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CM 10 Le Second Empire (II), vers un empire libéral ?

Plan

I. Vers l’empire libéral : une évolution sans révolution (1860)


1. Le réveil des oppositions
2. Des soutiens à renouveler
3. Le coup de théâtre du 24 novembre 1860

II. La pression de l’opposition parlementaire (1863-1864)


1. Adolphe Thiers : le retour
2. Les conditions d’un ralliement à l’Empire

III. Un Empire raffermi sur ses bases ou un régime aux pieds d’argile ?
1. Une deuxième vague de libéralisations (1866-1869)
2. Une opposition de plus en plus bruyante
3. L’effondrement inattendu de l’Empire (1870)

Document

Discours sur les libertés nécessaires d’Adolphe Thiers (11 janvier 1864)

« […] Messieurs, il y a 34 ans que je suis entré dans cette enceinte. […] J’ai vu se succéder
les choses, les hommes, les opinions, les affections même, et au milieu de ce torrent qui
semblait devoir tout emporter, les principes seuls ont survécu, les principes sociaux et
politiques sur lesquels repose la société moderne. […] Il y a trois principes que j’ai toujours
considérés comme devant faire la règle d’une vie honnête et bien ordonnée : c’est le principe
de la souveraineté nationale, le principe d’ordre et le principe de liberté (Très bien ! très
bien !). Je suis né, j’ai vécu dans cette école dite de 89 qui croit que la France a droit de
disposer de ses destinées et de choisir le gouvernement qui lui convient. […] Messieurs, quand
on considère l’histoire des trois quarts du siècle écoulé, on est frappé de l’observation que
voici : c’est que la France peut quelquefois se passer de la liberté, s’en passer au point de
paraître l’avoir oubliée ; puis, quand l’esprit et les temps sont plus calmes, elle y revient avec
une persévérance singulière et une force presque irrésistible. […]
Messieurs, en ne consultant que l’expérience, en s’arrêtant à ce qui est incontestable,
indiscutable, n’est-il pas possible de trouver, de déterminer ce que j’appellerai, en fait de
liberté, le nécessaire ? […] Pour moi, messieurs, il y a cinq conditions qui constituent ce qui
s’appelle le nécessaire en fait de liberté.
La première est celle qui est nécessaire à assurer la sécurité du citoyen. Il faut que le
citoyen repose tranquillement dans sa demeure, parcoure toutes les parties de l’État, sans
être exposé à aucun acte arbitraire. […] Il faut que le citoyen soit garanti contre la violence
individuelle et contre tout acte arbitraire du pouvoir. […]
Mais quand les citoyens ont obtenu cette liberté, cela ne suffit pas. Il faut que le citoyen
veille sur la chose publique. Pour cela, il faut qu’il y pense, et il ne faut pas qu’il y pense seul ;
il faut que ses concitoyens y pensent comme lui, il faut que tous ensemble échangent leurs
idées et arrivent à cette pensée commune qu’on appelle l’opinion publique ; et cela n’est
possible que par la presse. Il faut donc qu’elle soit libre, mais lorsque je dis liberté, je ne dis
pas impunité. De même que la liberté individuelle du citoyen existe à la condition qu’il n’aura
pas provoqué la vindicte de la loi, la liberté de la presse est à cette condition que l’écrivain
n’aura ni outragé l’honneur des citoyens, ni troublé le repos du pays. (Marques
d’approbation). La seconde liberté nécessaire, c’est cette liberté d’échange dans les idées qui
créent l’opinion publique.
Mais lorsque cette opinion se produit, il ne faut pas qu’elle soit un vain bruit, il faut qu’elle
ait un résultat. Pour cela, il faut que des hommes choisis viennent l’apporter ici, au centre de
l’État, ce qui suppose la liberté des élections ; et, par liberté des électeurs, je n’entends pas
que le gouvernement qui est chargé de veiller aux lois n’ait pas là un rôle : je me borne à dire
qu’il ne faut pas qu’il puisse dicter les choix et imposer sa volonté dans les élections.
Messieurs, ce n’est pas tout : quand ces élus sont ici mandataires de l’opinion publique,
chargés de l’exprimer, il faut qu’ils jouissent d’une liberté complète ; il faut qu’ils puissent à
temps apporter un utile contrôle à tous les actes du pouvoir. Il ne faut pas que ce contrôle
arrive trop tard et qu’on ait des fautes irréparables à déplorer. C’est là la liberté de la
représentation nationale […], et cette liberté est, selon moi, la quatrième des libertés
nécessaires.
Enfin, vient la dernière – je ne dirai pas la plus importante, elles sont toutes également
importantes –, mais la dernière dont le but est celui-ci : c’est de faire que l’opinion publique,
bien constatée ici à la majorité, devienne la directrice des actes du gouvernement (Bruit).
[…] Eh bien ! De ces cinq conditions de la liberté que j’appelle nécessaire, incontestable,
indispensable ; de ces cinq conditions, lesquelles avons-nous ? Lesquelles nous restent à
acquérir ? Lesquelles pouvons-nous avoir ? Je le répète, toutes (Bruit). […]
Il n’est pas besoin de bouleverser nos institutions pour vous les donner. Vous voyez que
pour la liberté individuelle, il suffit de faire tomber la loi de sûreté générale ; que, pour la
presse, il ne faudrait pas toucher à la Constitution, il faudrait changer seulement un ou deux
articles du décret sur la presse ; que pour avoir la liberté électorale, il faut changer quelques
pratiques ; que pour la liberté que j’appelle la liberté de la représentation nationale, il faudrait
introduire un usage ici, celui d’interpeller les ministres, qui a existé dans tous les temps et qui
existe partout ; et quant à la principale des libertés, celle qui consiste à établir le débat, en
laissant le Souverain toujours au-dessus de nous, toujours étranger à nos discussions, qui
consiste à rétablir le débat avec les ministres, pour celle-là, il ne faut qu’un ou deux décrets
comme l’Empereur en a déjà rendu plusieurs. […]
Je le déclare donc ici en honnête homme, si on nous donne cette liberté nécessaire, quant
à moi, je l’accepterai, et on pourra me compter au nombre des citoyens soumis et
reconnaissants de l’Empire. […] Mais qu’on y prenne garde, ce pays aujourd’hui à peine éveillé,
ce pays si bouillant, chez lequel l’exagération des désirs est si près de leur réveil, ce pays qui
permet aujourd’hui qu’on demande pour lui du ton le plus déférent, un jour peut-être il
exigera. (Exclamations sur un grand nombre de bancs. Applaudissements sur quelques autres.
La séance est suspendue pendant dix minutes).

Adolphe Thiers, discours au Corps législatif prononcé le 11 janvier 1864.

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