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Histoire de la vie politique des Etats en Europe

T R A V A U X D I R IG E S
Mme Anne-Marie VOUTYRAS-PIERRE
Licence 1
Année 2022-2023
2è semestre

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OBSERVATIONS PRELIMINAIRES

Cette fiche comporte des textes assortis de questionnaires

Pour y répondre, il faut vous reporter prioritairement au cours et y


réfléchir, de préférence à la collecte et au copier coller de données
informatiques souvent non sélectionnées et donc non pertinentes.

Si dans la fiche, il vous est demandé d’effectuer une recherche, il est


préférable de se reporter aux livres que vous pouvez consulter en
ligne via le site Athéna de la bibliothèque universitaire. Il vous suffit
d’entrer vos identifiants.Autrement, vous pouvez travailler sur place
avec les ouvrages imprimés.
Le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France, BNF, présente
les livres et revues antérieurs à la guerre de 1914. En les téléchargeant
vous pouvez les visualiser en plus grand format et aussi les feuilleter
plus rapidement.

Concernant l’enseignement, il apporte des éléments de réflexion sur


l’histoire récente de la France, l’origine de ses courants politiques, il est
étoffé des apports du droit public, de l’instruction civique, utiles aux
citoyens électeurs.
Votre méthodologie, l’organisation de votre travail sont appelées à être
perfectionnées dans le cadre des travaux dirigés qui assortissent le
cours.

- Sur les examens :

Les documents sont numérotés de 1 à…. X dans chaque période.


A chaque séance, les étudiants seront interrogés sur les questions qui
figurent à la fin des textes.
Ils pourront aussi être interrogés sur les questions de cours qui sont
placées en tête de chaque période traitée. Ils peuvent s’aider des notes
qu’ils ont préparées à cet effet.
L’essentiel est d’avoir lu et appris le cours, d’y avoir réfléchi. Il faut en
faire de petites synthèses qui permettront de répondre aux questions de
texte et de cours. L’assimilation du cours permettra de répondre aux
questions de textes.

Les questions suivent immédiatement chaque texte et sont à préparer


pour chaque séance.

Ainsi, ce travail régulier qui est demandé, sera noté et formera par la
moyenne des notes obtenues, le contrôle continu. Un partiel a lieu en
fin de semestre et porte sur le cours.
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Sommaire - Histoire de la vie politique en France

Ière partie La vie politique en France de 1814 à 1914

La Restauration p. 4 à p. 32.
La Monarchie de Juillet p. 32 à 56.
La Deuxième République p. 56 à 85.
Le Second Empire p. 85 à 101.
La Troisième République de 1870 à 1914 p. 101 à 153.
(Cette République s’arrête en juillet 1940 quand s’instaure le régime
de Vichy).

Chronologie des régimes politiques

Règne de Louis XVIII : la Première Restauration : avril 1814 – mars 1815.


Reprise du pouvoir par Napoléon 1er : les Cent-Jours 20 mars-22 juin
1815.
Règne de Louis XVIII : la Seconde Restauration : 8 juillet 1815 –16
septembre 1824. Poursuite de la Seconde restauration avec le
Règne de Charles X : 16 septembre 1824-29 juillet 1830.
Règne de Louis-Philippe Ier d’Orléans. La Monarchie de Juillet : 7 août
1830 -24 février 1848.
La Deuxième République février 1848 - décembre 1852
Le Second Empire 2 décembre 1852-4 septembre 1870
La Troisième République janvier 1875- juillet 1940

Dans les intervalles de temps qui séparent les évènements fondateurs


de nouveaux régimes de leur entrée en vigueur officielle, la France vit
dans des périodes de fait (régimes provisoires), en attendant la
promulgation d’une Constitution et la mise en place de nouvelles
institutions.

Thèmes

L’évolution du régime parlementaire.


La comparaison des deux Chartes de 1814 et de 1830.
Le Président de la Deuxième République.
Le césarisme politique.
La coutume constitutionnelle sous la IIIe République
L’évolution du système représentatif et de la démocratie.
L’évolution des courants et des partis politiques.

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Pour répondre aux questions sur les textes , les étudiants se reportent au cours :

Ils doivent bien connaître les thèmes placés à l’en-tête des périodes traitées pour
pouvoir répondre aux questions posées sur les textes.
Les questions qui sont posées, figurent en bas de chaque texte et on y répond
brièvement mais précisément. Le cours permet d’y répondre, sauf quand il est
précisé qu’une petite recherche est demandée.

L’ascension de la démocratie libérale jusqu’en 1914.

I La monarchie constitutionnelle : la Restauration et la Monarchie de


Juillet (1814-1848)

- L A R E S T A U R A T I O N (1814-1830)

Voir le cours sur les thèmes :

1) Synthèse de ce que la Révolution a légué au plan institutionnel.


2) Synthèse de l’apport du régime napoléonien aux institutions politiques
( Consulat et Empire).
3) Qui était Louis XVIII ?
4) La déclaration de Saint-Ouen ?
5) Qui appelle t’on les émigrés ?
6) Les difficultés de Louis XVIII lors de l’établissement du régime ?
7) Les Cent Jours.
8) La Charte de 1814 : ses caractéristiques.
9) L’apport institutionnel de la Restauration.

DOC.1 Proclamation de Cambrai par le Roi Louis XVIII.

LE ROI AUX FRANCAIS

« Les portes de mon royaume viennent enfin de s'ouvrir devant moi;


j'accours, j'accours pour ramener mes sujets égarés, pour adoucir les
maux que j'avais voulu prévenir, pour me placer encore une seconde
fois entre les armées alliées et les Francais, dans l'espoir que les égards
dont je peux être l'objet tourneront à leur salut. C'est la seule manière
dont j'ai voulu prendre part à la guerre. Je n'ai pas permis qu'aucun
prince de ma famille parût dans les rangs des étrangers, et j'ai enchaîné
le courage de ceux de mes serviteurs qui avaient pu se ranger autour de
moi.
Revenu sur le sol de la patrie, je me plais à parler de confiance à mes
peuples. Lorsque je reparus au milieu d'eux, je trouvais les esprits
agités et emportés par des passions contraires. Les regards ne
rencontraient de toute part que des difficultés et des obstacles. Mon

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Gouvernement devait faire des fautes; peut-être en a-t-il fait. Il est des
temps où les intentions les plus pures ne suffisent pas pour diriger, où
quelquefois même elles égarent.
L'expérience seule pouvait avertir : elle ne sera pas perdue. Je veux tout
ce qui sauvera la France.
Mes sujets ont appris par de cruelles épreuves, que le principe de la
légitimité des souverains est une des bases fondamentales de l'ordre
social, la seule sur laquelle puisse s'établir, au milieu d'un grand peuple,
une liberté sage et bien ordonnée. Cette doctrine vient d'être proclamée
comme celle de l'Europe entière. Je l'avais consacrée d'avance par ma
charte, et je prétends ajouter à cette charte toutes les garanties qui
peuvent en assurer le bienfait... L'unité du ministère est la plus forte
que je puisse offrir. J'entends qu'elle existe, et que la marche franche et
assurée de mon conseil garantisse tous les intérêts et calme toutes les
inquiétudes.
On a parlé, dans les derniers temps, de la dîme et des droits féodaux.
Cette fable inventée par l'ennemi commun, n'a pas besoin d'être
réfutée ; on ne s'attendra pas que le Roi de France s'abaisse jusqu'à
repousser des calomnies et des mensonges; le succès de la trahison en a
trop indiqué la source. Si les acquéreurs des biens nationaux ont conçu
des inquiétudes, la Charte aurait dû suffire pour les rassurer. N'ai-je pas
moi-même proposé aux Chambres et fait exécuter des ventes de ces
biens ? Cette preuve de ma sincérité est sans réplique.
Dans ces derniers temps mes sujets de toutes les classes m'ont donné
des preuves égales d'amour et de fidélité. Je veux qu'ils sachent
combien j'y ai été sensible ; et c'est parmi tous les Français que j'aimerai
à choisir celles qui doivent approcher de ma personne et de ma famille.
Je ne veux exclure de ma présence que ces hommes dont la renommée
est un sujet de douleur pour la France et d'effroi pour l'Europe. Dans la
trame qu'ils ont ourdie, j'aperçois beaucoup de mes sujets égarés et
quelques coupables.

Je promets, moi qui n'ai jamais promis en vain (l'Europe entière le sait )
de pardonner aux Français égarés, tout ce qui s'est passé depuis le jour
où j'ai quitté Lille au milieu de tant de larmes jusqu'au jour où je suis
rentré dans Cambrai au milieu de tant d'acclamations.
Mais le sang de mes enfants a coulé par une trahison dont les annales
du monde n'offrent pas d'exemple : cette trahison a appelé l'étranger
dans le coeur de la France... Je dois donc, pour la dignité de mon trône,
pour l'intérêt de mes peuples, pour le repos de l'Europe, excepter du
pardon les instigateurs et les auteurs de cette trame horrible. Ils seront
désignés à la vengeance des lois par les deux Chambres que je me
propose d'assembler incessamment. Français, tels sont les sentimens
que rapporte au milieu de vous celui que le temps n'a pu changer, que
le malheur n'a pu fatiguer, que l'injustice n'a pu abattre.
Le Roi, dont les pères règnent depuis huit siècles sur les vôtres, revient
pour consacrer le reste de ses jours à vous défendre et à vous consoler ».
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Donné à Cambrai ce 28e jour du mois de juin de l'an de grâce 1815 et de
notre règne le vingt-unième.

Signé, LOUIS.
Par le Roi,
Le Ministre d'Etat Secrétaire des Affaires étrangères,
Signé, Talleyrand, Bulletin des Lois, Série VIII. t. I. 1 n° 1. p. 2.

QUESTIONS

1) Dans le texte, quelle est la base de l’ordre social aux yeux du Roi
Louis XVIII ? Comment est-il assuré ?
2) Dans le texte, le Roi dit que la Charte va rassurer les acquéreurs de
biens nationaux. Expliquez de quoi, il s’agit.
3) « Je dois donc… excepter du pardon les instigateurs et les auteurs de
cette trame horrible. » A la date où le Roi parle de sanctions, à quel
événement récent fait-il allusion ? En quoi cet événement a t’il eu un
fort impact pour l’avenir politique de la France ?

DOC. 2 Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 (Extraits)

La divine Providence, en nous rappelant dans nos Etats après une


longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le
premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupés sans
relâche ; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de
l'Europe, est signée.

Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume,


nous l'avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que,
bien que l'autorité tout entière résidât en France dans la personne du roi,
ses prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier l'exercice, suivant
la différence des temps ; que c'est ainsi que les communes ont dû leur
affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l'extension de leurs
droits à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que l'ordre judiciaire a été
établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri Il et de Charles IX ;
enfin, que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de
l'administration publique par différentes ordonnances dont rien encore
n'avait surpassé la sagesse.

Nous avons dû, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les
effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports
nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction
imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui
en sont résultées : nous avons reconnu que le voeu de nos sujets pour
une Charte constitutionnelle était l'expression d'un besoin réel ; mais en
cédant à ce voeu, nous avons pris toutes les précautions pour que cette
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Charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fiers de
commander. Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l'Etat,
se sont réunis à des commissions de notre Conseil, pour travailler à cet
important ouvrage.

En même temps que nous reconnaissions qu'une Constitution libre et


monarchique devait remplir l'attente de l'Europe éclairée, nous avons
dû nous souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples
était de conserver, pour leur propre intérêt, les droits et les prérogatives
de notre couronne. Nous avons espéré qu'instruits par l'expérience, ils
seraient convaincus que l'autorité suprême peut seule donner aux
institutions qu'elle établit, la force, la permanence et la majesté dont elle
est elle-même revêtue ; qu'ainsi lorsque la sagesse des rois s'accorde
librement avec le voeu des peuples, une Charte constitutionnelle peut
être de longue durée ; mais que quand la violence arrache des
concessions à la faiblesse du gouvernement, la liberté publique n'est pas
moins en danger que le trône même.

Nous avons enfin cherché les principes de la Charte constitutionnelle


dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles
passés. Ainsi, nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une
institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à toutes
les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes.

Nous avons remplacé, par la Chambre des députés, ces anciennes


Assemblées des Champs de Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers-
état, qui ont si souvent donné tout à fois des preuves de zèle pour les
intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l'autorité des rois. En
cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts
avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous
voudrions qu'on pût les effacer de l'histoire, tous les maux qui ont
affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au
sein de la grande famille, nous n'avons su répondre à l'amour dont
nous recevons tant de témoignages, qu'en prononçant des paroles de
paix et de consolation. Le voeu le plus cher à notre coeur, c'est que tous
les Français vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne
trouble la sécurité qui doit suivre l'acte solennel que nous leur
accordons aujourd'hui.

Sûrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons,


devant l'Assemblée qui nous écoute, à être fidèles à cette Charte
constitutionnelle, nous réservant d'en juger le maintien, avec une
nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même
balance les rois et les nations.

A CES CAUSES - NOUS AVONS volontairement, et par le libre exercice


de notre autorité royale, ACCORDÉ ET ACCORDONS. FAIT
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CONCESSION ET OCTROI à nos sujets, tant pour nous que pour nos
successeurs, et à toujours, de la Charte constitutionnelle qui suit :

Droit public des Français

Article 1. - Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient
d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.

Article 2. - Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur


fortune, aux charges de l'Etat.

Article 3. - Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et


militaires.

Article 4. - Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne


pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi, et
dans la forme qu'elle prescrit.

Article 5. - Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient


pour son culte la même protection.

Article 6. - Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est


la religion de l'Etat.

Article 7. - Les ministres de la religion catholique, apostolique et


romaine, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent seuls des
traitements du Trésor royal.

Article 8. - Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs


opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de
cette liberté.

Article 9. - Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception


de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence
entre elles.

Article 10. - L'Etat peut exiger le sacrifice d'une propriété, pour cause
d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité préalable.

[…]

Formes du gouvernement du roi

Article 13. - La personne du roi est inviolable et sacrée. Ses ministres


sont responsables. Au roi seul appartient la puissance exécutive.

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Article 14. - Le roi est le chef suprême de l'Etat, il commande les forces
de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et
de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et
fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois
et la sûreté de l'Etat.

Article 15. - La puissance législative s'exerce collectivement par le roi, la


Chambre des pairs, et la Chambre des députés des départements.

Article 16. - Le roi propose la loi.

Article 17 - La proposition de la loi est portée, au gré du roi, à la


Chambre des pairs ou à celle des députés, excepté la loi de l'impôt, qui
doit être adressée d'abord à la Chambre des députés.

Article 18. - Toute la loi doit être discutée et votée librement par la
majorité de chacune des deux chambres.

Article 19. - Les chambres ont la faculté de supplier le roi de proposer


une loi sur quelque objet que ce soit, et d'indiquer ce qu'il leur paraît
convenable que la loi contienne.

Article 20. - Cette demande pourra être faite par chacune des deux
chambres, mais après avoir été discutée en comité secret : elle ne sera
envoyée à l'autre Chambre par celle qui l'aura proposée, qu'après un
délai de dix jours.

Article 21. - Si la proposition est adoptée par l'autre Chambre, elle sera
mise sous les yeux du roi ; si elle est rejetée, elle ne pourra être
représentée dans la même session.

Article 22. - Le roi seul sanctionne et promulgue les lois.

Article 23. - La liste civile est fixée pour toute la durée du règne, par la
première législature assemblée depuis l'avènement du roi.

De la Chambre des pairs

Article 24. - La Chambre des pairs est une portion essentielle de la


puissance législative.

Article 25. - Elle est convoquée par le roi en même temps que la
Chambre des députés des départements. La session de l'une commence
et finit en même temps que celle de l'autre.
[…]

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Article 27. - La nomination des pairs de France appartient au roi. Leur
nombre est illimité ; il peut en varier les dignités, les nommer à vie ou
les rendre héréditaires, selon sa volonté.

Article 28. - Les pairs ont entrée dans la Chambre à vingt-cinq ans, et
voix délibérative à trente ans seulement.

Article 29. - La Chambre des pairs est présidée par le chancelier de


France, et, en son absence, par un pair nommé par le roi.

Article 30. - Les membres de la famille royale et les princes du sang sont
pairs par le droit de leur naissance. Ils siègent immédiatement après le
président ; mais ils n'ont voix délibérative qu'à vingt-cinq ans.

Article 31. - Les princes ne peuvent prendre séance à la Chambre que de


l'ordre du roi, exprimé pour chaque session par un message, à peine de
nullité de tout ce qui aurait été fait en leur présence.

Article 32. - Toutes les délibérations de la Chambre des pairs sont


secrètes.

Article 33. - La Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison
et des attentats à la sûreté de l'Etat qui seront définis par la loi.

Article 34. - Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la


Chambre, et jugé que par elle en matière criminelle.

De la Chambre des députés des départements

Article 35. - La Chambre des députés sera composée des députés par les
collèges électoraux dont l'organisation sera déterminée par des lois.

Article 36. - Chaque département aura le même nombre de députés


qu'il a eu jusqu'à présent.

Article 37. - Les députés seront élus pour cinq ans, et de manière que la
Chambre soit renouvelée chaque année par cinquième.

Article 38. - Aucun député ne peut être admis dans la Chambre, s'il
n'est âgé de quarante ans, et s'il ne paie une contribution directe de
mille francs.

Article 39. - Si néanmoins il ne se trouvait pas dans le département


cinquante personnes de l'âge indiqué, payant au moins mille francs de
contributions directes, leur nombre sera complété par les plus imposés
au-dessous de mille francs, et ceux-ci pourront être élus
concurremment avec les premiers.
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Article 40. - Les électeurs qui concourent à la nomination des députés,
ne peuvent avoir droit de suffrage s'ils ne paient une contribution
directe de trois cent francs, et s'ils ont moins de trente ans.

Article 41. - Les présidents des collèges électoraux seront nommés par
le roi et de droit membres du collège.

Article 42. - La moitié au moins des députés sera choisie parmi les
éligibles qui ont leur domicile politique dans le département.

Article 43. - Le président de la Chambre des députés est nommé par le


roi, sur une liste de cinq membres présentée par la Chambre.

Article 44. - Les séances de la Chambre sont publiques ; mais la


demande de cinq membres suffit pour qu'elle se forme en comité secret.

[…]

Article 47. - La Chambre des députés reçoit toutes les propositions


d'impôts ; ce n'est qu'après que ces propositions ont été admises,
qu'elles peuvent être portées à la Chambre des pairs.

Article 48. - Aucun impôt ne peut être établi ni perçu, s'il n'a été
consenti par les deux Chambres et sanctionné par le roi.
[…]

Article 50. - Le roi convoque chaque année les deux Chambres ; il les
proroge, et peut dissoudre celle des députés des départements ; mais,
dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois
mois.

Article 51. - Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un
membre de la Chambre, durant la session, et dans les six semaines qui
l'auront précédée ou suivie.

Article 52. - Aucun membre de la Chambre ne peut, pendant la durée


de la session, être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, sauf le cas
de flagrant délit, qu'après que la Chambre a permis sa poursuite.

Article 53. - Toute pétition à l'une ou l'autre des Chambres ne peut être
faite et présentée que par écrit. La loi interdit d'en apporter en personne
et à la barre.

Des ministres

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Article 54. - Les ministres peuvent être membres de la Chambre des
pairs ou de la Chambre des députés. Ils ont en outre leur entrée dans
l'une ou l'autre Chambre, et doivent être entendus quand ils le
demandent.

Article 55. - La Chambre des députés a le droit d'accuser les ministres,


et de les traduire devant la Chambre des pairs qui seule a celui de les
juger.

Article 56 . Ils ne peuvent être accusés que pour fait de trahison ou de


concussion. Des lois particulières spécifieront cette nature de délits, et
en détermineront la poursuite.

De l'ordre judiciaire

Article 57. - Toute justice émane du roi. Elle s'administre en son nom
par des juges qu'il nomme et qu'il institue.

Article 58. - Les juges nommés par le roi sont inamovibles.


[…]

Article 65. - L'institution des jurés est conservée. Les changements


qu'une plus longue expérience ferait juger nécessaires, ne peuvent être
effectués que par une loi.
[…]
Article 67. - Le roi a le droit de faire grâce, et celui de commuer les
peines.

Article 68. - Le Code civil et les lois actuellement existantes qui ne sont
pas contraires à la présente Charte, restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y
soit légalement dérogé.

Questions sur le DOC 2 sur la Charte du 4 juin 1814.

Justifier vos réponses à partir du document ; que vous citerez, et du


cours :

1) En quoi cette Charte constitue-t’elle un texte de compromis ?


2) Quel est le type de suffrage qui est visé dans la Charte ? Quand a t’il
été instauré en France ?
3) Quelle est l’organisation des Pouvoirs publics ?
4) De quel système politique s’inspire Louis XVIII ?

DOC.3 Réflexions sur la Charte de 1814

« Et qui pourrait se plaindre de cette Charte ? Elle réunit toutes les


opinions, réalise toutes les espérances, satisfait tous les besoins.
12
Examinons-en l'esprit...Il faut se souvenir que depuis soixante ans les
Français se sont accoutumés à penser librement sur tous les sujets:
depuis vingt ans, ils ont mis en pratique toutes les théories qu'ils
s'étaient plu à former. Des essais sanglants sont venus les détromper;
cependant les idées d'une indépendance légale et légitime ont survécu :
elles existent partout, dans le soldat sous la tente, chez l'ouvrier dans sa
boutique. Si vous voulez contrarier ces idées, les resserrer dans un
cadre où elles ne peuvent plus entrer, elles feront explosion, et, en
éclatant, causeront des bouleversements nouveaux. Il est donc
nécessaire de chercher à les employer dans un ordre de choses où elles
aient assez d'espace pour se placer et pour, agir, et où cependant elles
rencontrent une digue assez forte pour résister à leurs débordements.
C'est ce que le roi a merveilleusement senti, et c'est a quoi il a pourvu
par la Charte ; toutes les bases d'une liberté raisonnable y sont posées ;
et les principes républicains s'y trouvent si bien combinés, qu'ils y
servent à la force et à la grandeur de la Monarchie.
D’une autre part, vous ne pouvez pas ôter aux hommes les regrets de ce
passé que l’on aime et que l’on admire d’autant plus qu’il est plus loin
de nous. Si vous prétendez forcer les sentiments des vieux Royalistes à
se soumettre aux raisonnements du jour, vous produirez une autre
espèce de réaction. Il faut donc trouver un mode de gouvernement où
la politique de nos pères puisse conserver ce qu'elle a de vénérable, sans
contrarier le mouvement des siècles. Hé bien ! La Charte présente
encore cette heureuse institution : là, se trouvent consacrés tous les
principes de la Monarchie. Elle convient donc également, cette Charte, à
tous les Français : les partisans du Gouvernement moderne parlent au
nom des lumières qui leur semblent éclairer aujourd'hui l'esprit
humain ; les défenseurs des institutions antiques invoquent l'autorité de
l'expérience: ceux-ci plaident la cause du passé, ceux-là l'intérêt de
l'avenir... Les idées nouvelles donneront aux anciennes cette dignité qui
naît de la raison, et les idées anciennes prêteront aux nouvelles cette
majesté qui vient du temps.
La Charte n'est donc point une plante exotique, un accident fortuit du
moment: c'est le résultat de nos mœurs présentes, c'est un traité de paix
signé entre les deux partis qui ont divisé les Français : traité où chacun
des deux abandonne quelque chose de ses prétentions pour concourir à
la gloire de la Patrie. »

François-René de CHATEAUBRIAND. Réflexions politiques (décembre


1814), Ch. 13.

Question :

Quand Chateaubriand écrit dans ce texte à propos de la Charte :

« c'est un traité de paix signé entre les deux partis qui ont divisé les
Français » .
13
Quelle réconciliation vise t’il ?

PARTIS ET DOCTRINES SOUS LA RESTAURATION

1) Les Ultras royalistes.

a) DOC.4 La défense de l’Ancien régime. Défense de la monarchie d'avant


1789.

La constitution d’un peuple est le mode de son existence ; et demander si un


peuple qui a vécu quatorze siècles, un peuple qui existe, a une constitution,
c'est demander, quand il existe, s il a ce qu’il faut pour exister; c’est demander
si un homme qui vit, âgé de quatre-vingts ans, est constitué pour vivre.

La royauté en France était constituée, et si bien constituée que le roi même ne


mourait pas. Elle était masculine, héréditaire par ordre de primogéniture;
indépendante (note 1); et c'est à cette constitution si forte de la royauté que la
France avait du sa force de résistance et sa force d'expansion.

La nation était constituée, et si bien constituée qu’elle n’a jamais demandé à


aucune nation voisine la garantie de sa constitution. Elle était constituée de
trois ordres, formant chacun une personne indépendante, quel que fût le
nombre de ses membres, et représentant tout ce qu'il y a à représenter dans une
nation, et ce qui seul forme une nation, la religion, l’Etat et la famille.

La religion était constituée, et si bien constituée qu’elle a résisté, qu'elle résiste,


qu’elle résistera à toutes les attaques... et le roi lui-même avait mérité le titre de
roi très-chrétien.

La justice était constituée, et si bien constituée que la constitution de la


magistrature de France était, de l’aveu de tous les politiques, ce qu'il y a jamais
eu dans ce genre de plus parfait en ce monde. Dans tout pays il y a des juges ou
des jugeurs ; il n’y avait de magistrats qu'en France, parce que c'était seulement
en France qu'ils avaient le devoir politique de conseil.

La limite au pouvoir indépendant du roi était constituée, et si bien constituée


qu'on ne citerait pas une loi nécessaire qui ait été rejetée, ni une loi fausse qui
se soit affermie. Le droit de remontrance dans les tribunaux suprêmes était une
institution admirable, et peut-être la source de tout ce qu’il y avait d’élevé dans
le caractère français et de noble dans l’obéissance :
C’était la justice du roi qui remontrait à sa force (note 2).

La religion, la royauté, la justice, étaient indépendantes, chacune dans la sphère


de leur activité, et indépendantes comme propriétaires de leurs biens ou de
leurs offices. Aussi la nation était elle indépendante et la plus indépendante des
nations.

14
La France avait donc une constitution. Aussi, et parce que la France avait une
constitution, et une forte constitution, elle s'était agrandie de règne en règne
même sous les plus faibles; toujours enviée, jamais entamée ; souvent troublée,
jamais abattue

De Bonald, Considérations sur la Révolution française, Paris, 1818 édit. de la


Librairie nationale. Ch. 3. p: 26 et suiv.

note 1 Dans la monarchie indépendante, le roi fait les lois, par conseils,
doléances ou remontrances. Dans la monarchie dépendante, il fait la loi, ou
plutôt la loi est faite par opposition et par débats entre pouvoirs égaux, Le roi
plaide ou fait plaider en faveur de sa loi, comme un particulier dans sa cause
devant des juges.

note 2 C'est une idée chère à tous les royalistes, sous la Restauration que ce
Parlement « efficace contre-poids » de la puissance royale, avant 1789. Ils y
voient « l'essence d’une monarchie tempérée» certaines lois fondamentales,
qui étaient l’ancienne constitution non écrite de la France ne pouvant être
enfreintes.
L’historiographie actuelle dément cette idée car les parlements qui étaient
composés de la haute noblesse dans leur opposition aux réformes voulues par
les ministres des rois ont été plus que les contrepoids, les fosssoyeurs de la
Monarchie.
Jean-Louis HAROUEL, « La Pré-Révolution, 1787-1789 » in
Les révolutions françaises. Les phénomènes révolutionnaires en France du
Moyen-âge à nos jours, F. BLUCHE et S. RIALS ( dir.), Paris, 1989, pp181-
196.

Questions

1) Quelle vision de Bonald a t’il de l’Ancien régime ?


2) Quel démenti apporte l’historiographie actuelle ?

b) DOC.5 Le procès de la Révolution.

Le mal n’a rien de commun avec l'existence: il ne peut créer, puisque sa force
est purement négative : le mal est le schisme de l'être; il n’est pas vrai. (1)

Dans quelle page de l'histoire trouvera-t-on une aussi grande quantité de vices
agissant à la fois sur le même théâtre? Quel assemblage épouvantable de
bassesse et de cruauté! Quelle profonde immoralité ! Quel oubli de toute
pudeur! Comment croire à la durée d'une liberté qui commence par la
gangrène? Ou, pour parler plus exactement, comment croire que cette liberté
puisse naître et que du sein de la corruption la plus dégoûtante puisse sortir
cette forme de gouvernement qui se passe de vertus moins que toutes les
autres...

La révolution française a parcouru, sans doute, une période dont tous les
moments ne se ressemblent pas cependant son caractère général n’a jamais

15
varié, et dans son berceau même elle prouva tout ce qu’elle devait être. C’était
un certain délire inexplicable, une impétuosité aveugle, un mépris scandaleux
de tout ce qu'il y a de respectable parmi les hommes; une atrocité d’un nouveau
genre, qui plaisantait de ses forfaits: surtout une prostitution impudente du
raisonnement, et de tous les mots faits pour exprimer les idées de justice et de
vertu.

Est-ce donc de cette fange sanglante que doit sortir un gouvernement durable?
Qu'on ne nous objecte point les mœurs féroces et licencieuses des peuples
barbares, qui sont cependant devenus ce que nous voyons. L'ignorance barbare
a présidé, sans doute, à nombre d'établissements politiques; mais la barbarie
savante, l'atrocité systématique, la corruption calculée, et surtout l’irréligion,
n'ont jamais rien produit.”

(1) De Maistre, donne cette autre raison dans ses Considérations sur la France,
Ch. 10, p. 155: «Que les premières places fussent de plus difficile abord au
simple citoyen, c'était une chose très raisonnable. Il y a trop de mouvement
dans l'Etat, et pas assez de subordination, lorsque tous peuvent prétendre à tout.
L'ordre exige qu'en général les emplois soient gradués comme l’état des
citoyens, et que les talents, et quelquefois même la simple protection abaissent
les barrières qui séparent les différentes classes. De cette manière, il y a
émulation sans humiliation, et mouvement sans destruction. » :
Or, ce qui distingue la révolution française, et ce qui en fait un événement
unique dans l'histoire, c’est qu'elle est mauvaise radicalement; aucun élément
de bien n'y soulage l'œil de l'observateur c'est le plus haut degré de corruption
connu ; c’est la pure impureté.

J. de Maistre, Considérations sur la France. Ch. 4, Paris, 1796, édit. de la


Librairie Nationale, p, 60 et suiv.

Question

1) Quelle vision de Maistre a t’il de la Révolution française ?


2) Au début de la Révolution Joseph de Maistre n’y est pas hostile. Il bascule
ensuite dans la contre-révolution. Faites une petite recherche pour retrouver les
évènements qui l’ont engagé à s’orienter dans ce sens.

c) DOC.6 Contre le Peuple souverain et le régime représentatif,

Le principe du gouvernement représentatif est la souveraineté du peuple.

La souveraineté est le Pouvoir suprême, le pouvoir au-dessus de tous les


Pouvoirs, et celui qui donne l'être et l'impulsion à tous les pouvoirs
subordonnés : on avait cru jusqu’à présent, dans toutes les sociétés anciennes et
modernes, que le pouvoir suprême universel ne pouvait être que celui de Dieu...

Nous avons changé tout cela mais si tel est l'attribut du peuple, le peuple donc
est Dieu : et où réside cette divinité ? Nous la chercherions en vain. Le mot de
peuple est un nom collectif qui représente une idée abstraite, pure création de

16
la pensée, qui, faisant abstraction des individus dont le peuple se compose en
compose elle-même un être sans réalité, un être fictif, et que, à cause de cela,
on appelle un étre de raison : Non, le peuple n'est pas souverain, public ou
politique ; il est souverain domestique, pouvoir dans la famille où il a son
ministre, ses sujets, ses serviteurs, l'administration de ses biens... Cependant,
comme le peuple souverain est incapable d'exercer sa prétendue
souveraineté,.… force a été qu’il se donnât ou qu’il reçût quelqu’un qui pût les
représenter et dans lequel cette abstraction se réalisât, et dans le gouvernement
représentatif, la démocratie s’est donné un roi, autre fiction, fiction de royauté
comme le peuple est une fiction de souveraineté; un roi qui n'a pas de sujet, et
qui est lui même le premier sujet du peuple souverain, un roi qui règne et ne
gouverne pas un roi enfin qui ne peut parler et agir que par les ministres qui,
eux-mêmes, avec une fiction de responsabilité, représentent la raison,
l'intelligence et la volonté du roi .

- La démocratie ne fait pas et ne peut pas faire corps. Elle est une agrégation
fortuite d’une multitude de petits corps, sociétés ou familles indépendantes les
unes des autres qui ont chacune leurs intérêts, chacune leur pouvoir
domestique. La démocratie est la maladie organique du corps social, elle en
affecte les parties nobles, les pouvoirs et les devoirs ; et si des circonstances de
temps de lieux ou de personnes en suspendent momentanément les ravages,
aucun moyen ne peut en corriger le principe.

Louis de BONALD, Du Gouvernement représentatif, op.cit, p.140 sqq.

Question :

Comment de Bonald justifie t’il ses critiques du système démocratique ?

2) Les Royalistes Constitutionnels

a) DOC.7 impossibilité de revenir en arrière et d'abolir la Révolution.

Par l'imprudence des hommes qui ont agi depuis un demi-siècle, tout a disparu
de l’ancien édifice social : les ruines même ont péri. C'est la première fois que
l’on auru vu un ordre de choses nouveau ne pas résulter de l’ordre des choses
qui a précédé. Mais cela est devenu nécessaire, parce que le marteau des
hommes s’est uni au marteau du temps. Voudriez-vous soutenir de tristes pans
de muraille lorsque le reste de l'édifice, consumé par un incendie dévorant, est
déjà presque tout entier caché sous l'herbe? C’est un malheur, sans doute, mais
il est irréparable, On a fait, en quelque sorte solution de continuité; et, s’il faut
le dire d’une manière sévère, les déplorables évènements de 1792 et 1793 ont
prononcé un divorce éternel

Pierre-Simon BALLANCHE, Essai sur les institutions sociales, Paris, 1818,


Ch. 3. , rééd.1991, Oeuvres complètes. T. II. Barbezat. Paris et Genève. p. 73.

QUESTION

17
Selon ces propos de Ballanche, qu’est-ce qui distingue les royalistes
constitutionnels des Ultras royalistes ?

DOC.8 TEXTE DE FRANCOIS-RENE DE CHATEAUBRIAND SUR


L’ETAT DE LA FRANCE EN 1814

L'ancienne Constitution du royaume était sans doute excellente ; mais pouvez-


vous en réunir les éléments ?
Où prendrez-vous un Clergé indépendant, représentant, par ses immenses
domaines, une partie considérable des propriétés de l’État ? Où trouverez-vous
un corps de gentilshommes assez nombreux, assez riches, assez puissants pour
former par leurs anciens droits féodaux, par leurs terres seigneuriales, par leurs
vassaux et leur patronage, par leur influence dans l’armée, un contre-poids à la
Couronne ? Comment rétablirez-vous ces privilèges des provinces et des villes;
les pays d'Etats, les grands corps de magistrature qui mettaient| de toutes parts
des entraves à l'exercice du Pouvoir absolu ? L'égalité de l'éducation et des
fortunes, l'opinion publique, l'accroissement des lumières, permettraient-ils
aujourd’hui des distinctions qui choqueraient toutes les vanités ? Les
institutions de nos aïeux, où l’on reconnaissait les traces de la sainteté de notre
Religion, de l'honneur de notre chevalerie, de la gravité de notre magistrature,
sont sans doute à jamais regrettables ; mais peut-on les faire revivre
entièrement? Permettez donc, puisqu'il faut enfin quelque chose, qu’on essaie
de remplacer l'honneur du chevalier par la dignité de l'homme, et la noblesse de
l'individu par la noblesse de l'espèce. En vain voudriez-vous revenir aux
anciens jours:les nations comme les fleuves ne remontent point vers leurs
sources (1)

François-René de CHATEAUBRIAND, De l'Etat de la France au 4 octobre


1814, in Œuvres complètes, t. XVIII. p. 82.

(1) F.-R. de Chateaubriand écrit aussi dans les Réflexions politiques, décembre
1814. Ch. 19 et 20, t. XVIII. P. 172 et suiv. : «Quand nous voudrions tant que
les choses fussent arrangées autrement qu'elles le sont, elles ne pourraient
l'être, ,. Notre admiration, nos pleurs, nos regrets ne nous rendront pas du
Guesclin, la Hire et Dunois... Enfin nous ne pouvons pas faire que le XIXe
siècle soit le XIVè, le XVè, le XVIè, Tout change, tout se détruit, tout passe !
On doit pour bien servir sa Patrie, se soumettre aux révolutions que les siècles
amènent; et, pour être l'homme de son pays, il faut être l'homme de son temps
».
Il réhabilite la gloire de la Révolution : « Et Pourquoi ne pas le dire avec
franchise ! Certes, nous avons beaucoup perdu par la Révolution ; mais aussi
n’avons-nous rien gagné ? N'est ce rien que vingt années de victoires ? N'est-ce
rien que tant d'actions héroïques, tant de dévouements généreux ? » Réflexions
politiques. Ch.23, p. 190.

Question

Ce texte a des accents nostalgiques qui évoquent un courant littéraire du XIXè


siècle, le romantisme lequel exalte le temps qui passe. Il a donné lieu au

18
romantisme politique souvent opposé aux Lumières mais pas toujours qui a
connu un grand succès en France ( V. Hugo, A. de Lamartine) et en Allemagne
(Novalis, Schlegel, Müller, Görres, de Haller etc…).
Est-ce que dans ce texte, Chateaubriand vous semble reprendre ou s’opposer à
la doctrine des Ultras ?

b) DOC.9 La réconciliation des deux Frances est possible par la Charte.

Il me semble que la première condition du salut, c'est que nous soyons bien
établis sur le terrain de la France nouvelle, de la France vivante. Après cela il
est de notre devoir moral d'en ouvrir l'accès aux débris de la France ancienne,
de leur accorder l'hospitalité, à leurs malheurs et à leurs nobles souvenirs. Bien
reçus comme hôstes, repoussés comme conquérants, tel est l'accueil qu’ils ont
à espérer.

Baron De BARANTE, Souvenirs 1782-1866, Calmann-Lévy, 1892.

Question :

Que veut-dire de Barante quand il parle des « débris de la France ancienne » ?

DOC. 10 CHATEAUBRIAND, Réflexions politiques

Quant au Roi, serait-il plus le maître en vertu des anciens règlements, que par
la Charte qu'il nous a donnée? D’un bout de la France à l'autre, une Loi passée
dans les deux Chambres met à sa disposition notre vie, nos enfants, notre
fortune... A-t-il à essuyer ces remontrances sans fin, souvent justes, mais
quelquefois inconsidérées, quand il a besoin du plus faible impôt ? Rencontre-
t-il dans toutes les provinces, dans toutes les villes des privilèges, des coutumes,
des corps qui lui disputent les droits les plus légitimes, ôtent au gouvernement
l'unité d’action et la rapidité de la marche ? Derrière les deux Chambres, rien
ne peut l'atteindre; uni aux deux
Chambres, sa force est inébranlable, Les orages sont pour ses Minisires; la paix,
le respect et l'amour sont pour lui.

F.-R. CHATEAUBRIAND, Réflexions politiques, Ch. 22. p. 186.

Question :

Dans ce texte, Chateaubriand explique le mécanisme de fonctionnement des


Pouvoirs publics. A quel régime politique fait-il référence ? Commentez les
rapports institutionnels qu’il met en jeu.

3) Les Libéraux

a) DOC.11 L'amour de la liberté, principal ressort dans une nation.

19
La nécessité des gouvernements libres, c'est-à-dire des monarchies limitées
pour les grands Etats, et des républiques indépendantes pour les petits, est
tellement évidente, qu’on est tenté de croire que personne ne peut se refuser
sincèrement à reconnaitre cette vérité.

Quand depuis tant de siècles toutes les âmes généreuses ont aimé la liberté;
quand les plus grandes actions ont été inspirées par elle; quand l'antiquité et
l’histoire des temps modernes nous offrent tant de prodiges opérés par l'esprit
public; quand nous venons de voir ce que peuvent les nations; quand tout ce
qu’il y a de penseurs parmi les écrivains a proclamé la liberté;.. quand les
beaux-arts, la poésie, les chefs-d'œuvre du théâtre, destinés à émouvoir les
cœurs humains, exaltent la liberté : que dire de ces petits hommes à grande
fatuité qui vous déclarent avec un accent fade et maniéré comme tout leur être,
qu’il est de bien mauvais goût de s'occuper de politique, qu'après les horreurs
dont on a été témoin, personne ne se soucie plus de la liberté ; que les élections
populaires sont une institution tout à fait grossière, que le peuple choisit
toujours mal, et que les gens comme il faut ne sont pas faits pour aller, comme
en Angleterre, se mêler avec le peuple ?.….

Si des caractères sensibles se laissent aller à une haine involontaire et nerveuse,


car on pourrait nommer ainsi, puisqu'elle tient à de certains souvenirs, à
certaines associations de terreur qu’on ne peut vaincre : on leur dirait... qu'il ne
faut pas forcer la liberté à se poignarder comme Lucrèce parce qu'elle a été
profanée. On leur rappellerait que la Saint-Barthélemy n’a pas fait proscrire le
catholicisme. On leur dirait que le sort des vérités ne peut dépendre des
hommes qui mettent telle ou telle devise sur leur bannière, et que le bon sens a
été donné à chaque individu pour juger des choses en elles-mêmes et non
d'après des circonstances accidentelles.

[…]

Et par quel sentiment public serions-nous désormais émus, si nous repoussions


l'amour de la liberté? Les vieux préjugés n’agissent plus sur les hommes que
par calcul, ils ne sont soutenus que par ceux qui ont un intérêt personnel à les
défendre... Qui serait fier d'être français, si l’on avait vu la liberté détruite par
la tyrannie brisée par les étrangers, et que les lauriers de la guerre ne fussent
pas au moins honorés pour la conquête de la liberté? Il ne s'agirait plus que de
voir lutter l’un contre l’autre l’égoïsme des privilégiés par la naissance et
l’égoïsme des privilégiés par les évènements. Mais la France où serait-elle ?

La liberté! répétons son nom avec d'autant plus de force, que les hommes qui
devraient au moins le prononcer comme excuse, l’éloignent par flatterie (les
ralliés : anciens révolutionnaires ou anciens bonapartistes) ; répétons-le sans
crainte de blesser aucune puissant respectable : car tout ce que nous aimons,
tout ce que nous honorons y est compris. Rien que la liberté ne peut remuer
l'âme dans les rapports de l’ordre social.

Mme de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution


française, Delaunay. 1820. T: III. 6° Partie. Ch. 12. p. 369 et suiv.

20
QUESTIONS

1) Dans le cours, il est écrit que les libéraux sous la Restauration « veulent
fonder la vie politique sur la raison » et non sur la tradition. Qu’est-ce qui dans
ce texte vous semble l’illustrer ?

2) Relevez une phrase du texte qui montre que Mme de Staël a foi dans
l’homme.

b) DOC.12 Liberté individuelle et liberté politique.

Puisque nous vivons dans les temps modernes, je veux la liberté convenable
aux temps modernes, et puisque nous vivons sous des monarchies, je supplie
humblement ces monarchies de ne pas emprunter aux républiques anciennes
des moyens de nous opprimer.

La liberté individuelle, je le répète, voilà la véritable liberté moderne. La


liberté politique en est la garantie : la liberté politique est par conséquent
indispensable.

Vous voyez, Messieurs, que mes observations ne tendent nullement à diminuer


le prix de la liberté politique. Je ne tire point des faits que j'ai réunis sous vos
yeux des conséquences que quelques hommes en tirent.
De ce que les anciens ont été libres, et de ce que nous ne pouvons plus être
libres comme les anciens, ils concluent que nous sommes destinés à être
esclaves, ils voudraient constituer le nouvel état social avec un petit nombre
d'éléments qu'ils disent seuls appropriés à la situation du monde actuel. Ces
éléments sont des préjugés pour effrayer les hommes, de l’égoïsme pour
les corrompre, de la frivolité pour les étourdir, des plaisirs grossiers pour les
dégrader, du despotisme, les conduire, et, il le faut bien, des connaissances
positives et des sciences exactes pour servir plus adroitement le despotisme. Il
serait bizarre que tel fût le résultat de quarante siècles durant lesquels l'esprit
humain a conquis plus de moyens moraux et physiques

Je tire, des différences qui nous distinguent de l’antiquité, des conséquences


tout opposées. Ce n’est point la garantie qu'il faut affaiblir, c’est la jouissance
qu'il faut étendre. Ce n’est point à la liberté politique que je veux renoncer,
c’est la liberté civile que je réclame avec d'autres formes de la liberté politique.
Les gouvernements n’ont pas plus qu'autrefois le droit de s’arroger un pouvoir
illégitime. Mais les gouvernements qui partent d’une source légitime ont de
moins qu’autrefois le droit d’exercer sur les individus une supériorité arbitraire.
Nous possédons encore aujourd’hui les droits que nous eûmes de tout temps,
ces droits éternels à consentir les lois, à délibérer sur nos intérêts, à la partie
intégrante du corps social dont nous sommes. Mais les gouvernements ont de
nouveaux devoirs : les progrès de la civilisation, les changements opérés par
les siècles commandent à l’autorité plus de respect pour les habitudes, pour les

21
affections, pour l'indépendance des individus. Elle doit porter sur tous ces
objets une main plus prudente et plus légère.

Cette réserve de l'autorité, qui est dans ses devoirs stricts, est également dans
ses intérêts bien entendus; le despotisme qui était possible chez les anciens
n’est plus possible chez les modernes.

Que le pouvoir s’y résigne donc; il nous faut la liberté et nous l’aurons; mais
comme la liberté qu’il nous faut est différente de celle des anciens, il faut à
cette liberté une autre organisation que celle qui pouvait convenir à la liberté
antique... De là vient, Messieurs, la nécessité du système représentatif. Le
système représentatif n’est autre chose qu’une organisation à l’aide de laquelle
une nation se décharge sur quelques individus de ce qu'elle ne peut ou ne veut
pas faire elle-même...

Benjamin Constant, Conférence faite en 1819, in E. Laboulaye, Cours de


Politique constitutionnelle, Paris, 1861, T. II. p. 541 sqq.

Question

Constant pensait que les anciens jouissaient d’une liberté politique complète «
qui se composait de la participation active et constante au pouvoir collectif »;
mais dans la vie privée c'était « l’assujettissement de l’individu à l’ensemble.»
Rien n’était accordé à l'indépendance individuelle.
Dans les états modernes, les territoires plus grands, la disparition de
l'esclavage, le développement du commerce et des affaires font que « l'individu,
indépendant dans la vie privée, n'est même dans les Etats les plus libres,
souverain qu’en apparence.

Benjamin Constant dans ce texte fait une articulation entre la liberté politique
et la liberté individuelle, expliquez comment et citez ce qui à ses yeux est le
fondement de la liberté politique ?

4) DOC.13 LES DOCTRINAIRES VUS PAR THUREAU- DANGIN ET


FRANCOIS GUIZOT.

Ce n’est ni l’esprit, ni le talent, ni la dignité morale, mérites que leurs ennemis


mêmes ne leur ont guère contestés, qui ont fait le caractère original et la valeur
politique des doctrinaires; d’autres hommes, dans d’autres partis, possédaient
aussi ces mérites...

Les doctrinaires ont dû à une autre cause et leur nom et leur influence qui a été
réelle malgré leur petit nombre : c'étaient, d'abord Royer-Collard, Camille
Jordan, Olivier de Serre, le duc de Broglie, auxquels se joignit F. Guizot. « Ils
sont quatre, disait un journal de gauche, qui tantôt se vantent de n'être que trois,
parce qu'il leur paraît impossible qu'il y ait au monde quatre têtes d'une telle
force, et tantôt prétendent qu'ils sont cinq, mais c'est quand ils veulent effrayer
leurs ennemis par leur nombre. »

22
THUREAU-DANGIN, Le parti libéral sous la Restauration, Paris, Plon. 1876,
Note p.79.)

C’est le grand caractère, bien chèrement payé, de la révolution française


d’avoir été une œuvre de l'esprit humain, de ses conceptions et de ses
prétentions, en même temps qu'une lutte d'intérêts sociaux. La philosophie
s'était vantée qu’elle réglerait la politique, et que les institutions, les lois, les
pouvoirs publics ne seraient que les créations et les serviteurs de la raison
savante...

Les revers et les mécomptes ne tardèrent pas à donner à la Révolution leurs


rudes leçons: mais jusqu’en 1815, elle n'avait guère rencontré, pour
commentateurs de sa mauvaise fortune, que des ennemis implacables ou des
complices désabusés, avides les uns de vengeance, les autres de repos, et qui ne
savaient opposer aux principes révolutionnaires, les uns qu’une réaction
rétrograde, les autres que le scepticisme de la fatigue. « Il n'y a eu dans la
Révolution qu’erreur et crime, disaient les uns; l’ancien régime avait raison
contre elle; la Révolution n’a péché que par excès, disaient les autres; ses
principes étaient bons; mais elle les a poussés trop loin; elle a abusé de son
droit.»
Les doctrinaires repoussèrent l’une et l’autre de ces assertions; ils se
défendirent à la fois et du retour aux maximes de l’ancien régime, et de
l'adhésion, même purement spéculative, aux principes révolutionnaires.
En acceptant franchement la nouvelle société française telle que toute notre
histoire, et non pas seulement 1789, la faite, ils entreprirent de fonder son
gouvernement sur des bases rationnelles et pourtant tout autres que les théories
au nom desquelles on avait détruit l'ancienne société, ou les maximes
incohérentes qu’on essayait d'invoquer pour la reconstruire. Appelés tour à tour
à combattre et à défendre la Révolution, ils se placèrent, dès l’abord et
hardiment, dans l’ordre intellectuel, opposant des principes à des principes,
faisant appel non seulement à l'expérience, mais aussi à la raison, affirmant des
droits au lieu de n’alléguer que les intérêts, et demandant à la France, non pas
de confesser qu’elle n'avait fait que le mal, ni de se déclarer impuissante pour
le bien, mais de sortir du chaos où elle s'était plongée et de relever la tête vers
le ciel pour y trouver la lumière.

Je me hâte d’en convenir; il y avait aussi, dans cette tentative, un grand orgueil,
mais un orgueil qui commençait par un acte d'humilité, car il proclamait les
terreurs d'hier en même temps que la volonté et l'espérance de n’y pas retomber
aujourd’hui. C'était à la fois rendre hommage à l'intelligence humaine et
l’avertir des limites de sa puissance; c'était faire acte de respect pour le passé
sans défection envers le présent et sans abandon de l'avenir. C'était
entreprendre de donner à la politique une bonne philosophie, non pour
souveraine maîtresse, mais pour conseillère et pour appui.

Ce fut à ce mélange d’élévation philosophique et de modération politique, à ce


respect rationnel des droits et des faits divers, à ces doctrines à la fois nouvelles
et conservatrices, antirévolutionnaires sans être rétrogrades, et modestes au
fond quoique souvent hautaines dans leur langage, que les doctrinaires durent

23
leur importance comme leur nom. […] Les doctrinaires […] avaient à cœur
l'honneur intellectuel comme le bon ordre de la société; leurs idées se
présentaient comme propres à régénérer en même temps qu’à clore la
Révolution. Et ils avaient, là ce double titre, tantôt avec ses partisans, tantôt
avec ses adversaires, des points de contact qui leur attiraient, sinon une
complète sympathie, du moins une sérieuse estime : le côté droit les tenait pour
des royalistes sincères, et le côté gauche même en les combattant avec aigreur,
savaient bien qu'ils n'étaient les défenseurs ni de l’ancien régime ni du pouvoir
absolu.

François Guizot, Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps, Paris, 1858,
t. 1 Ch. 5. p. 157 sqq.

Questions :

1) Recherchez dans le cours l’origine du nom de doctrinaires qui fut attribué


aux politiciens cités dans le texte de Thureau Dangin.
2) les doctrinaires voulaient « nationaliser la monarchie et royaliser la France ».
montrez en quoi ce texte répond à cet objectif.

Le gouvernement des modérés 1816-1820.

DOC. 14 Loi électorale du 5 février 1817 _Loi Laîné

Article 1 - Tout Français jouissant des droits civils et politiques de, âgé de
trente ans accomplis, et payant 300 francs de contributions directes, est appelé
à concourir à l’élection des députés du département où il a son domicile
politique.

Article 2 - Pour former la masse des contributions nécessaires à la qualité


d’électeur ou d’éligible, on comptera à chaque Français les contributions
directes qu'il paye dans tout le royaume.
[…]
Article 4 Nul ne peut exercer les droits d’électeur dans deux départements.

Article 5 - Le préfet dressera, dans chaque département, la liste des électeurs


qui sera imprimée et affichée. Il statuera provisoirement, en conseil de
préfecture, sur les réclamations. sans préjudice du recours de droit,
(quel ne pourra néanmoins suspendre les élections.
[…]
Article 7- I1 n’y a dans chaque département qu’un seul collège électoral, il est
composé de tous les électeurs dont il nomme directement les députés à la
Chambre.

Article 8 - Les collèges électoraux sont convoqués par le Roi ; ils ne peuvent
s'occuper d’autres objets que de l'élection des députés; toute discussion, toute
déclaration leur sont interdites.

24
Article 9 Les électeurs se réunissent en une seule assemblée, dans les
départements où leur nombre n’excède pas 600. Dans ceux où il y en a plus de
600, le collège électoral est divisé en sections, dont chacune ne peut être
moindre de 300 électeurs. Chaque section concourt directement à la
nomination des députés, que le collège électoral doit élire.

[…]
Article 11 Les électeurs votent par bulletins de liste. Il n’y a que trois tours de
scrutin.
[…]
Article 19 Les députés à la Chambre ne reçoivent ni traitement indemnités.

Bulletin des Lois. Série VII. T. IV. N° 137. p. 113

Questions :

1) Quel type de suffrage est mis en vigueur ?


2) Est-ce une nouveauté ?

b) DOC.15 L'accord sur le principe : La propriété, base du droit


d’électorat.

La Charte, et c’est là une des plus grandes vues de son auguste fondateur, la
Charte a fait porter son système électoral tout entier sur la propriété. Et certes
dans le renversement violent de toutes nos institutions dans cette destruction
absolue de tout ce qui existait d'honorable ou d’utile, dans ce naufrage général
de toute vertu, de tout sentiment généreux, de toute mora
rale, il avait bien fallu s'attacher à la seule planche qui nous restait encore.
C’est donc là aussi, Messieurs cette planche qu’il faut saisir: nous ne pouvons
pas nous flatter de rencontrer toujours des hommes d'un caractère honorable,
d’un talent connu, d’une moralité éprouvée
ce sont des exceptions qu'il faut découvrir : mais en matière d'élection, il faut
des bases plus générales. ll en faut surtout qui puissent offrir une garantie plus
universelle; et quelle garantie, en ce genre, plus universelle de la propriété ? .
Le propriétaire ne peut pas ne pas aimer son pays; il tient au sol par des
racines qui prennent chaque jour plus de force; il a un grand intérêt à l’ordre, à
la stabilité du gouvernement, à sa légitimité, au repos public ; cet intérêt doit
même naturellement augmenter sans cesse ;
les révolutions doivent l'effrayer; tout ce qui est trouble même, tout ce qui est
désordre, fermentation , mouvement, doit lui donner de vives sollicitudes ; son
plus grand besoin doit être de s’en affranchir,et comme il ne peut s’en
affranchir qu’en concourant
lui-même à la tranquillité générale, en l'affermissant, en l'appuyant sur des
bases qu'on ne puisse pas renverser il est impossible qu'il ne travaille pas à y
contribuer de tout son pouvoir.

Raymond DE SÈZE. Chambre des pairs, 30 janvier 1817, Arch. Parl.T. XVIII.
p. 463.

25
Question

Comment l’auteur justifie t’il le régime censitaire ?

DOC.16 Loi du 29 juin 1820 sur les élections : le double vote

Article premier. - Il y a dans chaque département un collège électoral de


département et des collèges électoraux d'arrondissement. - Néanmoins,
tous les électeurs se réuniront en un seul collège dans les départements
qui n'avaient, à l'époque du 5 février 1817, qu'un député à nommer ;
dans ceux où le nombre des électeurs n'excède pas trois cents, et dans
ceux qui, divisés en cinq arrondissements de sous-préfectures, n'auront
pas au-delà de quatre cents électeurs.

Art. 2. - Les collèges de département sont composés des électeurs les


plus imposés, en nombre égal au quart de la totalité des électeurs du
département. - Les collèges de département nomment cent soixante-
douze nouveaux députés, conformément au tableau annexé à la
présente loi. Ils procéderont à cette nomination pour la session de 1820.
- La nomination des deux cent cinquante-huit députés actuels est
attribuée aux collèges d'arrondissements électoraux à former dans
chaque département en vertu de l'article 1er, sauf les exceptions portées
au paragraphe 2 du même article. - Ces collèges nomment chacun un
député. Ils sont composés de tous les électeurs ayant leur domicile
politique dans l'une des communes comprises dans la circonscription
de chaque arrondissement électoral. Cette circonscription sera
provisoirement déterminée, pour chaque département, sur l'avis du
conseil général, par des ordonnances du roi, qui seront soumises à
l'approbation législative dans la prochaine session. - Le cinquième des
députés actuels qui doit être renouvelé sera nommé par les collèges
d'arrondissement. - Pour les sessions suivantes, les départements qui
auront à renouveler leur députation la nommeront en entier d'après les
bases établies par le présent article.

......................................................................................................

Art. 4. - Les contributions directes ne seront comptées, pour être


électeur ou éligible, que lorsque la propriété foncière aura été possédée,
la location faite, la patente prise et l'industrie sujette à patente exercée
une année avant l'époque de la convocation du collège électoral…

......................................................................................................

Art. 7. - Nul ne peut être élu député aux deux premiers tours de scrutin,
s'il ne réunit au moins le tiers plus une des voix de la totalité des
membres qui composent le collège, et la moitié plus un des suffrages
exprimés.
26
......................................................................................................

Art. 11. - Les dispositions des lois des 5 février 1817 et 25 mars 1818
auxquelles il n'est pas dérogé par la présente, continueront d'être
exécutées, et seront communes aux collèges électoraux de département
et d'arrondissement.

Question : comment analysez-vous cette loi au regard du droit de suffrage


électoral ?

DOC.17 Loi militaire : 10 mars 1818, Loi Gouvion Sainr-Cyr

1 L'armée se recrute par des engagements volontaires et en cas d'insuffisance,


par des appels faits suivant les règles prescrites ci-après.

2- Tout Français sera reçu à contracter un engagement volontaire, sur la preuve


qu'il est âgé de18 ans, qu'il jouit de ses droits civils et qu'il peut être admis dans
le corps pour lequel il se présente...

3 - La durée des engagements volontaires sera de six ans dans les légions
départementales et de huit ans dans les autres corps. ;

5- Le complet de paix de l'armée, officiers et sous-officiers compris, est fixé à


240.000 hommes. Les appels faits en vertu de l’art. 1er ne pourront dépasser en
complet, ni excéder annuellement le nombre de 40,000 hommes, En cas de
besoins plus grands, il y sera pourvu par une loi,

6 Chaque année, dans les limites fixées par l'art. 5, le nombre d'hommes
appelé sera réparti entre les départements, arrondissements et cantons,
proportionnellement à leur population.

7- Le contingent assigné à chaque canton sera fourni par un tirage au sort entre
les jeunes Français qui auront leur domicile légal dans le canton, et qui auront
atteint l’âge de vingt ans révolus, dans le courant le l'année précédente,

Suivent les formalités du tirage au sort et l'énumération des cas d’exemptions


ou de dispenses.

18 Les jeunes gens définitivement appelés à faire partie du contingent pourront


se faire remplacer.

20- La durée de service des soldats appelés sera de six ans.

23 - Le sous-officiers et soldats rentrés dans leurs foyers, après avoir achevé


leur temps de service, seront assujettis, en cas de guerre, à un service territorial
dont la durée est fixée à six ans sous la dénomination de vétérans….

Questions :
27
1) A quand remonte la conscription ?
2) Cette loi est-elle égalitaire ?

DOC.18 La montée en puissance du libéralisme

S. Berstein, M. Winock, L’invention de la démocratie, 1789-1814, Paris, le


Seuil, 2008.

En même temps que Charles X mécontente ceux qui sont ses alliés naturels, un
camp se constitue qui rassemble, provisoirement, les différentes familles
libérales avec les républicains plus radicaux, en passant par les anticléricaux
révulsés par les prétentions théocratiques. La société française est agitée par
leurs mouvements plus ou moins secrets : ouvertement, l'association Aide-toi
le Ciel t'aidera soutient activement et efficacement les libéraux au moment des
élections. La Charbonnerie, implantée dans tout le pays, a tenté des coups de
force dès 1821-1822 qui ont été sévèrement réprimés, continue son action mais
elle n’est qu’un courant parmi tous ceux qui, au même moment, rassemblent
des jeunes gens désireux d’imaginer de nouveaux cadres de vie. Une recherche
tumultueuse mêle toutes les aspirations et ose tous les rapprochements :
messianisme révolutionnaire devant se réaliser dans les communautés,
inventions de relations personnelles tout à la fois mystiques et économiques
des saint-simoniens, critique sociale issue du catholicisme, vision fouriériste
d’un univers organisé jusque dans les concordances psychologiques, les
rénovations sociales les plus inédites sont envisagées pour trouver une issue à
la crise ouverte depuis 1789, débouchant sur des solutions qualifiées plus tard
d’utopiques. Naissent ainsi des sociétés industrielles, mâtinées de mysticisme,
des phalanstères réunissant des contractants représentatifs des types humains,
ou des familistères, toutes organisations qui associent les dimensions humaines
et spirituelles aux considérations politiques et sociales pour réussir là où la
Révolution a échoué. Il faut examiner ces projets avec indulgence puisqu'ils
essaient de résoudre les tensions apparues précisément
entre l'Etat et la Nation, qu’ils engendreront ici et là des organismes durables
actifs localement et qu’ils diffusent une culture politique parmi les classes
populaires qui abandonnent
peu à peu des pratiques violentes traditionnelles . Dans l’immédiat, ces
courants instables contribuent davantage à alourdir le climat qu’à impulser une
ligne politique. 1848 leur devra
beaucoup, dans sa réussite initiale comme dans ses échecs. Bien plus tard, ils
inspireront des situations « alternatives aux sociétés occidentales ou
soviétiques. Grâce à eux, l’héritage révolutionnaire est réinterprété et trouve
une seconde jeunesse.
Les libéraux, qu’ils insistent sur le recours aux notables détenteurs de la raison
d’État, sur les libertés individuelles sur un catholicisme considéré comme
garant de la démocratie forment toujours l’aile marchante de la critique du
régime regroupent derrière eux tous ceux, toujours plus nombreux qui se
sentent bridés par les lois toujours plus réactionnaires.
Les mouvements culturels renforcent la tendance, puisque les romantiques
français (même si le mot recouvre une réalité complexe, voire contradictoire)

28
qui avaient enraciné initialement leur esthétique dans la défense de la
catholicité et de la monarchie, contre la raison et la Révolution, glissent peu à
peu vers un libéralisme artistique qui se combine avec le libéralisme politique
et qui attire les jeunes générations. L’évolution de Victor Hugo, qui devient
précisément en 1830, l’un des chefs de cette sensibilité est significative. La
préface d’Hernani affirmant, en mars 1830, que « le romantisme n’est à tout
prendre, que le libéralisme en littérature », illustre l’effritement de la position
de la monarchie traditionnelle dans tous les domaines. Hugo incarne l’une des
« voix de la liberté selon la formule de M. Winock, qui s'élève contre le régime
avec d’autant plus d’éclat qu’il en avait été un des soutiens remarqués dix ans
plus tôt.

L’isolement des royalistes de stricte obédience est alors irrémédiable,


annonçant la marginalisation du courant traditionnaliste monarchique dans
l’univers politique du pays. Le poids de l’histoire récente empêche de trouver
des compromis entre des camps dorénavant irréconciliables au nom du passé.
Les étudiants, qui apparaissent véritablement comme groupe
social, réclament la liberté au nom des principes de la Révolution que de jeunes
gens, Mignet et Thiers, exposent avec nuances et conviction, justifiant par
l’histoire inéluctable les
aspirations des nouvelles couches sociales. Les premiers succès de la conquête
algérienne ne rallient pas la Nation autour Charles X, mais profiteront à son
successeur. Le divorce est inévitable entre une opinion qui a basculé et un
souverain réactionnaire, accumulant les maladresses et refusant les
négociations, Les Journées de juillet 1830 amenées par la radicalisation
progressive des positions dénouent brutalement la situation. Les forces vives
du pays ont abandonné la monarchie traditionnelle. Après 1830, les légitimistes
français participeront à une internationale « noire », qui luttera au Portugal, en
Espagne, puis en Italie contre les libéraux et les États qui les souticnnent, la
France et l’Angleterre. Les carlistes espagnols, fidèles à leur roi déchu, se
réfugient en France où ils trouvent un soutien auprès des populations
favorables à Charles X, le tout sous la surveillance des agents de Louis-
Philippe pourchassant les réseaux clandestins des légitimistes français ! Ces
minorités resteront longtemps porteuses de nostalgies ; mais elles ont échoué à
rassembler autour d’elles des adhésions populaires, n'ayant pas pu
contrebalancer par les rappels de la grandeur royale, la force des mythes de
l’État et de la Nation unifiés par les souvenirs de 1789, de 1793 et des guerres
impériales

Questions sur le texte :


1) Recherchez dans le texte quel est le support de l’action des libéraux dans les
années 1820.
2) quelles sont les oppositions au régime de Charles X ?
3) expliquez le sens de phalanstères et familistères dont il est question dans le
texte.
4) A qui s’opposent principalement les libéraux ? Pourquoi ?
5) Quelle a été le facteur décisif de la chute du régime de Charles X ?
6) Lorsque l’auteur évoque « l’État et la Nation unifiés par les souvenirs de
1789, de 1793 et par les guerres impériales », est-ce à ses yeux une réalité ?

29
Révolutionnaires et socialistes

Jusqu'en 1835, le régime de Louis-Philippe a dû faire face à la frustration


armée des lendemains de Juillet. Dans un climat de haute tension, où se
combinent la protestation politique et la revendication sociale, les funérailles
du général Lamarque, en 1832, sont l’occasion d’une émeute. Lyon connaît en
1831 la révolte des canuts, insurrection proprement sociale ; mais, en 1834, la
même ville est le théâtre de nouveaux troubles, où les tisserands, tenant encore
le haut du pavé, mêlent cette fois leur volonté combattante à celle des
républicains: la conscience de classe nourrit la conscience politique. À Ia
méme date, le soulèvement d’une partie du peuple parisien est réprimé dans le
sang, Daumier immortalisant de son fusain le drame de « la rue Transnonain ».

Une « culture de l'insurrection » (P. Rosanvallon), issue de la Révolution, ne


cesse de motiver la formation des société secrètes, L’insurrection n’est pas
l’émeute, qui est aveugle. Elle est le soulèvement du peuple opprimé, interdit
de souveraineté : « Le suffrage universel, écrira Victor Hugo dans Les
Misérables, a cela d’admirable qu’il dissout l’émeute dans son principe, et
qu’en donnant le vote à l’insurrection, il lui ôte l'arme !. » Pour des esprits plus
avancés encore, l'insurrection est le peuple même, la grande voix du peuple
portée sur les barricades. Nul mieux qu’Auguste Blanqui n’a incarné cette
culture insurrectionnelle. Après l’échec de l'insurrection parisienne de 1834,
Blanqui est l’un des fondateurs de la Société des Familles, dirigée par un
comité secret, et qui compte un millier de recrues en 1836. L'organisation étant
découverte, Blanqui et Barbès sont au nombre des 43 inculpés jugés en août
1836. Le premier est condamné à deux ans et le second à un an de prison. Une
autre société prend la relève des Familles, celle des Saisons. Blanqui et Barbès
en sont, après leur libération. Très cloisonnée, l’organisation secrète avait pour
base la Semaine, dont le chef s’appelle Dimanche ; quatre semaines forment un
Mois, dont le chef s’appelle Printemps. Quatre saisons forment une Année,
avec pour chef un Agent révolutionnaire, ce qu’étaient Blanqui et Barbès.
Mobilisés en permanence, les conjurés passèrent à l’action le 12 mai 1839.
Blanqui avait tout prévu : les bâtiments à occuper, la localisation des barricades
à construire ; les lieux de pouvoir à investir l'Hôtel de Ville, la préfecture de
police et la préfecture de la Seine. Les ordres furent envoyés aux conjurés pour
le 12 mai, des armes, tirées de leurs cachettes, furent distribuées. Sans trop de
difficultés, les insurgés parvinrent à l’Hôtel de Ville où Barbès lut une
proclamation, donnant les noms d’un gouvernement provisoire, où figuraient
Barbès, Voyer d’Argenson, Blanqui, Lamennais, Martin-Bernard, Dubosc,
Laponneraye. En quelques heures, la garde municipale rétablit l’ordre ; Barbès
fut arrêté après une ultime résistance, Blanqui put s'échapper. Le lendemain,
quelques barricades furent encore construites, des coups de feu de nouveau
échangés, mais sans suite : l’échec de l’insurrection était patent. Les conjurés
avaient eu 66 tués et les forces de l’ordre 28 : la tentative des Saisons n’avait
pas été une plaisanterie. La répression qui suivit ne le fut pas davantage.

Il y eut 542 inculpations, qui touchaient en majorité des ouvriers qualifiés,


jeunes pour la plupart. Barbès fut condamné à mort avant que sa peine ne fût

30
commuée en déportation. Blanqui arrêté à son tour en octobre, subit la même
peine. De nombreux condamnés avaient déjà été poursuivis pour leur activisme
républicain, composant une sorte de réserve de révolutionnaires professionnels.
Leur erreur et celle de leurs chefs avait été de croire que, à partir de la prise de
l'Hôtel de Ville, ils parviendraient à mobiliser la population parisienne ; or,
dans son ensemble, le « peuple » resta inactif.

Blanqui reste en prison jusqu’à la révolution de 1848, mais le blanquisme n’est


pas mort. L’idée principale en est que la nouvelle révolution, décisive cette fois,
se produira par un coup de force, mené par une avant-garde, capable de rallier
l’ensemble du peuple. Une dictature parisienne suivra, qui établira un nouveau
régime politique et social. Ce volontarisme est intrinsèquement guerrier.
Hostile à l’armée permanente, considéré par lui comme une caste aux mains de
l’État bourgeois, Blanqui n’en manifeste pas moins un patriotisme à tous crins,
voire une certaine forme de militarisme qu'on retrouve au cœur de son projet
insurrectionnel: «En présence des prolétaires armés, obstacles, résistances,
impossibilités, tout disparaitra ». Mais il s’agit d’un prolétariat guidé : c’est «
l’intelligence » qui doit diriger les masses : « Le travail, c’est le peuple ;
l’intelligence, ce sont les hommes de dévouement qui les conduisent. »
Conception singulièrement élitiste de la révolution, dont la préparation échoit à
une avant-garde éclairée qui ne se laisse pas abuser par le mirage de la
démocratie, du suffrage universel. De même, Blanqui est hostile à l’association
ouvrière, parce qu’elle détourne de la vraie révolution les ouvriers les plus
intelligents. Héritier spirituel de Hébert, le rédacteur du Père Duchêne, Blanqui
pose l’action radicale en catégorie morale, en exaltant le thème romantique de
l’énergie.
Antiparlementaire, peu soucieux de rédiger un programme socialiste élaboré,
fort peu doctrinaire donc, Blanqui et le blanquisme ont diffusé le mythe du
révolutionnarisme, la révolution trouvant sa finalité dans l’insurrection même.

Le blanquisme se distingue donc nettement des autres courants socialistes qui


prennent force dans les années 1840. Louis Blanc, qui a publié son
Organisation du travail, verse aussi dans le principe d’autorité, puisque, pour
lui, c’est l’État qui doit garantir le nouvel ordre économique rationnel, en
contrôlant les industries clés, en ouvrant des ateliers sociaux, en régulant la
production économique générale. Mais l’État qu’il conçoit ne sera pas édifié à
coups de fusil : le suffrage universel en sera la source légitime, À l'inverse, des
courants socialistes entendent se passer de l'État en prônant l’association
ouvrière de production qu’abhorre Blanqui. Buchez imagine créer à travers elle
une sorte de socialisme chrétien, dont on rencontre l’écho dans L'Atelier,
journal ouvrier rédigé par des ouvriers.
Les buchéziens s’en prennent au socialisme installé par le haut ; les ouvriers
doivent compter sur eux-mêmes pour s'émanciper, créer des entreprises
autogestionnaires avant la lettre : « Nous voulons qu’il n’y ait plus, dans
l’avenir, des maîtres et des ouvriers, mais seulement des associés travaillant
tous en vue de la prospérité, sans rivalité les uns contre les autres. » Il y a dans
ce courant ouvrier associatif, plus ou moins teinté de religiosité chrétienne, une
modération qui ne peut que déplaire à Bianqui.

31
De même, le socialisme utopique d’Étienne Cabet, auteur du Voyage en Icarie
à grand succès.
Opposé à la violence, il a foi dans une transformation progressive de la société,
grâce à un régime démocratique transitoire issu du suffrage universel, qui
établira l'inégalité décroissant le droit au travail, le salaire minimum, en
attendant la socialisation générale de l’économie. Refus des conspirations, rèjet
de Ia violence, c’est aussi le parti pris de Proudhon, défenseur de l’anarchie, un
temps admiré par Marx pour son essai sur la propriété, et qui développe une
théorie de la banque du peuple. Tous ces mouvements de pensée, auxquels il
faut joindre les noms de Pierre Leroux, de Constantin Pecqueur, de tant
d’autres, favoriseront un climat spécifique à la révolution de 1848, qui fut
considérée comme la première révolution socialiste. Les deux méthodes, celle
du socialisme insurrectionnel et celle du socialisme ouvrier s’y affronteront.

Questions :

1) Dans le texte, il est question de Barbès, Blanqui, Louis Blanc, Cabet,


Buchez Proudhon : dans un tableau présentez la période où ils vivent, leur
milieu d’origine, leurs idées (petite recherche)
2) Dans le texte relevez et justifier ceux qui selon l’auteur ont une culture de
l’insurrection ?
3) Quels socialistes préfèrent, dans le texte, utiliser la voie légale.
4) Qui était Lamenais ? Quelles furent sa vie et ses idées ? (petite recherche)

II L a M o n a r c h i e d e J u i l l e t ( 1830- 1848).

Revoir le cours sur les thèmes :

1) Qui est à gauche, qui est à droite sous la Restauration ? Sous la Monarchie
de Juillet ? (voir les forces politiques en présence).
2) Que peut-on dire de l’opinion ?
3) Quelles sont les grandes phases du régime ?

TRAVAIL A EFFECTUER :

comparer les deux Chartes celle de 1814 et celle de 1830 : droit de


suffrage, le statut du souverain, les pouvoirs législatif et exécutif ainsi
que leurs rapports.

Doc. 1 Charte constitutionnelle du 14 août 1830 (Extraits)

LOUIS-PHILIPPE, ROI DES FRANÇAIS, à tous présents et à venir,


SALUT.

NOUS AVONS ORDONNÉ ET ORDONNONS que la Charte


constitutionnelle de 1814, telle qu'elle a été amendée par les deux

32
Chambres le 7 août et acceptée par nous le 9, sera de nouveau publiée
dans les termes suivants :

Droit public des Français

Article 1. - Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient
d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.

Article 2. - Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur


fortune, aux charges de l'Etat.

Article 3. - Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et


militaires.

Article 4. - Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne


pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi et
dans la forme qu'elle prescrit.

Article 5. - Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient


pour son culte la même protection.

Article 6. - Les ministres de la religion catholique, apostolique et


romaine, professée par la majorité des Français, et ceux des autres
cultes chrétiens, reçoivent des traitements du Trésor public.

Article 7. - Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs


opinions en se conformant aux lois. - La censure ne pourra jamais être
rétablie.

Article 8. - Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception


de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence
entre elles.

Article 9. - L'Etat peut exiger le sacrifice d'une propriété pour cause


d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité préalable.

Article 10. - Toutes recherches des opinions et des votes émis jusqu'à la
Restauration sont interdites : le même oubli est commandé aux
tribunaux et aux citoyens.

Article 11. - La conscription est abolie. Le mode de recrutement de


l'armée de terre et de mer est déterminé par une loi.

Formes du gouvernement du roi

Article 12. - La personne du roi est inviolable et sacrée. Ses ministres


sont responsables. Au roi seul appartient la puissance exécutive.
33
Article 13. - Le roi est le chef suprême de l'Etat ; il commande les forces
de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et
de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et
fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois,
sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes ni dispenser de
leur exécution. - Toutefois aucune troupe étrangère ne pourra être
admise au service de l'Etat qu'en vertu d'une loi.

Article 14. - La puissance législative s'exerce collectivement par le roi, la


Chambre des pairs et la Chambre des députés.

Article 15. - La proposition des lois appartient au roi, à la Chambre des


pairs et à la Chambre des députés. - Néanmoins toute loi d'impôt doit
être d'abord votée par la Chambre des députés.

Article 16. - Toute loi doit être discutée et votée librement par la
majorité de chacune des deux Chambres.

Article 17. - Si une proposition de loi a été rejetée par l'un des trois
pouvoirs, elle ne pourra être représentée dans la même session.

Article 18. - Le roi seul sanctionne et promulgue les lois.

Article 19. - La liste civile est fixée pour toute la durée du règne par la
première législature assemblée depuis l'avènement du roi.

De la Chambre des pairs

Article 20. - La Chambre des pairs est une portion essentielle de la


puissance législative.

Article 21. - Elle est convoquée par le roi en même temps que la
Chambre des députés. La session de l'une commence et finit en même
temps que celle de l'autre.

Article 22. - Toute assemblée de la Chambre des pairs qui serait tenue
hors du temps de la session de la Chambre des députés, est illicite et
nulle de plein droit, sauf le seul cas où elle est réunie comme cour de
justice, et alors elle ne peut exercer que des fonctions judiciaires.

Article 23. - La nomination des pairs de France appartient au roi. Leur


nombre est illimité : il peut en varier les dignités, les nommer à vie ou
les rendre héréditaires, selon sa volonté.

34
Article 24. - Les pairs ont entrée dans la Chambre à vingt-cinq ans, et
voix délibérative à trente ans seulement.

Article 25. - La Chambre des pairs est présidée par le chancelier de


France, et, en son absence, par un pair nommé par le roi.

Article 26. - Les princes du sang sont pairs par droit de naissance : ils
siègent immédiatement après le président.

Article 27. - Les séances de la Chambre des pairs sont publiques,


comme celles de la Chambre des députés.

Article 28. - La Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison
et des attentats à la sûreté de l'Etat, qui seront définis par la loi.

Article 29. - Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la


Chambre et jugé que par elle en matière criminelle.

De la Chambre des députés

Article 30. - La Chambre des députés sera composée des députés élus
par les collèges électoraux dont l'organisation sera déterminée par des
lois.

Article 31. - Les députés sont élus pour cinq ans.

Article 32. - Aucun député ne peut être admis dans la Chambre, s'il
n'est âgé de trente ans et s'il ne réunit les autres conditions déterminées
par la loi.

Article 33. - Si néanmoins il ne se trouvait pas dans le département


cinquante personnes de l'âge indiqué payant le cens d'éligibilité
déterminé par la loi, leur nombre sera complété par les plus imposés
au-dessous du taux de ce cens, et ceux-ci pourront être élus
concurremment avec les premiers.

Article 34. - Nul n'est électeur, s'il a moins de vingt-cinq ans, et s'il ne
réunit les autres conditions déterminées par la loi.

Article 35. - Les présidents des collèges électoraux sont nommés par les
électeurs.

Article 36. - La moitié au moins des députés sera choisie parmi les
éligibles qui ont leur domicile dans le département.

Article 37. - Le président de la Chambre des députés est élu par elle à
l'ouverture de chaque session.
35
Article 38. - Les séances de la Chambre sont publiques mais la demande
de cinq membres suffit pour qu'elle se forme en Comité secret.

Article 39. - La Chambre se partage en bureaux pou discuter les projets


qui lui ont été présentés de la part du roi.

Article 40. - Aucun impôt ne peut être établi ni perçu, s'il n'a été
consenti par les deux Chambres et sanctionné par le roi.

Article 41. - L'impôt foncier n'est consenti que pour un an. Les
impositions indirectes peuvent l'être pour plusieurs années.

Article 42. - Le roi convoque chaque année les deux Chambres : il les
proroge et peut dissoudre celle des députés ; mais, dans ce cas, il doit
en convoquer une nouvelle dans le délai de trois mois.

Article 43. - Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un
membre de la Chambre durant la session et dans les six semaines qui
l'auront précédée ou suivie.

Article 44. - Aucun membre de la Chambre ne peut, pendant la durée


de la session, être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, sauf le cas
de flagrant délit, qu'après que la Chambre a permis sa poursuite.

Article 45. - Toute pétition à l'une ou à l'autre des Chambres ne peut


être faite et présentée que par écrit : la loi interdit d'en apporter en
personne et à la barre.

Des ministres

Article 46. - Les ministres peuvent être membres de la Chambre des


pairs ou de la Chambre des députés. - Ils ont en outre leur entrée dans
l'une ou l'autre Chambre et doivent être entendus quand ils le
demandent.

Article 47. - La Chambre des députés a le droit d'accuser les ministres et


de les traduire devant la Chambre des pairs qui seule a celui de les
juger.

De l'Ordre judiciaire

Article 48. - Toute justice émane du roi ; elle s'administre en son nom
par des juges qu'il nomme et qu'il institue.

Article 49. - Les juges nommés par le roi sont inamovibles.

36
[…]

Article 58. - Le roi a le droit de faire grâce et celui de commuer les


peines.
Article 59. - Le Code civil et les lois actuellement existantes qui ne sont
pas contraires à la présente charte restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y
soit légalement dérogé.
…..

Doc.2 La Monarchie de Juillet : une monarchie " bourgeoise "


Un témoin de la Monarchie de Juillet, Alexis de Tocqueville.

"Notre histoire, de 1789 à 1830, vue de loin et dans son ensemble, ne


doit apparaître que comme le tableau d’une lutte acharnée entre
l’ancien régime, ses traditions, ses souvenirs, ses espérances et ses
hommes représentés par l’aristocratie, et la France nouvelle conduite
par la classe moyenne. 1830 a clos cette première période de nos
révolutions ou plutôt de notre révolution, car il n’y en a qu’une seule,
révolution toujours la même à travers des fortunes diverses, que nos
pères ont vu commencer et que, suivant toute vraisemblance, nous ne
verrons pas finir. En 1830, le triomphe de la classe moyenne avait été
définitif et si complet que tous les pouvoirs politiques, toutes les
franchises, toutes les prérogatives, le gouvernement tout entier se
trouvèrent renfermés et comme entassés dans les limites étroites de
cette seule classe [la bourgeoisie], à l’exclusion, en droit, de tout ce qui
était au-dessous d’elle et, en fait, de tout ce qui avait été au-dessus. Non
seulement elle fut ainsi la directrice unique de la société, mais on peut
dire qu’elle en devint la fermière. (...)

L’esprit particulier de la classe moyenne devint l’esprit général du


gouvernement ; il domina la politique extérieure aussi bien que les
affaires du dedans : esprit actif, industrieux, souvent déshonnête,
généralement rangé, téméraire quelquefois par vanité et par égoïsme,
timide par tempérament, modéré en toute chose, excepté dans le goût
du bien-être, et médiocre ; esprit, qui, mêlé à celui du peuple ou de
l’aristocratie, peut faire merveille, mais qui, seul, ne produira jamais
qu’un gouvernement sans vertu et sans grandeur. Maîtresse de tout
comme ne l’avait jamais été et ne le sera peut-être jamais aucune
aristocratie, la classe moyenne, devenue le gouvernement, prit un air
d’industrie privée ; elle se cantonna dans son pouvoir et, bientôt après,
dans son égoïsme, chacun de ses membres songeant beaucoup plus à
ses affaires privées qu’aux affaires publiques et à ses jouissances qu’à la
grandeur de la nation."

A. de Tocqueville, Souvenirs, Paris, 1986, p. 730, (juillet 1850).

Questions :
37
1) Comment Tocqueville voit la classe moyenne ? De quoi est-elle le
support ?
2)
Quelle catégorie sociale triomphe selon lui dans la révolution de 1830 ?

Doc.3 Duvergier de Hauranne membre de l’opposition parlementaire,


condamne la corruption politique et dépose un projet de réforme
électorale.

" Nous avons vu croître ce mal, nous le voyons se développer petit à


petit. D’abord c’était le Gouvernement voulant faire arriver dans un
collège un candidat de son opinion qui, à l’aide de mille petites
bienveillances locales, cherchait à lui donner l’embryon d’une
popularité nécessaire mais artificielle. Puis nous avons vu surgir à côté
du député d’opposition en exercice, l’aspirant ministériel, partout, pour
son futur collège, chargé de faveurs et de promesses et travaillant à
rallier ainsi à la longue toutes les petites ambitions électorales. Mais,
quand les électeurs se sont ainsi vu tenter, les mauvais sentiments se
sont développés, les tentés sont devenus tentateurs - ils n’ont plus
attendu qu’on leur offrit ; ils se sont mis à exiger ; ils n’ont plus fait de
la nomination du député une affaire politique, une question de
préférence pour tel ou tel système de gouvernement, ils en ont fait une
spéculation pour leurs intérêts privés et ceux de leurs parents et amis.
Des électeurs ont osé dire : Si vous faites faire telle nomination, ou si
vous me faites obtenir telle faveur, tel avantage, vous aurez ma voix ;
sinon, je la donnerai à votre adversaire. "

Le Moniteur Universel, 25 mars 1847, in Chaulanges-Manry-Sève,


Textes historiques 1815-1848, Paris, 1974.

Question

Quel détournement de la politique dénonce Duvergier de Hauranne


dans le texte ?

Doc. 4 Alexis de Tocqueville décrit en juillet 1850, le vide politique


en France en 1847.

« Dans ce monde politique (...) ce qui manquait le plus (...) c’était la vie
politique elle-même. Elle ne pouvait guère naître ni se soutenir dans le
cercle légal que la constitution avait tracé ; l’ancienne aristocratie était
vaincue, le peuple était exclu. Comme toutes les affaires se traitaient
entre les membres d’une seule classe, dans son intérêt, dans son esprit,
on ne pouvait trouver de champ de bataille où de grands partis
puissent se faire la guerre. Cette singulière homogénéité de position,
d’intérêt et, par conséquent, de vues, qui régnait dans ce que M. Guizot
38
avait appelé le pays légal, ôtait aux débats parlementaires toute
originalité et toute réalité, partant toute passion vraie. ».

Tocqueville, Souvenirs, Paris, 1986, p. 731-732.

Questions

1) Avec le cours, donnez la définition de ce que Tocqueville nomme le


pays légal. A quoi l’oppose t’on traditionnellement en Science
politique ?
2) Avec le cours expliquez ce qu’écrit Tocqueville dans le texte sur le
vide politique qui règne en 1847.

Les idées des partis face au nouveau régime de la Monarchie de Juillet

a) DOC.5 Les légitimistes, leur fidélité aux Bourbons.

Une question préalable doit être traitée, si le trône est vacant, nous sommes
libres de choisir la forme de notre gouvernement.
Avant d'offrir la couronne à un individu quelconque, il est bon de savoir dans
quelle espèce d’ordre politique nous constituerons l'ordre social. Etablirons-
nous une république ou une monarchie nouvelle ?.….

Une république aurait d’abord contre elle les souvenirs de la république même.
Ces souvenirs ne sont nullement effacés.

Pas d’unanimité en France; serait-elle fédérative ou unitaire ? Un président,


peu défendu par les lois, avili, insulté, n'aurait « ni la confiance du commerce
et de la propriété, ni la dignité convenable pour traiter avec les cabinets
étrangers, ni la puissance nécessaire au maintien de l’ordre intérieur ». La
république risquerait de nous mettre en conflit avec les gouvernements qui
nous environnent.

Un roi nommé par les Chambres ou élu par le peuple sera toujours, quoi qu’on
fasse, une nouveauté. Or, je suppose qu'on veut la liberté, surtout la liberté de
la presse. Toute monarchie nouvelle sera forcée, ou plus tôt ou plus tard, de
baillonner cette liberté. Fille nos malheurs et esclave de notre gloire, la liberté
de la presse ne vit en sûreté qu'avec un gouvernement dont les racines sont déjà
profondes. Une monarchie bâtarde d’une nuit sanglante, n'aurait-elle rien à
craindre de l’indépendance des opinions ?.….

Charles et son fils sont déchus ou ont abdiqué mais le trône n’est pas vacant;
après eux venait un enfant.

Ce n’est ni par un dévouement sentimental, ni par un attendrissement de


nourrice que je plaide une cause où tout se tournerait contre moi, si elle
triomphait. Je ne vise ni au roman, ni à la chevalerie, ni au martyre.
Je ne crois pas au droit divin de la royauté, et je crois à la puissance des
révolutions et des faits. Je n'invoque pas même la Charte ; je prends mes idées
39
plus haut ; je les tire de la sphère philosophique de l’époque où ma vie expire ;
je propose le duc de Bordeaux tout simplement comme une nécessité d’un
meilleur aloi que celle dont on argumente.

Je sais qu’en éloignant cet enfant on veut établir le principe de la souveraineté


du peuple; niaiserie de l'ancienne école.

Je me contenterai de remarquer que, lorsque le peuple a disposé des trônes, il a


souvent aussi disposé de sa liberté ; je ferai observer que le principe de
l’hérédité monarchique, absurde au premier abord, a été méconnu, par l'usage,
préférable au principe de la monarchie élective…. Vous choisissez un roi
aujourd'hui : qui vous empêchera d'en choisir un autre demain ? La loi, direz-
vous. La loi ! Eh ! c’est vous qui la faites !.…

J'ai transporté le combat sur le terrain de mes adversaires; je ne suis point allé
bivouaquer dans le passé sous le vieux drapeau des morts, drapeau qui n'est pas
sans gloire, mais qui pend le long du bâton qui le porte, parce qu'aucun souflle
de vie ne le soulève. Quand je remuerais la poussière des 35 Capets, je n'en
tirerais pas un argument qu’on voulût seulement écouter. L'idolâtrie d’un nom
est abolie; la monarchie n’est plus une religion, c’est une forme politique,
préférable dans ce moment à tout autre, parce qu'elle fait mieux entrer l’ordre
dans la liberté.

Inutile Cassandre, j'ai assez fatigué le trône et la Patrie de mes avertissements


dédaignés; il ne me reste qu'à m'asseoir sur les débris d’un naufrage que j'ai
tant de fois prédit. Je reconnais au malheur toutes les sortes de Puissance,
excepté celle de me délier de mes serments de fidélité. Je dois aussi rendre ma
vie uniforme : après tout ce que j'ai fait, dit et écrit pour les Bourbons, je serais
le dernier des misérables si je les reniais au moment où pour la troisième fois
et dernière fois, ils s’acheminent pour l’exil.

F.R. de CHATEAUBRIAND, Discours à la Chambre des pairs, 7 août 1830,


Arch. Parl., T.LXIII, p. 85.

Questions

1) « Etablirons-nous une république ou une monarchie nouvelle ? »Pourquoi


cette question se pose t’elle en 1830 ?
2) « Une république aurait d’abord contre elle les souvenirs de la république
même » Que veut dire Chateaubriand avec ces souvenirs de la république ?
3) « j'ai assez fatigué le trône et la Patrie de mes avertissements dédaignés; il
ne me reste qu'à m'asseoir sur les débris d’un naufrage que j'ai tant de fois
prédit ». En quoi les idées de Chateaubriand se démarquent-elles des
conceptions de Charles X ? Quand ces idées ont -elles eu vocation à
s’appliquer sous la Restauration ?

b) Doc. 6 Les orléanistes satisfaits par le nouveau régime

40
François Guizot se montre très méfiant envers tous les mouvements populaires
ainsi quand il s’inquiète que « les prétentions révolutionnaires grondaient
autour de nous ».Ceci peut s’expliquer par le traumatisme qu’il subit quand à
l’âge de sept ans, il perdit son père guillotiné sous la première République,
pendant la Terreur car il était favorable aux girondins.

En même temps qu’on répudiait l'ancienne Charte, on voulait introduire dans la


nouvelle de nombreux changements, tous favorables à la brusque extension des
libertés populaires et à la domination exclusive de l'esprit démocratique.
Notre résistance à ces vues fut décidée, bien qu’incomplète. Nous maintinmes
la Charte comme la constitution préexistante et permanente du pays; mais nous
n’empêchâmes pas qu'on ne donnât la puérile satisfaction de l'intituler Charte
de 1830... Parmi les changements qui y furent introduits, quelques-uns à
l'épreuve ont été trouvés plutôt nuisibles qu'utiles, d’autres étaient prématurés ;
deux ou trois seulement pouvaient être jugés nécessaires. La complète fixité de
la Charte, proclamée le lendemain de la Révolution eût certainement beaucoup
mieux valu, pour les libertés comme pour le repos du pays. Mais personne
n’eût osé la proposer; pendant que nous délibérions, les passions et les
prétentions révolutionnaires grondaient autour de nous. En luttant contre ces
premières tempêtes, un parti de gouvernement commença à se former, encore
mal uni, inexpérimenté, flottant, mais décidé à pratiquer sérieusement la
monarchie constitutionnelle et à la défendre résolument contre l’esprit
de révolution...
C'était une monarchie que nous croyions nécessaire à la France, voulue de la
France, et que nous entendions fonder. J'honore la République; elle a ses vices
et ses périls propres et inévitables, comme toutes les institutions d'ici-bas ;
mais c’est une grande forme de gouvernement.

Je suis monarchique en France par les mêmes raisons et dans les mêmes
intérêts;... la monarchie est, de nos jours, en France, le gouvernement naturel et
vrai, le plus favorable à la liberté comme à la paix publique, le plus propre à
développer les forces légitimes et salutaires comme à réprimer les forces
perverses et destructives de notre société.

Mais la monarchie est autre chose qu’un mot et une apparence. Il y avait autant
de légèreté que de confusion dans les idées à parler sans cesse d’un trône
entouré d'institutions républicaines comme de la meilleure des républiques.

La monarchie que nous avions à fonder n'était pas plus une monarchie élective
qu’une République.
Amenés par la violence à rompre violemment avec la branche ainée de notre
maison royale, nous en appelions à la branche cadette pour maintenir la
monarchie en défendant nos libertés. Nous ne choisissions point un Roi ; nous
traitions avec un prince que nous trouvions à côté du trône et qui pouvait seul,
en y montant, garantir notre droit public et nous garantir des révolutions.
L'appel au suffrage populaire eût donné à la monarchie réformée précisément
le caractère que nous avions à cœur d'en écarter ; il eût mis l’élection à la place
de la nécessité et du contrat. C’eût été le principe républicain profitant de

41
l'échec que le principe monarchique venait de subir pour l’expulser
complètement et prendre, encore sous un nom royal, possession du pays.

François GUIZOT, Mémoires, op.cit.

Questions

1) Qui étaient les orléanistes ?


2) « Amenés par la violence à rompre violemment avec la branche ainée de
notre maison royale, nous en appelions à la branche cadette » qui étaient la
branche cadette et la branche aînée ? De quels courants de la droite sont-ils à
l’origine ?

C) Doc.7 Les Républicains mécontents.

Voilà donc la Charte de 1814 promulguée avec des modifications. Mais par
cela seul que c'est la charte de 1814 la restauration n'est-elle pas conservée ?
Et c’est là ce qu'on appelle la révolution de juillet, les institutions de juillet, le
roi de juillet ou des barricades ! Non, non, c’est la contre-révolution de Juillet,
ce sont les institutions de la restauration, c’est l'élu de 219 députés sans mandat,
et de quelques pairs sans pouvoir !

Et ils se disent les sauveurs ... Oui, ils sont les sauveurs de la restauration, de
l’aristocratie, d’eux-mêmes et peut-être de la légitimité. Mais ils sont les
destructeurs de la révolution et de la cause populaire

Tous ceux des deux cent vingt et un qui n'approuvaient pas la révolution
étaient des vaincus destitués par la victoire : comment pouvaient-ils imposer
des lois aux vainqueurs ?

Les autres n’étaient plus que des rebelles, des insurgés, des révolutionnaires,
qui n'avaient aucun madat ni pour faire un roi ni pour rédiger une constitution.

Comme l'assemblée législative après le 10 août 1792, ils pouvaient bien


prendre provisoirement toutes les mesures indispensables à la sûreté de l’état et
au salut de la révolution ; mais, comme elle, ils devaient convoquer une
convention où un congrès ou une assemblée nationale constituante.

En se perpétuant eux-mêmes dans leurs fonctions ou constituant un nouveau


gouvernement sans consulter le peuple, ils ont commis la plus palpable des
conséquences, des contradictions et des irrégularités.… Jamais on n’a plus
manifestement attenté à la souveraineté nationale; jamais on n'a plus
évidemment usurpé les droits de la nation...

Que de vices dans cette nouvelle charte replâtrée, illibérale, aristocratique,


impopulaire ! Qu'elle est loin d'assurer au pays ces institutions républicaines
tant promises dans les premiers jours d'août !.…..

42
Nous n’avons pas même une charte entière, mais seulement une demi-charte,
une quasi-charte ; car elle ne contient ni l’organisation de la pairie, ni les
dispositions qui sont le plus essentiellement constitutionnelles, celles relatives
à la représentation nationale, au droit d'élection et d'éligibilité, aux
administrations municipale et départementale, à la garde nationale et à
l'instruction publique ; elle abandonne tous ces objets d’une importance si
capitale à la forme et à la mobilité des simples lois, qui sont préparées et
sanctionnées par le roi, et qui peuvent être continuellement changées ; en sorte
que, par exemple, dans un moment de crise et de victoire, le gouvernement et
des chambres vendues ou complices pourraient diminuer encore le nombre des
électeurs et des éligibles, et détruire plus complètement la représentation
nationale.

Sous ce rapport, la nouvelle charte est pire que l’ancienne.

Cette charte nouvelle ne prescrit d’ailleurs ni son acceptation par le peuple, ni


sa revision à des époques et dans des conditions déterminées.

Oui, de toutes nos constitutions, aucune n’est aussi incomplète, aussi


défectueuse, aussi peu digne de respect: aucune n’est née avec tant de causes
de prochaine mortalité dans son sein.

Faite par des députés provisoires, comme disait Benjamin Constant, elle ne
peut être elle-même qu'une Constitution provisoire : les citoyens ont le droit de
la critiquer sans cesse; et c'est un devoir pour les députés de demander un
congrès national qui la remplace par une constitution definitive.

Etienne Cabet, Révolution de 1830 et situation présente expliquées et éclairées


par les Révolutions de 1789, 1792, 1799 et 1804, et par la Restauration, Paris,
1833, t. 1, 1re Partie, Par. 17, 18 et 19, p. 191, sqq.

Question :

Qu’est ce qui mécontente Cabet ?

Les lois complémentaires organisatices du régime.

Il y eut de nombreuses lois, sur la garde nationale, sur les élections, sur
l’organisation de la pairie etc

Exemple de deux d’entre elles.

- Doc. 8 La loi municipale du 21 mars 1831.

3. — Les maires et les adjoints sont nommés par le Roi, ou en son nom par le
préfet. Dans les communes qui ont 3.000 habitants et au-dessus, ils sont
nommés par le Roi, ainsi que dans les chefs-lieux d'arrondissement... — Les
maires et les adjoints seront choisis parmi les membres du conseil municipal.…

43
10. Les conseillers municipaux sont élus par l'assemblée des électeurs
communaux.

11. — Sont appelés à cette assemblée :

1°) Les citoyens les plus imposés aux rôles des contributions directes de la
commune, âgés de 21 ans accomplis, dans les proportions suivantes : pour les
communes de 1.000 âmes et au-dessous, un nombre égal au 1/10 de la
population... Ce nombre s’accroîtra de 5 par 100 habitants... de 1.000 à 5.000,
de 4 par 100 habitants de 5.000 à 10.000, de 3 par 100 habitants au dessus de
10.000.

2°) Les membres des cours et tribunaux, les juges de paix... ; les membres des
chambres de commerce des conseils de manufacture, des conseils de
prud’hommes ; les membres des commissions administratives des collèges, des
hospices et des bureaux de bienfaisance; les officiers de la garde nationale; les
membres et correspondants de l’Institut, les membres de sociétés savantes, les
docteurs d’une ou plusieurs facultés ; les avocats.…, les avoués, les notaires... ;
les anciens fonctionnaires de l’ordre administratif ou judiciaire jouissant d’une
pension de retraite ;... les officiers de terre et de mer jouissant d’une pension de
retraite, les citoyens appelés à voter aux élections des membres de la Chambre
des députés ou des conseils généraux.

16 - Les deux tiers des conseillers municipaux sont nécessairement choisis


parmi les électeurs désigné au paragraphe 1er de l'art. 41; l’autre tiers peut être
choisi parmi tous les citoyens ayant droit de voter...en vertu de l'art. 11.

27- La dissolution des conseils municipaux peut être prononcée par le Roi.

47 -Aucun électeur ne pourra déposer son vote qu’après avoir prêté entre les
mains du président serment de fidélité au Roi des Français, d’obéissance à la
Charte constitutionnelle et aux lois du royaume.

Bulletin des Lois. Série IX. T. 11. n° 25, p. A7.

1) Le maire est-il élu ou nommé ?


2) Expliquez la procédure suivie pour le choix d’un maire.

- Doc.9 La loi sur les élections : 19 avril 1831.

1- Tout Français jouissant des droits civils et politiques, âgé de 25 ans


accomplis et payant 200 fr. de contributions directes, est électeur.…

3 - Sont en outre électeurs, en payant 100 fr. de contributions directes : 1° Les


membres et correspondants de l'Institut; 2° Les officiers des armées de terre et
de mer jouissant d’une pension de retraite de 1,200 fr. au moins, et justifiant
d’un domicile réel de trois ans dans l’arrondissement électoral...
4 - Les contributions directes, qui confèrent le droit électoral, sont la
contribution foncière, les contributions personnelle et mobilière, la contribution

44
des portes et fenêtres, les redevances fixes et proportionnelles des mines,
l'impôt des patentes, et les suppléments d'impôts de toute nature connus sous le
nom de centimes additionnels.
38 - La Chambre des députés est composée de 159 députés.

31- Chaque collège électoral n'élit qu’un député.

47- Avant de voter pour la première fois, chaque électeur prête le serment
prescrit par la loi du 31août 1830.
48- Chaque électeur, après avoir été appelé; reçoit du président un bulletin
ouvert, sur lequel il écrit ou fait écrire secrètement son vote... sur une table
disposée à cet effet et séparée du bureau. Puis remet son bulletin écrit et fermé
au président...
59 - Nul ne sera éligible à la Chambre des députés, si, au jour de son élection,
il n'est âgé de 30 ans et s’il ne paie 500 fr. de contributions directes.
66- La Chambre des députés a seule le droit recevoir la démission d'un de ses
membres.
67- Les députés ne reçoivent ni traitement ni indemnités.

Bulletin des Lois. Série IX.T. EL. no 37. p.-177

Questions

1) Quel type de suffrage est repris dans ce texte de loi pour être électeur ?
2) Que signifie le mot contribution ? Quand a t’il commencé à être utilisé en
droit électoral ?
3) De quand datent les contributions visées dans l’article 4 ?

II Les deux partis de gouvernement : le parti du mouvement et le parti de


la résistance.

I LE MOUVEMENT

a) Doc.10 La royauté démocratique.

Qu'est-ce que nous voulons ? Nous ne voulons pas autre chose que ce que nous
avons voulu en juillet. Nous étions libres alors de toute affection personnelle,
de tout engagement de serment, de l'influence des faits consommés, du respect
d'institutions fondées, nous pouvions créer à nouveau, nous étions en
présence de notre seule conviction. Alors, par la seule force de cette conviction,
nous avons voulu la monarchie héréditaire, nous l'avons voulue forte pour
qu'elle garantît l'unité de l'Empire... Nous l'avons voulue forte pour qu’elle pût
protéger la loi envers et contre tous; mais nous l’avons voulue avec des
conditions qui lui sont propres, qu’elle ne peut pas éviter... c'est-à-dire une
monarchie avec des institutions populaires, une monarchie qui ne s’appuie ni
sur des intérêts de famille, de caste, d’aristocratie, ni sur le patronage de
l'étranger, mais une monarchie qui s’identifie avec les intérêts de la patrie, avec
les sentiments nationaux, qui répond à ce besoin d'égalité qui se fait sentir dans
la société.

45
Voilà la monarchie que nous avons voulue en juillet, et que nous voulons
toujours..…; hors d’une monarchie ainsi instituée, il n’y a que des
impossibilités.

La Chambre et la France entière se rappellent cette grande division des


opinions qui, dès le début de notre Révolution, a éclaté sur le caractère même
de cette révolution. Les uns n’y voyaient qu'un événement. La conséquence de
leur opinion à cet égard qu'il fallait continuer la Restauration, sauf le
changement de dynastie ; qu’il fallait faire le moins de changements possibles,
car il n’y avait pas eu révolution et que le pays n’en voulait pas : il s'écriait :
Vive la Charte ! C'est dans ce cri qu'il faut se renfermer : la dynastie parjure
chassée, tout doit être laissé en place, hommes, choses, institutions; seulement
quelques modifications, quelques concessions à l’entrainement des esprits;
mais hors de ces modifications plus rien.

Nous, au contraire, Messieurs, nous ne nous sommes pas abusés, ni sur la


validité de la victoire, ni sur les véritables causes : nous n'avons vu dans la
Restauration elle-même qu’un épisode de notre grande Révolution, une espèce
de suspension d'armes entres les intérêts de famille de l’aristocratie et la
souveraineté du peuple, suspension dont la Charte de 1814 était le traité ; tant
que cette Charte a été respectée, la Révolution a subi les Bourbons de la
branche ainée.…..aussitôt que le pacte a été déchiré, le peuple est rentré dans la
toute-puissance de sa souveraineté. C'est dans la source de cette souveraineté,
et non par continuation, qu’il a choisi le duc d'Orléans... comme le plus
identique par son origine, par sa famille, par tout sa vie, avec le principe,
l'intérêt, l'honneur de notre grande Révolution.
Votre président avait caractérisé d'un mot cette différence d'opinions quand il
disait que le duc d’Orléans avait été choisi, non parce qu’il était Bourbon mais
quoique Bourbon, il voulait établir une séparation absolue entre la Restauration
et la monarchie nouvelle qui surgit de notre Révolution pour la continuer et la
fortifier.

Odilon Barrot. Discours à la Chambre des députés, 29 novembre 1832, Arch.


Part. T. LXXVIL p. 771.

Question

Quelle est la conception qu’Odilon Barrot se fait de la Monarchie dans ce


texte ?

Doc.11 La liberté seule assurera l'ordre.

Je crois que ce ne sera jamais qu’au nom de la liberté que l’on pourra
combattre le désordre et l'anarchie. Je crois que le meilleur moyen de rallier la
population à la défense des lois, c’est de lui montrer que par là seulement elle
obtiendra toutes les garanties de paix, de liberté auxquelles elle a droit. Certes,
le gouvernement actuel ne voudrait pas, quand il le pourrait employer les
moyens de violence contre des hommes qui peuvent n'être qu'égarés : il ne
voudrait pas, avant que les moyens de conciliation eussent été épuisés,

46
déployer une force matérielle qui pourrait avoir pour résultat de faire couler le
sang français, si ce n’est à la dernière de toutes les extrémités.

Odilon Barrot, Discours à la Chambre des députés, 28 décembre 1830, Arch.


Parl. T. LXV. p. 652.

Question

Quelle est dans ce texte, une cause de la Révolution de 1830 selon O. Barrot ?

LA RESISTANCE

a) Doc.12 La royauté contractuelle.

Ce n’était pas assez, en 1831, de résister en fait : il fallait aussi résister en


principe, car la question était d'ordre moral autant que d'ordre politique, et il
n'y avait pas moins d’anarchie à combattre dans les têtes que dans les rues. Une
révolution venait de s’accomplir: des forces très diverses y avaient concouru, le
bon droit et les mauvaises passions, l'esprit de légalité et l'esprit d’insurrection:
il fallait dégager ce grand événement des éléments révolutionnaires qui y
étaient mélés et dans lesquels tant de gens s’efforçaient de le retenir ou même
de l’enfoncer plus avant.
Le peuple, ou, pour parler plus vrai, ce chaos d'hommes qu'on appelle le peuple,
investi du droit souverain et permanent de faire et de défaire son gouvernement,
au nom de sa seule volonté, et l’élection populaire donnée, au nom de cette
même souveraineté, comme seule base légitime de la nouvelle monarchie,
c'étaient là deux idées dont, en 1831, les esprits étaient infectés : idées aussi
fausses que vaines, qui tournent au service du mal le peu de vérité qu'elles
contiennent, et qui énervent aujourd’hui en attendant qu’elles le renversent, le
gouvernement qu'elles prétendent fonder.

Quoi de plus choquant que de faire du pouvoir appelé à présider aux destinées
d’une nation, un serviteur qu'elle peut congédier quand il lui plaît ? Et quel
mensonge que la prétention d’élire un roi au moment même où l’on invoque la
monarchie comme ancre de salut! J'étais toujours tenté de sourire quand
j'entendais dire, du roi Louis : Philippe, le Roi de notre choix, comme si, en
1830, nous avions eu à choisir, et si M. le duc d'Orléans n’avait pas été
l’homme unique et nécessaire. J'attaquai hautement ces illusions d’une
badauderie vaniteuse et ces sophismes de la force matérielle qui veut se
satistaire et n'ose s’avouer. Je niai la souveraineté du peuple, c'est-à-dire du
nombre, et le droit permanent d'insurrection. Je montrai, dans M. le duc
d'Orléans, ce qu’il était en effet, un prince du sang royal heureusement trouvé,
près du trône brisé, et que nécessité avait fait roi. La France avait traité avec lui
comme on traite, pour se sauver, avec le seul qui puisse vous sauver. En
présence de l'anarchie imminente, un tel contrat peut devenir une bonne base
de gouvernement et de gouvernement libre, car il a lieu entre des forces
réellement distinctes l’une de l’autre, et il admet des droits et des devoirs
mutuels sans que, ni à l'un ni à l’autre des contractants, il suppose ou confère
souveraineté... La volonté des peuples ne suffit pas à faire des rois ; il faut que

47
celui qui devient roi porte en lui-même et apporte en dot, au pays qui l’épouse
quelques-uns des caractères naturels et indépendants de la royauté.

F. GUIZOT, Mémoires, op.cit., T-II. p. 935 sqq.

Questions :

1) On a qualifié la Monarchie de Juillet de monarchie contractuelle. Relevez


dans le texte de Guizot le passage qui l’illustre.
2) Quelle idée F.Guizot se fait-il de la démocratie dans ce passage ?

Le triomphe de la Résistance sur les partis révolutionnaires (1831-1835).

Doc.13 La résistance se trouve seule au pouvoir

Dans nos affaires intérieures, la Charte, toute la Charte, rien que la Charte. En
empruntant ces paroles à un illustre ami, j’y trouve notre symbole politique.
Oui, c’est dans l’enceinte sacrée de la Charte que nous avons renfermé
l'exercice de notre autorité : nous voulons marcher jusqu’à ses dernières limites
mais les dépasser, jamais. Qui pourrait dire que ce système n’est pas conforme
à l'esprit de la Révolution de Juillet, qu'il résiste à son mouvement, qu'il
s’oppose à ses conséquences ?

La Révolution de Juillet a-t-elle voulu plus que la Charte, Messieurs? Personne


que je sache n’oserait le soutenir.

Elle est venue, non recommencer, mais terminer notre première Révolution.
Elle n’est pas un signal donné à la France et au monde pour les appeler à
d’aventureuses expériences et à d’interminables combats...

Ne nous abusons pas ; au delà de la Charte, au delà de la royauté


constitutionnelle, c’est-à-dire au delà du gouvernement des trois pouvoirs,
concourant à la rédaction de toutes les institutions, il n’y a plus rien qui
appartienne en propre à la Révolution de Juillet! Elle s'est arrêtée là; et tout ce
qu’on vous donne pour les conséquences de cette Révolution, ce ne sont que
les prémices d’une révolution nouvelle. Or, la France le dit hautement chaque
jour : elle a horreur de toute nouvelle révolution. .

Tel est donc notre système... C’est de faire de la Charte la règle invariable de
nos actes; c’est de reconstituer le pouvoir, et de lui rendre la force et l'unité qui
lui manquent; c’est de rasseoir tous les intérêts, en leur créant des garanties
d’ordre et de stabilité ; c'est de respecter les lois, de puiser dans l’ordre légal
dans la force morale qui en découle, tous les moyens d'action et d'influence...

Casimir Périer, Discours à la Chambre des députés, 9 août 1831. Arch. Parl. t.
LXIX. p. 68 et suiv.

Question :

48
Qu’est ce qui dans le propos de Casimir Périer illustre les idées du parti de la
résistance ?

Royauté personnelle ou monarchie parlementaire (1836-1840).

LA DÉFENSE DES PRÉROGATIVES ROYALES.

a) Doc.14 A. de Lamartine et F. Guizot : une conception de la Monarchie.

La Charte n’a pas fait deux pouvoirs actifs et un pouvoir inerte. Elle a créé
dans la royauté quelque chose de réel, de vivant, d’agissant, comme les deux
autres pouvoirs. Ce n’est pas un être abstrait, une personnification impalpable
placée au sommet de la pyramide constitutionnelle, comme une idole muette et
sans mains. Ce serait là le comble de l'absurde et le comble du danger; car, je
vous le demande, quel sens cela aurait-il ? Ne serait-ce pas une vraie dérision
du pouvoir social que d’avoir placé au sommet des institutions d’un grand
peuple l'image de la stupidité, là où vous avez voulu placer l'inviolabilité, sans
doute, mais aussi la souveraine dignité, la souveraine intelligence la souveraine
prévoyance et la souveraine liberté ?
Eh bien, Messieurs, dans le système de nos adversaires, que faites-vous de
cette action réelle de la royauté ? Vous faites de la royauté une abstraction
couronnée. Vous ne personnifiez en elle une part de souveraineté nationale, et
toutes les hautes fonctions d'unité, de majesté, de permanence des pouvoirs,
pour les frapper plus haut de nullité et de moquerie. Vous lui dites : « Nous te
créons à condition d’être inutile: nous t’adorons à condition d’être
impuissante ; tu seras roi à condition de n'avoir pas même cette part inaliénable
de liberté d'action, de volonté politique qu'a chez nous le dernier des citoyens
du pays. »

Votre Roi serait hors la loi... Non jamais un tel roi ne se rencontrera chez un tel
peuple ; jamais un tel peuple ne se contenterait d’un pareil roi.

Alphonse de Lamartine, Discours à la Chambre des députés, 10 janvier 1839,


Arch. Parl. Y. CXXIII. p. 160.

C’est aussi l'opinion véritable de Guizot, bien qu'alors engagé dans la coalition
contre le ministère Molé :

On aura beau dire : le roi règne et ne gouverne pas ; on ne fera jamais, dans la
pratique, sortir de ces paroles, la conséquence effective que le roi qui règne ne
soit rien dans son gouvernement. Quelque limitées que soient les attributions
de la royauté, quelque complète que soit la responsabilité de ses ministres, ils
auront toujours à discuter et à traiter avec la personne royale pour lui faire
accepter leurs idées et leurs résolutions, comme ils ont à traiter avec les
Chambres pour y obtenir la majorité. Et dans toute dicussion, dans toute
délibération, l'homme dont le concours est nécessaire, exerce infailliblement,
dans la mesure de son habileté, de son caractère, des circonstances plus ou
moins favorables, une part d’influence.

49
F. Guizot, Mémoires, T. VIII. p. 85.

Question

« Le trône n’est pas un fauteuil vide » montrer à partir des deux textes de
Lamartine et de Guizot à quelle conception de la monarchie se rattache cette
déclaration de F.Guizot.

Doc.15 Travail sur le texte d’ A. Jardin, et de A. J. Tudesq

Questions :

- analysez dans le texte ci-dessous, les faiblesses du régime telles qu’elles se


dégagent des différentes thématiques abordées par les auteurs.
- retrouvez dans ce texte l’élément qui indique ce qui fausse un régime
représentatif. C’est encore un problème qui peut concerner les institutions
politiques à notre époque.

Guizot et le système conservateur

Le ministère constitué le 29 octobre 1840, sous la présidence nominale du


maréchal Soult jusqu’en 1847, illustre l’étroite relation entre un homme
politique, Guizot (qui dirige en fait le gouvernement en plus de son propre
ministère des Affaires étrangères et qui devint président du Conseil en titre en
septembre 1847) et un système politique reposant sur le pouvoir des notables.

Des conditions difficiles se présentent au nouveau cabinet. Sur le plan


diplomatique la France est isolée dans la question d'Orient. Sur le plan
parlementaire il n'existait aucune majorité cohérente: les allures bellicistes de
Thiers ont pour résultat de faire dénoncer son successeur comme « le ministère
de la paix à tout prix » et de la soumission à l'étranger. Sur le plan social,
l’année 1840 est marquée par une agitation populaire consécutive à la crise
économique sévissant depuis la fin de 1838. Enfin sur le plan financier, la
construction des fortifications de Paris décidée par Thiers, devant la crise
diplomatique, a déséquilibré le budget, tout en provoquant ultérieurement
contre ses successeurs l'accusation de vouloir embastiller Paris. L'opinion,
surtout à Paris, est défavorable au nouveau ministère. C’est pourquoi son
président en titre n’est pas l’impopulaire Guizot qui réunit contre lui les
légitimistes, lui reprochant son passé d’universitaire Protestant, une partie des
conservateurs qui ne lui ont pas pardonné sa participation à la coalition contre
Molé, et la gauche radicale ou dynastique qui voit en lui le théoricien et
l’orateur de la politique de résistance à la démocratisation de la vie politique.

Chancelant au moment de sa formation, ce ministère fut pourtant le plus long


du règne et Guizot devait entraîner dans sa chute le régime avec lequel il s’était
peu à peu identifié.

Le régime des notables.

50
Les notables, le terme sert aux contemporains pour définir la catégorie
dirigeante : aristocrates, pseudo-nobles ou grande bourgeoisie. Un préfet
arrive-t-il dans son département? Il écrit le plus rapidement possible comme
Bocher, d’Auch en mai 1839 :
« J'ai déjà eu l’honneur de recevoir une partie des notables de la ville ».

Ce milieu des notables trouve les fondements de sa puissance d'abord dans sa


richesse qui lui donne par le cens la capacité politique. Il y a environ 250 000
électeurs censitaires et 56 000 éligibles payant au moins 500 F de cens: les
imposés de plus de 1 000 F, (le chiffre du cens pour éligibilité avant 1830) sont
environ 18 000 dans la France de 1840. Parmi ces derniers il n'y a guère que
16 % de négociants ou d’industriels, mais leur influence est
supérieure à ce pourcentage.

Les traditions familiales définissent aussi le milieu des notables.


Les notables orléanistes par la longue durée de leur activité dirigeante ont
contribué à accroître l'influence des notables et à perpétuer la présence au
pouvoir des mêmes familles et de la même catégorie sociale. Le notable vit
dans un temps social de longue durée, il a un passé, il a un avenir, il maîtrise le
temps; celui dont le revenu repose sur un droit aussi immuable que le droit de
propriété sous la Monarchie de Juillet ne pouvait que dominer ceux dont la
condition de vie n'était assurée qu’à la journée, à la semaine ou au mois. Un
troisième facteur de notabilité tient à la capacité personnelle et à l'influence
exercée soit en raison de fonctions publiques, soit en raison de fonctions
représentatives; il y a certes des parvenus qui arrivent à s'intégrer dans ce
milieu avec des origines modestes et Thiers en est un exemple. Ce n’est pas par
hasard que Balzac a campé à cette époque le type de Rastignac. Mais ces
parvenus se sont souvent montrés, eux ou leurs descendants, les plus ardents
défenseurs du système oligarchique dans lequel ils avaient réussi à prendre
place. Ce n’est pas d’eux que proviennent les remises en question du système
social et politique; celles-ci sont davantage le fait des antagonismes internes du
monde des notables (légitimistes contre le régime de Juillet par exemple).

Le régime censitaire accentue la corrélation entre les différentes formes de


pouvoir, économique, politique, administratif. Le cens d'éligibilité était fixé à
500 F mais dans la Chambre des députés de 1840, près des deux tiers (294 sur
459) paient plus de 1 000 F de cens; la fortune est considérée comme un gage
d’indépendance de capacité et aussi de solidarité avet le système. Une
proportion importante de pairs de France, de députés, de conseillers généraux
aussi, exerce des fonctions publiques. À la fin de la monarchie de Juillet le
Conseil d’État compte 42 députés et 40 pairs membres ordinaires ou détachés.

Ces catégories dirigeantes exercent leur pouvoir au niveau local, car c'est en
province que prend naissance leur puissance qu’il s'agisse des grands
propriétaires fonciers ou des chefs d’entreprises industrielles annonçant le
grand capitalisme ultérieur. Mais, maîtres de l'administration locale, les
notables ne maîtrisent plus leur région sans participer aussi à la direction
nationale, en dominant le parlement, l’administration, les institutions

51
économiques (encore peu développées) ou intellectuelles, par eux-mêmes ou
par mandataires interposés. :

L'accumulation des différents pouvoirs confondus dans les mêmes mains a


toutefois pour contrepartie les antagonismes régionaux, au sein de la catégorie
dirigeante; la faiblesse (relative du pouvoir central entraîne des pressions
contradictoires, le jeu des influences tenant lieu de doctrine. Il n’y a plus de
rivalité consciente entre propriété foncière et capitalisme mobilier comme
à la fin de la Restauration, mais il y a opposition d’intérêts tantôt régionaux,
tantôt locaux, tantôt personnels.

L'expansion économique.

Succédant à une époque de crise (en 1840) et à une période d'instabilité (15
ministères en dix ans...), le cabinet Soult-Guizot bénéficie de la crainte
ressentie par les notables et par une grande partie de la bourgeoisie à l'encontre
de la guerre et de la révolution.
Il va jouer sur cette crainte et lui opposer comme programme de gouvernement
la paix, la stabilité et la prospérité.

Le rétablissement de la situation diplomatique, par la solution apportée à la


question d'Orient et l'alliance franco-anglaise, fait du maintien de la paix la
condition préalable au développement économique.

Une bonne gestion financière contribue à cette prospérité, même si les efforts
du ministre des Finances Humann pour accroître le rendement de l'impôt
provoquent une agitation fiscale au moment du recensement de 1841. Les
dépenses de l'État deviennent un facteur de croissance, 534 millions sont
engagés dans des travaux publics surtout dans les chemins de fer, mais leur
répartition aggrave les inégalités régionales.

Le maintien en place des préfets qui suivaient auparavant les instabilités


ministérielles permettait à des administrateurs éminents de mieux suivre la
modernisation de leur département, c'est le cas de Chaper à Nantes. La
collaboration des agents de l'administration et des notabilités locales y
contribue; maires et préfets stimulent la fondation des caisses d’épargne (345
existent en 1844), symbole d’une époque qui fait l’éloge de l’épargne et par là
du profit. Le maintien de l’ordre favorise aussi la prospérité et s'effectue
aisément jusqu’à la crise de 1846. A Paris la garde municipale assure la police
avec tout au plus 3 000 hommes.

L'ordre établi et la prospérité qui en résulte profitent principalement aux


propriétaires des moyens de production; il est vrai que ceux-ci sont très
nombreux en raison de l’importance de la petite propriété et de la petite
entreprise artisanale. Il ne faudrait pas s’illusionner sur le mythe de l’État
libéral s’abstenant de toute intervention dans la vie économique. D'abord la
libre concurrence favorise les plus forts et aboutit à des concentrations qui
commencent à se multiplier, précisément sous le ministère Soult-Guizot, dans
les chemins de fer, dans la métallurgie, dans les mines mais aussi dans les

52
industries du verre, du sucre, dans la filature ainsi qu’on peut le voir avec les
autorisations accordées par le gouvernement pour la formation des sociétés
anonymes.

De plus l’État fausse cette concurrence par la protection douanière mais aussi
par les liens étroits entre l'autorité politique, l’autorité administrative et les
grandes affaires. Après la loi du 11 juin 1842 qui devient la charte de la
construction ferroviaire en France, associant l’État, les communautés locales et
les grandes compagnies concessionnaires, ces dernières peuplent leurs conseils
d’administration de pairs de France, de députés, de généraux, de magistrats ou
de détenteurs de titres de noblesse. Entre les groupes rivaux prenant appui sur
des antagonismes locaux opposant ville à ville ou département à département
dans le choix des tracés, ou quartier à quartier pour l'emplacement des gares,
l’État joue un rôle d’arbitre dont les décisions ne sont pas dénuées parfois de
préférences politiques.

La liberté du travail est en fait surtout la liberté du patron de son entreprise,


assurée par l’appareil législatif et juridique qui permet une compression des
salaires, une modification des conditions de travail et une suspension de
l'emploi, tandis que l’ouvrier est soumis dans ses déplacements, comme nous
l'avons dit, à la présentation du livret ouvrier, même si cette mesure est peu
reepectée par les chefs d’entreprise.

Ainsi donc, le libéralisme n'est pas la complète neutralité de l'État. Par sa non-
intervention et aussi par les formes de son intervention, il avantage les
producteurs aux dépens des consommateurs et aussi par la protection douanière
et plus encore par une fiscalité tirant la plus grande partie de ses ressources des
taxes et contributions indirectes pesant le plus lourdement sur les
consommateurs des classes populaires.

Mais l'État est obligé d'intervenir en raison des nouveaux problèmes qui se
posent à lui; volens nolens, la monarchie de Juillet fit voter la loi du 22 mars
1841 réglementant le travail des enfants dans les manufactures (n’interdisant le
travail il est vrai qu’au dessous de huit ans). C'était le résultat de longues
négociations entamées sous de précédents ministères. Laissant indifférente une
bonne partie de la Chambre (il n'y eut que 235 députés présents sur 459 au
moment du vote), la loi ne fut que lentement appliquée.

Il semble bien que Guizot et Duchatel aient souhaité donner une impulsion à
l’activité économique mais des oppositions au projet d'union commerciale avec
la Belgique (et peut-être la Hollande) les firent renoncer à ce qui aurait été un
stimulant pour l’industrie française. L’essai de Consultation des conseils
généraux de département, en 1845 notamment, sur des problèmes agricoles et
sur le crédit agricole, tourna court. I! était bien difficile de légaliser
l’innovation dans un système conservateur; l'expansion économique sur
laquelle nous reviendrons faisait éclater la société traditionnelle, appuyée sur
les notables, au moment où se durcissait au contraire le système
gouvernemental qui en était la traduction politique.

53
De la stabilité à la stagnation politique.

Le renforcement de sa majorité parlementaire finit par dominer toute la


politique de Guizot. Son programme politique avait été exposé à la Chambre
des députés le 3 mai 1837: « je veux, je cherche, je sers de tout mon pouvoir la
prépondérance politique des classes moyennes en France ». C’est la même
politique qu’il défend après 1840 et qu'il exprime soit devant les députés, soit
devant ses électeurs de Lisieux (par exemple en août 1841). « Affermissez vos
institutions, éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et
matérielle de la France », déclarait-il le 27 mars 1843 à la Chambre. Mais la
formule : « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne », n’était pas de
celles qui provoquent les dévouements. Habitué à l'impopularité, plus admiré
qu’aimé par ses propres partisans, Guizot, qui fut constamment soutenu par le
roi, considérait que nul mieux que lui ne pouvait mener une politique de juste
milieu, assurant l’ordre et la liberté selon les vœux de la bourgeoisie; mais la
stabilité ministérielle, si souhaitée au lendemain de la crise de 1840, se
transforma en immobilisme.

La tactique parlementaire amena Guizot à utiliser les menaces qui pesaient


éventuellement sur le régime de Juillet, en vue de renforcer l’autorité
gouvernementale. C’est ainsi que la mort du jeune duc d'Orléans, tué en juillet
1842, dans un accident de voiture, amena un regroupement des forces
politiques favorables à la monarchie de Louis-Philippe. Ce fut la dernière des
grandes manifestations de sympathie populaire en faveur du roi. Les journaux
de l’opposition dynastique, à laquelle on le disait favorable, furent ceux qui
exprimèrent le plus d'émotion. Le Constitutionnel parut le 14 entouré d’un
cadre noir, le Siècle parla « d ‘un deuil véritable dans Paris ».
Les élections législatives qui venaient de se dérouler n'avaient donné qu’une
faible majorité au ministère. Les Adresses au roi envoyées par les
municipalités, la garde nationale, les chambres de commerce, les tribunaux, les
évêques (53 sur 81) traduisaient, même s’il y avait dans ces démarches une part
de conformisme, un attachement au souverain qui ne pouvait que se reporter
sur son gouvernement. Le vote de la loi reportant la régence éventuelle sur le
duc de Nemours connu pour ses sentiments conservateurs, au lieu de la
duchesse d'Orléans, fut un succès pour Guizot et pour le roi soutenu par Thiers
qui se sépara de l'opposition sur ce sujet; la loi passa le 20 août avec 310 voix
sur 404 votants. Louis-Philippe et Guizot conclurent, des vastes manifestations
de sympathie, que la dynastie des Orléans était plus solidement établie qu’ils
ne le croyaient. L’accord entre le souverain et l’opinion ainsi exprimée fut
interprété, abusivement, dans le sens de la poursuite de la politique
ministérielle et de la persistance de l'influence royale dans le gouvernement. À
plus long terme, le duc de Nemours étant réputé moins libéral que son père,
une large fraction de l’opposition dynastique désespéra de voir une orientation
du régime conforme à ses vœux. Le contrat tacite entre le roi et le pays reposait
toujours sur la persistance de la paix intérieure et extérieure. C’est dans le
débat sur la régence que Thiers avait affirmé : « Derrière le gouvernement de
Juillet il y a la contre-révolution et devant il y a l’anarchie. »

54
Or, l'agitation légitimiste qui s’anime à la fin de 1843 est utilisée par le
gouvernement de Guizot qui exagère volontiers le péril pour se maintenir,
L'opposition légitimiste avait paru moins dangereuse en devenant
parlementaire, avec Berryer notamment. Or, la mort du duc d'Orléans, en
affaiblissant la nouvelle dynastie, relevait les espoirs du jeune duc de Bordeaux.
Poussés à la fois par la nécessité de regrouper les tendances divergentes du
légitimisme et par le désir de confirmer son rôle de prétendant (ne serait-ce que
pour enrayer les ralliements à Louis-Philippe), ses partisans organisèrent un
voyage à Londres sous l’incognito vite connu du comte de Chambord: à la fin
de novembre et en décembre 1843 près d’un millier de légitimistes allèrent
saluer dans sa résidence de Belgrave Square celui qui était pour eux « Henri V
». La présence d’un Pair de France et de cinq députés souleva à la Chambre des
députés un débat à la suite duquel fut flétrie la visite à Londres des députés
qui avaient ainsi donné une marque d’adhésion à une autre forme de
gouvernement; ce vote ne fut acquis que par 220 voix contre 190 après un
débat très passionné contre Guizot. Cet incident permettait certes au régime de
Juillet d’éviter le reproche d'oublier ses origines; mais en arrêtant le ralliement
des notabilités légitimistes au système conservateur, il affaiblit celui-ci et
aggrave les tensions au sein des catégories dirigeantes.

Dans l'immédiat les divisions de l’opposition réduite à critiquer la diplomatie


de Guizot et à exciter l’anglophobie et le chauvinisme, ne présentaient guère de
danger. Mais le régime représentatif était faussé précisément par cette absence
d’alternative politique dans le cadre même des institutions. La stabilité même
entraîne une usure du pouvoir; qu'il s'agisse de l’administration ou des
municipalités, les mêmes hommes se perpétuent et ont tendance à monopoliser
les avantages du pouvoir. Sous-préfets, magistrats, fonctionnaires de tout ordre
comptent plus sur l’appui du député de leur arrondissement {surtout s’il est
ministériel) que sur leur supérieur hiérarchique, pour obtenir une promotion.
Dans les villes, les fréquentes difficultés des préfets à trouver des notabilités
acceptant les fonctions de maire, monotones et absorbantes, amènent le
ministère à soutenir les municipalités en place et les notabilités locales même
contre ses propres agents.

A. Jardin, A.J. Tudesq, La France des notables, l’évolution générale 1815-


1848, Paris, le Seuil, 1973, p.156 sqq.

III L A D E U X I E M E R E P U B L I Q U E

FEVRIER 1848-DECEMBRE 1852.

Voir le cours sur les thèmes :

1) Qu’est-ce que le gouvernement provisoire de la IIè République ? Les


hommes, l’œuvre.

55
2) Lors des élections des 23 et 24 avril pour former l’Assemblée
nationale Constituante, quelle est la position de l’extrême gauche face
au suffrage universel et quelle justification y apporte-t’elle ?
3) Les caractéristiques de la Constitution du 4 novembre 1848 ?
4) Les élections du 10 décembre 1848. Comment s’explique leur
résultat ?
5) élections législatives du 13 mai 1849 : quelle évolution traduisent-
elles au regard des débuts de la IIe République ?
6) La politique de l’Assemblée législative.
7) Les relations entre l’Assemblée législative et le Président de la
République.
8) Le leg de la IIe République.

Doc.1 La Révolution de février vue par un aristocrate libéral Alexis de


Tocqueville.

Alexis de Tocqueville se promène dans Paris le 25 février 1848 :

" Deux choses me frappèrent surtout : la première ce fut le caractère, je


ne dirai pas principalement, mais uniquement et exclusivement
populaire de la révolution qui venait de s’accomplir. La toute-puissance
qu’elle avait donnée au peuple proprement dit, c’est-à-dire aux classes
qui travaillent de leurs mains, sur toutes les autres. La seconde, ce fut le
peu de passion haineuse et même, à dire vrai, de passions vives
quelconques que faisait voir dans ce premier moment le bas peuple
devenu tout à coup seul maître de Paris. (...)

Durant cette journée, je n’aperçus pas dans Paris un seul des anciens
agents de la force publique, pas un soldat, pas un gendarme, pas un
agent de police ; la Garde nationale avait disparu. Le peuple seul portait
les armes, gardait les lieux publics, veillait, commandait, punissait ; (...)

(...) il semblait que du choc de la Révolution, la société elle-même eût


été réduite en poussière et qu’on eût mis au concours la forme nouvelle
qu’on allait donner à l’édifice qu’on allait élever à sa place ; chacun
proposait son plan, celui-ci le produisait dans les journaux ; celui-là
dans les placards, qui couvrirent bientôt les murs ; cet autre en plein
vent, par la parole."

Extrait de A. de Tocqueville (1805-1859), Souvenirs.

Questions

1) Dans ce texte, Tocqueville rend compte d’une révolution apaisée,


qu’est ce que cela indique sur le déroulement de la Révolution de
février 1848 à ses débuts ?

56
2) Tocqueville dans son texte évoque une démocratie naissante : relevez
le passage pertinent sur ce point.

Doc.2 L’esprit de 1848, selon Louis-Antoine Garnier-Pagès

Louis-Antoine Garnier-Pagès, membre du gouvernement provisoire puis maire


de Paris en 1848 (et membre du gouvernement de la Défense nationale en
1870-1871), décrit la fièvre républicaine à l’occasion de l’avènement de la
Seconde République :

« Les plantations d’arbres de la liberté s’étaient multipliées à l’infini. On


en voyait sur tous les marchés, places, quais, jardins, carrefours, et
jusque dans les cours des monuments publics, à la Préfecture de police,
à l’Opéra, etc. Les chants patriotiques, les cérémonies religieuses, les
discours, la musique, la garde nationale, les acclamations, les fleurs, les
rubans, les décharges des armes à feu, la foule curieuse, formaient un
spectacle plein d’animation. »

L.-A. Garnier-Pagès, Histoire de la Révolution de 1848, Paris, 1860-1872.

Question

Qu’appelle-t’on « l’esprit de 1848 » ? Qu’est-ce qui y met fin ?

DOC.3 L’apprentissage du suffrage universel en 1848

Scrutin du 23 avril 1848

La population m’avait toujours été bienveillante, mais je la retrouvai cette fois


affectueuse et jamais je ne fus entouré de plus de respect que depuis que
l’égalité brutale était affichée sur tous les murs. Nous devions aller voter
ensemble au bourg de Saint Pierre, éloigné d’une lieue de notre village. Le
matin de l’élection, tous les électeurs, c’est-à-dire toute la population mâle au-
dessus de vingt ans, se réunirent devant l’église. Tous ces hommes se mirent à
la file deux par deux suivant l’ordre alphabétique ; je voulus marcher au rang
que m’assignait mon nom ; car je savais que dans les pays et dans les temps
démocratiques, il faut se faire mettre à la tête du peuple et ne pas s’y mettre
soi-même. Au bout de la longue file venaient sur des chevaux de bât ou dans
des charrettes, des infirmes ou des malades qui avaient voulu nous suivre.
Nous ne laissions derrière nous que les enfants et les femmes ; nous étions en
tout cent soixante-dix. Arrivés au haut de la colline qui domine Tocqueville, on
s’arrêta un moment. Je sus qu’on désirait que je parlasse. Je grimpai donc sur
le revers d’un fossé, on fit cercle autour de moi et je dis quelques mots que la
circonstance m’inspira. Je rappelai à ces braves gens la gravité et l’importance
de l’acte qu’ils allaient faire ; je leur recommandai de ne point se laisser
accoster ni détourner par les gens, qui, à notre arrivée au bourg, pourraient
chercher à les tromper ; mais de marcher sans se désunir et de rester ensemble,
57
chacun à son rang, jusqu’à ce qu’on eût voté. « Que personne, dis-je, n’entre
dans une maison pour prendre de la nourriture ou pour se sécher (il pleuvait ce
jour-là) avant d’avoir accompli son devoir. » Ils crièrent qu’ainsi ils feraient et
ainsi ils firent. Tous les votes furent donnés en même temps et j’ai lieu de
penser qu’ils le furent presque tous au même candidat.

Aussitôt après avoir voté moi-même, je leur dis adieu, et, montant en voiture,
je partis pour Paris.

Alexis de Tocqueville, Souvenirs, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2003, pp.


825-826.

Note : Saint-Pierre-Église se trouve entre Cherbourg et le château de


Tocqueville, éloigné de cinq kilomètres à l’est de cette localité. Le vote se
déroulait au chef-lieu de canton et les communes étaient admises à tour de rôle
dans la salle de vote. Les commissaires avaient donné l’ordre de se ranger par
ordre alphabétique. Le grand nombre d’électeurs avait conduit à organiser le
scrutin sur deux jours, le dimanche de Pâques 23 avril et le lundi. La commune
de Tocqueville alla voter le lundi 24 avril.

Questions :

1) « l’égalité brutale était affichée sur tous les murs » que veut dire l’auteur par
cette phrase ? Quel est le changement réalisé en matière politique que le texte
évoque ? Est-ce nouveau ?
2) Qu’est-ce qui manque encore à la population pour l’exercice de ce
changement ?

DOC. 4 Les lois électorales des 15 mars 1849 et 31 mai 1850

TRAVAIL A EFFECTUER SUR LES DEUX LOIS ELECTORALES CI-DESSOUS :

1) en quoi la loi électorale du 31 mai 1850 modifie- t’elle la loi du 15 mars


1849 ? A quelle volonté politique obéit cette modification ?
2) Reportez-vous au cours et expliquez le jeu politique de Napoléon III au
regard de la loi du 31 mai 1850 ?

Loi électorale du 15 mars 1849

Titre premier FORMATION DES LISTES ÉLECTORALES

Article premier. - Dans les douze jours qui suivront la promulgation de


la présente loi, la liste électorale sera dressée pour chaque commune par
le maire.

Art. 2. - Elle comprendra, par ordre alphabétique : - 1° Tous les Français


âgés de vingt et un ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et
politiques, et habitant dans la même commune depuis six mois au
58
moins ; - 2° Ceux qui, n'ayant pas atteint, lors de la formation de la liste,
les conditions d'âge et d'habitation, les acquerront avant sa clôture
définitive.

......................................................................................................

Titre III DES COLLÈGES ÉLECTORAUX

Chapitre premier

Art. 24. - Les collèges électoraux s'ouvrent au jour fixé par la loi pour les
élections auxquelles ils doivent procéder. - Le jour de l'ouverture du
scrutin devra toujours être un dimanche ou un jour férié, sauf toutefois
le cas prévu par le troisième paragraphe de l'article 31 de la
Constitution.

......................................................................................................

Art. 63. - Le recensement général des votes étant terminé, le président


en fait connaître le résultat. S'il s'agit d'élections à l'Assemblée nationale,
le président proclame représentant du peuple, dans la limite du nombre
attribué au département par la loi, les candidats qui ont obtenu le plus
de voix, selon l'ordre de la majorité relative.

Art. 64. - Néanmoins, nul n'est élu ni proclamé au premier tour de


scrutin, s'il n'a réuni un nombre de voix égal au huitième de celui des
électeurs inscrits sur la totalité des listes électorales du département.

Art. 65. - Dans les cas où le nombre des candidats réunissant au moins
ce chiffre de voix est resté inférieur au nombre de représentants attribué
au département par la loi, l'élection est continuée au deuxième
dimanche qui suit le jour de la proclamation du résultat du premier
scrutin, et alors elle a lieu à la majorité relative, quel que soit le nombre
des suffrages obtenus.

Art. 66. - Dans tous les cas où il y a concours par égalité de suffrages, le
plus âgé obtient la préférence.

Loi électorale du 31 mai 1850

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

[…]

L’Assemblée nationale a adopté d’urgence la loi dont la teneur suit :

59
ART. 1er. Dans les trente jours qui suivront la promulgation de la
présente loi, la liste électorale sera dressée par le maire, assisté de
deux délégués désignés pour chaque commune par le juge de paix et
domiciliés dans le canton.

[…]

2. La liste électorale comprendra, par ordre alphabétique,

1° Tous les Français âgés de vingt et un ans accomplis, jouissant de


leurs droits civils et politiques, actuellement domiciliés dans la
commune, et qui ont leur domicile dans la commune ou dans le canton
depuis trois ans au moins ;

2° Ceux qui, n’ayant pas atteint, lors de la formation de la liste, les


conditions d’âge et de domicile, les acquerront avant la clôture
définitive ;

3. Le domicile électoral sera constaté,

1° Par l’inscription au rôle de la taxe personnelle, ou par l’inscription


personnelle au rôle de la prestation en nature pour les chemins
vicinaux ;

2° Par la déclarations des pères ou mères, beaux-pères ou belles-


mères ou autres ascendants domiciliés depuis trois ans, en ce qui
concerne les fils, gendres, petits-fils et autres descendants majeurs
vivant dans la maison paternelle, et qui, par application de l’article 12
de la loi du 21 avril 1832, n’ont pas été portés au rôle de la contribution
personnelle ;

3° Par la déclaration des maîtres ou patrons, en ce qui concerne les


majeurs qui servent ou travaillent habituellement chez eux lorsque
ceux-ci demeurent dans la même maison que leurs maîtres ou patrons,
ou dans les bâtiments d’exploitation.

4. Les déclarations des pères, mères, beaux-pères, belles-mères ou


autres ascendants, maîtres ou patrons, seront faites par écrit sur des
formules délivrées gratis. Ces déclarations seront remises chaque
année au maire, du 1er au 31 décembre. Les pères, mères, beaux-
pères, belles-mères ou autres ascendants, maîtres ou patrons, qui ne
pourront pas faire leurs déclarations par écrit, devront se présenter,

60
assistés de deux témoins domiciliés dans la commune, devant le maire,
pour faire leurs déclarations.

Toute fausse déclaration sera punie correctionnellement d’une amende


de cent francs à deux mille francs, d’un emprisonnement de six mois au
moins et de deux ans au plus, et de l’interdiction du droit de voter ou
d’être élu pendant cinq ans au moins et dix ans au plus.

Les tribunaux pourront, s’il existe des circonstances atténuantes, faire


application de l’article 463 du Code pénal. En cas d’empêchement des
pères, mères ou autres ascendants, et en cas de refus ou
d’empêchement du maître ou patron de faire ou délivrer la déclaration
qui doit être remise chaque année à la mairie, le fait du domicile chez
les pères, mères ou autres ascendants, ou chez le maître ou patron,
sera constaté par le juge de paix.

5. Les fonctionnaires publics seront inscrits sur la liste électorale de la


commune dans laquelle ils exerceront leurs fonctions, quelle que soit la
durée de leur domicile dans cette commune.

La même disposition s’applique aux ministres en exercice des cultes


reconnus par l’État.

Les membres de l’Assemblée nationale pourront requérir leur


inscription sur la liste électorale du lieu où siège l’Assemblée.

Ceux qui n’auront pas requis cette inscription ne pourront voter qu’au
lieu de leur domicile.

6. Les militaires présents sous les drapeaux dans les armées de terre
ou de mer seront inscrits sur la liste électorale de la commune où ils
auront satisfait à l’appel.

7. Quiconque quittera la commune sur la liste électorale de laquelle il


est inscrit continuera à être porté sur cette liste pendant trois ans, à
charge de justifier, dans les formes et sous les conditions prescrites par
les articles 3, 4 et 5 de la présente loi, de son domicile dans la
commune où il aura fixé sa nouvelle résidence.

8. Ne seront pas inscrits sur la liste électorale, et ne pourront être élus,

1° Les individus désignés aux paragraphes l, 2, 3, 5, 6 et 7 de l’article 3


de la loi du 15 mars 1849 ;
61
2° Les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée soit par les
tribunaux français, soit par jugements rendus à l’étranger, mais
exécutoires en France ;

3° Les individus désignés au paragraphe 4 de l’article 3 de la loi du 15


mars 1849 quelle que soit la durée de l’emprisonnement auquel ils ont
été condamnés ;

4° Les individus condamnés à l’emprisonnement en vertu de l’article


330 du Code pénal ;

5° Les individus qui, par application de l’article 8 de la loi du 17 mai


1819 et de l’article 3 du décret du 11 août 1848, auront été condamnés
pour outrage à la morale publique et religieuse ou aux bonnes mœurs,
et pour attaque contre le principe de la propriété et les droits de la
famille.

6* Les individus condamnés à plus de trois mois d’emprisonnement, en


vertu des articles 98, 100, 101, 102, 103, 105, 106, 107, 108, 109, 112
et 113 de la loi du 15 mars 1849 ;

7° Les notaires, greffiers et officiers ministériels destitués en vertu de


jugements ou de décisions judiciaires ;

8° Les condamnés pour vagabondage ou mendicité ;

9° Ceux qui auront été condamnés à trois mois de prison au moins, par
application des articles 439, 443, 444, 445, 446, 447 et 452 du Code
pénal ;

10° Ceux qui auront été déclarés coupables des délits prévus par les
articles 410 et 411 du Code pénal et par la loi du 21 mai 1836 portant
prohibition des loteries ;

11° Les militaires condamnés au boulet ou aux travaux publics ;

12° Les individus condamnés à l’emprisonnement par application des


articles 38, 41, 43 et 45 de la loi du 21 mars 1832 sur le recrutement de
l’armée.

9. Les condamnés à plus d’un mois d’emprisonnement pour rébellion


outrages et violences envers les dépositaires de l’autorité ou de la force
publique, pour outrages publics envers un juré à raison de ses

62
fonctions, ou envers un témoin à raison de ses dépositions, pour délits
prévus par la loi sur les attroupements et la loi sur les clubs, et pour
infractions à la loi sur le colportage, ainsi que les militaires envoyés par
punition dans les compagnies de discipline, ne pourront pas être
inscrits sur la liste électorale, pendant cinq ans, à dater de l’expiration
de leur peine.

10. Les fusiliers des compagnies de discipline rentreront en jouissance


du droit électoral à l’expiration de leur punition.

11. Seront rayés de la liste électorale, à la requête du ministère public


pour un laps de temps qui ne pourra être moindre de cinq ans, ni
excéder dix ans, et dont la durée sera fixée par le tribunal, les individus
qui auront encouru une condamnation pour les délits prévus par les
articles 338 et 339 du Code pénal.

12. Les militaires et marins présents sous les drapeaux continueront


d’être répartis dans chaque localité en sections électorales par
département.

Leurs bulletins seront recueillis et envoyés au chef-lieu du département


dans un paquet cacheté, et confondus, dans les diverses sections
électorales du chef-lieu, avec les bulletins des autres électeurs.

13. Nul n’est élu ni proclamé représentant au premier tour de scrutin,


s’il n’a réuni un nombre de voix égal au quart des électeurs inscrits sur
la totalité des listes électorales du département.

LA FIN DE LA RÉPUBLIQUE SOCIALE

a) Doc.5 - Le 15 mai 1848 : triomphe de l'Assemblée sur le peuple de Paris.

Les causes de cette journée sont assez confuses. Les élections du 23 avril 1848
malgré la première application du suffrage universel ont porté à l’assemblée
une majorité de « républicains du lendemain » (en fait des monarchistes et des
bonapartistes). Ils sont peu favorables aux réformes du gouvernement
provisoire. Les républicains parisiens sont mécontents du refus du ministère
des Affaires étrangères d'aider les révolutionnaires polonais alors écrasés par
les troupes prussiennes à Posnen. Cette politique poursuit celle du
gouvernement provisoire et plus loin encore les positions républicaines de
1830 (aide aux peuples européens opprimés). C'est surtout les premières
mesures de l’Assemblée qui excitèrent les inquiétudes et coalisèrent les
mécontentements. Le 10, elle nommait une commission de 5 membres pour
exercer le pouvoir exécutif : Arago, Garnier-Pagès, Marie, Lamartine, Ledru-
63
Rollin, « C'était, dit Louis Blanc, le gouvernement provisoire, moins l’idée du
travail ; c'était la Révolution de février moins ce qui était toute la Révolution :
le Peuple. »
Barbès tombe dans le piège qui est de vouloir pactiser avec l’invasion de
l’assemblée qui fait croire qu’une seconde révolution est en cours. Les forces
de l’ordre sont inconsistantes face à la manifestation dont certains leaders
n’ont pas l’intention d’aller plus loin ( Blanqui, Buchez). Sans doute s’agit-il
d’un piège pour les révolutionnaires (voir M. Agulhon, 1848 ou
l’apprentissage de la République, 1848-1852, p.62-64).
La manifestation va déclencher une reprise en main par l’Assemblée de la
situation et l’arrestation de chefs Républicains.
L'émeute vaincue, le 19 mai, l'Assemblée adressa la proclamation suivante au
peuple français :

Français,

L’Assemblée nationale vous répond du salut de la patrie. Menacée un moment,


elle a vu la noble ville de Paris se lever tout entière pour sa défense. Dans les
murs, hors des murs, citoyens et soldats sont accourus au signal du péril; tous
ont bien mérité de vous...

Une poignée de séditieux avait tenté le plus grand des crimes dans un pays
libre, le crime de lèse-majesté nationale, l’usurpation violente de la
souveraineté du peuple... Déjà, ils nous dictaient leurs insolents décrets.
Citoyens, par aucune délibération, par aucune parole par aucun signe, vos
représentants n’ont accepté l’oppression de la force...

Ceux dont l’audace prétendait usurper son nom et sa voix ignoraient-ils donc,
les insensés, que, si leur triomphe était possible un seul jour, toute la France se
lèverait pour nous délivrer ou pour nous venger.

La France, la généreuse France ne souffrirait pas un instant le joug honteux


d'une faction.

Citoyens, ayez confiance dans la volonté énergique de l’Assemblée nationale et


du Pouvoir exécutif. La justice, dans son action ferme mais régulière, atteind
tous les coupables. Elle démasquera les faux amis du peuple qui trompent ses
instincts magnanimes et n’exploitent ses passions généreuses qu’afin d’arriver
au despotisme par l'anarchie. Le droit de pétition, le droit d'association, droits
sacrés, ne peuvent être impunément tournés contre la liberté; il faut que vos
représentants, dans la plénitude de la puissance qu'ils tiennent de vous,
remplissent librement leur mission et organisent sur la double base du droit et
du devoir une République démocratique qui devienne l’exemple et l'honneur
du monde...

La liberté ne vit que par l'ordre, l'égalité s’appuie sur le respect des lois, la
fraternité veut la paix; ce n'est qu’au sein d’une société tranquille que le travail
prospère et que le progrès s’accomplit. Que tout ce qui souffre espère en nous.
Travailleurs de nos villes et de nos champs, tous les vœux, tous les besoins,

64
toutes les misères nous créent des devoirs sacrés, notre dévouement les
remplira; ce que la République a déjà fait pour votre dignité en vous rendant
vos droits de citoyens, elle s’efforcera de le faire pour votre bonheur.

Bulletin des Lois, Série X, t.1, n°36 p. 429.

Question :

Relevez dans le texte ce qui indique le retour à une politique d’ordre et


d’autorité qui n’est plus dans l’esprit de la Révolution de février 1848.

b) Les journées de juin : le parti socialiste écrasé

DOC.6 - Le procès des ateliers nationaux à l’Assemblée,

Citoyens représentants, l'institution des ateliers nationaux a été conçue dans


des vues auxquelles tous bons citoyens ont applaudi... Cette mesure, cependant,
n’a pas tardé à perdre le caractère élevé et salutaire qu'on avait voulu lui
imprimer d'abord : l'inquiétude publique en a promptement signalé les
inconvénients.

Destinés à fournir du travail aux ouvriers forcément inoccupés, les ateliers


nationaux n’alimentent plus aujourd'hui que des ouvriers oisifs. Au lieu
d’assurer l'existence du travailleur momentanément compris dans une détresse
générale et passagère, ils tendent à perpétuer, dans tous les degrés de l'industrie,
un malaise et une détresse, factices dans leurs causes, trop réels dans leurs
résultats. Destinés enfin à relever la délicatesse morale et la noble susceptibilité
du travailleur qui se refuse à la mendicité, ils font, au contraire, dégénérer le
salaire en une aumône sans dignité, parce qu’elle est surprise dans les mains de
l'Etat et usurpée au détriment du travailleur courageux.

L’humanité, hâtons-nous de le dire, a les mêmes droits aujourd’hui qu’au jour


même de l’avènement de la République. L'intérêt du travailleur est sacré pour
l’Assemblée nationale comme pour la commission exécutive, et l'avenir ne
peut que développer encore les pensées de dévouement fraternel qui nous sont
communes. Mais c'est pour aller jusqu'au bout de cette voie que nous ne
pouvons consentir à nous laisser égarer dès nos premiers pas.

Les ateliers nationaux ne rendent à l’état qu’un produit dérisoire et hors de


proportion avec ses immenses sacrifices. L'inaction n’y est plus la conséquence
d’une organisation improvisée et défectueuse; elle y est systématiquement
devenue hostile au travail lui-même.

Les ouvriers, qui y entrent avec les intentions les plus droites, y sont
promptement circonvenus, subjugués, ou en butte aux plus odieux traitements.
L’oisiveté y est devenue une doctrine qui règne par la violence là où elle n’a pu
pervertir le cœur et l'intelligence. La loi faite au camarade s'impose ensuite au
patron ; on y est entré parce qu'on n'avait pas d'ouvrage; on refuse d'en sortir,
lors même que l'ouvrage se présente, ou bien l’on impose des conditions

65
inacceptables.. Une commande considérable était arrivée de l’une de nos
colonies. Les ouvriers des ateliers nationaux, auxquels on s’adressa...
demandèrent une rétribution tellement exorbitante que la commande a dû être
transportée à l’étranger. Plusieurs de nos provinces appellent aussi vainement
le secours des bras qui leur manquent: le même refus est opposé à leurs
instances.

La rapidité avec laquelle les ateliers nationaux ont à être organisés; la


comptabilité sommaire...; la latitude... illimitée qu’on a dû laisser aux
enrôlements; l'impossibilité même de constater l'identité des individus, ont
promptement amené une infaillible dilapidation des deniers. Il arrive qu’un
seul individu touche la même paye sous plusieurs noms différents ; il arrive
que des individus, exerçant un état lucratif dans le sein de Paris, vont
néanmoins... toucher un salaire aux ateliers...

Les ateliers nationaux, on ne peut vous le dissimuler, ne sont plus aujourd'hui,


au point de vue industriel, qu'une grève permanente et organisée 170.000 fr.
par jour, soit 45 millions par an; au point de vue politique, un foyer actif de
fomentation menaçante; au point de vue financier, une dilapidation quotidienne
et flagrante ; au point de vue moral, l’altération la plus affligeante du caractère
si glorieux si pur du travailleur, orgueil et force de la République, lorsqu'il
s’appartient véritablement à lui-même, qu’il obéit à ses propres penchants.

De Falloux, Rapport sur les ateliers nationaux, 29 mai 1848, Moniteur, 30 mai.
no 151. p. 1201.

Note : La discussion reprit dans l'Assemblée les 19 et 20 juin, à propos du


crédit de 3 millions nécessaires à la paye des ouvriers. « Il faut en finir! »
déclare la majorité. Le 21 juin, la commission exécutive prit l'initiative de la
dissolution : les ouvriers de 17 à 23 ans devront s'enrôler dans l’armée, les
autres devront se rendre dans les départements. Le 22, l'exécution du décret
commence, les ouvriers protestent. Marie déclare que : « Si les ouvriers ne
veulent pas partir, on les renverra de Paris par la force, » Le 23, l’insurrection
éclate.

Questions

1) Qu’est ce que les ateliers nationaux ?


2) De Falloux était rapporteur de la commission spéciale sur les ateliers
nationaux : quel bilan en fait-il? Y-a-t’il seulement une raison économique à
leur fermeture ou une autre raison sous jacente ?

II La répression.

Doc. 7 - Proclamation du 24 juin 1848.

- Gardes nationaux..…, Si l’on a pu se demander un moment quelle est la cause


de l'émeute qui ensanglante nos rues…. aucun doute ne peut plus rester
aujourd'hui quand déjà l'incendie désole la cité, quand les formules du

66
communisme et les excitations au pillage se produisent audacieusement sur les
barricades.

Sans doute la faim, la misère, le manque de travail sont venus en aide à


l'émeute. Mais s’il y a dans les insurgés beaucoup de malheureux qu’on égare,
le crime de ceux qui les entraînent et le but qu'ils se proposent sont aujourd’hui
mis à découvert.

Ils ne demandent pas la République. Elle est proclamée.

Le suffrage universel ? Il a été pleinement admis et pratiqué.


Que veulent-ils donc? On le sait maintenant : ils veulent l'anarchie, l'incendie,
le pillage.

L'Assemblée nationale s’est déclarée en permanence.


Elle a concentré dans la main du brave général Cavaignac tous les pouvoirs
nécessaires pour la défense de la République...

Vive la République !

Moniteur, 26 juin 1848, no 178. p. 1495.

Questions

1) A qui s’adressent les critiques des députés contre ceux qui dirigent les
insurgés ?
2) Qui était le général Cavaignac ? (petite recherche).

Doc.8 - Décret du 27 juin 1848 sur la transportation, dans les possessions


françaises d’outre-mer, des individus qui seront reconnus avoir pris part à
l’insurrection des 23 juin et jours suivants.

L’Assemblée Nationale a adopté le décret dont la teneur suit :

Article premier : Seront transportés par mesure de sûreté générale, dans les
possessions d’outre-mer autres que celles de la Méditerranée, les individus
actuellement détenus qui seront reconnus avoir pris part à l’insurrection des 23
juin et jours suivants.
Les femmes et les enfants des individus ainsi transportés hors du territoire
seront admis à partager le sort de leurs maris et pères.

Article 2 : L’instruction commencée devant les conseils de guerre suivra son


cours, nonobstant la levée de l'état de siège, en ce qui concerne ce que cette
instruction désignerait comme chefs, fauteurs ou instigateurs de l’insurrection,
comme ayant fourni ou distribué de l’argent, des armes ou des munitions de
guerre, exercé un commandement, ou commis quelque acte aggravant leur
rébellion.
Article 3 : Un décret de l’Assemblée Nationale déterminera le régime spécial
auquel seront soumis les individus transportés.

67
Article 4 : Le pouvoir exécutif est chargé de procéder sans délai à l’exécution
du présent décret.

Délibéré à Paris en séance publique le 27 juin 1848.

Signé les Présidents et les Secrétaires de l’Assemblée Nationale.

Questions

1) Sur la transportation qui n’est pas une peine du Code pénal mais un mode
d’exécution de la peine des travaux forcés, trouvez dans le texte la mention du
motif invoqué pour son application.
2) D’après le texte (que vous citerez) : les personnes condamnées vont-elles
dans une colonie pénitentiaire en Algérie ?
3) Les personnes poursuivies sont de droit commun et pourtant le texte
mentionne que ce sont des conseils de guerre qui conduisent l’instruction
(article 2) dans le même article, trouver l’expression qui vous indique pourquoi
ces conseils sont compétents.

Doc. 9 La République modérée : le gouvernement de Cavaignac

Le gouvernement du général Cavaignac est constitué après la répression des


journées de juin 1848. Il dure du 28 juin au 20 décembre 1848, date de la
proclamation des résultats de l’élection du président de la République, les
élections s’étant déroulées les 10 et 11 décembre de la même année.

a) Les principes.

Maigré les principes du gouvernement républicain : liberté, égalité, fraternité,


des événements malheureux et les « souvenirs d’une autre époque », le mot
République « a excité dans le pays des craintes et des méfiances ».

Ces méfiances, par cela seul qu'elles existent ont leur danger. En inspirant des
doutes sur l’avenir, elles pourraient énerver et paralyser toutes les activités
sociales ;.… le citoyen vivrait au jour le jour, inquiet du lendemain ; il
s’attacherait peu à un gouvernement qui ne lui donnerait pas plus de sécurité, et
son indifférence ferait l'espoir des facteurs de toute couleur, qui rêvent la ruine
de la République... Ces craintes sincères, mais funestes, font notre faiblesse
actuelle ; nous pensons que le Gouvernement doit s'attacher énergiquement à
les combattre; il doit faire comprendre aux populations, leur faire sentir qu’une
République n’est pas nécessairement inquiète, turbulente, agitée sans relâche et
sans but, qu’elle n’est pas une révolution en permanence… qu'elle ne peut être
solidement assise que sur les bases éternelles de toute société humaine, la
liberté, la propriété, la famille, l'inviolable respect de tous les droits, que plus
que tout autre gouvernement, peut-être, elle demande l'ordre ; l'ordre non pas
arbitraire et despotique, mais l'ordre selon les lois, exigé de tous
impartialement mais inflexiblement.

68
Le pays, aujourd’hui, ne songe plus à la monarchie, il demande, il veut un
gouvernement d'ordre, et l’instinct d’un peuple intelligent comme le nôtre ne se
trompe pas, il pressent aisément que sans cette condition il n’est pas de durée
pour un Etat...

Cette pensée n'a-t-elle pas été la vôtre, lorsque par de sages décrets, vous avez
tantôt mis un frein aux désordres qui pouvaient agiter la société, tantôt rassuré
tant de droits inquiets, et raffermi tant de propriétés ébranlées ? Nous voulons
que les principes que vous avez si sagement proclamés, descendent en pratique
jusque dans les derniers détails de l’administration, et que le plus humble des
citoyens se sente à tout instant libre et inviolable sous la main protectrice de
la République.

Jules Dufaure, Déclaration ministérielle, 16 octobre 1848, Moniteur, 17


octobre. no 291. p. 2865.

Question :

Quels sont les arguments de Jules Dufaure pour la restauration d’un


ordre conservateur et libéral ?

Doc. 10 Constitution du 4 novembre 1848 (Extraits)

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS, L'ASSEMBLEE NATIONALE a


adopté […] le Président de l'Assemblée nationale promulgue la
CONSTITUTION dont la teneur suit :

Préambule

En présence de Dieu et au nom du Peuple français, l'Assemblée


nationale proclame :

I. - La France s'est constituée en République. En adoptant cette forme


définitive de gouvernement, elle s'est proposée pour but de marcher
plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation, d'assurer
une répartition de plus en plus équitable des charges et des avantages
de la société, d'augmenter l'aisance de chacun par la réduction graduée
des dépenses publiques et des impôts, et de faire parvenir tous les
citoyens, sans nouvelle commotion, par l'action successive et constante
des institutions et des lois, à un degré toujours plus élevé de moralité,
de lumières et de bien-être.

II. - La République française est démocratique, une et indivisible.

III. - Elle reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux
lois positives.

69
IV. - Elle a pour principe la Liberté, l'Egalité et la Fraternité. Elle a pour
base la Famille, le Travail, la Propriété, l'Ordre public.

V. - Elle respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire


respecter la sienne ; n'entreprend aucune guerre dans des vues de
conquête, et n'emploie jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple.

VI. - Des devoirs réciproques obligent les citoyens envers la République,


et la République envers les citoyens.

VII. - Les citoyens doivent aimer la Patrie, servir la République, la


défendre au prix de leur vie, participer aux charges de l'Etat en
proportion de leur fortune ; ils doivent s'assurer, par le travail, des
moyens d'existence, et, par la prévoyance, des ressources pour l'avenir ;
ils doivent concourir au bien-être commun en s'entraidant
fraternellement les uns les autres, et à l'ordre général en observant les
lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et
l'individu.

VIII. - La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa


famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de
chacun l'instruction indispensable à tous les hommes ; elle doit, par une
assistance fraternelle, assurer l'existence des citoyens nécessiteux, soit
en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en
donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d'état
de travailler. - En vue de l'accomplissement de tous ces devoirs, et pour
la garantie de tous ces droits, l'Assemblée nationale, fidèle aux
traditions des grandes Assemblées qui ont inauguré la Révolution
française, décrète, ainsi qu'il suit, la Constitution de la République.

CHAPITRE PREMIER - DE LA SOUVERAINETÉ

Article 1. - La souveraineté réside dans l'universalité des citoyens


français. - Elle est inaliénable et imprescriptible. - Aucun individu,
aucune fraction du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice.

CHAPITRE II - DROITS DES CITOYENS GARANTIS PAR LA


CONSTITUTION

Article 2. - Nul ne peut être arrêté ou détenu que suivant les


prescriptions de la loi.

Article 3. - La demeure de toute personne habitant le territoire français


est inviolable ; il n'est permis d'y pénétrer que selon les formes et dans
les cas prévus par la loi.

70
Article 4. - Nul ne sera distrait de ses juges naturels. - Il ne pourra être
créé de commissions et de tribunaux extraordinaires, à quelque titre et
sous quelque dénomination que ce soit.

Article 5. - La peine de mort est abolie en matière politique.

Article 6. - L'esclavage ne peut exister sur aucune terre française.

Article 7. - Chacun professe librement sa religion, et reçoit de l'Etat,


pour l'exercice de son culte, une égale protection. - Les ministres, soit
des cultes actuellement reconnus par la loi, soit de ceux qui seraient
reconnus à l'avenir, ont le droit de recevoir un traitement de l'Etat.

Article 8. - Les citoyens ont le droit de s'associer, de s'assembler


paisiblement et sans armes, de pétitionner, de manifester leurs pensées
par la voie de la presse ou autrement. - L'exercice de ces droits n'a pour
limites que les droits ou la liberté d'autrui et la sécurité publique. - La
presse ne peut, en aucun cas, être soumise à la censure.

Article 9. - L'enseignement est libre. - La liberté d'enseignement s'exerce


selon les conditions de capacité et de moralité déterminées par les lois,
et sous la surveillance de l'Etat. - Cette surveillance s'étend à tous les
établissements d'éducation et d'enseignement, sans aucune exception.

Article 10. - Tous les citoyens sont également admissibles à tous les
emplois publics, sans autre motif de préférence que leur mérite, et
suivant les conditions qui seront fixées par les lois. - Sont abolis à
toujours tout titre nobiliaire, toute distinction de naissance, de classe ou
de caste.

Article 11. - Toutes les propriétés sont inviolables. Néanmoins l'Etat


peut exiger le sacrifice d'une propriété pour cause d'utilité publique
légalement constatée, et moyennant une juste et préalable indemnité.
[…]
Article 13. - La Constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et
de l'industrie. La société favorise et encourage le développement du
travail par l'enseignement primaire gratuit, l'éducation professionnelle,
l'égalité de rapports, entre le patron et l'ouvrier, les institutions de
prévoyance et de crédit, les institutions agricoles, les associations
volontaires, et l'établissement, par l'Etat, les départements et les
communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés ;
elle fournit l'assistance aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux
vieillards sans ressources, et que leurs familles ne peuvent secourir.

[…]

71
Article 15. - Tout impôt est établi pour l'utilité commune. - Chacun y
contribue en proportion de ses facultés et de sa fortune.

Article 16. - Aucun impôt ne peut être établi ni perçu qu'en vertu de la
loi.

[…]

CHAPITRE III - DES POUVOIRS PUBLICS

Article 18. - Tous les pouvoirs publics, quels qu'ils soient, émanent du
peuple. - Ils ne peuvent être délégués héréditairement.

Article 19. - La séparation des pouvoirs est la première condition d'un


gouvernement libre.

CHAPITRE IV - DU POUVOIR LÉGISLATIF

Article 20. - Le peuple français délègue le pouvoir législatif à une


Assemblée unique.

Article 21. - Le nombre total des représentants du peuple sera de sept


cent cinquante, y compris les représentants de l'Algérie et des colonies
françaises.

Article 22. - Ce nombre s'élèvera à neuf cents pour les Assemblées qui
seront appelées à réviser la Constitution.

Article 23. - L'élection a pour base la population.

Article 24. - Le suffrage est direct et universel. Le scrutin est secret.

Article 25. - Sont électeurs, sans condition de cens, tous les Français
âgés de vingt et un ans, et jouissant de leurs droits civils et politiques.

Article 26. - Sont éligibles, sans condition de domicile, tous les électeurs
âgés de vingt-cinq ans.

Article 27. - La loi électorale déterminera les causes qui peuvent priver
un citoyen français du droit d'élire et d'être élu ….

Article 28. - Toute fonction publique rétribuée est incompatible avec le


mandat de représentant du peuple...

[…]

72
Article 30. - L'élection des représentants se fera par département, et au
scrutin de liste. - Les électeurs voteront au chef-lieu du canton…

Article 31. - L'Assemblée nationale est élue pour trois ans, et se


renouvelle intégralement…

Article 32. - Elle est permanente. - Néanmoins, elle peut s'ajourner à un


terme qu'elle fixe. - Pendant la durée de la prorogation, une
commission, composée des membres du bureau et de vingt-cinq
représentants nommés par l'Assemblée au scrutin secret et à la majorité
absolue, a le droit de la convoquer en cas d'urgence. - Le président de la
République a aussi le droit de convoquer l'Assemblée. - L'Assemblée
nationale détermine le lieu de ses séances. - Elle fixe l'importance des
forces militaires établies pour sa sûreté, et elle en dispose.

Article 33. - Les représentants sont toujours rééligibles.

Article 34. - Les membres de l'Assemblée nationale sont les


représentants, non du département qui les nomme, mais de la France
entière.

Article 35. - Ils ne peuvent recevoir de mandat impératif.

Article 36. - Les représentants du peuple sont inviolables. - Ils ne


pourront être recherchés, accusés, ni jugés, en aucun temps, pour les
opinions qu'ils auront émises dans le sein de l'Assemblée nationale.

Article 37. - Ils ne peuvent être arrêtés en matière criminelle, sauf le cas
de flagrant délit, ni poursuivis qu'après que l'Assemblée a permis la
poursuite. - En cas d'arrestation pour flagrant délit, il en sera
immédiatement référé à l'Assemblée, qui autorisera ou refusera la
continuation des poursuites. Cette disposition s'applique au cas où un
citoyen détenu est nommé représentant.

Article 38. - Chaque représentant du peuple reçoit une indemnité, à


laquelle il ne peut renoncer.

Article 39. - Les séances de l'Assemblée sont publiques. - Néanmoins,


l'Assemblée peut se former en comité secret, sur la demande du nombre
de représentants fixé par le règlement. - Chaque représentant a le droit
d'initiative parlementaire ; il l'exercera selon les formes déterminées par
le règlement.

Article 40. - La présence de la moitié plus un des membres de


l'Assemblée est nécessaire pour la validité du vote des lois.

73
Article 41. - Aucun projet de loi, sauf les cas d'urgence, ne sera voté
définitivement qu'après trois délibérations, à des intervalles qui ne
peuvent pas être moindres de cinq jours.

Article 42. - Toute proposition ayant pour objet de déclarer l'urgence est
précédée d'un exposé des motifs. - Si l'Assemblée est d'avis de donner
suite à la proposition d'urgence, elle en ordonne le renvoi dans les
bureaux et fixe le moment où le rapport sur l'urgence lui sera présenté.
- Sur ce rapport, si l'Assemblée reconnaît l'urgence, elle le déclare, et
fixe le moment de la discussion. - Si elle décide qu'il n'y a pas urgence,
le projet suit le cours des propositions ordinaires.

CHAPITRE V - DU POUVOIR EXÉCUTIF

Article 43 - Le peuple français délègue le Pouvoir exécutif à un citoyen


qui reçoit le titre de président de la République.

Article 44. - Le président doit être né Français, âgé de trente ans au


moins, et n'avoir jamais perdu la qualité de Français.

Article 45. - Le président de la République est élu pour quatre ans, et


n'est rééligible qu'après un intervalle de quatre années. - Ne peuvent,
non plus, être élus après lui, dans le même intervalle, ni le vice-
président, ni aucun des parents ou alliés du président jusqu'au sixième
degré inclusivement.

Article 46. - L'élection a lieu de plein droit le deuxième dimanche du


mois de mai. - Dans le cas où, par suite de décès, de démission ou de
toute autre cause, le président serait élu à une autre époque, ses
pouvoirs expireront le deuxième dimanche du mois de mai de la
quatrième année qui suivra son élection. - Le président est nommé, au
scrutin secret et à la majorité absolue des votants, par le suffrage direct
de tous les électeurs des départements français et de l'Algérie.

Article 47. - Les procès-verbaux des opérations électorales sont transmis


immédiatement à l'Assemblée nationale, qui statue sans délai sur la
validité de l'élection et proclame le président de la République. - Si
aucun candidat n'a obtenu plus de la moitié des suffrages exprimés, et
au moins deux millions de voix, ou si les conditions exigées par l'article
44 ne sont pas remplies, l'Assemblée nationale élit le président de la
République, à la majorité absolue et au scrutin secret, parmi les cinq
candidats éligibles qui ont obtenu le plus de voix.

Article 48. - Avant d'entrer en fonctions, le président de la République


prête au sein de l'Assemblée nationale le serment dont la teneur suit : -
En présence de Dieu et devant le Peuple français, représenté par
l'Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République
74
démocratique, une et indivisible, et de remplir tous les devoirs que
m'impose la Constitution.

Article 49. - Il a le droit de faire présenter des projets de loi à


l'Assemblée nationale par les ministres. - Il surveille et assure
l'exécution des lois.

Article 50. - Il dispose de la force armée, sans pouvoir jamais la


commander en personne.

Article 51. - Il ne peut céder aucune portion du territoire, ni dissoudre


ni proroger l'Assemblée nationale, ni suspendre, en aucune manière,
l'empire de la Constitution et des lois.

Article 52. - Il présente, chaque année, par un message, à l'Assemblée


nationale, l'exposé de l'état général des affaires de la République.

Article 53. - Il négocie et ratifie les traités. - Aucun traité n'est définitif
qu'après avoir été approuvé par l'Assemblée nationale.

Article 54. - Il veille à la défense de l'Etat, mais il ne peut entreprendre


aucune guerre sans le consentement de l'Assemblée nationale.

Article 55. - Il a le droit de faire grâce, mais il ne peut exercer ce droit


qu'après avoir pris l'avis du Conseil d'Etat. - Les amnisties ne peuvent
être accordées que par une loi. - Le président de la République, les
ministres, ainsi que toutes autres personnes condamnées par la Haute
Cour de justice, ne peuvent être graciés que par l'Assemblée nationale.

Article 56. - Le président de la République promulgue les lois au nom


du peuple français.

Article 57. - Les lois d'urgence sont promulguées dans le délai de trois
jours, et les autres lois dans le délai d'un mois, à partir du jour où elles
auront été adoptées par l'Assemblée nationale.

[…]

Article 64. - Le président de la République nomme et révoque les


ministres. - Il nomme et révoque, en Conseil des Ministres, les agents
diplomatiques, les commandants en chef des armées de terre et de mer,
les préfets, le commandant supérieur des gardes nationales de la Seine,
les gouverneurs de l'Algérie et des colonies, les procureurs généraux et
autres fonctionnaires d'un ordre supérieur - Il nomme et révoque, sur la
proposition du ministre compétent, dans les conditions réglementaires
déterminées par la loi, les agents secondaires du gouvernement.

75
Article 65. - Il a le droit de suspendre, pour un terme qui ne pourra
excéder trois mois, les agents du pouvoir exécutif élus par les citoyens. -
Il ne peut les révoquer que de l'avis du Conseil d'Etat. - La loi
détermine les cas où les agents révoqués peuvent être déclarés
inéligibles aux mêmes fonctions. - Cette déclaration d'inéligibilité ne
pourra être prononcée que par un jugement.

Article 66. - Le nombre des ministres et leurs attributions sont fixés par
le pouvoir législatif.

Article 67. - Les actes du président de la République, autres que ceux


par lesquels il nomme et révoque les ministres, n'ont d'effet que s'ils
sont contresignés par un ministre.

Article 68. - Le président de la République, les ministres, les agents et


dépositaires de l'autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui
le concerne, de tous les actes du gouvernement et de l'administration.
Toute mesure par laquelle le président de la République dissout
l'Assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l'exercice de son
mandat, est un crime de haute trahison. - Par ce seul fait, le président
est déchu de ses fonctions ; les citoyens sont tenus de lui refuser
obéissance ; le pouvoir exécutif passe de plein droit à l'Assemblée
nationale. Les juges de la Haute Cour de justice se réunissent
immédiatement à peine de forfaiture : ils convoquent les jurés dans le
lieu qu'ils désignent, pour procéder au jugement du président et de ses
complices ; ils nomment eux-mêmes les magistrats chargés de remplir
les fonctions du ministère public. - Une loi déterminera les autres cas de
responsabilité, ainsi que les formes et les conditions de la poursuite.

Article 69. - Les ministres ont entrée dans le sein de l'Assemblée


nationale ; ils sont entendus toutes les fois qu'ils le demandent, et
peuvent se faire assister par des commissaires nommés par un décret
du président de la République.
……
Questions sur la constitution du 4 novembre 1848 :

Vous justifierez votre réponse en citant les articles de la Constitution


adéquats et en vous référant au cours.

1) Sur le préambule : que contient-il de nouveau dans cette constitution


qui est une caractéristique de la IIè République?
2) Quel type de souveraineté établit cette Constitution ? Quelle en est la
conséquence sur la structure du pouvoir législatif ?
3) Quels sont les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif et quels problèmes cela pose t’il ?
4) Expliquez en quoi ce régime est représentatif.
5) Quelle est la conséquence de l’article 67 ?
76
6) Deux articles prohibent l’usage de la dissolution de l’Assemblée.
Lesquels ? Louis Napoléon va-t’il recourir à la dissolution ?

La question de l’élection du Président de la République.

Doc.11 Jules Grévy avait proposé l'amendement suivant aux art. 41, 43 et
de la Constitution :

Art. 41. — L'Assemblée nationale délègue le pouvoir exécutif à citoyen qui


reçoit le titre de président du conseil des ministres.

Art. 43 — Le président du conseil des ministres est nommé par l'Assemblée


nationale, au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages,

Art. 45 — Le président du conseil des ministres est élu pour un temps illimité
est toujours révocable.

M. de Tocqueville a répété que le pouvoir institué dans le projet de constitution


sous le nom de président de la République, n'a rien de redoutable ; que ce
pouvoir se réduit à peu. Je vais vous en faire juges.

Je conviens que le président n’a pas dans la confection des lois la part plus
nominale qu’effective qui appartient à la royauté ; je conviens que pour les
affaires étrangères, sa prérogative est un peu moins étendue; mais... à
l'intérieur... le président de la République a tous les pouvoirs de la royauté :il
dispose de la force armée, il nomme aux emplois civils et militaires; il dispense
toutes les faveurs; il a tous les moyens d'action, toutes les forces actives
qu'avait le dernier roi. Mais ce que n’avait pas le roi, et ce qui mettra le
président de la République dans une position bien autrement formidable, c’est
qu'il sera l’élu du suffrage universel; c’est qu'il aura la force immense que
donnent des millions de voix. Il aura, de plus, dans l’Assemblée, un parti plus
ou moins considérable. Il aura donc toute la force matérielle dont disposait
l’ancien roi, et il aura de plus une force morale prodigieuse.…
Je dis que le seul fait de l'élection populaire donnera au président de la
République une force excessive.

Et vous dites que vous voulez fonder une république démocratique? Que
feriez-vous de plus si vous vouliez…. restaurer la monarchie ? Un semblable
pouvoir, conféré à un seul, quelque nom qu’on lui donne, roi ou président, est
un pouvoir monarchique.…

Il est vrai que ce pouvoir, au lieu d’être héréditaire, sera temporaire et électif ;
mais il n'en sera que plus dangereux pour la liberté.

Etes-vous bien sûrs que, dans cette série de personnes qui se succèderont tous
les quatre ans au trône de la présidence, il n’y aura que de purs républicains
pressés d’en descendre? Etes-vous sûrs qu’il ne se trouvera jamais un
ambitieux tenté de s’y perpétuer ? Et si cet ambitieux est un homme qui a su se
rendre populaire, si c’est un général victorieux, entouré de ce prestige de la
77
gloire militaire auquel les Français ne savent pas résister; si c'est le rejeton
d’une des familles qui ont régné sur la France, et s’il n'a jamais renoncé
expressément à ce qu'il appelle ses droits : si le commerce languit, si le peuple
souffre, s'il est dans un de ces moments de crise où la misère et la déception le
livrent à ceux qui cachent sous des promesses des projets contre sa liberté,
répondez-vous que ces ambitieux ne parviendra pas à renverser la République ?

Jusqu'ici toutes les républiques sont allées se perdre dans le despotisme : c'est
de ce côté qu'est le danger, c’est donc contre le despotisme qu’il faut les
fortilier, Législateurs de la démocratie... quelles précautions avez-vous prises
contre l'ennemi capital? Aucune. Que dis-je ? Vous lui préparez les voies!
Vous élevez dans la République une forteresse pour le recevoir!

Jules GRÉVY. Assemblée nationale, 6 octobre 1848, Moniteur, 7 octobre. N°


281, p. 2734.

Jules Grévy au début de la IIIè République, après la crise du 16 mai 1877, fera
un déclaration sur le rôle du président de la République que l’on appellera
« la consitution Grévy » en raison de la déformation coutumière qui sera alors
donnée à la Constitution de la IIIè République.

Question

Expliquez ce que redoute Jules Grévy dans ce discours ? Les évènements


consécutifs lui ont-ils donné tort ?

L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE

a) Doc. 12 Le prince Louis-Napoléon candidat.

Louis-Napoléon, représentant à l’Assemblée, avait, répondant aux attaques des


républicains, posé sa candidature à la tribune, le 26 octobre. « De quoi
m'accuse-t-on ? D'accepter du sentiment populaire une candidature que je n'ai
pas recherchée, Eh bien! oui, je l’accepte cette candidature qui m’honore... »
Le 29 novembre, il adressait au pays la proclamation suivante.

Louis-Napoléon Bonaparte à ses concitoyens,

Pour me rappeler de l'exil, vous m'avez nommé représentant du peuple. À la


veille d’élire le premier magistrat de la République, mon nom se présente à
vous comme symbole d'ordre et de sécurité.

Ces témoignages d’une confiance si honorable s'adressent, je le sais, bien plus


à ce nom qu’à moi même, qui n'ai rien fait encore pour mon pays; mais plus la
mémoire de l’empereur me protège et inspire vos suffrages, plus je me sens
obligé de vous faire connaître mes sentiments et mes principes. Il ne faut pas
qu'il y ait d'équivoque entre vous et moi.

78
Je ne suis pas un ambitieux qui rêve tantôt l'Empire et la guerre, tantôt
l’application de théories subversives.

Elevé dans les pays libres, à l’école du malheur, je resterai toujours fidèle aux
devoirs que m’imposeront vos suffrages et les volontés de l'Assemblée.

Si j'étais nommé Président, je ne reculerais devant aucun danger, devant aucun


sacrifice, pour défendre la société si audacieusement attaquée; je me
dévouerais tout entier, sans arrière-pensée, à l’affermissement d’une république
sage par ses lois, honnête par ses intentions, grande et forte par ses actes.
Je mettrais mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur, le
pouvoir affermi, la liberté intacte...

Quel que soit le résultat de l'élection, je m'inclinerai devant la volonté du


peuple, et mon concours est acquis d'avance à tout gouvernement juste et ferme
qui rétablisse l’ordre dans les esprits comme dans les choses; qui protège
efficacement la religion, la famille, la propriété, bases éternelles de tout état
social, qui provoque les réformes possibles, calme les haines, réconcilie les
partis, et permette ainsi à la patrie inquiète de compter sur un lendemain.

Rétablir l’ordre, c'est ramener la confiance, pourvoir par le crédit à


l'insuffisance passagère des ressources, restaurer les finances.

Protéger la religion et la famille, c’est assurer la liberté des cultes et la liberté


de l’enseignement.
Protéger la propriété, c’est maintenir l’inviolabilité des produits de tous les
travaux; c’est garantir l’indépendance et la sécurité de la possession,
fondements indispensables de la liberté civile.
Quant aux réformes possibles, voici... les plus urgentes : admettre, toutes les
économies qui, sans désorganiser les services publics. Permettent la diminution
des impôts les plus onéreux au peuple ; encourager les entreprises...; pourvoir à
la vieillesse de travailleurs par des institutions de prévoyance; introduire dans
nos lois industrielles les améliorations qui tendent, non à ruiner le riche au
profit du pauvre mais à fonder le bien-être de chacun sur la prospérisé de tous...

Eviter cette tendance funeste qui entraîne l'Etat à exécuter lui-même ce que les
particuliers peuvent faire aussi bien que lui. La centralisation des intéréts et des
entreprises est dans la nature du despotisme.
La nature et la République repoussent le monopole. Enfin, préserver la liberté
de la presse des deux excès qui la compromettent toujours, l'arbitraire et sa
propre licence...

La tâche est difficile, la mission immense, je le sais. Mais je ne désespèrerais


pas de l’accomplir en conviant à l’œuvre, sans distinction de parti, les hommes
que recommandent à l'opinion publique leur haute intelligence et leur probité.

Ernest Hamel, Histoire de la seconde République, p. 251, Paris, Jouvet et Cie,


1891.

79
QUESTION sur : « le prince Louis-Napoléon candidat » :

Relevez les principaux points du programme de Napoléon dans ce texte


dans plusieurs domaines. A quelles préoccupations du prince
correspondent-elles ?

Doc 13. Louis Napoléon Bonaparte vu par Maxime du Camp (début


1851).

« Nul parti n’est assez puissant pour tenir en échec cet homme taciturne,
d’apparence apathique, qui est soutenu par une idée fixe et qui en
poursuit la réalisation avec une obstination de maniaque. Il laisse les
orateurs parler, les journalistes écrire, les députés se quereller, les
généraux [qu’il a] destitués l’injurier, les meneurs de groupes
parlementaires le vitupérer, il reste seul, muet, impénétrable. Ses
adversaires le traitent d’idiot et se rassurent. Enfermé à l’Elysée,
tortillant sa longue moustache, fumant ses cigarettes, et marchant, le
front baissé, à l’ombre des grands arbres, il écoute toutes ces rumeurs et
mûrit ses projets ».

QUESTION sur les observations critiques de Maxime du Camp sur


Napoléon

Ce texte correspond à une certaine vision de Napoléon III,


aujourd’hui remise en cause au vu des résultats du Second Empire.
Vous rechercherez les éléments de la réhabilitation par les historiens
récents de Napoléon III.

b) Doc. 14 Persistance de la légende napoléonienne.`

Il y avait de tout un peu dans le vote du peuple il y avait pour l’insurgé de


Strasbourg, pour l’auteur socialiste, mais surtout pour le neveu de l'Empereur.
Le peuple voulait surtout que le neveu continuât l'oncle, c’est-à-dire la
Révolution. Ici, entendons-nous bien, je vous en prie : l'Empire avait hérité de
la République, mais sous bénéfice d’inventaire. Des trois grands principes de la
Révolution... il n'en avait gardé qu’un seul, l'égalité qui lui suffit... Donc
l'Empire c'était une partie de la Révolution ; c'était tant bien que mal l'égalité
en pratique, la hiérarchie selon ses facultés; oui, c'était le principe d'égalité
contre principe d'hérédité, l’idée de progression contre l’idée de conservation,
le droit personnel, individuel contre le privilège de race et de caste. L'Empereur
même était parvenu; chacun pouvait, à l'exemple du chef, s’affirmer suivant sa
valeur, atteindre à son grade suivant son mérite, avoir son rang suivant son
droit.
L'Empire répondait plus ou moins au besoin de justice et d’élévation des
masses...

80
L'Empire exaltant le peuple, bouleversant le monde..., mettant la France sens
dessus dessous pour introniser les plus braves... c'était la Révolution, la
Révolution personnifiée, couronnée, si vous voulez mais enfin la Révolution.
Le vieil idéal de la Révolution accompli par un Bonaparte subsistait au fond
des cœurs.

Félix Pyat, Lettre à M. Louis-Napoléon Bonaparte, Paris, Banet, 1851.

QUESTIONS :

- Qu’est-ce qui a fait le succès de Louis-Napoléon Bonaparte d’après ce texte ?


- Quel était le lien de famille entre Napoléon 1er et Napoléon III ?
Dans l’imaginaire de la population, Napoléon 1er avait poursuivi l’œuvre de la
Révolution. Elle avait oublié l’œuvre administrative amorcée sous l’Ancien
régime et que Napoléon avait reprise.

Doc. 15 L’assemblée législative 25 mai 1849- 2 décembre 1851

Appel violent à l'effroi du « spectre rouge ».

Le moment décisif approche. Encore trois jours et vous tous, ouvriers des villes
et des campagnes, vous allez être appelés à consolider votre œuvre, l’œuvre du
10 décembre ou à la renverser. Il s’agit de savoir aujourd’hui si vous resterez
fidèles à la pensée de salut qui s’est emparée subitement de vos esprits, dans
ces tristes jours où la patrie haletante expirait lentement sous le pouvoir
anarchique du général Cavaignac. Sachez-le bien, les incorrigibles
révolutionnaires que vous avez vaincus par l'élection de Louis Bonaparte, vous
pressent de toutes parts. Ils vous entourent, ils cherchent, par tous les moyens
en leur pouvoir, à
vous circonvenir.

Pour vous séduire, ils vous prodiguent des promesses mensongères, qu'ils
n'auront jamais ni le pouvoir ni la volonté de tenir. Demain, si vous étiez assez
insensés pour souscrire à leurs coupables insinuation vous vous trouveriez
plongés dans un abime de ma dont vous ne pouvez calculer l'affreuse
profondeur.

Dites : Arrière à tous ces vils imposteurs ! Dites-le que le masque dont ils
couvrent leur visage ne vous empêche pas de reconnaître leurs traits hideux.
Les hommes qui s'appellent socialistes aujourd’hui, s'appelaient, il y a 60 ans,
jacobins et sans-culottes. Et demandez aux anciens de vos communes l’histoire
des temps où régnaient ces sans-culottes et ces jacobins. Ils vous diront que
dans ces jours à jamais déplorables les villes étaient en proie à la plus affreuse
anarchie.
Les fils dénonçaient leurs pères, le frère son frère, le domestique son maître;
des milliers de malheureux étaient entassés dans d’affreuses prisons et n’en
sortaient que pour marcher au supplice. Dans les campagnes, la misère était à
son comble. L’affreuse famine régnait en souveraine, les travaux des champs
partout étaient suspendus, les églises fermées, et vos prêtres en fuite ou

81
massacrés. Le peuple, dont ces infâmes démagogues se prétendaient les
représentants était réduit à un tel degré de misère, que des familles entières de
paysans ont été vues, dans ce département, réduites à brouter l'herbe des
champs et à manger le gland du chêne de nos forêts. Et, croyez bien, ces temps,
qui sont déjà loin de vous, ils reviendraient demain si vous vous laissiez égarer
comme furent vos pères par les discours insidieux et les promesses trompeuses
des démagogues socialistes d’aujourd’hui.

Les rouges ont fait leurs preuves... Le souvenir de l ‘année qui vient de
s’écouler, de cette année néfaste est là.
Electeurs, voulez-vous ajouter un second acte à ce drame lugubre : à ce drame
de sang; voulez-vous une misère plus profonde encore, voulez-vous un surcroit
d’impôts écrasants, voulez-vous le retour de la guerre civile et de ses horreurs ;
voulez-vous la confiscation de la propriété, la ruine de la famille, la destruction
de l’ordre social; voulez-vous enfin, un bouleversement général, votez avec
tous ceux qui n’ont rien à perdre et tout à gagner dans la révolution, votez pour
les socialistes, pour les républicains rouges, pour les montagnards.

Appel aux électeurs de la Nièvre.


Le Napoléonien. Journal de propagande anti-socialiste,
1ère année, Nos 12 et 13 -10 et 11 mai 1848.

Questions :

- De quels évènements est-il question dans ce texte ?

Le conflit entre le Président et l’Assemblée

a) Doc.16 La rupture : La question du commandement de l'armée de


Paris : octobre 1850-janvier 1851

On s’habituait peu à peu à l'idée d'un coup de force, qui devait dénouer la crise
politique où l’on se débattait et renverser la République, Mais triompherait le
parti qui posséderait la force armée. D’après la Constitution, le Président
commandait toutes les forces militaires et nommait tous les officiers ; mais
l’armée et la garde nationale de Paris étaient placées depuis 1849 sous le
commandement de Changarnier, général monarchiste, dévoué à la majorité de
l’Assemblée. Pour s'attacher les soldats le Prince passait de nombreuses revues,
faisant crier : « Vive Napoléon ! Vive l'Empereur! » après d’abondantes
distributions de vivres et de champagne. Après la plus célèbre de ces
manifestations (Satory, 10 octobre 1850), Changarnier, voulant couvrir un
général de division, Neumayer,qui avait été destitué par le Président pour avoir
empêché ses troupes de manifester, lança un ordre du jour (2 novembre)
rappelant aux troupes qu’elles « devaient s'abstenir de toute démonstration et
ne proférer aucun cri sous les armes ». Le 3 janvier, le prince destituait
Changarnier, et le 10 janvier partageait entre deux généraux dévoués à ses
ambitions les commandements de l’armée de la garde nationale. L'Assemblée
interpella le ministère sur ces faits.

82
Contesterez-vous que dans ces revues on ait poussé les cris de : Vive
l’empereur ?..…. Eh bien, nous tous, hommes d'ordre, nous avons été
profondément affligés, je dirai presque, si vous voulez que je donne au mot
toute l'énergie du sentiment que j'ai ressenti, indignés... Savez-vous pourquoi ?
C'était quelque chose de plus sacré encore que la légalité violée, quoique galité
soit quelque chose de bien respectable sous toutes les constitutions, c'était l’ère
des Césars préparée, celle où les légions proclamaient les empereurs... Voilà ce
que j'appelle le fait de prétoriens : ce sont les armées faisant la destinée des
nations et voulant la leur imposer...

Eh bien, permettez-moi de vous le dire, cela est sans exemple ; je ne sais pas
un acte aussi hardi sous aucun des gouvernements qui ont précédé... La
question est ici tout entière : pour des cris de : Vive l’empereur ! qu'un général
n'avait pas encouragés, qu’un autre a interdits... deux généraux, le général
Neumayer et le général Changarnier ont été destitués.

Maintenant, était-il possible, je le demande, si dociles si déférents que nous


eussions été... que la destitution du commandant en chef de la force, militaire
de Paris passât sans observation, qu’elle passât sans que le débat, débat triste et
terrible..…, s'élevât naturellement.… Il était inévitable. Eh bien, voilà ce qui a
brisé la majorité. Ce n'est pas nous, c'est vous ; ce n'est pas nous qui avons été
d’un dévouement sans bornes ; c'est vous qui, lorsque, disiez-vous, il y avait ici
une popularité qui vous offusquait, ne pouviez pas supporter un troisième
pouvoir... Le général Changarnier était un troisième pouvoir dans l'Etat.

Si vous vouliez dire qu'il avait une grande importance, cela est vrai... Pour
nous qui tenions beaucoup à ce que l'ordre fût, non seulement inattaqué mais
inattaquable, et qu’il y eût un homme d'une telle énergie à la tête de la force
publique qu’on ne songeât pas même à troubler l’ordre: oh! pour nous, il avait
une valeur immense à ce point de vue. Il en avait une seconde. L’idée s'était
répandue, pardonnez-nous cela, que M. le général Changarnier, étant à la tête
de la force publique, l’Assemblée avait, outre son inviolabilité de droit, une
inviolabilité de fait qui n’est pas à dédaigner... Oui, c’est vrai, il y avait là... un
général qui rassurait tous les gens d'ordre ,... qui... répondait à ce besoin de
sécurité qu’une Assemblée placée seule, sans intermédiaire, en présence du
pouvoir exécutif qui a le commandement des armées, a besoin
d’éprouver. M. le général Changarnier avait ces deux importances là.

« C'était une anomalie, dit-on ! Changarnier inspirant confiance à l'Assemblée


était une anomalie !.., » N'y a-t-il pas d'autre anomalie ? « le pouvoir exécutif,
en France, tel qu’il s’est établi depuis deux ans, a-t-il l'attitude, les habitudes
d’un président de la République ? » Thiers passe ensuite la revue des quatre
partis qui divise la France : orléanistes, légitimistes, républicains,
bonapartistes. Ce dernier est le plus puissant car il a le pouvoir, il distribue
toutes les faveurs. C’est à lui qu'on est reconnaissant.

Ne vous étonnez donc pas de notre attitude. elle est forcée, nous ne pouvions
pas en tenir une autre, et il fallait bien que nous n’en pussions pas tenir une
autre pour que je vinsse faire ce grand acte

83
de me séparer du gouvernement dans une circonstance aussi grave...
Maintenant vous dites: On va provoquer un conflit !... Et quel était le moyen de
l’éviter ? Qu'est-ce qui l'a commencé ?...

Maintenant, comment le faire cesser, comment ? Vous voulez que l’Assémblée


cède ? On dit: « Mais si le pouvoir exécutif est battu dans cette circonstance, le
pouvoir exécutif sera humilié. ».., Le pouvoir exécutif serait obligé de faire en
cette occasion quelques
réflexions utiles, que, je le crois, il n’en serait pas considérablement affaibli ;
mais l’Assemblée, si elle cède..., permettez-moi de vous faire la réflexion que
voici. Lorsque deux pouvoirs en présence ont entrepris l’un sur l’autre, si c’est
celui qui a entrepris qui est obligé de reculer, il a un désagrément, c'est vrai,
c’est juste ; mais si c’est celui sur lequel on a entrepris qui cède, alors sa
faibiesse est tellement évidente à tous les yeux qu'il est perdu. Eh bien, quant à
moi, je n'ajoute plus qu'un mot; il n’y a que deux pouvoirs aujourd’hui dans
l'Etat, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Si l’Assemblée cède
aujourd'hui, il n’y en a plus qu'un... et quand il n’y en aura plus qu’un, la forme
du gouvernement est changée; le mot, la forme viendront... quand elles
viendront, cela m'importe peu ; mais ce que vous dites ne pas vouloir, si
l’assemblée cède, vous l'aurez obtenu aujourd’hui même; il n’y a plus qu'un
pouvoir... le mot viendra quand on voudra... l'empire est fait.

A.Thiers, Assemblée législative, 17 janvier 1851, Moniteur, 18 janvier, n° 18,


p. 185 sqq.

Question

que dénonce Thiers dans ce discours


- dans le domaine militaire ?
- dans les rapports entre les pouvoirs publics ?

Le Second Empire

2 décembre 1852-4 septembre 1870

Revoir le cours sur les thèmes :

1) Quelles sont les trois phases du second Empire ?


2) Qu’est ce que le césarisme politique ?
3) Qui est Louis Napoléon Bonaparte ?
4) Durant quelle période la République se transforme - t-elle en Empire ?
5) Pourquoi Napoléon fait-il usage des tournées politiques ?
6) Qu’est-ce qu’un plébiscite ? Quels seront les plébisicites napoléoniens (de
1851 à 1870) et à quels résultats aboutiront-ils ?
7) Soutiens et opposants à l’Empire autoritaire ?
8) Pourquoi l’empire évolue-t-il d’une phase autoritaire à libérale ?
9) Comment se fait l’ouverture au libéralisme politique ?
10) Les réformes politiques de la fin de l’Empire.
84
11) Quel est l’héritage du IIsd Empire ?

I L’EMPIRE AUTORITAIRE 1852-1860

Doc. 1 Constitution du 14 janvier 1852 (Extraits)

TITRE I

Article 1. - La Constitution reconnaît, confirme et garantit les grands


principes proclamés en 1789, et qui sont la base du droit public des
Français.

TITRE II - Formes du gouvernement de la République.

Article 2. - Le Gouvernement de la République française est confié pour


dix ans au prince Louis Napoléon Bonaparte, président actuel de la
République.

Article 3. - Le président de la République gouverne au moyen des


ministres, du Conseil d'Etat, du Sénat et du Corps législatif.

Article 4. - La puissance législative s'exerce collectivement par le


président de la République, le Sénat et le Corps législatif.

TITRE III - Du président de la République

Article 5. - Le président de la République est responsable devant le


Peuple français, auquel il a toujours le droit de faire appel.

Article 6. - Le président de la République est le chef de l'Etat ; il


commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités
de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois, fait les
règlements et décrets nécessaires pour l'exécution des lois.

Article 7. - La justice se rend en son nom.

Article 8. - Il a seul l'initiative des lois.

Article 9. - Il a le droit de faire grâce.

Article 10. – Il sanctionne et promulgue les lois et les sénatus-consultes.

Article 11. - Il présente, tous les ans, au Sénat et au Corps législatif, par
un message, l'état des affaires de la République.

Article 12. - Il a le droit de déclarer l'état de siège dans un ou plusieurs


départements, sauf à en référer au Sénat dans le plus bref délai. Les
conséquences de l'état de siège sont réglées par la loi.

Article 13. - Les ministres ne dépendent que du chef de l'Etat ; ils ne


sont responsables que, chacun en ce qui le concerne, des actes du
85
gouvernement ; il n'y a point de solidarité entre eux ; ils ne peuvent être
mis en accusation que par le Sénat.

Article 14. - Les ministres, les membres du Sénat, du Corps législatif et


du Conseil d'Etat, les officiers de terre et de mer, les magistrats et les
fonctionnaires publics prêtent le serment ainsi conçu : " Je jure obéissance
à la Constitution et fidélité au président. "

Article 15. - Un sénatus-consulte fixe la somme allouée annuellement au


président de la République pour toute la durée de ses fonctions.

TITRE IV - Du Sénat

Article 19. - Le nombre des sénateurs ne pourra excéder cent cinquante :


il est fixé pour la première année, à quatre-vingts.

Article 20. - Le Sénat se compose : 1° Des cardinaux, des maréchaux,


des amiraux ; 2° Des citoyens que le président de la République juge
convenable d'élever à la dignité de sénateur.

Article 21. - Les sénateurs sont inamovibles et à vie.

Article 22. - Les fonctions de sénateur sont gratuites ; néanmoins le


président de la République pourra accorder à des sénateurs, en raison
de services rendus et de leur position de fortune, une dotation
personnelle, qui ne pourra excéder trente mille francs par an.

Article 23. - Le président et les vice-présidents du Sénat sont nommés


par le président de la République et choisis parmi les sénateurs. - Ils
sont nommés pour un an. - Le traitement du président du Sénat est fixé
par un décret.

Article 24. - Le président de la République convoque et proroge le Sénat.


Il fixe la durée de ses sessions par un décret. - Les séances du Sénat ne
sont pas publiques.

Article 25. - Le Sénat est le gardien du pacte fondamental et des libertés


publiques. Aucune loi ne peut être promulguée avant de lui avoir été
soumise.

Article 26. - Le Sénat s'oppose à la promulgation. - 1° Des lois qui


seraient contraires ou qui porteraient atteinte à la Constitution, à la
religion, à la morale, à la liberté des cultes, à la liberté individuelle, à
l'égalité des citoyens devant la loi, à l'inviolabilité de la propriété et au
principe de l'inamovibilité de la magistrature ; 2° De celles qui
pourraient compromettre la défense du territoire.

Article 27. - Le Sénat règle par un sénatus-consulte : 1° La constitution


des colonies et de l'Algérie ; 2° Tout ce qui n'a pas été prévu par la
Constitution et qui est nécessaire à sa marche ; 3° Le sens des articles de
la Constitution qui donnent lieu à différentes interprétations.
86
Article 28. - Ces sénatus-consultes seront soumis à la sanction du
président de la République et promulgués par lui.

Article 29. - Le Sénat maintient ou annule tous les actes qui lui sont
déférés comme inconstitutionnels par le gouvernement, ou dénoncés,
pour la même cause, par les pétitions des citoyens.

Article 30. - Le Sénat peut, dans un rapport adressé au président de la


République, poser les bases de projets de loi d'un grand intérêt national.

Article 31. - Il peut également proposer des modifications à la


Constitution. Si la proposition est adoptée par le pouvoir exécutif, il y
est statué par un sénatus-consulte.

Article 32. - Néanmoins, sera soumise au suffrage universel toute


modification aux bases fondamentales de la Constitution, telles qu'elles
ont été posées dans la proclamation du 2 décembre et adoptées par le
Peuple français.

Article 33. - En cas de dissolution du Corps législatif, et jusqu'à une


nouvelle convocation, le Sénat, sur la proposition du président de la
République, pourvoit, par des mesures d'urgence, à tout ce qui est
nécessaire à la marche du gouvernement.

TITRE V - Du Corps législatif

Article 34. - L'élection a pour base la population.

Article 35. - Il y aura un député au Corps législatif à raison de trente-


cinq mille électeurs.

Article 36. - Les députés sont élus par le suffrage universel, sans scrutin
de liste.

Article 37. - Ils ne reçoivent aucun traitement.

Article 38. - Ils sont nommés pour six ans.

Article 39. - Le Corps législatif discute et vote les projets de loi et


l'impôt.

Article 40. - Tout amendement adopté par la commission chargée


d'examiner un projet de loi sera renvoyé, sans discussion, au Conseil
d'Etat par le président du Corps législatif. - Si l'amendement n'est pas
adopté par le Conseil d'Etat, il ne pourra pas être soumis à la
délibération du Corps législatif.

Article 41. - Les sessions ordinaires du Corps législatif durent trois


mois ; ses séances sont publiques, mais la demande de cinq membres
suffit pour qu'il se forme en Comité secret.

Article 42. - Le compte rendu des séances du Corps législatif par les
87
journaux ou tout autre moyen de publication, ne consistera que dans la
reproduction du procès-verbal, dressé, à l'issue de chaque séance, par
les soins du président du Corps législatif.

Article 43. - Le président et les vice-présidents du Corps législatif sont


nommés par le président de la République pour un an ; ils sont choisis
parmi les députés. Le traitement du président du Corps législatif est
fixé par un décret.

Article 44. - Les ministres ne peuvent être membres du Corps législatif.

Article 45. - Le droit de pétition s'exerce auprès du Sénat. Aucune


pétition ne peut être adressée au Corps législatif.

Article 46. - Le président de la République convoque, ajourne, proroge


et dissout le Corps législatif. En cas de dissolution, le président de la
République doit en convoquer un nouveau dans le délai de six mois…

Questions sur la constitution du 14 janvier 1852

1) La Constition se réclame t’elle de la démocratie ? (citer l’article).


2) Quelle est la durée des fonctions du Président de la République ?
(citer l’article).
3) Quel est le statut des ministres ? (citer l’article).
4) Qu’est-ce qui affaiblit les assemblées dans la confection des lois ?
(plusieurs articles).
5) Le suffrage universel est-il maintenu ? (citer les articles)
6) Que peut-on dire des principes énoncés dans cette Constitution ?

La Constitution du 14 janvier 1852 reçoit des modifications qui ont été


approuvées par les français au terme d’un plébiscite.

Doc.2 Le senatus-consulte du 7 novembre 1852

Le Sénat a délibéré, conformément aux articles 31 et 32 de la


Constitution et voté le sénatus-consulte dont la teneur suit :

Article premier
La dignité impériale est rétablie.

Louis Napoléon Bonaparte est Empereur des Français, sous le nom de


Napoléon III.

Article 2
La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe et
légitime de Louis-Napoléon Bonaparte, de mâle en mâle, par ordre de
primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur
descendance.

88
Article 8
La proposition suivante sera présentée à l'acceptation du Peuple
français dans les formes déterminées par les décrets des 2 et 4 décembre
1851 :

« Le Peuple français veut le rétablissement de la dignité impériale dans


la personne de Louis-Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa
descendance directe, légitime ou adoptive, et lui donne le droit de
régler l'ordre de succession au trône dans la famille Bonaparte, ainsi
qu'il est prévu par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852. »

Résultat du plébisicite :
- 7.820.000 votes favorables et
- 253.000 votes défavorables
Ce senatus-consulte est promulgé le 2 décembre 1852.

La Constitution modifiée s’est appliquée à partir du 2 décembre 1852.

Question sur le senatus-consulte du 7 novembre 1852 :

1) Quelles modifications apporte-t-il à la Constitution du 14 janvier


1852 ?
2) Ces modifications ont –elles été acceptées par le peuple français ?

Le régime électoral et la candidature officielle

DOC. 3 Décret organique du 2 février 1852 pour l'élection des députés


au Corps législatif.

Titre Ier DU CORPS LÉGISLATIF

Article premier. - Chaque département aura un député à raison de


trente cinq mille électeurs ; néanmoins, il est attribué un député de plus
à chacun des départements dans lesquels le nombre excédant des
électeurs s'élève à vingt-cinq mille. En conséquence, le nombre total des
députés au prochain Corps législatif est de deux cent soixante et un.
L'Algérie et les colonies ne nomment pas de députés au Corps législatif.

Art. 2. - Chaque département est divisé, par un décret du pouvoir


exécutif, en circonscriptions électorales égales en nombre aux députés
qui lui sont attribués par le tableau annexé à la présente loi. Ce tableau
sera révisé tous les cinq ans. Chaque circonscription élit un seul député.

Art. 3. - Le suffrage est direct et universel. Le scrutin est secret. Les


électeurs se réunissent au chef-lieu de leur commune. Chaque
commune peut néanmoins être divisée, par arrêté du préfet, en autant
de sections que le rend nécessaire le nombre des électeurs inscrits ;
89
l'arrêté pourra fixer le siège de ces sections hors du chef-lieu de la
commune.

......................................................................................................

Art. 6. - Nul n'est élu ni proclamé député au Corps législatif, au premier


tour de scrutin, s'il n'a réuni, 1° la majorité absolue des suffrages
exprimés ; 2° un nombre égal au quart de celui des électeurs inscrits sur
la totalité des listes de la circonscription électorale. Au second tour de
scrutin, l'élection a lieu à la majorité relative, quel que soit le nombre
des votants ; dans le cas où les candidats obtiendraient un nombre égal
de suffrages, le plus âgé sera proclamé député.

......................................................................................................

Titre II DES ÉLECTEURS ET DES LISTES ÉLECTORALES

Art. 12. - Sont électeurs, sans condition de cens, tous les Français, âgés
de vingt et un ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et
politiques.

......................................................................................................

Titre III DES ÉLIGIBLES

Art. 26. - Sont éligibles, sans condition de domicile, tous les électeurs
âgés de vingt-cinq ans.

Questions

1) Comment sont élus les députés du corps législatif ?


2) Quelle sont les différences de condition électorale entre les électeurs
et les éligibles ?

DOC. 4 La candidature officielle.

Circulaires du Ministre de l'Intérieur J.-G.Victor Fialin de Persigny au Préfet,


11 février 1852.

Dans les élections qui se préparent, le peuple français a un rôle important à


remplir. Mais ici, quel ne serait pas son embarras sans l'intervention du
Gouvernement. Comment huit millions d’électeurs pourraient-ils s'entendre
pour distinguer, entre tant de candidats recommandables à tant de titres divers,
et sur tant de points à la fois, deux cent soixante et un députés, animés du
même esprit, dévoués aux mêmes intérêts et disposés également à compléter la
victoire populaire du 22 décembre ? Il importe donc que le Gouvernement
éclaire à ce sujet les électeurs.

90
En conséquence, Monsieur le Préfet, prenez des mesures pour faire connaitre
aux électeurs de chaque circonscription de votre département, par
l’intermédiaire des divers agents de l'administration, par toutes les voies que
vous jugerez convenables, selon l'esprit des localités, et au besoin, par des
proclamations attachées dans les communes, celui des candidats que le
Gouvernement de Napoléon juge le plus propre à l’aider dans son œuvre
réparatrice.

Je vous recommande surtout, de mettre l'intérêt de l'Etat au-dessus des


questions de personnes. Le Gouvernement ne se préoccupe pas des antécédents
politiques des candidats qui acceptent avec franchise et sincérité le nouvel
ordre de choses; mais il vous demande en même temps de ne pas hésiter à
prémunir les populations contre ceux dont les tendances connues, quels que
soient d’ailleurs leurs titres, ne seraient pas dans l'esprit des institutions
nouvelles. Ceux-là seuls sont dignes des choix du peuple qui sont résolus et qui
s'engagent à défendre son ouvrage.

Moniteur, 12 février 1852, n° 43. p. 230.

Question

D’après ce texte expliquez ce que l’on entend par la pratique de la


« candidature officielle » qui a lieu durant tout le XIXè siècle, y compris sous
la IIIè République. Quelle idée sous jacente se fait-on alors de l’électeur ?

II L’EMPIRE LIBERAL 1860-1870

DOC. 5 Décret du 24 novembre 1860 : vote de l'Adresse,

1. — Le Sénat et le Corps législatif voteront tous les ans, à l'ouverture de la


session, une adresse en réponse à notre discours.

2. — L'adresse sera discutée en présence des commissaires du Gouvernement


qui donneront aux Chambres toutes les explications nécessaires sur la politique
intérieure et extérieure de l’Empire.

3. — Afin de faciliter au Corps législatif l'expression de son opinion dans la


confection des lois et l’exercice
du droit d’amendement,.… le règlement du Corps législatif est modifié de la
manière suivante : « Immédiatement après la distribution des projets de loi et
au jour fixé parle président, le Corps législatif, avant de nommer sa
commission, se réunit en comité secret; une discussion sommaire est ouverte
sur le projet de loi, et les commissaires du Gouvernement y prennent part... »

4. — Dans le but de rendre plus prompte et plus complète la reproduction des


débats du Sénat et du Corps législatif, le projet de sénatus-consulte suivant sera
présenté au Sénat: « Les comptes rendus des séances du Sénat et du Corps

91
législatif, rédigés par des secrétaires rédacteurs placés sous l'autorité du
président de chaque assemblée, sont adressés chaque soir à tous les journaux.
En outre, les débats de chaque séance sont reproduits par la sténographie et
insérés in extenso dans le journal officiel du lendemain. » .

5. — L'Empereur désignera des ministres sans portefeuille pour défendre


devant les Chambres, de concert avec le président et les membres du Conseil
d'Etat, les projets de loi du Gouvernement.

Bulletin des Lois. Série XI. T. XVI, n° 878. p. 1177.

Question :

Expliquez en quoi cette procédure de l’Adresse appartient au système


parlementaire ?

DOC.6 Effet du décret du 24 novembre 1860.

Le premier mouvement du public fut la stupéfactton; puis vinrent les


commentaires. Les irréconciliables de toutes nuances, monarchiques,
républicains, Généraux, proclamèrent que c'était une mystification.
Le despote rusait et voulait consolider son despotisme en lui donnant un
masque libéral...

Les libéraux vrais trouvèrent que l'Empereur n’était pas resté immobile, qu'il
avait fait plus qu'un demi-tour à gauche. Ils jugeaient les concessions
considérables. Sans doute elles étaient insuffisantes, puisqu'elles n'établissaient
ni la liberté de la presse, ni la responsabilité ministérielle, ni la liberté des
élections, ni la spécialité budgétaire, mais elles y conduisaient inévitablement.
Il fallait donc s’en réjouir, en savoir gré, les accepter avec confiance, sauf à en
tirer plus tard ce qu'elles contenaient implicitement.. « Ceux qui n’apprécient
pas encore ce progrès à sa juste valeur, écrivait, le 2 décembre 1860, dans le
Journal des Débats, Prévost-Paradol, lui rendront bientôt plus de justice en
sentant se répandre dans l’air ce je ne sais quoi qui annonce dans un grand pays
le réveil de la vie publique... ».

Le gros du parti gouvernemental fut consterné ! Ces nouvelles conceptions


libérales, écrivait Mérimée, me paraissent des plus étranges et j'y vois un sujet
d'inquiétudes pour l'avenir. » Les emportés ne disaient pas, les décrets du 24
novembre, mais l'attentat du 24 novembre. Tenant en sens inverse, et dans des
vues contraires, le même langage que les irréconciliables monarchiques ou
républicains, ils déclaraient la liberté incompatible avec l’Empire: si on lui
entrebâillait seulement la porte, elle y passerait tout entière et détruirait le
régime napoléonien ; l'Empereur venait de décréter sa perte...

Les habiles du parti déclaraient qu'on grossissait l'importance du


changement.…., il opérait simplement des modifications réglementaires
accessoires à une Constitution dont le cadre restait et resterait immuable. On
n'irait pas plus loin.….; ainsi parlaient les Baroche, les Fould, les Billault..…

92
Emille Ollivier, L’Empire libéral, Paris, Garnier, 1900, T.V, p.91, sqq.

Question

Dans ce texte, le décret du 24 mars 1860 suscite diverses réactions : distinguez


les, selon les opinions politiques de ceux qui les expriment.

Doc.7 Sénatus-consulte du 31 décembre 1861, sur le vote du budget

1. - Le budget des dépenses est présenté au Corps législatif avec ses divisions
en sections, chapitres et articles. Le budget de chaque ministère est voté par
sections... La répartition, par chapitres, des crédits accordés pour chaque
section est réglée par décret de l'Empereur, rendu en Conseil d'Etat.

2. - Des décrets spéciaux, rendus dans la même forme, peuvent autoriser des
virements, d'un chapitre à un autre dans le budget de chaque ministère.

3.- Il ne pourra être accordé de crédits supplémentaires ou de crédits


extraordinaires qu’en vertu d’une loi. |

Bulletin des Lois, Série XI. T. XVIII. N° 988, p. 953.

On ne possède que des détails très sommaires sur les budgets de 1852 à 1860.
L'Empire avait changé le mode de votation du budget: la loi de finance, au lieu
d'être votée comme sous les gouvernements libres, dans les détails, avec
spécialisation des crédits, c’est-à-dire avec destination précise donnée aux
sommes mises à la disposition de l'administration, était établie par grandes
divisions, et les ministres restaient libres d'opérer à leur gré des virements
entre les chapitres du budget de leur département. Le Corps législatif, dans ces
conditions, se trouvait incapable d'exercer une action sérieuse sur les finances
de l'Etat.

Question :

Qu’est ce qui change dans ce texte par rapport à la conception napoléonienne


(Ier et IIè empire) qui ne souffre pas le contrôle de la représentation nationale
sur les actes du gouvernement ?

Doc. 8 Adolphe Thiers, Discours sur les libertés nécessaires, 11 janvier


1864, prononcé au Corps Législatif.

Pour moi, messieurs, il y a cinq conditions qui constituent ce que j’appelle le


nécessaire en fait de liberté.
La première est celle qui est destinée à assurer la sécurité du citoyen. Il faut
que le citoyen repose tranquillement dans sa demeure, et parcoure toutes les
parties du territoire sans être exposé à aucun acte arbitraire. Pourquoi les
hommes se mettent-ils en société ? Pour assurer leur sécurité. Mais quand ils se
sont mis à l’abri de la violence individuelle, s’ils restaient exposés à la violence

93
du pouvoir destiné à le protéger, ils auraient manqué leur but. Il faut que le
citoyen soit garanti contre la violence individuelle, et contre tout acte arbitraire
du pouvoir. Ainsi, quant à cette liberté individuelle, je n’insisterai pas, et c’est
bien celle-là qui mérite le titre d’incontestable et d’indispensable.
Mais, quand le citoyen a obtenu cette sécurité, il n’a presque rien fait encore.
S’il s’endormait dans une tranquille indolence, cette sécurité, il ne la
conserverait pas longtemps. Il faut en effet que le citoyen veille sur la chose
publique, pour cela, il faut qu’il y pense, et il ne faut pas qu’il y pense seul, car
il n’arriverait ainsi qu’à une opinion individuelle ; il faut que ses concitoyens y
pensent comme lui ; il faut que tous ensemble échangent leurs idées, et arrivent
ainsi à produire cette pensée commune qu’on appelle l’opinion publique. Or,
cela n’est possible que par la presse. Il faut donc qu’elle soit libre, mais,
lorsque je dis liberté, je ne dis pas impunité. De même que la liberté
individuelle du citoyen existe à la condition qu’il n’aura pas provoqué la
vindicte des lois, la liberté de la presse est à cette condition que l’écrivain
n’aura ni outragé l’honneur des citoyens, ni troublé le repos du pays.
Ainsi, selon moi, la seconde liberté nécessaire, c’est pour les citoyens cette
liberté d’échanger leurs idées, liberté qui enfante l’opinion publique. Mais,
lorsque cette opinion se produit, elle ne doit pas demeurer un vain bruit, et il
faut qu’elle ait un résultat. Pour cela il faut que des hommes choisis viennent
l’apporter ici au centre de l’État, cela suppose la liberté des élections, et par
liberté des élections, je n’entends pas que le gouvernement, qui est chargé de
veiller aux lois, n’ait pas là un rôle, que le gouvernement, qui est composé de
citoyens, n’ait pas une opinion : je me borne à dire qu’il ne faut pas qu’il puisse
dicter les choix et imposer sa volonté dans les élections. Voilà ce que j’appelle
la liberté électorale.
Mais ce n’est pas tout, messieurs. Quand ces élus, mandataires de l’opinion
publique, chargés de l’exprimer, sont réunis ici, il faut qu’ils puissent, d’une
liberté complète, il faut qu’ils puissent à temps… (veuillez bien, messieurs,
apprécier la portée de ce que je dis en ce moment), il faut qu’ils puissent, à
temps, opposer un utile contrôle à tous les actes du pouvoir. Il ne faut pas que
ce contrôle arrive trop tard, et qu’on n’ait que des fautes irréparables à déplorer.
C’est là la liberté de la représentation nationale, sur laquelle je m’expliquerai
tout à l’heure, et cette liberté est, selon moi, la quatrième des libertés
indispensables.
Enfin vient la dernière (je ne dirai pas la plus importante, elles sont toutes
également importantes), mais la dernière, dont le but est celui-ci : c’est de faire
que l’opinion publique, bien constatée ici à la majorité, devienne la directrice
de la marche du gouvernement.
Messieurs, les hommes, pour arriver à cette liberté qui est, on peut le dire, la
liberté tout entière, ont imaginé deux moyens, la république et la monarchie.
Dans la république, le moyen est bien simple : on change le chef de l’État tous
les quatre, six ou huit ans, suivant le texte de la Constitution.
De leur côté, les partisans de la monarchie ont voulu, eux aussi, n’être pas
moins libres que les citoyens de la république, et quel moyen ont-ils imaginé ?
C’est au lieu de faire porter l’effort de l’opinion publique sur le chef de l’État,
de le faire porter sur les dépositaires de son autorité, d’établir le débat non pas
avec le souverain, mais avec des ministres, de manière que, le souverain ne
changeant pas, la permanence du pouvoir étant assurée, quelque chose

94
changeât, la politique, et qu’ainsi s’accomplit ce beau phénomène du pays
placé sous un monarque étranger à toutes les vicissitudes, du pays se
gouvernant lui-même par sa propre pensée et pas sa propre opinion.

Questions

1) Quelles sont les libertés réclamées par Thiers dans ce discours ? (appuyez
votre réponse par des citations du texte).
2) Est-ce que les demandes faites dans ce discours correspondent à l’Etat
napoléonien au moment où Thiers s’exprime ?

DOC. 9 Décret qui remplace l'Adresse par le droit d'interpellation : 19


janvier 1867.

1. - Les membres du Sénat et du Corps législatif peuvent adresser des


interpellations au Gouvernement.

2. - Toute demande d'interpellation doit être écrite où signée par cinq membres
au moins. Cette demande explique sommairement l’objet des interpellations;
elle est remise au président, qui la communique au ministre d’État et la renvoie
à l'examen des bureaux.

3. - Si deux bureaux du Sénat ou quatre bureaux du Corps législatif émettent


l'avis que les interpellations peuvent avoir lieu, la Chambre fixe le jour de la
discussion.

4. - Après la clôture de la discussion, la chambre prononce l’ordre du jour pur


et simple ou le renvoi au Gouvernement.

6. - Le renvoi au Gouvernement ne peut être prononcé que dans les termes


suivants : « Le Sénat (ou le Corps législatif) appelle l'attention du
Gouvernement sur l’objet des interpellations ».…

7. - Chacun des ministres peut, par une délégation spéciale de l'Empereur, être
chargé, de concert avec le ministre d'Etat, de représenter le Gouvernement
devant le Sénat ou le Corps législatif, dans la discussion des affaires ou des
projets de loi.

8. - Sont abrogés les articles 1er et 2è de notre décret du 24 novembre 1860, qui
statuent que le Sénat et le Corps législatif voteront tous les ans, à l'ouverture de
la session, une adresse en réponse à notre discours.

Bulletin des Lois, Série XI. T. XXIX. No 1464. p. 88.

Question

Par rapport au document 5 sur l’Adresse, quel progrès dans le sens de


l’assouplissement du régime semble réalisé avec ce droit d’interpellation ?

95
DOC.10 Sénatus-consulte sur les pouvoirs législatifs du Sénat : 14 mars
1867.

L'art. 26, de la Constitution est modifié de la manière suivante :

Art. 26. — Le Sénat s'oppose à la promulgation des lois qui seraient contraires
ou qui porteraient atteinte à la Constitution, à la religion, à la morale, à la
liberté des cultes, à la liberté individuelle, à l'égalité des citoyens devant la loi,
à l’inviolabilité de la propriété et au principe de l'inamovibilité de la
magistrature ; de celles qui pourraient compromettre la défense du territoire.
- Le Sénat peut, en outre, avant de se prononcer sur la promulgation d'une loi,
décider, par une résolution motivée, que cette loi sera soumise à une nouvelle
délibération du Corps législatif. Cette nouvelle délibération n’aura lieu que
dans une session suivante, à moins que le Sénat n’ait reconnu qu'il y a urgence.

Bulletin des Lois. Série XI, t. XXIX, n° 4474. p. 381.

Question

Quel rôle est donné au Sénat par ce senatus-consulte ?

DOC. 11 Senatus-consulte du 8 septembre 1869

1.- L’Empereur et le Corps législatif ont l’initiative des lois.

2.- Les ministres ne dépendent que de l’Empereur. Ils délibèrent en conseil


sous sa présidence. Ils sont responsables. Ils ne peuvent être mis en accusation
que par le Sénat.

3.- Les ministres ne peuvent être membres du Sénat et du Corps législatif. Ils
ont entrée dans l’une et l’autre assemblée et doivent être entendus toutes les
fois qu'ils le demandent.

4- Les séances du Sénat sont publiques. La demande de cinq membres suffit


pour qu'il se forme en comité secret.

5.- Le Sénat peut, en indiquant les modifications dont une loi lui parait
susceptible, décider qu'elle sera renvoyée à une nouvelle délibération du Corps
législatif.

Il peut, dans tous les cas, s'opposer à la promulgation de la loi...

6. - À l'ouverture de chaque session, le Corps législatif nomme son président,


ses vice-présidents, ses secrétaires, Il nomme ses questeurs.

7.- Tout membre du Sénat ou du Corps législatif a le droit d'adresser une


interpellation au Gouvernement. Des ordres du jour motivés peuvent être
adoptés... Les bureaux nomment une commission sur le rapport sommaire de
laquelle l'Assemblée se prononce.

96
8. - Aucun amendement ne peut être mis en délibération s’il n’a été envoyé à la
commission charges d’examiner le projet de loi et communiqué au
Gouvernement.

9. -Le budget des dépenses est présenté au Corps législatif par chapitres et
articles. Le budget de chaque ministère est voté par chapitres.

10. -Les modifications apportées à l'avenir à des tarifs de douanes ou de postes


par des traités internationaux ne seront obligatoires qu'en vertu d’une loi.

11. — Les rapports constitutionnels actuellement établis entre le


Gouvernement de l'Empereur, le Sénat et le Corps législatif ne peuvent être
modifiés que par un sénatus-consulte. Les rapports réglementaires entre ces
pouvoirs sont établis par décret impérial. Le Sénat et le Corps législatif font
leur règlement intérieur.

Bullelin des Lois, Série XI, t.XXXIV, n° 1742. p. 253.

Question :

En quoi ce senatus consulte du 8 septembre 1869 modifie t’il le régime en


profondeur ?

DOC.12 Le programme de Belleville 1869.

Léon Gambetta a prononcé un discours dans le quartier de Belleville, à Paris,


alors qu'il était candidat aux élections législatives en 1869. Ce discours fut
publié dans le journal L'Avenir national, le 15 mai 1869, et fut appelé le
programme de Belleville.
Gambetta, jeune avocat, se présente dans la première circonscription de la
Seine, le quartier populaire de Belleville, dont le centre est habité en ce temps-
là par des commerçants, des artisans et des ouvriers de petites entreprises.
D’où la tonalité assez radicale de son programme électoral, rédigé par le
comité républicain de Belleville.
Au cours du temps, on verra certains points de se programme délaissés par les
Républicains, ( le mandat impératif des députés, l’élection des fonctionnaires,
la suppression de l'armée) ceux-ci en conserveront néanmoins des éléments
dont ils feront application lorsqu’ils auront conquis le pouvoir, à partir de
l’époque de la République opportuniste et cela jusqu’en 1914 ( droit de
réunion et d'association ; séparation de l'Église et de l'État ; instruction
primaire gratuite, laïque et obligatoire).

L'idéologie républicaine est surtout préoccupée par la réforme politique et tend


à délaisser les préoccupations sociales ce que reprendront les socialistes.

Citoyens,

97
Au nom du suffrage universel, base de toute organisation politique ou sociale,
donnons mandat à notre député d'affirmer les principes de la démocratie
radicale et de revendiquer énergiquement :
- l'application la plus radicale du suffrage universel, tant pour l’élection des
maires et conseillers municipaux, sans distinction de localité, que pour
l'élection des députés ;
- la répartition des circonscriptions effectuée sur le nombre réel des électeurs
de droit, et non sur le nombre des électeurs inscrits ;
- la liberté individuelle désormais placée sous l’égide des lois, et non soumise
au bon plaisir
et à l'arbitraire administratifs ;
- l’abrogation de la loi de sûreté générale (1) ;
- la suppression de l'article 75 de la Constitution de l'an VIII (2) et la
responsabilité directe de tous les fonctionnaires ;
- les délits politiques de tous ordres déférés au jury ;
- la liberté de la presse dans toute sa plénitude, débarrassée du timbre et du
cautionnement ;
- la suppression des brevets d'imprimerie et de librairie ;
- la liberté de réunion sans entraves et sans pièges avec la faculté de discuter
toute matière religieuse, philosophique et sociale ;
- l’abrogation de Particle 291 du Code pénal (3);
- la liberté d'association pleine et entière ;
- la suppression du budget des cultes et la séparation des Églises et de l’État :
- l'instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire, avec concours entre les
intelligences d’élite pour l'admission aux cours supérieurs, également gratuits ;
- la suppression des octrois, la suppression des gros traitements et des cumuls
et la modification de notre système d'impôts ;
- la nomination de tous les fonctionnaires publics par l’élection ;
- la suppression des armées permanentes, cause de ruine pour les finances et les
affaires de la nation, source de haines entre les peuples et de défiance à
l’intérieur ;
- l’abolition des privilèges et monopoles que nous définissons par ces mots :
primes à l’oisiveté ;
- les réformes économiques, qui touchent au problème social, dont la solution,
quoique subordonnée à la transformation politique, doit être constamment
étudiée et recherchée au nom du principe de justice et d'égalité sociale. Ce
principe généralisé et appliqué peut seul en effet faire disparaître l’antagonisme
social et réaliser complètement notre formule.

Liberté, égalité, fraternité.

(1) La loi de sûreté générale est une loi du 1er février 1858, promulguée le 27
février 1858, qui permet de punir de prison toute tentative d'opposition et
autorise l'arrestation et la déportation sans jugement d'un individu condamné
pour délits politique depuis 1848. Elle ne fut plus que très rarement appliquée
dès le mois de mars 1858.
(2) Cet article 75 est un article de la constitution de 1799. Il dispose : « Les
agents du gouvernement, autres que les ministres, ne peuvent être poursuivis

98
pour des faits relatifs à leurs fonctions, qu'en vertu d'une décision du Conseil
d'État : en ce cas, la poursuite a lieu dans les tribunaux ordinaires. »
(3) Article 291 du code pénal de 1810 : « Nulle association de plus de vingt
personnes, dont le but sera de se réunir tous les jours à certains jours marqués
pour s'occuper d'objets religieux, littéraires et politiques ou autres, ne pourra se
former qu'avec l'agrément du gouvernement, et sous les conditions qu'il plaira
à l'autorité publique d'imposer à la société ». Ce texte fut abrogé par la loi de
1901 sur les associations.

Questions sur le discours de Belleville

1) recherchez ce que veut dire le mandat impératif évoqué dans le texte.


2) Gambetta parle de fonctionnaires élus : à quelle période de l’histoire
française, les fonctionnaires ont-ils été élus ? Est-ce que cela fut une réussite ?
Si le fonctionnaire n’est pas élu alors comment entre t’il dans ses fonctions ?
3) Le discours veut supprimer les armées permanentes. Par quoi les remplace
t’on ?
4) Quel fut le climat électoral dans lequel ce discours fut prononcé ?

DOC. 13 Le sénatus-consulte du 20 Avril 1870 (extraits)

12.- L'initiative des lois appartient à l'Empereur, au Sénat et au Corps législatif.


Les projets de lois
émanés de l'initiative de l'Empereur peuvent, à son choix, être portés, soit au
Sénat, soit au Corps législatif, Néanmoins, toute loi d'impôt doit être d’abord
votée par le Corps législatif.

19. - L'Empereur nomme et révoque les ministres. Les ministres délibèrent en


conseil sous la présidence de l'Empereur. Ils sont responsables.

20. - Les ministres peuvent être membres du Sénat ou du Corps législatif. Ils
ont entrée dans l’une et l’autre assemblée, et doivent être entendus toutes les
fois qu'ils le demandent.

24. - Les décrets de nomination des sénateurs sont individuels. Ils mentionnent
les services et indiquent les titres sur lesquels la nomination est fondée. Aucune
autre condition ne peut être imposée au choix de l'Empereur.

26. - Le nombre des sénateurs peut être porté aux deux tiers de celui des
membres du Corps législatif.

30. - Le Sénat discute et vote les projets de lois.

31. - Le droit de pétition s'exerce auprès du Sénat et du Corps législatif.

44 - La Constitution ne peut être modifiée que par le Peuple, sur la proposition


de l'Empereur.

99
45. - Les changements et additions apportés au plébiscite des 20 et 21
décembre 1851, par la présente Constitution, seront soumis à l'approbation du
Peuple...

Bulletin des Lois. Série XI, t. XXXV. No 1802, p. 523.

Question

Par ce texte, l’Empire libéral entérine l'évolution constitutionnelle du


Second Empire. Montrez en quoi, il est par lui-même un véritable texte
constitutionnel

DOC. 14 LE PLÉBISCITE DU 8 MAI 1870

a) Décret du 23 avril 1870.

Le décret du 23 avril convoqua le peuple français dans ses comices pour


accepter ou rejeter le plébiscite suivant :

« Le peuple approuve les réformes libérales opérées dans la Constitution


depuis 1860 par l'Empereur, avec le concours des grands corps de l'Etat, et
ratifie le sénatus-consulte du 20 avril 1870 ».

b) Proclamation de l'Empereur : 23 avril 1870.

Français,... la Constitution de 1852, rédigée en vertu des pouvoirs que vous


m'aviez donnés, et ratifiée par les huit millions de suffrages qui ont rétabli
l’Empire, a procuré à la France dix-huit années de calme et de prospérité...
Mais des changements successifs ont altéré les bases plébiscitaires qui ne
pouvaient être modifiées sans un appel à la nation. Il devient donc
indispensable que le nouveau pacte constitutionnel soit approuvé par le Peuple,
comme l'ont été jadis les constitutions de la République et de l'Empire.

La Constitution de la France impériale et démocratique, réduite à un petit


nombre de dispositions fondamentales qui ne peuvent être changées sans votre
“sentiment, aura l'avantage de rendre définitifs les progrès accomplis et de
mettre à l’abri des fluctuations politiques les principes du gouvernement. Ce
temps, perdu trop souvent en controverses stériles et passionnées, pourra être
plus utilement employé désormais à rechercher les moyens d’accroître le bien-
être matériel et moral du plus grand nombre...

En apportant au scrutin un vote affirmatif, vous conjurerez les menaces de la


Révolution ; vous associerez sur une base solide l'ordre et la liberté, et vous
rendrez plus facile, dans l'avenir, la transmission de la couronne à mon fils.

Vous avez été presque unanimes, il y a dix-huit ans, pour me conférer les
pouvoirs les plus étendus ; soyez aussi nombreux aujourd’hui pour adhérer à la
transmission du régime impérial.

100
Napoléon, 23 avril 1870, Journal officiel. n° 113. p.624.

Malgré l’opposition des orléanistes et des républicains, la réforme


constitutionnelle fut ratifiée par le plébisicite du 8 mai 1870 avec 7 350 000
oui et 1 570 000 non.

« J’ai retrouvé mon chiffre » s’exclame Napoléon III.


« L’empire est fondé une seconde fois » déplore Gambetta.
Il est emporté en septembre 1870 par la défaite de la guerre contre la Prusse
que Napoléon III redoutait.

Questions

1) En quoi la Proclamation du 23 avril 1870 demeure dans la tradition


bonapartiste ?
2) Que veut dire Napoléon III lors du résultat du plébisicite du 8 mai 1870
quand il s’exclame « J’ai retrouvé mon chiffre » ?

LA TROISIEME REPUBLIQUE

janvier 1875- juillet 1940

Cette longue République ne sera étudiée que dans sa première partie :


depuis la période de son installation jusqu’en 1914.
La seconde partie de 1914 à 1940 ne le sera pas, faute de temps de cours
suffisant.

La première partie de la IIIe République : 1871-1914

Revoir le cours sur les thèmes :

1) Quelles sont les trois grandes périodes de la IIIe République


jusqu’en 1914 et qui domine chacune d’entre elles sur le plan politique ?
2) La présidence d’Adolphe Thiers.
3) La Commune : ses causes et ses conséquences.
4) la loi militaire du 27 juillet 1872.
5) Les lois constitutionnelles de 1875.
6) La crise du 16 mai 1877 : son mécanisme et ses conséquences.
7) Qu’est ce que la « Constitution Grévy » ?
8) Le tableau des forces politiques issues de la Chambre élue en 1881.
9) La politique des opportunistes : les premières mesures de
déchristianisation, les lois scolaires, les lois de libertés publiques.
10) Les crises de la République.
11) Le ralliement.
12) Pourquoi parle t’on de République radicale en 1899 ?
101
13) Les conséquences de l’Affaire Dreyfus.
14 ) La séparation des Eglises et de l’Etat.
15) Le ministère de Clemenceau (1906-1909).
16) Quelle est la majorité politique au pouvoir en 1914 ?

I La naissance difficile de la République.


La paix : la reconstuction 1870-1875

Doc. 1 LE « PACTE DE BORDEAUX » prononcé le 19 février 1871


(extrait).

En annonçant à l'Assemblée, le 19 février, la composition du ministère, Thiers


prononça un discours mémorable, dans lequel il exposa le programme du
cabinet, que l'on a appelé depuis le pacte de Bordeaux.

« Vous m'avez laissé le choix de mes collègues ; je les ai choisis sans


autre motif de préférence que l'estime publique universellement
accordée à leur caractère, à leur capacité ; et je les ai pris, non pas dans
l'un des partis qui nous divisent, mais dans tous, comme, a fait le pays
lui-même en vous donnant ses votes, et en faisant figurer sur la même
liste les personnages les plus divers, les plus opposés en apparence,
mais unis par le patriotisme, les lumières et la communauté des bonnes
intentions.
(Suit la liste des ministres et de leurs attributions : Ministre des affaires
Etrangères, J. FAVRE, de la Justice, J. DUFAURE, de l'Intérieur, E.
PICARD, de l'Instruction Publique, J. SIMON, des Finances, BUFFET)...
Sans vous apporter aujourd'hui un programme de gouvernement, ce
qui est toujours un peu vain, je me permettrai de vous présenter
quelques réflexions sur cette pensée d'union qui me dirige, et de
laquelle je voudrais faire sortir la reconstitution actuelle de notre pays.
Dans une société prospère, régulièrement constituée... chaque parti
représente un système politique; les réunir tous dans une même
administration, ce serait, en opposant des tendances contraires qui
s'annuleraient réciproquement ou se combattraient, ce serait aboutir à
l'inertie ou au conflit.
Mais, hélas ! Notre société régulièrement constituée, cédant doucement
au progrès des esprits, est-ce là notre situation présente ? La France,
précipitée dans une guerre sans motif sérieux, sans préparation
suffisante, a vu une moitié de son sol envahie, son armée détruite, son
organisation brisée, sa vieille et puissante unité compromise, ses
finances ébranlées, l'ordre profondément troublé par une subite
apparition de l'anarchie, après la reddition forcée de Paris, la guerre
suspendue pour quelques jours seulement, et prête à renaître si un
Gouvernement estimé de l'Europe, acceptant courageusement le
pouvoir, prenant sur lui la responsabilité de négociations douloureuses,
ne vient mettre un terme à d'effroyables calamités !

102
En présence d'un pareil état de choses, y a-t-il, peut-il y avoir deux
politiques ? Et, au contraire, n’y en a-t-il pas une seule, forcée,
nécessaire, urgente consistant à faire cesser le plus promptement
possible les maux qui nous accablent ?
Quelqu'un pourrait-il soutenir qu'il ne faut pas, plus tôt, le plus
complètement possible, faire cesser l’occupation étrangère, au moyen
d'une paix courageusement débattue, et qui ne sera acceptée que si elle
honorable ; débarrasser nos campagnes de l'ennemi qui les foule et les
dévore; rappeler des prisons étrangères nos soldats, nos officiers,
reconstituer avec eux armée disciplinée et vaillante, rétablir l'ordre
troublé ; remplacer ensuite et sur le champ les administrateurs
démissionnaires ou indignes, réformer par l'élection nos conseils
généraux, nos conseils municipaux dissous, reconstituer ainsi notre
administration désorganisée,... relever sinon nos finances, du moins
notre crédit,... faire renaître le travail partout interrompu, le travail qui
peut seul procurer le moyen de vivre à nos ouvriers, à nos paysans ?
Est-il personne qui pourrait nous dire qu'il y a quelque chose de plus
pressant que tout cela ?
[…]
Quand cette oeuvre de réparation sera terminée, et elle ne saurait être
bien longue, le temps de discuter, peser ces théories de gouvernement
sera venu ; et ce ne sera plus un temps dérobé au salut du pays. Déjà
peu éloigné des souffrances d'une révolution, nous aurons retrouvé
notre sang-froid ; ayant opéré notre reconstitution, sous le
gouvernement de la République, nous pourrons prononcer en
connaissance de cause sur nos destinées...
Telle est la seule politique possible, nécessaire, adaptée aux
circonstances douloureuses où nous nous vivons... C'est celle à laquelle,
pour ma part, malgré l'âge et les fatigues d'une longue vie, je suis prêt à
consacrer les forces qui me restent, sans calcul, autre ambition, je vous le
jure, que celle d'attirer sur mes derniers jours les regrets de mes
concitoyens...
Devant le pays qui souffre, qui périt, toute considération personnelle
serait impardonnable. Unissons-nous, et disons-nous bien qu'en nous
montrant capable de concorde et de sagesse, nous obtiendrons l’estime
de l'Europe, avec son estime, son concours. Faites donc renvoyer à un
terme qui, du reste, ne saurait être bien éloigné, les divergences de
principes qui nous ont divisés, qui nous diviseront peut-être encore,
mais n'y revenons que lorsque ces divergences, résultat, je le sais, de
convictions sincères, ne seront plus un attentat contre l'existence et le
salut du pays.

Adolphe THIERS. Journal officiel, 22 février 1871. N. 53. p. 109 in M. et


L. DECHAPPE, L’histoire par les textes, La France contemporaine, Paris,
1935, p. 477.

Question :
103
Quel est le programme politique qu’expose Thiers dans le Pacte de
Bordeaux ( justifiez votre réponse par des citations du texte).

LA COMMUNE DE PARIS

DOC.2 Déclaration de la Commune de Paris au peuple français du 19


avril 1871 par Jules Vallès.

La Commune a le devoir d’affirmer et de déterminer les aspirations et


les vœux de la population de Paris ; de préciser le caractère du
mouvement du 18 mars, incompris, inconnu et calomnié par les
hommes politiques qui siègent à Versailles.

Cette fois encore, Paris travaille et souffre pour la France entière, dont il
prépare, par ses combats et ses sacrifices, la régénération intellectuelle,
morale, administrative et économique, la gloire et la prospérité. Que
demande-t-il ?

La reconnaissance et la consolidation de la république, seule forme de


gouvernement compatible avec les droits du peuple [...].

L'autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la


France, et assurant à chacune l'intégralité de ses droits, et à tout
Français le plein exercice de ses facultés et de ses aptitudes, comme
homme, citoyen et travailleur.

L’autonomie de la Commune n’aura pour limites que le droit


d'autonomie égal pour toutes les autres communes adhérentes au
contrat, dont l'association doit assurer l’unité française.
Nos ennemis se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris
de vouloir imposer sa volonté ou sa suprématie au reste de la nation, et
de prétendre à une dictature qui serait un véritable attentat contre
l’indépendance et la souveraineté des autres communes.

Ils se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de


poursuivre la destruction de l'unité française, constituée par la
Révolution, aux acclamations de nos pères, accourus à la fête de la
Fédération de tous les points de la vieille France.

L'unité politique, telle que la veut Paris, c’est l'association volontaire de


toutes les initiatives locales, le concours spontané et libre de toutes les
énergies individuelles […]

La révolution communale, commencée par l'initiative populaire du 18


mars, inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive,
scientifique.
104
C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme,
du fonctionnarisme, de l'exploitation, de l'agiotage, des monopoles, des
privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses
malheurs et ses désastres.

Questions :

1) Qui sont les hommes, visés dans le texte, qui siègent à Versailles ?
2) Jules Vallès a prononcé ce discours. Qui était-il ?
3) A quelle conception du socialisme se rattache ce texte ?
4) Quels sont les buts de la recherche des alliés dans les autres
communes françaises que Paris ? En d’autres termes, contre quels
ennemis veut lutter la Commune ? A quel type d’organisation
territoriale songe t’elle ?

Doc.3 LA PERTE DE L’ALSACE-LORRAINE

Par le traité de Francfort du 10 mai 1871, la France cède à l’empire allemand ,


le deuxième Reich, une partie de l’Alsace Lorraine.

Fustel de Coulanges définit le concept de nation

Vous invoquez le principe de nationalité, mais vous le comprenez autrement


que toute l’Europe. Suivant vous, ce principe autoriserait un État puissant à
s'emparer d’une province par la force, à la seule condition d'affirmer que cette
province est occupée par la même race que cet État. [...] Vous croyez avoir
prouvé que l’Alsace est de nationalité allemande parce que sa population est de
race germanique et parce que son langage est l’allemand. Mais je m'étonne
qu’un historien comme vous affecte d'ignorer que ce n’est ni la race ni la
langue qui fait la nationalité.

Ce n’est pas la race : jetez en effet les yeux sur l’Europe et vous verrez bien
que les peuples ne sont presque jamais constitués d’après leur origine primitive.
Les convenances géographiques, les intérêts politiques ou commerciaux sont
ce qui a groupé les populations et fondé les États. Chaque nation s’est ainsi peu
à peu formée, chaque patrie s’est dessinée sans qu'on se soit préoccupé de ces
raisons ethnographiques que vous voudriez mettre à la mode. Si les nations
correspondaient aux races, la Belgique serait à la France, le Portugal à
l'Espagne, la Hollande à la Prusse ; en revanche, l'Écosse se détacherait de
l'Angleterre, à laquelle elle est si étroitement liée depuis un siècle et demi, la
Russie et l'Autriche se diviseraient chacune en trois ou quatre tronçons. [...}

La langue n’est pas non plus le signe caractéristique de la nationalité. On parle


cinq langues en France, et pourtant personne ne s’avise de douter de notre unité
nationale.
[...] Vous vous targuez de ce qu’on parle allemand à Strasbourg ; en est-il
moins vrai que c’est à Strasbourg que l’on a chanté pour la première fois La
Marseillaise ?

105
Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race ni la langue. Les hommes
sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu'ils ont une
communauté d'idées, d'intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances.
Voilà ce qui fait la patrie. Voilà pourquoi les hommes
veulent marcher ensemble, travailler ensemble, combattre ensemble, vivre et
mourir les uns pour les autres. La patrie, c’est ce qu’on aime. Il se peut que
l’Alsace soit allemande par la race et par le langage ; mais par la nationalité et
le sentiment de la patrie elle est française.
Et savez-vous ce qui l’a rendue française ? Ce n’est pas Louis XIV, c’est notre
révolution de 1789. Depuis ce moment, l’Alsace a suivi toutes nos destinées ;
elle a vécu notre vie.
Tout ce que nous pensions, elle le pensait ; tout ce que nous sentions, elle le
sentait. Elle a partagé nos victoires et nos revers, notre gloire et nos fautes,
toutes nos joies et nos douleurs.
Elle n’a rien eu de commun avec vous. La patrie, pour elle, c’est la France.
L’étranger, pour elle, c’est l’Allemagne.

Fustel de Coulanges, « L'Alsace est-elle allemande ou française ? Réponse à M.


Mommsen, professeur à Berlin, » dans la Revue des deux mondes, 27 octobre
1870.

« La dernière classe. Récit d’un petit Alsacien »

M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il
m'avait reçu, il nous dit : « Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais
la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que de l’allemand
dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine. Le nouveau maître arrive demain.
Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. Je vous prie d’être bien
attentifs. » C’est en l’honneur de cette dernière classe qu’il avait mis ses beaux
habits du dimanche, et maintenant je comprenais pourquoi ces vieux du
village étaient venus s’asseoir au bout de la salle. Cela semblait dire qu’ils
regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école. C’était aussi
comme une façon de remercier notre maître de quarante ans de bons services,
et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s’en allait. [...] « Vos parents n’ont pas
assez tenu à vous voir instruits. Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la
terre ou aux filatures pour avoir quelques sous de plus. Moi-même, n’ai-je rien
à me reprocher ? Est-ce que je ne vous ai pas souvent fait arroser mon jardin au
lieu de travailler ? Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me
gênais pour vous donner congé ? » [...] Alors d’une chose à l’autre, M. Hamel
se mit à nous parler de la langue française, disant que c’était la plus belle
langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu’il fallait la garder entre nous
et ne jamais l’oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu’il
tient bien sa langue, c'est comme s’il tenait la clef de sa prison. [...]

Tout à coup, l'horloge de l’église sonna midi, puis l’angélus, Au même


moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l'exercice éclatèrent
sous nos fenêtres. M. Hamel se leva, tout pâle, de sa chaire. Jamais il ne

106
m'avait paru si grand. « Mes amis, dit-il, mes amis, je... je... » Mais quelque
chose l’étouffait, il ne pouvait pas achever sa phrase.

Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et, en appuyant de


toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu’il put : VIVE LA FRANCE ! Puis il
resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main il nous faisait
signe : « C’est fini. allez-vous en. »

Alphonse Daudet, « La dernière classe. Récit d’un petit Alsacien », extrait des
Contes du lundi, Paris, 1873.

Question

Qu’est ce qui selon ces auteurs forme et soude une Nation ?

Doc. 4 LA LOI RIVET du 31 août 1871


L'Assemblée nationale, considérant qu'elle a le droit d'user du
pouvoir constituant, attribut essentiel de la souveraineté dont elle est
investie, et que les devoirs impérieux que tout d'abord elle a dû
s'imposer et qui sont encore loin d'être accomplis l'ont seuls empêchée
jusqu'ici d'user de ce pouvoir .

Considérant que jusqu'à l'établissement des institutions définitives du


pays, il importe aux besoins du travail, aux intérêts du commerce, au
développement de l'industrie, que nos institutions provisoires prouvent
aux yeux de tous sinon cette stabilité qui est l'oeuvre du temps, du moins
celle que peuvent assurer l'accord des volontés et l'apaisement des
partis ;
... Que la prorogation des fonctions conférées au chef du Pouvoir
exécutif, limitée désormais à la durée des travaux de l'Assemblée, dégage
ces fonctions de ce qu'elles semblent avoir d'instable et de précaire, sans
que les droits souverains de l'Assemblée en souffrent la moindre atteinte,
puisque dans tous les cas la décision suprême appartient à l'Assemblée,
et qu'un ensemble de garanties nouvelles vient assurer le maintien de
ces principes parlementaires, tout à la fois la sauvegarde et l'honneur du
pays ;

Prenant, d'ailleurs en considération les services éminents rendus au


pays pay M. Thiers depuis six mois et les garanties que présente la
durée du pouvoir qu'il tient de l'Assemblée, décrète :

ARTICLE PREMIER. Le chef du Pouvoir exécutif prendra le titre de


Président de la République française et continuera d'exercer, sous
l'autorité de l'Assemblée nationale, tant qu'elle n'aura pas terminé ses
travaux, les fonctions qui lui ont été déléguées par décret du 17 février
1871.

107
Art.2 — Ie Président de la République promulgue les lois dès qu'elles
lui sont transmises par le président de l'Assemblée nationale. Il assure
et surveille l'exécution des lois. Il réside au lieu où siège l'Assemblée.
Il est entendu par l'Assemblée nationale toutes les fois qu'il le croit
nécessaire, et après avoir informé de son intention le président de
l'Assemblée.

Il nomme et révoque les ministres. Le Conseil des ministres et les


ministres sont responsables devant l'Assemblée.

Chacun des actes du Président de la République doit être contresigné


par un ministre,

ART. 3. — Le Président de la République est responsable devant


l'Assemblée.
Bulletin des Lois, série XII, t. III, n° 62, p. 113.

Questions :

1) Dans quel contexte politique a été adoptée la loi Rivet ?


2) Cette loi présente un caractère hybride ? Expliquez en quoi.

Doc.5 Thiers se rallie à la République

En se ralliant à la République, Thiers a choqué ceux qui l’avaient élu


parce qu’il était orléaniste.

« Avec l’ordre, nos ateliers se sont rouverts, les bras ont repris leur
activité, les capitaux sont revenus vers nous, le calme a reparu avec le
travail et déjà la France relève la tête, et, chose plus surprenante encore !
une forme de gouvernement, qui d’ordinaire la troublait profondément,
commence à entrer peu à peu dans les habitudes . Les événements ont
donné la République, et remonter à ses causes pour les discuter et pour
les juger serait aujourd’hui une entreprise aussi dangereuse qu’inutile.
La République existe, elle sera le gouvernement légal du pays, vouloir
autre chose serait une nouvelle révolution et la plus redoutable de
toutes. Ne perdons pas notre temps à la proclamer, mais employons-le
à lui imprimer ses caractères désirables et nécessaires. Une commission
nommée par vous il y a quelques mois lui donnait le titre de
République conservatrice. Emparons-nous de ce titre et tâchons surtout
qu’il soit mérité. Tout gouvernement doit être conservateur, et nulle
société ne pourrait vivre sous un gouvernement qui ne le serait point.
La République sera conservatrice ou ne sera pas. La France ne peut pas
vivre dans de continuelles alarmes. »

A. Thiers, « Message à l’Assemblée des députés », 13 novembre 1872.

108
Questions

1) Dans ce texte, quelle est l’intention d’Adolphe Thiers ?


2) Quelle en est la raison ?
3) Que traduit ce texte à propos de la volonté de Thiers ?

Doc. 6 Loi du 15 février 1872. Relative au rôle éventuel des conseils généraux
dans les circonstances exceptionnelles (Loi Tréveneuc).

ARTICLE PREMIER - Si l'Assemblée nationale ou celles qui lui


succéderont viennent à être illégalement dissoutes ou empêchées de se
réunir, les Conseils généraux s'assemblent immédiatement de plein droit,
et sans qu'il soit besoin de convocation spéciale, au chef-lieu de
département. Ils peuvent s'assembler partout ailleurs dans le
département, si le lieu habituel de leurs séances ne leur paraît pas
offrir de garanties suffisantes pour la liberté de leurs délibérations. —
Les Conseils ne sont valablement constitués que par la présence de la
majorité de leurs membres.
ART. 2. -- Jusqu'au jour où l'Assemblée dont il sera parlé à l'article 3,
aura fait connaître qu'elle est régulièrement constituée, le Conseil général
pourvoira d'urgence au maintien de la tranquillité publique et de
l'ordre légal.
ART. 3. - Une Assemblée composée de deux délégués élus par
chaque Conseil général, en comité secret, se réunit dans le lieu où se
seront rendus les membres du Gouvernement légal et les députés qui
auront pu se soustraire à la violence. L'Assemblée des délégués n'est
valablement constituée qu'autant que la moitié des départements, au
moins, s'y trouve représentée.
ART. 4. — Cette Assemblée est chargée de prendre, pour toute la
France, les mesures urgentes que nécessite le maintien de l'ordre et
spécialement celles qui ont pour objet de rendre à l'Assemblée
nationale la plénitude de son indépendance et l'exercice de ses droits.
Elle pourvoit provisoirement à l'administration générale du pays.
ART. 5. — Elle doit se dissoudre aussitôt que l'Assemblée nationale
se sera reconstituée par la réunion de la majorité de ses membres sur un
point quelconque du territoire. Si cette reconstitution ne peut se réaliser
dans le mois qui suit les événements, l'Assemblée des délégués doit
décréter un appel à la nation pour des élections générales. Ses pouvoirs
cessent le jour où la nouvelle Assemblée nationale est constituée.
ART. 6. — Les décisions de l'Assemblée des délégués doivent être
exécutées, à peine de forfaiture, par tous les fonctionnaires, agents de
l'autorité et commandants de la force publique.

Bulletin des Lois, 12. série, IV, no 921, p. 178 et Journal officiel, 23 fé-
vrier 1872.

109
Questions :

1) Quelles sont les circonstances exceptionnelles que règle le texte de la


Loi Tréveneuc ?
2) Quelle est la mesure d’urgence qui est prise par cette loi ?
3) L’article 6 vise la forfaiture. De quelle infraction s’agit-il ?

Doc. 7 Loi du 13 mars 1873 ayant pour objet de régler les attributions
des pouvoirs publics et les conditions de la responsabilité ministérielle.

L'Assemblée nationale, réservant dans son intégrité le Pouvoir


constituant qui lui appartient, mais voulant apporter des améliorations
aux attributions des Pouvoirs publics, DÉCRÈTE :

ARTICLE PREMIER. - La loi du 31 août 1871 est modifiée ainsi qu'il suit.
Le Président de la République communique avec l'Assemblée par des
messages qui, à l'exception de ceux par lesquels s'ouvrent les sessions,
sont lus à la tribune par un ministre. Néanmoins, il sera entendu par
l'Assemblée dans la discussion des lois, lorsqu'il le jugera nécessaire, et
après l'avoir informée de son intention par un message. La discussion à
l'occasion de laquelle le Président de la République veut prendre la
parole est suspendue après la réception du message, et le Président sera
entendu le lendemain, à moins qu'un vote spécial ne décide qu'il le sera
le même jour. La séance est levée après qu'il a été entendu, et la
discussion n'est reprise qu'à une séance ultérieure. La délibération a lieu
hors la présence du Président de la République.

ART. 2. — Le Président de la République promulgue les lois déclarées


urgentes dans les trois jours, et les lois non urgentes dans le mois après le
vote de l'Assemblée. Dans le délai de trois jours, lorsqu'il s'agira d'une
loi non soumise à trois lectures, le Président de la République aura le
droit de demander, par un message motivé, une nouvelle délibération...

ART. 3. — Les dispositions de l'article précédent ne s'appliqueront pas


aux actes par lesquels l'Assemblée nationale exercera le Pouvoir
constituant qu'elle s'est réservée dans le préambule de la loi.

ART. 4. — Les interpellations ne peuvent être adressées qu'aux


ministres, et non au Président de la République. Lorsque les
interpellations adressées aux ministres ou les pétitions envoyées à
l'Assemblée se rapportent aux affaires extérieures, le Président de la
République aura le droit d'être entendu. Lorsque ces interpellations ou
ces pétitions auront trait à la politique intérieure, les ministres
répondront seuls des actes qui les concernent. Néanmoins si par une
délibération spéciale, communiquée à l'Assemblée avant l'ouverture de la
110
discussion par le vice-président du Conseil des ministres, le Conseil
déclare que les questions soulevées se rattachent à la politique générale
du Gouvernement et engagent ainsi la responsabilité du Président de la
République, le Président aura le droit d'être entendu dans les formes
déterminées par l'article premier. Après avoir entendu le vice-
président du Conseil, l'Assemblée fixe le jour de la discussion.

ART. 5. — L'Assemblée nationale ne se séparera pas avant d'avoir


statué sur l'organisation et le mode de transmission des Pouvoirs
législatif et exécutif ; 2° Sur la création et les attributions d'une seconde
Chambre ne devant entrer en fonctions qu'après la séparation de
l'Assemblée actuelle ; 3° Sur la loi électorale. Le Gouvernement
soumettra à l'Assemblée des projets de loi sur les objets ci-dessus
déterminés.

Bulletin des Lois, 12e série, VI, n° 1837, p. 161 et Journal officiel, 19 mars
1873.
Question :
Que s’efforce de faire l’assemblée par ce texte ? Contre quel personnage
politique est-il orienté ?

Doc. 8 Le septennat Loi du 20 novembre 1873 qui confie le pouvoir


exécutif pour 7 ans au Maréchal de Mac Mahon, Duc de Magenta
ARTICLE PREMIER — Le Pouvoir exécutif est confié pour sept ans
au maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, à partir de la
promulgation de la présente loi ; ce Pouvoir continuera à être exercé
avec le titre de Président de la République et dans les conditions
actuelles jusqu'aux modifications qui pourraient y être apportées par
les lois constitutionnelles ART. 2 — Dans les trois jours qui suivront la
promulgation de la présente loi, une Commission de 3o membres sera
nommée en séance publique et au scrutin de liste, pour l'examen des lois
constitutionnelles.
Bulletin des Lois, 12° série, VII, n° 2463, P. 717 et Journal officiel, 23
novembre 1873.

Question :
Pourquoi cette loi du septennat a t’elle été adoptée ?
Doc. 9 Renonciation au pouvoir du chef de la branche aînée des
Bourbons.
Lettre du comte de Chambord à Chesnelong en 1873.

111
Délégué par la Commission des Neuf, qu'avait formée la majorité monarchique de
l'Assemblée, Charles Chesnelong, député des Basses-Pyrénées, rencontre le comte
de Chambord à Salzbourg, le 14 octobre 1873. Le prétendant, inquiet de
l'interprétation donnée à son attitude, s'en explique le 27 octobre par une lettre
publique.

« J'ai conservé, Monsieur, de votre visite à Salzbourg un si bon


souvenir, j'ai conçu pour votre noble caractère une si profonde estime
que je n'hésite pas à m'adresser loyalement à vous comme vous êtes venu
vous-même loyalement vers moi. Vous m'avez entretenu, durant de
longues heures, des destinées de notre chère et bien-aimée patrie, et je sais
qu'au retour vous avez prononcé, au milieu de vos collègues, des
paroles qui vous vaudront mon éternelle reconnaissance. Je vous remercie
d'avoir si bien compris les angoisses de mon âme et de n'avoir rien caché
de l'inébranlable fermeté de mes résolutions.
Aussi ne me suis-je point ému quand l'opinion publique, emportée par
un courant que je déplore, a prétendu que je consentais enfin à devenir
le Roi légitime de la Révolution. J'avais pour garant le témoignage d'un
homme de coeur et j'étais résolu à garder le silence tant qu'on ne me
forcerait pas à faire appel à votre loyauté. Mais, puisque malgré vos
efforts, les malentendus s'accumulent, cherchant à rendre obscure ma
politique à ciel ouvert, je dois toute la vérité à ce pays dont je puis être
méconnu, mais qui rend hommage à ma sincérité, parce qu'il sait que je
ne l'ai jamais trompé et que je ne le tromperai jamais.
On me demande aujourd'hui le sacrifice de mon honneur. Que puis-je
répondre? Sinon que je ne rétracte rien, que je ne retranche rien de mes
précédentes déclarations. Les prétentions de la veille me donnent la
mesure des exigences du lendemain, et je ne puis consentir à
inaugurer un règne réparateur et fort par un acte de faiblesse.
Il est de mode, vous le savez, d'opposer à la fermeté d'Henri V l'habileté
d'Henri IV. « Le violent amour que je porte à mes sujets, disait-il
souvent, me rend tout possible et honorable. » Je prétends, sur ce point,
ne lui céder en rien; mais je voudrais bien savoir quelle leçon se fût
attirée l'imprudent assez osé pour lui persuader de renier l'étendard
d'Arques et d'Ivry. Vous appartenez, Monsieur, à la province qui l'a
vu naître, et vous serez, comme moi, d'avis qu'il eûtpromptement désarmé
son interlocuteur en lui disant avec sa verve béarnaise : « Mon ami, prenez
mon drapeau blanc, il vous conduira toujours au chemin de l'honneur et
de la victoire. »
On m'accuse de ne pas tenir en assez haute estime la valeur de nos
soldats, et cela au moment où je n'aspire qu'à leur confier tout ce que j'ai de
plus cher. On oublie donc que l'honneur est le patrimoine commun de
la maison de Bourbon et de l'armée française, et que sur ce terrain-là on
ne peut manquer de s'entendre !
Non, je ne méconnais aucune des gloires de ma patrie, et Dieu seul, au
fond de mon exil, a vu couler mes larmes de reconnaissance toutes les
fois que, dans la bonne ou la mauvaise fortune, les enfants de la France se
112
sont montrés dignes d'elle. Mais nous avons ensemble une grande
oeuvre à accomplir. Je suis prêt, tout prêt à l'entreprendre quand on le
voudra, dès demain, dès ce soir, dès ce moment. C'est pourquoi je veux
rester tout entier ce que je suis. Amoindri aujourd'hui, je serais
impuissant demain.

Il ne s'agit rien moins que de constituer sur ses bases naturelles une société
profondément troublée, d'assurer avec énergie le règne de la loi; de faire
renaître la prospérité au dedans, de contracter au dehors des alliances
durables et surtout de ne pas craindre d'employer la force au service de
l'ordre et de la justice.
On parle de conditions. M'en a-t-il posé ce jeune prince dont j'ai
ressenti avec tant de bonheur la loyale étreinte et qui, n'écoutant que
son patriotisme, venait spontanément à moi, m'apportant au nom de
tous les siens des assurances de paix, de dévouement et de
réconciliation ?
On veut des garanties. En a-t-on demandé à ce Bayard des temps
modernes dans cette nuit mémorable du 24 mai, où l'on imposait à sa
modestie la glorieuse mission de calmer son pays par une de ces paroles
d'honnête homme et de soldat, qui rassurent les bons et font trembler
les méchants?
Je n'ai pas, c'est vrai, porté comme lui l'épée de la France sur vingt
champs de bataille, mais j'ai conservé intact, durant quarante-trois ans, le
dépôt sacré de nos traditions et de nos libertés. J'ai donc le droit de
compter sur la même confiance et je dois inspirer la même sécurité.

HENRI.
Lettre du comte de Chambord à Chesnelong, Salzbourg, 27 octobre 1873.
in A. DE FALLOUX, Mémoires d’un royaliste, Paris, 1888, t.III. p. 325.

Question :

Quelles sont les raisons de cette renonciation au pouvoir du Comte de


Chambord ?

Doc.10 Les vues du Duc de Broglie

« Le Septennat du maréchal de Mac-Mahon, constitué au lendemain de


l'échec de la fusion nous donnait un délai de quelques années pendant
lesquelles la porte restait ouverte à la monarchie : le comte de
Chambord pouvait réfléchir et revenir sur ses prétentions, ou la France
se résigner à les accepter. Nous donnions ainsi du temps et en quelque
sorte de la marge aux événements. Le trône restait vacant et j'avais
réussi à y faire asseoir, sous le nom de Président, un véritable
lieutenant général du Royaume, prêt à céder la place, le jour où le
Roi aurait été en mesure de la prendre.
113
Mais pour que cette situation intérimaire pût durer, il fallait qu'elle pût
survivre à l'Assemblée qui l'avait créée. Faire durer cette Assemblée sept
années était impraticable, et il était certain que le suffrage universel,
consulté directement, n'enverrait pas sa pareille. Toutes mes
combinaisons tendaient, en constituant un Sénat puissant composé
d'éléments conservateurs, à faire durer l' oeuvre de l'Assemblée, sans la
perpétuer elle-même.
Ce plan a échoué, par la résistance des légitimistes extrêmes et des
bonapartistes. De la part de ceux-ci, c'était une tactique naturelle,
sinon patriotique. Ils avaient dans le Prince Impérial un candidat au
trône tout préparé, qui ne mettait pas comme le nôtre à son avènement
des conditions impossibles à remplir.... Mais l'extrême droite n'avait
rien de pareil à attendre, même de la plus lointaine et de la plus
chimérique perspective. Personne de sensé ne pouvait croire que les
Comices populaires feraient pour la légitimité ce qui s'était trouvé
impossible dans une Assemblée composée d'éléments aussi
monarchiques que la nôtre. Le bonapartisme pouvait compter profiter
des craintes qu'inspiraient l'anarchie et la lassitude générale. La
légitimité n'avait rien à espérer du désordre... C'est donc cette fraction
extrême de la droite qui, avec et après le comte de Chambord, a fait la
France républicaine.
D u c D E B R O G L I E , Mémoires in Revue des Deux Mondes,
1929, t. 6, p. 594.

Question :

- retracer les échecs qu’évoque le Duc de Broglie dans ce texte.

DOC. 11 La nouvelle couche sociale, discours prononcé à Grenoble le 26


septembre 1872,

En France on ne peut pas s’habituer, depuis quarante-cinq ans, dans certaines


classes de la société, à prendre son parti, non seulement de la Révolution
française, mais de ses conséquences, de ses résultats.
On se demande, en vérité, d’où peut provenir une pareille obstination : on se
demande si ces hommes ont bien réfléchi sur ce qui se passe ; on se demande
comment ils ne s’aperçoivent pas des fautes qu'ils commettent et comment ils
peuvent plus longtemps conserver de bonne foi les idées sur lesquelles ils
prétendent s’appuyer ; comment ils peuvent fermer les yeux
à un spectacle qui devait les frapper. N’ont-ils pas vu apparaître, depuis la
chute de l’Empire, une génération neuve, ardente, quoique contenue,
intelligente, propre aux affaires, amoureuse de la justice, soucieuse des droits
généraux ? Ne l’ont-ils pas vu faire son entrée dans les Conseils municipaux,
s'élever, par degrés, dans les autres conseils électifs du pays, réclamer et se
faire sa place, de plus en plus grande, dans les luttes électorales ? N’a-t-on pas
vu apparaître, sur toute la surface du pays — et je tiens infiniment à mettre en
114
relief cette génération nouvelle de la démocratie — un nouveau personnel
politique électoral, un nouveau personnel du suffrage universel ? N’a-t-on pas
vu les travailleurs des villes et des campagnes, ce monde du travail à qui
appartient l’avenir, faire son entrée dans les affaires politiques ?

N'est-ce pas l'avertissement caractéristique que le pays, après avoir essayé bien
des formes de gouvernement, veut enfin s'adresser à une autre couche sociale
pour expérimenter la forme républicaine ?

Oui, je pressens, je sens, j'annonce la venue ct la présence, dans la politique,


d’une couche sociale nouvelle qui est aux affaires depuis tantôt dix-huit mois,
et qui est loin, à coup sûr, d’être inférieure à ses devancières.

Léon Gambetta, Les grands orateurs républicains, Monaco, Edition du Rocher,


1950, t. VIII, préfacé et commenté par Georges BOURGIN,
p. 133-134, cit. Jean Imbert, H.Morel, R.-J.Dupuy, La pensée politique des
origines à nos jours, Paris, PUF, 1969, p. 405, n°205.

Questions

1) Expliquez ce qu’est cette couche sociale nouvelle annoncée par Gambetta


dans ce discours ?
2) A quel moment de la IIIe République cette annonce de Gambetta se réalise
t’elle ?

Doc.12 Gambetta, Discours de Belleville du 23 avril 1873 « le Grand


Conseil des Communes de France ».

" On a fait une Constitution, on ne l’a pas beaucoup discutée. On a organisé


des pouvoirs, on ne les a pas très minutieusement et, si je puis le dire, on ne les
a pas très analytiquement examinés et coordonnés. On a été vite, et cependant
savez-vous ce qui est arrivé ? C’est que l’œuvre vaut mieux, peut-être, que les
circonstances qui l’ont produite ; c’est que, si nous voulons nous approprier
cette œuvre et la faire nôtre, l’examiner, nous en servir, la bien connaître
surtout, afin de bien l’appliquer, il pourrait bien se faire que cette Constitution,
que nos adversaires redoutent d’autant plus qu’ils la raillent, que nos propres
amis ne connaissent pas encore suffisamment, offrît à la démocratie
républicaine le meilleur des instruments d’affranchissement et de libération
qu’on nous ait encore mis dans les mains. (Profonde sensation).

(…) Vous savez que cette Constitution est courte ; elle contient deux lois et
trois chapitres : il y a une Chambre des députés nommés par le suffrage
universel direct ; il y a un Président de la République nommé par la Chambre
des députés et par la seconde Chambre, seconde Chambre qui compose le
troisième pouvoir et qui est le Sénat.

(…) Je dis tout d’abord, qu’il n’y a pas à s’y méprendre et que ceux qui ont eu
les premiers l’idée de constituer un Sénat ont voulu, dès l’origine, créer là une

115
citadelle pour l’esprit de réaction, organiser là une sorte de dernier refuge pour
les dépossédés ou les refusés du suffrage universel. (Hilarité. – Bravos). Il n’est
pas douteux que dans l’esprit de tous les législateurs, la première pensée qui a
présidé à l’organisation du pouvoir législatif en deux Chambres a été une
pensée de résistance contre la démocratie républicaine. (Marque générale
d’assentiment). Mais il faut voir si ceux qui ont eu cette pensée l’ont bien
réalisée. Il s’agit de reconnaître si, étant par hasard imprégnés eux-mêmes, et
plus profondément qu’ils ne le croyaient, de l’esprit démocratique qui palpite
dans tout le pays, et voulant créer une Chambre de résistance, une citadelle de
réaction, ils n’ont pas organisé un pouvoir essentiellement démocratique par
son origine, par ses tendances, par son avenir. Messieurs, quant à moi, telle est
ma conviction, et je vais essayer de l’établir.

Un Sénat, vous n’ignorez pas que c’est une institution qui remonte fort loin
dans les annales des hommes. Il y en a eu dans tous les pays de l’Europe, sous
les latitudes les plus diverses, avec les régimes les plus variés et les plus
opposés, dans l’antiquité et dans les temps modernes.

(…) Le Sénat sera composé de 300 membres, dont 225 seront choisis par le
corps électoral (…). Le corps électoral qui nomme les 225 membres est formé
de quatre éléments : les députés, c’est à dire les représentants les plus autorisés
du suffrage universel dans le département ; les conseillers généraux et les
conseillers d’arrondissement, c’est à dire l’expression du suffrage des divers
groupes de citoyens qui composent le département, et, enfin, les délégués de
chaque commune.

C’est ici, Messieurs, que je veux arrêter votre attention. Je veux que vous
saisissiez bien quel admirable instrument d’ordre, de paix, de progrès
démocratique cette intervention de l’esprit communal dans le règlement des
grandes affaires politiques peut procurer à la France. J’ai longtemps hésité, tout
d’abord, à croire que l’Assemblée certainement la plus monarchique, la plus…
comment dirais-je ? … la moins laïque… (Hilarité prolongée) qu’ait eue la
France, imbue des préjugés du gouvernement oligarchique, j’hésitais à croire
que cette Assemblée, ayant à constituer une seconde Chambre, en arriverait à
lui donner pour point de départ, quoi ? Ce qu’il y a de plus démocratique en
France, ce qui constitue les entrailles mêmes de la démocratie : l’esprit
communal, c’est à dire les trente-six mille communes de France.

(…) Voyez ces communes éveillées à la vie politique, se groupant, se


réunissant, se renseignant, s’informant, délibérant, déléguant leurs hommes ;
ceux-ci s’assemblant au chef-lieu du département, faisant prévaloir leurs
volontés, lesquelles seront, le jour de l’élection, ce qu’elles auront été la veille.
Après la délibération commune, que va-t-il sortir des urnes ? Un Sénat ? Non,
citoyens, il en sortira le Grand Conseil des Communes françaises.
(Applaudissements).

Oui, Messieurs, le Grand Conseil des Communes françaises, tel est le nom
qu’il convient d’adopter. Ecartons de nos esprits la vieille étiquette, elle est

116
usée, mettons-la au rebut ; non, ce n’est pas un Sénat à l’usage des monarchies,
un Sénat à l’ancienne mode, nous avons bien d’autres prétentions !

(…) Il faudra se garder de considérer la fonction de membre du Sénat comme


une espèce de récompense qu’on donne à la fin d’une carrière honorablement
parcourue. Nous ne devons pas faire de notre Sénat une Assemblée, une
Académie un peu trop portée au repos. (Rires). Il ne faut pas que ce Sénat se
recrute trop exclusivement parmi les gens qui répondent à la définition du
Sénat, Senex, un peu vieux. (Hilarité prolongée). (…) Il faut que dans ce Sénat
la démocratie républicaine envoie, pour tenir tête à ce dernier effort de la
coalition réactionnaire, des hommes vigoureux, dont l’esprit, quoique mûr, soit
vibrant et robuste, des hommes à la hauteur de toutes les luttes, car je vous le
dis, c’est dans le Sénat que se livrera la suprême bataille. (Marques d’adhésion.
Applaudissements.)

(…) La démocratie, dans sa base fondamentale, dans ce qui constitue l’essence


de ce pays, la commune, est non seulement invitée à intervenir dans la
confection de la loi, elle fait même plus : elle nomme le premier pouvoir de
l’Etat. N’oubliez jamais que ce Sénat élu par vos mandataires et vos délégués
réformera la loi ; qu’il aura le droit de consulter le pays, de lui faire appel par
voie de dissolution ; qu’il concourt à nommer le chef de l’Etat, qu’il peut
même le révoquer dans certains cas prévus et déterminés. Il est donc juste de
dire qu’au moyen de cette institution du Sénat, non seulement la démocratie
intervient dans la loi, puisqu’elle en est le principe, la source et l’origine ; mais
elle tient à sa discrétion les pouvoirs publics, l’exécutif et le législatif ; elle
règne et gouverne ! Par cette institution du Sénat bien comprise, bien appliquée,
la démocratie est souveraine maîtresse de la France. (Très bien ! Très bien ! -
Salve d’applaudissements.) "

Question

Dans ce texte, quelle idée se fait Gambetta de la Chambre


Haute ?

DOC. 1 3 Les emprunts et la libération du territoire.

Quand le pays a vu non pas un gouvernement vacillant,... mais un


gouvernement regardant devant lui, qui allait droit à l’avenir,.… la confiance
est rentrée dans les esprits, la sécurité dans les cœurs, l'industrie a repris son
activité, le crédit nous a été rendu, et nous avons pu commencer ces emprunts
prodigieux pour lesquels il n'y avait pas d'expérience, parce qu'il n’y avait pas
d'exemple.

Nous avons fait, le 27 juin 1871, un premier emprunt de 2 milliards, nous


avons soldé une première partie de l'indemnité; et, en présence de notre
ponctualité dans une situation aussi grave, nous avons obtenu la libération de
Paris; on nous a rendu le territoire jusqu’à la Marne.

117
La confiance a continué et elle s’est accrue... Nous avons pu faire ce nouvel et
dernier emprunt de 3 milliards et demi, qui avait bien moins d'exemple encore
que le précédent, dont tout le monde s’épouvantait. Aujourd'hui, tandis que
toutes les places financières de l’Europe sont gênées, qu'il y a des crises partout,
nous qui avons à payer des sommes si énormes, nous étonnons l’Europe par la
ponctualité de nos paiements. Nous avons payé 4 milliards; le paiement du
dernier milliard va commencer dans huit jours... Les fonds pour le 1er juin sont
prêts: il sont assurés pour le 1er juillet, pour le 1er août, pour le 1er septembre.

Thiers. Assemblée nationale, 24 mai 1873. Discours, t. XV. p. 194.

Questions

1) A partir du cours, expliquez ce que sont ces emprunts lancés par Thiers.
2) Qu’ont-ils révélé ?

DOC.14 Amendement Wallon 30 janvier 1875

Le président de la République est élu à la majorité absolue des


suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en
Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est
rééligible. »

Cet amendement est ensuite repris dans l'article 2 de la loi


constitutionnelle du 25 février 1875.

Question :

qu’institue implicitement cet amendement ?

Doc. 15 LA CONSTITUTION DE 1875

Loi du 24 février 1875 relative à l’organisation du sénat

ART PREMIER. — Le Sénat se compose de 300 membres élus par les


départements et les colonies, et 75 élus par l'Assemblée nationale.

[…]
ART. 3. — Nul ne peut être sénateur, s'il n'est Français, âgé de 40 ans
au moins et s'il ne jouit de ses droits civils et politiques.

ART. 4. — Les sénateurs des départements et des colonies sont élus à la


majorité absolue et, quand il y a lieu, au scrutin de liste, par un collège
réuni au chef-lieu du département ou de la colonie, et composé : r° Des
députés ; 2° Des conseillers généraux ; 3° Des conseillers d'arrondissement
; 4° Des délégués élus, un par chaque Conseil municipal, parmi les
électeurs de la commune. Dans l'Inde française, les membres du Conseil
118
colonial ou des Conseils locaux sont substitués aux conseillers généraux,
aux conseillers d'arrondissement et aux délégués des Conseils
municipaux. Ils votent au chef-lieu de chaque établissement...

Art. 5. — Les sénateurs nommés par l'Assemblée sont élus au scrutin


de liste, et à la majorité absolue des suffrages.

Art. 6. — Les sénateurs des départements et des colonies sont élus pour
neuf années et renouvelables par tiers, tous les trois ans. Au début de la
première session, les départements sont divisés en trois séries,
contenant chacune un nombre égal de sénateurs. Il sera procédé, par la
voie du tirage au sort, à la désignation des séries qui devront être
renouvelées à l'expiration de la première et de la deuxième période
triennale.

ART. 7 — Les sénateurs élus par l'Assemblée sont


inamovibles. En cas de vacance par décès, démission ou autre
cause, il sera, dans les deux mois, pourvu au remplacement
par le Sénat lui-même.

ART. 8 — Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des


députés, l'initiative et la confection des lois. Toutefois, les lois de
finances doivent être, en premier lieu, présentées à la Chambre des
députés et votées par elle.
ART. 9. — Le Sénat peut être constitué en cour de justice pour
juger soit le Président de la République, soit les ministres, et pour
connaître des attentats commis contre la sûreté de l'État.
ART.10 - Il sera procédé à l'élection du Sénat un mois avant
l'époque fixée par l'Assemblée nationale pour sa séparation. Le Sénat
entrera en fonctions et se constituera le jour même où l'Assemblée
nationale se séparera.
ART. 11- La présente loi ne pourra être promulguée qu'après le
vote définitif de la loi sur les Pouvoirs publics.
Bulletin des Lois, 22è série, X, n° 3, P. 954, et Journal officiel, 28
février 1875.

Loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics.


ARTICLE PREMIER. - Le Pouvoir législatif s'exerce par deux
Assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. La Chambre des
députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions
déterminées par la loi électorale. La composition, le mode de
nomination et les attributions du Sénat seront réglés par une loi
spéciale.
ART. 2. - Le Président de la République est élu à la majorité
absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés
réunis en Assemblée nationale. Il est élu pour sept ans. Il est
119
rééligible.
ART. 3. — Le Président de la République a l'initiative des lois,
concurremment avec les membres des deux Chambres. Il promulgue
les lois lorsqu'elles ont été votées par les deux Chambres ; il en
surveille et en assure l'exécution. Il a le droit de faire grâce ; les
amnisties ne peuvent être accordées que par une loi. Il dispose de la
force armée. Il nomme à tous les emplois civils et militaires. Il préside
aux solennités nationales ; les envoyés et les ambassadeurs des
puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. Chacun des actes
du Président de la République doit être contresigné par un ministre.
[…]
ART. 5. — Le Président de la République peut, sur l'avis conforme
du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale
de son mandat. En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour
de nouvelles élections dans le délai de trois mois.
ART. 6. — Les ministres sont solidairement responsables devant
les Chambres de la politique générale du Gouvernement, et
individuellement de leurs actes personnels. Le Président de la
République n'est responsable que dans le cas de haute trahison.
ART. 7. - En cas de vacance par décès ou pour toute autre cause,
les deux Chambres réunies procèdent immédiatement à l'élection
d'un nouveau Président. Dans l'intervalle, le Conseil des ministres est
investi du Pouvoir exécutif.
ART. 8. — Les Chambres auront le droit, par délibérations
séparées prises dans chacune à la majorité des voix, soit
spontanément, soit sur la demande du Président de la République,
de déclarer qu'il y a lieu de reviser les lois constitutionnelles. Après
que chacune des deux Chambres aura pris cette résolution, elles se
réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la revision. Les
délibérations portant revision des lois constitutionnelles, en tout ou
en partie, devront être prises à la majorité absolue des membres de
l'Assemblée nationale. Toutefois, pendant la durée des pouvoirs
conférés par la loi du 20 novembre 1873 à M. le maréchal Mac-
Mahon, cette revision ne peut avoir lieu que sur la proposition du
Président de la République.
ART. 9. — Le siège du Pouvoir exécutif et des deux Chambres est à
Versailles

Bulletin des Lois, 12è série, X, n0 3953, p. 165 et Journal officiel, 28


février 1875.

Loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des


pouvoirs publics.

ARTICLE PREMIER. — Le Sénat et la Chambre des députés se


réunissent chaque année le second mardi de janvier, à moins d'une
120
convocation antérieure faite par le Président de la République. Les
deux Chambres doivent être réunies en session cinq mois au moins
chaque année. La session de l'une commence et finit en même temps
que celle de l'autre. Le dimanche qui suivra la rentrée, des prières
publiques seront adressées à Dieu dans les églises et dans les temples
pour appeler son secours sur les travaux des Assemblées.
ART. 2 — Le Président de la République prononce la clôture de la
session. Il a le droit de convoquer extraordinairement les Chambres.
Il devra les convoquer si la demande en est faite, dans l'intervalle des
sessions, par la majorité absolue des membres composant chaque
Chambre. Le Président peut ajourner les Chambres. Toutefois,
l'ajournement ne peut excéder le terme d'un mois ni avoir lieu plus
de deux fois dans la même session.
ART. 3 — Un mois au moins avant le terme légal des pouvoirs du
Président de la République, les Chambres devront être réunies en
Assemblée nationale pour procéder à l'élection du nouveau
Président. A défaut de convocation, cette réunion aurait lieu de plein
droit le quinzième jour avant l'expiration de ces pouvoirs. En cas de
décès ou de démission du Président de la République, les deux
Chambres se réunissent immédiatement et de plein droit. Dans le
cas, où, par application de l'article 5 de la loi du 25 février 1875, la
Chambre des députés se trouverait dissoute au moment où la
présidence de la République deviendrait vacante, les collèges
électoraux seraient aussitôt convoqués et le Sénat se réunirait de
plein droit.
ART. 4 — Toute assemblée de l'une des deux Chambres qui serait
tenue hors de la session commune est illicite et nulle de plein droit,
sauf le cas prévu par l'article précédent, et celui où le Sénat est réuni
comme cour de justice ; et, dans ce dernier cas, il ne peut exercer que
des fonctions judiciaires...
ART. 6 — Le Président de la République communique avec les
Chambres par des messages qui sont lus à la tribune par un ministre.
Les ministres ont leur entrée dans les deux Chambres et doivent être
entendus quand ils le demandent. Ils peuvent se faire assister par des
commissaires désignés, pour la discussion d'un projet de loi
déterminé, par décret du Président de la République.
ART. 7 - Le Président de la République promulgue les lois dans le
mois qui suit la transmission au Gouvernement de la loi
définitivement adoptée. Il doit promulguer dans les trois jours les
lois dont la promulgation, par un vote exprès dans l'une et l'autre
Chambre, aura été déclarée urgente. Dans le délai fixé pour la
promulgation, le Président de la République peut, par un message
motivé, demander aux deux Chambres une nouvelle délibération qui
ne peut être refusée.
ART. 8 — Le Président de la République négocie et ratifie les
traités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt que l'intérêt

121
et la sûreté de l'État le permettent. Les traités de paix, de commerce,
les traités qui engagent les finances de l'État, ceux qui sont relatifs à
l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger,
ne sont définitifs qu'après avoir été votés par les deux Chambres.
Nulle session, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut
avoir lieu qu'en vertu d'une loi.
ART. 9. — Ie Président de la République ne peut déclarer la guerre
sans l'assentiment préalable des deux Chambres.
ART. 10 — Chacune des Chambres est juge de l'éligibilité de ses
membres et de la régularité de leur élection ; elle peut seule recevoir
leur démission.
[…]
ART. 12 — Le Président de la République ne peut être mis en
accusation que par la Chambre des députés, et ne peut être jugé que
par le Sénat. Les ministres peuvent être mis en accusation par la
Chambre des députés pour crimes commis dans l'exercice de leurs
fonctions. En ce cas, ils sont jugés par le Sénat. Le Sénat peut être
constitué en cour de justice par un décret du Président de la
République, rendu en Conseil des ministres, pour juger toute
personne prévenue d'attentat contre la sûreté de l'État, Si
l'instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret de
convocation du Sénat peut être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi. Une
loi déterminera le mode de procéder pour l'accusation, l'instruction
et le jugement.
ART. 13 — Aucun membre de l'une ou de l'autre Chambre ne peut,
pendant la durée de la session, être poursuivi ou arrêté en matière
criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de la Chambre
dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit. La détention ou la
poursuite d'un membre de l'une ou de l'autre Chambre est
suspendue pendant la session, et pour toute sa durée, si la Chambre
le requiert.

Bulletin des Lois, 12è série, XI, n° 4270, p. 1 et Journal officiel, 18


juillet 1875. p.11.

Questions sur les lois constitutionnelles

1) Quelle est l’organisation des pouvoirs publics ?

2) Existe t’il un président du conseil (ou premier ministre) ?

Doc. 16 Lettre de Mac-Mahon à Jules Simon (16 mai 1877)

Monsieur le Président du Conseil,


Je viens de lire dans le Journal officiel le compte rendu de la
séance d'hier. J'ai vu avec surprise que ni vous ni M. le Garde des
Sceaux n'aviez fait valoir à la tribune les graves raisons qui
122
auraient dû prévenir l'abrogation d'une loi sur la presse, votée
il y a moins de deux ans sur la proposition de M. Dufaure, et dont,
tout récemment, vous demandiez vous-même l'application aux
tribunaux... Cette attitude du chef de cabinet fait demander s'il a
conservé sur la Chambre l'influence nécessaire pour faire
prévaloir ses vues. Une explication, à cet égard, est indispensable,
car, si je ne suis pas responsable comme vous envers le Parlement,
j'ai une responsabilité envers la France, dont, aujourd'hui plus que
jamais, je dois me préoccuper. Agréez...

Pisani-Ferry, Le coup d’Etat manqué du 16 mai 1877, Paris, 1965, p.


147.

Question

Comment d’après ce texte Mac Mahon conçoit-il le rôle du Chef


de l’Etat ?

Doc. 17 Mac-Mahon reconnaît le caractère parlementaire du régime

« Les élections du 14 octobre ont affirmé une fois de plus la confiance


du pays dans les institutions républicaines. Pour obéir aux règles
parlementaires, j’ai formé un cabinet choisi dans les deux Chambres,
composé d’hommes résolus à défendre et à maintenir ces institutions
par la pratique sincère des lois constitutionnelles.
L'intérêt du pays exige que la crise que nous traversons soit apaisée; il
exige avec non moins de force qu'elle ne se renouvelle pas. L'exercice
du droit de dissolution n'est en effet, qu'un mode de consultation
supréme auprès d'un juge sans appel, et ne saurait être érigé en
système de gouvernement.
J’ai cru devoir user de ce droit et je me conforme à la réponse du pays.
La Constitution de 1875 a fondé une république parlementaire en
établissant mon irresponsabilité, tandis qu’elle a institué la
responsabilité solidaire et individuelle des ministres. Ainsi sont donc
déterminés nos devoirs et nos droits respectifs : l’indépendance des
ministres est la condition de leur responsabilité. Ces principes tirés de
la constitution sont ceux de mon gouvernement. La fin de cette crise
sera le point de départ d’une nouvelle ère de prospérité. Tous les
pouvoirs publics concourront à en favoriser le -développement.
L'accord établi entre le Sénat et la Chambre des députés, assurés
désormais d'arriver régulièrement au terme de son mandat,
permettra d'achever les grands travaux législatifs que l'intérêt public
réclame »
"
Mac-Mahon, Message aux Chambres, 14 décembre 1877, in M. et L.
Dechappe, L’histoire, op.cit., p. 540.

123
Questions

1) Dans les cinq premières lignes du texte, expliquez en quoi consiste le


régime parlementaire.
2) « L'exercice du droit de dissolution n'est en effet, qu'un mode de
consultation suprême auprès d'un juge sans appel » : qui est ce juge
sans appel ?
3) « J’ai cru devoir user de ce droit et je me conforme à la réponse du
pays. » : expliquez ce que Mac Mahon veut dire.

Doc. 18 Espérances de Gambetta après le 16 mai.


Paris, ce lundi 20 août 1877.
MON CHER AMI,
Voilà bien longtemps que je vous dois deux ou trois réponses aux
excellentes lettres que vous m'avez adressées...
Je ne reviens pas sur les idées générales de la politique, les discours et
les journaux vous ont amplement fixé à ce sujet. J'aime mieux vous faire
part de mes prévisions sur le lendemain du scrutin. Inutile de vous
affirmer à nouveau le succès des républicains. C'est une bataille gagnée
dès à présent, mais que feront nos adversaires, que ferons-nous nous-
mêmes ? Je pense que ce sont là les deux points qui vous préoccupent.
Nos adversaires sont de deux sortes, les Ministres, le Maréchal. Les
premiers ont une responsabilité personnelle dans la crise, ils rejettent
tout sur le coup de tête du vieux militaire, font remarquer que la
fameuse lettre d'où vient tout le mal n'a été contresignée par aucun
d'eux ; qu'ils ont subi la situation fausse dans laquelle ils se sont
précipités par pur héroïsme pour sauver la personne du chef de l'État,
Tout ceci, je le sais de source certaine et les nombreux indices qu'on
recueille dans leur entourage ne font que confirmer ces renseignements
domestiques.
Pour le Maréchal, c'est autre chose. Il voudrait bien ne pas s'en aller, se
décharger sur eux de la terrible responsabilité, subir à nouveau des
conditions parlementaires et finir son Septennat tant bien que mal. I.es
raisons les plus matérielles lui imposent cette conduite. Il a devant lui
plusieurs expédients, je lis dans sa pensée et non dans les possibilités.
10 Tenter un coup de force. Je n'y crois pas pour les plus graves raisons
que je trouve superflu de vous énumérer, mais dont la principale est
celle-ci : l'armée est bonne et les chefs sont très divisés, impossible de
risquer une telle aventure sans la certitude d'être obéi et par tous. Donc,
on fera gronder ces rumeurs, mais les plus timides même ne s'y laissent
pas prendre. Croyez que bien mieux encore qu'en 1873, nos précautions
sont sérieusement prises pour déjouer une telle tentative, si elle venait à
se produire ;
124
2° Tenter un replâtrage avec le Centre gauche et le Centre droit, sous
un air de repentir constitutionnel. Cet expédient est plus inquiétant que
le premier, mais grâce à l'animosité de M. Thiers, à son autorité sur la
fraction des Gauches qui pourrait faiblir, il n'y a pas de crainte sérieuse
à concevoir par où il vous apparaît combien, en dehors d'autres et
excellentes raisons, il importait de prendre M. Thiers pour candidat à la
Présidence ;
30 Capituler et subir toutes les conditions de la nouvelle majorité.
Solution improbable, mais que certaines gens ne regardent pas comme
impossible ;
40 S'en aller. J'y crois, en dépit des apparences, parce que je suis
convaincu que l'effet des élections sera foudroyant et menaçant pour
lui, quant à nous, il nous faudra vigoureusement, dès la première
heure, rappeler le message et signifier que le chef des coalisés ne peut
rester au Pouvoir puisque, comme il le dit lui-même, son honneur et sa
conscience ne lui permettent pas de servir la politique que la France
veut et que notre sincérité et celle du pays ne peuvent s'accommoder de
sa présence aux affaires, une bonne délégation chargée de lui signifier
cet arrêt, le refus du budget, la demande des congrès, et tout peut être
obtenu si on ne perd ni une heure ni une voix. Il faudra user par
exemple de la réunion plénière, suprême instrument de discipline et de
force.
Et puis ? Organiser un fort ministère, comprenant des représentants
des quatre nuances. Sans hésiter, balayer impitoyablement le dessus et
le dessous des diverses administrations.
Et puis ? Direz-vous, attendre et patienter sur les lois et les réformes,
car M. Thiers est toujours M. Thiers. Mais on fera une légère amnistie,
ce qui permettra de préparer les voies à la grande...
LÉON GAMBETTA.
Lettres de Gambetta, 1868-1882, lettre 327.

Question

Expliquez ce qui préoccupe Gambetta en août 1877 ?

Doc. 19 La « Constitution Grévy »

Message de J. Grévy, Président de la République, aux Chambres, 6


février 1879.

« Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je


n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses
organes constitutionnels.

125
Dans les projets de loi qu'il présentera au vote Chambres et dans les
questions soulevées par l'initiative parlementaire, le Gouvernement
s'inspirera des besoins réels, des voeux certains du pays, d'un esprit de
progrès et d'apaisement ; il se préoccupera surtout du maintien de la
tranquillité, de la sécurité, de confiance, le plus ardent des voeux de la
France, plus impérieux de ses besoins.
Dans l'application des lois, qui donne à la politique générale son
caractère et sa direction, il se pénétrera de la pensée qui les a dictées...
Tout en tenant un juste compte des droits acquis des services rendus,
aujourd'hui que les deux grands pouvoirs sont animés du même esprit,
qui est celui de la France, il veillera à ce que la République soit servie
par des fonctionnaires qui ne soient ni ses ennemis ni ses détracteurs.
C'est par cette politique libérale et vraiment conservatrice, que les
grands pouvoirs de la République toujours unis, animés du même
esprit, feront porter ses fruits naturels au Gouvernement que la France...
s'est donné comme le seul qui puisse assurer son repos.
J. GRÉVY. Discours politiques et judiciaires, 1888, t. II. p. 512.

Questions :

1) Sous la IIe République Jules GRÉVY s’était prononcé sur le statut du


présidente de la République (voir ce document Assemblée nationale, 6 octobre
1848) quelle relation faites-vous avec la Constitution Grévy ?
2) Est-ce que Grévy ne semble pas devancer la volonté parlementaire ?
3) Quelles conséquences institutionnelles et politiques aura ce discours ?
4) On est en présence d’une déformation de la constitution qui est de quelle
nature ?

II La République opportuniste ou modérée ( 1879-1899)

DOC.20 L’opportunisme, discours prononcé à Belleville le 12 août 1881,


Léon GAMBETTA, ibid., p. 178-181, n°206.

Je sais que ce qu’on attaque en moi, ce n’est pas la personne — d'aucuns même
disent que la personne n’est pas déplaisante — ce qu’on attaque en moi c’est la
politique, c’est le système, c'est la méthode de défense et de protection des
intérêts de la démocratie française. C’est cette politique que je viens défendre,
non parce qu’elle est attaquée, mais parce que j’ai un souci qui domine tous les
autres : c’est d'empêcher les intelligences loyales, les cœurs honnêtes que
certaines difficultés de la vie sociale et politique excitent et passionnent, de
grossir le troupeau que veulent monter des sophistes et des démagogues sans
vergogne. Voilà pourquoi je veux m'expliquer encore une fois ici, et pourquoi
je tiens que ce soit à Belleville que cette politique reçoive encore une fois sa
sanction et sa consécration.

Cette politique, on l'a appclée d'un nom mal fait, d’un véritable barbarisme.
Pour une chose mal conçue, il fallait un mot mal conçu : on l’a appelée «
opportunisme ». Si ce barbarisme signifie politique avisée, ne laissant jamais
126
passer l’heure propice, les circonstances favorables, mais ne sacrifiant rien ni
au hasard, ni à l'esprit de violence, on pourra tant que l’on voudra appliquer à
cette politique une épithète malsonnante et même inintelligible,
mais je dirai que je n’en connais pas d’autre, car c’est la politique de la raison.
Il y a tout un ensemble de réformes politiques et sociales qu’il faut accomplir.
« Seulement, vous connaissez la méthode que j’ai toujours préconisée devant
vous : elle ne consiste pas à tout aborder de front, à toucher à la fois à toutes les
questions, à se mettre pour ainsi dire tous les matériaux de la maison à
construire sur les bras, sauf à rester épuisé sous le fardeau, la maison ne se
construisant pas. Non ma méthode consiste à sérier les questions, à leur donner
pour ainsi dire des numéros d'ordre et d'urgence.

Question :
Expliquez ce que l’on entend par opportunisme pour les républicains de cette
époque en vous appuyant sur des citations du texte.

Les crises de la République (1885-1898)

LE BOULANGISME (1886-1889)

Doc. 21 Profession de foi, Electeur de la Seine.

Les parlementaires, qui ont tout fait pour me rendre inéligible, sont
aujourd'hui affolés à l'idée de me voir élu. Mon épée les inquiétait. Ils
me l'ont retirée. Et les voilà plus inquiets qu'à l'époque où je la portais
encore. En réalité, ce n'est pas de moi qu'ils ont peur, c'est du suffrage
universel, dont les jugements réitérés témoignent du dégoût qu'inspire
au pays l'état d'abâtardissement où leur incapacité, leurs basses
intrigues et leurs discussions fastidieuses ont réduit la République.
Il leur est, en effet, plus commode de me rendre responsable du
discrédit où ils sont tombés que de l'attribuer à leur égoisme et à leur
indifférence pour les intérêts et les souffrances du peuple.
Pour ne pas être obligés de s'accuser eux-mêmes, c'est moi qu'ils
accusent en me prêtant les plus invraisemblables projets dictatoriaux.
Car on m'a renversé comme ministre sous prétexte que j'étais la guerre,
et on me combat comme candidat sous prétexte que je suis la dictature.
La dictature ! N'est-ce pas nous qui l'avons subie sous toutes les formes ?
Ne propose-t-on pas tous les jours d'inventer des lois d'exception pour
nos électeurs et pour moi ? Si la pensée de jouer au dictateur avait pu me
venir, il me semble que c'eût été quand j'avais, en qualité de ministre de
la Guerre, toute l'armée dans la main. Rien dans mon attitude a-t-il pu
alors justifier ce soupçon injurieux ? Non ! J'ai accepté les sympathies de
tous sans songer à « voler » la popularité de personne. Qu'y a-t-il donc
de dictatorial dans un programme qui réclame une révision
127
constitutionnelle par le système le plus démocratique, c'est-à-dire au
moyen d'une Constituante, où chaque député aura toute facilité de
défendre et de faire prévaloir ses opinions ?
Les chefs du parti républicain s'étaient fondés sur mon républicanisme
pour m'ouvrir les portes du ministère. En quoi ai-je donc depuis lors
démérité de la République ? Qu'on me dise un seul acte, une seule
profession de foi où je ne l'aie pas nettement affirmée !
Mais je veux, comme la France veut aussi, une République composée
d'autre chose que d'une réunion d'ambitions et de cupidités.
Que pouvons-nous espérer de gens qui, après s'être, de leur propre
aveu, trompés depuis quinze ans, osent se représenter à vous en vous
redemandant votre confiance ? Électeurs de la Seine,
La France a aujourd'hui soif de justice, de droiture et de
désintéressement. Tenter avec vous de l'arracher au gaspillage qui
l'épuise et aux compétitions qui l'avilissent, c'est pour moi la servir
encore.
La Patrie est notre patrimoine à tous. Vous l'empêcherez de devenir une
proie pour quelques-uns.
Vive la France !
Vive la République !

GÉNÉRAL BOULANGER. Profession de foi aux électeurs de la Seine,


janvier 1889, dans ZÉVARS, Histoire de la Ille République, Paris, 1926, p.
300-301.

Question

Montrer les éléments dans cette profession de foi qui construisent le courant
antiparlementaire.

DOC.22 La popularité d'un général.

Eh bien, qu'est-ce que c’est que la question Boulanger? … Messieurs, j'ai lu


dans plusieurs journaux modérés qui disaient à cet égard la vérité... qu’il y
avait beaucoup d’honnêtes gens, de patriotes dans ces manifestations, des gens
qui n'étaient animés que d’un sentiment louable, qui étaient dévoués à la
République et qui croyaient naïvement sauver la République et la Patrie.
Qu'est-ce à dire ? Il faut expliquer cela.

Eh bien, oui ! Cette popularité est venue trop vite à quelqu'un qui aimait trop le
bruit, ou, pour être plus juste, qui ne le fuyait pas assez, cela n'est pas douteux

M. le général Boulanger, il était inconnu avant de prendre le ministère de la


guerre. Peu d'hommes politiques savaient son nom... Il y avait dans l'armée,
dans certaines fractions de l’armée, une opposition ouverte, je puis dire le mot,
systématique contre la République ; opposition qui n’était pas dangereuse,
parce que l’armée française n’est pas et ne sera jamais une armée prétorienne;
mais enfin il est une chose certaine ; c'est qu'il y avait là une opposition, à fleur
128
de peau...mais réelle contre le régime républicain. Un centre d'opposition
politique dans l’armée s'était créé à Tours... M. le général Boulanger a frappé à
la tête... le général Schmitz a été révoqué; l'opinion républicaine lui en a tenu
compte. On ne peut l’en blamer.…..

Alors est venue la question des princes d'Orléans (1). Ce que je sais, c'est que
le général Boulanger a frappé les princes d'Orléans d'accord avec le cabinet...
Je dis que ce jour-là on a fait un acte d'énergie, un acte de haute politique
républicaine contre les ennemis de la République. C’est là encore... ce qui a fait
la puissance de ce nom et ce qui a pu grouper autour de lui tant d'éléments
divers.

Ce n’est pas tout... Je dis que cette popularité a été servie par les événements
qui se sont passés en Alsace-Lorraine, qu'il ne dépendait pas de nous
d'empêcher et qui ont douloureusement retenti dans nos cœurs (2). Et puis
j'ajoute... que la presse allemande a systématiquement attaqué le général
Boulanger... De sorte que les esprits superficiels ont pu voir en lui l’incarnation
de la patrie. Enfin, les droites! Par rancune de la décision prise contre les
princes d'Orléans, l'ont attaqué avec une extrême violence, si bien que
beaucoup, le voyant attaqué systématiquement par les ennemis de la
République, ont pu voir en lui l’incarnation de la République.

Enfin, l’ancien ministre de la guerre a donné un vif élan à l’armée française ; et


c’est là encore... une des principales causes de sa popularité. Il l’a fait, grâce à
ses qualités, grâce aussi à ses défauts, autant et plus peut-être par ses défauts
que par ses qualités...

Voilà comment j’explique cette popularité si rapide, inquiétante, non pas du


point de vue de la personne, autrement, il ne serait pas en ce cas, commandant
du 13è corps d’armée mais inquiétane au point de vue de l’esprit public.

Clemenceau séance du 11 juillet 1887, Journal Officiel, Débats de la


Chambre, p.1661 et s.

Questions :

1) Recherchez dans le cours quelle avait été l’attitude de Clemenceau envers


Boulanger au début de sa carrière ?
2) Que constatez-vous par rapport à ce texte ?

Boulanger : L’agitation révisionniste 1886-1889.

DOC. 23 Le progamme du Général Boulanger

Messieurs, les manifestations électorales qui se sont produites avec tant de


force sur mon nom, me font un devoir d'exposer à la Chambre les souffrances
et les vœux qu’elles me paraissent exprimer. De quelque façon qu’on apprécie
le mouvement d'opinion qui agite le pays entier, il est incontestable qu'il est
l’indice d’une crise intense qui pourrait, en se prolongeant, devenir funeste à la

129
République et à la patrie. Cette crise, il faut l'étudier dans ses causes, il faut
apprécier le mal dans son principe et appliquer résolument le remède
nécessaire. Ce remède est, à mon avis, dans la révision des lois
constitutionnelles.

La France souffre depuis plusieurs années d’un mal matériel et moral qui ne
peut se prolonger sans dommage pour tous... Divisée contre elle-même,
tiraillée par les partis, compromise par des querelles misérables où l’on voit
s’user, sans profit pour elle et sans honneur pour personne, les forces qui
appartiennent à la patrie et qui ne devraient être employées qu’à son service,
elle répudie hautement la politique des partis, et elle appelle de tous ses vœux
un régime nouveau. Pour répondre à cet ardent désir et tout en apportant des
garanties plus eflicaces que celles du régime actuel à la liberté et au grand
principe du gouvernement du pays par le pays, ce régime nouveau doit être
l’antithèse du régime anarchique, anti-démocratique qui pèse en ce moment sur
elle.

Il y a deux causes à ce mal politique et social: d'une part, l'impropriété de nos


institutions, d'autre part une conception absolument fausse de la République.
La République ne doit être la propriété de personne. Tous les Français ont des
droits égaux à son gouvernement. Tous doivent pouvoir s’y sentir chez eux. On
ne doit exclure personne de sa communion. Les seules exclusions légitimes
seraient celles des citoyens... qui s’exclueraient eux-mêmes en se mettant en
opposition irréconciliable et révolutionnaire avec les libres institutions
acceptées par le peuple.

Malheureusement cette conception, si rationnelle dans son principe, et qui


serait si bienfaisante dans ses effets, n’a jamais été admise par l'église
opportuniste… Ce parti a toujours considéré la République comme son bien,
comme sa chose; il a réduit la République à n'être que le gouvernement d'un
groupe. Cette méthode... a porté de terribles fruits : elle a avivé les divisions
naturelles qui existent dans tous les pays entre les hommes de progrès et les
conservateurs, et de ces distinctions. Elle a fait un conflit violent, permanent,
acharné, périlleux pour l’existence nationale elle-même... On peut être
indistinctement conservateur ou radical sous la République, sans être en
contradiction avec le principe d’un régime qui comprend toutes les opinions,
comme il comprend tous les citoyens.

Il est aisé de se rendre compte de l’état d’esprit que le régime cher aux
opportunistes devait produire... Les manifestations ont fait explosion autour de
moi. Les élections de l'Aisne, de la Dordogne et du Nord n'ont point d'autres
causes... On s’est étonné que des conservateurs et des républicains aient
confondu leurs suffrages sur mon nom. C’est qu'ils avaient confondu
préalablement leurs griefs et leurs souffrances et que leur patriotisme ulcéré
n’avait plus qu'un cri...

Le pays appelle de tous ses vœux des réformes, et le parlementarisme lui


répond : «Je ne puis pas t'en donner, et je ne le pourrai jamais, quelques
modifications que les électeurs puissent apporter, quant aux personnes, à la

130
composition du Parlement. Le système même dont je procède me le défend, car
en même temps qu’il exalte toutes les convoitises coupables, il paralyse toutes
les bonnes volontés. » Récemment élu sur un programme révisionniste, je me
fais, à mon tour, par la proposition que j'ai l'honneur de déposer sur le bureau
de la Chambre, l'interprète de la volonté populaire.

Je viens d'indiquer le mal et ses causes, Le remède est évidemment dans une
réformation de nos mœurs politiques, mais cette réformation est elle-même
subordonnée à la réformation intégrale de nos institutions. La Constitution de
1875 n’est ni républicaine, ni démocratique. Elle est oligarchique et
parlementaire, c’est-à-dire en contradiction constante avec l'esprit, les mœurs,
les intérêts et les besoins de la France contemporaine. Le parlementarisme est
très séduisant en théorie... Malheureusement... tel que nous le pratiquons, tel
qu’il découle nécessairement de la large base démocratique de notre société
française, il ressemble plutôt à une anarchie constitutionnelle qu'à un
Gouvernement. Le suffrage universel élit des représentants qu’il ne connaît pas
toujours, sur la foi de programmes que les élus s’empressent d'oublier. À peine
arrivés au Palais-Bourbon, les députés se distribuent en groupes; et, au lieu de
suivre une politique purement nationale, ils ne servent que des intérêts de parti
et des ambitions de coterie.
Ce sont ces groupes, tantôt divisés et tantôt coalisés qui disposent du
gouvernement; les ministres n’ont point et ne peuvent point avoir de politique
propre...
Au bout de quelques semaines d’exercice les coteries évincées recrutent
quelques mécontents et deviennent à leur tour la majorité ; une coalition
nouvelle se noue; le ministère tombe, un ministère nouveau s'élève dans les
mêmes conditions pour courir la même destinée. La France est lasse jusqu’au
dégoût de ce régime qui n’est qu’agitation dans le vide, désordre, corruption,
mensonge et stérilité. Il faut le réformer, et on le réformera en modifiant de
fond en comble l'assiette du pouvoir et les attributions de ceux qui doivent
l'exercer.
Et tout d'abord, faut-il donner à la République un président. La question est
controversée […]
Ce qui importe, c’est que le chef du pouvoir exécutif cesse d’avoir la situation
effacée que lui a faite la Constitution de 1875, situation bizarre qui heurte le
sentiment populaire, comme la raison des hommes politiques, et qui fait du
premier magistrat de l’État un soliveau, sans cesser, — les événements du 16
mai l'ont prouvé, — d’en faire une menace.

La responsabilité ministérielle doit être modifiée et déplacée. L'expérience a


démontré que la responsabilité des ministres devant la Chambre équivaut à
l'absorption du pouvoir exécutif par le pouvoir législatif et à l’avilissement du
premier. Il n'est pire régime que celui des collectivités. La Chambre doit
légiférer; elle ne doit pas gouverner. Les fonctions ministérielles seront
incompatibles avec le mandat législatif et les ministres, tenus hors du
Parlement, seront individuellement responsables devant le Chef de l' Etat…

131
Quant au Sénat, Boulanger le verrait disparaître « sans inconvénient et sans
regret ». Toutefois si on veut le conserver « il faut qu'il partage l’origine
démocratique de toutes nos institutions » et émane du suffrage universel
suivant un mode à déterminer.

Boulanger veut aussi qu'on institue le referendum comme en


Suisse,

Je pense enfin que la Constitution renouvelée doit être soumise à la ratification


du peuple. La sanction populaire est une nécessité qu'ont soutenue les
républicains les plus illustres de la Convention. Gambetta lui-même a formulé
son avis en doctrine... :

« Je crois que le plébiscite est la sanction désormais nécessaire dans les


sociétés qui reposent sur le droit démocratique, pour donner au pouvoir la
sanction que les monarchies trouvaient dans le droit divin... »

Ces réformes, toutes souhaitables et pressantes qu’elles apparaissent, ne


sauraient être accomplies par le Parlement actuel. Elles doivent être l'œuvre
d'une Assemblée constituante chargée par le pays d’un mandat exprès. Mais
c'est aux Chambres réunies qu'il appartient d’en décréter la convocation. C’est
la seule œuvre que ce Parlement puisse accomplir. Divisé, impopulaire, il a fait
aux moins clairvoyants la démonstration de son impuissance. S'il se refuse à
cette mission, le suffrage universel lui criera plus fortement encore :
Dissolution! Dissolution!

Général Boulanger. Séance du 4 juin 1888, Journal oficiel, Débats de la


Chambre, p. 1627 et suiv.

Questions.

1) Que reproche le Général Boulanger au pouvoir législatif ?


2) Que reproche, t’il au pouvoir exécutif ?
3) Qu’est ce qui dans son discours rappelle le bonapartisme ( voir le cours sur
Second Empire et sur le boulangisme au début de la IIIe République)
4) Dans quelle tradition de la droite s’inscrit le boulangisme ?

Doc. 24 Le scandale de Panama

Mes prévisions se sont complètement réalisées. Une Commission


technique internationale, réunie sur les lieux mêmes, à Panama, a
confirmé la praticabilité du canal maritime.
Les entrepreneurs, MM. Couvreux et Hersent, ont présenté leur devis et
déclaré que l'exécution du canal ne coûterait que 500 millions de francs.
L'évaluation d'un trafic annuel assurant 90 millions de francs de revenus
sur 6 millions de tonnes est considérée comme inférieure à la réalité.
Les revenus seraient donc plus importants qu'on ne l'avait supposé.
La Compagnie universelle sera constituée avec un capital de 300
millions de francs.
132
La dépense totale étant calculée devoir s'élever à 600 millions, les
sommes nécessaires à l'achèvement de l'entreprise donneront lieu, au
fur et à mesure, à l'émission d'obligations pour que les bénéfices
réservés aux actionnaires soient accrus.
Fidèle à ma promesse, un droit de souscription privilégiée irréductible,
est réservé aux premiers souscripteurs de Panama, ainsi qu'aux
actionnaires et obligataires du canal de Suez.

F. DE LESSEPS. « Bulletin » de Panama, 6 décembre 1880.

Questions

1) Pourquoi parle t’on d’un scandale ?


2) Quelles en sont les conséquences politiques ?

Doc. 25 Rapport de M. Quesnay de Beaurepaire du 10 septembre 1892.

M. de Lesseps, de ce côté-là, est descendu très bas, ne montrant aucun


souci, aucune probité pour défendre ou pour respecter le bien d'autrui,
l'épargne des petits travailleurs, dont il s'était fait le spoliateur
systématique...
Sa mauvaise foi est, dans ces termes, surabondamment démontrée,
puisqu'il a, dans des conférences de 1888, affirmé le contraire de faits
dont il avait en poche la preuve contraire, signée de ses ingénieurs. Et
quand la conversion du canal à écluses s'est imposée et qu'il a ébauché
sur ces bases son traité avec Eiffel, il a trompé odieusement le public par
des phrases louches et des équivoques qui ne relèvent que de la police
correctionnelle. L'accuse-t-on avec trop de rigueur ? Ce n'est
naturellement, pour lui, pas possible, car c'est ce même homme qui, au
cours de l'entreprise, « a sollicité un ingénieur » d'approuver le traité
infâme d'un entrepreneur qui majorait de 28 millions ses prix pour faire
tomber cette somme, extorquée au public, dans l'intimité de M. de
Lesseps lui-même.
L'homme qui a fait cela ne mérite aucun ménagement.

A. ZÉVAES, Le scandale de Panama, Paris, 1931, p. 5.

Question

Que reproche t’on à Ferdinand de Lesseps, diplomate et entrepreneur ?


Quel autre grand chantier avait-il entrepris ?

L’Affaire Dreyfus.

Doc. 26 - Acte d’accusation, 1894.

133
"M. le capitaine Dreyfus est accusé d’avoir, en 1894, pratiqué des
machinations ou entretenu des intelligences avec un ou plusieurs
agents des puissances étrangères, dans le but de leur procurer les
moyens de commettre des hostilités ou d’entreprendre une guerre
contre la France en leur livrant des documents secrets (...). La base de
l’accusation contre le capitaine Dreyfus est une lettre-missive écrite
sur du papier pelure, non signée et non datée, établissant que des
documents militaires confidentiels ont été livrés aux agents d’une
puissance étrangère (...). De l’examen attentif de toutes les écritures de
MM. les officiers employés dans les bureaux de l’état-major, il ressortit
que l’écriture du capitaine Dreyfus présentait une remarquable
similitude avec l’écriture de la lettre-missive incriminée."

Source : Acte d’accusation, procès de 1894.

Question :

Qu’est-il advenu de cet acte d’accusation ? (petite recherche sur Hubert Henry).

La révision.

a) Doc.27 Le mobile intellectuel et moral : « la République, régime de


vérité et de justice ».

L'affaire Dreyfus, ah ! Messieurs, elle est devenue bien petite à l'heure actuelle,
elle est bien perdue et bien lointaine, devant les terrifiantes questions qu’elle a
soulevées. Il n’y a plus d’affaire Dreyfus, il s’agit désormais de savoir si la
France est encore la France des Droits de l’homme, celle qui a donné la liberté
au monde et qui devait lui donner la justice. Sommes- nous encore le peuple le
plus noble, le plus fraternel, le plus généreux? Allons-nous garder en Europe
notre renom d'équité et d'humanité ? Puis ne sont-ce pas toutes les conquêtes
que nous avions faites et qui sont remises en question ? Un peuple n’est point
bouleversé de la sorte, sans que sa vie morale elle-même soit en danger.
L'heure est d’une gravité exceptionnelle, il s’agit du salut de la nation.

Il n’est qu’un seul remède possible : dire la vérité, rendre la justice... Le rôle
des bons citoyens, de ceux qui sentent l’impérieux besoin d’en finir, est
d'exiger le grand jour.

Emile Zola, Déclaration à l'audience du 21 février 1898, Le Procès Zola, Paris,


1898, p. 241 (2è partie).

Questions (petite recherche)

1) Lors de la perte de l’Alsace-Lorraine, à la suite de la défaite de la France


contre la Prusse en 1870, et en application du traité de Francfort du 10 mai
1871, les Pouvoirs publics ont demandé aux populations d’Alsace- Lorraine

134
d’ « opter » c’est-à-dire soit de quitter l'Alsace-Lorraine et choisir la nationalité
française, soit de renoncer à la nationalité française, de demeurer en Alsace
Lorraine annexée du IIè Reich et être rattaché à la nationalité allemande.
Quel a été le choix de la famille Dreyfus ? Quelle était alors sa situation
économique ?

2) Emile Zola entend lutter contre l’injustice, une des plus graves violations
des droits de l’Homme. Que lui valut son article dans l’Aurore ?

b) Doc.28 Le mobile politique : l’image de l'armée

La coalition des catholiques et des nationalistes appuyant les officiers


supérieurs monarchistes alarma les républicains, depuis l'aile gauche des
modérés jusqu'aux socialistes révolutionnaires

Il n'y a pas de plus absurde injure que de nous dire : « Vous insultez l'armée ! »
Non, nous n’insultons pas l’armée. Nous l'honorons en l’invitant au respect de
la loi, car elle n’est rien que par la loi, car nous la voulons grande par la loi.
Nous avons des devoirs envers elle, elle a des devoirs envers nous.

Messieurs, la France poursuit depuis 25 ans une double entreprise qui parait
contradictoire à quelques uns. Nous sommes des vaincus et nous avons d'abord
conçu la pensée de refaire la puissance de la France. Cela est nécessaire, il faut
que cela soit, parce qu'il n’y a pas de loi civile, il ne sert à rien d’instituer le
droit, la justice, si nous ne sommes pas d’abord maître chez nous. Et puis, nous
avons conçu une seconde idée, l’idée de nous débarrasser de tous les
despotismes de personnes ou d’oligarchies et de fonder dans notre pays une
démocratie de liberté et d’égalité.

Alors, la question s’est posée de savoir si ces deux vues ne sont pas en
contradiction l’une de l'autre. Le principe de la société civile, c'est le droit, la
liberté, la justice ; le principe de la société militaire, c'est la discipline, la
consigne, l’obéissance. Et comme chacun... est porté par la conscience de
l'utilité de sa fonction à vouloir empiéter sur autrui, la société militaire qui
dispose de la force, tend à empiéter sur l'autorité civile et à considérer la
société civile d’un peu haut quelquefois. C’est un tort, Les soldats n’ont de
raison
d'être que parce qu'ils défendent le principe que la société civile représente. Il
faut que la réconciliation se fasse entre ces deux institutions.

L'armée professionnelle n'existe plus. Il ne s’agit plus de résoudre la


contradiction entre le droit commun des uns et le privilège des autres, la liberté
civile et l'esprit de corps... Il faut que l'armée universelle, l’armée de tous, se
pénètre des idées de tous, des idées universelles de droit, puisqu'elle se
compose de l'universalité des citoyens. Si, absorbée par la pensée de défense,
qui est légitime avant tout, la sociétécivile se ruait à la servitude militaire, eh
bien, nous aurions encore un sol à défendre, c’est vrai, mais on peut dire que la
patrie morale serait perdue, parce que, désertant les idées de justice et de liberté,

135
nous aurions abandonné ce qui a fait jusqu'ici dans le monde la gloire et le
renom de la France parmi les hommes.

Il faut que ces deux sociétés s'entendent, cela est nécessaire. Il faut que la
société militaire jouisse de tous ses droits pour accomplir tous ses devoirs. Il
faut que la société civile, consciente de ses devoirs envers la Patrie, envers
l’armée, maintienne inflexible ses droits, non seulement dans l'intérêt du
principe qu’elle représente, mais aussi pour le maximum d’efficacité de
l'institution militaire. Parler ainsi, est-ce insulter l’armée ou la servir ?

Ah ! oui, il faut que l’armée soit forte, mais comme l'abnégation des uns et le
commandement absolu des autres sont destinés à se fondre dans in immense
effort de vie et de mort pour la défense du territoire, il faut que la société civile,
par la supériorité de son principe, conserve son plein pouvoir de contrôle.

CLÉMENCEAU. Plaidoirie. Audience du 23 février 1898, Le Procès Zola,


op.cit., p. 47 et suiv. (2è partie).

Questions

1) Qu’est ce que la défaite de 1870 a donné comme sentiment à l’armée


d’après ce texte ? Quelle incidence cela a t’il sur l’Affaire Dreyfus ?
2)Pourquoi fut-il important que Dreyfus fut réhabilité et non grâcié alors qu’il
avait été injustement poursuivi et condamné sur la base de documents falsifiés ,
dont l’auteur des falsifications se suicidera quand tout sera découvert ? En
d’autres termes, quelle est la différence essentielle entre la réhabilitation et la
grâce ?

Les rapports de l’Eglise et de l’Etat

Doc. 29 Encyclique de Léon XIII au clergé et aux catholiques de France


le 16 février 1892 (extraits) . Encyclique « au milieu des sollicitudes ».

Au milieu des sollicitudes de l’Église universelle, bien des fois dans le


cours de Notre Pontificat, Nous Nous sommes plu à témoigner de Notre
affection pour la France et pour son noble peuple. Et Nous avons voulu,
par une de nos Encycliques encore présente à la mémoire de tous, dire
solennellement, sur ce sujet, tout le fond de Notre âme. C’est
précisément cette affection qui Nous a tenu sans cesse attentif à suivre
du regard, puis à repasser en Nous-même l’ensemble des faits, tantôt
tristes, tantôt consolants, qui, depuis plusieurs années, se sont déroulés
parmi vous.

En pénétrant à fond, à l’heure présente encore, la portée du vaste


complot que certains hommes ont formé d’anéantir en France le
christianisme, et l’animosité qu’ils mettent à poursuivre la réalisation de
leur dessein, foulant aux pieds les plus élémentaires notions de liberté et

136
de justice pour le sentiment de la majorité de la nation, et de respect
pour les droits inaliénables de l’Église catholique, comment ne serions-
Nous pas saisi d’une vive douleur? Et quand Nous voyons se révéler,
l’une après l’autre, les conséquences funestes de ces coupables attaques
qui conspirent à la ruine des mœurs, de la religion et même des intérêts
politiques sagement compris, comment exprimer les amertumes qui
Nous inondent et les appréhensions qui nous assiègent?

D’autre part, Nous Nous sentons grandement consolé, lorsque Nous


voyons ce même peuple français redoubler, pour le Saint-Siège,
d’affection et de zèle, à mesure qu’il le voit plus délaissé, Nous devrions
dire plus combattu sur la terre. À plusieurs reprises, mus par un
profond sentiment de religion et de vrai patriotisme, les représentants
de toutes les classes sociales sont accourus, de France jusqu’à Nous,
heureux de subvenir aux nécessités incessantes de l’Église, désireux de
Nous demander lumière et conseil, pour être sûrs qu’au milieu des
présentes tribulations, ils ne s’écarteront en rien des enseignements du
Chef des croyants. Et Nous, réciproquement, soit par écrit soit de vive
voix, Nous avons ouvertement dit à Nos fils ce qu’ils avaient droit de
demander à leur Père. Et loin de les porter au découragement, nous les
avons fortement exhortés à redoubler d’amour et d’efforts dans la
défense de la foi catholique, en même temps que de leur patrie : deux
devoirs de premier ordre, auxquels nul homme, en cette vie, ne peut se
soustraire.

Et aujourd’hui encore, Nous croyons opportun, nécessaire même,


d’élever de nouveau la voix, pour exhorter plus instamment, Nous ne
dirons pas seulement les catholiques, mais tous les Français honnêtes et
sensés à repousser loin d’eux tout germe de dissentiments politiques,
afin de consacrer uniquement leurs forces à la pacification de leur patrie.
Cette pacification, tous en comprennent le prix ; tous, de plus en plus,
l’appellent de leurs vœux, et Nous qui la désirons plus que personne,
puisque Nous représentons sur la terre le Dieu de la paix. Nous
convions, par les présentes Lettres, toutes les âmes droites, tous les
cœurs généreux, à Nous seconder pour la rendre stable et féconde.

[…]

Divers gouvernements politiques se sont succédé en France dans le


cours de ce siècle, et chacun avec sa forme distinctive : empires,
monarchies, républiques. En se renfermant dans les abstractions, on
arriverait à définir quelle est la meilleure de ses formes, considérées en
ellesmêmes; on peut affirmer également, en toute vérité, que chacune
d’elles est bonne, pourvu qu’elle sache marcher droit à sa fin, c’est-à-dire
le bien commun, pour lequel l’autorité sociale est constituée; il convient
d’ajouter finalement, qu’à un point de vue relatif, telle ou telle forme de
gouvernement peut-être préférable, comme s’adaptant mieux au
137
caractère et aux mœurs de telle ou telle nation. Dans cet ordre d’idées
spéculatif, les catholiques, comme tout citoyen, ont pleine liberté de
préférer une forme de gouvernement à l’autre, précisément en vertu de
ce qu’aucune de ces formes sociales ne s’oppose, par elle-même, aux
données de la saine raison, ni aux maximes de la doctrine chrétienne. Et
c’en est assez pour justifier pleinement la sagesse de l’Église alors que,
dans ses relations avec les pouvoirs politiques, elle fait abstraction des
formes qui les différencient, pour traiter avec eux les grands intérêts
religieux des peuples, sachant qu’elle a le devoir d’en prendre la tutelle,
au-dessus de tout autre intérêt. Nos précédentes Encycliques ont exposé
déjà ces principes; il était toutefois nécessaire de les rappeler pour le
développement du sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Par conséquent, lorsque les nouveaux Gouvernements qui représentent


cet immuable pouvoir sont constitués, les accepter n'est pas seulement
permis, mais réclamé, voire même imposé par la nécessité du bien social
qui les a faits et les maintient. D'autant plus que l'insurrection attise la
haine entre les citoyens, provoque les guerres civiles et peut rejeter la
nation dans le chaos de l'anarchie. Et ce grand devoir de respect et de
dépendance, persévérera, tant que les exigences du bien commun le
demanderont puisque ce bien est, après Dieu, dans la société, la loi
première et dernière...
Les gens de bien doivent s'unir comme un seul homme pour combattre,
par tous les moyens légaux et honnêtes, ces abus progressifs de la
législation Le respect que l'on doit aux pouvoirs constitués ne saurait
l'interdire Jamais, on ne peut approuver des points de législation qui
soient hostiles à la religion et à Dieu, c'est au contraire un devoir de les
réprouver.

Actes de Léon XIII, t. III, p. 112 et suiv.

Questions :

1) Que recommande le pape aux catholiques dans son encyclique ?


Pourquoi ?
2) quelle en sera la conséquence politique ?
3) Est-ce que l’Eglise condamne une forme de gouvernement de
l’époque ?

III - LA REPUBLIQUE RADICALE 1898-1914.

Doc. 30 Waldeck Rousseau et l’application de la loi de 1901, Paris, le 3


septembre 1901.

L'État n'a point à s'enquérir du régime intérieur des Congrégations, à se


préoccuper de la règle qu'elles suivent. Il l'ignore.

138
Il ne prétend connaître que la règle civile qu'elles adoptent, leur
fonctionnement, leur personnel, leur patrimoine, leur but.
Fidèle à la pensée du Concordat et respectueux observateur des règles
qui président à l'exercice du culte, il voit dans les évêques les chefs
hiérarchiques de tous ceux qui, dans le diocèse, participent à la pratique
de ce culte. Il demande aux Congrégations de se soumettre à cette
hiérarchie et d'accepter la juridiction épiscopale.
Il n'a point, à l'occasion d'une loi spéciale, à définir l'autorité des
évêques, ni à spécifier les matières soumises à leur juridiction.
... Sous le bénéfice de ces observations, j'ai toujours pensé, Monsieur le
Ministre et cher Collègue que, dans l'application de la loi du ler juillet
1901, le Gouvernement devait s'inspirer de la plus large tolérance et du
libéralisme le plus bienveillant.
C'est ainsi que, dès le principe, j'ai donné les instructions nécessaires
pour que les demandes d'autorisation formées en exécution du § 1er de
l'article 18 soient acceptées et les récépissés délivrés dès lors que les
statuts contiennent la déclaration de soumission à l'ordinaire et
l'approbation de celui-ci, sans apprécier les formules employées. Mais il
ne m'est pas permis d'aller plus loin, et, en tout état de cause, le Pouvoir
législatif aurait seul qualité pour faire cette appréciation puisque, aux
termes de l'article 13, la loi nécessaire pour autoriser une Congrégation
déterminera en même temps les conditions de son fonctionnement ».

WALDECK-ROUSSEAU.

A M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères. Livre Blanc du Saint-


Siège

Question

La loi du 1 er juillet 1901 accorde à toute personne, capable de


contracter, le droit de former avec d’autres une association et cela
sans autorisation préalable. Cette loi demeure le grand texte encore
vigueur sur les associations.
Expliquez, d’après le texte de Waldeck Rousseau, en quoi cette
liberté est refusée aux congrégations ?

Doc. 31 supprimé

Doc. 32 Le système des fiches et sa justification

Cette surveillance traditionnelle de ceux qui ont la charge de gérer


les intérêts de l'État a toujours été une des obligations et une des
préoccupations de la Franc-Maçonnerie et des Loges maçonniques. Il
serait étrange qu'une grande Société comme la nôtre, qui encadre tous
les Comités politiques, qui comprend l'élite de la Nation, qui, par sa
conscience, par sa probité a le droit de connaître et de savoir, se fût
139
désintéressée, par je ne sais quelle timidité ou quelle pudeur mal
comprise, de l'attitude politique de ceux que la République charge de
la servir et qui sont le plus souvent, trop souvent encore, après trente-
cinq ans de République, des serviteurs infidèles. (Applaudissements)...
Le droit pour une association de faire le dénombrement de ses amis et
de ses adversaires n'est contesté par personne, la réaction elle-même
ne le conteste pas, car elle aurait mauvaise grâce à appliquer cette
méthode, à user légitimement de ce procédé si elle venait à nous
reprocher à nous, républicains, de vouloir savoir où sont ceux sur
lesquels la République peut compter et où sont ceux qu'elle doit
écarter d'un geste large de sa puissante main. (Bravos.)
Ce qu'on nous reproche ce n'est pas d'avoir fait le dénombrement de
nos amis et de nos adversaires, on nous reproche à nous, Association
républicaine, d'avoir eu des relations avec le Gouvernement de la
République, ce qu'on nous reproche, au fond, ce que regrettent nos
adversaires, c'est que ce ne soient plus le P. Dulac et la Congrégation
qui aient régné en maîtres dans les bureaux du ministère de la Guerre,
et qu'il se soit trouvé un ministre de la Guerre républicain et un
Gouvernement républicain pour reconnaître qu'ils pouvaient sans
danger et sans reproche, ou plutôt avec avantage s'appuyer sur l'élite
de gauche et s'adresser aux Comités républicains, aux Loges
maçonniques, aux représentants de la maçonnerie au Parlement pour
savoir d'eux quels étaient les officiers républicains et quels étaient
ceux dont la République devait se défier. Voilà le grand crime que
nous avons commis, voilà le seul reproche que nous ayons encouru.
Eh bien, ce reproche, nous nous en glorifions, nous nous en honorons ;
nous n'avons accompli que notre devoir et nous avons usé de notre
droit. (Vifs applaudissements.)
Le F. ..., président du Conseil de l'Ordre.
Compte rendu des travaux de l'Assemblée générale du G. ... O ...
(1905). Paris, 1905, p. 22-23, in GASTON-MARTIN, Manuel d'histoire
de la franc-maçonnerie française, p. 263-264.

Questions

1) Qu’est-ce que le scandale des fiches ?


2) Quelle sera sa portée politique ?

Doc.33 LOI DU 9 DÉCEMBRE 1905 CONCERNANT LA SÉPARATION


DES ÉGLISES ET DE L’ÉTAT. (Extraits)

Titre premier : Principes

Article premier

140
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice
des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre
public.

Article 2

La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En


conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente
loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des
communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.

Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des
services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les
établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et
prisons.

Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des


dispositions énoncées à l’article 3.

Chapitre II : Attribution des biens, pensions

Article 3

Les établissements dont la suppression est ordonnée par l’article 2 con-


tinueront provisoirement de fonctionner, conformément aux dispositions qui
les régissent actuellement, jusqu’à l’attribution de leurs biens aux associations
prévues par le titre IV et au plus tard jusqu’à l’expiration du délai ci-après.

Dès la promulgation de la présente loi, il sera procédé par les agents de


l’administration des domaines à l’inventaire descriptif et estimatif :

1° des biens mobiliers et immobiliers desdits établissements ;

2° des biens de l’État, des départements et des communes dont les mêmes
établissements ont la jouissance.

Ce double inventaire sera dressé contradictoirement avec les représentants


légaux des établissements ecclésiastiques ou eux dûment appelés par une
notification faite en la forme administrative.

Les agents chargés de l’inventaire auront le droit de se faire communiquer tous


titres et documents utiles à leurs opérations.

Article 4

Dans le délai d’un an, à partir de la promulgation de la présente loi, les biens
mobiliers et immobiliers des menses, fabriques, conseils presbytéraux,
consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec toutes les
charges et obligations qui les grèvent et avec leur affectation spéciale,
141
transférés par les représentants légaux de ces établissements aux associations
qui, en se conformant aux règles d’organisation générale du culte dont elles se
proposent d’assurer l’exercice, se seront légalement formées

[…]

Titre III : Des édifices des cultes

Article 12

Les édifices qui ont été mis à la disposition de la nation et qui, en vertu de la
loi du 18 germinal an X, servent à l’exercice public des cultes ou au logement
de leurs ministres (cathédrales, églises, chapelles, synagogues, archevêchés,
évêchés, presbytères, séminaires), ainsi que leur descendance immobilière, et
les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été
remis aux cultes, sont et demeurent propriétés de l’État, des départements et
des communes.

Pour ces édifices, comme pour ceux postérieurs à la loi du 18 germinal an X,


dont l’État, les départements et les communes seraient propriétaires, y compris
les facultés de théologie protestante, il sera procédé conformément aux
dispositions des articles suivants.

[…]

Titre V : Police des cultes

Article 25

Les réunions pour la célébration d’un culte tenues dans les locaux appartenant
à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques. Elles sont
dispensées des formalités de l’article 8 de la loi du 30 juin 1881, mais restent
placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public.

Article 26

Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant
habituellement à l’exercice d’un culte.

Article 27

Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte,


sont réglées en conformité de l’article 97 du Code de l’administration
communale.

Les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal, et, en cas de
désaccord entre le maire et le président ou directeur de l’association cultuelle,
par arrêté préfectoral.

142
Article 28

Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème


religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce
soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans
les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.

Article 29

Les contraventions aux articles précédents sont punies des peines de police.

Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 25, 26 et 27, ceux qui ont
organisé la réunion ou manifestation, ceux qui y ont participé en qualité de
ministres du culte et, dans le cas des articles 25 et 26, ceux qui ont fourni le
local.

Article 30

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 28 mars 1892,


l’enseignement religieux ne peut être donné aux enfants âgés de six à treize
ans, inscrits dans les écoles publiques, qu’en dehors des heures de classe.

Il sera fait application aux ministres des cultes qui enfreindraient ces
prescriptions, de l’article 14 de la loi précitée.

[…]

Article 34

Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura
publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits
distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un
service public, sera puni d’une amende de 25 000 francs et d’un
emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.

La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s’il est relatif aux fonctions,
pourra être établi devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par
l’article 52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées par l’article
65 de la même loi s’appliquent aux délits du présent article et de l’article qui
suit.

Article 35

Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les


lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à
l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à
soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du
culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois

143
mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la
provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.

Questions

Recherchez dans le texte de la loi de 1905 les réponses aux questions suivantes

1) Pour quel motif la loi pose t’elle des restrictions à la liberté de conscience?

2) Qu’est-ce que la police des cultes ?

3) La place des cultes dans le Budget de l’Etat.

4) A quel régime le loi de 1905 met-elle fin ? (cours)

5) Pourquoi cette loi de 1905 ne s’applique t’elle pas à l’Alsace-Lorraine ?


(Ibid.)

Doc. 34 La séparation des Eglises de l’Etat – L’encyclique


Vehementer nos.

Notre âme est pleine d'une douloureuse sollicitude et notre cœur se


remplit d'angoisse quand notre pensée s'arrête sur vous. Et comment
en pourrait-il être autrement, en vérité, au lendemain de la
promulgation de la loi qui, en brisant violemment les liens séculaires
par lesquels votre nation était unie au siège apostolique, crée à l'Église
catholique en France une situation indigne d'elle et lamentable à
jamais ! Événement des plus graves sans doute que celui-là ;
événement que tous les bons esprits doivent déplorer, car il est aussi
funeste à la société qu'à la religion ; mais événement qui n'a pu
surprendre personne, pourvu que l'on ait prêté quelque attention à la
politique religieuse suivie en France dans ces dernières années... Vous
avez vu violer la sainteté et l'inviolabilité du mariage chrétien par des
dispositions législatives en contradiction formelle avec elles ; laïciser
les écoles et les hôpitaux ; arracher les clercs à leurs études et à la
discipline ecclésiastique pour les astreindre au service militaire ;
disperser et dépouiller les Congrégations religieuses et réduire la
plupart du temps leurs membres au dernier dénuement. D'autres
mesures légales ont suivi que vous connaissez tous ; on a abrogé la loi
qui ordonnait des prières publiques au début de chaque session
parlementaire et à la rentrée des tribunaux ; supprimé les signes de
deuil traditionnels à bord des navires, le Vendredi saint ; effacé du
serment judiciaire ce qui en faisait le caractère religieux ; banni des
tribunaux, des écoles, de l'armée, de la marine, de tous les
établissements publics enfin, tout acte ou tout emblème qui pouvait
d'une façon quelconque rappeler la religion. Ces mesures et d'autres
encore, qui, peu à peu, séparaient de fait l'Église de l'État, n'étaient
rien autre chose que des jalons placés dans le but d'arriver à la
144
séparation complète et officielle : leurs promoteurs eux-mêmes n'ont
pas hésité à le reconnaître hautement et maintes fois. ... Qu'il faille
séparer l'État de l'Église, c'est une thèse absolument fausse, une très
pernicieuse erreur.
Basée en effet sur ce principe que l'État ne doit reconnaître aucun
culte religieux, elle est tout d'abord très gravement injurieuse pour
Dieu ; car le Créateur de l'homme est aussi le Fondateur des sociétés
humaines, et il les conserve dans l'existence comme il nous y soutient.
Nous lui devons donc non seulement un culte privé, mais un culte
public et social pour l'honorer.
En outre, cette thèse est la négation très claire de l'ordre surnaturel...
Cette thèse bouleverse également l'ordre très sagement établi par Dieu
dans le monde, ordre qui exige une harmonieuse concorde entre les
deux sociétés...
Enfin, cette thèse inflige de graves dommages à la société civile elle-
même, car elle ne peut pas prospérer ni durer longtemps lorsqu'on n'y
fait point sa place à la religion, règle suprême et souveraine maîtresse
quand il s'agit des droits de l'homme et de ses devoirs...
Que si, en se séparant de l'Église, un État chrétien, quel qu'il soit,
commet un acte éminemment funeste et blâmable combien n'est-il pas
à déplorer que la France se soit engagée dans cette voie, alors que,
moins encore que toutes les autres nations, elle n'eût dû y entrer !...
Les liens qui consacraient cette union devaient être d'autant plus
inviolables qu'ainsi l'exigeait la foi jurée des traités. Le Concordat
passé entre le Souverain Pontife et le Gouvernement français, comme
du reste tous les traités du même genre que les États concluent entre
eux, était un contrat bilatéral qui obligeait des deux côtés...
Or, aujourd'hui, l'État abroge de sa seule autorité le pacte solennel
qu'il avait signé. Il transgresse ainsi la foi jurée...
Si nous examinons maintenant en elle-même, la loi qui vient d'être
promulguée, nous y trouvons une raison nouvelle de nous plaindre
encore plus énergiquement. Puisque l'État, rompant les liens du
Concordat, se séparait de l'Église, il eût dû, comme conséquence
naturelle, lui laisser son indépendance et lui permettre de jouir en paix
du droit commun dans la liberté qu'il prétendait lui concéder. Or, rien
n'a été moins fait en vérité ; nous relevons en effet dans la loi plusieurs
mesures d'exception, qui, odieusement restrictives, mettent l'Église
sous la domination du Pouvoir civil. Quant à nous, ce nous a été une
douleur bien amère que de voir l'État faire ainsi invasion dans des
matières qui sont du ressort exclusif de la puissance ecclésiastique ; et
nous en gémissons d'autant plus qu'oublieux de l'équité et de la
justice, il a créé par là à l'Église de France une situation dure,
accablante et oppressive de ses droits les plus sacrés.
Les dispositions de la nouvelle loi sont en effet contraires à la
constitution suivant laquelle l'Église a été fondée par Jésus-Christ.
L'Écriture nous enseigne, et la tradition des Pères nous le confirme,
que l'Église est le corps mystique du Christ, corps régi par des
145
Pasteurs et des Docteurs, société d'hommes, dès lors, au sein de
laquelle des chefs se trouvent qui ont de pleins et parfaits pouvoirs
pour gouverner, pour enseigner et pour juger. Il en résulte que cette
Église est par essence une société inégale, c'est-à-dire une société
comprenant deux catégories de personnes, les pasteurs et le troupeau,
ceux qui occupent un rang dans les différents degrés de la hiérarchie
et la multitude des fidèles. Et ces catégories sont tellement distinctes
entre elles, que dans le corps pastoral seul résident le droit et l'autorité
nécessaire pour promouvoir et diriger tous les membres vers la fin de
la société ; quant à la multitude, elle n'a pas d'autre devoir que celui
de se laisser conduire et, troupeau docile, de suivre ses pasteurs...
Contrairement à ces principes, la loi de Séparation attribue
l'administration et la tutelle du culte public non pas au corps
hiérarchique divinement institué par le Sauveur, mais à une
association de personnes laïques. A cette association elle impose une
forme, une personnalité juridique et, pour tout ce qui touche au culte
religieux, elle la considère comme ayant seule des droits civils et des
responsabilités à ses yeux. Aussi est-ce à cette association que
reviendra l'usage des temples et des édifices sacrés, c'est elle qui
possédera tous les biens ecclésiastiques, meubles et immeubles ; c'est
elle qui disposera, quoique d'une manière temporaire seulement, des
évêchés, des presbytères et des séminaires ; c'est elle enfin qui
administrera les biens, réglera les quêtes et recevra les aumônes et les
legs destinés au culte religieux. Quant au corps hiérarchique des
pasteurs, on fait sur lui un silence absolu. Et si la loi prescrit que les
associations cultuelles doivent être constituées conformément aux
règles d'organisation générale du culte dont elles se proposent
d'assurer l'exercice, d'autre part, on a bien soin de déclarer que, dans
tous les différends qui pourront naître relativement à leurs biens, seul
le Conseil d'État sera compétent. Ces associations cultuelles elles-
mêmes seront donc vis-à-vis de l'autorité civile dans une dépendance
telle que l'autorité ecclésiastique, et c'est manifeste, n'aura plus sur
elles aucun pouvoir...
Outre les préjudices et les injures que nous avons relevés jusqu'ici, la
loi de Séparation viole encore le droit de propriété de l'Église et elle le
foule aux pieds. Contrairement à toute justice elle dépouille cette
Église d'une grande partie d'un patrimoine qui lui appartient pourtant
à des titres aussi multiples que sacrés ; elle supprime et annule toutes
les fondations pieuses très légalement consacrées au culte divin ou à la
prière pour les trépassés.
... C'est pourquoi, nous souvenant de notre charge apostolique et
conscient de l'impérieux devoir qui nous incombe de défendre contre
toute attaque et de maintenir dans leur intégrité absolue les droits
inviolables et sacrés de l'Église, en vertu de l'autorité suprême que
Dieu nous a conférée, nous, pour les motifs exposés ci-dessus, nous
réprouvons et nous condamnons la loi votée en France sur la Sépa-
ration de l'Église et de l'État, comme profondément injurieuse vis-à-vis
146
de Dieu, qu'elle renie officiellement en posant en principe que la
République ne reconnaît aucun culte.

Actes de Pie X, t. III, p. 122.

Question

1) Dans son encyclique, le Pape critique la laïcisation de l’Etat : relevez le


passage qui énonce les domaines concernés par cette laïcisation.
2) Dans son encyclique, comment le Pape justifie t’il que la laïcisation offense
la religion ?
3) La rupture du Concordat que concrétise la loi de 1905 encourt, selon le Pape,
une critique d’ordre juridique : relevez-la dans le texte.
4) Quelles critiques porte-t’il aux associations cultuelles ?

Concessions ultérieures du Gouvernement.


Doc.35 Loi du 2 janvier 1907 sur l'exercice public des cultes.

La loi du 9 décembre 1905 ne fut exécutée que par les protestants et les juifs,
Pie X défendant aux catholiques de former des associations cultuelles. Le
Gouvernement, à la suite des incidents violents provoqués par les inventaires,
n'osa pas faire exécuter les articles de la loi de séparation qui prévoyaient la
désaffectation des églises, à défaut d'associations cultuelles, Pour éviter de
fermer les églises et en laisser la libre disposition au clergé, il fit voter la loi
suivante :

4. — Dès la promulgation de la présente loi, l'Etat, les départements et les


communes recouvreront à titre définitif la libre disposition des archevêchés,
évêchés, presbytères et séminaires qui sont leur propriété et dont la jouissance
n’a pas été réclamée par une association constituée dans l’année qui a suivi la
promulgation de la loi du 9 décembre 1905, conformément aux dispositions de
ladite loi. — Cesseront de même, s’il n'a pas été établi d'associations de cette
nature, les indemnités de logement incombant aux communes à défaut de
presbytère.

5. — À défaut d'associations cultuelles, les édifices affectés à l'exercice du


culte, ainsi que les meubles les garnissant, continueront... à être laissés à la
disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion.
— La jouissance gratuite en pourra être accordée soit à des associations
cultuelles constituées conformément aux articles 18 et 19 de la loi du 9
décembre 1905, soit à des associations formées en vertu des dispositions. du 1er
juillet 1901 pour assurer la continuation de l’exercice public du culte, soit aux
ministres du culte dont les noms devront être indiqués dans les déclarations
prescrites par l’art, 25 de la loi du 9 décembre 1925...
La jouissance ci-dessus prévue desdits édifices et des meubles les garnissant...
sera attribuée au moyen d'un acte administratif dressé soit par les préfets, soit
par les maires,

147
Bulletin des Lois. Série XII, T. LXXIV, no 2811. p. 1366.

Question

Que modifie cette loi du 2 janvier 1907 à la loi du 9 décembre 1905 en matière
d’association cultuelle ?

Doc.36 Loi du 13 avril 1908 modifiant la loi du 9 décembre 1905 sur la


séparation des Églises et de l’État, dite loi sur la conservation des édifices du
culte (Extrait )

Article 1er

Par.1. Les biens des établissements ecclésiastiques, qui n’auront pas été
réclamés par des associations cultuelles constituées dans le délai d’un an à
partir de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905, seront attribués par
décret à des établissements communaux de bienfaisance ou d’assistance situés
dans les limites territoriales de la circonscription ecclésiastique intéressée, ou,
à défaut d’établissement de cette nature, aux communes ou sections de
communes, sous la condition d’affecter aux services de bienfaisance ou
d’assistance tous les revenus ou produits de ces biens, sauf les exceptions ci-
après :

1° Les édifices affectés au culte lors de la promulgation de la loi du 9


décembre 1905 et les meubles les garnissant deviendront la propriété des
communes sur le territoire desquelles ils sont situés, s’ils n’ont pas été restitués
ni revendiqués dans le délai légal.

2°. Les meubles ayant appartenu aux établissements ecclésiastiques ci-dessus


mentionnés qui garnissent les édifices désignés à l’article 12 § 2, de la loi du 9
décembre 1905, deviendront la propriété de l’État, des départements et des
communes, propriétaires desdits édifices, s’ils n’ont pas été restitués ni
revendiqués dans le délai légal.

3° Les immeubles bâtis, autres que les édifices du culte, qui n’étaient pas
productifs de revenus lors de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 et
qui appartenaient aux menses épiscopales, aux chapitres et séminaires, ainsi
que les cours et jardins y attenant, seront attribués par décret, soit à des
départements, soit à des communes, soit à des établissements publics pour des
services d’assistance ou de bienfaisance ou des services publics.

4° Les biens des menses archiépiscopales et épiscopales, chapitres et


séminaires, seront, sous réserve de l’application des dispositions du paragraphe
précèdent, affectés dans la circonscription territoriale de ces anciens
établissements, au paiement du reliquat des dettes régulières ou légales de
l’ensemble des établissements ecclésiastiques compris dans ladite
circonscription, dont les biens n’ont pas été attribués à des associations
cultuelles, ainsi qu’au paiement de tous frais exposés et de toutes dépenses
effectuées relativement à ces biens par le séquestre, sauf ce qui est dit au
148
paragraphe 13 de l’article 3 ci-après. L’actif disponible après l’acquittement de
ces dettes et dépenses sera attribué par décret à des services départementaux de
bienfaisance ou d’assistance.

En cas d’insuffisance d’actif il sera pourvu au paiement desdites dettes et


dépenses sur l’ensemble des biens ayant fait retour à l’Etat, en vertu de l’article
5;

5° Les documents, livres, manuscrits et oeuvres d’art ayant appartenu aux


établissements ecclésiastiques et non visés au 1° du présent paragraphe
pourront être réclamés par l’Etat, en vue de leur dépôt dans les archives,
bibliothèques ou musées et lui être attribués par décret ;

6° Les biens des caisses de retraite et maisons de secours pour les prêtres âgés
ou infirmes seront attribués par décret à des sociétés de secours mutuels
constituées dans les départements où ces établissements ecclésiastiques avaient
leur siège.

Pour être aptes à recevoir ces biens, lesdites sociétés devront être approuvées
dans les conditions prévues par la loi du 1er avril 1898, avoir une destination
conforme à celle desdits biens, être ouvertes à tous les intéressés et ne prévoir
dans leurs statuts aucune amende ni aucun cas d’exclusion fondés sur un motif
touchant à la discipline ecclésiastique.

Les biens des caisses de retraite et maisons de secours qui n’auraient pas été
réclamés dans le délai de dix-huit mois à dater de la promulgation de la
présente loi par des sociétés de secours mutuels constituées dans le délai d’un
an de ladite promulgation, seront attribués par décret aux départements où ces
établissements ecclésiastiques avaient leur siège, et continueront à être
administrés provisoirement au profit des ecclésiastiques qui recevaient des
pensions ou secours ou qui étaient hospitalisés à la date du 15 décembre 1906.

Les ressources non absorbées par le service de ces pensions ou secours seront
employées au remboursement des versements que les ecclésiastiques ne
recevant ni pension ni secours justifieront avait faits aux caisses de retraites.

Le surplus desdits biens sera affecté par les départements à des services de
bienfaisance ou d’assistance fonctionnant dans les anciennes circonscriptions
des caisses de retraite et maisons de secours……

Question

La loi du 13 avril 1908 modifie la loi du 9 décembre 1905 en particulier sur les
associations cultuelles (sur ces associations voir cours) sur quels points ?

DOC. 37 La démocratie « grande discipline », discours à la Chambre des


Députés, séance du 2 juin 1904.

149
Jean JAURÈS, Les grands orateurs républicains, Monaco, Éd. Hemera (1952)
t. IX, p. 165-166, cit. Jean Imbert, H.Morel, R.-J.Dupuy, La pensée, op.cit.,
p.445, n°236.

Mais la vérité est tout autre : la vérité, c’est que jamais une société ne prépare
mieux des citoyens à la discipline réfléchie qui doit être la discipline d’une
armée, dans une démocratie et dans une République, que la société présente.

.… La discipline vraie, profonde, c’est la coordination, au besoin la


subordination de l’effort individuel à un grand effort collectif. Aujourd’hui, et
de plus en plus, toute la vie sociale est un grand apprentissage de cet effort
collectif... Ce n’est plus, comme autrefois, le libre vagabondage des premières
années de l’enfance, c’est l’école maternelle, l’école laïque ; c’est
l'atelier, non plus le petit atelier de famille, où la vie individualiste de l'artisan
se maintenait isolée et ombrageuse, mais le grand atelier, la grande usine qui ne
peut fonctionner que par la concordance de tous les rouages et la coopération
de tous les ouvriers, si bien que lorsqu'on visite un grand bâtiment de guerre,
on a l’impression d’une grande usine harmonisée par les mêmes règles que
celles qui président à la production industrielle. Et lorsque même dans
l’élaboration des institutions nouvelles, les ouvriers, les prolétaires s’organisent,
que font-ils dans leurs coopératives, dans leurs syndicats, qu’apprendre
précisément la supériorité de l’action collective et de l’effort organisé ? De
telle sorte que, bien loin de préparer les esprits à une sorte d’indiscipline
anarchique, la vie sociale d’aujourd’hui les prépare, au contraire, à une grande
discipline, à une seule condition, c’est que vous compreniez dans l’armée,
comme dans toutes les autres institutions, comme dans l’école, comme dans
l’atelier, comme dans la fabrique, que la grande discipline collective ne va pas
sans l’éveil des énergies, des initiatives, des fiertés et des responsabilités
individuelles.

Et pour instituer, selon l’esprit de la démocratie, la discipline dans l’armée,


vous n’avez nul besoin d'isoler longtemps le soldat de l’ensemble de la nation ;
il faut, au contraire, le laisser en contact, en communication permanente avec la
nation, avec son esprit. Le principe supérieur de cette grande discipline
collective, volontaire, ce sera, en effet, l’idée de nation et
de patrie, mais non plus restreinte au privilège d’une classe, non plus limitée
dans les gloires même éclatantes du passé, mais s’élargissant peu à peu, à
mesure que s’accroissent le droit et les revendications de tous ceux qui
produisent et qui travaillent ; la grande patrie de la justice sociale pour tous,
c’est celle qui sera le centre vivant de la discipline dans les armées de la
République.

Question :

expliquez la pensée de Jean Jaurès :

- sur l’exercice de la démocratie à son époque ?


- sur les liens entre l’armée et la Nation

150
LA RÉDUCTION DES CHARGES MILITAIRES

a) Doc.38 Loi du 21 mars 1905

1. — Tout Français doit le service militaire personnel.


2. — Le service militaire est égal pour tous. Hors le cas d'incapacité physique,
il ne comporte aucune dispense. Il a une durée de 2 années.

18. — Au point de vue des aptitudes physiques, le conseil de révision classe les
jeunes gens présent en quatre catégories :

1° Ceux qui sont reconnus bons pour le service armé ; 2° Ceux qui, étant
atteints d'une infirmité relative sans que leur constitulion soit douteuse, sont
reconnus bons pour le service auxiliaire ; 3° Ceux qui, étant d'une constitution
physique trop faible, sont ajournés à un nouvel examen ; 4° Ceux chez qui ont
une constitution générale mauvaise ou certaines infirmités, déterminent une
impotence fonctionnelle partielle ou totale et qui sont exemptés de tout service
militaire.

En temps de paix, des sursis d'incorporation, renouvelables d'année en année


jusqu’à l’âge de 25 ans, peuvent être accordés aux jeunes gens qui en font
la demande... À cet effet, ils doivent établir que soit à raison de leur situation
de soutien de famille, soit dans l'intérêt de leurs études, soit pour leur
apprentissage... soit à raison de leur résidence à l'étranger, il est indispensable
qu’ils ne soient pas enlevés immédiatement à leurs travaux... Les sursis
d'incorporation ne confèrent aucune dispense.

22. — Les familles des jeunes gens qui remplissaient effectivement avant leur
départ pour le service les devoirs de soutien indispensable de famille pourront
recevoir sur leur demande, en temps de paix, une allocation journalière de 0, 75
fr.

23. — Les jeunes gens admis à l’école spéciale militaire ou à l'école


polytechnique devront faire une année de service dans un corps de troupe aux
conditions ordinaires avant leur entrée dans ces écoles.

32. — Tout français reconnu propre au service militaire fait partie


successivement: de l'armée active pendant 2 ans; de la réserve de l'armée active
pendant 11 ans ; de l’armée territoriale pendant 6 ans: de la réserve de l’armée
territoriale pendant 6 ans.

Bulletin des Lois, Série XIL, t. LXX, n° 2616, p. 1265.

Questions :

la loi du 19 juillet 1913 ou « loi de trois ans » porta la durée du service


militaire de deux ans à trois ans. Effectuez une recherche pour exposer qui y
était favorable et défavorable. Comment, par conséquent fut-elle accueillie ?
Dites en quoi cette loi de 1913 modifiait la loi du 21 mars 1905 ci-dessus ?

151

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