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Cours de civilisation française, Licence 2, mai-juin 2022

Franz Johansson (Sorbonne Université)

Plan du cours

1. Pouvoirs et contre-pouvoirs en France


A. Tour d’horizon : la France en 2021
B. Le citoyen
C. Les institutions sous la Ve République
D. Figures de l’intellectuel
E. La presse et les médias

2. La France dans l’Europe, la France dans le monde

Document 1 : Emmanuel Macron, Discours au Champ-de-Mars, le 24 avril 2022

Merci ! Après cinq années de transformation, d'heures heureuses et difficiles, en ce jour du 24 avril
2022, une majorité a fait le choix de me faire confiance pour les cinq années à venir. […]
5 Je sais que pour nombre de nos compatriotes, qui ont choisi aujourd’hui l’extrême droite, la colère et les
désaccords, qui les ont conduits à voter pour ce projet, doivent aussi trouver une réponse. […]
Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non par conviction pour notre
projet, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. Je veux ici les remercier et ce vote m’oblige
pour les années à venir. […]
10 Je pense aussi à tous nos compatriotes qui se sont abstenus. Leur silence a signifié un refus de choisir
auquel nous nous devrons aussi de répondre. […]
Je ne suis plus le candidat d’un camp mais le Président de toutes et tous. Pour nombre de nos
compatriotes qui ont choisi l’extrême droite, la colère et les désaccords doivent aussi trouver une
réponse. Ce sera ma responsabilité et celle de ceux qui m’entourent. […]
15 « Il nous faudra aussi être bienveillants et respectueux car notre pays est pétri de tant de doutes, de tant
de divisions, nul ne sera laissé au bord du chemin.
Les années à venir à coup sûr ne seront pas tranquilles, mais elles seront historiques, et ensemble, nous
aurons à les écrire pour nos générations.
Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s’achève mais l’invention collective
20 d’une méthode refondée pour cinq années de mieux au service de notre pays, de notre jeunesse.

Document 2: Allocution de M. Laurent Fabius (Président du Conseil constitutionnel) pour la


cérémonie d’investiture de M. Emmanuel Macron, Président de la République, 7 mai 2022

5 Monsieur le Président de la République,


Dimanche 24 avril 2022, vous avez recueilli lors du second tour de l’élection présidentielle 18.768.639
voix, soit la majorité absolue des suffrages exprimés. En application des articles 7 et 58 de la
Constitution, le Conseil constitutionnel vous a déclaré élu Président de la République pour un second
mandat qui débutera le 14 mai à 0 heure. Je vous renouvelle nos chaleureuses félicitations.
10 Monsieur le Président, il y a 5 ans, lors de votre première investiture dans cette même salle, j’avais
évoqué les mots de Chateaubriand : « Pour être l’homme de son pays, il faut être l’homme de son
temps ». Or le temps du quinquennat qui s’achève a été percuté par une accumulation singulière de crises
et de bouleversements, sur les plans sanitaire, sécuritaire, social, énergétique, financier, qui n’ont pas
épuisé leurs conséquences, notamment sur un malaise démocratique préoccupant.
15 C’est pourquoi, je complèterai volontiers aujourd’hui les mots de Chateaubriand par ceux de Victor
Hugo : « en ces temps troublés, soyons les serviteurs du droit et les esclaves du devoir ».
1
Le droit, c’est d’abord respecter l’Etat de droit, ce patrimoine précieux de principes essentiels à nos
démocraties, y compris si la Constitution elle-même devait être révisée. C’est en effet la condition
première de la préservation de nos libertés.
20 Le devoir, c’est de contribuer, chacun à sa mesure, à relever les nombreux défis de notre nation
indépendante : intérieurs, européens et internationaux. Particulièrement trois d’entre eux. Celui de la
paix et de la guerre, criminellement réintroduite sur notre continent 77 ans après le 8 mai. Celui de la
lutte, urgentissime, contre le réchauffement climatique et pour la préservation de la biodiversité. Celui,
enfin, du renforcement concret de notre démocratie et de sa compagne, la justice sociale, en métropole
25 et outre-mer. Trois défis qui ont en commun de conditionner notre vivre ensemble et la vie même des
générations futures.
Monsieur le Président de la République, relever ces défis et tous les autres, sous votre autorité, sous la
conduite du Gouvernement et le contrôle du Parlement, tel est le vœu ardent que je forme, pour votre
mandat, pour les Français et pour la France.
30

Image 1 :

35

2
Document 3 : Alain, Propos sur les pouvoirs, Paris, Gallimard, [1985]

- […] Il faut obéir aux pouvoirs, j'entends de bonne volonté, sans restriction, et au mieux. Cela va loin.
Obéir aux lois d'abord, mais encore exécuter promptement les ordres reçus. Soit dans l'inondation, soit
dans l'incendie, et surtout dans l'état de guerre, il y va de la vie peut-être ; mais je ne vois point de
pouvoirs possibles sans cela, ni d'action commune possible sans cela. Le serment d'obéir doit donc être
5 souvent renouvelé dans vos cœurs. […]
Il faut […] une contrepartie. Ce contrat entre les citoyens et le pouvoir ne peut être ainsi fait que l'un
ait tous les droits et que l'autre n'en ait aucun. Ne discutons pas sur le droit d'agir, de posséder, de louer
son travail, de le refuser, même d'exprimer ce que l'on pense. Ces droits, de même que le droit d'élire,
de critiquer, de contrôler, sont réglés par des lois […]. Mais je laisse ce détail pour en venir à
10 l'essentiel qui est le devoir de penser librement. Dès que le citoyen est crédule, tous les droits sont
comme abolis. Il ne faut point croire. Cela est très pénible de ne point croire ce que dit un homme
éloquent et qui occupe la plus haute place. Mais comprenez aussi qu'un tel homme plaide toujours
pour lui-même, qu'il est juge et partie, qu'il est entouré de flatteurs, qu'enfin il exerce le pouvoir, chose
enivrante, aveuglante. Il sera trompé, il se trompera lui-même. L'histoire des peuples […] est l'histoire
15 des erreurs où tombe naturellement tout pouvoir qui gouverne aussi les pensées. Donc examinez,
instruisez-vous, écoutez les uns et les autres. Dans les cas difficiles, sachez douter. L'opinion règne
toujours ; elle se fait sentir par le vote, mais bien avant le vote. Chacun de vous est partie de l'opinion
et modérateur du pouvoir. Le muet refus de croire y suffit. […]

20 - L'esprit ne doit jamais obéissance. […] Pour moi, […] je voudrais que le citoyen restât inflexible de
son côté, inflexible d'esprit, armé de défiance et toujours se tenant dans le doute quant aux projets et
aux raisons du chef. Cela revient à se priver du bonheur de l'union sacrée, en vue d'éviter de plus
grands maux. Par exemple, ne point croire, par un abus d'obéissance, qu'une guerre est ou était
inévitable ; ne point croire que les impôts sont calculés au plus juste, et les dépenses, de même ; et
25 ainsi du reste. Exercer donc un contrôle clairvoyant, résolu, sans cœur, sur les actions et encore plus
sur les discours du chef. Communiquer à ses représentants le même esprit de résistance et de critique,
de façon que le pouvoir se sache jugé.

- Il suffit d’être sans pouvoir pour contrôler les pouvoirs.


30

Document 4 : « Mélenchon veut arracher une cohabitation aux législatives et être Premier
ministre » La Tribune, 19 avril 2022

Pour Jean-Luc Mélenchon, la partie n'est pas terminée. Arrivé troisième du premier tour de l'élection
présidentielle avec 21,95% des voix, le chef de file de la France Insoumise se voit encore à la tête du
pays, non pas en tant que président, mais comme chef du gouvernement après une victoire de son parti
5 espérée aux élections législatives de juin qui conduirait à une cohabitation avec le vainqueur du second
tour du 24 avril. Dans cette perspective, Jean-Luc Mélenchon, qui a appelé le 10 avril à ne pas donner
une seule voix à Marine Le Pen au second tour, a précisé que le nom du futur président était « assez
secondaire ».
« Je demande aux Français de m'élire Premier ministre. Je leur demande pour m'élire Premier ministre
10 d'élire une majorité de députés Insoumis », a-t-il déclaré.
Jean-Luc Mélenchon tend la main à gauche, alors que les négociations avec EELV et le PCF ont
commencé: « J'appelle tous ceux qui veulent rejoindre l'Union populaire à se joindre à nous pour cette
belle bataille. Il y a donc un troisième tour, il n'y a pas seulement un deuxième tour », a-t-il lancé en
espérant un rassemblement de l'électorat de gauche qui a recueilli 11,2 millions de votants au premier
15 tour.

3
« Ne cultivez pas les rancœurs : pas de règlements de comptes, pas de vengeance, pas d'acrimonie.
Rassemblez-vous, parce que les 11,2 millions peuvent devenir 12, 13, 14 millions et être le centre de
gravité du pays », a-t-il estimé.
Contrairement à ce qu'il a dit au début de sa campagne présidentielle, « là, ce n'est pas un trou de souris,
20 il y a une porte qui est là, vous la prenez ou vous choisissez l'autre », a-t-il assuré.
Une cohabitation, « si ça ne convient pas au président, il peut s'en aller, moi je ne m'en irai pas », a
prévenu Jean-Luc Mélenchon, qui a dit vouloir être « le Premier ministre pour appliquer (son)
programme ».
« Je ne négocie avec personne, a-t-il souligné, expliquant ne pas avoir répondu à l'appel d'Emmanuel
25 Macron passé à des candidats malheureux du premier tour. »
A-t-il une préférence entre être à Matignon sous présidence Macron ou sous présidence Le Pen? « Non »,
a-t-il répondu, tout en disant, à l'image de sa consigne de ne « pas donner une seule voix à Madame Le
Pen », que « les deux ne sont pas de même nature ».
Mais « la question de savoir qui est président à ce moment-là » de cohabitation ne compte pas à ses
30 yeux, car « c'est le Premier ministre qui signe les décrets », a-t-il affirmé, ajoutant vouloir faire passer
son programme.

35 Schéma 1 : Institutions de la Ve République, wikipedia.org

4
Document 5 : Le Nouveau Petit Robert (1993) [extrait]

intellectuel, elle, adjectif et nom. – 1985 ; bas lat. intellectualis.


1. Qui se rapporte à l'intelligence (connaissance ou entendement). La vie intellectuelle. — Quotient
intellectuel (QI). L'effort, le travail intellectuel. ➙ mental.
2. (fin XIXe) Qui a un goût prononcé (ou excessif) prononcé (ou excessif) pour les choses de l'esprit.
➙ cérébral. Dont la vie est consacrée aux activités de l'esprit. Les travailleurs intellectuels et les
travailleurs manuels. — nom Les intellectuels. ➙ intelligentsia. - ABRÉVIATION, FAMILIER intello.

Document 6 : Jean-François SIRINELLI et Pascal ORY, Les intellectuels en France, de l'affaire


Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 1992, p. 9.

L’intellectuel ne se définit pas par ce qu'il est, une fonction, un statut, mais par ce qu'il fait, son
intervention sur le terrain du politique, compris au sens du débat sur la ‘cité’ […]. Il ne sera pas
l'homme ‘qui pense’ mais l'homme qui communique une pensée.

Document 7 : Jean-Paul Sartre : Plaidoyer pour les intellectuels, Paris, Gallimard, 1972. (Extrait p.
12-13)

Or, il est vrai que l’intellectuel est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. Cela est si vrai
que, chez nous, le mot « intellectuel » appliqué aux personnes s’est popularisé, avec son sens négatif,
au temps de l’affaire Dreyfus. Pour les antidreyfusistes, l’acquittement ou la condamnation du capitaine
Dreyfus concernait les tribunaux militaires et, en définitive, l’Etat-Major : les dreyfusards, en affirmant
l’innocence de l’inculpé, se plaçaient hors de leur compétence. Originellement, donc, l’ensemble des
intellectuels apparaît comme une diversité d’hommes ayant acquis quelque notoriété par des travaux qui
relèvent de l’intelligence (science exacte, science appliquée, médecine, littérature, etc.) et qui abusent
de cette notoriété pour sortir de leur domaine et critiquer la société et les pouvoirs établis au nom d’une
conception globale et dogmatique (vague ou précise, moraliste ou marxiste) de l’homme.
Et, si l'on veut un exemple de cette conception commune de l'intellectuel, je dirai qu'on n'appellera pas
«intellectuels» des savants qui travaillent sur la fission de l'atome pour perfectionner les engins de la
guerre atomique: ce sont des savants, voilà tout. Mais si ces mêmes savants, effrayés par la puissance
destructrice des engins qu'ils permettent de fabriquer, se réunissent et signent un manifeste pour mettre
l'opinion en garde contre l'usage de la bombe atomique, ils deviennent des intellectuels. En effet: 1) ils
sortent de leur compétence: fabriquer une bombe est une chose, juger de son emploi en est une autre; 2)
ils abusent de leur célébrité ou de la compétence qu'on leur reconnaît pour faire violence à l'opinion,
masquant par là l'abîme infranchissable qui sépare leurs connaissances scientifiques de l'appréciation
«politique» qu'ils portent à partir «d'autres principes» sur l'engin qu'ils mettent au point; 3) ils ne
condamnent pas, en effet, l'usage de la bombe pour avoir constaté des défectuosités techniques mais au
nom d'un système de valeurs éminemment contestable qui prend pour norme suprême la vie humaine.

Document 8 : Emile Zola : « J’accuse… ! » (Lettre ouverte au président de la République française,


Félix Faure, parue dans le journal L'Aurore, le 13 janvier 1898)

[…] La vérité, je la dirai, car j'ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas,
pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par
le spectre de l'innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu'il n'a pas
commis. […]
5 En portant ces accusations, je n'ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi
sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation.
5
Et c'est volontairement que je m'expose.
Quant aux gens que j'accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n'ai contre eux ni rancune
ni haine.
10 Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l'acte que j'accomplis ici
n'est qu'un moyen révolutionnaire pour hâter l'explosion de la vérité et de la justice.
Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière, au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au
bonheur.
Ma protestation enflammée n'est que le cri de mon âme.
15 Qu'on ose donc me traduire en cour d'assises et que l'enquête ait lieu au grand jour !
J'attends.

Document 9 : Manuel Valls, Discours devant l’Assemblée nationale, 13 janvier 2015

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les ministres, Madame, Messieurs les présidents de
groupe, Mesdames, Messieurs les députés,
Monsieur le Président, vous l'avez dit, ainsi que chacun des orateurs, avec force et sobriété, en trois
jours, oui, en trois jours 17 vies ont été emportées par la barbarie.
5 Les terroristes ont tué, assassiné des journalistes, des policiers, des Français juifs, des salariés. Les
terroristes ont tué des personnes connues ou des anonymes, dans leur diversité d'origine, d'opinion et
de croyance. Et c'est toute la communauté nationale que l'on a touchée. Oui, c'est la France qu'on a
touché au cœur.
Ces 17 vies étaient autant de visages de la France et autant de symboles: de la liberté d'expression, de
10 la vitalité de notre démocratie, de l'ordre républicain, de nos institutions, de la tolérance, de la laïcité.
Les soutiens, la solidarité, venus du monde entier, de la presse, partout, des citoyens qui ont manifesté
dans de nombreuses capitales, des chefs d'Etat et de gouvernements, tous ces soutiens ne s'y sont pas
trompés ; c'est bien l'esprit de la France, sa lumière, son message universel que l'on a voulu abattre.
Mais la France est debout. Elle est là, elle est toujours présente. […]
15 Et allons jusqu'au bout du débat : quand quelqu'un s'interroge, un jeune, un citoyen ou un jeune, et
qu'il vient me dire à moi ou à la ministre de l'Education nationale «mais je ne comprends pas, cet
humoriste, lui, vous voulez le faire taire et les journalistes de Charlie Hebdo, vous les montez au
pinacle» mais il y a une différence fondamentale et c'est cette bataille que nous devons gagner, celle de
la pédagogie auprès de notre jeunesse, il y a une différence fondamentale entre la liberté
20 d'impertinence – le blasphème n'est pas dans notre droit, il ne le sera jamais – il y a une différence
fondamentale entre cette liberté et l'antisémitisme, le racisme, l'apologie du terrorisme, le
négationnisme qui sont des délits, qui sont de crimes et que la justice devra sans doute punir avec
encore plus de sévérité. […]
Dans l'épreuve, vous l'avez rappelé, notre peuple s'est rassemblé, dès mercredi. Il a marché partout
25 dans la dignité, la fraternité, pour crier son attachement à la liberté, et pour dire un «non» implacable
au terrorisme, à l'intolérance, à l'antisémitisme, au racisme. Et aussi au fond, à toute forme de
résignation et d'indifférence. […]
Cette France qui s'est retrouvée dans l'épreuve, ce moment où le monde entier est venu à elle, car le
monde sait lui aussi la grandeur de la France et ce qu'elle incarne d'universel.
30 La France c'est l'esprit des Lumières. La France c'est l'élément démocratique, la France c'est la
République chevillée au corps. La France c'est une liberté farouche. La France c'est la conquête de
l'égalité. La France c'est une soif de fraternité. Et la France c'est aussi ce mélange si singulier de
dignité, d'insolence, et d'élégance. Rester fidèle à l'esprit du 11 janvier 2015 c'est donc être habité par
ses valeurs. […]
35
Image 2 :

6
Document 10 : « ‘Je ne suis pas Charlie’ : la liberté d'expression fait débat », Le Parisien, 12
Janvier 2015

"Je ne suis pas Charlie": au-delà de la condamnation sans appel des attentats meurtriers perpétrés
contre les journalistes de Charlie Hebdo, le débat sur la liberté d'expression et le droit d'offenser fait
rage entre défenseurs et détracteurs du journal satirique.
L'assassinat la semaine dernière à Paris par trois jihadistes de 17 personnes dont 12 au siège de
5 l'hebdomadaire a connu un retentissement mondial sur Facebook et Twitter où des millions
d'internautes ont exprimé leur solidarité avec les victimes en se rangeant sous le hashtag
#JeSuisCharlie. Et des dizaines de milliers de personnes dans le monde ont défilé dimanche au
moment même où 3,7 millions d'autres battaient le pavé à Paris et en province, un record absolu
depuis la Libération en 1944. Des voix discordantes tentent toutefois de se faire entendre – et
10 comprendre – face à ce qu'elles considèrent comme une communion artificielle qui escamote l'examen
sur les racines du mal ou célèbre une publication "raciste" visant avant tout les musulmans. Le hashtag
#JeNeSuisPasCharlie concentre sur Twitter ces critiques de nature parfois très différente:
"Bizarrement quand je dis #JeNeSuisPasCharlie on m'insulte mais quand Charlie insulte notre
prophète ça devient de la liberté d'expression", écrit @SinanLeTurc. Editorialistes et leaders d'opinion
15 ont également exprimé leur malaise à l'étranger, dans des pays à majorité musulmane mais aussi aux
Etats-Unis et au Royaume-Uni, pays qui ont payé un lourd tribut au terrorisme islamiste. Dans les
colonnes du New Yorker, l'écrivain nigérian-américain Teju Cole écrit : "Ce qui est en jeu n'est pas
tant le droit de dessiner ce que l'on veut mais le fait que, à cause des meurtres, les dessins doivent être
célébrés et reproduits". A Londres, le Guardian défendait le même point de vue. "Le soutien au droit
20 inaliénable d'une publication de suivre ses propres jugements éditoriaux n'oblige pas à faire écho à ces
jugements", a plaidé le journal alors que des lecteurs ou des collaborateurs de Charlie Hebdo ont
regretté que d'autres journaux n'aient pas relayé leurs caricatures après la tragédie.
A rebours, le célèbre dessinateur Art Spiegelman a quant à lui dénoncé "l'hypocrisie" de la vaste
majorité de la presse américaine qui, tout en prônant haut et fort la liberté d'expression, refuse de
25 publier les caricatures de Charlie Hebdo. Art Spiegelman considère que le journal libertaire a rempli
sa "mission" en publiant en 2006 une caricature controversée de Cabu, dans laquelle Mahomet se
cache les yeux et juge que "c'est dur d'être aimé par des cons". "Ce dessin ne se moque pas du
prophète. Il fustige les fidèles prêts à tuer", a souligné l'Américain, créateur de la mythique BD Maus
sur la Shoah. Les caricaturistes de Charlie Hebdo ont souvent rappelé, dessins à l'appui, qu'ils
30 n'épargnaient ni le christianisme ni le judaïsme et que leur cible était l'intolérance et le
fondamentalisme. La conférence de rédaction du mercredi 7 janvier au cours de laquelle le massacre a
eu lieu était consacrée à la lutte contre le racisme.
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Images 3 et 4 :

Document 11 : Charles de Gaulle, Mémoires de guerre (1954)

Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi bien que la
raison. Ce qu'il y a en moi d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la
madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J'ai d'instinct
5 l'impression que la Providence l'a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S'il
advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j'en éprouve la sensation d'une absurde

8
anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de
mon esprit me convainc que la France n'est réellement elle-même qu'au premier rang : que seules de
vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en
10 lui-même ; que notre pays tel qu'il est, parmi les autres, tels qu'ils sont, doit, sous peine de danger mortel,
viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur.

9
Document 12 : D’après Paul Valéry, « Introduction aux images de la France », Regards sur le
monde actuel (1931)

15 Il n’y a pas de nation qui soit à la fois plus ouverte et plus mystérieuse que la française. Il n’y a point
de nation plus aisée à observer, en apparence, et à croire connaître du premier coup. Mais on s’aperçoit
par la suite qu’il n’y a point, en réalité, de nation plus difficile à prévoir dans ses mouvements, de plus
capable de retournements inattendus.
Ainsi, l’histoire de la France offre un tableau de situations extrêmes, une série d’événements
20 contrastés, une chaîne de sommets et d’abîmes plus nombreux et plus rapprochés dans le temps que
toute autre histoire. On dirait que ce pays soit destiné à réaliser dans l’espace et dans l’histoire, une sorte
de figure d’équilibre, dotée d’une étrange stabilité. Ce point d’équilibre n’est pas synonyme de passivité,
de tranquillité et encore moins d’immobilité : il est fait de tensions constantes, d’efforts et de
mouvements incessants. La France s’élève, tombe, se relève, reprend sa grandeur, se déchire, se
25 concentre, montrant tour à tour la fierté, la résignation, l’insouciance, l’ardeur. Les événements, les
accidents, les explosions intérieures, les bouleversements politiques extérieurs, les orages venus du
dehors, s’accompagnent de changements souvent profonds. Mais ces changements parviennent
curieusement à s’équilibrer et à produire sur la durée un effet de continuité.
La nation française trouve dans ses contrastes des ressources imprévues. Le secret de sa prodigieuse
30 résistance réside peut-être dans les grandes et multiples différences qu’elle combine en soi. Chez les
Français, la légèreté apparente du caractère s’accompagne d’une endurance et d’une élasticité, d’une
souplesse particulières. La facilité générale et le caractère agréable des rapports se joignent chez eux à
un sentiment critique redoutable et toujours éveillé.
La nation française est particulièrement difficile à définir d’une façon simple ; et c’est précisément
35 là un élément important de sa « définition » que cette propriété d’être difficile à définir. Si on veut dire
ce qu’est la France, on ne peut le faire que par une collection de caractéristiques contradictoires.
La présence de la religion en France montre bien à quel point les contradictions sont presque
essentielles à ce pays. L’indifférence en matière de religion est très grande, alors même que plusieurs
miracles sont censés avoir lieu récemment dans notre pays. C’est au pays de Voltaire, et de quelques
40 autres grands esprits critiques, que la foi religieuse est la plus sérieuse et la plus solide.
Historiquement, le fait fondamental pour la formation de la France a été la présence et le mélange
sur son territoire d’une quantité remarquable de peuples et d’éléments ethniques différents. Toutes les
nations d’Europe sont composées, et il n’y a peut-être aucune nation européenne dans laquelle une
seule langue soit parlée. Mais il n’en est, je crois, aucune dont la formule ethnique et linguistique soit
45 aussi riche et mélangée que celle de la France. Celle-ci a trouvé son individualité singulière dans le
phénomène complexe des échanges, des alliances qui se sont produites en elle, depuis plusieurs siècles,
entre tant de sangs et de cultures différents. Les combinaisons de tant de facteurs ethniques et culturels
indépendants, l’union et le dosage de tant d’hérédités expliquent dans les actes et les sentiments des
Français bien des contradictions et cette remarquable valeur moyenne des individus. A cause des sangs
50 très différents qu’elle a reçus, la France a composé, en quelques siècles, une personnalité européenne
très nette et très complète, productrice d’une culture et d’un esprit caractéristiques.

10
Document 13 : D’après Philippe Tesson, « La France et l’Allemagne »

De très nombreux liens unissent la France et l’Allemagne. Nous avons une histoire commune et
nous sommes embarqués dans le même projet européen. Nous nous comparons, nous nous mesurons
volontiers à notre voisin, qui est notre allié le plus solide, mais qui reste notre concurrent. Et c'est parfois
5 un sentiment d'envie que nous inspire l'Allemagne d'aujourd'hui. Pourquoi réussit-elle aussi brillamment
ce que nous, Français, ratons, et qui est pourtant à portée de notre main ? Car nous avons des ressources,
des potentialités, des talents au moins égaux aux siens, et notre propre génie vaut au moins le sien,
malgré tout ce qui nous distingue. Pourquoi donc l’Allemagne réussit-elle, face à la crise que nous
vivons aujourd’hui, là où la France échoue ?
10 Le problème est d'abord culturel. On a tout dit et depuis longtemps sur l’esprit sérieux qui
caractérise les Allemands et qui s’oppose à la légèreté française. On a tout dit sur la rigueur, le civisme,
le réalisme propres à la nature germanique. Et il faut reconnaître que la légèreté française est parfois
synonyme d’irresponsabilité.
Face à la crise dramatique que nous vivons, l'Allemagne a su prendre à temps les dispositions
15 nécessaires. Elle les a mêmes anticipées en réglant ses problèmes politiques. L'accord conclu en
Allemagne entre les conservateurs et les socialistes est la preuve de l'esprit de responsabilité des
dirigeants allemands. On n'affronte efficacement une crise que dans la paix civile, c'est-à-dire dans le
consensus national, en dépassant, au moins provisoirement, les divergences idéologiques. C'est ainsi
que la gauche et la droite allemandes ont eu le courage et l'intelligence de s'accorder sur un modèle
20 économique, au prix de concessions réciproques. En revanche, la France, au gré de ses gouvernements
successifs et des alternances politiques, poursuit le combat, véritable guerre civile entre gauche et droite.
Les deux camps, refusant de se mettre d’accord sur un certain nombre de points indispensables et de
travailler de concert, se montrent aussi déraisonnables l’un que l’autre.
Il est vrai que le modèle allemand ne s'est pas imposé sans provoquer des dégâts, principalement
25 sur le plan social et sur le plan européen. Les mesures sévères prises par le gouvernement ont réduit, du
jour au lendemain, le salaire de très nombreux Allemands. Mais, au bout du compte, cette politique a
produit des résultats. La preuve en est que le vote des Allemands a montré une large adhésion à la
politique de la chancelière. Les Allemands, conscients de la nécessité des sacrifices qu’on leur
demandait, ont voté pour Angela Merkel. Le même jour, un sondage nous apprenait que l'adhésion des
30 Français à la politique de leur président plongeait dans des proportions dramatiques : seul 23 % des
Français approuvait l’action du Président ! Et la première mission d'un chef d'État n'est-elle pas de
satisfaire son peuple, même si c’est aux dépens des intérêts de ses alliés ?
Car on peut en effet poser la question de l'Europe. Il est vrai que la chancelière allemande, Angela
Merkel, a donné priorité à sa politique nationale au prix d'un affaiblissement de la cause européenne et
35 du couple franco-allemand. Mais qu'a fait François Hollande pour renforcer ce couple et pour redonner
à l’Europe un élan dont elle a grand besoin ? Pas grand-chose. Sa tentative de réorientation de la
politique européenne est restée timide et sans résultats probants.
Allons-nous à présent nous aligner sur la politique économique de l'Allemagne ? Cela est peu
vraisemblable et ne serait pas nécessairement souhaitable. Car il est important qu’il y ait, en Europe,
40 plusieurs visions, plusieurs points de vue, qui échangent et s’affrontent. Il est important qu’il y ait un
dialogue. Et c’est surtout cela qu’on peut souhaiter : que François Hollande s'efforce de renouer avec
notre voisin un dialogue qui rétablisse progressivement l'harmonie qui longtemps régna entre la France
et l'Allemagne au profit de l'Europe.

11
Document 14 : François Hollande : « L'Europe que je veux », Tribune parue dans Le Monde le 8
mai 2014

Le 8 mai 1945, au terme de six années d'un conflit sanguinaire et barbare, la paix était proclamée.
Cette victoire fut celle de la liberté. Elle a conjuré l'un des plus grands dangers qui aient jamais
menacé l'humanité. A cause des pertes effroyables liées aux combats, aux bombardements et au martyre
5 des civils, qui ont culminé dans la Shoah, les pays européens sortaient de la guerre décimés, leur jeunesse
sacrifiée et leur économie ruinée.
Et pourtant, le même continent, les mêmes peuples, les mêmes nations se sont relevés et
connaissent depuis lors la plus longue période de paix jamais vue dans leur histoire. Les villes ont été
rebâties, le niveau de vie a décuplé, la disparition des frontières a assuré la libre circulation des
10 personnes, et la multiplication des échanges a favorisé le retour à la prospérité.
L'Europe s'est élargie. Elle est devenue le plus vaste ensemble d'Etats démocratiques et la plus
grande économie du monde.
A quoi devons-nous cette résurrection inouïe, cette renaissance exceptionnelle ? A l'union ! A
l'union des citoyens, à l'union des économies, à l'union des nations.
15 Pourtant aujourd'hui, cette union est menacée. A la faveur de la crise économique, dans plusieurs
pays et en France même, des forces cherchent à la défaire en spéculant sur la déception, en misant sur
le découragement, en exhumant les peurs. En désignant l'étranger comme un bouc émissaire. En misant
sur la discorde religieuse. En opposant les identités nationales à l'engagement européen. Ces manœuvres
pernicieuses prospèrent sur un terreau fertile.
20 L'Union déçoit. Elle révèle son impuissance face à un chômage qui sévit depuis tant d'années et
dont les premières victimes sont les jeunes. Elle est à la peine avec ses institutions et ses règles
compliquées. Elle est décalée quand ses injonctions exigent des sacrifices au lieu de renforcer les
protections. Les citoyens s'éloignent d'elle quand ils ne s'en séparent pas. Le doute nourrit l'indifférence.
L'incompréhension alimente le rejet.
25 Alors, devons-nous renoncer ? Abdiquer ? Détruire l'œuvre de trois générations, désavouer ceux
qui l'ont façonnée ? Et faire à l'envers le chemin parcouru depuis soixante-dix ans ?
Nous, Français, voulons-nous revenir à la guerre commerciale, à l'affrontement monétaire, au
repli national ? Je respecte les choix. Il n'est pas interdit de refuser l'Union. Mais dans ce cas, il faut le
faire en connaissance de cause, dire ce à quoi on consent, ce vers quoi on retourne.
30 Certains veulent abandonner l'euro. La dérive de la monnaie, pensent-ils, nous rendra
compétitifs sans effort. Mais la dévaluation, c'est d'abord la hausse du prix de tous les produits importés,
c'est le retour de l'inflation, c'est la baisse du pouvoir d'achat des plus modestes. La fin de l'euro, c'est
une austérité implacable. La fin de l'euro, c'est la disparition de la solidarité financière, c'est une monnaie
livrée à la merci des spéculateurs. Croit-on que la force se construit dans l'isolement ? C'est plus qu'une
35 illusion, c'est un piège. Celui du déclin national.
D'autres veulent tout simplement déconstruire l'Europe. Rompre tout ou partie des engagements,
déchirer les traités, rétablir les droits de douane et les guérites de la police des frontières. Se couper non
pas de l'Europe, mais du monde. Ceux-là, qui se prétendent patriotes, ne croient plus en la France. Sortir
de l'Europe, c'est sortir de l'Histoire.
40 A l'abri derrière ces barrières, disent-ils, nous serons protégés des tempêtes, loin de la
mondialisation. Qui peut les croire ? Comment un pays qui exporte plus d'un quart de sa production
pourrait-il prendre le risque de l'isolement ? Si nous refusons les produits des autres, pourquoi
accepteraient-ils les nôtres ? Si nous ne voulons plus acheter, comment pourrons-nous vendre ?
Oui, il faut réguler le commerce mondial. Oui, il faut défendre nos industries. Oui, il faut lutter contre
45 le dumping social. Mais frapper de taxes nouvelles les produits que nous consommons tous les jours aux
prix les plus bas, ce serait le décrochage et, bientôt, l'appauvrissement.
Le monde d'aujourd'hui bascule vers le sud et vers l'est. De nouvelles puissances émergent sans
que les anciennes n'aient réduit leur prétention. L'avenir appartient donc aux continents. C'est-à-dire à
l'union des nations qui, sans rien perdre de leur singularité, conjuguent leurs forces pour exprimer leur
50 modèle.

12
L'Europe est le premier ensemble économique du monde. Elle est loin de l'être sur le plan
politique. Elle en paie le prix. Notre pays sait prendre ses responsabilités. Quitte à être parfois seul. C'est
pourquoi la France a besoin de l'Europe, comme l'Europe a besoin de la France. A court ou à long terme,
tout nous commande de nous unir, le réalisme politique, l'idéal démocratique comme notre propre intérêt
55 ! Nous unir pour peser sur le destin du monde.

13
Document 15 : André Reszler, Introduction au colloque «L’Europe et les intellectuels», Genève,
Centre européen de la Culture, juin 1979, in Alison BROWNING, L’Europe et les intellectuels, Paris,
Gallimard, 1984, p.13.

L’Europe est devenue petit à petit l’affaire de spécialistes, de technocrates, de fonctionnaires. Les
diverses mesures d’intégration entreprises – la création de la CECA, la signature du Traité de Rome,
sans parler des conflits que soulève le fonctionnement des institutions européennes depuis lors – font
5 oublier les finalités de la construction européenne. Dépourvue de la dimension culturelle qui en était le
point de départ, on dirait que l’Europe a cessé d’être l’idée capable de susciter des ralliements solides et
durables. Or, sans le soutien actif de ses intellectuels, l’Europe est condamnée à piétiner.

Document 16 : Dominique de Villepin : Discours prononcé à l'ONU lors de la crise irakienne, le 14


février 2003

[…] Dans ce temple des Nations Unies, nous sommes les gardiens d'un idéal, nous sommes les gardiens
d'une conscience. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous
conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix.
Et c'est un vieux pays, la France, d'un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit
5 aujourd'hui, qui a connu les guerres, l'occupation, la barbarie. Un pays qui n'oublie pas et qui sait tout
ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus d'Amérique et d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se
tenir debout face à l'Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec
tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un
monde meilleur.

Document 17 : Andreï Makine (écrivain d’origine russe, naturalisé français), Cette France qu’on
oublie d’aimer, Paris, Flammarion, 2006 (p. 51-53)

Quand Pouchkine écrivait à un ami : « Je vais te parler dans la langue de l’Europe… », la question ne
se posait même pas de savoir de quelle langue il s’agissait. Du français tout naturellement. Cette langue
s’imposait car elle avait été ciselée par d’immenses écrivains qui avaient sculpté leurs œuvres dans sa
substance vivante tout en profilant, affinant, ennoblissant cette substance par leur génie. Pouchkine
5 aimait cette langue de l’Europe non pas pour ses gracieusetés verbales mais pour l’énergie, l’audace et
l’élégance avec lesquelles le français abordait l’univers des hommes. […]
On pourrait poursuivre la revue de la titanesque destinée du français en évoquant les Lumières, le
romantisme, les géants du XIXe siècle. Cette énumération serait de toute façon désespérément
incomplète car la puissance avec laquelle le français s’empare du réel pour le penser, le clarifier, le
10 transformer s’illustre aussi dans les sciences naturelles, dans l’histoire, la théologie, l’art oratoire, le
droit. […]
Telles sont les causes de la fameuse universalité du français. La langue de la diplomatie, mais également
une langue qui s’est imposée dans la jurisprudence anglaise jusqu’au XVIIIe siècle […], l’idiome de
l’Europe éclairée, presque la seconde langue nationale dans la Russie impériale, enfin la francophonie
15 dans le monde.
L’avantage pour ceux qui parlaient [le français] était indéniable : en adhérant à la francité, on obtenait
l’accès à un monde intellectuel et artistique d’une richesse et d’une productivité sans égales. En
renaissant dans cette langue (car il s’agit bien d’une renaissance), on recevait en héritage les trésors de
la plus dynamique des cultures. […]
20 Pouchkine finalement était insuffisamment francophile quand il reconnaissait dans le français juste « la
langue de l’Europe ». Rivarol va bien plus loin : « Ce n’est plus la langue française, c’est la langue
humaine. »

14
Document 18 : Discours de M. le Président de la République (Nicolas Sarkozy) à l'occasion du
Nouvel an chinois et vietnamien (Vendredi 3 février 2012)

La France peut se féliciter d'entretenir avec de nombreux pays d'Asie une coopération particulièrement
riche. Et elle le doit notamment à vous, citoyens français d'origine asiatique, qui formez un pont naturel
entre la France et l'Asie. Dans la crise mondiale que nous traversons, c'est une chance pour notre pays
d'entretenir des échanges avec la partie de la planète qui porte l'essentiel de la croissance mondiale. La
5 France accorde à l'Asie une attention toute particulière, comme nous l'avons démontré en 2011. […]
A l'orée de cette nouvelle année, je veux vous saluer tout particulièrement, vous, les Français d'origine
asiatique. […]
Que vous soyez vous-même arrivés en France récemment, ou que vous soyez issus d'une famille qui a
immigré en France il y a longtemps, vous symbolisez cette capacité d'intégration extraordinaire, vous
10 symbolisez la capacité d'intégration de la République française.
La France est à un moment crucial pour son avenir. Elle doit se réformer encore plus pour sortir plus
forte de la crise. Elle a besoin de talents nouveaux, et elle a besoin de votre diversité. Et pour relever
tous ces défis, la France a besoin de vous et de votre dynamisme. Je souhaite que vous soyez mieux
représentés dans notre pays, à tous les niveaux, dans le monde politique, dans le monde économique,
15 dans la sphère culturelle. Je souhaite que vos communautés d'ordinaire discrètes prennent la parole,
qu'elles défendent leurs idées, que vous vous engagiez pour apporter à la France votre vision, votre
énergie, votre imagination, votre intelligence. […]

Document 19 : Julia Kristeva (1941-), « Homo Europaeus : il existe une culture européenne », Le
Monde, 25 mai 2019

5 Citoyenne européenne, de nationalité française, d’origine bulgare et d’adoption américaine, je ne suis


pas insensible aux amères critiques, mais j’entends aussi le désir de l’Europe et de sa culture. Déçus du
politique et abstentionnistes réfractaires, les Italiens, les Grecs, les Polonais, et même les Français n’ont
pas remis en cause leur appartenance à la culture européenne, ils se « sentent » européens. Que veut dire
ce sentiment, si évident que la culture n’est même pas évoquée dans le Traité de Rome ? Or la culture
10 européenne peut être la voie cardinale pour conduire les nations à une Europe plus solide.

Quelle identité ?
A l’encontre d’un certain culte de l’identité, la culture européenne ne cesse de dévoiler ce paradoxe : il
existe une identité, la mienne, la nôtre, mais elle est infiniment constructible et déconstructible. A la
15 question « Qui suis-je ? », la meilleure réponse, européenne, n’est évidemment pas la certitude, mais
l’amour du point d’interrogation. Après avoir succombé aux dogmes identitaires jusqu’aux crimes, un
« nous » européen est en train d’émerger. Il est possible d’assumer le patrimoine européen, en le
repensant comme un antidote aux crispations identitaires : les nôtres et celles de tous bords. […]
L’identité ainsi comprise peut déboucher sur une identité plurielle : c’est le multilinguisme du nouveau
20 citoyen européen.

La diversité des langues


« Diversité, c’est ma devise » disait déjà Jean de La Fontaine dans son « Pâté d’anguille ». L’Europe
est désormais une entité politique qui parle autant de langues, sinon plus, qu’elle ne comporte de pays.
25 Ce multilinguisme est le fond de la diversité culturelle. Il s’agit de le sauvegarder, de le respecter – et
avec lui les caractères nationaux –, mais aussi d’approfondir les différences et les complémentarités,
d’incarner enfin cette nouvelle polyphonie.
Après l’horreur de la Shoah, le bourgeois du XIXe siècle aussi bien que le révolté du
XXe siècle affrontent aujourd’hui une autre ère. La diversité linguistique européenne est en train de créer
30 des individus kaléidoscopiques capables de défier le bilinguisme du globish english. L’espace
plurilinguistique de l’Europe appelle plus que jamais les Français à devenir polyglottes, pour connaître
la diversité du monde et pour porter à la connaissance de l’Europe et du monde ce qu’ils ont de

15
spécifique. C’est en passant par la langue des autres qu’il sera possible d’éveiller une nouvelle passion
pour chaque langue et nation.
35
Sortir de la dépression nationale
Face à un patient déprimé, le psychanalyste commence par rétablir la confiance en soi, à partir de
laquelle il est possible d’établir une relation entre les deux protagonistes de la cure, afin que la parole
redevienne féconde et qu’une véritable analyse critique du mal-être puisse avoir lieu. De même, la nation
40 déprimée requiert une image optimale d’elle-même, avant d’être capable d’efforts pour entreprendre,
par exemple une intégration européenne, ou une expansion industrielle et commerciale, ou un meilleur
accueil des immigrés. […]
Les nations européennes attendent l’Europe, et l’Europe a besoin de cultures nationales fières d’elles-
mêmes et valorisées, pour réaliser dans le monde cette diversité culturelle dont nous avons donné le
45 mandat à l’Unesco. Une diversité culturelle nationale est le seul antidote au mal de la banalité, cette
nouvelle version de la banalité du mal. L’Europe consolidée, ainsi comprise, pourrait jouer alors un rôle
important dans la recherche de nouveaux équilibres.

Deux conceptions de la liberté


50 La chute du Mur de Berlin en 1989 a rendu plus nette la différence entre deux modèles : la culture
européenne et la culture nord-américaine. Il s’agit de deux conceptions de la liberté. […] Dans un ordre
de pensée, que favorise le protestantisme, la liberté apparaît comme une liberté de s’adapter à la logique
de la production, de la science, de l’économie. Être libre serait être libre de tirer les meilleurs effets de
l’enchaînement des causes et des effets pour s’adapter au marché de la production et du profit.
55 Il existe un autre modèle qui apparaît dans le monde grec, et se développe avec les présocratiques, et
par l’intermédiaire du dialogue socratique. Cette libération de l’être de la Parole par et dans la rencontre
entre l’Un et l’Autre s’inscrit en questionnement infini. On décèle les risques de ce second modèle fondé
sur l’attitude questionnante : ignorer la réalité économique ; s’enfermer dans des revendications
corporatistes ; se borner à la tolérance et avoir peur des nouveaux acteurs politiques et sociaux ;
60 abandonner la compétition mondiale et se retirer dans la paresse et l’archaïsme. Mais on voit aussi les
avantages dont sont porteuses les cultures européennes, qui ne culminent pas en un schéma, mais dans
le goût de la vie humaine, dans sa singularité fragile et partageable.

Besoin de croire, désir de savoir


65 L’Europe se trouve devant un défi historique. Est-elle capable d’affronter une crise de la croyance que
le couvercle de la religion ne retient plus ?
Au carrefour du christianisme, du judaïsme et de l’islam, l’Europe est appelée à établir des passerelles
entre les trois monothéismes. Plus encore, constituée depuis deux siècles comme la pointe avancée de
la sécularisation, l’Europe est le lieu par excellence qui pourrait et devrait élucider le besoin de croire.
70 Mais les Lumières, dans leur précipitation à combattre l’obscurantisme, en ont négligé et sous-estimé la
puissance.

Une culture des droits des femmes


Depuis les suffragettes, en passant par Marie Curie, Rosa Luxembourg, Simone Weil et Simone de
75 Beauvoir, l’émancipation des femmes par la créativité et par la lutte pour les droits politiques,
économiques et sociaux, qui se poursuit aujourd’hui, offre un terrain fédérateur aux diversités
nationales, religieuses et politiques des citoyennes européennes défiant l’obscurantisme des traditions
et des religions fondamentalistes. Ce trait distinctif de la culture européenne est aussi une inspiration et
un soutien aux femmes du monde entier, dans leur aspiration à la culture et à l’émancipation, non
80 seulement comme choix, mais comme dépassement de soi, anime les combats féministes sur notre
continent.

Face au verrouillage du politique par la finance et l’hyperconnection, et contre la déclinologie ambiante


et l’autodestruction écologique, l’espace culturel européen pourrait être une réponse audacieuse. Peut-

16
85 être la seule qui prend au sérieux la complexité de la condition humaine dans son ensemble, les leçons
de sa mémoire et les risques de ses libertés.

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