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4 mars 2021
La présente note vise à apporter des éléments de droit public sur l’intervention du juge
administratif dans le contentieux des conditions de détention contraires à la dignité humaine
(I.). Elle présente également un tableau de synthèse retraçant les principales décisions rendues
par le Conseil d’Etat en cette matière (II.).
Les conditions matérielles de détention peuvent donner lieu à plusieurs types de recours devant
les juridictions administratives.
1
Avertissement : La présente note rédigée par Eloïse Beauvironnet, juriste assistante, sous la direction de Jean-
Baptiste Claux, chef du bureau du droit public, a vocation à apporter des éléments de réflexion ou documentaires
sur la question de droit posée au SDER. Elle ne saurait engager la Cour de cassation dans le cadre de son
activité juridictionnelle.
1
A. Le référé-liberté.
2
Le Conseil d’Etat a, par exemple, jugé que tel n’était pas le cas de mesures relevant du législateur (CE, 8 avril
2020, n°439827, Section française de l'OIP, à propos d’une demande visant à ce que soit notamment ordonné
l’élargissement du champ d’application du dispositif de l’article 28 de l’ordonnance n°2020-303 du 25 mars
2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n°2020-290 du 23 mars
d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, JORF n°74 du 26 mars 2020, texte n°3, de libération
anticipée des personnes détenues ainsi que l’édiction de consignes contraignantes visant à réduire
significativement le nombre d’entrées en détention, dans le cadre de l’épidémie de covid-19).
2
recours et sont justifiées par les conditions particulières dans lesquelles ce juge doit statuer en
urgence » (CE, 19 octobre 2020, n°439372 et 439444, précitée).
D’une part, il ne peut prendre que des mesures provisoires, sauf lorsqu'aucune mesure de cette
nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle
il est porté atteinte.
D’autre part, il ne peut qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à
sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté
une atteinte grave et manifestement illégale. Comme l’indique M. Lallet dans ses conclusions
sur la décision du Conseil d’Etat du 19 octobre 2020 : « l’office de ce juge se limite aux mesures
qui peuvent recevoir un début d’exécution sinon dans ce délai, au moins à très brève
échéance – huit3 à dix4 jours dans votre jurisprudence - et déployer utilement leur plein effet
dans la foulée et, à tout le moins, à un horizon pré-déterminé et rapproché »5.
Ainsi, le juge du référé liberté « ne peut ordonner des mesures d’ordre structurel reposant sur
des choix de politique publique insusceptible d’être mises en œuvre à très bref délai6. Il ne peut
ainsi enjoindre à l’administration de réaliser des travaux lourds 7, d’augmenter les moyens
financiers, humains et matériels alloués aux services judiciaires et pénitentiaires8, de prendre
des mesures pérennes de réorganisation des services ou une circulaire de politique pénale,
d’élaborer des plans de mise en sécurité9 ou encore de recruter des agents pour résorber un
retard de traitement de dossiers10. En revanche, il peut ordonner l’affectation provisoire de
locaux non utilisés dans des bâtiments existants à certaines activités, le cloisonnement partiel
de toilettes dans les cellules ou la rénovation de cours de promenade n’impliquant pas de
travaux lourds11 ; l’installation de dispositifs adaptés permettant de rendre disponibles, à titre
provisoire, des points d’eau, latrines et douches12 ; le lancement d’opérations d’envergure pour
éliminer les nuisibles et la réalisation de diagnostics à prendre en compte dans les futurs
marchés publics13 ; le dépôt d’une demande d’autorisation de travaux pour la modification du
système de sécurité incendie ; et même une mesure provisoire d’organisation des services
3
CE, 23 novembre 2015, n°394540 et 394568, Commune de calais et Ministre de l’intérieur, fiché en A.
4
CE, 22 décembre 2012, n°364584,364620,364621,364647, Section française de l'OIP et autre, fiché en A.
5
A. Lallet, concl. sur CE, 19 octobre 2020, n°439372, 439444, SFOIP c/ Garde des sceaux, p. 2.
6
Certaines décisions s’en tiennent à un « bref délai » (v. par ex. CE, 31 juillet 2017, n°412125 et 412171,
Commune de calais et Ministre de l’intérieur, fiché en A), mais le sens est le même.
7
Y compris, par ex., l’alimentation en eau chaude des cellules (v. par ex. JRCE, 6 aout 2019, n°432589, Ministre
de la justice c/ SFOIP).
8
Par ex., affecter des moyens humains suffisants pour assurer l’effectivité du dispositif de libération anticipée des
condamnés lors de la crise sanitaire (JRCE, 8 avril 2020, n°439827, SFOIP).
9
JRCE, 23 décembre 2016, n°405791 et 405788, SFOIP.
10
JRCE, 22 juillet 2020, n°441902, Association juridique du collectif du 5 novembre.
11
JRCE, 4 avril 2019, n°428747, Ministre de la justice c/ SFOIP.
12
CE, 31 juillet 2017, n°394540 et 394568, Commune de calais et Ministre de l’intérieur, fiché en A.
13
JRCE, 22 septembre 2012, n°364584, SFOIP et JRCE, 30 juillet 2015, n°392043, SFOIP.
3
pénitentiaires14 »15. Ainsi son intervention est subordonnée au constat que la situation litigieuse
permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaire.
Le juge du référé liberté peut en outre décider, eu égard à son office, de déterminer dans une
décision ultérieure prise à brève échéance, les mesures complémentaires que la situation exige
et qui peuvent elles-mêmes être très rapidement mise en œuvre (v. en ce sens, CE, sect., 16
novembre 2011, n°353172, Ville de Paris, Société d'économie mixte Pariseine, fiché en A,
Lebon)16.
Enfin, le Conseil d’Etat a rappelé, dans sa décision du 19 octobre 2020 précitée17, que, compte
tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés, le caractère manifestement
illégal de l’atteinte à une liberté fondamentale s’apprécie en tenant compte des moyens dont
dispose l’administration et des mesures qu’elle a déjà prises pour prévenir ou remédier à
cette atteinte18.
2°) L’appréciation de l’indignité des conditions de détention par le juge du référé liberté.
Le Conseil d’Etat juge que « pour déterminer si les conditions de détention portent, de manière
caractérisée, atteinte à la dignité humaine, il convient d’apprécier, à la lumière des
dispositions précitées du code de procédure pénale [articles D. 349, D. 350 et D. 351], l’espace
de vie individuel réservé aux personnes détenues, la promiscuité engendrée, le cas échéant,
par la sur-occupation des cellules, le respect de l’intimité à laquelle peut prétendre tout
détenu, dans les limites inhérentes à la détention, la configuration des locaux, l’accès à la
lumière, la qualité des installations sanitaires et de chauffage » (CE, 30 juillet 2015,
14
CE, 28 juillet 2017, n°410677, Section française de l'OIP, fiché en A.
15
A. Lallet, concl. sur CE, 19 octobre 2020, n°439372, 439444, loc. cit., pp. 2-3.
16
Dans une décision du 19 octobre 2020, le Conseil d’Etat a, par exemple, considéré que, compte tenu des
conditions générales de détention au sein du centre pénitentiaire de Nouméa, la circonstance que les cours de
promenade du quartier disciplinaire et d’isolement soient situées dans des conteneurs et offrent aux détenus un
espace particulièrement réduit, une faible luminosité et une aération très largement insuffisante et que celles du
quartier fermé du centre de détention et du quartier des mineurs ne soient pas équipées de toilettes, était
susceptible de caractériser une violation de l’article 3 de la CEDH. Jugeant, toutefois, que l’appréciation qu’il
appartenait au juge des référés de porter supposait « qu’il dispose d’information complémentaires s'agissant,
d'une part, des contraintes physiques et organisationnelles justifiant que les cours de promenade du quartier
disciplinaire et d'isolement soient aménagées dans des conteneurs, de la durée moyenne d'occupation de ces
cours et de la faisabilité de solutions alternatives, même provisoires, permettant de proposer aux détenus placés
à l'isolement un accès à des cours de promenade dans des conditions pleinement respectueuses des exigences
découlant de l'article 3 de la convention, et, d'autre part, des contraintes physiques et sécuritaires mises en
avant par l'administration pour justifier l'absence de toilettes dans certaines cours de promenade, ainsi que de
la durée moyenne passée par les détenus dans ces cours », il a décidé qu’il y avait lieu, « dans ces conditions et
dans la perspective d’une décision ultérieure prise à brève échéance susceptible de déterminer les mesures
complémentaires qui s’imposent et qui peuvent être très rapidement mises en œuvre, de surseoir à statuer sur
les conclusions relatives à la fermeture des cours de promenade situées dans des conteneurs et à l’installation
de toilettes dans l’ensemble des cours de promenade et de demander à l’administration de produire, dans un
délai de dix jours, tous éléments complémentaires à même d’éclairer le juge des référés du Conseil d’Etat sur
ces questions » (CE, 19 octobre 2020, n°439372 et 439444, précitée).
17
V. éga., par ex. CE, Sect., 13 juillet 2016, n°400074, Ministre des affaires sociales et de la santé, fiché en A,
Lebon.
18
A. Lallet, concl. sur CE, 19 octobre 2020, n°439372, 439444, loc. cit., p. 3.
4
n°392043, 392044, Section française de l’OIP et ordre des avocats au barreau de Nîmes, fiché
en A ; CE, 28 juillet 2017, n°410677, Section française de l'OIP, fiché en A, toutes deux cités
infra).
Pour des exemples d’application de ces critères par le Conseil d’Etat, voir le tableau en partie
II.
19
L’art. R. 541-1 du CJA, qui prévoit la procédure de référé-provision, permet au juge des référés, même en
l’absence d’une demande au fond, d’« accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de
l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Ce recours, pour lequel la condition d’urgence n’est pas
requise, peut ainsi permettre à un requérant d’obtenir de l’administration débitrice une provision lorsque sa
créance n’est pas sérieusement contestable.
20
V. sur ce point, A. Bretonneau, concl. sur CE, 3 décembre 2018, n° n°412010, M. A. et E. Crépey, concl. sur
CE, 13 janvier 2017, n°389709, M. A…, n°389710, M. A…., n°389711, M. B….. et n°389712, M. B….
21
Aux termes de l’art. 22 de la loi n°2009-1439 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, JORF n°273 du 25 novembre
2009, texte n°1 : « L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et
de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes
inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la
récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé,
du handicap et de la personnalité de la personne détenue ».
5
2°) L’appréciation de la faute de l’administration tenant à l’indignité des conditions de
détention.
Le Conseil d’Etat a jugé qu’en raison de la situation d’entière dépendance des personnes
détenues vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, l’appréciation du caractère attentatoire à la
dignité des conditions de détention dépend de trois facteurs : la vulnérabilité de la personne
détenue (âge, état de santé, personnalité, handicap) ; la nature et la durée des manquements
constatés ; ainsi que les motifs susceptibles de « justifier22 ces manquements, eu égard aux
exigences qu’impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements
pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l’intérêt des victimes » (v. par
ex. CE, 6 décembre 2013, n°363293, M. B…., cité infra). Ce dernier élément, tiré de la
protection de l’intérêt de la victime, a ensuite été supprimé dans les décisions postérieures (v.
par ex. CE, 13 janvier 2017, n°389711, M. B…., fiché en A, cité infra).
S’agissant des conditions de détention, le Conseil d’Etat a, précisé, dans un arrêt du 13 janvier
2017, qu’elles « s’apprécient au regard de l’espace de vie individuel réservé aux personnes
détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du
respect de l’intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la
détention, de la configuration des locaux, de l’accès à la lumière, de l’hygiène et de la qualité
des installations sanitaires et de chauffage » (CE, 13 janvier 2017, n°389711, précité).
Pour des exemples d’application de ces critères, voir le tableau en partie II.
Le juge de l’excès de pouvoir peut être saisi d’une demande d’annulation d’une décision
administrative au motif que celle-ci méconnaîtrait l’article 3 de la CEDH.
Ainsi le Conseil d’Etat a annulé, sur ce motif, la décision par laquelle le directeur de la Maison
d’arrêt de Fleury-Mérogis a implicitement rejeté la demande tendant à ce qu’il soit mis fin à
l’utilisation des quartiers disciplinaires de cet établissement réservés aux femmes, après avoir
constaté qu’une telle décision « pouvait avoir pour effet d’exposer les détenues les plus
vulnérables (…) ou celles sanctionnées par les mises en cellule disciplinaire les plus longues,
à des épreuves physiques et morales, d’ailleurs contraires aux règles d’hygiène et de salubrité
prescrites par les articles D. 349 à D. 351 du code de procédure pénal, qui, même rapportées
aux motifs susceptibles de les justifier et notamment aux exigences qu’impliquait le maintien
de la sécurité et du bon ordre dans l’établissement en cause, excédaient le niveau inévitable de
souffrance inhérent à la détention et étaient, dès lors, attentatoires à la dignité des intéressées »
(CE, 30 décembre 2014, n°364774, Section française de l'OIP, toutefois inédit au Recueil
Lebon).
22
C’est-à-dire, selon les termes de Mme Bretonneau, de « les expliquer par des exigences carcérales (au premier
rang desquelles figurent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires – votre
décision parle également, mais nous avouons être sceptique quant à ces deux critères, de prévention de la
récidive et de protection de l’intérêt des victimes) », A. Bretonneau, concl. sur CE, 3 décembre 2018, n°412010,
loc. cit., p. 1.
6
Par ailleurs, le juge de l’excès de pouvoir peut prononcer des injonctions à l’administration dès
lors qu’elles découlent nécessairement des motifs de l’annulation qu’il prononce (art. L 911-1
et sq du CJA)23. Le Conseil d’Etat, dans la décision du 19 octobre 2020, n°439372 et 439444
précitée, a précisé à cet égard que le juge de l'excès de pouvoir peut, lorsqu'il est saisi à cet
effet, enjoindre à l'administration pénitentiaire de remédier à des atteintes structurelles aux
droits fondamentaux des prisonniers en lui fixant, le cas échéant, des obligations de moyens ou
de résultats. Il lui appartient alors de statuer dans des délais adaptés aux circonstances de
l'espèce (CE,19 octobre 2020, n°439372 et 439444, Garde des sceaux, ministre de la justice c/
Section française de l'OIP, fiché en A sur ce point)
Le juge administratif peut être amené, dans le cadre de son office de juge du filtre, à apprécier
le caractère sérieux d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de
dispositions législatives relative aux conditions de détention avec le principe à valeur
constitutionnel de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
Ainsi le Conseil d’Etat a ainsi estimé que « Le moyen tiré de ce que [les articles 707, 720-1,
720-1-1, 723-1, 723-7 et 729 du code de procédure pénale relatifs au juge d’application des
peines et aux aménagements de peine] portent atteinte aux droits et libertés garantis par la
Constitution, notamment le principe à valeur constitutionnelle de dignité de la personne
humaine et le droit à un recours juridictionnel effectif, faute de prévoir la possibilité pour le
juge de l'application des peines de tirer les conséquences de conditions de détention contraires
à la dignité de la personne humaine afin qu'il y soit mis fin par un aménagement de la peine,
soulève une question présentant un caractère sérieux. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer au
Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée » (v. infra CE, 27
janvier 2021, n°445873, Section française de l’OIP).
23
Ainsi, selon l’article L. 911-1 : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit
public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution
dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette
mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette
mesure ». Lorsque les motifs de la décision du juge n’impliquent pas que l’administration prenne une décision
dans un sens déterminé mais seulement une nouvelle décision après ré-instruction, s’applique l’article L. 911-2
aux termes duquel : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou
un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une
nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision
juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut
également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ».
7
II. Synthèse des principales décisions rendues par le Conseil d’Etat
1°) Référés-libertés.
Thèmes Décisions
8
l'intervalle, une opération d'envergure susceptible de permettre la dératisation et la
désinsectisation de l'ensemble des locaux de ce centre (cons. 11).
CE, 30 juillet 2015, n°392043, 392044, Section française de l’OIP et ordre des
Maison d’arrêt
avocats au barreau de Nîmes, fiché en A
de Nîmes.
9
personnes qui y sont soumises à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi
une atteinte grave à une liberté fondamentale » (cons. 18).
Le juge des référé a toutefois relevé « que le caractère manifestement illégal de
l’atteinte à la liberté fondamentale en cause doit s’apprécier en tenant compte des
moyens dont dispose l’autorité administrative compétente ; (…) que
[l’administration pénitentiaire] ne dispose d’aucun pouvoir de décision en matière
de mises sous écrou, lesquelles relèvent exclusivement de l’autorité judiciaire ;
qu’une maison d’arrêt est ainsi tenue d’accueillir, quel que soit l’espace disponible
dont elle dispose, la totalité des personnes mises sous écrou ; qu’il résulte en outre
de l’instruction que, pour gravement préoccupante qu’elle demeure, la situation de
la maison d’arrêt de Nîmes est en voie d’amélioration ; qu’après avoir atteint 216
% en avril 2015, le taux d’occupation est descendu à 199 % à la fin du mois de
juillet 2015 ; qu’alors qu’à la date de la visite réalisée en 2012, les contrôleurs
avaient compté une quarantaine de matelas au sol, ce nombre est, à ce jour, de 14
; que selon les explications fournies par l’administration pénitentiaire, cette
diminution s’explique par des facteurs d’ordre structurel, les effets de la réforme
pénale sur l’octroi de crédits de réduction de peine supplémentaires aux détenus
récidivistes ainsi que la politique de transferts organisée par la direction
interrégionale afin de soulager la maison d’arrêt de Nîmes ». Le juge des référés a
ainsi jugé « que, dans ces conditions, la situation d’urgence étant caractérisée, il y
a seulement lieu d’enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre, dans les
meilleurs délais, toutes les mesures qui apparaîtraient de nature à améliorer, dans
l’attente d’une solution pérenne, les conditions matérielles d’installation des
détenus durant la nuit » (cons. 19).
10
CE, 28 juillet 2017, n°410677, Section française de l'OIP, fiché en A
Maison d’arrêt
de Fresnes.
Référé-liberté fondé sur une atteinte aux droits à la vie et à la dignité de personnes
détenues à la Maison d’arrêt de Fresnes du fait de la carence de l’administration
Référé-liberté.
pénitentiaire à les garantir.
Art. 2 et 3 de la
CEDH –
Le juge des référés du Conseil d’Etat a jugé que portaient une atteinte grave à la vie
Conditions
privée des détenus, dans une mesure excédant les restrictions inhérentes à la
indignes de
détention et qu’elles étaient de nature à les exposer à un traitement inhumain et
détention :
dégradant, portant ainsi une atteinte grave à deux libertés fondamentales, les
conditions de vie
conditions de détention en cellule à la Maison d’arrêt des hommes du centre
en cellule.
pénitentiaire de Fresnes, « marquées par la promiscuité et le manque d’intimité ».
Loi n°2009-1436 Il a, plus précisément, constaté que celle-ci, « qui est sous-dimensionnée, a atteint
du 24 novembre un taux d’occupation de 214 % au 18 avril 2017, ce qui implique des
2009 encellulements à trois dans des cellules conçues pour deux détenus. Par ailleurs,
pénitentiaire, il ressort des recommandations en urgence formulées le 18 novembre 2016 par le
JORF n°273 du contrôleur général des lieux de privation de liberté que l’établissement, vétuste en
25 novembre raison de son ancienneté et du manque de rénovation, est confronté de façon
2009, art. 22. récurrente à la présence de nuisibles, et notamment de punaises dans les lits des
détenus. Par ailleurs, les détenus pâtissent également du manque de luminosité des
Art. D. 349, D.
cellules, et de l’humidité de ces dernières » (pt. 13).
350 et D. 351 du
code de Toutefois, le Conseil d’Etat a souligné que, d’une part, l'administration pénitentiaire
procédure ne dispose d'aucun pouvoir de décision en matière de mises sous écrou, lesquelles
pénale. relèvent exclusivement de l'autorité judiciaire, de sorte qu’une maison d'arrêt est
tenue d'accueillir, quel que soit l'espace disponible dont elle dispose, la totalité des
personnes mises sous écrou ; que, d'autre part, les mesures prises par
l'administration et la hauteur sous plafond des cellules ont permis d'éviter
l'installation de matelas au sol en superposant trois lits ; qu’enfin, l'administration
pénitentiaire fait état des multiples démarches qu'elle a engagées afin d'améliorer
l'état des cellules, notamment en prévoyant de recourir dès 2017, dans le cadre d'un
marché régional, à un prestataire extérieur pour procéder à leur désinsectisation et
en renouvelant une partie du mobilier. Il a, par conséquent, jugé que, dans ces
conditions, l’association requérante n’était pas fondée à soutenir que le premier juge
se serait à tort borné « à enjoindre à l'administration pénitentiaire de prendre, dans
les meilleurs délais, toutes les mesures qui apparaîtraient de nature à améliorer,
dans l'attente d'une solution pérenne, les conditions matérielles d'installation des
détenus, notamment en ce qui concerne la luminosité et l'aération des cellules » (pt.
14).
CE, 4 avril 2019, n°428747, Garde des sceaux / Section française de l'OIP
Centre
pénitentiaire de
Rémire- Référé-liberté demandant au juge des référés d’ordonner différentes mesures afin
Montjoly de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés
(Guyane).
11
fondamentales des personnes détenues au centre pénitentiaire de Rémire-
Référé-liberté. Montjoly (Guyane) invoquées par l’association requérante.
Art. 2 et 3 de la
CEDH – Saisi en appel de l’ordonnance n°1900211 du 23 février 2019 par laquelle le juge
Conditions des référés du tribunal administratif de la Guyane a fait droit à certaines conclusions
indignes de de l’association requérante, le Conseil d’Etat a rappelé que « la validité des
détention : injonctions prononcées par le juge des référés doit être examinée au regard, d’une
-conditions part, de la gravité des atteintes à la dignité humaine qui sont constatées et de la
d’hygiène et de possibilité d’y remédier à court délai et, d’autre part, des moyens dont dispose
salubrité, l’administration et des mesures qu’elle a déjà prises à cette fin » (pt. 7). Il a ensuite
confirmé les injonctions suivantes prononcées par le premier juge :
- mesures de
fouilles - S’agissant des conditions d’hygiène et de salubrité, celle visant à ce que « les
intégrales, détenus qui le souhaitent aient accès à des douches intérieures en état satisfaisant
de propreté, répondant à des conditions suffisantes d’hygiène et de salubrité », en
- respect de ce que cette injonction est « justifiée par la circonstance que certains détenus, qui
l’intimité des refusent de se rendre dans les cours de promenades, ne peuvent utiliser les douches
personnes situées dans ces cours et ne peuvent recourir qu’aux sanitaires intérieurs » (pt. 9).
détenues.
- S’agissant des mesures de fouilles intégrales, celle faite à l’administration
Loi n°2009-1436 pénitentiaire de consacrer spécifiquement un local pour ces mesures qui, en raison
du 24 novembre de l’atteinte à l’intimité qu’elles impliquent, doivent faire l’objet d’une attention
2009 particulière de façon à être menées dans le respect de la dignité des personnes
pénitentiaire, détenues. Au cas d’espèce, « la réalisation de ces fouilles dans les locaux des
JORF n°273 du douches de l’établissement ne garantit pas ce respect » (pt. 10).
25 novembre
2009, art. 22. - S’agissant du respect de l’intimité des détenus, celle d’aménager dans chaque
cellule un cloisonnement partiel des toilettes permettant d’éviter les angles morts
qui échappent à la surveillance du personnel tout en préservant l’intimité des
occupants, « l’absence de cloison séparant dans chaque cellule les toilettes du
reste de la cellule [étant] particulièrement attentatoire à la dignité des détenus »
(pt. 11).
12
être annulée en tant qu’elle prononce une injonction relativement à l’amélioration
des conditions d’hébergement dans les quartiers disciplinaire et d’isolement et à la
rénovation de leurs cours de promenade » (pt. 12).
Le Conseil d’Etat a, par ailleurs, confirmé l’ordonnance du premier juge en ce
qu’elle a rejeté les conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin aux incarcérations de
mères avec nourrisson en cellule ordinaire. Il a en effet relevé que « l'administration
a (…) soutenu à l'audience, sans être sérieusement contredite que si les trois cellules
équipées en nurserie étaient souvent insuffisantes, les femmes accompagnées de
nourrissons placées en cellule ordinaire y étaient seules, sauf si elles émettaient le
vœu de ne pas l’être, et qu’elles pouvaient accéder à tout moment à leur demande
aux cellules et sanitaires de nurserie, pour bénéficier notamment d’équipements
sanitaires en meilleur état » (pt. 14).
13
et du quartier des mineurs ne soient pas équipées de toilettes » était « susceptible
de caractériser une violation » de l’article 3 de la CEDH (pt. 20). Jugeant toutefois
que l’appréciation qu’il appartenait au juge des référés de porter supposait qu’il
dispose d’informations complémentaires, il a décidé qu’il y avait lieu « de surseoir
à statuer sur les conclusions relatives à la fermeture des cours de promenade situées
dans des conteneurs et à l’installation de toilettes dans l’ensemble des cours de
promenade et de demander à l’administration de produire, dans un délai de dix
jours, tous éléments complémentaires à même d’éclairer le juge des référés du
Conseil d’Etat sur ces questions » (pt. 21).
14
pénitentiaire a mis en place un plan d’actions dans lequel s’inscrivent des projets
de travaux et d’équipement de l’établissement tendant à la réfection de la peinture,
de la plomberie et de l’électricité de l’ensemble des cellules de l’établissement, à
l’installation de réfrigérateurs pour chacune des cellules, à l’achat d’un stock de
ventilateurs destiné au remplacement des appareils défectueux, à l’installation d’un
lave-linge et d’un sèche-linge dans chaque quartier ; à la restructuration du
revêtement des cours de promenades ; à la réfection des réseaux d’assainissement
et de distribution d’eau ; à l’installation de bancs et à des travaux de peinture dans
les salles d’attente ; à la réfection de la salle des parloirs ; à l’installation de points
d’eau et d’urinoirs sur les terrains de sport des personnes détenues mineures. Un
plan d’action pour lutter contre la prolifération des moustiques a également été mis
en œuvre ». Il en a, par conséquent, déduit que « les demandes d’injonction portant
sur l’adoption de ces mesures par l’administration ne peuvent qu’être écartées »
(pt. 26).
15
25 novembre hivernale, due notamment à la vétusté des fenêtres » et que « les photographies de
2009, art. 22. la nouvelle cellule de M. B., produites par le garde des sceaux, ministre de la justice,
montrent que sa fenêtre a été calfeutrée à l’aide d’une couverture » (pt. 10). Celui-
Art. D. 349 et D.
ci faisait valoir, en outre, que la cellule qu’il partageait avec son codétenu avant son
350 du code de
changement d’affection n’était chauffée « que par leurs propres soins, au moyen
procédure
d’une casserole chauffée en permanence sur la plaque électrique, et que dans sa
pénale.
nouvelle cellule, il ne dispose plus de cette plaque électrique et les joints de sa
fenêtre étant usés, il doit utiliser une couverture pour la calfeutrer » (pt. 9). Le
Conseil d’Etat a, dès lors, confirmé l’injonction faite à l’administration « de mettre
à la disposition de M. B. un chauffage d’appoint conforme à la réglementation »
(pt. 11).
Référé liberté. En premier lieu, le juge des référés du Conseil d’Etat a considéré que les mesures
prises par l’administration pénitentiaire afin d’assurer une dératisation
16
Art. 3 de la hebdomadaire sur des zones identifiées « [restaient] insuffisantes pour remédier
CEDH – de manière efficace à cette situation d’atteinte caractérisée à une liberté
Conditions fondamentale ». Il a, en conséquence, enjoint à l’administration de demander à son
indignes de prestataire de modifier les méthodes qu’il utilise afin de renforcer l’efficacité de la
détention : lutte contre les rats dans la cour de promenade et les coursives du bâtiment C (pt.
9).
- conditions
d’hygiène et de
salubrité, En deuxième lieu, il a jugé que « la présence d’eaux souillées dans la cour de
promenade résulte d’un problème structurel d’inclinaison des canalisations
- configuration
d’évacuation des eaux usées, dont l’administration ne conteste pas l’existence. Le
des locaux,
ministre de la justice fait valoir qu’un curage de ces canalisations est réalisé tous
- qualité des les quinze jours par une entreprise spécialisée afin de prévenir les remontées
installations d’égouts et qu’un constat d’huissier atteste l’absence d’odeur nauséabondes. Il
sanitaires, résulte toutefois de l’instruction que la fréquence de ces opérations de curage
- conditions de n’apparaît pas suffisante eu égard à la persistance de ces remontées d’eaux
vie en cellule, souillées, qui constituent une atteinte grave et manifestement illégale au droit de ne
pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Dès lors, il y a lieu de
- respect de prononcer une injonction tendant à ce que l’administration procède à un curage
l’intimité des hebdomadaire des canalisations en cause » (pt. 11).
personnes
détenues,
En troisième lieu, s’agissant de l’accès aux parloirs dans de bonnes conditions,
- accès aux le juge des référés du Conseil d’Etat a estimé qu’il résultait de l’instruction que « le
parloirs, caractère étanche des parois amovibles en plexiglas qui séparent les détenus de
- mesures leurs visiteurs sur la totalité de la hauteur et de la longueur de chaque parloir rend
destinées à excessivement difficile la communication entre les détenus et leurs familles dans un
limiter la environnement bruyant, et porte ainsi une atteinte grave et manifestement illégale
propagation du au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ». Il a
virus covid-19. ainsi considéré qu’il y avait lieu « d’enjoindre à l’administration de modifier
l’aménagement des parloirs afin de permettre une qualité de communication
Loi n°2009-1436 correcte entre les détenus et leurs visiteurs » (pt. 13).
du 24 novembre
2009
pénitentiaire, En quatrième lieu, s’agissant du respect de l’intimité des détenus, le juge des
JORF n°273 du référés du Conseil d’Etat a estimé que « lorsqu’une cellule est occupée par plus
25 novembre d’une personne, l’absence de séparation des sanitaires par une cloison ou des
2009, art. 22. rideaux permettant de protéger suffisamment l’intimité est de nature tant à porter
atteinte à la vie privée des détenus, dans une mesure excédant les restrictions
inhérentes à la détention, qu’à les exposer à un traitement inhumain ou dégradant,
portant une atteinte grave à ces deux libertés fondamentales ». Il a toutefois relevé,
en l’espèce, que « la séparation actuelle entre les sanitaires et le reste de la cellule,
par une cloison et un rideau opaque fourni par l'administration, permet de garantir
une intimité suffisante des personnes détenues » et qu’il n’y avait dès lors pas lieu
« de prononcer une injonction sur ce point » (pt. 15).
17
détenues, l'administration fait valoir qu’il n’existe pas de local permettant la
production et la distribution d’eau chaude dans les cellules et que cette contrainte
technique ne permet pas la réalisation de travaux susceptibles d’être mis en œuvre
efficacement à bref délai ». Il a dès lors estimé « que cette demande porte sur une
mesure structurelle et n’est ainsi pas au nombre des mesures d’urgence que la
situation permet de prendre utilement dans le cadre des pouvoirs que le juge des
référés tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative » (pt. 16).
En sixième lieu, le Conseil d’Etat a jugé que, si « le requérant demande qu’il soit
enjoint à l’administration de faire cesser la distribution de produits périmés ou non
frais, de fournir des repas variés et équilibrés, de réduire le temps d’encellulement
des personnes détenues, d’allouer aux détenus un crédit supplémentaire leur
permettant de joindre leurs familles et d’assurer le fonctionnement permanent des
téléphones », il ne résultait toutefois de l’instruction « que l'administration
pénitentiaire porterait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté
fondamentale sur ces différents points » (pt. 17).
18
2°) Les recours indemnitaires.
Thèmes Décisions
19
Art. 2 et 3 de la CEDH – conditions de détention en cellule médicalisée et, au cours de certaines
Conditions indignes de périodes, en cellule ordinaire, conformément à des avis médicaux.
détention.
Ni les conditions de détention en cellule ordinaire de l’intéressé, ni celles en
Loi n°2009-1436 du 24 cellules médicalisées, « spécialement aménagées pour accueillir des
novembre 2009 personnes handicapées », y compris au regard des « conditions défectueuses
pénitentiaire, JORF de fonctionnement des équipements », des « difficultés de circulation » et de
n°273 du 25 novembre « l’humidité régnant dans ces cellules » ont été jugées comme franchissant
2009, art. 22. le seuil de gravité susceptible d’emporter une atteinte à la dignité humaine
de nature à constituer une faute de l’administration ouvrant droit à
indemnisation (cons. 4 et 5).
20
Arrêt de principe : réparation du préjudice moral que l’intéressé estime avoir subi du fait de
précision de la grille l’indignité de ses conditions de détention à la Maison d’arrêt de Rouen.
d’analyse de la décision
du 6 déc. 2013, Dans la continuité de sa décision du 6 décembre 2013, n°363290, M. B….,
n°363290, M.B..., fiché le Conseil d’Etat a, tout d’abord, rappelé le considérant de principe selon
en A. lequel, en raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues
Art. 2 et 3 de la CEDH – vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère
Conditions indignes de attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de
détention. leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé,
de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la
Loi n°2009-1436 du 24
nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles
novembre 2009
de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le
pénitentiaire, JORF
maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires
n°273 du 25 novembre
ainsi que la prévention de la récidive (pt. 3).
2009, art. 22.
Il a, ensuite, complété cette grille d’analyse aux fins d’apprécier les
Art. D. 189, D. 349, D.
conditions matérielles de détention au regard du principe de respect de la
350 et D. 351 du code de
dignité humaine : « les conditions de détention s’apprécient au regard de
procédure pénale.
l’espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité
engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de
l’intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes
à la détention, de la configuration des locaux, de l’accès à la lumière, de
l’hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage » (pt.
3).
Enfin, il a précisé que, « seules des conditions de détention qui porteraient
atteinte à la dignité humaine, appréciées à l’aune de ces critères et des
dispositions précitées du code de procédure pénale [articles D. 349, D.
350 et D. 351] , révèlent l’existence d’une faute de nature à engager la
responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est
caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral
pour la personne qui en est la victime » (pt. 3).
En application de ces principes, n’ont dès lors pas été jugées contraires aux
libertés fondamentales invoquées les conditions de détention du requérant,
« en dépit de la sur-occupation des cellules » successivement occupées par
celui-ci, dès lors qu’il « n’avait jamais bénéficié d’un espace individuel
inférieur à trois mètres carré » et « que dix-sept des dix-huit cellules qu’il
a occupées avaient fait l’objet de travaux récents de rénovation, qui ont
notamment permis de réaliser un cloisonnement partiel des toilettes » (pt.
5).
En revanche, le Conseil d’Etat a considéré qu’« en relevant que M. B. avait
été placé dans des conditions de détention ne respectant pas les règles
prévues par les textes rappelés au point 2 lorsqu’il occupait la cellule 210
de la division 2 de la maison d’arrêt de Rouen mais en excluant tout
préjudice subi du fait de la seule durée d’incarcération dans cette cellule
21
limitée à quinze jours, le tribunal administratif a commis une erreur de
droit. En effet, ainsi qu’il est dit au point 3, dès lors qu’il ressort des pièces
du dossier soumis aux juges du fond que les conditions de détention
caractérisent une atteinte à la dignité humaine, une telle atteinte est de
nature à engendrer, par elle-même, pour la personne qui en est la victime,
un préjudice moral qu’il incombe à l’Etat de réparer » (pt. 6).
22
à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est
la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer (pt. 3).
Il a, ensuite, complété celui-ci en précisant qu’à conditions de détention
constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice
subi. Le préjudice moral subi par un détenu à raison de conditions de
détention attentatoires à la dignité humaine revêt ainsi un caractère continu
et évolutif. Par ailleurs, rien ne fait obstacle à ce que ce préjudice soit mesuré
dès qu'il a été subi. Il s'ensuit que la créance indemnitaire qui résulte de ce
préjudice doit être rattachée, dans la mesure où il s'y rapporte, à chacune des
années au cours desquelles il a été subi (pts. 3 et 5).
23
période courant du 1er juin 2012 au 31 mai 2013, et à 900 euros pour la
période courant du 1er juin 2013 au 6 août 2013, soit au total 5 500 euros
tous intérêts compris au jour de la présente décision » (pt. 11).
Thèmes Décisions
24
Solution : Annulation, en tant qu’elle porte sur le quartier disciplinaire réservé
aux femmes, de la décision implicite par laquelle le directeur de la maison d’arrêt
de Fleury-Mérogis a rejeté la demande en date du 30 juillet 2007, présentée par
la section française de l’OIP et tendant à ce que soit immédiatement mis fin au
placement de détenus dans les deux quartiers disciplinaires de cet établissement.
Thèmes Décisions
25
un détenu à des fouilles corporelles intégrales dans le but de prévenir toute atteinte
à l’ordre public », en ce qu’elle relèvent de l’exécution du service public
pénitentiaire.
Il a, ensuite, précisé les conditions de la compatibilité du recours à des fouilles
corporelles intégrales répétées sur un détenu aux exigences de l’article 3 de la
CEDH : « si les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public
pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un détenu d’un régime de fouilles
corporelles intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une part, que le
recours à ces fouilles intégrales soit justifié, notamment, par l’existence de
suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou
les circonstances de ses contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles se déroulent
dans des conditions et selon des modalités strictement et exclusivement adaptées à
ces nécessités et ces contraintes ; qu’il appartient ainsi à l’administration de
justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la proportionnalité des
modalités retenues ».
Constatant, enfin, que la condition d’urgence n’était pas satisfaite au cas d’espèce,
dès lors qu’il n’était ni établi ni allégué que le requérant devait prochainement faire
l’objet d’une extraction à laquelle le régime litigieux s’appliquerait, le juge des
référés du Conseil d’Etat a, rejeté sa demande.
CE, 20 mai 2010, n°339259, Ministre d’Etat, Garde des sceaux, ministre de la
Centre de
justice c/ M. A….
détention de
Caen.
Référé-liberté tendant à demander la suspension de l’application du régime de
Référé liberté.
fouilles corporelles intégrales auquel est soumis le requérant, incarcéré au centre
Art. 3 et 8 de la de détention de Caen. Saisi en appel, par le garde des sceaux, de l’ordonnance du
CEDH. tribunal administratif par laquelle celui-ci a ordonné la suspension de l’application
de ce régime, le juge des référés du Conseil d’Etat a confirmé celle-ci.
Mesures de
fouilles
corporelles Il a, tout d’abord, rappelé le considérant de principe aux termes duquel, « si les
intégrales. nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire
peuvent légitimer l’application à un détenu d’un régime de fouilles corporelles
Loi n°2009-1436
intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une part, que le recours à ces
du 24 novembre
fouilles intégrales soit justifié, notamment, par l’existence de suspicions fondées sur
2009
le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les circonstances de ses
pénitentiaire,
contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles se déroulent dans des conditions et
JORF n°273 du
selon des modalités strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et ces
25 novembre
contraintes ; qu’il appartient ainsi à l’administration de justifier de la nécessité de
2009, art. 57.
ces opérations de fouille et de la proportionnalité des modalités retenues ».
Appliquant ces principes aux faits de l’espèce, le Conseil d’Etat, après avoir relevé
que le requérant, « tout en cherchant depuis plusieurs années à être incarcéré en
quartier disciplinaire et à vivre sa détention dans le plus grand isolement possible,
26
a en permanence un comportement paisible et correct » et qu’il avait été rayé de la
liste des détenus particulièrement signalé, a estimé que, « dans ces conditions, le
juge des référés de première instance a estimé à bon droit que ni son comportement
ni ses agissements ne faisaient apparaître d’éléments justifiant qu’il soit soumis à
un régime de fouilles corporelles intégrales pratiquées quotidiennement à l’issue
de sa promenade ». Il a, en conséquence, jugé que l’application d’un tel régime
constituait « ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté
fondamentale invoquée par les principes énoncés ci-dessus et dont l’article 9 de la
loi du 24 novembre 2009 rappelle les exigences ».
27
Relevant, ensuite, que la note de service litigieuse contestée au cas d’espèce se
bornait à instituer un régime de fouilles intégrales systématiques sans organiser la
possibilité d’en exonérer certains détenus au vu des critères énoncés ci-dessus, pour
tenir compte de leur personnalité, de leur comportement en détention ainsi que de
la fréquence de leur fréquentation des parloirs, le juge des référés du Conseil d’Etat
en a conclu que « l’exécution d’un tel régime de fouilles intégrales était constitutif,
eu égard à son caractère systématique, d’une atteinte grave et manifestement
illégale aux libertés fondamentales énoncés ci-dessus dans la mesure où celui-ci n'a
pas prévu la possibilité de moduler son application pour tenir compte de la
personnalité des détenus, de leur comportement en détention ainsi que de la
fréquence de leur fréquentation des parloirs » (pt. 7).
Solution : Le juge des référés, après avoir constaté que la condition d'urgence,
comme celle d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale,
étaient remplies, a enjoint à l'administration, non de suspendre l'exécution de la note
litigieuse mais de modifier, sans délai, les conditions d'application du régime des
fouilles intégrales systématiques afin d'en permettre la modulation en fonction de la
personnalité des détenus et de modifier, dans un délai de quinze jours à compter de
la notification de l'ordonnance, la note de service du 28 mars 2013 qui définit le
régime des fouilles intégrales systématiques afin d'y introduire la possibilité d'une
telle modulation (pt. 7).
Maison d’arrêt CE, 6 juin 2013, n°368875, M. B...A..., fiché en B.
de Fleury-
Mérogis.
Référé-liberté présenté par une personne détenue à la Maison d’arrêt de Fleury-
Référé-liberté. Merogis tendant à demander la suspension de l’exécution, d’une part, de
l’instruction du directeur de cette maison d’arrêt en date du 7 mai 2013 instituant,
Principes
en ce qui le concerne, un régime de fouilles corporelles intégrales systématiques à
constitutionnels
l’issue de chaque parloir et, d’autre part, de la note de service de la même autorité
de respect de la
en date du 28 mars 2013 instituant, pour une période de trois mois, un régime de
dignité humaine
fouilles corporelles intégrales systématiques à l’égard de toute personne détenue
et de respect de
sortant des parloirs de l’établissement.
la vie privée.
Art. 3 et 8 de la Le juge des référés du Conseil d’Etat a, tout d’abord, rappelé le considérant de
CEDH. principe aux termes duquel, en application de l’article 57 de la loi n°2009-1436 du
Mesures de 24 novembre 2009, « d’une part, que les mesures de fouilles ne sauraient revêtir un
fouilles caractère systématique et doivent être justifiées par l’un des motifs qu’elles
intégrales. prévoient et, d’autre part, que les fouilles intégrales revêtent un caractère
Loi n°2009-1436 subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l’utilisation de moyens de
du 24 novembre détection électronique » (pt. 4). Il en résulte que, si « les nécessités de l’ordre public
2009 et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application aux
pénitentiaire, détenus d’un régime de fouilles corporelles intégrales » et « qu’en l’absence de
JORF n°273 du portiques de détection métalliques (…) le recours à de telles opérations de fouilles,
25 novembre qui permettent de saisir les objets interdits ou dangereux que les détenus cherchent
à introduire en détention, apparaît justifié par la nécessité d’assurer la sécurité
28
2009, art. 22 et ainsi que le maintien de l’ordre au sein de l’établissement (…) l’exigence de
57. proportionnalité des modalités selon lesquelles les fouilles intégrales sont
organisées implique qu’elles soient strictement adaptées non seulement aux
objectifs qu’elles poursuivent mais aussi à la personnalité des personnes détenues
qu’elles concernent ; (…) à cette fin, il appartient au chef d’établissement de tenir
compte, dans toute la mesure du possible, du comportement de chaque détenu, de
ses agissements antérieurs ainsi que des circonstances de ses contacts avec des
tiers » (pt. 6).
Appliquant, ensuite, ces principes aux faits de l’espèce, le juge des référés a, en
premier lieu, relevé, concernant les conclusions dirigées contre l’instruction du 7
mai 2013, que le requérant, « condamné pour participation à une association de
malfaiteurs en vue de la préparation à un acte de terrorisme, faisait l’objet d’un
régime de fouilles intégrales à l’issue de chaque parloir à Fresnes, établissement
où il était détenu avant son arrivée à Fleury-Mérogis, le 6 mai 2013 ; qu’eu égard
tant à la nature des faits qui ont entraîné sa condamnation qu’à l’ensemble de son
comportement en détention au vu desquels il fait l’objet d’un suivi particulier, le
maintien, immédiatement après l’arrivée du requérant à la maison d’arrêt de
Fleury-Mérogis, du régime de fouilles intégrales systématiques dont il faisait l’objet
auparavant apparaît justifié par les nécessités de l’ordre public » (pt. 6). Soulignant
que, « si l’instruction litigieuse ne fixe pas de limite dans le temps à l’application
des mesures qu’elle prescrit, il incombe au chef d’établissement d’en réexaminer le
bien-fondé, à bref délai et, le cas échéant, à intervalle régulier, afin d’apprécier si
le comportement et la personnalité du requérant justifient ou non la poursuite de ce
régime exorbitant », il en a déduit que, dans ces conditions, le requérant n’était pas
fondé à soutenir que l’application du régime de fouilles défini par l’instruction du 7
mai 2013 constituait une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales
invoquées (pt. 6).
29
Conditions Le Conseil d’Etat a, tout d’abord, rappelé qu’aux termes des articles 57 de la loi
indignes de n°2009-1436 du 24 novembre 2009 et R. 57-7-79 du CPP, « si les nécessités de
détention, l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer
mesures de l'application à un détenu de mesures de fouille, le cas échéant répétées, elle ne
fouille intégrales. sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des
motifs qu'elles prévoient, en tenant compte notamment du comportement de
Loi n°2009-1436
l'intéressé, de ses agissements antérieurs ou des contacts qu'il a pu avoir avec des
du 24 novembre
tiers ». De plus, « les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par
2009
rapport aux fouilles par palpation ou à l'utilisation de moyens de détection
pénitentiaire,
électronique. Il appartient à l'administration pénitentiaire de veiller, d'une part, à
JORF n°273 du
ce que de telles fouilles soient, eu égard à leur caractère subsidiaire, nécessaires et
25 novembre
proportionnées et, d'autre part, à ce que les conditions dans lesquelles elles sont
2009, art. 57.
effectuées ne soient pas, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne »
Art. R. 57-7-79 (pt. 3).
du code de
Il a, ensuite, considéré que la fouille intégrale subi par le requérant à l’occasion de
procédure
son extraction médicale – aucun élément du dossier ne démontrant qu’il aurait fait
pénale.
l’objet d’autres mesures analogues – ne caractérisait pas une atteinte à la dignité
humaine. A cet égard, le Conseil d’Etat a relevé que, d’une part, cette mesure « était
motivée par le risque qu’il dissimule une arme afin de profiter de sa sortie de
l’établissement pénitentiaire pour s’évader », de sorte que son recours apparaissait,
dans les circonstances de l’espèce, « nécessaire et proportionné, dès lors qu’aucune
autre mesure moins intrusive n’aurait permis d’atteindre le même but dans des
conditions équivalentes ». D’autre part, il a considéré qu’il ne résultait pas de
l’instruction que les conditions dans lesquelles les agents de l’administration
pénitentiaire ont procédé à cette fouille seraient « par elles-mêmes (…) attentatoires
à la dignité humaine » (pt. 8).
30