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LE PRÉSIDENT ABSOLU

LAVe RÉPUBLIQUE
CONTRE
LA DÉMOCRATIE

PHILIPPE FABRY
© Philippe Fabry, Toulouse, 2022

Troisième édition.

Couverture réalisée par Lucas Pommier,


Paris, 2022

L’auteur :
www.historionomie.net
philippefabry1001@gmail.com

Réalisation couverture :
lucas_pommier@hotmail.fr
TABLE DES MATIÈRES

Introduction
p.1

Une constitution de régime autoritaire


p.9

L’importance de l’habitus
dans la pratique constitutionnelle
p.39

Un nouvel ancien régime


p.71

Réforme ou révolution ?
p.103
En 1974, Maurice Duverger publiait
La Monarchie républicaine, ou comment
les démocraties se donnent des rois. Par
cette expression, le constitutionnaliste
désignait le régime mis en place depuis
1962, avec l’élection du chef de l’État
au suffrage universel et ses conséquences
sur la stabilisation des majorités
parlementaires et leur discipline face
au gouvernement. Duverger pensait
que cette évolution des institutions
permettrait une modernisation de la
démocratie française, et allait dans
le même sens que le renforcement
du pouvoir exécutif par rapport aux
assemblées parlementaires observable,
selon lui, dans le monde démocratique.
1
Près de cinquante ans plus tard, l’heure
du bilan est venue : la monarchie
républicaine a-t-elle tenu les promesses
qu’y voyait Duverger ? Son exemple s’est-
il étendu dans le monde démocratique ?

Aucunement.

En matière institutionnelle, la divergence


française avec ses voisins s’est accrue. En
matière sociale et politique, la France
a vu se mettre en place un ordre qui,
loin d’impressionner par sa modernité,
est régulièrement comparé à l’Ancien
Régime, entre déficit démocratique,
reproduction des élites, pensée unique,
panne de l’ascenseur social.

Force est de constater que le régime


français est en crise depuis de nombreuses
années.

2
En 2017, après plusieurs alternances
politiques stériles, une vague dégagiste a
hissé Emmanuel Macron au pouvoir et
réduit à la portion congrue les deux partis
historiques de gouvernement depuis
quarante ans, le Parti socialiste et Les
Républicains, au profit de sa formation «
En Marche ! ». Cependant cette solution
de populisme modéré, qui semblait
renverser le jeu habituel sans pour autant
menacer l’équilibre politique du pays,
aboutit à une éruption sociale nationale
avec la révolte des Gilets Jaunes, version
démultipliée des Bonnets Rouges de
2013-2014, qui ne fut étouffée que par
une dure répression associée à la survenue
d’une crise sanitaire, avant de ressurgir,
impliquant grosso modo les mêmes
protagonistes, dans les mouvements
« anti-passe » hostiles aux mesures
sanitaires du gouvernement.

3
Entretemps, Jean Castex avait été nommé
Premier Ministre, le premier, et seul
autre, chef de gouvernement de la Ve
République à n’être pas un parlementaire
depuis Dominique de Villepin, lequel
avait au moins exercé des fonctions
gouvernementales avant d’être nommé
à ce poste. Ce n’est pas un hasard si les
crises sociales et politiques se multiplient,
chaque nouvelle occurrence étant plus
virulente et plus longue que la précédente,
l’amplification paraissant nous mener
à une crise finale, aboutissant à la chute
de la Cinquième République : il y a un
lien direct entre la perte chronique de
légitimité populaire des gouvernements
français et les institutions-mêmes de
la France. Mais cette question n’est
pratiquement pas abordée, ou mal, par
les responsables politiques, ni par les
commentateurs.

4
Il n’y a pas de débat sur le régime, et cela
en dépit de l’instinct populaire qui a exigé
le Referendum d’Initiative Citoyenne
au moment des Gilets Jaunes, et crié à la
dictature au moment de l’instauration
du passe sanitaire. Les commentateurs se
sont principalement accordés sur l’aspect
populiste de ces accusations et le caractère
déstabilisant d’une capacité référendaire
étendue.

Pourtant, une analyse comparée des


institutions politiques françaises et de
celles de nos voisins européens donne
aisément à voir que le régime français
ne correspond pas aux standards démo-
cratiques de la tradition européenne. En
un mot comme en cent : la France n’est
pas une démocratie. Nous devons nous
débarrasser de l’aveuglement collectif
dont nous sommes victimes à propos de

5
notre régime : sa constitution est celle
d’un régime autoritaire, une monarchie
républicaine qui tend à devenir de plus
en plus absolue, et que guette une nou-
velle Révolution.

6
UNE CONSTITUTION
DE
RÉGIME AUTORITAIRE

Il est fascinant de constater à quel


point nous autres, Français, sommes
collectivement aveugles quant à la nature
réelle de notre régime politique. Nous
sommes persuadés que la France est une
démocratie, à l’instar de nos voisins
européens. Il s’agit là d’une illusion, qui
est le produit d’une histoire.

Ainsi, nous avons l’habitude de faire


comme si notre Cinquième République
était une forme de démocratie, l’une
des multiples combinaisons en vigueur
en Occident, différente des autres
simplement par quelques caractéristiques
constitutionnelles et institutionnelles.

9
Et les autres différeraient entre elles dans
la même mesure, le tout formant un
large spectre des possibles dans le genre
« démocratie », ce régime éclairé de
l’Occident moderne.

Tout ceci est faux : tous nos grands


voisins ont des constitutions exactement
semblables sur un certain nombre de
points cruciaux. Quant à la France, elle
affiche une radicale singularité.

Elle n’est pas une possibilité parmi


d’autres, elle est l’exception face à la règle.

Reprenons depuis le début : qu’est-ce


qu’une démocratie ? Il n’est bien sûr pas
question de débattre ici philosophique-
ment du concept, sans quoi l’on n’attein-
drait sans doute jamais de réponse défini-
tive, en raison notamment des nombreuses

10
sous-questions qu’il implique : qu’est-ce
qu’une décision collective ? la volonté gé-
nérale existe-t-elle ? etc., tous sujets qui
agitent la philosophie politique depuis
des siècles et sur lesquels nous ne pouvons
prétendre apporter ici de réponse, d’au-
tant que le débat sur cette question fait
sans doute lui-même partie intégrante de
la vie démocratique. Contentons-nous
de constater ce qui est couramment pra-
tiqué, au plan institutionnel, dans les
pays que l’on classe, d’évidence, comme
« démocraties » lorsque l’on considère
les régimes des différents pays depuis le
XIXe siècle. Si nous observons nos voisins
européens, nous constatons des principes
constitutionnels et institutionnels univer-
sellement appliqués dans toute l’Europe
occidentale, et qui ont essaimé bien au-de-
là de celle-ci.

11
Ces principes sont les suivants :

D’abord, il y a une séparation nette entre le


chef de l’État et le chef du gouvernement.
Le chef de l’État représente le temps long,
le garant de la séparation des pouvoirs. Il
n’est pas là pour exercer le pouvoir mais
pour incarner l’autorité.

Chez nos voisins ce sont soit des princes


héréditaires (au Royaume-Uni, en Es-
pagne, en Belgique) soit des présidents
élus par le Parlement et des représentants
du territoire (souvent le Sénat, parfois des
représentants spéciaux).

Ce mode de sélection ou d’élection fait


du chef de l’État une figure consensuelle
servant de point de référence et d’arbitre,
extérieur au jeu politique, qu’il surplombe
de sa dignité, représentant la continuité

12
de la Nation, au-delà des querelles parti-
sanes, certes légitimes, mais dont les ac-
teurs ne peuvent, par nature, prétendre
représenter l’ensemble du corps politique.

Le chef de l’État incarne l’unité natio-


nale, le rassemblement en dernier ressort,
le consensus fondamental sur le cadre
dans lequel le débat politique peut se te-
nir. Il n’a pas de pouvoir exécutif ni légis-
latif, mais une autorité : c’est pourquoi il
promulgue les lois, c’est-à-dire les valide
en sa qualité de garant des institutions.

Le chef de gouvernement, au contraire,


représente un pouvoir, l’exécutif, qui est
à la fois une émanation du Parlement,
puisque le chef du gouvernement est le
chef du parti ou de la coalition majori-
taire, et puisque les membres du gouver-
nement sont pour la plupart des élus.

13
Le gouvernement est en outre responsable
devant le parlement, c’est-à-dire qu’il
tombe dès qu’il est mis en minorité. C’est
ainsi que s’articulent le pouvoir législatif
du Parlement et le pouvoir exécutif du
gouvernement.

Le gouvernement est nécessairement


partisan, continuellement pris dans les
débats et les querelles politiques, en
raison de son pouvoir de décision. Il
doit trancher des questions, assumer
des arbitrages. Le Conseil des ministres,
principal organe de coordination de
l’activité du gouvernement, est présidé par
le chef du gouvernement : le Chancelier
en Allemagne, le Premier ministre en
Espagne et au Royaume-Uni, le Président
du Conseil en Italie. Ensuite, il y a la
présence de deux chambres, basse et
haute, l’une élue par le suffrage universel

14
direct, l’autre principalement soit par
suffrage indirect (sénateurs français,
italiens…), soit par nomination du chef
de l’État (lords britanniques, sénateurs
à vie italiens…). Le mode d’élection
entraîne une continuité et une stabilité
plus importante à la chambre haute qu’à
la chambre basse, ce qui correspond aussi
généralement à un pouvoir décisionnel
inférieur, de sorte que les chambres haute
et basse sont dans un rapport similaire,
quoique moins tranché, que celui
existant entre le chef de l’État et le chef
du gouvernement : la chambre basse est
celle de la réactivité, du débat politique le
plus passionné et le plus théâtral, au plus
près des préoccupations ponctuelles de
l’opinion publique ; la chambre haute est
celle du temps plus long, de la réflexion,
des mouvements de fond de la mentalité
nationale.

15
Telles sont les institutions, et les équilibres
institutionnels, observables dans toutes
les démocraties fonctionnelles d’Europe,
spécifiquement les voisins directs de la
France : Royaume-Uni, Espagne, Italie,
Belgique, Allemagne, ou encore au
Canada, en Australie, au Japon, en Israël
(dans les pays scandinaves, comme en
Nouvelle-Zélande, l’évolution récente
est au monocaméralisme, c’est-à-dire
l’absence de chambre haute, mais cela
est compréhensible dans des pays où
la population est réduite et la diversité
culturelle et géographique faible). Les
mêmes caractéristiques étaient également
visibles, en France, sous la Troisième et
sous la Quatrième Républiques.

Tel n’est plus le cas depuis l’instauration


de la Cinquième République.

16
En effet, depuis la réforme de 1962 –
mais en pratique depuis 1958, car comme
le remarquait Jean-François Revel, le
suffrage universel direct avait déjà porté
De Gaulle au pouvoir – le Président de
la République est élu au suffrage univer-
sel direct, et il est élu sur un programme.
Il n’est donc pas seulement une autori-
té garante des institutions, il est aussi le
détenteur suprême du pouvoir exécutif.
Un pouvoir exécutif auquel le Parlement
ne sert que de légitimation, par des élec-
tions législatives qui, depuis l’adoption
du quinquennat, suivent de quelques se-
maines seulement les présidentielles. Se-
lon l’expression journalistique consacrée,
on donne alors « une majorité pour gou-
verner » au Président, qui nomme alors
un premier ministre dont la fonction est
tout à fait différente de celle de chef de
gouvernement chez nos voisins.

17
L’apparente disparition de la possibilité
de cohabitation, depuis 2002, a achevé de
faire tomber notre constitution du côté
où elle penchait.

En outre, cohabitation ou pas, le Pré-


sident de la République préside le Conseil
des ministres, détenant donc le rôle déci-
sif dans la coordination de l’action gou-
vernementale. Et en cas de cohabitation,
le Président de la République dispose
toujours de l’arme de la dissolution de
l’Assemblée nationale, laquelle fait que le
gouvernement est perpétuellement sous
la menace d’un renversement en cas de
désaccord politique trop prononcé.

De sorte qu’en pratique le véritable chef


du gouvernement est, en France, le Pré-
sident de la République, tout en n’étant
pas responsable devant le Parlement,

18
puisque rien ne peut faire tomber le Pré-
sident avant le terme de son mandat. Ain-
si que le dénonçait également Jean-Fran-
çois Revel, le Président est irresponsable1.
Cette irresponsabilité présidentielle a un
effet institutionnel au-delà de sa seule per-
sonne, puisqu’en pratique cela anéantit la
responsabilité de principe, prévue par la
constitution, du gouvernement devant le
parlement.

En effet, en théorie, le gouvernement


peut être mis en minorité par le vote
d’une motion de censure. En pratique,
cela n’est arrivé qu’une seule fois sous
la Cinquième République, en 1962. Il
s’agissait précisément d’une tentative
parlementaire de résistance à l’instaura-
tion définitive de l’élection du Président
de la République au suffrage universel.

19
Le gouvernement ne démissionna
pas, puisque De Gaulle usa de son
pouvoir de dissolution, et après la
victoire électorale, le gouvernement fut
reconduit, pratiquement à l’identique.

Le gouvernement, en pratique, n’est


donc responsable que devant le Président
de la République. Une bonne illustra-
tion de cette réalité est visible dans la
comparaison suivante : chez tous nos
voisins, il y a changement de gouver-
nement lorsque celui-ci est mis en mi-
norité. En France, cela arrive lorsque le
Président décide de changer de Premier
ministre, ou quand il lui impose un «
remaniement », dont il est le vrai maître.

À ces mécaniques juridiques, il faut


ajouter l’arrière-plan politique qui est
la conséquence du mode de suffrage

20
: le Président de la République fait
concurrence à l’Assemblée nationale au
plan de la légitimité tirée du suffrage
universel direct, chose inexistante
chez nos voisins, et absente du modèle
universel de la démocratie parlementaire.

Le mode d’élection correspond,


nous l’avons vu, à un rôle et à un
mode d’action : le suffrage direct
est censé être plus en prise avec les
fluctuations de l’opinion publique,
avec la volatilité que cela implique.
Le suffrage indirect caractérise les
organes destinés à la stabilisation.

La longue expérience européenne en


matière constitutionnelle a montré
empiriquement quels modes de
scrutin devaient être associés à quels
organes, selon quel jeu d’équilibres.

21
L’élection du Président de la République
au suffrage universel est une monstruosité
au sens littéral du terme, c’est-à-
dire une conformation anormale aux
conséquences aberrantes. D’abord, sur
le plan de la légitimité : en première
approche, il pourrait sembler que cela
place le Président sur le même rang de
légitimité que l’Assemblée nationale,
mais il n’en est rien, car une Assemblée
constituée d’une multitude de députés,
chacun élu localement au suffrage
universel, a nécessairement une légitimité
démocratique moindre que l’homme qui
a réussi à réunir les suffrages sur son seul
nom, cela même en prenant l’assemblée
dans son ensemble.

C’est la raison pour laquelle, dans le


cas particulier américain, alternatif au
standard européen, de la séparation

22
stricte des pouvoirs, les élections des
membres du Congrès sont deux fois plus
fréquentes que celle du Président, afin de
rééquilibrer la différence de légitimité
démocratique.

Cette question de légitimité conditionne


tout le rapport du Parlement avec le
Président de la République, plaçant
toujours celui-ci en position de force,
dans une configuration qui n’est guère
différente de celle des rois de jadis avec
leurs États Généraux, puisque toute la
légitimité revenait au monarque par droit
divin ; la rébellion de ceux-ci en 1789, et
leur constitution en Assemblée nationale,
fut la fin de la monarchie absolue.
L’élection du Président de la République
au suffrage universel nous a, sur cette
question de la légitimité, fait régresser
avant 1789.

23
Ensuite, ce mode d’élection renforce la
mécanique juridique, décrite précédem-
ment, qui fait du Président le vrai chef
du gouvernement, en doublant de cette
légitimité supérieure l’irresponsabilité
présidentielle et l’arme de la dissolution
qu’il peut pointer sur l’Assemblée.

Il résulte de tout ceci que le Parlement


n’est qu’une chambre d’enregistrement
des volontés du gouvernement, c’est-à-
dire du Président, et éventuellement de
débat si celui-ci le permet et ne décide
pas de recourir au fameux article 49
alinéa 3 qui permet de faire adopter un
projet de loi sauf vote d’une motion
de censure dont on a rappelé qu’il est
pratiquement impossible. La séparation
des pouvoirs entre exécutif et législatif
n’existe donc pas en pratique.

24
Bien sûr, il peut y avoir des désaccords
ou une « grogne » parlementaire contre
l’Elysée, mais ce genre de rapports
parfois conflictuels ne caractérise pas
une séparation des pouvoirs.

Ils existaient aussi sous l’Ancien Régime


entre le roi et les Parlements, les grandes
cours de justice de la monarchie, voire
les États-Généraux.

Au total, l’évidence est donc là,


incontestable : le régime français ne
correspond pas du tout aux standards
de la démocratie européenne, puisque
le Président est le chef véritable du
gouvernement, le gouvernement n’est
responsable que devant le Président, et
le Parlement tient sa légitimité élective
du Président.

25
Le régime français a donc, dans son
catalogue, tous les organes classiques
des démocraties européennes, mais ces
organes sont alimentés et connectés de
façon radicalement différente, de sorte
que là où chez nos voisins, ou dans nos
républiques précédentes, il s’instaure
entre eux un équilibre savamment
déterminé par des siècles d’expérience, la
Cinquième République peut se résumer
à un régime autoritaire dans lequel une
élection intervient tous les cinq ans.

Maurice Duverger, dans les années 1970,


parlait de « monarchie républicaine »,
une expression qui s’est installée mais
dont on ne comprend généralement pas
la portée : la réalité est que le système de
pouvoir en France aujourd’hui ressemble
plus, si l’on veut comparer avec deux ré-
gimes contemporains l’un de l’autre, à

26
l’Empire allemand qu’à la Troisième Ré-
publique. S’il ne fait aucun doute pour le
lecteur que l’Empire allemand n’était pas
une démocratie, alors l’illusion de la dé-
mocratie en France doit immédiatement
se dissiper chez lui.

Et si l’on préfère comparer avec des


régimes contemporains de la Cinquième
République, peut-être suffira-t-il de dire
que, structurellement, c’est-à-dire dans
cette distribution des pouvoirs et des
autorités, la pratique constitutionnelle
en France est plus proche de celle qui
a cours dans la Russie de Vladimir
Poutine que de n’importe quel de nos
voisins européens (nous reviendrons plus
loin sur les illusions quant à la liberté
réelle des individus et les apparences de
démocratie).

27
Tout ceci est prodigieusement important.
Contrairement à ce que l’on croit sou-
vent, il n’y a pas une infinité de solutions
possibles pour la mise en place d’une dé-
mocratie. De plus, il n’y a pas, au moment
de s’interroger sur la forme à donner à une
constitution pour que le produit en soit
un régime démocratique, à débattre sur
les points fondamentaux que nous avons
décrits : ils sont universellement présents
dans les démocraties européennes, et
constituent un équilibre institutionnel
empiriquement éprouvé. Toute théorie
constitutionnelle le remettant en ques-
tion doit être regardée comme suspecte.

Naturellement, d’aucuns objecteront


peut-être qu’il n’y a en réalité pas un
seul modèle démocratique, mais deux,
en citant l’exemple de la constitution
américaine, de son chef de l’État qui

28
est également chef du gouvernement,
et du caractère pour autant tout à fait
démocratique de ce système. Il faut
donc dire quelques mots sur ce point.
Pour commencer, même si cela est
probablement l’argument le plus faible, il
faut remarquer que, s’agissant d’un pays
européen : la France, il est préférable de
raisonner dans un référentiel culturel
plus proche que l’échelle mondiale, et
dans cette perspective la comparaison
avec les standards européens paraît plus
pertinente.

Cependant, force est de reconnaître que


le fait que le modèle européen se soit im-
posé dans l’essentiel du monde démo-
cratique, s’il semble faire la preuve son
efficacité, témoigne aussi d’un héritage
historique : une grande partie des démo-
craties fonctionnelles hors d’Europe sont

29
issues de l’Empire britannique dont les
institutions ont été décalquées. Beaucoup
plus convaincants sont les arguments
techniques : la Présidence américaine
n’est pas comparable à la Présidence de la
République française, car elles diffèrent
sur tous les points critiques.

D’abord, le Président des États-Unis n’est


pas élu au suffrage universel direct mais
indirect, via le mécanisme des Grands
Electeurs, qui pondère les voix des
citoyens américains par leur appartenance
territoriale, donnant notamment aux
États relativement vides de population
du centre du pays un poids démesuré par
rapport aux États côtiers, très densément
peuplés. C’est ce mode d’élection qui a
permis la victoire de Donald Trump en
2016.

30
Il est, depuis, fortement contesté, et c’est
un débat qui va probablement s’ampli-
fier dans les années à venir, en raison de
la tension que fait naître la confusion des
fonctions de chef de l’État et de chef du
gouvernement : ainsi que nous l’avons
déjà noté, le chef de l’État doit pouvoir
représenter toute la nation, cependant
que le chef de gouvernement doit tran-
cher des débats politiques de manière
partisane.

L’élection par le Collège électoral donne


une garantie de représentativité du
Président en tant que chef de l’État et
garant des institutions, mais introduit
un déséquilibre potentiellement critique
lorsque le vote du Collège ne correspond
pas au suffrage populaire. Cette tension
représente une faiblesse majeure de
la constitution américaine, et risque

31
de le devenir de plus en plus à mesure
que s’accroîtra le fossé démographique
entre l’Amérique côtière et l’Amérique
continentale.

L’issue en sera vraisemblablement une


abolition du Collège électoral, qui sera
l’indice d’une dégénérescence avancée du
système politique américain, dans le sens
des travers qui sont actuellement ceux du
régime français.

Une telle évolution est d’ailleurs annoncée


par le renforcement croissant, depuis
l’adoption de la constitution des États-
Unis, de la puissance présidentielle au
détriment du Congrès. Il s’agit là d’une
tendance très nette de l’évolution du
régime américain, marquée par des étapes
notoires telles les présidences d’Andrew
Jackson, d’Abraham Lincoln, de Teddy

32
Roosevelt, et par la montée en puissance
de théories constitutionnelles favorables
au pouvoir présidentiel, telle la théorie
de l’exécutif unitaire à laquelle la Cour
Suprême est de plus en plus favorable.

Contrairement au modèle européen,


dont le Royaume-Uni est la preuve de la
remarquable stabilité après trois siècles,
le modèle américain apparaît donc
marqué par une dangereuse inclination
vers l’autoritarisme présidentiel.
Ensuite, la séparation des pouvoirs
exécutif et législatif aux États-Unis est
« stricte » et non « souple », c’est-
à-dire que le gouvernement n’est pas
responsable devant le parlement, mais
le gouvernement n’a pas non plus de
capacité de dissolution du parlement
– contrairement à ce qui existe dans le
modèle européen.

33
De sorte que le législatif, à l’abri de
la puissance présidentielle, en est
indépendant, et que le gouvernement
est contraint de travailler et de débattre
avec le parlement pour obtenir le vote des
mesures législatives qu’il souhaite.

En outre, ainsi que nous l’avons déjà


noté, le Congrès – chambre basse des
représentants et chambre haute du Sénat
– est élu au suffrage universel direct,
mais ses élections sont deux fois plus
fréquentes que pour le Président : ce sont
les fameuses élections de mid term.

Le Sénat, chambre haute, donc de la


continuité et du temps long, n’est certes
pas élu au suffrage indirect mais seul
un tiers de ses membres est renouvelé à
l’occasion de ces élections.

34
Enfin, il faut mentionner un argument
historico-empirique qui tend à discrédi-
ter le modèle du régime dit « présiden-
tiel » de séparation stricte des pouvoirs
: si l’on fait la liste des pays régis par
un régime présidentiel d’un côté, et de
ceux régis par un gouvernement parle-
mentaire de l’autre (républicain ou sous
forme de monarchie constitutionnelle),
l’on constate que ceux de la seconde ca-
tégorie sont généralement des démocra-
ties fonctionnelles sur de longues durées,
tandis que le caractère démocratique du
régime présidentiel américain en fait
plutôt une exception dans son genre.

En toute hypothèse, si au plan organique


le modèle américain peut fournir une
alternative valable au modèle européen
pour la mise en place d’un régime
authentiquement démocratique, il faut

35
constater que l’examen de sa structure
n’offre aucun argument en défense des
choix constitutionnels français.

Plus encore, le fait que la constitution


française ne permette de la classer dans
aucun des deux modèles doit l’exclure de
la catégorie des régimes démocratiques.

Il faut d’ailleurs, au regard de tout ce


que nous avons dit, récuser la catégorie
avancée par Maurice Duverger du
régime dit « semi-présidentiel » pour
désigner les pays cumulant confusion
des chefs d’État et de gouvernement
(en pratique sinon en théorie) et
séparation souple des pouvoirs, car cette
appellation donne une fausse impression
de modération, de compromis, de juste
milieu, alors qu’il n’est que de dresser
la liste des États correspondant à cette

36
appellation pour constater que ce ne
sont pas des systèmes démocratiques :
la Russie, l’Algérie, l’Egypte, la Syrie
entrent dans cette catégorie, et force
est de constater que ces régimes sont
en réalité « hyperprésidentiels », la
présidence écrasant tous les autres
organes de pouvoir.

Ainsi donc, il est manifeste que la France


n’est pas une démocratie, au sens que ce
mot a couramment en Occident, et qu’au
contraire la constitution de la Cinquième
République est la constitution d’un ré-
gime autoritaire, qui a fait régresser po-
litiquement notre pays d’au moins un
siècle.

37
L’IMPORTANCE
DE L’HABITUS
DANS LA PRATIQUE
CONSTITUTIONNELLE

Lorsque les institutions de la Cinquième


République ont été adoptées, à la suite du
quasi coup d’État de De Gaulle, la culture
démocratique était très bien installée en
France, où elle régnait depuis trois quarts
de siècle. De fait, De Gaulle lui-même, en
dépit du caractère profondément contes-
table de sa manoeuvre de 1958, n’a jamais
cessé d’être un démocrate soucieux de
l’équilibre des institutions et des libertés
publiques. Hélas, étant moins visionnaire
en matière constitutionnelle que dans
d’autres domaines, il a légué à la France
les erreurs fondamentales quant à l’arti-
culation des institutions que nous avons
décrites au précédent chapitre.

39
Or, après tout ce que nous avons dit
sur l’importance des structures institu-
tionnelles, il faut souligner que l’effet
exact de celles-ci dépend de la culture
politique des individus qu’elles régissent.
Autrement dit, les mêmes institutions
ne produisent pas le même résultat selon
les habitudes, les coutumes, les moeurs
du corps politique. Ainsi, le jeu normal
des institutions peut être contrarié par
les mentalités dominantes, ce que l’on
a pu observer dans de nombreux pays,
notamment dans l’ancien espace colo-
nial européen, qui ont adopté des règles
constitutionnelles similaires à celles en
vigueur dans l’ancienne métropole, sans
jamais devenir des démocraties fonction-
nelles. Par ailleurs, les moeurs politiques
d’une société et ses institutions forment
une boucle de rétroaction, elles s’in-
fluencent mutuellement, par conséquent

40
elles peuvent se renforcer lorsqu’elles
coïncident – par exemple si des insti-
tutions démocratiques sont associées à
une culture démocratique bien installée.
Inversement, lorsqu’elles sont contradic-
toires, l’évolution penchera plutôt d’un
côté ou de l’autre, selon la mécanique
suivante : si les institutions sont contra-
dictoires dans leurs effets profond avec
la valeur suprême de la culture ambiante,
mais qu’elles sont dans leurs apparences,
et prises séparément, en accord avec cette
valeur, elles pourront se maintenir, et
insidieusement modifieront la culture
politique dans leur sens ; inversement, si
les institutions sont radicalement oppo-
sées aux valeurs de la culture ambiante,
celle-ci leur imposera rapidement une
inflexion dans son propre sens.

41
Ces derniers propos peuvent paraître
très théoriques et abstraits, que l’on
me permette donc de les illustrer par
l’exemple des évolutions divergentes de la
Troisième et la Cinquième républiques,
parties d’une situation institutionnelle
initiale identique, mais ayant abouti à des
régimes complètement différents : régime
démocratique pour la première, régime
autoritaire pour la seconde.

En vérité, bien peu se souviennent que les


lois constitutionnelles de 1875, instau-
rant la Troisième République - qui n’aura
jamais de constitution à proprement
parler - dessinaient un régime pratique-
ment identique à celui qui fut mis en
place en 1958. Les deux républiques,
si dissemblables dans leur pratique, se
fondaient sur un agencement institution-
nel pratiquement identique.

42
En effet, si l’on suit la lettre des lois
constitutionnelles de 1875 et la
constitution de 1958, nous voyons se
dessiner, dans les deux cas, le modèle
suivant. D’abord un parlement divisé
en deux chambres : une chambre haute,
le Sénat, élu au suffrage indirect, et une
chambre basse, nommée Chambre des
députés en 1875 et Assemblée nationale
en 1958 (ce nom, sous la Troisième
République, désignait la réunion de
la Chambre des députés et du Sénat,
aujourd’hui appelée Parlement).

Ensuite, un Président de la République,


élu par les deux chambres pour sept ans,
qui promulgue les lois (son pouvoir est
même plus grand sous la IIIe, puisqu’il
a aussi l’initiative des lois), a le droit de
grâce, est le chef des armées, nomme
aux emplois militaires, n’est responsable

43
devant les chambres qu’en cas de haute
trahison. Il peut aussi dissoudre la
chambre basse (droit plus limité sous
la Troisième que sous la Cinquième, le
président ayant besoin de l’avis conforme
– c’est-à-dire l’autorisation - du Sénat).

Enfin, le gouvernement est composé de


ministres nommés par le Président de
la République, qui préside le Conseil
des ministres, de sorte qu’il n’y a pas de
distinction entre le chef de gouvernement
et le chef de l’État. Cette absence de
distinction était de droit dans les lois
constitutionnelles de 1875, puisqu’elles
ne prévoyaient pas de poste spécifique
de chef du gouvernement, tandis que
dans la constitution de 1958 elle est
un effet pratique de la distribution
constitutionnelle des pouvoirs.

44
Ajoutons que les actes de gouvernement
du Président, sous la Troisième, devaient
être contresignés par un ministre. Sous la
Cinquième, le Président de la République
n’a le pouvoir réglementaire qu’en ma-
tière de décrets délibérés en Conseil des
ministres, ce qui revient peu ou prou au
même.

On le voit donc, sur l’essentiel de la dis-


tribution des pouvoir et le mode de fonc-
tionnement censé en résulter, la Troisième
République était quasi-identique à ce que
prévoyait la Cinquième, version 1958.

Or, l’image que l’on a de leurs modes de


fonctionnement est généralement celui
de deux systèmes radicalement oppo-
sés : d’un côté l’actuelle république qui
tend vers l’absolutisme présidentiel que
nous avons décrit, de l’autre une Troi-

45
sième qui est restée dans les mémoires
comme un régime parlementaire, où la
Chambre des députés faisait et défaisait
les gouvernements, plusieurs fois par lé-
gislature, et où le président se conten-
tait d’inaugurer les chrysanthèmes.

D’où vient cette divergence finale ?

D’une évolution différente tout entière


découlant du mode d’élection du
Président de la République, comme va le
montrer une revue rapide de l’histoire
de ces deux régimes.

Remémorons-nous le contexte de
naissance de la Troisième République :
durant la deuxième moitié du Second
Empire, phase du régime de Napoléon
III que l’on qualifie généralement d’ «
Empire libéral », le parlementarisme

46
commençait à se développer en France,
concomitamment au rapprochement
avec l’Angleterre par l’Entente cordiale et
le traité de commerce franco-britannique
(1860) ; il est vraisemblable que si la
catastrophe de 1870 n’avait pas provoqué
la chute de Napoléon III, le régime
impérial aurait évolué vers une monarchie
constitutionnelle à l’anglaise – donc un
régime parlementaire.

Après la défaite de 1870, puis les


déboires de la Commune de Paris en
1871, vint le temps de déterminer sous
quel régime la France serait désormais
gouvernée. L’Assemblée nationale
élue en 1871, qui devait élaborer une
constitution, était composée pour
deux tiers de monarchistes, pour un
tiers de républicains. Les monarchistes
n’étaient pas assez forts pour restaurer la

47
monarchie, les républicains trop faibles
pour imposer le régime d’assemblée
dont ils rêvaient - autant dire que
sauf à replonger dans la guerre civile,
il allait falloir faire des compromis.

C’est ainsi que furent adoptées les lois


constitutionnelles ci-dessus décrites. Les
républicains pouvaient s’en satisfaire en se
disant qu’ils échappaient à la monarchie
et un régime où le président serait trop
fort, et parvenaient à préserver, et aug-
menter, les acquis du parlementarisme ;
les monarchistes appréciaient l’existence
d’un pouvoir exécutif fort mais protégée
des aventures du suffrage universel di-
rect qui avait porté Louis-Napoléon Bo-
naparte au pouvoir en 1848.

Chacun ne voyait dans ce régime qu’un


pis-aller temporaire, les uns avant la

48
restauration de la monarchie, les autres avant
l’instauration d’un vrai régime d’assemblée.

En pratique, les problèmes apparurent


dès 1876, lorsque les élections portèrent
au pouvoir une majorité républicaine
alors que le président, le Maréchal Mac
Mahon, était monarchiste.

Un gouvernement républicain ne
pouvant être présidé par un monarchiste,
qui refusait de voir sa signature soumise
au contreseing de républicains, et un
gouvernement républicain ne pouvant
accepter de renoncer à sa politique en
raison d’un Président monarchiste, le
gouvernement se donna un Président du
Conseil, résolument absent des textes, en
la personne de Jules Simon.

49
Au terme d’une crise dont il est inutile
de rappeler le détail, Mac Mahon décida
de dissoudre la Chambre des députés,
avec l’aval du Sénat, qui demeurait
monarchiste.

Les nouvelles élections législatives ame-


nèrent à nouveau une majorité de républi-
cains, ce qui posa une crise de légitimité
présidentielle : le suffrage ayant désavoué
sa dissolution, Mac Mahon recula, et
accepta la création d’un gouvernement
républicain avec à sa tête un Président du
Conseil, Jules Dufaure, permettant ainsi
à cette fonction de s’installer dans la pra-
tique et d’acquérir force de coutume.

Après l’arrivée d’une majorité républi-


caine au Sénat en 1879, Mac-Mahon
démissionna, estimant que sa propre légi-
timité n’était plus fondée, puisqu’il avait

50
été élu par une Chambre des représen-
tants et un Sénat monarchiste, et les deux
chambres étaient désormais républicaines
; en outre, il savait que le basculement
républicain du Sénat signifiait la perte de
son pouvoir présidentiel de dissolution,
puisqu’un Sénat républicain ne rendrait
jamais d’avis conforme autorisant la dis-
solution d’une Chambre républicaine.
Ce premier acte voyait donc la défaite
de la Présidence de la République dans
le conflit de légitimité l’opposant à la re-
présentation nationale. Peu après vint le
deuxième acte : Jules Grévy, républicain,
fut élu à la Présidence de la République et
succéda à Mac Mahon. Il annonça aussi-
tôt qu’il renonçait, par avance, à son droit
de dissolution ; il décidait, par ailleurs, de
ne pas présider le Conseil des ministres,
laissant cela à un Président du Conseil.
Jules Grévy mit ainsi ses convictions

51
républicaines en pratique, ce qui boule-
versa l’équilibre du régime.

En effet, la Présidence du Conseil


s’imposa définitivement comme
fonction distincte de la Présidence de
la République, et ce même lorsque le
Président était du même bord que le
gouvernement. Après lui, le premier
Président de la République à prétendre
intervenir dans les affaires du
gouvernement fut Jean Casimir-Perier,
ce qui souleva un tel tollé qu’il dut
démissionner, en janvier 1895. Après
16 ans de pratique républicaine de la
Présidence, la prétention à gouverner
d’un Président de la République était
devenue intolérable. Plus personne,
après cela, n’envisagera d’employer le
droit de dissolution, jusqu’à Alexandre
Millerand, en 1924, qui devra à son

52
tour démissionner. Ainsi donc la
Troisième République, telle qu’on en
garde le souvenir, s’est-elle largement
auto-constituée, comme régime, praeter
et contra legem, dans le silence ou
contre l’esprit des lois constitutionnelles
: la principale fonction exécutive en
pratique, le Président du Conseil, était
rigoureusement absente de la loi, et le
droit de dissolution, légalement consacré,
devint en pratique interdit. C’était
donc un régime au fonctionnement
essentiellement coutumier, ce qui fait
les régimes les plus solides - rappelons-
nous que le Royaume-Uni n’a pas de
constitution écrite, depuis près de trois
siècles et demi que perdure son régime.

D’ailleurs, les régimes politiques français


et britannique n’ont sans doute jamais
été aussi proches qu’à l’époque de la

53
Troisième, lorsque le Président de la
République avait un rôle très voisin de
celui des souverains britanniques.

Et ce régime républicain a été le plus


solide que la France ait connu, a survécu,
et vaincu, durant la Grande guerre,
et n’a fini par tomber qu’après que le
territoire métropolitain, dont la capitale,
ait été conquis par l’ennemi en 1940. La
réputation d’instabilité et d’impotence
qui lui est associée est largement infondée,
puisque de nombreuses réformes de
fond furent conduites sous la Troisième
République – sur la presse, sur les
associations, sur les rapports de l’Eglise et
de l’État – et que l’on confond souvent
l’instabilité gouvernementale avec une
instabilité ministérielle ; à tort, puisque
les ministères s’étendaient fréquemment
sous plusieurs gouvernements, et parfois

54
sur une durée plus longue que nos
mandatures actuelles (par exemple le
ministère d’Adolphe Cochery aux Postes
et Télégraphes, qui dura six années sous
huit gouvernements différents).

Revoyons à présent l’histoire de la


Cinquième République. En 1946, au
sortir de l’Occupation et du régime
de Vichy, les Français adoptèrent une
constitution qui, en fait, reprenait en
le codifiant le fonctionnement de la
Troisième République, notamment par
des dispositions relatives à la fonction
de Président du Conseil.

Ce régime était cependant détesté par


les communistes, qui auraient préféré
une république monocamérale (leur
projet de constitution avait été rejeté
par referendum), et par De Gaulle qui

55
y voyait une perpétuation des vices
attribués à la Troisième République
: instabilité gouvernementale et
impotence. Charles de Gaulle
manœuvra en 1958 pour arriver au
pouvoir en jouant sur la menace
putschiste en Algérie, ses soutiens
approchant à la fois les généraux en
Algérie et le gouvernement légitime
pour le présenter comme une solution
; une fois rappelé au pouvoir, il réussit
à imposer la réforme constitutionnelle
qu’il avait toujours voulue depuis 1946,
et à la faire voter par referendum, sans
recourir à une assemblée constituante,
comme cela avait été fait en 1946, et
comme il est d’usage pour rédiger une
nouvelle constitution.

De fait, il s’agissait d’un coup d’État


puisque la procédure n’était pas prévue

56
dans la constitution de 1946. Charles de
Gaulle ne sauva donc pas la République
d’un coup d’État des généraux, mais
substitua son propre coup d’État à celui
des généraux.

Un coup d’État plus admissible par la


population, servi par sa stature histo-
rique et sa réputation, non usurpée, de
démocrate respectueux des libertés pu-
bliques ; un coup d’État consenti par le
Parlement, mais un coup d’État tout de
même. Certes, le coup d’État fut ratifié
par referendum, mais de la même ma-
nière que Louis-Napoléon Bonaparte
avait fait ratifier le sien : ce n’est pas le
signe d’un régime démocratique, seu-
lement celui d’un régime plébiscitaire,
c’est-à-dire d’un despotisme électif. La
manœuvre, d’ailleurs, n’avait pas permis
un gain total : l’élection du Président de

57
la République n’était pas au suffrage di-
rect mais indirect, ce qui conservait au
Parlement une puissance importante et
aurait pu lui permettre de ramener le
régime sur la voie du parlementarisme,
comme dans les débuts de la Troisième
République.

Il se produisit radicalement l’inverse, en


une sorte de scénario-miroir de celui subi
par Mac Mahon jadis. Ainsi, en 1962,
sentant son soutien parlementaire s’éro-
der du fait de l’effacement de la situation
de crise avec l’indépendance de l’Algérie
à l’été 1962, De Gaulle voulut, pour ne
pas être victime à son tour d’une crise
de légitimité face à un Parlement appuyé
sur le suffrage universel direct, obtenir la
modification des conditions d’élection
du Président de la République en pro-
posant un referendum sur l’adoption du

58
suffrage universel direct, car il savait que
le Congrès ne voterait jamais une telle
réforme. Or, la constitution de la Cin-
quième République ne permettait pas
au Président de soumettre une révision
constitutionnelle à referendum sans au-
torisation préalable des deux chambres. Il
s’agissait donc d’une violation manifeste
de la constitution.

S’ensuivit donc une fronde parlementaire


généralisée : une motion de censure fut
déposée à l’Assemblée à l’encontre du
gouvernement de Georges Pompidou,
Premier ministre de De Gaulle, et le
Président du Sénat, Gaston Monnerville,
dénonça également l’illégalité du
procédé.

L’adoption de la motion de censure, le 5


octobre, aurait dû entraîner la formation

59
d’un nouveau gouvernement. Mais De
Gaulle décida de dissoudre l’Assemblée
nationale, et la coalition gaulliste rem-
porta largement le scrutin, obtenant ainsi
une forme de validation de la violation
constitutionnelle, renforcée ensuite par la
victoire au referendum.

Cette crise constitutionnelle fut donc


l’inverse de celle de 1877 : le Président
de la République, mis en minorité à la
chambre basse, décida la dissolution de
celle-ci, mais De Gaulle remporta les
élections quand Mac Mahon subit une
défaite.

Dans les deux cas, une élection législative,


qui n’était pas censée, aux termes de la
constitution, avoir des conséquences
constitutionnelles, entraîna des
conséquences radicales sur la nature du

60
régime : la Présidence de la République
remporta le conflit de légitimité
l’opposant à la représentation nationale,
et scella sa victoire avec la modification
permanente de son mode d’élection.

On peut voir le deuxième acte de cette


évolution dans l’élection de François
Mitterrand en 1981, qui avait dénoncé
les manœuvres de De Gaulle dans Le
Coup d’État permanent (1964), et
avait bien analysé les vices du nouveau
régime, qui devait selon lui mener à un
gouvernement technocratique - on peut
mesurer aujourd’hui à quel point il avait
raison.

Si Mitterrand avait eu la trempe d’un


Jules Grévy, il aurait sans doute agi
en conséquence et imité son illustre
prédécesseur en annonçant dès son

61
arrivée au pouvoir un renoncement au
droit de dissolution et le refus de présider
le Conseil des ministres. Comme
chacun sait, il n’en fit rien, et permit
à l’interprétation hyperprésidentielle
de la constitution de la Cinquième
République, telle que nous l’avons
décrite plus haut, de s’enraciner.
Au contraire, François Mitterrand
favorisa la dérive autoritaire de la
pratique constitutionnelle en France,
en continuant de présider le Conseil
des ministres lorsque se présenta
pour la première fois la situation de
cohabitation en 1986, puis en décidant
la dissolution de l’Assemblée juste après
sa réélection en 1988, afin d’obtenir
une majorité conforme.

Depuis, la réforme du quinquennat et


le placement de l’élection présidentielle

62
juste avant les élections législatives, sur
le modèle de 1988, ont achevé de faire
basculer le régime de la Cinquième
République du côté où il penchait depuis
1962 : la Présidence absolue de droit
plébiscitaire.

Ainsi est illustré le propos théorique


que j’avançais au début de ce chapitre
: les mœurs politiques d’une société
et ses institutions forment une boucle
de rétroaction, et lorsqu’elles sont
contradictoires, l’évolution penchera
plutôt d’un côté ou de l’autre, selon la
mécanique suivante : si les institutions
sont radicalement opposées aux valeurs
de la culture ambiante, celle-ci leur
imposera rapidement une inflexion
dans son propre sens ; l’illustration en
est donnée par le cas de la Troisième
République, apparue dans une phase

63
historique de développement de
l’idée démocratique, laquelle a forcé
l’évolution d’une constitution portant
un pouvoir présidentiel fort héritier
de l’idée monarchique pour faire
apparaître, par coutume, un véritable
régime parlementaire.

En d’autres termes, dans un contexte


d’élection au suffrage universel, la
légitimité de la représentation nationale,
plus démocratique et conforme aux
aspirations populaires, l’a emporté sur
celle de la Présidence monarchiste, élue
au suffrage indirect.

Inversement, si les institutions sont


contradictoires dans leurs effets profond
avec la valeur suprême de la culture
ambiante, mais qu’elles sont dans leurs
apparences, et prises séparément, en

64
accord avec cette valeur, elles pourront se
maintenir ; l’illustration en est donnée par
le cas de la Cinquième République dans
sa lecture de 1962, dont l’aboutissement
institutionnel, soit la Présidence absolue,
est radicalement contradictoire avec
l’idée démocratique, cependant que
son instauration a été, à chaque étape,
validée démocratiquement, par élections
et referendum, et que la cause principale
de sa dérive non-démocratique est
précisément dans l’élection du Président
au suffrage universel direct, qui paraît
parfaitement démocratique.

Autrement dit, dans le même contexte


de suffrage universel et d’appétit pour
la démocratie, l’élection du Président
au suffrage direct, quoiqu’ayant des
conséquences ultimement moins
démocratiques que son élection au

65
suffrage indirect, l’a emporté car le mode
d’élection est, en soi, plus conforme à
l’idée démocratique.

L’idée que plus d’apparence de


démocratie peut en réalité signifier
moins de démocratie est ancienne :
c’est le principe maintes fois dénoncé
du régime plébiscitaire, qui instaure
un despotisme en éliminant tous les
organes dont l’expérience a montré
la nécessité pour la mise en place
d’un régime pouvant être considéré
comme démocratique dans la tradition
européenne.

C’est ainsi qu’est né jadis le Second


Empire et, de fait, l’élection du Président
de la République au suffrage universel a
recréé, en France, un régime autoritaire
similaire à celui de Louis-Napoléon

66
Bonaparte.

La grande différence avec celui-ci est


qu’en devenant Napoléon III, et en
substituant à la légitimité plébiscitaire
une légitimité dynastique, il permit
à son régime d’évoluer vers une
monarchie constitutionnelle plus
parlementaire, tandis que notre
Cinquième République renouvelle
à chaque élection présidentielle le
principe plébiscitaire, et le renforce.
Car à chaque occurrence, l’élection
du Président au suffrage direct, et la
pratique du pouvoir qui en résulte
le temps de son mandat, enfonce
encore un peu plus le clou de la
culture plébiscitaire au détriment
de la vraie culture démocratique.
Et c’est ainsi qu’insidieusement la culture
politique française, au lieu d’évoluer vers

67
le parlementarisme, comme à partir de
1877, a évolué depuis 1962 vers un nouvel
Ancien Régime.

68
UN NOUVEL ANCIEN
RÉGIME

Revenons à la naissance de la
constitution de 1958 : lorsque Charles
de Gaulle reprit le pouvoir et instaura
la Cinquième République, la France
était l’héritière d’une tradition
parlementaire forte remontant à
1830, qui avait repris vigueur après
la parenthèse de l’Empire autoritaire
entre 1851 et 1862, et triomphé en
1877.

Tout au long de la Troisième République


s’était donc installée, par l’habitus
du jeu régulier des institutions, une
culture parlementaire et démocratique
solide, qui avait porté de beaux fruits
comme la liberté de la presse et la liberté
d’association.

71
Cette culture était si vivace qu’après
les épreuves de la défaite de 1940, du
régime de Vichy et de l’Occupation, le
peuple français et ses élites décidèrent
de la restaurer dans ce que l’on a appelé
la Quatrième République, dont la
constitution, en définitive, reprenait et
codifiait essentiellement les institutions
que la pratique coutumière avait
installées sous la précédente.

Une culture politique, ainsi que nous


l’avons vu au chapitre précédent, est
d’une prodigieuse importance. Elle ne
consiste pas en dispositions juridiques,
mais en impératifs sociaux, moraux et
politiques : elle établit des règles de
bienséance et de comportement, fait
connaître leur rôle aux parlementaires
et aux présidents, leur fait savoir, par
réflexe, ce que l’on attend d’eux et ce

72
que l’on ne saurait accepter de leur part.

Une culture politique est un


conditionnement individuel et
collectif. Elle constitue l’écosystème
moral dans lequel une constitution
va produire ses effets, et les deux
s’influencent mutuellement de la façon
que nous avons dite. En France, et
suivant cette mécanique, l’instauration
de la monarchie républicaine a
progressivement altéré et effacé la
culture démocratique acquise après
soixante-quinze ans de pratique du
modèle parlementaire européen.

Depuis maintenant soixante ans, la


pratique plébiscitaire a fait sauter les
barrières patiemment érigées autour de la
Présidence par la coutume parlementaire
de la Troisième République, laissé la

73
puissance présidentielle déborder de
toutes parts, conduit les parlementaires
à intérioriser leur rôle de transcripteurs
fidèles de la volonté du Président-Soleil.

L’aboutissement de cette évolution est


apparu de manière spectaculaire lors des
élections législatives de 2017, qui ont
vu triompher un parti, La République
en marche, dont 91% des élus étaient
des « primo-députés » n’ayant jamais
siégé à l’Assemblée auparavant, et dont
la candidature avait été validée par la
Commission nationale d’investiture
d’un parti créé ad hoc pour soutenir le
candidat, puis président élu Macron2.
Cette évolution a encore accéléré à
partir de 2020 et la survenance de la
fameuse crise sanitaire, qui a conduit
le gouvernement à diriger le pays sous
un régime continuel d’état d’urgence,

74
avec un recours devenu systématique
au Conseil de défense et de sécurité
nationale.

Cet organe, créé en 2009, héritier d’une


tradition républicaine de gestion de la
sécurité intérieure, était initialement
censé être borné au traitement de cette
mission, mais son usage a été étendu,
par décret présidentiel, à des matières
ne relevant pas du tout de la sécurité
militaire du pays : le « Conseil de
défense écologique » établi en 2019,
et le « Conseil de défense sanitaire »
durant la pandémie.

De sorte que, à proprement parler, la


France est de plus en plus gouvernée
comme un État policier, c’est-à-dire
dans le cadre légal de l’état d’exception,
et dans le cadre formel de réunions

75
en comité restreint sur lesquelles le
Parlement ne dispose d’aucune forme
de contrôle.

Cette évolution récente n’est pas du tout,


comme on a pu le croire, l’effet ponctuel
du surgissement de menaces terroristes
ou sanitaires : des crises de même type
ont été connues sous la Troisième
République, qui n’ont jamais donné lieu
à une telle dérive institutionnelle.

Aussi bien celle-ci n’a-t-elle pas été


observée chez nos voisins, qui vivent
sous le même modèle démocratique
européen que nos ancêtres. Cette dérive
institutionnelle, si elle est naturellement
catalysée par les circonstances, est
profondément une évolution logique
du système plébiscitaire français.

76
Ainsi, la constitution de la Cinquième
République tend de plus en plus à
produire le régime autoritaire qu’elle
contient dans la façon dont elle
ordonne les institutions et distribue les
prérogatives, à mesure que la culture
démocratique s’effiloche et que la
culture plébiscitaire, autoritaire, se
renforce. Il faut bien comprendre cela
: durant les premières décennies de son
existence, la constitution de la Cinquième
République a été empêchée de produire
ses effets les plus néfastes par la résistance
qu’opposait la culture démocratique
française, raison pour laquelle nous
n’avons jamais cessé de croire que nous
vivions en démocratie. Car enfin, même
après la forfaiture de De Gaulle contre
les institutions de la Quatrième, puis
de celles de la Cinquième encore au
berceau, le régime a trouvé un semblant

77
de rythme de croisière, sans autre
violation flagrante de la constitution, et
avec des cohabitations intervenues sans
heurts.

Les crises de 1958 et 1962 ont semblé


des parenthèses, des soubresauts sans
grandes conséquences pour la nature
démocratique du régime.

Mais il s’agit là d’une illusion d’optique,


née de la persistance, « rétinienne »
pourrait-on dire pour filer la métaphore,
de la culture démocratique, dont le déclin
a été lent, durant trois générations.

En vérité, le régime que nous voyons


aujourd’hui était là depuis le début, mais
la vivacité de notre culture démocratique
nous en a longtemps dissimulé la réalité
– et sans doute les citoyens des années

78
1960, et De Gaulle lui-même, imprégnés
de cette culture démocratique, n’ont-ils
pas saisi cet effet culturel politique au
long cours, et ont-ils raisonné comme
si la culture démocratique alors acquise
subsisterait toujours, et forcerait
l’interprétation de la constitution dans
son sens.

Tel n’a pas été et ne pouvait pas être


le cas, pour les raisons mécaniques
que j’ai longuement exposées plus
haut : la constitution de la Cinquième
République, constitution de régime
autoritaire, a sécrété une culture de
régime autoritaire qui a progressivement
remplacé la culture démocratique, de
sorte qu’aujourd’hui la constitution de
la Cinquième République est interprétée
selon ses propres principes, et produit
effectivement un régime autoritaire,

79
structurellement similaire à la Russie
d’un Poutine.

Quelle est donc cette culture politique


autoritaire ?

L’esprit de cour s’est développé, dans le


monde proprement politique mais aussi
dans le monde médiatique, artistique et
économique, puisque dans un pays où
l’État pèse 57% du PIB, l’influence du
chef de l’État et du gouvernement est
d’autant plus centrale.

Il s’est créé un écosystème politique


qui correspond aux institutions, c’est-
à-dire que nous sommes devenus
culturellement cette « monarchie
républicaine », ce que nous n’étions
encore que formellement dans les
années 1970.

80
Là où, chez tous nos voisins, le siège
du pouvoir politique demeure le
Parlement, chez nous c’est l’Elysée.

Or à l’Elysée, il n’y a pas de débats.


On n’entend que de temps en temps
quelques échos de ce qui a pu se dire
en coulisse, selon ce qui arrive à fuiter
dans la presse. Mais nous sentons bien
que l’essentiel, plus que jamais, échappe
au débat public.

Et quand le débat public se tient, en


quoi consiste-t-il ? Largement en débat
autour de la personnalité et de la décision
présidentielle.

Le commentaire politique consiste


à tenter de pénétrer les arcanes de la
pensée présidentielle comme celle d’un
surhomme ou d’une divinité, de deviner

81
pourquoi le Président fait ce qu’il fait,
plutôt de que s’interroger sur la nécessité
ou la pertinence de faire cela, ou même
sur le fait de savoir si le Président a le droit
de faire ce qu’il fait.

Le débat politique lui-même, dans ce qu’il


a de plus fondamental, a régressé en-deçà
du XVIIIe siècle, avec des interrogations
fréquentes sur les qualités qui font le bon
Président, sur le modèle de ces Miroirs
des Princes qui furent durant des siècles
le genre par excellence de la réflexion
politique sur le bon gouvernement.

Or, jamais ces questions ne furent


réglées, car le « bon prince » n’existe
pas. Ces interrogations lancinantes ne
furent tranchées que par l’invention de
la séparation des pouvoirs, qui mit tout
simplement fin au problème du prince les

82
cumulant tous.

La Cinquième République, en échouant,


ou en renonçant, à séparer les pouvoirs, a
provoqué cette régression consternante
de la pensée politique en France.

Le Parlement est devenu à ce point


ectoplasmique que lorsque le Président
entend donner une légitimité
démocratique à telle de ses actions,
au lieu de le consulter, il crée, hors de
toute disposition constitutionnelle,
une Convention citoyenne dont les
membres sont tirés au sort.

Encore faut-il préciser que cette


Convention citoyenne pour le Climat
fut proposée initialement dans le
cadre du mouvement des Gilets
Jaunes par un collectif quelconque,

83
ce qui témoigne, plus consternant
encore, que l’étiolement de la culture
démocratique et l’essor de la culture
autoritaire n’ont pas seulement frappé
les élites politiques, intellectuelles et
médiatiques du pays, mais également le
peuple : jadis, celui-ci aurait trouvé dans
son Parlement un relais de ses thèses et
de ses préoccupations, désormais il en
est réduit à demander la formation de
comités par le fait du prince.

Et si la culture autoritaire s’est installée


dans le rapport pétitionnaire du peuple
au Président, elle s’est aussi installée
dans son rapport de confrontation
: faute d’avoir un espace de débat
démocratique, le peuple en revient
aux jacqueries, comme avec la crise des
Gilets Jaunes qui, elle aussi, est unique
en Europe. C’est là une corrélation

84
qu’on a bien du mal à ne pas voir comme
une causalité.

La presse, le « quatrième pouvoir »,


n’est désormais pas plus séparée des
autres pouvoirs qu’ils ne le sont entre
eux : les subventions à la presse écrite,
qui se sont multipliées à partir du
milieu des années 1980, font de celle de
l’Hexagone la plus « aidée » d’Europe,
selon le Sénat, et selon des mécanismes
d’aides directes qui sont inexistantes
chez nos voisins d’Allemagne,
d’Espagne, du Royaume-Uni3.

La multiplication, par les titres les plus


subventionnés, comme Libération ou
Le Monde, de plateformes de « fact-
checking », qui visent notoirement, sous
des dehors d’objectivité, à présenter la
vision des informations la plus conforme

85
à la pensée dominante, n’est pas un
hasard. Le fait que ces efforts aillent
continuellement dans le même sens que
ceux du gouvernement dans son combat
affiché contre les « fake news » non plus.

Les critiques les plus acerbes du


gouvernement et de la Présidence, qui
tentent fréquemment de voir ce qu’il
se passe derrière les lourds rideaux de
velours des palais de la République, sont
désormais systématiquement taxées
de « complotisme », présomption de
maladie mentale qui rappelle à plus
d’un les internements d’opposants en
Union soviétique ; si la méthode est,
pour l’instant, moins brutale, la nature
en est similaire, et cela alors que, mois
après mois, de nombreuses accusations
dénoncées de la sorte à leur première
mention, se sont révélées au moins en

86
partie vraies, comme l’affaire McKinsey.

Ajoutons, enfin, le fameux abattement


fiscal des titulaires de carte de presse
qui fait des journalistes, à proprement
parler, des privilégiés.

Depuis cinquante ans, la


multiplication des lois liberticides
en matière d’expression, avec des
lois absurdes sur des sentiments («
incitation à la haine ») qui permettent
de censurer (ou, encore mieux, de
pousser à l’autocensure) les propos
simplement politiques sur certains
sujets fondamentaux (au premier rang
desquels la politique migratoire), sont
un autre indice de dégénérescence.

Là aussi, le mouvement s’accélère : la


dernière tentative en date, dite « Loi

87
contre les contenus haineux sur internet
», ou « loi Avia », était si radicale que
même le Conseil constitutionnel a jugé
nécessaire de la réprouver.

Et lorsque le peuple décide de s’exprimer


quand même, comme lors de la crise des
Gilets Jaunes, le régime fait usage d’une
répression telle qu’elle fait hoqueter
toutes les - vraies - démocraties voisines.

Entendons-nous bien : les problématiques


sociales et économiques existant en
France sont largement les mêmes que
chez ses voisins ; les idéologies en
présence sont les mêmes, et les réflexes de
crispation, des élites comme du peuple,
sont similaires.

Mais en France, le traitement de ces


contradictions internes par le débat

88
politique est empêché comme nulle part
ailleurs par la nature des institutions.
La France est une intruse parmi les
démocraties d’Europe occidentale,
et dans le monde à la tradition
démocratique la plus anciennement
installée.

La similarité de certaines problématiques


dans les pays voisins et en France permet
d’identifier à quel point la démocratie
a été anéantie, en France, par une
Cinquième République qui produit
ses pleins effets depuis une vingtaine
d’années.

Le premier exemple est dans le


referendum sur la constitution
européenne de 2005, qui fut largement
remporté par le « non », mais
finalement adopté en substance par le

89
Traité de Lisbonne en 2007 – et cela,
de l’aveu du propre auteur du projet de
constitution, Valery Giscard d’Estaing4.

Les dirigeants français se sont donc


montrés incapables de défendre
l’application d’une décision populaire
directe, rendue dans les formes légales,
tout au contraire des élites britanniques
qui, à la suite du referendum sur le Brexit,
ont pris sur elles de mettre en œuvre la
décision démocratique.

La « Trahison de 2005 » est depuis


un vocable fréquemment repris, en
France, par ceux qui dénoncent les failles
démocratiques du pays, et nombre de
commentateurs ont vu dans le mouvement
des Gilets Jaunes de 2018 une suite de
ce « déni de démocratie ». En réalité,
la cause profonde du mouvement des

90
Gilets Jaunes est à chercher ailleurs,
dans le deuxième exemple d’effet
néfaste de la Cinquième République au
regard de ce qui aurait dû advenir dans
une démocratie fonctionnelle : l’échec
de la réforme constitutionnelle voulue
par Emmanuel Macron, qui concernait
notamment le Sénat dont le nombre de
membres devait être réduit, ce qui aurait
impliqué un abaissement important
de la représentation des territoires à la
chambre haute.

En effet, cette réforme devait réduire


à un seul sénateur la représentation de
la moitié des départements, lesquels
départements étaient tous les plus ruraux,
les moins urbanisés, bref ce qu’il est
désormais convenu d’appeler la France
périphérique5.

91
Or, ainsi que nous l’avons rappelé, la
principale raison d’être d’une chambre
haute est d’offrir une représentativité à
l’ensemble du territoire en pondérant
par la prise en compte de l’espace
géographique les déséquilibres
démographiques.

La réforme, tout en affichant un objectif


de renouveau démocratique, visait en fait
à réduire un peu plus, politiquement,
le poids relatif de la France rurale,
éloignée des grandes métropoles,
de leur multiculturalisme, de leurs
préoccupations écologiques, et par là-
même neutraliser le Sénat, qui demeure,
après soixante ans de dégénérescence
autoritaire du régime, le dernier vestige
de parlementarisme.

Cette réforme, qui devait être votée à l’été

92
2018, a avorté et a été reportée, notamment
en raison de la fameuse « affaire Benalla
», mais cet échec n’a donné lieu à aucune
remise en cause du maintien au pouvoir
d’Emmanuel Macron, ni même fait tomber
le gouvernement, en pleine cohérence avec
l’irresponsabilité présidentielle.

Est-ce un hasard si moins de six mois plus


tard se déclencha la révolte générale de la
France périphérique ?

La réponse se trouve en Italie : en 2016,


Matteo Renzi, fringuant quadragénaire
incarnant le renouveau de la classe
politique italienne, était au pouvoir
en tant que Président du Conseil des
ministres, donc chef du gouvernement,
depuis deux ans lorsqu’il tenta, lui aussi,
une réforme constitutionnelle visant,
elle aussi, à une réduction du nombre

93
des parlementaires, notamment en
divisant par trois le nombre de sénateurs
et diminuant par ailleurs les pouvoirs
du Sénat italien.

Ce projet de réforme, dénoncé comme


autoritaire, donna lieu à un referendum
qui fut largement perdu par Renzi, avec
près de 60% de « non ».

Conformément à la logique de la
démocratie parlementaire, il démissionna
en décembre 2016, laissant la place à un
autre gouvernement.

Lors des élections suivantes, en mars


2018, Renzi était à la tête de la coalition
de centre-gauche, mais les élections furent
remportées d’une part par la coalition de
droite dominée par la Lega de Matteo
Salvini et d’autre part par le Mouvement

94
5 étoiles, qui constituèrent ensemble une
coalition populiste.

La conclusion est évidente : dans les


deux cas le maître du gouvernement,
représentant une nouvelle génération
de politiciens issus de milieux urbains,
formés dans des métropoles mondialisées,
a tenté de réformer la constitution de son
pays en vue de diminuer le contre-pouvoir
de l’organe démocratique représentatif de
la moitié « périphérique », dudit pays.

Dans les deux cas, cette tentative a


échoué, et dans les deux cas elle a été
suivie d’une bouffée de populisme de
droite et de gauche, précisément issue
des territoires périphériques.

La différence est qu’en Italie, la séquence


s’est déroulée de manière relativement

95
apaisée, démocratique, avec la démission
du chef du gouvernement ayant constaté
son échec, puis un retour aux urnes et
une arrivée des populistes au pouvoir
par ce biais, dans une coalition tenant
du mariage de la carpe et du lapin qui,
après un an, éclata et laissa la place à une
configuration plus classique, sans qu’à
aucun moment le pays ne sombre dans le
chaos.

Tandis qu’en France, le gouvernement


n’a pas bougé, le Président est demeuré
en place en lançant « qu’ils viennent me
chercher ! », et la coalition populiste
s’est manifestée dans la rue, à travers les
troubles sociaux les plus graves jamais
vus depuis un demi-siècle, qui furent
brutalement réprimés.

Quelle était la principale revendication

96
des Gilets Jaunes, la seule qui semble
avoir fait véritablement consensus
parmi ces révoltés aux doléances
fort diverses ? Le R.I.C, référendum
d’initiative citoyenne, c’est-à-dire
le constat d’un manque criant de
démocratie. Certes, la démocratie n’est
pas le remède à tous les maux, mais son
œuvre cardinale, l’apaisement social,
nécessite que certaines idées radicales
puissent non seulement s’exprimer
par le vote, mais également parvenir
jusqu’au pouvoir.

L’exemple italien montre que, dans une


démocratie fonctionnelle, cela ne dure
guère, est sans grande conséquence, et
suffit à apaiser le corps politique.

L’exemple français montre au contraire


que le refus de cette perspective, le

97
verrouillage institutionnel conduit à des
crises sociales de plus en plus fréquentes,
de plus en plus dures, et de plus en plus
longues, par la marginalisation politique
totale d’une partie beaucoup trop
importante de la population.

Tout ceci est cohérent : un régime


autoritaire a une opposition de régime
autoritaire, c’est-à-dire une opposition
qui descend dans la rue.

La crise des Gilets Jaunes, de ce point


de vue, est comparable aux grandes
manifestations de 2012 en Russie contre
la réélection de Vladimir Poutine,
ou à celles vues l’année précédente
en Tunisie ou en Egypte, pays dont la
constitution était elle aussi « semi-
présidentielle ».

98
Au total, donc, il faut bien constater
que l’application, durant les soixante
dernières années, de la constitution
de la Cinquième République a
provoqué l’étiolement de notre culture
démocratique, et son remplacement
par une culture politique de régime
autoritaire, faisant renaître toutes les
tares de l’Ancien Régime : une pensée
publique limitée par l’autocensure
par crainte des délits de blasphème,
corsetée et cornaquée par un clergé
médiatique arrimé, notamment
financièrement, à l’Elysée comme jadis
l’autel au trône, réduite à des débats sur
la personne présidentielle qui devraient
être périmés depuis la publication de
L’Esprit des Lois par Montesquieu ;
une culture parlementaire inexistante ;
une pratique croissante de la répression
contre les mouvements sociaux, eux-

99
mêmes de plus en plus vindicatifs
à mesure que le bon sens politique
populaire perçoit que quelque chose ne
va pas dans ce pays.

Or, à quoi nous prépare ce nouvel


Ancien Régime, si ce n’est à une
nouvelle Révolution ?

100
RÉFORME
OU
RÉVOLUTION ?

Emmanuel Macron n’est pas le


responsable de cette évolution de
notre pays. Sa présidence n’est que
l’aboutissement d’un long processus,
résultant d’un hasard historique dont
nous avons exposé les ressorts dans notre
deuxième chapitre. Mais il est un tel
produit de ce système, il en représente
tellement la quintessence, qu’il semble
illusoire d’attendre de lui un quelconque
changement – sauf prise de conscience
exceptionnelle.

Il est donc fort probable que le système

103
n’ait pas de capacité de réforme interne.
Néanmoins, confrontés à l’alternative,
qui est une révolution violente, avec le
cortège de malheurs qu’elle entraînerait
certainement, nous nous devons de
réfléchir à un moyen de parvenir à une
mutation pacifique du régime.

Réaffirmons d’abord un point


fondamental, que nous avons démontré
plus haut : une démocratie fonctionnelle,
pour un pays de la taille de la France,
doit nécessairement présenter un petit
nombre de caractéristiques précisément
définies, et seulement celles-ci.

En effet, dans les débats que j’ai pu


avoir dans le cadre de la réflexion ayant
précédé la rédaction de ce petit opuscule,
nombre de mes interlocuteurs m’ont
suggéré des réformes constitutionnelles

104
dans un sens ou dans l’autre, allant de la
réforme du droit de vote à l’instauration
de certaines obligations de parcours
professionnel avant de pouvoir briguer
la fonction présidentielle.

Or, tout ceci est hors sujet : il ne s’agit


pas d’essayer de réinventer l’eau chaude,
ou d’imaginer le régime parfait, car
nous savons combien de soubresauts
politiques et de désillusions, voire de
catastrophes, cette quête de la perfection
a pu engendrer dans l’Histoire.

Notre objectif doit être plus humble, tout


en étant parfaitement noble : instaurer
une démocratie aussi fonctionnelle chez
nous qu’elle l’est chez nos voisins, en
particulier ceux qui nous sont le plus
comparables. Pour cela, il faut et suffit
d’imiter ce qui est commun à tous ces

105
pays, et que nous avons détaillé plus
haut : deux chambres, haute et basse,
élues l’une au suffrage direct, l’autre
au suffrage indirect ; un chef de l’État
élu au suffrage indirect, distinct du
chef du gouvernement, sans pouvoir
exécutif ; un gouvernement issu du
parlement et responsable devant lui. Tel
est l’équilibre démocratique fonctionnel
empiriquement éprouvé.

Au-delà, il y a tout un spectre des modèles


précis à choisir et sur lesquels le choix
est ouvert : voulons-nous un système
bipartite à l’anglaise ? dans ce cas il faut
élire les députés au scrutin uninominal
à un tour. Voulons-vous un système
permettant une multiplicité des partis, à
l’italienne ?

Dans ce cas le scrutin proportionnel

106
intégral est préférable. Un choix mixte
est également possible. Tout ceci est
secondaire : l’essentiel est dans la
restauration du pouvoir du parlement et
la fin de la présidence plébiscitaire.

D’aucuns ont récemment suggéré une


division par deux de la durée de mandat
des parlementaires français, ou à tout
le moins des députés, afin d’amener la
création d’élections de mi-mandat, sur
le modèle américain, pour compenser
la légitimité moindre du Parlement
par rapport au Président.

Cette solution me semble mauvaise


pour deux raisons : d’abord, cela ne
correspond à rien de ce que l’on trouve
chez nos voisins, ce qui doit nous faire
présumer qu’il ne s’agirait que d’un
énième bricolage aux effets incertains.

107
Ensuite, il est vraisemblable que cela
ne ferait qu’alterner périodes de
cohabitation, dont on a vu qu’elles
n’ont pas empêché la dérive autoritaire
du régime, et périodes de pure
monarchie républicaine. Il s’agit donc
manifestement d’une fausse bonne idée.

Là est tout le problème : la seule façon


de permettre le retour d’une vraie
démocratie en France serait d’attaquer
la racine du problème en mettant fin à
l’élection au suffrage universel direct
du Président de la République.

Mais la faisabilité de cette réforme


est très douteuse, car comment faire
voter au peuple français l’abolition
de l’élection du Président au suffrage
universel direct ?
Nous devons bien nous douter que,

108
compte tenu des pages que nous avons
dû rédiger pour démontrer cette vérité
assez contre-intuitive que l’élection du
Président au suffrage universel direct est
profondément anti-démocratique, et
compte tenu de ce que, dans l’état actuel
de la Cinquième République, l’élection
présidentielle apparaît comme le seul
véritable moment de démocratie dans
la vie du régime, proposer une telle
réforme serait voué à l’échec, en tout
cas sous la forme d’un referendum.

Je ne parierai donc pas sur la faisabilité,


en douceur, d’une telle modification
: il y faudrait vraisemblablement une
sorte de coup d’État parlementaire,
comme le problème naquit d’un coup
d’État présidentiel. Il pourrait prendre
la forme suivante : le Parlement peut,
seul, proposer une modification

109
constitutionnelle, comme l’y autorise
l’article 89 de la constitution.

Cependant, le même article donne au


Président le choix du mode d’adoption,
par referendum ou par vote du Congrès,
qui ne peut se saisir lui-même du vote.

Un coup d’État parlementaire


consisterait donc à ce que les deux
chambres, après avoir voté le projet de
réforme, se réunissent d’elles-mêmes
en Congrès et votent la modification
constitutionnelle.

Ce ne serait pas parfaitement légal au


regard de la constitution, mais pas moins
que la manœuvre gaullienne en 1962. Ce
serait une sorte de réédition du Serment
du jeu de paume du 20 juin 1789.
La question est de savoir si une telle

110
manœuvre bénéficierait du même soutien
populaire que celle de De Gaulle, sans
quoi elle aboutirait à un écrasement
définitif du Parlement.

Peut-être alors, dans un premier temps,


l’effort ne devrait-il pas porter sur la
fin de l’élection au suffrage universel
direct du Président de la République,
qui pourrait être vécue comme une
régression démocratique, mais sur
une neutralisation de la fonction
présidentielle, par des réformes plus
techniques et ayant au contraire
l’apparence d’un progrès démocratique.

Ce coup d’État parlementaire aurait


ainsi beaucoup plus de chances de
fonctionner si, au lieu de la fin de
l’élection du Président au suffrage
universel direct, la réforme proposée

111
consistait à enfermer la Présidence
dans une cage constitutionnelle qui
la mettrait dans la situation des chefs
d’État chez nos voisins : interdiction
de présider le Conseil des ministres,
fonction transférée au Premier ministre
; transfert du droit de dissolution au
Premier ministre (éventuellement
conditionné par un avis conforme
du Sénat) ; transfert de la capacité
referendaire au Premier ministre (ou du
moins son initiative).

Bien sûr, cette manœuvre théorique


ne peut réussir que dans certaines
circonstances pratiques : la confrontation
d’un Président de la République à une
représentation nationale hostile ayant un
intérêt direct et une motivation suffisante
à sa neutralisation, c’est-à-dire une
cohabitation avec un fort antagonisme,

112
et une puissante légitimité électorale du
Parlement, qui lui permettrait d’acculer
le Président comme jadis Mac Mahon.

À l’heure où j’écris ces lignes, nous


sommes en avril 2022, entre les deux
tours de l’élection présidentielle. Un
tel scénario est improbable, mais pas
impossible. Sa probabilité pourrait être
accrue, aux prochaines législatives, par
une introduction de la proportionnelle,
mais celle-ci devrait sans doute être
adoptée dans une version étendue, sinon
intégrale, pour être significative.

Un autre scénario envisageable serait une


prise de conscience du Parlement réuni
en Congrès à l’occasion d’une réunion
décidée par le Président en fonction pour
un sujet quelconque, chose relativement
fréquente dans l’histoire de la Cinquième

113
– par exemple pour tenter à nouveau une
réforme du Sénat.

Le temps presse, car l’accumulation des


crises politiques, des révoltes populaires,
leur accroissement continu en fréquence
comme en véhémence, annoncent
la montée progressive vers une crise
révolutionnaire violente.

Car c’est ainsi que les régimes autoritaires


finissent, lorsqu’ils ne savent pas se
réformer.

114
Bibliographie

1. Jean-François Revel, L’absolutisme


inefficace, 1993.
2. https://www.ouest-france.fr/
elections/legislatives/legislatives-
la-nouvelle-assemblee-en-cinq-
chiffres-5074625
3. https://www.senat.fr/rap/r03-406/
r03-4064.html
4. https://www.lemonde.fr/idees/
article/2007/10/26/la-boite-a-outils-du-
traite-de-lisbonne-par-valery-giscard-d-
estaing_971616_3232.html
5. Voir la carte établie par le Sénat :
https://www.publicsenat.fr/article/
politique/reforme-institutionnelle-la-
moitie-des-departements-n-aurait-plus-
qu-un-seul

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