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1- Au matin, le jeune homme [Perceval] se leva, bien résolu à porter secours à la jeune fille

désemparée qui avait demandé son aide :


— Belle amie, lui dit-il, je ne quitterai pas ces lieux sans y avoir ramené la paix. Je vais aller
trouver là-dehors votre ennemi et le défier en combat singulier. Mais si je l’emporte sur lui, je
5- vous demande de m’accorder votre amour en récompense : je ne souhaite pas d’autre salaire.
— Seigneur, il serait mesquin de ma part de vous le refuser. […]
La jeune fille était affligée de le voir courir un tel danger. Toutes et tous, dans le château, le
supplièrent de ne pas aller affronter un homme que nul n’avait vaincu jusque-là. Mais le garçon
demanda qu’on lui apporte ses armes et qu’on lui ouvre la porte. […]
10- Ils l’accompagnèrent ainsi en pleurant jusqu’à la porte de la ville. Quand ceux de l’armée
ennemie le virent, ils le montrèrent à leur chef, qui était assis dans sa tente. […]
— Jeune homme, qui t’envoie ici ?
— Et toi, que fais-tu sur cette terre ? Pourquoi as-tu tué tous ces chevaliers et dévasté le
pays ?
15- L’autre répondit, plein d’orgueil et d’arrogance :
— Qu’on vide le château aujourd’hui même, et que la demoiselle me soit livrée ! Voilà ma
volonté !
— Maudit sois-tu ! Tu vas changer de discours !
Le jeune homme en eut alors assez et mit sa lance en position. Les adversaires s’élancèrent au
20- galop l’un vers l’autre, sans plus de défi ni de discours. Chacun tenait une lance solide au fer
tranchant. Les chevaliers étaient robustes et se haïssaient à mort. Les lances volèrent en éclats et
ils se retrouvèrent à terre, désarçonnés. Remontant à cheval aussitôt, ils se précipitèrent l’un
contre l’autre, plus féroces que des sangliers. La colère et la rage rendaient terribles les coups
d’épée qu’ils se donnaient sur leurs heaumes et leurs écus. Mais, à la fin, Clamadeu tomba au
25- sol, blessé au bras et au côté. Le jeune homme mit pied à terre et courut vers lui, l’épée levée. Il
l’aurait bien tué, mais Clamadeu cria merci, et le jeune homme se souvint alors de la parole de
Gornemant : ne jamais tuer un adversaire vaincu qui demande grâce.

Chrestien de Troyes, Perceval ou le conte du Graal (vers 1180),


adapté par Anne-Marie Cadot-Colin.

Vocabulaire

Résolu : décidé.
Désemparée : perdue, ne sachant plus que faire.
Mesquin : petit, bas (abstraitement).
Affligée : très attristée.
Orgueil : opinion très avantageuse, le plus souvent exagérée, qu’une personne a de soi-même.
Arrogance : d’une insolence méprisante.
Robuste : solide.
Heaume : casque de chevalier.
Désarçonnés : tombés de cheval (arçon : armature de la selle).
Introduction
Perceval est un des chevaliers de la Table ronde, d’après la légende arthurienne. Ecrite par Chrétien de Troyes
vers la fin du XIIe siècle, sa quête est celle du Saint-Graal, sorte de coupe qui aurait recueilli le sang du Christ.
Lecture.
Problématique : en quoi Perceval reflète-t-il bien l’idéal chevaleresque des romans de cette époque ?
Annonce du plan.

I. Un système de valeurs médiévales propres aux chevaliers

a) L’amour courtois
Au XIIe siècle se développe l’amour courtois. C’est un amour entre nobles selon les règles de la chevalerie. Les
femmes sont vénérées pour leur beauté et leur amour et les hommes sont honorés pour leur bravoure.
Perceval entend ainsi gagner le cœur d’une jeune fille no mmée Blanchefleur grâce à un « co mbat singulier ». Il
veut prouver son courage seul et délivrer ainsi le château de Beaurepaire qui est assiégé par les troupes de
Clamadeu.
Son combat a pour objectif de démontrer toutes ses qualités de chevalier ; il est prêt à mourir pour cela.
La jeune fille est dite « désemparée », « affligée », ce qui vient renforcer le caractère dramat ique de la décision
de Perceval.

b) Un code d’honneur chevaleresque


Perceval remporte son duel. Alors que son adversaire est tombé de cheval, on nous apprend que Perceval « mit
pied à terre ». Il respecte ici une règle de chevalerie qui dit qu’on ne continuait pas de combattre sur son cheval
alors que l’adversaire était désarçonné.
De plus, il respecte une autre règle d’honneur : « ne jamais tuer un adversaire vaincu qui demande grâce. » La
merci est, au Moyen Age, la faveur que l’on fait à quelqu’un en l’épargnant.

II. Un combattant hors pair relevant du registre épique

a) Un courage indéniable
Malgré les mises en garde et les pleurs de tout le monde, Perceval compte affronter le danger.
On évoque l’adversaire comme « un homme que nul n’avait vaincu jusque-là » : cela dramatise également la
scène et met en valeur la bravoure de Perceval.
Le connecteur d’opposition « mais » (l. 8) indique qu’il n’éprouve pas de peur.

b) Le défi verbal
Les deu x opposants s’affrontent d’abord verbalement. Ils posent chacun une question à l’adversaire pour lui faire
comprendre qu’il n’est pas à sa place.
Clamadeu est « plein d ’orgueil et d’arrogance ». Il utilise un subjonctif d’ordre : « Qu ’on vide le château
aujourd’hui même et que la demoiselle me soit livrée ! » Le fait qu’il soit sûr de lui ajoute au courage de
Perceval qui rétorque avec l’exclamative : « Maudit sois-tu ! Tu vas changer de discours ! »
La tension est à son paroxysme (à son plus haut degré). Cela préfigure la violence du combat qui s ’engage.

c) Une énergie au combat


La v iolence du duel est caractéristique des romans de chevalerie : « les lances volèrent en éclats et ils se
retrouvèrent à terre », « la colère et la rage rendaient terribles les coups d’épée ».
Le co mparatif de supériorité « plus féroces que des sangliers » illustre bien la sauvagerie du combat, malgré les
règles d’honneur.
Les adjectifs choisis mettent en valeur la dangerosité des armes : « lances solides », « fer tranchant ».
La vitesse de l’action souligne leur vitalité : « ils se précipitèrent l’un contre l’autre ».
On nous apprend qu’ils « se haïssaient à mort », ce qui prouve leur détermination farouche.

Conclusion
Récapituler les grands axes.
Ce texte est bien dans la lignée des romans de chevalerie de cette époque. Les valeurs et les qualités idéalisées
des chevaliers sont ici b ien représentées. On pourra se demander néanmo ins si tout cela reflétait réellement ce
qu’était alors la chevalerie réelle hors du roman.

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