. J. Cartwright, op. cit., p. 236.
(26) Sur laquelle, V. la pénétrante analyse de V. Roppo, Il contratto, Giuffrè, 2001, p. 1015.
(27) En ce sens, V. E. Savaux, préc. note 11.
(28) V. pour le droit colombien, l'art. particulièrement instructif de F. Mantilla-Espinosa, L'introduction de la révision ou de la résiliation
pour imprévision - Rapport colombien, RDC 2010. 1047, spéc. 1052.
(29) J. Carbonnier, op. cit., eod. loc.
(30) Ce dont il pourrait résulter, in fine, que l'innovation supposée de cet arrêt soit bien davantage amplifiée – et non minimisée – par le

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fait qu'elle ait été introduite à l'occasion d'une question de procédure (la compétence du juge des référés) !
(31) L. Josserand, Cours de droit civil positif français, Sirey, 1939, n° 405 bis, p. 228.

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