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LAVe RÉPUBLIQUE
CONTRE
LA DÉMOCRATIE
PHILIPPE FABRY
© Philippe Fabry, Toulouse, 2022
Troisième édition.
L’auteur :
www.historionomie.net
philippefabry1001@gmail.com
Réalisation couverture :
lucas_pommier@hotmail.fr
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
p.1
L’importance de l’habitus
dans la pratique constitutionnelle
p.39
Réforme ou révolution ?
p.103
En 1974, Maurice Duverger publiait
La Monarchie républicaine, ou comment
les démocraties se donnent des rois. Par
cette expression, le constitutionnaliste
désignait le régime mis en place depuis
1962, avec l’élection du chef de l’État
au suffrage universel et ses conséquences
sur la stabilisation des majorités
parlementaires et leur discipline face
au gouvernement. Duverger pensait
que cette évolution des institutions
permettrait une modernisation de la
démocratie française, et allait dans
le même sens que le renforcement
du pouvoir exécutif par rapport aux
assemblées parlementaires observable,
selon lui, dans le monde démocratique.
1
Près de cinquante ans plus tard, l’heure
du bilan est venue : la monarchie
républicaine a-t-elle tenu les promesses
qu’y voyait Duverger ? Son exemple s’est-
il étendu dans le monde démocratique ?
Aucunement.
2
En 2017, après plusieurs alternances
politiques stériles, une vague dégagiste a
hissé Emmanuel Macron au pouvoir et
réduit à la portion congrue les deux partis
historiques de gouvernement depuis
quarante ans, le Parti socialiste et Les
Républicains, au profit de sa formation «
En Marche ! ». Cependant cette solution
de populisme modéré, qui semblait
renverser le jeu habituel sans pour autant
menacer l’équilibre politique du pays,
aboutit à une éruption sociale nationale
avec la révolte des Gilets Jaunes, version
démultipliée des Bonnets Rouges de
2013-2014, qui ne fut étouffée que par
une dure répression associée à la survenue
d’une crise sanitaire, avant de ressurgir,
impliquant grosso modo les mêmes
protagonistes, dans les mouvements
« anti-passe » hostiles aux mesures
sanitaires du gouvernement.
3
Entretemps, Jean Castex avait été nommé
Premier Ministre, le premier, et seul
autre, chef de gouvernement de la Ve
République à n’être pas un parlementaire
depuis Dominique de Villepin, lequel
avait au moins exercé des fonctions
gouvernementales avant d’être nommé
à ce poste. Ce n’est pas un hasard si les
crises sociales et politiques se multiplient,
chaque nouvelle occurrence étant plus
virulente et plus longue que la précédente,
l’amplification paraissant nous mener
à une crise finale, aboutissant à la chute
de la Cinquième République : il y a un
lien direct entre la perte chronique de
légitimité populaire des gouvernements
français et les institutions-mêmes de
la France. Mais cette question n’est
pratiquement pas abordée, ou mal, par
les responsables politiques, ni par les
commentateurs.
4
Il n’y a pas de débat sur le régime, et cela
en dépit de l’instinct populaire qui a exigé
le Referendum d’Initiative Citoyenne
au moment des Gilets Jaunes, et crié à la
dictature au moment de l’instauration
du passe sanitaire. Les commentateurs se
sont principalement accordés sur l’aspect
populiste de ces accusations et le caractère
déstabilisant d’une capacité référendaire
étendue.
5
notre régime : sa constitution est celle
d’un régime autoritaire, une monarchie
républicaine qui tend à devenir de plus
en plus absolue, et que guette une nou-
velle Révolution.
6
UNE CONSTITUTION
DE
RÉGIME AUTORITAIRE
9
Et les autres différeraient entre elles dans
la même mesure, le tout formant un
large spectre des possibles dans le genre
« démocratie », ce régime éclairé de
l’Occident moderne.
10
sous-questions qu’il implique : qu’est-ce
qu’une décision collective ? la volonté gé-
nérale existe-t-elle ? etc., tous sujets qui
agitent la philosophie politique depuis
des siècles et sur lesquels nous ne pouvons
prétendre apporter ici de réponse, d’au-
tant que le débat sur cette question fait
sans doute lui-même partie intégrante de
la vie démocratique. Contentons-nous
de constater ce qui est couramment pra-
tiqué, au plan institutionnel, dans les
pays que l’on classe, d’évidence, comme
« démocraties » lorsque l’on considère
les régimes des différents pays depuis le
XIXe siècle. Si nous observons nos voisins
européens, nous constatons des principes
constitutionnels et institutionnels univer-
sellement appliqués dans toute l’Europe
occidentale, et qui ont essaimé bien au-de-
là de celle-ci.
11
Ces principes sont les suivants :
12
de la Nation, au-delà des querelles parti-
sanes, certes légitimes, mais dont les ac-
teurs ne peuvent, par nature, prétendre
représenter l’ensemble du corps politique.
13
Le gouvernement est en outre responsable
devant le parlement, c’est-à-dire qu’il
tombe dès qu’il est mis en minorité. C’est
ainsi que s’articulent le pouvoir législatif
du Parlement et le pouvoir exécutif du
gouvernement.
14
direct, l’autre principalement soit par
suffrage indirect (sénateurs français,
italiens…), soit par nomination du chef
de l’État (lords britanniques, sénateurs
à vie italiens…). Le mode d’élection
entraîne une continuité et une stabilité
plus importante à la chambre haute qu’à
la chambre basse, ce qui correspond aussi
généralement à un pouvoir décisionnel
inférieur, de sorte que les chambres haute
et basse sont dans un rapport similaire,
quoique moins tranché, que celui
existant entre le chef de l’État et le chef
du gouvernement : la chambre basse est
celle de la réactivité, du débat politique le
plus passionné et le plus théâtral, au plus
près des préoccupations ponctuelles de
l’opinion publique ; la chambre haute est
celle du temps plus long, de la réflexion,
des mouvements de fond de la mentalité
nationale.
15
Telles sont les institutions, et les équilibres
institutionnels, observables dans toutes
les démocraties fonctionnelles d’Europe,
spécifiquement les voisins directs de la
France : Royaume-Uni, Espagne, Italie,
Belgique, Allemagne, ou encore au
Canada, en Australie, au Japon, en Israël
(dans les pays scandinaves, comme en
Nouvelle-Zélande, l’évolution récente
est au monocaméralisme, c’est-à-dire
l’absence de chambre haute, mais cela
est compréhensible dans des pays où
la population est réduite et la diversité
culturelle et géographique faible). Les
mêmes caractéristiques étaient également
visibles, en France, sous la Troisième et
sous la Quatrième Républiques.
16
En effet, depuis la réforme de 1962 –
mais en pratique depuis 1958, car comme
le remarquait Jean-François Revel, le
suffrage universel direct avait déjà porté
De Gaulle au pouvoir – le Président de
la République est élu au suffrage univer-
sel direct, et il est élu sur un programme.
Il n’est donc pas seulement une autori-
té garante des institutions, il est aussi le
détenteur suprême du pouvoir exécutif.
Un pouvoir exécutif auquel le Parlement
ne sert que de légitimation, par des élec-
tions législatives qui, depuis l’adoption
du quinquennat, suivent de quelques se-
maines seulement les présidentielles. Se-
lon l’expression journalistique consacrée,
on donne alors « une majorité pour gou-
verner » au Président, qui nomme alors
un premier ministre dont la fonction est
tout à fait différente de celle de chef de
gouvernement chez nos voisins.
17
L’apparente disparition de la possibilité
de cohabitation, depuis 2002, a achevé de
faire tomber notre constitution du côté
où elle penchait.
18
puisque rien ne peut faire tomber le Pré-
sident avant le terme de son mandat. Ain-
si que le dénonçait également Jean-Fran-
çois Revel, le Président est irresponsable1.
Cette irresponsabilité présidentielle a un
effet institutionnel au-delà de sa seule per-
sonne, puisqu’en pratique cela anéantit la
responsabilité de principe, prévue par la
constitution, du gouvernement devant le
parlement.
19
Le gouvernement ne démissionna
pas, puisque De Gaulle usa de son
pouvoir de dissolution, et après la
victoire électorale, le gouvernement fut
reconduit, pratiquement à l’identique.
20
: le Président de la République fait
concurrence à l’Assemblée nationale au
plan de la légitimité tirée du suffrage
universel direct, chose inexistante
chez nos voisins, et absente du modèle
universel de la démocratie parlementaire.
21
L’élection du Président de la République
au suffrage universel est une monstruosité
au sens littéral du terme, c’est-à-
dire une conformation anormale aux
conséquences aberrantes. D’abord, sur
le plan de la légitimité : en première
approche, il pourrait sembler que cela
place le Président sur le même rang de
légitimité que l’Assemblée nationale,
mais il n’en est rien, car une Assemblée
constituée d’une multitude de députés,
chacun élu localement au suffrage
universel, a nécessairement une légitimité
démocratique moindre que l’homme qui
a réussi à réunir les suffrages sur son seul
nom, cela même en prenant l’assemblée
dans son ensemble.
22
stricte des pouvoirs, les élections des
membres du Congrès sont deux fois plus
fréquentes que celle du Président, afin de
rééquilibrer la différence de légitimité
démocratique.
23
Ensuite, ce mode d’élection renforce la
mécanique juridique, décrite précédem-
ment, qui fait du Président le vrai chef
du gouvernement, en doublant de cette
légitimité supérieure l’irresponsabilité
présidentielle et l’arme de la dissolution
qu’il peut pointer sur l’Assemblée.
24
Bien sûr, il peut y avoir des désaccords
ou une « grogne » parlementaire contre
l’Elysée, mais ce genre de rapports
parfois conflictuels ne caractérise pas
une séparation des pouvoirs.
25
Le régime français a donc, dans son
catalogue, tous les organes classiques
des démocraties européennes, mais ces
organes sont alimentés et connectés de
façon radicalement différente, de sorte
que là où chez nos voisins, ou dans nos
républiques précédentes, il s’instaure
entre eux un équilibre savamment
déterminé par des siècles d’expérience, la
Cinquième République peut se résumer
à un régime autoritaire dans lequel une
élection intervient tous les cinq ans.
26
l’Empire allemand qu’à la Troisième Ré-
publique. S’il ne fait aucun doute pour le
lecteur que l’Empire allemand n’était pas
une démocratie, alors l’illusion de la dé-
mocratie en France doit immédiatement
se dissiper chez lui.
27
Tout ceci est prodigieusement important.
Contrairement à ce que l’on croit sou-
vent, il n’y a pas une infinité de solutions
possibles pour la mise en place d’une dé-
mocratie. De plus, il n’y a pas, au moment
de s’interroger sur la forme à donner à une
constitution pour que le produit en soit
un régime démocratique, à débattre sur
les points fondamentaux que nous avons
décrits : ils sont universellement présents
dans les démocraties européennes, et
constituent un équilibre institutionnel
empiriquement éprouvé. Toute théorie
constitutionnelle le remettant en ques-
tion doit être regardée comme suspecte.
28
est également chef du gouvernement,
et du caractère pour autant tout à fait
démocratique de ce système. Il faut
donc dire quelques mots sur ce point.
Pour commencer, même si cela est
probablement l’argument le plus faible, il
faut remarquer que, s’agissant d’un pays
européen : la France, il est préférable de
raisonner dans un référentiel culturel
plus proche que l’échelle mondiale, et
dans cette perspective la comparaison
avec les standards européens paraît plus
pertinente.
29
issues de l’Empire britannique dont les
institutions ont été décalquées. Beaucoup
plus convaincants sont les arguments
techniques : la Présidence américaine
n’est pas comparable à la Présidence de la
République française, car elles diffèrent
sur tous les points critiques.
30
Il est, depuis, fortement contesté, et c’est
un débat qui va probablement s’ampli-
fier dans les années à venir, en raison de
la tension que fait naître la confusion des
fonctions de chef de l’État et de chef du
gouvernement : ainsi que nous l’avons
déjà noté, le chef de l’État doit pouvoir
représenter toute la nation, cependant
que le chef de gouvernement doit tran-
cher des débats politiques de manière
partisane.
31
de le devenir de plus en plus à mesure
que s’accroîtra le fossé démographique
entre l’Amérique côtière et l’Amérique
continentale.
32
Roosevelt, et par la montée en puissance
de théories constitutionnelles favorables
au pouvoir présidentiel, telle la théorie
de l’exécutif unitaire à laquelle la Cour
Suprême est de plus en plus favorable.
33
De sorte que le législatif, à l’abri de
la puissance présidentielle, en est
indépendant, et que le gouvernement
est contraint de travailler et de débattre
avec le parlement pour obtenir le vote des
mesures législatives qu’il souhaite.
34
Enfin, il faut mentionner un argument
historico-empirique qui tend à discrédi-
ter le modèle du régime dit « présiden-
tiel » de séparation stricte des pouvoirs
: si l’on fait la liste des pays régis par
un régime présidentiel d’un côté, et de
ceux régis par un gouvernement parle-
mentaire de l’autre (républicain ou sous
forme de monarchie constitutionnelle),
l’on constate que ceux de la seconde ca-
tégorie sont généralement des démocra-
ties fonctionnelles sur de longues durées,
tandis que le caractère démocratique du
régime présidentiel américain en fait
plutôt une exception dans son genre.
35
constater que l’examen de sa structure
n’offre aucun argument en défense des
choix constitutionnels français.
36
appellation pour constater que ce ne
sont pas des systèmes démocratiques :
la Russie, l’Algérie, l’Egypte, la Syrie
entrent dans cette catégorie, et force
est de constater que ces régimes sont
en réalité « hyperprésidentiels », la
présidence écrasant tous les autres
organes de pouvoir.
37
L’IMPORTANCE
DE L’HABITUS
DANS LA PRATIQUE
CONSTITUTIONNELLE
39
Or, après tout ce que nous avons dit
sur l’importance des structures institu-
tionnelles, il faut souligner que l’effet
exact de celles-ci dépend de la culture
politique des individus qu’elles régissent.
Autrement dit, les mêmes institutions
ne produisent pas le même résultat selon
les habitudes, les coutumes, les moeurs
du corps politique. Ainsi, le jeu normal
des institutions peut être contrarié par
les mentalités dominantes, ce que l’on
a pu observer dans de nombreux pays,
notamment dans l’ancien espace colo-
nial européen, qui ont adopté des règles
constitutionnelles similaires à celles en
vigueur dans l’ancienne métropole, sans
jamais devenir des démocraties fonction-
nelles. Par ailleurs, les moeurs politiques
d’une société et ses institutions forment
une boucle de rétroaction, elles s’in-
fluencent mutuellement, par conséquent
40
elles peuvent se renforcer lorsqu’elles
coïncident – par exemple si des insti-
tutions démocratiques sont associées à
une culture démocratique bien installée.
Inversement, lorsqu’elles sont contradic-
toires, l’évolution penchera plutôt d’un
côté ou de l’autre, selon la mécanique
suivante : si les institutions sont contra-
dictoires dans leurs effets profond avec
la valeur suprême de la culture ambiante,
mais qu’elles sont dans leurs apparences,
et prises séparément, en accord avec cette
valeur, elles pourront se maintenir, et
insidieusement modifieront la culture
politique dans leur sens ; inversement, si
les institutions sont radicalement oppo-
sées aux valeurs de la culture ambiante,
celle-ci leur imposera rapidement une
inflexion dans son propre sens.
41
Ces derniers propos peuvent paraître
très théoriques et abstraits, que l’on
me permette donc de les illustrer par
l’exemple des évolutions divergentes de la
Troisième et la Cinquième républiques,
parties d’une situation institutionnelle
initiale identique, mais ayant abouti à des
régimes complètement différents : régime
démocratique pour la première, régime
autoritaire pour la seconde.
42
En effet, si l’on suit la lettre des lois
constitutionnelles de 1875 et la
constitution de 1958, nous voyons se
dessiner, dans les deux cas, le modèle
suivant. D’abord un parlement divisé
en deux chambres : une chambre haute,
le Sénat, élu au suffrage indirect, et une
chambre basse, nommée Chambre des
députés en 1875 et Assemblée nationale
en 1958 (ce nom, sous la Troisième
République, désignait la réunion de
la Chambre des députés et du Sénat,
aujourd’hui appelée Parlement).
43
devant les chambres qu’en cas de haute
trahison. Il peut aussi dissoudre la
chambre basse (droit plus limité sous
la Troisième que sous la Cinquième, le
président ayant besoin de l’avis conforme
– c’est-à-dire l’autorisation - du Sénat).
44
Ajoutons que les actes de gouvernement
du Président, sous la Troisième, devaient
être contresignés par un ministre. Sous la
Cinquième, le Président de la République
n’a le pouvoir réglementaire qu’en ma-
tière de décrets délibérés en Conseil des
ministres, ce qui revient peu ou prou au
même.
45
sième qui est restée dans les mémoires
comme un régime parlementaire, où la
Chambre des députés faisait et défaisait
les gouvernements, plusieurs fois par lé-
gislature, et où le président se conten-
tait d’inaugurer les chrysanthèmes.
Remémorons-nous le contexte de
naissance de la Troisième République :
durant la deuxième moitié du Second
Empire, phase du régime de Napoléon
III que l’on qualifie généralement d’ «
Empire libéral », le parlementarisme
46
commençait à se développer en France,
concomitamment au rapprochement
avec l’Angleterre par l’Entente cordiale et
le traité de commerce franco-britannique
(1860) ; il est vraisemblable que si la
catastrophe de 1870 n’avait pas provoqué
la chute de Napoléon III, le régime
impérial aurait évolué vers une monarchie
constitutionnelle à l’anglaise – donc un
régime parlementaire.
47
monarchie, les républicains trop faibles
pour imposer le régime d’assemblée
dont ils rêvaient - autant dire que
sauf à replonger dans la guerre civile,
il allait falloir faire des compromis.
48
restauration de la monarchie, les autres avant
l’instauration d’un vrai régime d’assemblée.
Un gouvernement républicain ne
pouvant être présidé par un monarchiste,
qui refusait de voir sa signature soumise
au contreseing de républicains, et un
gouvernement républicain ne pouvant
accepter de renoncer à sa politique en
raison d’un Président monarchiste, le
gouvernement se donna un Président du
Conseil, résolument absent des textes, en
la personne de Jules Simon.
49
Au terme d’une crise dont il est inutile
de rappeler le détail, Mac Mahon décida
de dissoudre la Chambre des députés,
avec l’aval du Sénat, qui demeurait
monarchiste.
50
été élu par une Chambre des représen-
tants et un Sénat monarchiste, et les deux
chambres étaient désormais républicaines
; en outre, il savait que le basculement
républicain du Sénat signifiait la perte de
son pouvoir présidentiel de dissolution,
puisqu’un Sénat républicain ne rendrait
jamais d’avis conforme autorisant la dis-
solution d’une Chambre républicaine.
Ce premier acte voyait donc la défaite
de la Présidence de la République dans
le conflit de légitimité l’opposant à la re-
présentation nationale. Peu après vint le
deuxième acte : Jules Grévy, républicain,
fut élu à la Présidence de la République et
succéda à Mac Mahon. Il annonça aussi-
tôt qu’il renonçait, par avance, à son droit
de dissolution ; il décidait, par ailleurs, de
ne pas présider le Conseil des ministres,
laissant cela à un Président du Conseil.
Jules Grévy mit ainsi ses convictions
51
républicaines en pratique, ce qui boule-
versa l’équilibre du régime.
52
tour démissionner. Ainsi donc la
Troisième République, telle qu’on en
garde le souvenir, s’est-elle largement
auto-constituée, comme régime, praeter
et contra legem, dans le silence ou
contre l’esprit des lois constitutionnelles
: la principale fonction exécutive en
pratique, le Président du Conseil, était
rigoureusement absente de la loi, et le
droit de dissolution, légalement consacré,
devint en pratique interdit. C’était
donc un régime au fonctionnement
essentiellement coutumier, ce qui fait
les régimes les plus solides - rappelons-
nous que le Royaume-Uni n’a pas de
constitution écrite, depuis près de trois
siècles et demi que perdure son régime.
53
Troisième, lorsque le Président de la
République avait un rôle très voisin de
celui des souverains britanniques.
54
sur une durée plus longue que nos
mandatures actuelles (par exemple le
ministère d’Adolphe Cochery aux Postes
et Télégraphes, qui dura six années sous
huit gouvernements différents).
55
y voyait une perpétuation des vices
attribués à la Troisième République
: instabilité gouvernementale et
impotence. Charles de Gaulle
manœuvra en 1958 pour arriver au
pouvoir en jouant sur la menace
putschiste en Algérie, ses soutiens
approchant à la fois les généraux en
Algérie et le gouvernement légitime
pour le présenter comme une solution
; une fois rappelé au pouvoir, il réussit
à imposer la réforme constitutionnelle
qu’il avait toujours voulue depuis 1946,
et à la faire voter par referendum, sans
recourir à une assemblée constituante,
comme cela avait été fait en 1946, et
comme il est d’usage pour rédiger une
nouvelle constitution.
56
dans la constitution de 1946. Charles de
Gaulle ne sauva donc pas la République
d’un coup d’État des généraux, mais
substitua son propre coup d’État à celui
des généraux.
57
la République n’était pas au suffrage di-
rect mais indirect, ce qui conservait au
Parlement une puissance importante et
aurait pu lui permettre de ramener le
régime sur la voie du parlementarisme,
comme dans les débuts de la Troisième
République.
58
suffrage universel direct, car il savait que
le Congrès ne voterait jamais une telle
réforme. Or, la constitution de la Cin-
quième République ne permettait pas
au Président de soumettre une révision
constitutionnelle à referendum sans au-
torisation préalable des deux chambres. Il
s’agissait donc d’une violation manifeste
de la constitution.
59
d’un nouveau gouvernement. Mais De
Gaulle décida de dissoudre l’Assemblée
nationale, et la coalition gaulliste rem-
porta largement le scrutin, obtenant ainsi
une forme de validation de la violation
constitutionnelle, renforcée ensuite par la
victoire au referendum.
60
régime : la Présidence de la République
remporta le conflit de légitimité
l’opposant à la représentation nationale,
et scella sa victoire avec la modification
permanente de son mode d’élection.
61
arrivée au pouvoir un renoncement au
droit de dissolution et le refus de présider
le Conseil des ministres. Comme
chacun sait, il n’en fit rien, et permit
à l’interprétation hyperprésidentielle
de la constitution de la Cinquième
République, telle que nous l’avons
décrite plus haut, de s’enraciner.
Au contraire, François Mitterrand
favorisa la dérive autoritaire de la
pratique constitutionnelle en France,
en continuant de présider le Conseil
des ministres lorsque se présenta
pour la première fois la situation de
cohabitation en 1986, puis en décidant
la dissolution de l’Assemblée juste après
sa réélection en 1988, afin d’obtenir
une majorité conforme.
62
juste avant les élections législatives, sur
le modèle de 1988, ont achevé de faire
basculer le régime de la Cinquième
République du côté où il penchait depuis
1962 : la Présidence absolue de droit
plébiscitaire.
63
historique de développement de
l’idée démocratique, laquelle a forcé
l’évolution d’une constitution portant
un pouvoir présidentiel fort héritier
de l’idée monarchique pour faire
apparaître, par coutume, un véritable
régime parlementaire.
64
accord avec cette valeur, elles pourront se
maintenir ; l’illustration en est donnée par
le cas de la Cinquième République dans
sa lecture de 1962, dont l’aboutissement
institutionnel, soit la Présidence absolue,
est radicalement contradictoire avec
l’idée démocratique, cependant que
son instauration a été, à chaque étape,
validée démocratiquement, par élections
et referendum, et que la cause principale
de sa dérive non-démocratique est
précisément dans l’élection du Président
au suffrage universel direct, qui paraît
parfaitement démocratique.
65
suffrage indirect, l’a emporté car le mode
d’élection est, en soi, plus conforme à
l’idée démocratique.
66
Bonaparte.
67
le parlementarisme, comme à partir de
1877, a évolué depuis 1962 vers un nouvel
Ancien Régime.
68
UN NOUVEL ANCIEN
RÉGIME
Revenons à la naissance de la
constitution de 1958 : lorsque Charles
de Gaulle reprit le pouvoir et instaura
la Cinquième République, la France
était l’héritière d’une tradition
parlementaire forte remontant à
1830, qui avait repris vigueur après
la parenthèse de l’Empire autoritaire
entre 1851 et 1862, et triomphé en
1877.
71
Cette culture était si vivace qu’après
les épreuves de la défaite de 1940, du
régime de Vichy et de l’Occupation, le
peuple français et ses élites décidèrent
de la restaurer dans ce que l’on a appelé
la Quatrième République, dont la
constitution, en définitive, reprenait et
codifiait essentiellement les institutions
que la pratique coutumière avait
installées sous la précédente.
72
que l’on ne saurait accepter de leur part.
73
puissance présidentielle déborder de
toutes parts, conduit les parlementaires
à intérioriser leur rôle de transcripteurs
fidèles de la volonté du Président-Soleil.
74
avec un recours devenu systématique
au Conseil de défense et de sécurité
nationale.
75
en comité restreint sur lesquelles le
Parlement ne dispose d’aucune forme
de contrôle.
76
Ainsi, la constitution de la Cinquième
République tend de plus en plus à
produire le régime autoritaire qu’elle
contient dans la façon dont elle
ordonne les institutions et distribue les
prérogatives, à mesure que la culture
démocratique s’effiloche et que la
culture plébiscitaire, autoritaire, se
renforce. Il faut bien comprendre cela
: durant les premières décennies de son
existence, la constitution de la Cinquième
République a été empêchée de produire
ses effets les plus néfastes par la résistance
qu’opposait la culture démocratique
française, raison pour laquelle nous
n’avons jamais cessé de croire que nous
vivions en démocratie. Car enfin, même
après la forfaiture de De Gaulle contre
les institutions de la Quatrième, puis
de celles de la Cinquième encore au
berceau, le régime a trouvé un semblant
77
de rythme de croisière, sans autre
violation flagrante de la constitution, et
avec des cohabitations intervenues sans
heurts.
78
1960, et De Gaulle lui-même, imprégnés
de cette culture démocratique, n’ont-ils
pas saisi cet effet culturel politique au
long cours, et ont-ils raisonné comme
si la culture démocratique alors acquise
subsisterait toujours, et forcerait
l’interprétation de la constitution dans
son sens.
79
structurellement similaire à la Russie
d’un Poutine.
80
Là où, chez tous nos voisins, le siège
du pouvoir politique demeure le
Parlement, chez nous c’est l’Elysée.
81
pourquoi le Président fait ce qu’il fait,
plutôt de que s’interroger sur la nécessité
ou la pertinence de faire cela, ou même
sur le fait de savoir si le Président a le droit
de faire ce qu’il fait.
82
cumulant tous.
83
ce qui témoigne, plus consternant
encore, que l’étiolement de la culture
démocratique et l’essor de la culture
autoritaire n’ont pas seulement frappé
les élites politiques, intellectuelles et
médiatiques du pays, mais également le
peuple : jadis, celui-ci aurait trouvé dans
son Parlement un relais de ses thèses et
de ses préoccupations, désormais il en
est réduit à demander la formation de
comités par le fait du prince.
84
qu’on a bien du mal à ne pas voir comme
une causalité.
85
à la pensée dominante, n’est pas un
hasard. Le fait que ces efforts aillent
continuellement dans le même sens que
ceux du gouvernement dans son combat
affiché contre les « fake news » non plus.
86
partie vraies, comme l’affaire McKinsey.
87
contre les contenus haineux sur internet
», ou « loi Avia », était si radicale que
même le Conseil constitutionnel a jugé
nécessaire de la réprouver.
88
politique est empêché comme nulle part
ailleurs par la nature des institutions.
La France est une intruse parmi les
démocraties d’Europe occidentale,
et dans le monde à la tradition
démocratique la plus anciennement
installée.
89
Traité de Lisbonne en 2007 – et cela,
de l’aveu du propre auteur du projet de
constitution, Valery Giscard d’Estaing4.
90
Gilets Jaunes est à chercher ailleurs,
dans le deuxième exemple d’effet
néfaste de la Cinquième République au
regard de ce qui aurait dû advenir dans
une démocratie fonctionnelle : l’échec
de la réforme constitutionnelle voulue
par Emmanuel Macron, qui concernait
notamment le Sénat dont le nombre de
membres devait être réduit, ce qui aurait
impliqué un abaissement important
de la représentation des territoires à la
chambre haute.
91
Or, ainsi que nous l’avons rappelé, la
principale raison d’être d’une chambre
haute est d’offrir une représentativité à
l’ensemble du territoire en pondérant
par la prise en compte de l’espace
géographique les déséquilibres
démographiques.
92
2018, a avorté et a été reportée, notamment
en raison de la fameuse « affaire Benalla
», mais cet échec n’a donné lieu à aucune
remise en cause du maintien au pouvoir
d’Emmanuel Macron, ni même fait tomber
le gouvernement, en pleine cohérence avec
l’irresponsabilité présidentielle.
93
des parlementaires, notamment en
divisant par trois le nombre de sénateurs
et diminuant par ailleurs les pouvoirs
du Sénat italien.
Conformément à la logique de la
démocratie parlementaire, il démissionna
en décembre 2016, laissant la place à un
autre gouvernement.
94
5 étoiles, qui constituèrent ensemble une
coalition populiste.
95
apaisée, démocratique, avec la démission
du chef du gouvernement ayant constaté
son échec, puis un retour aux urnes et
une arrivée des populistes au pouvoir
par ce biais, dans une coalition tenant
du mariage de la carpe et du lapin qui,
après un an, éclata et laissa la place à une
configuration plus classique, sans qu’à
aucun moment le pays ne sombre dans le
chaos.
96
des Gilets Jaunes, la seule qui semble
avoir fait véritablement consensus
parmi ces révoltés aux doléances
fort diverses ? Le R.I.C, référendum
d’initiative citoyenne, c’est-à-dire
le constat d’un manque criant de
démocratie. Certes, la démocratie n’est
pas le remède à tous les maux, mais son
œuvre cardinale, l’apaisement social,
nécessite que certaines idées radicales
puissent non seulement s’exprimer
par le vote, mais également parvenir
jusqu’au pouvoir.
97
verrouillage institutionnel conduit à des
crises sociales de plus en plus fréquentes,
de plus en plus dures, et de plus en plus
longues, par la marginalisation politique
totale d’une partie beaucoup trop
importante de la population.
98
Au total, donc, il faut bien constater
que l’application, durant les soixante
dernières années, de la constitution
de la Cinquième République a
provoqué l’étiolement de notre culture
démocratique, et son remplacement
par une culture politique de régime
autoritaire, faisant renaître toutes les
tares de l’Ancien Régime : une pensée
publique limitée par l’autocensure
par crainte des délits de blasphème,
corsetée et cornaquée par un clergé
médiatique arrimé, notamment
financièrement, à l’Elysée comme jadis
l’autel au trône, réduite à des débats sur
la personne présidentielle qui devraient
être périmés depuis la publication de
L’Esprit des Lois par Montesquieu ;
une culture parlementaire inexistante ;
une pratique croissante de la répression
contre les mouvements sociaux, eux-
99
mêmes de plus en plus vindicatifs
à mesure que le bon sens politique
populaire perçoit que quelque chose ne
va pas dans ce pays.
100
RÉFORME
OU
RÉVOLUTION ?
103
n’ait pas de capacité de réforme interne.
Néanmoins, confrontés à l’alternative,
qui est une révolution violente, avec le
cortège de malheurs qu’elle entraînerait
certainement, nous nous devons de
réfléchir à un moyen de parvenir à une
mutation pacifique du régime.
104
dans un sens ou dans l’autre, allant de la
réforme du droit de vote à l’instauration
de certaines obligations de parcours
professionnel avant de pouvoir briguer
la fonction présidentielle.
105
pays, et que nous avons détaillé plus
haut : deux chambres, haute et basse,
élues l’une au suffrage direct, l’autre
au suffrage indirect ; un chef de l’État
élu au suffrage indirect, distinct du
chef du gouvernement, sans pouvoir
exécutif ; un gouvernement issu du
parlement et responsable devant lui. Tel
est l’équilibre démocratique fonctionnel
empiriquement éprouvé.
106
intégral est préférable. Un choix mixte
est également possible. Tout ceci est
secondaire : l’essentiel est dans la
restauration du pouvoir du parlement et
la fin de la présidence plébiscitaire.
107
Ensuite, il est vraisemblable que cela
ne ferait qu’alterner périodes de
cohabitation, dont on a vu qu’elles
n’ont pas empêché la dérive autoritaire
du régime, et périodes de pure
monarchie républicaine. Il s’agit donc
manifestement d’une fausse bonne idée.
108
compte tenu des pages que nous avons
dû rédiger pour démontrer cette vérité
assez contre-intuitive que l’élection du
Président au suffrage universel direct est
profondément anti-démocratique, et
compte tenu de ce que, dans l’état actuel
de la Cinquième République, l’élection
présidentielle apparaît comme le seul
véritable moment de démocratie dans
la vie du régime, proposer une telle
réforme serait voué à l’échec, en tout
cas sous la forme d’un referendum.
109
constitutionnelle, comme l’y autorise
l’article 89 de la constitution.
110
manœuvre bénéficierait du même soutien
populaire que celle de De Gaulle, sans
quoi elle aboutirait à un écrasement
définitif du Parlement.
111
consistait à enfermer la Présidence
dans une cage constitutionnelle qui
la mettrait dans la situation des chefs
d’État chez nos voisins : interdiction
de présider le Conseil des ministres,
fonction transférée au Premier ministre
; transfert du droit de dissolution au
Premier ministre (éventuellement
conditionné par un avis conforme
du Sénat) ; transfert de la capacité
referendaire au Premier ministre (ou du
moins son initiative).
112
et une puissante légitimité électorale du
Parlement, qui lui permettrait d’acculer
le Président comme jadis Mac Mahon.
113
– par exemple pour tenter à nouveau une
réforme du Sénat.
114
Bibliographie