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DEATH NOTE ANOTHER NOTE

L’affaire BB des meurtres en série de Los Angeles

Auteur : Ishin Nishio


Auteurs originaux : Tsugumi Oba et Takeshi Obata
Traduction : Dark_Yangel(dark_yangel@yahoo.fr)
SOMMAIRE

HOW TO USE IT...................................................................................................................- 4 -


Page.1 Communication ..........................................................................................................- 6 -
Page.2 Luxaky......................................................................................................................- 23 -
Page.3 Inversion ...................................................................................................................- 41 -
Page.4 Shinigami..................................................................................................................- 57 -
Page.5 Montre ......................................................................................................................- 67 -
Page.6 Echec ........................................................................................................................- 83 -
Last page (à venir ?)

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PRESENTATION DES PERSONNAGES

L Détective
Naomi Misora Agent du FBI
Beyond Birthday Criminel
Raye Penber Agent du FBI
Believe Bridesmaid 1ère victime
Quarter Queen 2ème victime
Backyard Bottomslash 3ème victime

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HOW TO USE IT

Lors de son troisième meurtre, Beyond Birthday tenta une expérience. Elle avait pour but de
déterminer s’il était possible de faire mourir une personne d’une hémorragie interne sans
détériorer ses viscères. Concrètement, après avoir endormi sa victime à l’aide d’un produit
pharmaceutique pour ensuite l’immobiliser, il roua de coups son bras gauche tout en prenant
soin de ne pas lacérer la peau. Pour résumer, son idée était de provoquer la mort par une perte
massive de sang due à une hémorragie interne du bras gauche. Malheureusement, ce test se
solda par un échec. Bien que le bras gauche s’engorgea et vira totalement au bordeaux, la
victime ne mourut pas. Un curieux spasme témoigna de sa survie. Penser que la mort survient
quand son bras perd une quantité suffisante de sang s’avéra naïf au final. Toutefois, cette
manière de tuer étant pour Beyond Birthday un petit amusement, un divertissement, une
simple expérience, peu importe qu’elle fut un succès ou un échec. Après avoir haussé les
épaules, il sortit un couteau… Non. Non, non et non.

Je dis stop à cette manière de narrer, stop à ce ton. Je n’ai aucune raison d’écrire de la sorte
jusqu’à la dernière ligne. Même en persévérant, j’éprouverai quelque part de l’aversion qui au
final, n’aura pour effet que de me faire renoncer. Suivre le parcours et la pensée de Beyond
Birthday avec un style à la Holden Caulfield, le personnage secondaire primordial le plus
célèbre de l’histoire, n’épouse pas mon objectif (même si j’éprouve une légère sympathie à
son égard). Dépeindre sa série de meurtres dans un style merveilleux n’augmenterait pas la
valeur de ce carnet. Ceci n’est ni un rapport, ni un roman. Tant bien même ce serait le cas, je
n’en tirerai aucun plaisir. Désolé de m’exprimer d’une manière aussi conventionnelle, mais au
moment où ce texte émergera au grand jour, je serai probablement mort.

Pour une personne lisant ce carnet, l’issue de la confrontation entre L, le détective du siècle et
Kira, l’incroyable assassin démoniaque, va sans dire. Au final, l’idée du tueur démoniaque
d’installer une pure politique de terreur était d’une puérilité sans limite au point d’en être
ridicule. On pourrait imager son idée en l’associant à une guillotine. Y adhérer faisait peut-
être de lui à la fois un dieu combattant et un être puéril. Une société cruelle remplie de
délations et de fausses accusations : peut-être est-ce justement cela, le désir de Dieu. Il se peut
qu’il s’agisse d’un épisode forçant à penser de façon négative à la différence entre un dieu et
un Shinigami, mais pour ma part, je n’ai pas la moindre intention de me pencher sur la
question.

Je me fiche de Kira.

Pour moi, sans aucune mesure, L est le plus important.

L.

Au regard de son génie débordant, L, le détective du siècle, a connu une mort extrêmement
prématurée et insensée. Rien que dans les documents officiels, il avait résolu plus de trois
mille cinq cents affaires complexes et fait incarcérer trois fois plus de malfaiteurs. Bien que
seul, il disposait d’un pouvoir incommensurable lui permettant de mobiliser à sa guise les
organes de police du monde entier. On ne tarissait pas d’éloges à son égard, mais il
n’apparaissait jamais devant personne… J’aimerais transmettre à quelqu’un les paroles de cet
être grandiose le plus justement possible. J’aimerais les confier à quelqu’un. On m’a désigné

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comme potentiel successeur de L et même si je ne peux pas prendre sa suite, je pourrai au
moins transmettre, confier ses propos.

Ainsi, ce carnet est à la fois le mien et celui de L, ainsi que sa légende et mon testament. C’est
un message de défunt envoyé par quelqu’un d’autre que moi, dans un lieu autre que le monde.
Il est des plus probable que cet enfoiré de Near à l’ego surdimensionné sera le plus prompt à
trouver ce carnet, mais même si c’est le cas, il ne s’en débarrassera pas en le faisant brûler sur
le champ. S’il ressent l’envie de connaître ce que je sais sur L, cela me convient. Ce carnet
pourrait tout aussi bien tomber entre les mains du meurtrier démoniaque Kira, et c’est
justement ce que j’espère. S’il lui permet de réaliser que lui, un diabolique assassin comptant
sans cesse sur l’aide d’un carnet à l’incroyable pouvoir meurtrier et d’un stupide Shinigami,
n’était à l’origine qu’un détritus n’arrivant même pas à la cheville de L, j’en serai pleinement
satisfait.

Je fais partie des rares personnes à avoir rencontré L en tant que L. Quand ? Dans quelles
circonstances ? Je n’ai nullement l’intention de dévoiler ici l’unique souvenir précieux de
mon existence, mais lors de ce moment L m’a raconté trois de ses exploits… L’épisode
Beyond Birthday en faisait partie. Soyons direct : l’affaire BB des meurtres en série de Los
Angeles, évoque dans une certaine mesure, quelque chose à beaucoup de gens. Le lien étroit
unissant cette affaire à la Wammy’s House, lieu où L… disons plutôt ma personne, a été
élevée jusqu’à l’âge de 15 ans, a remarquablement été tenu secret. On dit que L avait pour
principe de ne pas prendre part aux affaires comportant moins de dix victimes ou dont le
montant des dégâts n’excédait pas le million de dollars. Cependant, il avait pris en main cette
affaire qui ne comprenait que trois ou quatre décès, certes avec un peu de retard, du fait de
l’implication de la Wammy’s House. Je mentionnerai plus loin les détails, mais pour L
comme pour moi, et qui sait, peut-être même pour Kira, cette affaire, l’affaire BB des
meurtres en série de Los Angeles, était peut-être un évènement monumental marquant un
avant et un après.

En effet, il s’agissait de l’affaire où pour la première fois, L se prénomma Luxaky1.

Me fichant de la manière avec laquelle Beyond Birthday commet le troisième meurtre ainsi
que de ses pensées, j’ai décidé d’éviter toute description ennuyeuse : il n’y aura pas de
rétrospective sur les premier et second meurtres. J’ai donc réglé les aiguilles de la montre sur
le petit matin suivant. Autrement dit, à l’instant où la lumière brille, L, le détective du siècle,
se lance dans l’enquête. Ah oui, j’ai failli oublier : ne serait-ce que pour la forme, j’ai décidé
en premier lieu de prendre en compte la possibilité qu’une personne autre que cet enfoiré de
Near à l’ego surdimensionné et que l’orgueilleux tueur démoniaque lise ce carnet. Je laisserai
donc mon nom indiquant à la fois mon statut de narrateur, de navigateur et de conteur à la fin
de ce préambule. Toutefois, ce procédé laissera peut-être de marbre cette tierce personne… Je
suis le faire-valoir de l’ancien monde, la personne aux vêtements les plus exquis et dont la
mort sera vaine : Mihael Keehl. On m’a également attribué le nom « Mello », mais ceci est
une vieille histoire.

Un bon souvenir, un mauvais rêve.

1
L’orthographe devrait être « Ryûzaki » ( りゅうざき), mais ce nom apparaît à un moment ainsi en écriture
romaine. Du coup, par respect pour l’auteur (et par commodité ^^), j’ai conservé la version romanisée.

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Page.1 Communication

Bien qu’on l’appelle désormais élégamment « l’affaire BB des meurtres en série de Los
Angeles », durant son déroulement, au cœur de son tourbillon, on ne la nommait pas d’une
manière aussi sophistiquée, mais c’est avec des termes extrêmement ringards tels que
« l’affaire des meurtres aux poupées de paille », ou encore « l’affaire L.A. des meurtres en
série aux pièces closes » qu’elle alimentait les médias. Pour le criminel de cette affaire,
Beyond Birthday, cette appellation sonnait comme une déception, mais comment dire, pour
ma part, je pense qu’elle correspondait bien à la situation réelle. Quoi qu’il en soit, le jour
suivant le troisième meurtre perpétré par Beyond Birthday, soit le 14 août 2002 à 8h15,
l’agent du FBI Naomi Misora se réveilla sur son lit, dans la chambre d’un appartement qu’elle
seule occupait. Son pantalon de cuir foncé était assorti à sa veste en cuir, mais ce n’était en
rien une preuve que cette tenue lui servait de pyjama, mais simplement qu’après avoir arpenté
la ville durant plusieurs heures en pleine nuit par pur distraction, elle s’était effondrée sur son
lit sans passer par la case douche et s’était endormie profondément, terrassée par la fatigue. A
l’instar de l’appellation de l’affaire, le nom de Misora était réputée car elle était la
protagoniste principale de la résolution de l’affaire BB des meurtres en série de Los Angeles,
mais à vrai dire, à l’époque du déroulement de cette affaire, elle était suspendue de ses
fonctions d’agent du FBI. Suite à ce dossier, elle reprit du service, mais c’était simplement
parce qu’elle n’avait pas le force physique ou mentale de résister à la pression de ses
supérieurs hiérarchiques et de ses collègues. Inactivité, suspension, vacances d’été. Il n’est
pas nécessaire d’expliquer ici en détail le pourquoi de cette suspension. Ce qui est certain,
c’est qu’ici ce sont les Etats-Unis, qu’elle est japonaise, que c’est une femme, de surcroît
douée, et que le FBI est une organisation. Voilà tout. Bien entendu, elle avait à ses côtés des
amis bienveillants, et c’est justement grâce à eux qu’elle a pu jusqu’ici s’exprimer dans cette
organisation, mais le mois dernier, juste avant le début de l’affaire BB des meurtres en série
de Los Angeles, elle commit une erreur qu’elle n’aurait pas cru possible de sa part… Et voilà
maintenant l’aboutissement de cette situation. Parcourir la ville sur sa moto n’était pas une
question de distraction.

A ce moment, Misora pensa très sérieusement à renoncer au FBI, à tout lâcher pour rentrer au
Japon. L’organisation trouva cela naturellement stupide, mais la charge trop lourde à endurer
que représentait cette grosse erreur occupait la majeure partie de son esprit. Ceci est une
hypothèse inconcevable, mais même s’il n’y avait pas eu de pression émanant de son
entourage, Misora aurait tout de même demandé de son propre chef à être mise sur la touche.

Ou alors, à démissionner.

« Qu’il est désagréable de suer. Passons à la douche », pensa Misora tout en s’extirpant
lentement du lit. Elle s’aperçut à cet instant que son ordinateur portable installé sur un bureau
semblait allumé. Elle n’avait pourtant pas le souvenir de l’avoir mis en route… De toute façon,
elle était maintenant réveillée. Cela voudrait dire que rentrée en pleine nuit, elle l’aurait
démarré ? Et qu’elle l’aurait laissé allumé par inadvertance puis se serait endormie ?… Elle
n’en avait pas le souvenir, mais voyant l’image de veille affichée sur l’écran, elle laissa
échapper un « ah ! », cela devait donc être cela… Vraiment ? Si elle avait eu le loisir de

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mettre en route son ordinateur, elle aurait aussi pris le temps de se changer… Misora retira sa
veste et son pantalon, sortit du lit son corps ainsi plus à l’aise, se dirigea vers le bureau et
toucha légèrement la souris. Ce geste eut pour conséquence d’ôter l’écran de veille. Elle
pencha ensuite davantage la tête. La boîte mail principale était active et le clignotement de
l’alerte mail signalait l’arrivée d’un nouveau message. « S’endormir en laissant l’ordinateur
allumé, passe encore, mais est-il vraiment possible de s’endormir au cours d’une telle
action ? », se demanda-t-elle tout en consultant le message fraîchement arrivé. On ne voyait
que l’aperçu. Expéditeur : Raye Penber. C’était le nom de l’actuel petit ami de Misora et lui
aussi était agent du FBI. Il faisait partie de ses « amis bienveillants » (même s’il lui était déjà
arrivé de lui tenir des propos du genre : « au vu de la dangerosité, il vaudrait mieux que tu
changes de travail »). « La période d’inactivité touchant bientôt à son terme, c’est peut-être
une sorte de contact administratif, ou alors… », pensa Misora en cliquant sur « sujet : sans
titre ».

Mlle Naomi Misora,

Veuillez excuser cette soudaine prise de contact.


Afin de résoudre une certaine affaire, j’aimerais solliciter votre aide. Si vous acceptez de
m’épauler, accédez au troisième bloc de la troisième section du serveur Funny Dish, le 14
août, à 9h. La connexion restera ouverte durant seulement cinq minutes (ôtez vous-même le
pare-feu).
L

PS : J’ai emprunté l’adresse d’un de vos amis. C’était à la fois le moyen le plus sûr et le plus
simple de prendre contact avec vous, soyez clémente. Que vous m’accordiez ou non votre aide,
vous devrez abandonner l’ordinateur sur lequel ce mail a été lu d’ici 24 heures.

«…»

A la fin de la lecture, Misora reprit le texte depuis le début et vérifia de nouveau la partie du
signataire : L.

Bien qu’elle soit maintenant en inactivité et par conséquent en marge des organes
d’investigation, elle n’était pas censée ignorer ce nom… non, il était intolérable de ne pas le
connaître. Elle aurait pu croire un moment qu’il s’agissait d’une plaisanterie émanant de Raye
Penber ou d’un autre, mais il était impensable que l’auteur soit un usurpateur. Rester dans
l’ombre apporte son lot d’avantages. Misora ayant entendu parler de ces détectives qui ont
connu la mort pour avoir utilisé arbitrairement le nom de L put conclure qu’actuellement dans
le monde, nul n’osait emprunter ce nom, ne serait-ce même que par plaisanterie.

« …C’est chiant. »

Cette pensée aussitôt dévoilée, Misora se débarrassa comme convenu de la fatigue accumulée
cette nuit en prenant une douche, puis une fois sa longue chevelure noire lentement séchée,
elle fit couler dans sa gorge un café très chaud.

A quoi bon faire semblant de réfléchir, un seul choix s’imposant ? L avait sollicité son aide
pour une enquête, et en tant qu’agent du FBI, qui plus est subalterne, elle ne pouvait pas
refuser. Néanmoins, la Misora de cette époque ne nourrissant pas d’aimables pensées envers

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ce « détective » nommé L souhaitait que ce dernier la convainque et comptait bien jouer les
indécises. En se penchant sur la personnalité de Naomi Misora, on peut aisément saisir ce
motif. De plus, penser que le démarrage arbitraire de l’ordinateur portable soit dû à un
piratage de L relevait de la pertinence, et la réalité absurde de devoir abandonner un nouveau
modèle d’ordinateur portable acheté seulement le mois dernier l’attristait quelque peu.

« Ce n’est pas grave… Enfin si quand même… »

Il n’y avait qu’une option.

A 8h55 passées, Misora s’assit devant l’ordinateur indiquant qu’il restait à celui-ci vingt trois
heures d’existence et adopta le comportement préconisé par L. Le piratage n’était pas sa
spécialité, mais son statut d’agent du FBI lui offrait tout de même un minimum de
compétences.

A l’instant où elle pensa « j’ai réussi à y accéder », l’écran de l’ordinateur devint totalement
blanc. Misora se demanda ce qui se passait, mais voyant s’afficher au milieu de l’écran la
lettre de l’alphabet « L » magnifiquement calligraphiée, elle éprouva un grand soulagement.

« Mlle Naomi Misora. »

Après un certain temps, cette voix sortit des hauts parleurs de l’ordinateur. Une voix de
synthèse. Cette voix était justement connue dans les organes d’enquêtes planétaires comme
étant « la voix de L ». Misora l’avait jusqu’ici elle aussi plusieurs fois entendue, mais c’était
la première fois qu’elle l’abordait de manière aussi directe. C’était une sensation étrange,
comme si on la présentait dans un programme télévisé…Toutefois, Misora n’ayant jamais
vécu cette expérience, ce « comme si » relevait complètement de l’imaginaire..

- Je suis L.

« Enchantée… », commença à dire Misora, mais elle s’aperçut que ses salutations n’avaient
aucun sens : son modèle d’ordinateur ne possédant pas de micro intégré, la voix de
l’interlocuteur lui parvenait, mais lui n’entendait pas la sienne. Elle tapa sur le clavier : « Je
m’appelle Naomi Misora. Je suis honorée de pouvoir vous parler ainsi, L. ». Si l’accès ne
présente aucun défaut, cela devrait passer.

- Mlle Naomi Misora, avez-vous connaissance de l’affaire des meurtres se déroulant


actuellement à Los Angeles ?

Sans prêter attention aux propos de Misora, L était tout de suite entré en matière. C’est qu’il
devait mettre un terme à la communication à 9h05, mais ces manières, cette attitude, piquèrent
au vif Misora. Son attitude laissait entendre que la coopération de Misora lui était déjà
acquise… Même si c’était réellement le cas, elle pensa qu’il aurait quand même pu flatter son
ego. Irritée, Misora frappa sèchement les touches.

- Je ne suis pas douée au point de connaître toutes les affaires de meurtres se produisant à Los
Angeles.

- Ah bon ? Moi si.

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En écho à cette ironie, une vantardise.

L poursuivit.

- C’est une affaire de meurtres en série comptabilisant trois victimes jusqu’à hier. Il y en aura
peut-être davantage. Dans les journaux de la NHH, elle est présentée comme « l’affaire des
meurtres aux poupées de paille ».

- L’affaire des meurtres aux poupées de paille …

Elle n’était pas au courant. En effet, elle prenait soin de ne pas regarder les nouvelles durant
son inactivité. Pour une Misora élevée au Japon jusqu’à sa sortie du lycée, le terme « poupée
de paille » n’était pas inconnu, mais prononcé à l’anglaise, il provoquait chez elle un certain
malaise.

« Je veux résoudre cette affaire. », dit L.

- Il faut en arrêter le coupable. Dans cet optique, votre coopération est indispensable, Mlle
Naomi Misora.

« Pourquoi moi ? », dit brièvement Misora. Voulait-elle dire « Pourquoi suis-je


indispensable ? », ou alors « Pourquoi devrais-je vous aider ? » ? Quoi qu’il en soit, elle
décida de laisser la main à son interlocuteur qui de toute façon semblait avoir interprété sans
ambiguïté la première proposition. Décidément, il n’est pas sensible à l’ironie.

- C’est bien entendu parce que vous êtes un brillant agent, Mlle Naomi Misora.
- Je suis actuellement en inactivité…
- Je suis au courant. C’est parfait.

Il a dit qu’il y avait trois victimes.

Naturellement, cela dépendait sans doute également des victimes, mais en tenant seulement
compte du ton employé par L, Misora ne pouvait pas penser que cette affaire nécessitait le
soutien du FBI. Elle supposa que c’était justement pour cette raison qu’il avait pris
directement contact avec elle, sans passer par le patron. Malheureusement, les choses étaient
trop soudaines et le de temps réflexion octroyée quasiment nul. Si elle était tenue de réfléchir,
ce serait sur un point : POURQUOI L ENTRE EN ACTION ALORS QUE CES MEURTRES
NE SEMBLENT PAS NECESSITER LA MOBILISATION DU FBI ?... La réponse ne
s’affichera pas sur l’ordinateur.

Elle regarda sa montre.

Plus qu’une minute avant qu’il ne soit 9h05.

Finalement, Misora finit par taper :

- Entendu. Je ferai tout mon possible.

L répondu immédiatement :

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- Merci beaucoup. J’étais certain que vous me diriez cela.

C’était une voix dénuée de sincérité.


Rien à faire, s’agissant d’une voix synthétique…

« Bien, je vais dès aujourd’hui vous indiquer comment prendre contact avec moi. Etant donné
que nous n’avons pas le temps, je vais vous l’expliquer succinctement, Mlle Naomi Misora.
Tout d’abord… »

UU

En premier lieu, tu dois connaître le précis de l’affaire BB des meurtres en série de Los
Angeles. Le 31 juillet 2002, dans la chambre d’une maison longeant la Insist Street de
Hollywood, un homme vivant seul fut assassiné. Il s’appelait Believe Bridesmaid et exerçait
la profession d’auteur freelance. Il avait écrit divers articles dans divers magazines sous
différents noms. Dire que c’était un auteur reconnu dans le milieu n’apporterait rien aux
explications, mais à vrai dire, c’était le cas. La strangulation est à l’origine du décès. Une fois
qu’on lui a fait perdre conscience à l’aide d’un produit pharmaceutique, il semblerait qu’on
l’ait étranglé par derrière avec une sorte de ficelle. Aucune trace de lutte. On pourrait qualifier
ce meurtre de coup de maître. Le second meurtre fut perpétré quatre jours plus tard, le 4 août
2002. Cette fois、c’est une femme répondant au nom de Quarter Queen qui fut assassinée
dans la pièce d’un appartement situé sur la Sad Avenue de Downtown. Un meurtre à coups de
barre. L’arme du crime, un objet cylindrique dur, lui a fracassé le crâne. La victime semblait
avoir été endormie avec un produit pharmaceutique. Quand on se demande pourquoi est-ce un
« second meurtre » perpétré par une « même personne» et non pas d’un meurtre isolé, c’est
parce qu’il y avait sur les lieux de l’affaire un point commun sautant aux yeux : des poupées
de pailles fixées sur les murs.

Quatre à Insist Street.

Trois à Sad Avenue.

Chacune fixée sur un mur.

L’existence des poupées ayant été rapportée lors du premier meurtre, on ne peut pas à
strictement parler écarter la possibilité d’un plagiat, mais la présence d’autres minutieux
détails concordants poussèrent la police à orienter son enquête vers des meurtres en série.
Cependant, s’il s’agissait bien de cela, il existait tout de même un fait suscitant une grande
interrogation : entre Believe Bridesmaid et Quarter Queen, il n’y avait aucun lien. Dans leur
téléphone portable ne figurait pas le numéro de l’autre et dans leur porte-carte de visite ne
figurait pas le nom de l’autre. De toute façon, Quarter Queen n’avait ni portable, ni porte-
carte de visite : c’était une jeune fille de 13 ans. Quel lien pouvait-elle donc avoir avec un
auteur freelance chevronné âgé de 44 ans ? A imaginer qu’il y en ait un, ce serait la mère de la
jeune fille qui était en voyage au moment de l’affaire, mais les deux vivant dans des lieux et
des environnements différents, il semblait difficile de déceler un rapport convaincant. Dans un
roman policier d’antan, on parlerait de lien manquant… Le lien entre les victimes n’a pas été
trouvé. Pour cette raison, l’essentiel de l’enquête était naturellement concentré sur ce point.
Neuf jours passèrent ainsi (ce n’était pas le cas lors du premier meurtre, mais entre ces neuf

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jours, les médias ont baptisé cette histoire « l’affaire des meurtres aux poupées de paille »),
puis le 13 août 2002, le troisième meurtre eut lieu.

Deux poupées de paille sur les murs.

A chaque meurtre, une poupée de paille en moins.

Le lieu du crime : une maison mitoyenne d’un quartier résidentiel de West Side, situé près de
la station Glass, propriété de Metrorail. La victime : Backyard Bottomslash. Son âge : 28 ans,
comme si on avait fait la moyenne entre la première et la seconde victime. De sexe féminin,
travaillant en tant qu’employée de banque. Il va sans dire que cette victime n’a aucun lien
avec Believe Bridesmaid et Quarter Queen. Il est même douteux qu’ils se soient déjà
rencontrés. Origine du décès : hémorragie abondante. Meurtres par strangulation, par coups
de barre et par arme blanche : ces variations dans la manière de tuer faisaient ressentir une
sorte d’anormalité dans laquelle le coupable tenta à chaque fois une expérience. Cependant,
tous ces meurtres avaient pour spécificité de ne contenir aucun indice digne de ce nom.
Malgré les recherches, aucune donnée portant sur le criminel n’a été trouvée, fait très
« singulier » dans une affaire d’homicide. Toujours est-il que le troisième meurtre à peine
commis, on pouvait dire que l’enquête policière se trouvait déjà dans une totale impasse.
L’habileté du criminel surpassait la police sur tous les points. Je n’ai pas particulièrement
l’intention de tresser des lauriers à Beyond Birthday, mais bon, j’aimerais tout de même lui
sauver la face sur ce point.

Concernant les points communs, en dehors des poupées de paille, il y en avait un gros :
chacun des trois lieux étaient à l’état de pièce close, « close room », dans les romans policiers
d’antan. Cependant, la section de recherche ne prêtait pas d’importance à cet élément… Mais
quand Naomi Misora lut les documents d’enquête fournis par L, ce qui la préoccupa le plus,
c’était le terme clé « état de pièce close ».

Finalement, Naomi Misora se lança dans la résolution de l’affaire sous la direction de L, le


lendemain de la requête de ce dernier, le 15 août, non pas en tant qu’agent du FBI, mais à titre
personnel. Etant en inactivité, elle s’était vue déposséder de son badge et de ses menottes.
Aussi bien sur le plan des attributions que sur celui de l’équipement, Misora s’engagea dans
cette enquête dans la peau d’une personne lambda.

Malgré cela, elle ne ressentait pas spécialement d’inquiétude car de toute manière, elle n’était
pas le genre d’agent à mener une enquête en se reposant sur ces attributs qui lui conféraient de
l’autorité. Elle était peut-être malchanceuse de relever le défi de cette enquête dans des
conditions parfois psychologiquement menaçantes, mais on peut dire que ses sentiments
côtoyaient ceux de L. Autrement dit, les agissements en groupe n’étant pas son fort, s’extirper
de l’étau que représentait l’organisation pour travailler en solitaire lui permettait de déployer
ses talents… C’est justement pour cela que l’on peut également dire qu’elle devait nourrir
davantage de sentiments extraordinairement complexes envers L.

Quoi qu’il en soit, le 15 août à midi passé, Naomi Misora se rendit sur la Insist Street de
Hollywood, lieu du premier meurtre relatif à l’affaire. Devant la maison un peu trop grande
pour un homme vivant seul se dressant sous ses yeux, elle sortit un téléphone portable de son
sac et composa le numéro qu’on lui avait indiqué. On lui avait dit que la ligne sécurisée était
brouillée sur cinq niveaux. C’était non seulement une sûreté pour L, mais également pour une
Misora en inactivité.

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- L, je suis arrivée sur les lieux.
- Parfait.

On entendit tout de suite la voix de synthèse émaner du téléphone. « Dans quel


environnement et dans quelles conditions est-ce que L mène l’enquête ? Enfin, cela
m’importe peu », pensa involontairement Misora. Et balayant cette réflexion inutile, elle
demanda à L :

- Quelle est désormais la démarche à suivre ?


- Mlle Naomi Misora, vous trouvez-vous actuellement à l’intérieur ou à l’extérieur des lieux ?
- A l’extérieur, en face du lieu du meurtre. Je n’ai pas encore pénétré dans la résidence.
- Alors entrez. Ce n’est sans doute pas fermé à clé car j’ai pris mes dispositions.
- … Je vous en remercie.

« Bien joué. ». Elle réprima son envie d’exprimer ce genre de sarcasme. Les personnes
précautionneuses attirent ordinairement le respect, mais pour Misora, il était pour le moins
difficile d’admettre avec franchise le bien de cette disposition.

Elle ouvrit le portail et pénétra dans la maison. La victime a été assassinée dans une chambre.
Naomi Misora, confrontée à diverses enquêtes en tant qu’agent du FBI, avait à peu près
compris la constitution interne de la maison en regardant celle-ci de l’extérieur. Concernant
les indices, elle devina que la chambre se trouvait au rez-de-chaussée et s’y dirigea. Cela
faisait tout juste deux semaines que l’affaire avait démarré, mais le personnel d’entretien
semblait toujours en place : la poussière ne s’était pas accumulée dans le couloir au cours de
ces deux semaines.

- Mais L…
- Qu’y a-t-il ?
- D’après les documents que j’ai reçus hier, la police locale a bien évidemment terminé
l’inspection des lieux.
- Exact.
- Je ne sais pas quelles mesures vous avez prises, mais de toute façon, vous avez en main ces
documents d’enquête.
- Oui
-…

Ce n’est pas « oui ».

- Dans ce cas, ma présence sur les lieux n’est-elle pas dénuée de sens ?
« Non », dit L.
- J’aimerais que vous trouviez une chose que la police n’a pas décelée durant son examen des
lieux.
- Ah… Voilà qui est explicite.

Donnée plus sèche qu’explicite.

Elle n’apporte aucune explication.

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- Du reste, l’expression « chercher sans relâche » n’est pas vide de sens. Le temps aidant,
quelque chose viendra peut-être éclaircir cette enquête. Mlle Naomi Misora, dans cette
enquête, vous devez d’abord chercher le lien qui unit les victimes. Quel rapport peut-il donc
bien y avoir entre Believe Bridesmaid, Quarter Queen et Backyard Bottomslash, assassinée
hier ? Ou bien alors, avons-nous affaire à une tuerie générale ? En admettant provisoirement
que ce soit le cas, sur quels critères le criminel sélectionne-t-il ses victimes ? En résumé, ce
que je vous demande, c’est de rechercher le lien manquant.

- Je vois…

En fait, ce « je vois » ne reflétait pas vraiment son sentiment, mais sachant que débattre avec
L ne ferait que l’écarter de ce qu’elle voulait réellement savoir, elle veilla à ne pas poser de
questions, puis découvrit la chambre. Une porte se fermant de l’intérieur.

Une serrure thumbturn2.

Etat : pièce close.

Nul doute que sur les lieux de l’affaire des deuxième et troisième meurtres, il s’agissait
également d’une serrure thumbturn. Etait-ce un point commun ? Non, cet élément figure
également sur les documents d’enquête, on en avait donc connaissance. Le point commun que
demande L n’est pas censé être cela.

La chambre n’était pas aussi spacieuse qu’elle n’y paraissait, mais sans doute à cause de
l’ameublement minimal, on ne s’y sentait pas à l’étroit. Un grand lit occupait le centre de la
pièce, et pour le reste, une étagère à livres, tout au plus. Les livres qui ornaient cette étagère
étaient soit des manuels pratiques en rapport avec la distraction, soit de célèbres bandes
dessinées japonaises, mais quoi qu’il en soit, cette chambre semblait simplement être pour
Believe Bridesmaid un parfait lieu de relaxation. Il devait être le genre de personne à
clairement séparer travail et vie privée. Fait rarissime pour un auteur freelance. « Dans ce cas,
il doit sans doute y avoir au premier étage une pièce s’apparentant à un cabinet de travail »,
pensa Misora, les yeux rivés sur le plafond. Il sera nécessaire d’y jeter un œil par la suite.

- Au fait, Mlle Naomi Misora. D’après vous, quel genre de personne pourrait être le criminel
de cette affaire ? J’aimerais tout d’abord entendre votre raisonnement à ce sujet.
- Je ne pense pas que mon raisonnement vous serait utile…
- Il n’y a pas de raisonnement inutile.
-…

Ah bon ?
Après un court moment de réflexion :

« …C’est étrange », répondit-elle à la question de L, sans mâcher ses mots.


Elle avait acquis cette certitude hier, en parcourant les documents.
- Pas seulement parce qu’il a tué des gens, mais j’ai l’impression que l’étrangeté du criminel
suinte à chacune de ces actions. D’ailleurs, il n’essaie même pas de la cacher.

2
Le terme « thumbturn » (サムターン) ne semble pas avoir d’équivalent en français (du moins pas à ma
connaissance ^^ ;). Je ne l’ai donc pas traduit. Il désigne les serrures qu’on trouve dans la salle de bain ou les
toilettes, le type de serrure qu’on ne ferme que de l’intérieur. A vrai dire, je ne sais même pas si le mot
« serrure » est adéquat ^^ ;

- 13 -
- Par exemple ?
- Par exemple, le problème des empreintes digitales. Il n’en réside pas la moindre trace sur les
lieux. Elles ont complètement été effacées.
- C’est vrai. Cependant, Mlle Naomi Misora, ne pas laisser d’empreintes sur les lieux, n’est-ce
pas là le B.A.-Ba du criminel ?
« Vous exagérez », répondit Misora tout en pensant : « Comme si je ne le savais pas ». Plus
que jaser sur les références, il testait probablement ses capacités afin de déterminer si elle était
ou non digne d’agir en son nom.
- Si on ne veut pas laisser d’empreintes digitales, il suffit de porter des gants. A défaut, il
suffit simplement d’essuyer les endroits touchés. Cependant, ce criminel SEMBLE AVOIR
EFFACE TOUTES LES EMPREINTES DANS LA MAISON, et ce, dans les trois cas. J’ai
d’abord pensé qu’il avait plusieurs fois visité le domicile des victimes et qu’il savait donc ce
qu’il devait toucher, mais IL A ETE JUSQU’A ESSUYER LES DOUILLES DES
AMPOULES, ce qui change tout. Cela touche au domaine de l’étrangeté.
- Tout à fait. Je pense la même chose.
-…

Pense t-il la même chose ?

- Bon, continuons. S’il a fait preuve de la même aberrante attention dans tous les domaines, je
pense qu’il n’y aura pas de nouveaux faits sortant de l’examen des lieux. Du moins, l’espoir
est mince. Ce criminel ne commet aucune erreur.

Erreur.

Comme par exemple, celle qu’elle avait commise le mois dernier.

- Normalement, une enquête criminelle a pour but d’établir les faits en repérant les erreurs du
criminel, mais dans le cas présent, on ne peut pas compter sur une erreur de sa part.
« Tout à fait. Je pense également la même chose » répéta L, et il continua :
- Mais S’IL Y AVAIT QUELQUE CHOSE QUI NE SOIT PAS UNE ERREUR ?
- Quelque chose qui ne soit pas une erreur ?
- Oui. S’IL RESTAIT UNE TRACE LAISSEE EXPRES par le criminel que l’équipe de
recherche n’avait pas remarqué…. ne pensez-vous pas qu’une lueur d’espoir jaillirait ?
-…
LAISSER VOLONTAIREMENT UNE TRACE… Est-ce possible ? Logiquement, il est
inconcevable pour quelqu’un de laisser intentionnellement une preuve handicapante sur les
lieux… Non, c’est faux, ça l’est. Tant bien même à parler de logique, à y réfléchir, deux
éléments sont tout de même déjà connus : les poupées fixées aux murs et l’état de pièce close
dû à une serrure thumbturn. Ces deux éléments ne sont pas des erreurs, mais des traces
évidentes laissées par le criminel. La seconde, plus spécifiquement. Misora s’en inquiétait
depuis le début… L’état de pièce close est en premier lieu un élément censé faire croire à un
suicide de la victime. Premier meurtre : étranglement par derrière. Second meurtre : coups
portés avec une barre qui n’est pas restée sur les lieux. Troisième meurtre : coups portés avec
une arme blanche. Là aussi, l’arme du crime a disparu… En résumé, la possibilité d’un
suicide est inenvisageable. Ainsi, ces pièces closes n’ont aucun sens. Même sans être une
erreur, c’est tout de même anormal.

Tout comme les poupées sur les murs.

- 14 -
On n’en saisit pas du tout le sens.

Les poupées maudites faisant partie de la culture japonaise, des avis hors de propos comme
« le criminel est japonais » ou encore « cette personne éprouve une profonde rancœur envers
les japonais » émergeaient, mais (à ce propos, les poupées de paille étant de la vulgaire
camelote, on peut en obtenir dans les magasins de jouets du coin pour trois dollars) pour le
moment il n’y avait aucune unité d’opinions.
Misora ferma la porte les mains dans le dos, puis tourna le bouton située au niveau de ses
hanches, ferma à clé et décida ensuite d’inspecter les endroits où étaient fixées les poupées de
paille.

Il y en avait quatre dans cette pièce.

Une sur chacun des murs de cette chambre carrée. Naturellement, ces poupées de pailles étant
de précieuses preuves matérielles, la police les avait emportées lors de l’examen des lieux :
elles n’étaient donc plus là. « Au regard des trous dans les murs, on devine parfaitement où
elles étaient fixées », pensa Misora qui sortit six photos de son sac. Une pour chaque poupée
de paille. Ajouter à cela, une photo de la victime Believe Bridesmaid sur son lit, allongée sur
le dos. Sur son cou, on devinait sans peine les traces de strangulation.

Et puis, la dernière photo.

Il ne s’agissait pas d’une photo prise sur les lieux, mais d’une photo du haut de la poitrine
d’un Believe Bridesmaid nu et étendu sur un lit d’hôpital, après l’autopsie. Plusieurs
meurtrissures parcouraient la région pectorale. Meurtrissures obtenues à l’aide d’un couteau.
Elles n’étaient pas si profondes, mais parcouraient interminablement sa poitrine, de long en
large. Il ne s’agissait pas de meurtrissures faites au moment du meurtre, mais post mortem.
- Avec cette dégradation apparemment insensée d’un cadavre, on aurait tendance à penser que
le criminel éprouvait une profonde rancœur envers la victime… S’agissant d’un auteur
freelance factotum, il n’est pas anormal de penser que quelqu’un lui vouait de la rancœur : il
avait colporté pas mal de ragots à travers ses articles.

- Mais Mlle Naomi Misora, le lien avec le deuxième et troisième meurtre serait alors
totalement incompréhensible. Que ce soit pour le deuxième ou troisième meurtre, le corps a
été dégradé. Ce procédé n’est pas en rapport direct avec la mort... On peut même plutôt dire
que la dégradation du cadavre lors des second et troisième meurtres s’est intensifiée. On peut
penser que seul Bridesmaid était l’objet d’une rancœur et que les deux autres victimes
n’étaient là que pour faire diversion. Même s’il ne s’agit pas de Bridesmaid, il est fort
possible que parmi les trois victimes, une voire deux étaient ciblées et que l’autre ou les autres
n’étaient qu’une couverture. Même en ce qui concerne l’intensification de la dégradation du
cadavre, en imaginant que c’est une COUVERTURE N’AYANT PAS LIEU D’ETRE, peut-
être que…
- Vous pensez que le criminel a feint UNE TUERIE GENERALE ?
- Non. J’ai exposé un modèle de raisonnement hasardeux. Si c’était cela, j’aurais une
explication concernant les poupées de paille. En bref, elles seraient DES TRACES
LAISSEES EXPRES sur les lieux comme preuves démontrant que les premier, deuxième et
troisième meurtres sont l’œuvre d’une seule et même personne. Il en va peut-être de même
pour l’état de pièce close.

- 15 -
Ainsi, il faudrait peut-être également considérer que se rendre dans des lieux aussi diversifiés
que Hollywood, Downtown et Westside était un moyen de compliquer l’enquête. Dans ce cas
de figure, plus le nombre de personnes concernées augmente, plus l’enquête se complique…
Si on pense que choisir une jeune fille comme deuxième victime est une manière d’indiquer
une étrangeté manifeste, cela se tient.

« Feindre l’étrangeté… Bah rien que vouloir simuler l’étrangeté, c’est déjà bien étrange… »,
dit L. « Il tient des propos dignes d’un être humain », pensa Misora, légèrement surprise.
Cette surprise ressemblant véritablement à de l’admiration, elle tenta de la dissimuler tant
bien que mal en reprenant la conversation.*
- C’est pourquoi j’ai l’impression que réfléchir au lien qui unit les victimes n’a pas de sens. Je
pense que la police locale a très bien fait son travail… J’ai plutôt dans l’idée que les relations
de chacun sont le point central… La troisième victime, Backyard Bottomslash, employée de
banque, semblait être en relation avec diverses entreprises via son travail…
« Mais Mlle Naomi Misora », dit L, coupant ainsi la parole à Misora.
- Ce ne sont pas des circonstances que l’on peut prendre à la légère. J’ai peur qu’un quatrième
meurtre ne se produise.
- Mmh…

L avait déjà évoqué cette éventualité hier. Il avait émis l’hypothèse que le nombre de
victimes pourrait encore augmenter. Cependant, sur quoi se basait-il ? Tant que le criminel ne
serait pas arrêté, il pourrait à l’évidence y avoir un autre meurtre, mais c’est avec une
certitude équivalente qu’on pourrait penser que ces meurtres ne se limiteraient qu’à trois
victimes. Tout dépendait de l’humeur du criminel, les enquêteurs avaient une chance sur deux
de se tromper.

« Le nombre de poupées de paille », dit L.

- Il y en avait quatre sur les lieux où vous vous trouvez actuellement. Trois à Downtown, le
deuxième lieu. Deux à Westside, le troisième lieu. Comme vous le savez, il y en a une de
moins à chaque fois.
- Oui. Et alors ?
- UNE POUPEE VA DE NOUVEAU DISPARAITRE.
-…

A vrai dire, il avait raison. Passer de quatre à deux objets et dire que c’est terminé est un
principe qui laisse un goût d’inachevé. Même si comme l’a pensé Misora, cette tuerie
générale était une couverture, il aurait alors mieux valu que les victimes soient nombreuses.
Bien évidemment, le risque augmenterait, mais le jeu en vaudrait la chandelle. Mais bon, on
ne sait pas si le criminel de cette affaire réfléchit ou non au risque qu’occasionne un
homicide... Dans ce bas monde, il existe de nombreux criminels sanguinaires pensant que le
crime paye. Rien que le fait de simuler l’étrangeté, c’est largement étrange…

- Dans ce cas L, à combien estimez-vous la possibilité qu’il puisse encore y avoir tout au plus
deux meurtres ?
« Au moins à 90 % », dit-il.
- Peu importe que ce ne soit pas 100%. En prenant en compte la possibilité que le criminel
n’en reste pas là, cela donne tout de même 92%. Cependant, Mlle Naomi Misora, si cela se
produisait, il n’y aurait pas deux meurtres, mais un seul. La possibilité qu’il se produise un
cinquième meurtre s’élève à 3%.

- 16 -
- 3 % ?...

Différence considérable.

- Pourquoi ? Etant donné qu’il ne reste que deux poupées de paille… Si le criminel leur a
associé une métaphore…
- Si c’est le cas, IL NE RESTERA PAS DE POUPEE SUR LES LIEUX OU LA
CINQUIEME VICTIME AURA ETE ASSASSINEE. Sur les lieux où la quatrième victime
aura été assassinée, on passera de deux à une poupée de paille. C’est justement pour cette
raison qu’on peut deviner qu’il s’agit de crimes à mettre sur le compte d’une seule et même
personne. Cependant…
- Ah… Je vois….

« J’ai démontré mon incompétence », grommela Misora afin de ne pas se faire entendre. Il est
vrai que quelque soit le dessein du criminel, si laisser des poupées sur les lieux est la règle des
meurtres, un cinquième meurtre avec zéro poupée n’aura pas lieu.

- La possibilité que le criminel projette d’aller jusque-là s’élève à 3%, mais il n’en sera rien.
C’est le genre de maniaque qui va jusqu’à effacer les empreintes digitales sur la douille d’une
ampoule.
- IL N’Y AURA PAS PLUS DE QUATRE VICTIMES… Autrement dit, la prochaine sera la
dernière.
« Non, c’était déjà la dernière », dit L sur un ton appuyé.

Certes, il s’agissait d’une voix de synthèse...

- Il n’y en aura pas d’autre. Je suis là maintenant.


-…

Est-ce de la confiance ?
Ou alors de l’orgueil ?
Dans les deux cas, Misora n’avait plus d’opinion depuis longtemps. En effet, ces sentiments
étaient oubliés depuis des semaines.
Qu’est-ce que la confiance ?
Qu’est-ce que l’orgueil ?
La Misora actuelle n’en avait aucune idée.

- Dans ce but également, j’ai besoin de toute votre aide, Mlle Naomi Misora. Je compte sur
vos capacités d’investigation.
- Vous comptez dessus ?...
- Oui. Menez cette enquête avec un cœur aussi froid que la glace. D’après mon expérience, ce
genre d’affaire réclame surtout une faculté de penser à toute épreuve. Oui, glacez votre cœur
et menez-la comme une partie d’échecs.
-…

Ainsi, cela tournera au curling.

- L. Vous savez certainement que je suis en inactivité, n’est-ce pas ?


- Exact. C’est bien pour cette raison que j’ai sollicité votre aide. En effet, j’avais cette fois
besoin d’un excellent agent capable d’agir librement et à titre individuel.

- 17 -
- Dans ce cas, vous connaissez également LA RAISON DE CETTE INACTIVITE.
- Non.

Contre toute attente, réponse par la négative à la question de Misora.

- Je ne suis pas au courant de ce point.


- …Vous n’avez pas effectué de recherches ?
- Je n’ai que faire de la raison. Les seuls faits importants sont que vous êtes brillante et de
surcroît, libre. Néanmoins, aurait-il mieux fallu que je la connaisse ? S’il en est ainsi,
accordez-moi une minute, que je me renseigne de suite.
- Non…

Sans s’en rendre compte, elle sourit amèrement.


Elle se sentait quelque peu inquiète à l’idée que le monde soit au courant de son erreur, mais
même le plus grand détective du monde n’en avait pas connaissance. Pire, il lui avait signifié
son désintérêt.s

- Sur ce, L, démarrons l’enquête afin d’empêcher un quatrième meurtre. Que dois-je faire en
premier lieu ?
- Que pouvez-vous faire ?
- Tout, dans une certaine mesure.
« Cependant… », dit Misora.
- Cela semble importun, mais L, dans le cas présent, me dire de recommencer seule l’examen
des lieux signifiera probablement de me mettre en quête d’un objet laissé, mais concrètement,
que dois-je chercher ?
- Quelque chose à caractère messager.
- A caractère messager ?
- Oui. Cela concerne un fait n’apparaissant pas dans les documents d’enquête que je vous ai
remis. Neuf jours avant le premier meurtre daté du 31 juillet, à savoir le 22 juillet, une lettre
parvenait au siège de la police de Los Angeles.
- Une lettre ?

Le dialogue prit subitement de l’ampleur.

- Serait-elle en rapport avec l’affaire ?


- Pour le moment, aucune personne rattachée à l’enquête n’a trouvé de lien. Elles ne savent
vraiment pas s’il existe ou non un rapport, mais moi je pense que oui.
- A combien de pour cent ?
- Quatre vingt.

Réponse immédiate.

- Expéditeur inconnu. On ne connaît même pas le lieu du postage car il a utilisé le système de
réexpédition. L’enveloppe contenait une grille de mots-croisés rédigée sur une feuille.
- Des mots-croisés ? Ha ha…
- Ne vous en moquez pas, Mlle Naomi Misora. Il s’agit d’une grille de mots-croisés au degré
de complexité si élevé que personne ne semble avoir réussi à la résoudre. On pourrait
également adopter le point de vue selon lequel personne ne l’aurait abordé avec sérieux…
Pour le moment, supposez qu’il s’agit d’une grille insoluble pour les membres de la police de
L.A.

- 18 -
- Entendu. Ensuite ?
- Il a finalement été jugé que cette grille était sans doute une plaisanterie et elle fut
abandonnée depuis ce jour… Je l’ai obtenu hier d’un certain organe d’information, par voie
détournée.
- Hier…
Voilà donc pourquoi elle n’était pas mentionnée dans les documents d’enquête obtenus. Cela
signifie que L avait déjà entamé une approche sous un angle différent pendant qu'hier, Misora
se préparait.
« Je l’ai résolu », dit L sans hésitation. L’hypothèse précédemment émise selon laquelle «il
s’agissait d’une grille insoluble pour les membres de la police de LA » semblait servir de
prétexte à sa vantardise.
« Cela ne se dit pas, mais quel caractère méprisable… », pensa Misora.
- Si ma réponse est juste, la solution de cette grille désigne L’ADRESSE DE LA MAISON
OU S’EST DEROULE LE PREMIER MEURTRE, DONC CE LIEU…
- ….Vous voulez dire qu’elle désigne le numéro 223… Insist Street, à Hollywood ? LA OU
JE ME TROUVE ACTUELLEMENT… Mais alors… alors...
- Oui. Cela signifie qu’il s’agit d’une lettre avertissant d’un futur meurtre. Toutefois, elle
n’apparaissait pas comme telle, vu qu’elle se présentait sous la forme d’une grille au degré de
complexité si élevé que personne ne pourrait la résoudre…
- Y a-t-il une lettre du même type qui est arrivée à la police de L.A. ? C’est-à-dire une lettre
désignant les adresses du deuxième et troisième meurtre ?…
- Non. Par précaution, j’ai élargi le champ de l’enquête à tout l’état de Californie, mais ce
genre de lettre ou mail ne semble pas exister. Je pourrais sans délai poursuivre les recherches,
mais…
- Alors c’est une coïncidence… Non, quoi qu’on en dise, ce genre de coïncidence n’existe pas.
Elle désigne avec justesse et précision l’adresse… Mais pourquoi neuf jours auparavant ?…
- Neuf jours, c’est également la période séparant le second meurtre du troisième. Du 4 au 13
août. Le criminel fait peut-être une fixation sur le chiffre neuf.
- Mais quatre jours se sont écoulés entre le premier et le second meurtre… N’est-ce pas là le
fruit du hasard ?
- Il serait légitime de considérer cela ainsi. Néanmoins, il y a un espacement qu’on peut
garder dans un coin de son esprit : neuf jours, quatre jours, neuf jours …De toute façon, c’est
le genre de criminel à envoyer une lettre d’annonce à un organe de police. Même s’il se fait
passer simplement pour « un criminel envoyant une lettre d’annonce », la possibilité qu’en
dehors des poupées de paille, il reste dans cette pièce ou dans cette maison QUELQUE
CHOSE A CARACTERE MESSAGER n’est pas peu élevée.

- Mpffh… Alors…

Une trace volontairement laissée ?...


Il doit là aussi s’agir d’un message ne se présentant pas sous une forme aussi voyante que
celle d’une poupée… Par exemple, quelque chose comme une grille de mots-croisés au degré
de complexité élevé. Elle eut l’impression de comprendre pourquoi L avait sollicité son aide.
Elle n’allait pas jouer les détectives pantouflards. En vérité, elle devait scruter les lieux,
toucher, privilégier la qualité à la quantité, regarder autant que possible les objets avec les
yeux d’une personne ayant le même point de vue qu’elle…
Elle pensa toutefois que l’attente était trop grande... Le fait que L lui demande « d’être ses
yeux et non pas ses membres » représentait une charge trop lourde à porter pour un agent du
FBI.

- 19 -
- Quelque chose ne va pas, Mlle Naomi Misora ?
- Non… rien.
- Vraiment ?... Alors, mettons fin à cette communication. J’ai du pain sur la planche.
- Entendu.

L s’occupe probablement de beaucoup d’affaires complexes en plus de celle-ci. Des affaires


se produisant partout dans le monde. Pour L, cette enquête n’était probablement qu’une
opération parallèle à beaucoup d’autres. Sinon, il n’occuperait pas cette place de numéro un
mondial…

L, le détective du siècle.
Le détective sans clients.

- Sur ce, j’attends un rapport de qualité. La prochaine fois que vous me contacterez, utilisez la
ligne numéro cinq je vous prie.

Sur ces paroles, L raccrocha. Misora rabattit le clapet de son portable et le remit dans son sac.
Elle décida ensuite d’examiner l’étagère à livres en premier lieu. Cette chambre n’étant dotée
que d’un lit et d’une étagère, quitte à inspecter quelque chose, autant que ce soit cette dernière.

- Certes, pas autant que le criminel de cette affaire, mais Believe Bridesmaid était tout de
même lui aussi quelqu’un de maniaque.

C’était une étagère où les livres étaient placés sans le moindre interstice. Elle en compta les
livres : cinquante sept. Elle tenta d’en retirer un, mais le terme « sans le moindre interstice »
n’étant pas galvaudé, elle se heurta à une nette résistance. Elle se servit de son pouce et de son
index comme d’un levier et le retira. Elle en tourna rapidement les pages. Ce geste ne portait
pas de sens. C’était une sorte de passe-temps lui servant à réfléchir quant à l’orientation de la
recherche. Ce serait simple s’il y avait tel un signet une lettre insérée entre les pages, mais
cela n’était probablement pas le cas. Les documents d’enquête relataient qu’à l’instar des
douilles des ampoules, les empreintes digitales figurant sur chacune des pages des livres
avaient proprement été essuyées. Cette caractéristique montrait à la fois la nature maniaque du
criminel et le fait que l’équipe de recherche avait elle aussi inspecté toutes les pages des livres.
On doit donc considérer qu’il n’y a pas de message. Ou alors, c’est un message se présentant
sous une forme qui a échappé à l’équipe de recherche : en apparence, un message crypté sur
une feuille ayant l’air d’un simple signet … Cependant, même cette idée se révéla vaine une
fois les quatre premiers livres feuilletés. De toute façon, les livres de cette étagère ne
contenaient pas de signets. Believe Bridesmaid ne semblait pas être le genre de lecteur à s’en
servir. Pratique répandue chez les bibliophiles maniaques… Ils détestent voir un corps
étranger venir se greffer sur la reliure d’un livre.

-… Le criminel de cette affaire qui doit être maniaque, a fait semblant d’insérer quelque chose
entre les pages…

Misora s’éloigna de l’étagère. Objectif suivant : le lit. Cependant il n’y aura pas plus d’indices
que pour l’étagère. Il n’y avait qu’à soulever et retourner le drap. La section de recherche
avait du s’en charger, inutile donc de lire les documents d’enquête. Contrairement à une
étagère, il devait être difficile d’insérer un message sous une forme que la section de
recherche ne verrait pas.

- 20 -
« Sous le tapis… Sous le papier peint… Non, ce n’est pas ça… Une chose délivrant un
message… Si elle ne délivre rien, ce n’est pas un message… Il a fait parvenir une grille de
mots-croisés à la police… Il a une très haute opinion de lui-même… son but était de montrer
crûment un « problème difficile »… Il… Oui, IL SE MOQUE… »
IL ESSAIE DE SE MONTRER PLUS MALIN.
IL SE MOQUE.
« « Tu m’es inférieure », « Tu ne peux pas me vaincre », telle serait la visée du message… Si
c’est le cas…IL ESSAIE DE TIRER PROFIT du fait que personne ne s’en aperçoive, IL
ESSAIE SIMPLEMENT D’ACCOMPLIR SA VISEE… Non, son but est de se moquer de
son adversaire ?... Dans ce cas, l’adversaire, c’est la police… la police de L.A…. la société
dans son ensemble … les Etats-Unis… « le monde » ? Non… du reste, ses actes sont de petite
envergure… C’est une manière de faire comprendre qu’il prend un individu comme
adversaire… Quoi qu’il en soit, un message… Pas un message, quelque chose à caractère
messager…Il doit certainement y avoir quelque chose dans cette pièce… Non.»
Ce n’est pas « IL DOIT CERTAINEMENT Y AVOIR QUELQUE CHOSE ».
Et s’il n’y avait RIEN ?
« ALORS QU’IL DEVRAIT Y AVOIR QUELQUE CHOSE DANS CETTE CHAMBRE, IL
N’Y A RIEN ACTUELLEMENT… Il n’y a rien actuellement, mais… mais il y avait quelque
chose à l’origine…Les poupées de paille ? Non, elles sont censées être une métaphore
désignant les victimes, pas un message… La chambre… Ah, c’est ça, il n’y a personne. »
Non pas qu’il n’y ait « rien » mais il n’y a « personne ». Le propriétaire de cette chambre,
Believe Bridesmaid n’est plus là. Misora sortit une nouvelle fois des photos : deux du cadavre
de Bridesmaid, une des lieux et une de l’autopsie. Et si le criminel avait laissé un message sur
le cadavre ? Ce ne serait évidemment pas les traces de strangulation, mais la dégradation du
cadavre faite au couteau. Comme l’a précédemment indiqué Misora à L, il est peut être
normal d’y voir là la manifestation d’une « rancœur » évidente, mais ce n’est pas cela… Oui,
à y réfléchir, c’est anormal. Sur la photo des lieux, le T-shirt porté par le cadavre allongé sur
le dos est imprégné de sang, mais il n’est pas abîmé. Autrement dit, après avoir tué sa victime,
le criminel lui a ôté son T-shirt, l’a meurtrit au couteau pour ensuite lui remettre son vêtement.
S’il s’agissait d’une simple « rancœur », taillader le T-shirt aurait simplement suffit… Y
avait-il une raison pour qu’il ne souhaite pas abîmer le T-shirt ? Il ne s’est néanmoins pas
soucié du sang qui s’y imprégnait… Le T-shirt appartenait pour sûr à la victime. Elle
l’utilisait d’ordinaire comme substitut de chemise de nuit…
« En regardant de la sorte, je me demande si on ne pourrait pas voir un alphabet dans ces
blessures… ».
« Et si j’essayais divers angles de vue ? », se demanda-t-elle.
« « V »… « C »… « I » ? Non, « M »…. Ou encore un « V »… « X »… ? « D »… Ici il y a
trois « I » alignés… « L » ?... C’est « L »… Non… C’est tiré par les cheveux…»
Après tout, ce n’était qu’une histoire de REGARD. Elle ne savait pas si elle avait affaire à des
caractères chinois ou coréens, mais quoi qu’il en soit, ce qu’elle voyait était un alphabet
simplement composé de lignes droites et de courbes. Au crayon comme au couteau, si on
trace un trait, on y voit QUELQUE CHOSE.
« A vrai dire, j’aimerais connaître l’opinion des personnes réellement en charge de l’enquête
ainsi que celle de la section de recherche, mais ce n’est pas possible sans mon badge… Enfin
bon, L s’est sans doute occupé de ce point là…»
Ainsi, elle sembla comprendre la pénibilité d’agir seul, sans l’appui de l’organisation. A ce
moment, elle pensa pour la première fois que son rayonnement au sein du FBI tenait du
bienfait de cette organisation.
« Et si j’allais voir une autre chambre…. Cela n’a pas vraiment de sens, mais bon…
Cependant, si on réfléchit au fait que les empreintes digitales dans la maison aient été

- 21 -
effacées… ». Tout en disant cela, Misora s’apprêtait à quitter la chambre, quand elle lâcha un
« au fait », s’apercevant qu’il y avait un recoin qu’elle n’avait pas encore exploré : le dessous
du lit. Certes, pas autant que sous le tapis où le revers du papier peint, mais c’était tout de
même un espace qu’on avait tendance à omettre. On ne peut pas penser à l’inverse que la
section de recherche n’a pas inspecté un angle mort aussi évident. Néanmoins, par précaution,
il serait sans doute bon de se glisser au moins une fois sous le lit. Il n’y a qu’à partir de ce
point de vue qu’on peut voir l’invisible. Pensant cela, Misora s’accroupit à côté du lit…
« … ?! »
SOUDAINETE.
UNE MAIN SORTIT DE SOUS LE LIT.
Réagissant au quart de tour, Misora s’écarta d’un bond vers l’arrière, maîtrisa tant bien que
mal ses tremblements et tomba en arrêt. Elle ne portait pas de revolver. Cela n’avait rien à
voir avec son inactivité car elle n’avait pas pour habitude d’en porter. Pas de revolver, donc
impossibilité de presser la détente.
« Qu’est-ce que… Non, qui es-tu ?! », questionna Misora sur un ton menaçant. Comme si de
rien n’était, la main droite, sortit lentement de sous le lit, à même le sol. Suivit la gauche. Vint
ensuite le corps. Un homme apparut de sous du lit, à quatre pattes.
CE TYPE… DEPUIS QUAND ?...
Etait-il depuis tout ce temps sous le lit ?...
A-t-il entendu la conversation avec L ?...
Diverses interrogations vinrent à l’esprit de Misora
« Réponds ! T’es qui toi ?! »
Quand Misora réitéra sa question d’une voix forte tout en feignant de tenir un revolver sous sa
veste, il leva soudainement la tête.
Et puis, il se releva lentement.
Chevelure noire naturelle.
Sous un sweat unicolore, un jean délavé.
C’était un jeune homme aux yeux de panda exorbités.
Son corps mince lui donnait l’air assez grand, mais avec son dos courbé, il faisait deux têtes
de moins que Misora, son regard était tourné vers le bas… Il le détacha du sol pour dévisager
Misora.
« Enchanté de faire votre connaissance », dit l’homme en fléchissant davantage les hanches,
puis il se présenta sur un ton indifférent :
« Appelez-moi Luxaky ».

- 22 -
Page.2 Luxaky

Dans un monde de détectives où la méchanceté et la jalousie vont bon train, on qualifiait L de


« détective reclus » ou encore de «détective ordinateur », mais il s’agissait là d’une vérité
quelque peu erronée. Naomi Misora avait elle aussi tendance à penser que L n’était qu’un
détective pantouflard, mais en réalité, loin de cette image de reclus, il était énergique et
sémillant. On pouvait toujours dire qu’il n’avait pas de désir de fréquentation, mais il n’était
pas le genre de détective à s’enfermer dans une pièce sombre, à en fermer les volets pour ne
plus en sortir. Bon nombre de personnes savent désormais que les trois plus grands détectives
de l’après-guerre, L, Erald Coyle et Deneuve ne sont qu’une seule et même personne. Du
moins, toi qui parcours ce carnet es maintenant au courant… A l’origine se déroulait une
bataille de détectives opposant L à Erald Coyle et Deneuve, deux êtres réels, avec pour
conclusion l’acquisition par L de ces deux noms de code, mais peu importe que tu connaisses
ou non les détails. J’évoquerai cette bataille de détectives une autre fois. Quoi qu’il en soit, L
s’appuyait principalement sur ces trois noms de codes mais en avait d’autres. Je ne les connais
pas tous, mais je sais qu’il y en avait un peu plus de trois cent. Parmi eux, on trouvait bon
nombre de personnages détectives aux profils divers… Quiconque parcourant ce carnet n’est
pas censé ignorer que L s’est présenté devant le tueur démoniaque Kira sous les noms de
Luxaky et Hideki Ryûga. Bien évidemment, Naomi Misora l’ignorait… En vérité, je pense
maintenant que même le symbole « L » n’était pour lui au final qu’une appellation parmi tant
d’autres. Il ne faisait pas partie intégrante de son identité. Parmi ses différents noms de codes,
il s’agissait simplement du plus connu et du plus efficace… Et puis il avait peut-être une
valeur utilitaire et non pas une valeur due à la rareté. Actuellement, le véritable nom de L
reste une énigme pour tous, d’autant plus qu’il n’existe plus aucun moyen de le découvrir.
Cependant pour L, même ce nom connu de lui seul ne représentait pas tout son être. J’ai
l’étrange sensation qu’il ne savait peut-être même pas quel nom inscrit dans le carnet de la
mort avait provoqué son décès.

Quoi qu’il en soit, je parle ici de l’affaire BB des meurtres en série de Los Angeles.

- Luxaky…

Naomi Misora passa en revue la carte de visite noire qu’elle avait reçue en la retournant dans
tous les sens, puis sans tenter de dissimuler son sentiment de méfiance, s’adressa à son
interlocuteur.

- Vous êtes bien Luee Luxaky ?


- Tout à fait.

L’homme, Luxaky, répondit sur un ton indifférent. Il regarda fixement Misora avec ses yeux
de panda exorbités, tout en mordillant l’ongle de son pouce.

Changement de lieu, direction la salle à manger de Believe Bridesmaid. Luxaky et Misora


s’assirent face-à-face, chacun sur un sofa semblant onéreux. Sur le sofa, Luxaky se tenait
accroupi, les bras entourant ses genoux. « On dirait un enfant », pensa Misora mais ce n’était
évidemment pas le cas. Son allure était simplement sinistre. Cependant, Misora était trop
adulte pour lui faire une remarque de ce genre. Afin de couper court à cette atmosphère lourde,
Misora regarda une nouvelle fois la carte de visite : « DETECTIVE » « Luxaky Luee ».

- 23 -
- Sur cette carte, il est écrit détective comme profession…
- Exact.
- Vous êtes donc détective privé ?
- Non, cette appellation est incorrecte. Je ressens dans le mot « privé », la notion d’imposer
son opinion de manière agressive… Je suis, si j’ose dire, un non détective privé, un détective
désintéressé.
- Je vois…

Il n’a donc pas de licence.

Avec un stylo, elle aurait voulu écrire « IDIOT » sur la carte, mais n’ayant malheureusement
pas de quoi écrire, elle abandonna cette idée puis posa la carte sur le coin d’une table, comme
si elle manipulait une saleté, comme pour s’isoler d’elle.

- Bon, Luxaky… j’aimerais au moins savoir ce que vous faites ici.


- La même chose que vous : j’enquête.

Il prononça ces paroles avec la même expression du visage.


Ses yeux de panda qui ne clignaient pas étaient terriblement lugubres.

- J’enquête sur une série d’affaires, à la demande des parents de Mr Bridesmaid, le


propriétaire de cette maison. Je suppose qu’il en va de même chose pour vous, Mlle Misora.
-…

A ce moment, Misora se fichait éperdument de savoir qui était Luxaky : peu importait qu’il
soit détective privé ou un non détective privé. La question était de savoir ce que cet homme
caché sous le lit avait entendu de la conversation entre elle et L… Comble du malheur, cette
question la mettait dans de beaux draps. Du moins si à cause d’elle, des informations sur le
mystérieux détective venaient à filtrer, quitter simplement son travail ne la sortirait pas pour
autant d’affaire. Si elle tentait d’obtenir une réponse sans en avoir l’air, il lui dirait sans doute
que sous le lit, on n’entendait pas la voix à cause de la résonance, propos qu’elle ne pourrait
pas totalement mettre en doute.

« Oui… Je suis également détective », répondit une Misora tourmentée. La seule réponse
possible. Si elle n’était pas en période d’inactivité, se présenter ouvertement comme agent du
FBI aurait suffit, mais elle aurait alors dû se justifier s’il lui était demandé de présenter son
badge. Il valait donc mieux sortir un mensonge adéquat à la situation… Et puis bon, un
interlocuteur ne faisant pas toujours preuve d’honnêteté, inutile de ressentir de la culpabilité.

- Je ne peux pas vous dévoiler l’identité de mon client, mais sachez qu’il m’a confié une
enquête top secrète : trouver le meurtrier de Believe Bridesmaid, Quarter Queen et Backyard
Bottomslash.

« Je vois... Nous pourrions donc travailler main dans la main », dit-il sans détour.

Chapeau bas pour ce trop plein d’hardiesse.

- … Au fait, avez-vous trouvé sous le lit quelque chose susceptible d’aider à la résolution de
l’enquête ? Je présume que vous y cherchiez quelque chose laissé par le criminel…

- 24 -
- Non, vous faites fausse route. Entendant quelqu’un entrer dans la maison, je n’ai fait que
m’y cacher afin de voir qui était cette personne. Je vous ai observé un moment puis je me suis
montré car vous n’aviez pas l’air d’un malfaiteur.
- Un malfaiteur ?
- Oui. J’ai d’ailleurs pensé que j’avais peut-être affaire au criminel revenu chercher un objet
oublié. Si tel était le cas, cela aurait été une chance unique, mais mon attente ne fut pas
comblée.
-…

Ça sent le mensonge.
Ça sent le mensonge à plein nez.

D’autant plus que Misora avait l’impression qu’il s’était caché tout ce temps ici afin d’écouter
la conversation entre L et elle. Tels étaient logiquement ses soupçons. Ce Luxaky dégageait
une étrangeté.

Son être entier était sujet à la suspicion.

- Néanmoins, ma rencontre avec quelqu’un comme vous peut toujours servir. N’étant ni des
détectives de mangas ni de romans, nous n’avons pas à nous opposer. Alors Mlle Misora, si
nous échangions une de nos informations ?
- … Merci pour votre offre, mais ayant un devoir de réserve, je la décline.

Tous les documents d’enquête qu’il était possible d’obtenir émanait de L, ce détective
inconnu n’était donc pas censé lui apporter des informations. Il était de surcroît hors de
question de devoir lui fournir quelque chose en retour.

- Luxaky, vous aussi avez un devoir de réserve, non ?


- Pas le moins du monde.
- … Vous devriez en avoir, si vous êtes détective.
- Ah oui ? Alors j’en ai.

Réponse adéquate.
Comportement accommodant.

- Il est toutefois naturel que résoudre cette enquête soit la priorité absolue… Entendu, Mlle
Misora. Voilà ce que je vais faire : vous délivrer une information.
- Pardon ?! Il n’en est pas question…
- Cela ne me pose pas de problème. Au final, que l’affaire soit résolue par vous ou moi, c’est
du pareil au même. Le désir du client est de voir l’affaire élucidée. Si vous êtes plus douée
que moi, le rendement n’en sera que meilleur.

« Belles paroles, mais il est hors de question d’y réfléchir », pensa une Misora hautement
méfiante à l’égard de ces propos. Que peut-il donc bien tramer ? Tout à l’heure, Luxaky
pensait que Misora était peut-être le criminel revenu dans la chambre. Un discours de
circonstances… Mais à l’inverse, cette possibilité était applicable à cet homme caché sous le
lit…

- Vous pourrez décider plus tard de me communiquer ou non une de vos informations. Jetez
d’abord un d’œil sur ceci.

- 25 -
Sur ces propos, Luxaky tira de la poche de son jean une petite feuille pliée, qu’il tendit
immédiatement en direction de Misora. Elle s’en saisit, et bien que méfiante, la déplia. Il
s’agissait d’une grille de mots-croisés. Une problématique composée de cases et de petits
caractères. Misora eut de suite une intuition.

- C’est…
- Tiens ? Vous savez ce que c’est ?
- Euh… non, pas du tout.

Elle ne savait pas comment réagir. Il s’agissait bien évidemment de la fameuse grille de mots-
croisés envoyée au siège de la police de LA… Il dirait sans doute que l’original ayant été
détruit, il s’agissait donc d’une copie, mais comment ce Luxaky avait-il pu la sortir si
facilement de la poche de son jean ? Il scrutait une Misora soucieuse de la réaction à adopter,
comme s’il l’expertisait. On aurait dit qu’il sondait la valeur de ses compétences…

- Je vous explique : il s’agit d’une grille de mots-croisés expédiée anonymement et arrivée au


siège de la police de LA le 22 juillet dernier. Personne n’a semblé pouvoir la résoudre, mais
sa solution mène à cette maison. Le criminel l’a probablement présentée comme une lettre
d’annonce à l’encontre de la police et de la société entière… non, comme une lettre de défi.

- … Je vois. Toutefois…

Même si L l’avait mise en garde, elle éprouvait tout de même quelque part du mépris pour
cette grille. Cependant, l’avoir sous les yeux ne laissait plus de place au doute quant à son
niveau de difficulté élevé. Le genre de grille qu’on devine extrêmement épineux avant même
de savoir si on pourra la résoudre ou non. Cet homme se tenant face à elle, ce Luxaky l’avait
résolu tout seul… ?

- Etes-vous certain qu’elle mène à l’adresse de cette maison ?


- Oui. Je vous donne cette feuille. Si vous le voulez, quand vous aurez du temps, essayez de
résoudre la grille. Quoi qu’il en soit, un criminel envoyant une lettre d’annonce dans un but
résolu, c’est dans la plupart des cas un modèle cinématographique… On peut dire que les
poupées de paille et l’état de pièce close sont également des éléments typiques du modèle
cinématographique. Dans ce cas, la possibilité que quelque chose semblable à un message ait
été laissé sur les lieux est élevée. N’êtes-vous pas d’accord, Mlle Misora ?
-…

Son raisonnement est identique à celui de L.


Mais qui est réellement cet homme ?...
Dire que Luxaky a le même raisonnement que L tiendrait simplement au fait qu’il était sous le
lit, les oreilles grandes ouvertes lors de la conversation entre Misora et L, mais ce n’était pas
tout : il avait également obtenu la grille de mots-croisés que seul L pouvait acquérir grâce à
son statut, et de surcroît, il l’avait résolu… Pour Misora, le « peu importe » relatif à la
question « QUI EST CE LUXAKY ? » devint soudain un sujet d’inquiétude.

- Excusez-moi un moment.

Comme pour se défaire d’un air indifférent de la contention d’esprit ressentie à cet instant par
Misora, Luxaky sauta à pieds joints du sofa et le dos courbé, se dirigea vers la cuisine. Il

- 26 -
ouvrit le réfrigérateur d’un geste coutumier, comme s’il était chez lui. Il plongea son bras à
l’intérieur et en sortit un pot. Il laissa ensuite le réfrigérateur ouvert pour retourner sur le sofa.
L’objet retiré s’apparentait à un pot de confiture de fraises.

- Cette confiture de fraises a quelque chose en rapport ?...


- Non, elle m’appartient. Je l’ai simplement apportée et mise au frais. Je l’ai sortie car il est
l’heure de déjeuner.
- Déjeuner ?
A y réfléchir, le réfrigérateur de cette maison dont le propriétaire était mort depuis deux
semaines ne devait pas contenir de nourriture… Mais déjeuner ? La confiture, c’est bien, mais
le pain dans tout ça ? Sans lui laisser le temps de se pencher sur la question, Luxaky ouvrit le
pot, plongea directement sa main dans la confiture de fraises, recueillit abondamment la
substance et la porta à sa bouche.
-…

Misora en perdit la voix.


Aucun mot digne de ce nom ne sortit.

- Mmh ? Quelque chose ne va pas, Mlle Misora ?


- … Vous avez une étrange façon de manger.
- Vous trouvez ? Moi qui pensais qu’elle était commune…

Inclinant la tête, Luxaky porta une seconde fois à sa bouche la confiture, puis continua :

- Utiliser sa tête donne l’envie de sucreries. Pour faire du bon travail, rien de tel que de la
confiture. Le sucre, c’est bon pour le cerveau.
- Ah…

« Ton cerveau n’a pas seulement besoin de sucre, mais également de soins psychiatriques »,
pensa seulement Misora, n’ayant pas le cran de le dire ouvertement dans cette situation. On
aurait dit Winnie l’Ourson, mais Luxaky n’était ni jaune, ni gentil, ni un ours se la coulant
douce, mais un homme de haute taille au dos courbé. Au bout de la quatrième bouchée, il
assimila le pot à une tasse, et comme s’il buvait un thé, porta le pot de confiture de fraises à sa
bouche et sirota son contenu.

- Excusez-moi pour l’attente.


- Euh… ce n’est rien.
- Il reste encore de la confiture dans le réfrigérateur. Vous en voulez ?
- Sans façon…

Son ventre aurait beau crier famine, elle ne voudrait tout de même pas prendre ce genre de
repas comparable à un supplice. Misora trouva Luxaky repoussant. Définitivement repoussant.
Elle n’avait pas l’assurance d’afficher un sourire factice, mais la mine présentée à Luxaky à
ce moment fut sans conteste un visage souriant.

Même la peur fait rire les gens.

« Ah bon ? », dit indifféremment Luxaky, tout en léchant ses mains salies par la confiture,
sans tenir compte de la réaction de Misora. Puis il continua :

- 27 -
- Bon, on y va, Mlle Misora ?

- « On y va ? » ?... Mais où donc ?

Tout en se demandant désormais comment faire pour refuser de serrer la main à cet homme
lorsque l’occasion se présenterait, elle réitéra sa question.

« Cela va de soi », répondit naturellement Luxaky.

- Allons continuer l’inspection des lieux, Mlle Misora.

UU

A ce moment, Misora pouvait certainement décider selon son gré de la tournure des
évènements. Elle aurait pu faire sortir de force ce détective nommé Luxaky du domicile de
Believe Bridesmaid, et on aurait pu qualifier cet acte de décision des plus sensé… Cependant,
bien que le terme « bon sens » l’attirait irrésistiblement, Misora décida au final de garder un
œil sur lui. La question concernant la conversation d’avec L était le point le plus chaud, mais
même hormis cela, Luxaky était suspect, lugubre et élément décisif, possédait cette grille.
Voilà pourquoi elle ressentait la nécessité de surveiller cet homme dont elle ne savait rien.
Evidemment, du point de vue d’une personne connaissant très bien la situation, par exemple
quelqu’un comme moi, c’était peut-être justement le désir de Luxaky, mais exiger une telle
profondeur de réflexion à la Misora de ce moment était excessif. Loin de ce moment,
plusieurs années après l’affaire BB des meurtres en série de Los Angeles, même à l’instant où
elle fut tuée par le tueur démoniaque Kira, elle croyait dur comme fer ne jamais avoir
rencontré L et qu’elle n’obéissait qu’à une voix de synthèse émanant d’un ordinateur. Soit dit
en passant, d’un autre point de vue, ce fut une bonne chose pour le monde. Si Kira avait su
que Misora était en relation avec L, il n’aurait pas commis la bêtise de vouloir résolument la
tuer. On peut probablement dire que L doit ses quelques années de vie supplémentaires à
Naomi Misora… Non, cette supposition n’a pas vraiment de sens.

Revenons à nos moutons.

Si tu as déjà lu Sherlock Holmes, tu peux sans doute l’imaginer rampant dans des pièces,
loupe à la main, une attitude marquante de ce détective. Cette action est justement le symbole
caractérisant les romans policiers d’antan, mais dans les romans actuels n’apparaît aucun
détective adoptant ce comportement. De manière générale, le terme « roman policier » est lui-
même suranné : on utilise actuellement le terme « roman mystère » ou encore « roman
énigme ». Il semble des plus élégant que sans établir de raisonnement, le détective découvre
tout de suite la vérité. En effet, l’action appelée raisonnement inclut quelque peu le facteur
effort. Or, les génies ne font pas d’efforts. Les mangas shônen3 japonais, en vogue sur tout le
globe, ont droit au même traitement. Pour qu’il soit populaire, mieux vaut que le héros soit un
surhomme.

Ainsi, à peine revenu dans la chambre, Luxaky se mit aussitôt à quatre pattes comme quand il
était sorti de sous le lit, et bien qu’il ne sortit pas de loupe, se mit à ramper dans la chambre

3
Mangas destinés aux jeunes garçons.

- 28 -
tel un cafard, ce qui surprit naturellement Misora. N’avait-il pas adopté cette posture parce
qu’il se trouvait justement sous le lit ?... On le sentait habitué à se tenir à quatre pattes, à un
tel point qu’on aurait dit qu’il allait gravir le mur et se coller au plafond.

- Que vous arrive-t-il, Mlle Misora ? Allez, faites comme moi.


-…!

Zouip zouip !

Misora secoua rapidement la tête au point de créer une image rémanente.

Agir ainsi mettrait en jeu son honneur de femme. Non, elle avait l’impression qu’elle allait
avant tout perdre une part précieuse de son humanité.

- Je vois. Quel dommage.

Luxaky ne semblait pas avoir au premier abord une part précieuse dans son humanité, mais il
murmura réellement cela avec regret, puis continua ses recherches.

- Mais Luxaky… je pense qu’il n’y a plus rien à découvrir dans cette chambre… Et puis la
police locale l’a passée au peigne fin...
- Les membres de la police ont omis cette grille de mots-croisés. Il ne serait donc pas étrange
que quelque chose ait également été omis dans cette chambre.
- Vos propos sont justes, mais aucun indice ne transparaît. Si seulement il y en avait un… Il
ne semble rien y avoir dans cette chambre et cette maison est trop spacieuse pour chercher à
l’aveuglette.
- Un indice…

Luxaky s’immobilisa un instant à quatre pattes, puis mordilla tranquillement l’ongle de son
pouce. On aurait dit qu’il était plongé dans une profonde méditation ou alors, un abruti puéril.
Elle ne savait pas quoi en penser.

- Alors, Mlle Misora, avez-vous trouvé quelque chose en venant ici ? Quelque chose
s’apparentant à une piste ?
- Une piste ?... Euh…

Il y en avait une : les meurtrissures laissées sur le cadavre de la victime. Elle hésitait
cependant à en parler à Luxaky. Mais si cela restait ainsi, que ce soit pour l’affaire ou pour
Luxaky, les choses n’avanceraient certainement pas… Il valait mieux mettre à l’épreuve
Luxaky, comme lui l’avait fait en lui montrant la grille de mots-croisés afin d’observer sa
réaction... De plus, en menant habilement sa barque, elle pourrait savoir si de sous le lit, il
avait entendu ou non la conversation.

- Bon…Luxaky. Ne prenez pas cela pour un remerciement ou pour un échange d’informations,


mais… voulez-vous regarder cette photo ?
- Photo ?

Luxaky eut une réaction emphatique à l’écoute du mot « photo », comme s’il ne l’avait jamais
entendu auparavant et se rapprocha de Misora. Il se dirigea vers elle à reculons, toujours à
quatre pattes. Son mouvement ferait pleurer un bébé.

- 29 -
- Il s’agit d’une photo de la victime…

Misora ne lui tendit pas la photo des lieux, mais celle de l’autopsie. Luxaky la saisit, lâcha un
« Mpffh » et opina vraisemblablement du chef, à moins que ce ne fût artificiellement. Cette
attitude ne laissait aucunement transparaître ses pensées.

- Vous êtes brillante, Mlle Misora.


- Pardon ?
- Ces meurtrissures sur le cadavre sont un fait n’ayant pas été mentionné. Autrement dit, cette
photo est un document interne de la police. Il est incroyable que vous ayez pu entrer en
possession d’un tel document. Vous n’êtes pas un détective ordinaire.
- … Et vous Luxaky, comment avez-vous fait pour obtenir la grille de mots-croisés ?
- J’ai un devoir de réserve.

Les deux flèches décochées dans le but de percer les intentions de Luxaky ne firent pas
mouche. Misora regretta de lui avoir appris ce terme inutile, mais c’était maintenant trop
tard.*

Contester en disant « j’ai un devoir de réserve », c’est grammaticalement drôle.

- Je ne vous demanderai pas comment vous avez fait pour obtenir cette photo... Néanmoins,
en quoi serait-elle un indice ?
- Eh bien en bref, je me suis dit que le criminel avait laissé un message sur quelque chose
présent dans cette chambre au moment des faits mais qui maintenant, ne l’est plus. Ainsi, la
représentation de ce quelque chose censé être ici à l’origine mais qui n’est plus là, c’est…
- Believe Bridesmaid, le propriétaire de cette chambre… Quelle intelligence...
- Modifiez l’angle de cette photo. Ne voyez-vous pas un alphabet dans les meurtrissures ?
Peut-être qu’elles désignent un message…
- Voyons voir.

Etrangement, il opta non pas pour l’ajustement de l’angle de la photo, mais pour celui de son
cou. Son mouvement souple faisait penser que tous les os de son cou étaient un cartilage.
Misora voulut détourner les yeux au possible.

- … Ce n’est pas cela.


- Ce n’est pas cela ?... Mon idée était vraiment tirée par les cheveux…
- Vous n’y êtes pas Mlle Misora. Tout n’est pas faux, seulement une partie : il ne s’agit pas
d’un alphabet, mais de chiffres romains.
-…

Ah.

Ah… « V » et « I », qu’on trouve habituellement sur les montres, et bien entendu « C » « M »


« D » « X » et « L », sont des chiffres romains. Elle aurait du s’en rendre compte lorsqu’elle
avait vu les trois « I » alignées. Ce n’était trois pas trois « I » mais « III ». Trouvant « L »
juste après, elle fit le lien avec le détective L et son esprit dériva.

- « 1 » équivaut à « I », « 2 » à « II », « 3 » à « III », « 4 » à « IV », « 5 » à « V », « 6 » à
« VI », « 7 » à « VII », « 8 » à « VIII », « 9 » à « XI », « 10 » à « X », « 50 » à « L », « 100 »

- 30 -
à « C », « 500 » à « D », et « 1000 » à « M ». Ainsi, en déchiffrant les meurtrissures… cela
donne « 16 », « 59 », « 1423 », « 159 », « 13 », « 7 » « 582 », « 724 », « 1001 », « 40 »,
« 51 », « 31 ». Les chiffres romains pourtant si compliqués, Luxaky les avait résolus en un
rien temps, le tout sur un ton fluide. Il était non seulement doué en chiffres romains, mais
également doté d’une rapidité de réflexion assez élevée.

- Une photo restant une photo, je ne sais pas si mon interprétation est correcte… J’en suis
cependant sûr à A 80%.
- Pourcentage… ?
- Néanmoins, cela n’apporte aucun changement. Tant que nous ne saurons pas ce que
désignent ces chiffres romains, il sera malvenu de considérer ces meurtrissures comme un
message laissé par le meurtrier. Il se peut que nous fassions fausse route.

- … Excusez-moi, Luxaky.

Misora tint ces propos tout en reculant.

- Qu’y a-t-il ?
- Je vais me repoudrer le nez.

Sans attendre la réponse de Luxaky, elle quitta la chambre et grimpa les escaliers menant aux
toilettes situées au deuxième étage. Elle s’y enferma à clé, puis sortit un téléphone portable de
son sac. Après un léger moment d’hésitation, elle appela L sur la ligne numéro cinq. Le
contact fut établi une fois le son électronique indiquant le franchissement des divers niveaux
de brouillage entendu.

- Qu’y a-t-il, Mlle Misora ?

Une voix de synthèse.


L.
Misora baissa la voix, et tout en cachant sa bouche avec sa main, dit : « Je dois vous informer
d’un nouveau fait »

- Il y a du nouveau ? Vous progressez rapidement.


- J’appelle cela un nouveau fait, mais… J’ai trouvé ce qui semble être un message laissé par le
criminel.
- Fantastique.
- Non… Je ne suis pas l’auteur de cette découverte. Comment dire… une espèce de
mystérieux détective privé…

Mystérieux détective privé.

Ces termes résonnèrent tel un rire.

- …a fait son apparition…


- …Ah oui ?

Entendant cela, la voix de synthèse s’enferma dans un silence. Pour Misora, un silence
inconvenant. En effet, elle seule avait décidé de montrer la photo, avec pour intention de
sonder les intentions de Luxaky. Elle raconta à un L toujours silencieux le raisonnement de

- 31 -
Luxaky au sujet de la photo de l’autopsie, incluant également le fait qu’il était en possession
d’une copie de la grille de mots-croisés. Entendant cela, L finit par lâcher un « je vois ».
S’agissant d’une voix de synthèse, on ne pouvait pas interpréter son sentiment.

- Que faire ?... Honnêtement, je pense qu’il serait risqué de le perdre de vue…
- Est-ce qu’il présente bien ?
- Pardon ?

Misora répéta inconsciemment la question de L qu’elle ressentait comme hors sujet, et celui-
ci demanda de nouveau : « Je vous ai demandé si ce détective privé présentait bien ? ».
Misora ne comprenait pas le but de la question mais répondit honnêtement : « Non, il craint
un maximum ».

- Il est malsain et négligé, et si je n’étais pas en inactivé, j’aurais pris la décision d’arrêter
cette personne des plus suspecte. Si je devais classifier ceux qui doivent mourir pour le bien
de ce monde et les autres, il ferait indubitablement partie de la première catégorie. On dirait
un pervers qu’on souhaiterait voir mettre fin à ses jours.
-…

Pas de réponse en retour.


Qu’est-ce qui lui arrive ?

- … Bon, voici mes directives, Mlle Misora.


- J’écoute.
- Gardez un œil sur ce détective privé. Vous pensiez probablement à la même chose. Le
perdre de vue serait risqué, mieux vaut donc observer ses mouvements. Je pense que le
raisonnement concernant la photo de l’autopsie est une prouesse à mettre à votre actif plutôt
qu’au sien. Je suis également persuadé que ce détective n’est pas ordinaire.
- Je pense la même chose.
- Est-il actuellement près de vous ?
- Non, je suis seule. Je vous téléphone depuis les toilettes. En partant de la chambre, il faut
monter les escaliers puis avancer tout au fond.
- Retournez tout de suite auprès de lui. Je me charge de vérifier si les parents de Believe
Bridesmaid ont bien demandé à ce détective nommé Luxaky d’élucider cette affaire.
- Entendu.
- Vous pouvez utiliser la même ligne pour notre prochaine conversation. Sur ce…

Fin de la communication.

Elle replia son portable.

« Bon, il vaudrait mieux que j’y retourne au plus vite afin de ne pas éveiller les soupçons…
Luxaky pourrait penser que j’ai quitté la chambre à un moment peu naturel », pensa Misora
en sortant des toilettes. Luxaky se tenait devant la porte qu’elle venait d’ouvrir.

- Hii… !
- Vous étiez là, Mlle Misora ?

Il n’était pas à quatre pattes, mais Misora en eut tout de même le souffle coupé. Depuis quand
cet homme était-il là ?

- 32 -
- Quand vous avez quitté la chambre, j’ai découvert un nouvel élément et ne pouvant tenir en
place, je suis venu vous chercher. Puis-je vous en faire part ?
- Ou… oui…
- Par ici je vous prie.

D’un pas léger et le dos excessivement courbé, il se dirigea vers les escaliers. Misora lui
emboîta craintivement le pas. « A-t-il écouté la conversation à travers la porte ?... », se
demanda-t-elle, rongée par l’inquiétude. Prétendre à la découverte d’un nouvel élément n’était
peut-être qu’un expédiant… Elle avait parlé à voix basse, il n’avait donc pu rien entendre,
mais en faisant abstraction du fait qu’il ait entendu ou non, imaginons qu’il ait tenté d’écouter
clandestinement…

- Au fait, Mlle Misora.


- Ou… oui ?

Sans se retourner, Luxaky dit :

- Avant que vous ne sortiez des toilettes, je n’ai pas entendu le bruit de la chasse d’eau…
Qu’est-ce que cela signifie ?
- …Luxaky, poser ce genre de question à une femme est indécent.

Tout en prenant conscience avec inquiétude de son erreur, elle pallia instantanément celle-ci
avec ces propos.

- Je vois... Alors, pourquoi ? Si vous avez oublié de tirer la chasse, il n’est pas trop tard, allez-
y. Il s’agit là d’un problème d’hygiène, le genre n’entre donc pas en ligne de compte.
-…

La tournure de cette interrogation est indécente.


Non, elle est à double sens.

Je téléphonais à mon client, que je contacte à heure fixe, voilà tout. Je ne voulais pas que vous
entendiez la teneur de notre conversation.
- Je comprends. Mais tout de même, il aurait mieux valu tirer la chasse. En effet, cela aurait
servi de camouflage.
- De camouflage ?...

C’est sur cette discussion qu’ils parvinrent à la chambre. En y pénétrant, Luxaky se mit tout
de suite à quatre pattes. Plutôt qu’une méthode de recherche analogue à celle de Sherlock
Holmes, on n’y voyait là qu’une simple superstition.

- Par ici.

Luxaky se mut bruyamment sur le tapis et se dirigea vers l’étagère. L’étagère aux cinquante
sept livres placés sans interstices de Believe Bridesmaid. Le premier endroit exploré par
Misora après avoir conversé avec L.

- Vous m’avez parlé d’un nouveau fait…


- Oui. Enfin non, osons appeler cela une vérité. J’ai découvert une vérité dans cette étagère.

- 33 -
-…

Tenter de tenir des propos bien toilettés est désagréable.


Elle n’en tint pas compte.

- … Autrement dit, il y a dans cette étagère une preuve utile à la résolution de l’enquête ?
- Regardez ici.

Luxaky désigna l’extrémité droite de la deuxième rangée de l’étagère, en partant du bas. Il y


avait là une série de onze bandes dessinées japonaises appelée Akazukin Chacha4.

- Et alors, qu’y a-t-il ?


- Ce manga est très plaisant.
- Pour qui ?
- Pour moi.
-…

Difficile d’acquiescer d’un hochement de tête. Contre sa volonté, le visage de Misora faillit
afficher une douce expression… Sans même tenter de partager les sentiments complexes de
Misora, il continua :

- Mlle Misora, vous êtes d’origine japonaise, n’est-ce pas ?


- Eh bien… mes parents sont japonais. Je suis maintenant de nationalité américaine, mais j’ai
vécu au Japon jusqu’au lycée.
- Vous connaissez donc ce manga, chef-d’œuvre historique signé Min Ayahana. J’ai lu toute
la collection. Shiine était trop trognon. J’affectionne autant le manga que l’animé. « Amour,
courage, espoir : holly up ! »

- Luxaky, votre récit va-t-il prendre du temps ? Si oui, je prendrai congé.


- Pourquoi voulez-vous partir alors que je vous parle ?
- Euh… Moi aussi j’aime beaucoup Akazukin Chacha. J’ai regardé l’animé… Je disais aussi
« Amour, courage, espoir : holly up ! »…

Misora voulait dire par là qu’elle ne portait pas le moindre intérêt quant aux goûts de Luxaky,
mais même si elle exprimait son avis à partir d’un point de vue sensé, elle doutait que le
détective soit réceptif à sa signification. Elle éprouvait également du scepticisme envers
Luxaky lui-même. Non, c’était trop dire.

- Je vois... Je vous parlerai une prochaine fois de l’attrait de l’animé autour d’un dîner, mais
pour le moment, regardez ceci.
- D’accord…

Comme indiqué, elle regarda les mangas Akazukin Chacha placés dans l’étagère.

- Vous apercevez-vous de quelque chose ?


- Pas vraiment…

4
Littéralement « Chacha, Le Petit Chaperon Rouge ».

- 34 -
Elle n’y voyait qu’un alignement de livres. On devinait tout au plus que Believe Bridesmaid
était doué en japonais et que lire des mangas le passionnait… Ce n’était pas le seul individu
dans ce cas aux Etats-Unis. Même s’il n’y avait pas que des lecteurs passionnés au point
d’acquérir les versions originales plutôt que les versions traduites, c’était un cas assez répandu.
A l’heure où Internet est roi, se procurer une version originale est un jeu d’enfant.

Luxaky scruta Misora avec ses yeux de panda. Un regard déplaisant… Comme pour s’en
échapper, elle vérifia chaque volume de Akazukin Chacha. Cependant, la vérification des onze
volumes ne lui permit pas de trouver un nouveau fait ou une vérité digne de ce nom.

- Je ne comprends pas... Y a-t-il quelque chose dans ces onze bandes dessinées ?
- Non, il n’y a rien.
- Pardon ?!

Elle resta bouche bée.


Elle n’aimait pas qu’on se moque d’elle.

- Que voulez-vous dire par là ?


- IL N’Y A RIEN.

Luxaky réitéra ses propos.

- « QUELQUE CHOSE QUI N’EST PAS LA BIEN QU’IL SOIT CENSE L’ETRE », Mlle
Misora. Vous avez deviné que s’il y avait quelque chose contenant un message du criminel,
ce quelque chose n’était plus là. Vous avez aussi deviné qu’il s’agissait du corps de Believe
Bridesmaid. Je pense qu’il n’est pas nécessaire de vous expliquer, mais bon… Regardez, Mlle
Misora. IL MANQUE DES VOLUMES. Les volumes quatre et neuf ont été retirés.
- Quoi ?!
- Akazukin Chacha comporte au total treize volumes. Il en manque donc deux.

Elle vérifia les numéros inscrits sur les couvertures : « 1 », « 2 », « 3 », ensuite « 5 », « 6 »,


« 7 », « 8 », ensuite « 10 » « 11 ». Si comme l’a dit Luxaky, il existe treize volumes, il en
manque deux, à savoir le quatrième et le neuvième.

- Vous avez raison, mais qu’est-ce que cela fait ? Vous pensez que le criminel a emporté les
volumes quatre et neuf ? Une réflexion sur cette piste est certes obligatoire, mais peut-être
qu’à l’origine, la collection de la victime était incomplète… Elle avait peut-être l’intention de
les acheter plus tard. Il n’y pas uniquement des gens lisant les livres dans l’ordre. D’ailleurs,
j’en prends pour témoin sa série de Dickwood : elle est incomplète… .

« C’est impossible», dit catégoriquement L.

- Personne sur cette Terre ne lit Akazukin Chacha en sautant les volumes quatre et neuf. Cela
serait probablement une preuve tout à fait recevable lors d’un procès.
-…

Comment cet homme perçoit-il le système judicaire américain ?

- Du moins, si le jury se compose de personnes bien au fait des bandes dessinées japonaises…
- Je déteste ce genre de procès partial.

- 35 -
- Il serait pertinent de penser que le criminel les a emportés.

Luxaky prenait uniquement son avis en compte.


Cependant, se conformant au bon sens de son point de vue, Misora ne céda pas.

- De toute façon, rien ne prouve que le criminel les ait emportés. On pourrait par exemple
penser que la victime les a prêtés à un ami.

- On parle bien de Akazukin Chacha, non ? Je ne les prêterais même pas à mes parents. Je leur
dirais de les acheter. En d’autres termes, penser que le criminel les a emportés est la seule
solution envisageable.

Luxaky s’exprima sur un ton ferme.

Puis il continua :

- Mais de la même façon, je pense que dans ce bas monde, personne ne voudrait uniquement
lire les volumes quatre et neuf. J’en parierai ma confiture, si nécessaire.
- Si vous faites allusion à la confiture que vous avez mangée tout à l’heure, elle vaut dans les
cinq dollars…

Min Ayahana n’en serait pas contente.

- Voilà pourquoi nous devons considérer le fait que le criminel ait emporté deux volumes
comme un but précis.
- … L’absence de deux volumes dans cette étagère étant une réalité, prenons provisoirement
en compte cette hypothèse… Mais dans ce cas, quelque chose ne colle pas, Luxaky. Cette
étagère…

Les livres étaient placés sans interstices, rendant ainsi l’extraction difficile. Si deux bandes
dessinées ont réellement été retirées, il devrait un y avoir un interstice… Non, un instant !

- Luxaky, savez-vous combien de pages contiennent les volumes quatre et neuf de Akazukin
Chacha ?
- Bien entendu. 192 et 184 pages.
-…

Bien qu’ayant posé la question, elle n’attendait pas de réponse… Quoi qu’il en soit, 192 plus
184 pages donne un total de 376 pages… Misora délaissa la partie essentielle de l’étagère et
promena son regard sur son ensemble. Elle chercha ensuite parmi les cinquante-sept livres
une BANDE DESSINEE D’UNE EPAISSEUR DE 376 PAGES. Cela n’a pas pris beaucoup
de temps. L’étagère ne contenait qu’un livre d’une telle épaisseur : Asobi tarazu5, de Permit
Winter.

Elle vérifia le livre : il contenait exactement 376 pages.

-…

5
« Manque de divertissement»

- 36 -
Sur sa lancée et pleine d’espoir, Misora tourna soigneusement les pages du livre, mais ne
repéra rien d’anormal.

- Qu’y a-t-il, Mlle Misora ?


- Rien… Je me disais que LE CRIMINEL AVAIT RETIRE DEUX LIVRES DE CETTE
ETAGERE POUR EN METTRE UN AUTRE A LA PLACE… En bref, je pensais que c’était
justement ce livre, le message qu’il avait laissé…

Si cette manie de ranger sans interstices les livres dans une étagère n’est pas l’oeuvre de
Believe Bridesmaid, cette hypothèse deviendra évasive. Peut-être qu’il s’agissait en réalité
d’une étagère pleine d’interstices et que le criminel y avait convenablement inséré des livres
ramenés d’un autre endroit afin d’y adjoindre un message... En poussant la réflexion jusque-là,
il devient même douteux que Akazukin Chacha appartienne réellement à Believe Bridesmaid.
En allant jusqu’à inclure l’absence de signets, il naît la possibilité que le criminel ait crée une
mise en scène pour le message… Néanmoins, peu importe car s’il en est ainsi, il réside alors
ICI à coup sûr un message émanant du criminel. Cependant, le point essentiel, à savoir le livre,
n’ayant rien d’étrange, la théorie s’écroule à partir de la base. C’est comme bâtir des châteaux
en Espagne.

- Votre point de vue n’est pas mal. Non, je pense qu’il est bon… Enfin, je dirais surtout que
c’est tout ce que nous avons.

Luxaky tendit la main à Misora. Elle se demandait que faire s’il lui réclamait une poignée de
main, mais dans le cas présent, il devait lui réclamer Asobi tarazu. Misora le lui tendit. Il le
saisit avec les doigts d’une seule main et commença à le lire. Il semblait avoir la lecture
rapide. Il allait finir en un rien de temps ce livre de 376 pages.

Moins de cinq minutes suffirent pour qu’il en vienne à bout.

« La prochaine fois, j’aimerais lui faire lire du Natsuhiko Kyôgoku », pensa Misora.

- J’ai compris.
- Quoi ? Vous avez compris quelque chose ?
- Non, j’ai compris qu’il n’y avait rien… Ne me jetez pas ce regard, je n’ai aucune raison de
plaisanter. Au niveau du contenu, il s’agit d’un banal roman de divertissement, aucun
message inséré où de métaphore semblable aux poupées de paille. Bien entendu, il n’y a
aucune lettre ou autre chose d’insérée, pas plus que de griffonnage dans les marges.
- Dans les marges… ?
- Exact. Il ne figurait dans les marges que la pagination.
- La pagination… ?

Misora réagit à ce mot. Pagination : numéro de page. Numéro de page : chiffre ? En parlant de
chiffre… chiffre romain ?...

- Luxaky… Si des chiffres romains sont bien gravés sur la poitrine de la victime… Quels
étaient ces chiffres déjà ?
- « 16 », « 59 », « 1423 », « 159 », « 13 », « 7 », « 582 », « 724 », « 1001 », « 40 », « 51 » et
« 31 ».

- 37 -
Quelle mémoire… Il n’a même pas regardé à nouveau la photo. Il semble avoir une aptitude
pour mémoriser les choses au premier regard. Les pages d’une bandes dessinées ou n’importe
quoi d’autre…

- Quelque chose ne va pas ?


- Non… Je me disais que ces chiffres désignaient peut-être des numéros de pages, mais ce
n’est pas possible. Il y a deux nombres à quatre chiffres. Par définition, un livre de 376 pages
ne peut pas contenir 1000 pages.
- Tout à fait… Non, Mlle Misora. Dans ce cas, il suffit de multiplier 376 par deux fois, non ?
Par exemple, on traduit « 476 », par 376 + 100, ce qui indique la page 100.

- … Sur quoi cela va-t-il déboucher ?


- Aucune idée, mais essayons d’y réfléchir. « 16 » désigne la page 16… « 59 », « 1423 »,
« 159 », « 13 », « 7 », « 582 », « 724 », « 1001 », « 40 », « 51 » et « 31 »…

Luxaky ferma légèrement ses yeux de panda.


Il n’essaie pas de vérifier le livre…Il n’a quand même pas pu se rappeler de toutes les phrases
d’un livre en l’ayant lu aussi rapidement… ? Est-ce possible ? En est-il capable ? Quoi qu’il
en soit, Misora ne pouvait que regarder Luxaky faire.

- …J’ai compris.
- Vous avez compris qu’il n’y avait rien ?
- Non, j’ai compris qu’il y avait quelque chose. Quelque chose de plus concret. Mlle Misora.

Luxaky tendit Asobi tarazu à Misora. Il lui dit ensuite de l’ouvrir à la page 16.

- C’est fait.
- Quel est le premier mot de cette page ?
- Quadratic
- Allez maintenant à la page 59. Quel est le premier mot de cette page ?
- Ukulele
- Maintenant, page 295 je vous prie. Etant donné que c’est « 1423 », on multiplie 376 par trois
qu’on soustrait à 1423 et on obtient 295. Quel est le premier mot ?
- Tenacious

Ci-dessous, la même marche à suivre.


« 159 » équivaut à la page 159, « 13 » à la page 13, « 7 » à la page 7, « 582 » à la page 206,
« 724 » à la page 348, « 1001 » à la page 249, « 40 » à la page 40, « 51 » à la page 51 et
« 31 », à la page 31. Misora lut le premier mot de chaque page. Dans l’ordre : « rabble »,
« table », « egg », « arbiter », « equable », « thud », « effect », « elsewhere », « name ».

- Voilà.
- Voilà… Et alors ?
- Reliez la première lettre de chacun des mots.
- La première lettre… Eh bien…

Misora vérifia une nouvelle fois chacune des pages. Sa mauvaise mémoire ne lui permettait
pas de retenir douze mots du premier coup. L’histoire n’aurait toutefois pas été la même si on
lui avait dit dès le départ de les mémoriser.

- 38 -
- Q-U-T-R-T-E-A-E-T-E-E-N… Qutrteateen ? N’est-ce pas étrange ?
- Ne pensez-vous pas que cela ressemble au nom de la seconde victime ?
- Maintenant que vous le dites…

La seconde victime, une jeune fille de 13 ans.


Quarter Queen.

- Il est vrai que la prononciation… ou plutôt l’orthographe, est ressemblante. Elle s’appelait
Quarter Queen… Seules quatre lettres diffèrent.
- Effectivement. Cependant…

Luxaky interrompit évasivement sa phrase.

- Il est bien dommage que parmi les douze lettres, quatre diffèrent. Un tiers des lettres ne
correspond pas. Même si une seule lettre était fausse, la valeur de ce genre de raisonnement
serait nulle. Sans correspondance parfaite, le message est dénué de sens. Je pensais qu’il y
avait quelque chose, mais bon, c’était peut-être le hasard.
- Un tel hasard…

C’EST BIEN TROP HATIF.


Existe-t-il un tel hasard ?
On ne peut s’empêcher de ressentir une visée.
Une visée… ou une étrangeté.

- Mais Mlle Misora, nous ne pouvons rien au fait que cela ne corresponde pas. Nous avons
fait tout cela pour rien…
- …Non, Luxaky. Réfléchissez bien. Les quatre nombres qui diffèrent sont tous supérieurs à
« 376 », soit au nombre de total pages. Pour ces nombres, on doit multiplier « 376 » une, deux
ou trois fois. Donc…

Elle tourna les pages pour une troisième vérification. Page 295. Le premier mot était
« tenacious » : la première lettre était un « T », la seconde un « E », la troisième un « N » et la
quatrième, un « A ».

- ON MULTIPLIE 376 PAR TROIS FOIS, PUIS ON DOIT CHOISIR NON PAS LA
PREMIERE LETTRE, MAIS LA QUATRIEME. Donc le « T » et non pas le « A ». Pour
« arbiter » associé à « 582 », on multiplie 376 une fois, puis on choisit non pas le « A », mais
le « R », la seconde lettre. Ainsi « Q-U-T-R-T-E-A» donne « Q-U-A-R-T-E-R ». Ce n’est
donc pas Qutrtea, mais Quarter.

De la même manière, « equable » étant assimilé à « 724 », on multiplie 376 une fois puis on
choisit la deuxième lettre, soit le « Q », « 1001 » étant assimilé à « thud », on choisit le « U »
et non pas le « T ». Ainsi « E-T-E-E-N » donne « Q-U-E-E-N ». En d’autres termes, Quarter
Queen.

Le raisonnement de L était juste.


Une trace, un message laissé par le criminel.

- 39 -
Un message avait clairement été laissé par le criminel via le cadavre meurtri et les deux livres
retirés de l’étagère. Tout comme la grille de mots-croisés envoyée au siège de la police de LA,
il s’agissait d’un message désignant la victime suivante…

« Vous avez réussi, Mlle Misora », dit Luxaky sur un ton indifférent.

- Quel raisonnement remarquable. Je vous avais sous-estimé, je ne suis vraiment pas de taille
à lutter avec vous.

- 40 -
Page.3 Inversion

La raison pour laquelle L refusait obstinément de se présenter aux gens en tant que L se
résumait en un mot : danger. Danger. Son remarquable esprit dépassait le cadre du monde des
détectives et devait être protégé par la nation telle une œuvre d’art. Le système social en étant
néanmoins incapable, L devait donc protéger lui-même son intelligence mais quoi qu’il en
soit, cette logique était déjà sienne. Un calcul simple : en 2002, L avait la capacité de
mobiliser en moyenne cinq organes d’enquêtes et sept organes d’informations (ces nombres
montèrent en flèche lors de l’affaire Kira). Il serait facile de penser qu’il était simplement
sujet au respect ou à l’admiration, mais à parler franchement, il était d’autant plus dangereux
qu’un seul être possède des capacités aussi grandes. On était à des années-lumière d’une
gestion de crise moderne consistant à répartir les risques. Pour schématiser, si quelqu’un
projette un crime et réussit à éliminer L avant de le perpétrer, le risque de se faire coincer
baisserait considérablement. Voilà pourquoi L dissimulait son identité. Il ne s’agissait pas
particulièrement de timidité ou parce qu’il était casanier. C’était pour protéger sa vie. Protéger
sa vie revient à protéger la paix dans le monde : voilà ce que signifie devenir un détective au
standing similaire à celui de L. Il serait par conséquent incorrect de considérer cela comme de
la couardise ou de l’égocentrisme. Je ne veux pas le mettre dans le même sac, mais force est
de reconnaître que le tueur démoniaque Kira, même s’il dispose d’un pouvoir exceptionnel lui
permettant de tuer en écrivant simplement un nom dans un carnet, ne s’affiche non plus pas
au grand jour. Le sage dissimule sa sagesse. Le sage n’arbore pas de badge. Si un homme
revendique à corps perdu ses compétences, il se retrouve traqué… Il ne faut surtout pas parler
de son travail.

Voilà pourquoi quand L entre en action, il expose quelqu’un… Dans le cas présent, il
s’agissait de l’agent du FBI Naomi Misora. Celle-ci le savait à partir du moment où il avait
sollicité son aide. Elle savait qu’elle servirait de bouclier à L. Elle se demandait quelle était la
part de danger dans sa relation direct avec L… Dès lors, Misora tenta par tous les moyens de
tirer les vers du nez à Luxaky, mais elle avait beau penser positivement, ses suppositions ne la
menait qu’à un même point : « il n’a PROBABLEMENT pas entendu la conversation entre L
et moi ». S’il s’apercevait de la relation entre L et Misora et qu’il divulguait cette information,
Misora se retrouverait plongée en un instant dans une situation extraordinairement délicate.
De ce fait, malgré son caractère inébranlable, Misora n’en était pas moins inquiète, surtout au
vu de la grande faculté de raisonnement de Luxaky… Une journée s’était écoulée depuis les
éclaircissements effectués dans la chambre du domicile de Believe Bridesmaid, et Misora
réfléchit à la possibilité que Luxaky l’ait habilement dirigée. Elle avait le sentiment d’avoir
atteint par elle-même la réponse, mais… En se remémorant la pagination et les multiplications,
elle s’aperçut que Luxaky l’avait comme guidée. Etait-il nécessaire qu’il la fasse exprès lire à
haute voix les mots de chaque page ? On peut penser qu’il s’agissait d’une mise en scène
destinée à faire croire à Misora qu’elle avait participé au raisonnement… Cette réflexion
inquiéta Misora car elle indiquait qu’elle s’était simplement efforcée de franchir la ligne
d’arrivée et que le reste n’était qu’un terrain préparé par Luxaky. Une inquiétude, ou plutôt
une méfiance, sans doute suscitée par la pression de L … Certes, avoir pu trouver le nom de la
seconde victime à partir de l’étagère à livres de la chambre de Believe Bridesmaid fut
grandement bénéfique pour l’avancement de l’enquête : seule la seconde victime répondait au
nom de Quarter Queen dans le grand Los Angeles… Néanmoins, elle se sentait quelque part
troublée.

- 41 -
16 août.

Naomi Misora se rendit sur la Sad Avenue de Downtown, lieu du second assassinat. Ne
connaissant absolument pas ce quartier, elle consulta une carte. Un jour s’écoula. En
réfléchissant au fait qu’elle ne savait pas quand se produirait un quatrième meurtre, elle
éprouva au départ le désir de quitter le domicile de Believe Bridesmaid pour se rendre dans la
foulée à Downtown, mais elle devait avant cela enquêter ainsi que corroborer une multitudes
de choses. En songeant également aux conditions du trafic, elle décida de reporter au
lendemain la visite du second lieu. En comptant à partir de la troisième affaire, ce fut trois
jours plus tard… Neuf jours, quatre jours, neuf jours. Si le criminel maniaque respecte
scrupuleusement son schéma, le prochain cycle sera de quatre jours et un quatrième meurtre
se produirait donc demain, mais il n’y avait rien à faire à l’heure actuelle. Il n’existait pour le
moment aucun moyen de l’empêcher. L’agissement ne pouvait donc se faire que dans la
mesure du possible. En effet, Misora n’avait actuellement aucune base pouvant répondre à un
danger imminent.

De plus, selon l’enquête de L, les parents de Believe Bridesmaid auraient réellement demandé
à un détective nommé Luee Luxaky de mener l’enquête… Ajouter à cela que les personnes en
relation avec Quarter Queen, la seconde victime, et celles en relation avec Backyard
Bottomslash, la troisième, avaient également sollicité Luxaky pour une enquête. Misora
trouva cela trop circonspect voire louche, mais si c’était bien la vérité, elle n’en tirerait pas
profit. Il n’y avait pas d’angle d’attaque. Malgré les capacités d‘investigation de L, les
intentions sous-jacentes de Luxaky n’avait pas encore été percées… Jouant la carte de la
collaboration et de l’entraide, Misora devait donc le surveiller tout en le laissant libre de ses
mouvements, sur ordre de L.

Misora se demanda si en réalité, L n’était pas parvenu à une conclusion au sujet de Luxaky.
Peut-être qu’il ne pouvait pas simplement lui expliquer à cause du risque relatif à leurs
rapports…Pour elle, penser que L divulgue toutes ses informations relevait de la stupidité.
Alors concernant Luxaky… Cependant il s’agissait là encore de soupçons infondés. Luxaky
était certes louche, mais concrètement, il n’avait rien fait… Elle persistait tout de même dans
ses soupçons. En pensant qu’elle devrait aujourd’hui encore le voir se mettre à quatre pattes et
ramper dans la pièce (à vrai dire, elle avait rêvé de cela hier soir. Le genre de rêve qui la fait
se lever en sursaut, elle qui est de mauvais poil au réveil), elle ne put s’empêcher de
déprimer… A ce moment, on était le 16 août, 10h du matin.

Naomi Misora fut attaquée.

Au moment où elle traversa une ruelle mal éclairée et peu fréquentée, un raccourci menant sur
les lieux de l’affaire, elle reçut par derrière un coup de blackjack. Du moins elle faillit
seulement, l’évitant en se baissant. Un blackjack est une arme maniable et simple à mettre au
point : remplir simplement un sac en cuir avec du sable suffit. Une arme non seulement facile
à dissimuler, mais également au taux d’efficacité non négligeable. Tout en entendant l’arme
qui avait effleuré ses cheveux fendre l’air, Misora ne fut pas vraiment surprise par ce qui lui
arrivait, étant donné qu’elle avait naturellement conscience qu’à partir du moment où elle
jouait pour L le rôle des membres, de la vue et du bouclier, elle s’exposait au danger. Cette
situation opportune lui permit de chasser de son esprit l’image d’un Luxaky à quatre pattes.
Elle flanqua ses deux mains sur l’asphalte et dans cet élan, tendit ses longues jambes… Visant
la mâchoire de son agresseur, en position du poirier, elle se tortilla afin de faire pivoter ses

- 42 -
hanches. Elle ne le toucha pas. Peu importe, ce mouvement était une esquive servant avant
tout à voir à qui elle avait affaire. Il n’y avait qu’un adversaire… Il portait un masque. Il était
inespéré qu’il soit seul mais quand elle vit qu’il tenait en plus du blackjack dans sa main
droite, une grosse barre de fer dans la gauche, elle comprit que l’heure n’était pas à la
fanfaronnade. Ce n’était pas un simple malfaiteur. Tout comme hier, Misora ne portait pas
d’arme. Evidemment, elle n’avait également ni badge, ni menottes. Fuir était sans doute la
solution la plus adéquate, mais répondre à une attaque par la fuite n’était pas dans son
tempérament. Au sein du FBI, on la surnommait «Misora la bouchère ». Bien qu’elle soit
l’objet de bien de méchancetés, ce surnom n’était sans doute pas infondé. Elle sauta, se
réceptionna, écarta les jambes de l’avant vers l’arrière, mit sa main droite devant son visage,
fléchit les hanches et tout en balançant son corps, tomba en arrêt devant son agresseur. Devant
cette posture, l’assaillant sembla tergiverser l’espace d’un instant… Cette fois-ci, il se servit
non pas du blackjack mais de la barre de fer. Elle l’évita en faisant osciller le haut de son
corps… Exploitant pleinement l’étroitesse de la ruelle, elle visa la tempe de son agresseur
avec le talon droit dans un mouvement de roue. Elle visa cette fois-ci sérieusement, mais il
esquiva également. Ainsi se conclut l’attaque défense. Misora n’éprouvait pas l’envie de fuir
mais son adversaire ne semblait pas être dans les mêmes dispositions. Pendant que Misora
rétablissait sa posture, son agresseur lui tourna subitement le dos et se mit à courir. Elle pensa
un instant qu’elle se devait de le prendre en chasse mais après réflexion, elle s’arrêta au bout
de la deuxième foulée. Il s’agissait probablement d’un homme. Elle ne pensait pas perdre en
combat rapproché mais l’histoire était différente s’agissant d’une course de vitesse. La course
n’était pas vraiment son fort. Elle ne voulait pas se dépenser inutilement.

Elle arrangea ses cheveux emmêlés suite à ces rudes mouvements pour ensuite sortir son
portable de son sac et téléphoner à L. Cependant le téléphone sonnant dans le vide, le contact
ne fut pas établi. Il était le détective du siècle, occupé et difficile à joindre en dehors des
heures fixes. Par bonheur, n’ayant pas reçu de dommages effectifs, le rapport pouvait donc
attendre. D’autant plus qu’il valait sans doute mieux se rendre au plus vite sur les lieux…
Suite à cette agression, les soupçons de Misora envers Luxaky s’intensifièrent. Elle ne savait
pas s’il s’agissait d’un agresseur en rapport avec l’affaire ou alors d’un agresseur connaissant
la relation entre L et elle, mais dans les deux cas, au vu du timing, la possibilité que Luxaky y
soit mêlé était loin d’être nulle… Il valait peut-être mieux qu’elle enquête elle-même sur
Luxaky sans s’en référer à L, pour sa propre défense… Tout en se demandant si elle ne
devrait pas contacter Raye pour lui demander d’enquêter secrètement, elle décida de quitter la
ruelle.

UU

Comme il s’y attendait, Misora ne l’avait pas poursuivi.

Sur l’avenue où débouchait la ruelle, l’agresseur monta dans une berline dont le moteur avait
été laissé en marche, regarda autour de lui un moment et après avoir vérifié les rétroviseurs
arrière, se gara dans un parking choisit au préalable. Cette Berline était une voiture volée mais
il ne s’inquiétait pas d’être filé car il avait l’intention de l’abandonner ici. Tout en prenant
connaissance des caméras de surveillance, il se déplaça ensuite à pied. Evidemment, il avait
laissé le masque, le blackjack et la barre de fer dans la berline. Il les avait rassemblés et placé
LE TOUT dans la boîte à gants. Il ne restait évidemment pas d’empreintes. Depuis le départ,
il n’avait aujourd’hui pas l’intention d’orienter jusqu’ici Naomi Misora. Son intervention

- 43 -
avait simplement pour but de mesurer les capacités d’investigation de Misora. Bien qu’il l’ait
agressé par derrière, il n’avait pas pour intention de la blesser… EN EFFET IL AVAIT
POUR INTENTION DE LA TUER.

ELLE NE DEVAIT PAS MOURIR.


IL SAVAIT QU’ELLE ESQUIVERAIT.

Outre cela, cette femme était remarquable car elle avait esquivé son attaque sans se retourner
et riposté aussitôt… ELLE ETAIT DIGNE D’ETRE LE PION DE L. Elle était non seulement
intelligente mais faisait également preuve d’audace sur le terrain… Il le fallait.

Elle semblait compétente.

ASSEZ POUR L’AFFRONTER.

L’agresseur fit craquer son cou.

Il laissa sa tête inclinée et c’est dans cette curieuse posture qu’il marcha dans la rue.

L’agresseur.

Le criminel de l’affaire BB des meurtres en série de Los Angeles, Beyond Birthday, marcha
dans la rue, affichant un cruel sourire.

UU

- Ah, vous voilà Mlle Misora. Vous êtes en retard.

Ces propos tenus sur un air indifférent par un Luxaky qui ne s’était même pas retourné
accueillirent une Misora venant à peine de franchir le seuil de l’appartement 605 habité par
Quarter Queen.

- Veuillez respecter l’heure du rendez-vous. Le temps, c’est de l’argent et de la vie


- Entendu…

Il ne se tenait pas à quatre pattes. En effet, il inspectait la partie supérieure d’une commode.
Toutefois, on ne pouvait pas vraiment dire que Misora tombait à propos car ce tiroir
renfermait les sous-vêtements d’une jeune fille de treize ans. Avec cet acte, Luxaky passait
plus pour un pervers s’amusant avec les culottes d’une petite fille plutôt que pour un détective
enquêtant sur une affaire.
Cette attitude la refroidit quelque peu. Suite à son agression dans la ruelle, elle voulut adopter
une attitude plus dure envers Luxaky mais elle se dégonfla. Si c’était une stratégie de Luxaky,
le timing était parfait. Plutôt que cela, elle avait vraiment le sentiment de voir Luxaky
s’amuser avec les culottes d’une petite fille.

Dans un soupir, Misora promena son regard dans la pièce : un appartement pas très grand,
voire même plus petit que la chambre de Believe Bridesmaid. Même si ce n’était pas une
différence d’un point de vue économique, c’était une réalité qui pouvait faire ressentir le lien
manquant entre les deux premières victimes.

- 44 -
- C’est certain… La victime vivait seule avec sa mère et cette dernière est actuellement
rentrée chez ses parents, probablement choquée par cette histoire.
- Oui. A l’origine, cet appartement fut construit pour des étudiants vivant seuls et son
occupation par une mère et sa fille attirait pas mal l’attention. Ma petite enquête menée ce
matin m’a permis de recueillir une foule de propos intéressants, même s’ils font presque tous
doublons avec le document d’enquête de la police que vous m’avez montré hier… Au
moment des faits, la mère était en voyage et une étudiante voisine, alertée par un bruit suspect,
découvrit la première le corps… Les retrouvailles entre la mère et sa fille eurent lieu à la
morgue de l’hôpital.
-…

Tout en écoutant les propos de Luxaky, Misora vérifia en premier lieu les murs de la pièce…
Elle constata les marques signalant l’emplacement des poupées de pailles. Sur les quatre murs,
seul celui incluant la porte ne comportait pas de trou. Les trous occupaient les mêmes
emplacements que dans la chambre de Believe Bridesmaid.

- Etes-vous inquiète, Mlle Misora ?


- Oui… Il est évident qu’hier, nous…

Elle insista sur le « nous ».

- Nous avons déchiffré le message laissé par le criminel sur le premier lieu de l’affaire mais…
les questions concernant la chambre close et les poupées de paille sont restées en suspens.
- Exact.

Luxaky ferma la commode et se positionna à quatre pattes. Cependant, ce lieu différait du


premier : deux personnes l’habitaient, les meubles étaient nombreux et le désordre régnait. Y
manœuvrer à quatre pattes semblait quelque peu incommode. Nullement décontenancé,
Luxaky se dirigea du côté opposé de la chambre dans une posture inchangée. « J’aurais tant
voulu qu’il se décourage », pensa Misora.

- Mlle Misora, je pense que se pencher sur la question de la chambre close n’est pas vraiment
nécessaire. Nous ne sommes pas dans un roman policer : en réalité, la piste concernant
l’utilisation d’un double de clé est tangible. Il n’existe dans ce monde aucune clé impossible à
dupliquer.

- Vous avez sans doute raison, mais… Il me semble inélégant pour le criminel de cette affaire
de recourir à un double de clé. A l’origine, il n’avait pas besoin d’imaginer une chambre close.
POURTANT, IL L’A FAIT SCIEMMENT. Je me demande donc s’il n’y aurait pas une
énigme…

- Une énigme ?
- Ou bien un jeu, un divertissement…
- Je vois… Peut-être bien.

Misora vérifia la porte qu’elle venait de franchir. Même si le design différait de celui du lieu
de la première affaire (les portes de l’intérieur du domicile et celle de l’entrée étaient
différentes), la structure et la taille étaient à peu près similaires. Une serrure thumbturn. Une
serrure assez banale dotée d’un mécanisme simple, qu’on pince avec les doigts et qu’on
tourne… Avec une perceuse, on perfore la porte de l’extérieur et on tourne la pince. Cette

- 45 -
technique appelée « Thumbturn mawashi » est utilisée sur ce type de serrure lors des
effractions. Toutefois, aucune perforation n’avait été effectuée sur les portes des trois affaires.

- Dites-moi Luxaky, comment procéderiez-vous si vous vouliez fermer cette porte de


l’extérieur ?
- J’utiliserais la clé.
- Mais non, imaginons que vous ne l’ayez pas.
- J’utiliserais un passe-partout.
- Et si vous n’en aviez pas ?
- Je ne pourrais pas la fermer.
-…

Bah, c’est une opinion banale…


Misora fit bouger la porte en la poussant de sa main.

- Luxaky, au sujet de pièce close, le coup du « fil et de l’aiguille » est connu dans les romans
policiers… Tenez, bien que cela soit une chambre close, s’agissant de la porte d’un
appartement d’une famille ordinaire, elle devait manquer d’hermétisme. Il ne s’agit pas de
l’étagère à livres de Bridesmaid, mais il n’y avait pas de raison pour qu’elle soit fermée sans
qu’il n’y ait d’interstice… Un fil pourrait passer. Par exemple, on fait passer le fil dans un
interstice, il s’accroche au bouton et le fait tourner…

- C’est sans doute impossible. Même si vous dites qu’il y a un interstice, il doit être tout petit
et au niveau de l’angle, l’énergie vectorielle se répartirait sur la porte. Vous comprendrez en
essayant, mais la majeure partie du fil touchera la porte. Même s’il s’accroche au bouton,
seule l’énergie vectorielle tirant la porte dans la bonne direction agira. Il ne fera que tirer vers
l’extérieur une porte s’ouvrant vers l’intérieur.

- Certes… Il est rare d’utiliser une telle astuce sur une porte aussi basique. S’il s’agissait d’un
roman policier, la porte d’une pièce close serait plus sujette à réflexion...

- Diverses méthodes existent pour fabriquer une chambre close. Et puis, on ne peut pas écarter
la possibilité d’un double de clé. Cependant Mlle Misora, la question est surtout de savoir
pourquoi le criminel a fabriqué une chambre close. ALORS QUE CELA N’ETAIT PAS
NECESSAIRE IL A FAIT EXPRES D’EN FABRIQUER. S’IL Y A UNE ENIGME,
QUELLE EN SERAIT LE BUT ?
- … Je vous l’ai déjà dit : un jeu, un divertissement…
- DANS QUEL BUT ?
-…

En parlant de but, quel est le but de tout ceci ?

Envoyer une grille de mots-croisés au siège de la police de L.A., laisser un message dans une
étagère à livres, assassiner trois personnes… Si le criminel a un but précis, quel est-il ? Même
s’il s’agit d’une tuerie générale, il doit tout de même y avoir une raison… Le lien manquant
unissant les victimes dont parlait L reste au final une inconnue.

Misora s’appuya contre un mur et sortit une photo de son sac. Une photo de la seconde
victime assassinée dans cette pièce… Une jeune fille blonde à lunettes allongée sur le ventre.
En regardant attentivement, sa tête épousait la forme de l’arme du crime et ses yeux étaient

- 46 -
crevés. Ces yeux crevés étaient un acte post mortem. Autrement dit, à l’instar des
meurtrissures pectorales de Believe Bridesmaid, il s’agissait d’une détérioration du cadavre
sans rapport direct avec la mort. Misora ne savait pas ce qu’il avait utilisé, mais elle se sentit
mal en se demandant quel état d’esprit habitait ce criminel pour qu’il perce les yeux d’une
jeune fille au visage angélique. En dépit de son statut d’agent du FBI, Misora n’était
absolument pas animée d’un fort sens de la justice…Il lui arrivait toutefois de trouver
certaines choses impardonnables. Le comportement du criminel à l’encontre de la seconde
victime en faisait incontestablement partie.

- Assassiner un enfant… Quelle horreur…


- Tuer un adulte est tout aussi horrible, Mlle Misora. Assassiner un enfant ou un adulte ne
change rien.

Luxaky tint ses propos envers Misora avec froideur.

- Luxaky…
- Inspection globale de la chambre terminée.

Luxaky se releva puis essuya ses mains sur son jean. Elles semblaient s’être salies quand il
était à quatre pattes.

- Il n’y a pas d’objet précieux.


- …C’est ce que vous cherchiez ?

Un cambrioleur ?
De surcroît un cambrioleur de haut vol.

- Non, c’était par précaution. En réfléchissant à la piste d’un crime avec pour but l’obtention
d’objets de valeur, comparée à la première et à la troisième victime, la seconde étant mise en
relief. Je m’attendais donc à ce que le criminel fasse sa pelote, mais je fais fausse route.
Faisons une pause. Mlle Misora, que diriez-vous d’un café ?
- Volontiers.
- Attendez un moment je vous prie.

Luxaky se dirigea vers la cuisine. Misora se demandait si aujourd’hui aussi il avait mis de la
confiture dans le réfrigérateur, mais n’ayant après tout que faire de cette pensée, elle la
délaissa et parvint à une table. Finalement, elle avait perdu l’occasion de parler de son
agression dans la ruelle à Luxaky, qu’elle avait manqué l’occasion de poursuivre son
assaillant... Tant pis. Autant ne rien dire et adopter une stratégie basée sur l’observation d’une
réaction. Rien ne prouvait qu’il était sous les ordres de Luxaky et si c’était le cas il lui serait
plus facile de guetter la suite des évènements.

- Veuillez m’excuser pour l’attente.

Luxaky était revenu de la cuisine avec deux tasses de café disposées sur un plateau. Il posa
une tasse devant Misora et l’autre sur la place en face, puis il tira la chaise et usa de la même
manière de s’asseoir qu’hier, à savoir accroupi, les bras autours des genoux. « Cette posture
informelle semble difficile à supporter, mais qu’en est-il réellement ? », se demanda Misora
en portant à sa bouche le café.

- 47 -
- Pouah !

Elle le recracha immédiatement.

- Peuh ! Urgh !
- Quelque chose ne va pas, Mlle Misora ?

Luxaky sirotait son café d’un air innocent.

- Il est impoli de recracher quelque chose une fois en bouche. De plus ce cri horrible émis
pourrait nuire à votre image. Vous avez un joli visage alors prenez soin de l’image que vous
renvoyez.
- Cette douceur meurtrière… C’est du poison !
- Il ne s’agit pas de poison. C’est de sucre.
-…

C’est toi le coupable ?

Misora regarda le contenu de la tasse qu’elle tenait… Contenu plus solide que liquide. Plutôt
que dire que le sucre avait fondu dans le café, on aurait dit du sol ou du gel qu’on aurait
humidifié avec du café qui existait majestueusement dans la tasse. Absorbé par la manière de
s’asseoir de Luxaky elle avait bu cela…

- J’ai l’impression d’avoir bu de la boue…


- La boue n’est pas autant sucrée.
- « Boue sucrée »…

S’essayer à un titre artistique et avant-gardiste ne fit pas pour autant disparaître ce diabolique
goût caillouteux qui gouvernait sa cavité buccale. Luxaky continuait de boire son café… non,
il continuait de le siroter. Il n’avait aucune raison de trafiquer le contenu de la tasse de Misora.
Cette quantité de sucre semblait être la norme pour lui.

- Aah. Il n’y a pas à dire, le café, ça revigore.

Terminant son café, Luxaky dit à Misora que dans une tasse, il mettait environ deux cent
grammes de sucre puis continua :

- Maintenant que je suis revigoré, puis-je vous parler d’un fait ?

Elle aurait voulu tout de suite quitter son siège pour se rendre dans la salle de bain afin de
nettoyer sa bouche pleine de sucre, mais tant pis. D’un « Je vous en prie », elle invita Luxaky
à continuer.

- Il s’agit du lien manquant.


- Avez-vous compris quelque chose ?
- Il semble qu’il n’y ait pas de piste concernant un crime ayant pour but d’obtenir des objets
précieux mais… quand je vous ai quitté hier soir, je me suis aperçu de quelque chose
d’intéressant. Cela concerne un point commun entre les victimes que personne n’a encore
remarqué.
- De quoi s’agit-il ?

- 48 -
- Des initiales, Mlle Misora. Les initiales des victimes ont une spécificité commune. Believe
Bridesmaid. Quarter Queen. Backyard Bottomslash. BB, QQ, BB. Autrement dit, le nom et
le prénom comportent les mêmes initiales… Que vous arrive-t-il, Mlle Misora ?
- Rien…

La déception devant se lire sur son visage, Luxaky avait interrompu ses propos mais Misora
n’éprouva pas l’envie de l’inviter à poursuivre. Elle s’était aperçue de ce fait insignifiant au
moment où elle avait lu le nom des trois victimes. Pas la peine d’utiliser un ton cérémonieux
pour sortir quelque chose comme cela.

- Luxaky… Dans ce monde… Non, simplement à Los Angeles, quel est le nombre de gens
ayant des initiales identiques pour leur nom et prénom ? L’alphabet comportant vingt-six
lettres, avec un calcul simple, une personne sur vingt-six est dans ce cas. Il ne s’agit pas d’un
point commun.
- Je vois… Moi qui pensais avoir fait une grande découverte…

Luxaky semblait déçu.

Il avait l’air de bouder mais ce n’était vraiment pas mignon.


S’il le fait exprès, c’est l’image qu’il renvoie la plus pitoyable qui soit.

- En parlant de cela, vous vous appelez Luee Luxaky, soit L.L.


- Ah… Je ne m’en étais pas aperçu.
- C’est vraiment… sans intérêt.

Elle se sentait inconsciemment stupide d’avoir espéré. Ainsi penser également qu’hier Luxaky
l’avait guidée vers la réponse, c’était peut-être trop réfléchir.

L.L. ?

- Mlle Misora.
- Ou… Oui ?
- Mon raisonnement est vain mais en avez-vous un qui nous permettrait de progresser ?
- … J’en ai un mais je ne pense pas qu’il nous aiderait dans notre progression. Je veux dire
par là que je ne peux pas non plus parler pour vous… Comme hier, nous ne pouvons orienter
notre raisonnement que vers la recherche d’un message laissé par le criminel. Honnêtement,
j’ai l’impression de me trouver sur la paume du criminel et j’enrage. Je suis dans le vague…
- Vous pouvez le laisser imaginer que vous êtes sur sa paume. Arracher un indice à son
adversaire en gonflant son orgueil est une brillante ruse. Bon, Mlle Misora, si un message a
été laissé… où pourrait-il se trouver ?
- Peu importe, je devine son contenu. J’imagine qu’il s’agit d’un message désignant le nom de
la troisième victime, Backyard Bottomslash, ou alors son adresse. Si on réfléchit à partir du
fait que les mots-croisés et les numéros de pages d’un livre prévenaient respectivement d’un
premier et d’un second meurtre…
- Tout à fait. Je suis du même avis.
- Toutefois, nous sommes actuellement dans le vague en ce qui concerne l’emplacement du
message. Si nous arrivons à découvrir un quelconque principe, celui-ci sera le point de départ
en vue de l’arrestation du criminel…

- 49 -
QUELQUE CHOSE QUI N’EST PAS LA BIEN QU’IL SOIT CENSE L’ETRE.

Luxaky avait certainement employé cette expression hier.

Que ce soit pour la victime elle-même ou pour l’étagère.

Y a-t-il également quelque chose du même genre dans cet appartement ? Quelque chose qui
n’est pas là bien qu’il soit censé l’être ?... Répéter excessivement ce terme donne le sentiment
que son sens s’inverse…

« Donc… », dit Luxaky.


- De toute façon, même si nous trouvons quelque chose, il devrait s’agir simplement d’un
message désignant la troisième victime. Il serait plus efficace de faire l’impasse ici et de se
rendre sur les lieux du troisième meurtre. En effet, notre but est de non seulement résoudre
cette affaire, mais également d’empêcher un quatrième meurtre.
- …Vous avez raison.

C’est elle qui avait informé Luxaky de la possibilité d’un quatrième meurtre… Cependant
étant donné que Misora pensait au vu de la réaction de Luxaky que celui avait déjà envisagé
cette possibilité depuis le début, son assentiment était quelque peu confus.

- Nous n’avons pas pu empêcher un troisième meurtre, mais nous pouvons encore en
empêcher un quatrième. Plutôt que de chercher un message dont la réponse est déjà connue et
par conséquent gaspiller du temps, je pense qu’il serait plus constructif de chercher un
message désignant la quatrième victime sur le lieu de la troisième.
- Cependant dans ce cas, n’adopterions-nous pas une position défensive face au criminel ?
Nous agirions à retardement… Il est possible que nous passions à côté d’un indice présent
dans cette chambre portant sur le criminel. Même si ce n’est pas une preuve évidente, quelque
chose dans l’atmosphère ou dans la sensation… Empêcher un quatrième meurtre est
naturellement essentiel, mais si on se focalise seulement sur cela, nous perdrons notre
énergique position offensive.

- Inutile de s’inquiéter pour cela. Je suis offensif.


- Vraiment ?
- Oui, offensif et persévérant.

Tels furent les propos de Luxaky.

- Je ne suis jamais resté sur la défensive. Ne jamais avoir respecté les feux de signalisations
est un trait de mon orgueil.
- Respectez les feux.
- J’ai horreur de cela.

Refus…

- En apprendre davantage sur les spécificités du criminel nous conduira à l’empêchement d’un
quatrième meurtre. C’est ce que souhaitent également par-dessus tout mes clients. Je
comprends néanmoins vos propos. Voilà ce que nous allons faire : ayant déjà terminé
l’inspection de cette chambre, j’aimerais méditer sur le troisième meurtre pendant que vous

- 50 -
inspectez les lieux à votre tour. Voulez-vous bien me remontrer le document d’enquête
d’hier ?
- Vous voulez qu’on se répartisse les tâches ? Cela ne me dérange pas, mais…

Elle n’avait pas au départ l’intention de coopérer. Misora sortit un classeur de son sac posé
sur une chaise voisine. Elle vérifia qu’il contenait les éléments concernant les trois meurtres et
le fit glisser sur la table en direction de Luxaky.

- Eh bien… Voici la photo du lieu.


- Merci.
- Mais comme je vous l’ai dit tout à l’heure, cela n’apportera rien. Le contenu est
rigoureusement identique à celui d’hier.
- Je le sais. Néanmoins, il existe plusieurs points que j’aimerais vérifier… Cette photo est
horrible.

Luxaky posa la photo sur la table de manière à ce que Misora puisse la voir. Cette photo
représentait le cadavre de la troisième victime, Backyard Bottomslash. Même Misora,
pourtant confrontée à diverses scènes sanglantes en tant qu’agent du FBI, voulut détourner les
yeux à la vue de ce cadavre horrible. Elle tenta de dédramatiser ces photos montrant une
poitrine meurtrie et des yeux crevés. Un cadavre sur le dos amputé à la base du bras gauche et
de la jambe droite. Un lieu maculé de sang évoquant une mer de sang.

- La jambe gauche a été abandonnée dans la salle de bain, mais le bras gauche, lui, a
disparu… On doit clairement considérer que le criminel l’a emporté. Mais dans quel but ?
- Encore cette question… Mais Luxaky, le bras gauche de la victime, c’est peut-être justement
CE QUELQUE CHOSE QUI DOIT ETRE LA MAIS QUI NE L’EST PAS.

- Il était nécessaire pour le criminel de sectionner le bras gauche de la victime… Cependant, il


n’a pas emporté la jambe droite, l’abandonnant dans la salle de bain. Quelle pourrait en être la
signification ?
- En tout les cas, rendons-nous sur le troisième lieu cet après-midi… Laissez-moi néanmoins
enquêter dans cette pièce durant quelques heures.
- Entendu. Procédons ainsi. Au fait, vérifiez l’armoire comprenant les albums de la victime.
Vous pourrez comprendre ses goûts et ses relations amicales.
- Entendu.

Misora prit les documents d’enquête fixés par Luxaky, se leva de sa chaise et se dirigea en
premier lieu vers la salle de bain. Elle en avait assez de ce goût caillouteux. A peine parvenue
dans la pièce qu’elle se gargarisa. Une seule fois ne suffisant pas, elle réitéra l’opération une
seconde puis une troisième fois. Elle se demanda si c’était le moment de contacter L. Tout à
l’heure, cela sonnait dans le vide, mais là il était temps… non. Passe encore dans la maison
d’hier, mais téléphoner dans cet appartement pour étudiant avec un Luxaky aussi proche était
dangereux. Même si elle téléphonait dans les toilettes, il était possible d’entendre en
s’approchant de la porte. Elle avait subi un assaut et se devait de le rapporter… A moins que
L n’en ait rien à faire…

Elle leva la tête et regarda son reflet dans un miroir.

Naomi Misora.

- 51 -
C’est elle.

Elle en avait parfaitement conscience.

Quand on fixe continuellement une lettre, on finit par se demander SI CETTE LETTRE EST
JUSTE, phénomène bien connu. De la même manière, quand on se répète « je suis moi », on
doute soudainement de sa propre identité. « SUIS-JE VRAIMENT MOI ? »

Que ce soit avec un miroir ou n’importe quoi d’autre.

Je pense qu’il est nécessaire de se reconsidérer.

« … Je me demande comment est L », s’inquiéta-t-elle soudainement. L, le détective du


siècle… Cependant, un détective mystérieux ne se montrant jamais devant personne. Misora
ne savait pas si dans ce monde existait quelqu’un pouvant VERITABLEMENT identifier L en
tant que L… Elle pensa pourtant à la chose suivante : Quand L se regarde dans un miroir, A-
T-IL PLEINEMENT CONSCIENCE QU’IL EST L ?

- Miroir… Miroir ?

Tiens ?

Viendrait-elle de trouver quelque chose ?...

Miroir… son reflet inverse la gauche et la droite… Il reflète la lumière… un reflet lumineux
sur sa surface lisse… Du verre, une solution de nitrate d’argent… de l’argent… non, peu
importe le matériau, ce qui compte, c’est la caractéristique… Cette caractéristique… ainsi, le
reflet de la lumière… non, l’inversion de la gauche et de la droite… Inversion ?

- Inversion… mais oui, c’est ça !

Sur cette prise de conscience, Misora quitta précipitamment la salle de bain et retourna à la
table. Luxaky qui contemplait les documents d’enquête, comme troublé par cette furieuse
agitation, fit clignoter ses yeux de panda et dit :

- A quoi est due cette agitation ?


- La pho… photo…
- Pardon ?
- Passez-moi la photo.
- … Ah, vous parlez de la photo du lieu du troisième meurtre ?

Il dit cela, puis comme tout à l’heure, posa la photo sur la table. La photo du cadavre amputé
du bras gauche et de la jambe droite. Misora la regarda, sortit de son sac deux photos qu’elle
aligna sur la table. Elle représentait les deux premières victimes. Ainsi se trouvèrent alignées
sur la table les photos désignant les circonstances d’homicide des victimes de l’affaire des
meurtres en série se déroulant actuellement.

- Vous apercevez-vous de quelque chose, Luxaky ?


- Que voulez-vous dire ?
- Ces trois photos recèlent un point étrange.

- 52 -
- … Eh bien, je vois qu’ils sont morts…
- La mort n’a rien d’étrange.
- Philosophiquement parlant.
- Ne tournez pas cela en plaisanterie. Regardez, la posture des cadavres diffère.
Believe Bridesmaid est sur le dos, Quarter Queen, sur le ventre et Backyard Bottomslash, sur
le dos. Sur le dos, sur le ventre, sur le dos.
- … Vous insinuez qu’il y a une règle ici ? Comme pour la période des meurtres, soit neuf
jours, quatre jours, neuf jours… Autrement dit, vous voulez dire que si demain, une victime
assassinée sur le ventre apparaissait, cela signifierait un quatrième cas relatif à cette affaire ?
- Non, pas du tout. Euh… non, peut-être que si… Ce n’est pas ça, je réfléchis à une autre
possibilité. En résumé, N’EST-IL PAS ETRANGE QUE LE CADAVRE DE QUARTER
QUEEN SOIT SUR LE VENTRE ?
-…

La réaction de Luxaky sembla ne pas être vraiment favorable… Peut-être que ce que voulait
exprimer Misora n’était pas bien passé. C’était légitime, vu qu’elle avait exposé sa réflexion à
l’état brut sans passer par la case raisonnement. Misora demanda à Luxaky de la laisser
réfléchir un petit moment et s’assit sur la chaise située à côté de lui.

- Mlle Misora, je vous conseille d’adopter cette façon de s’asseoir quand vous méditez.
- …Cette façon de s’asseoir…

Il parle de cette étrange manière de s’asseoir où il se tient accroupi les genoux enlacés ?

Il l’a lui conseille ?

- C’est vrai. On gagne 40 % en faculté de raisonnement. Essayez.


- Non… je… Mmh… entendu.

Ce n’est pas comme si il lui avait dit de se mettre à quatre pattes. Du coup, elle essaya. Ça lui
permettait peut-être d’apaiser son esprit en proie à une excitation soudaine.

Elle tenta l’expérience.

-…

Enorme regret.

Toutefois, ses idées s’ordonnèrent sur cette tristesse.

- Alors, Mlle Misora ? En bref, vous voulez dire qu’une Quarter Queen en position ventrale
est un message laissé par le criminel ? Qu’il désigne un troisième cas ?…
- Non, ce n’est pas un message, mais le lien manquant, Luxaky. J’ai le sentiment qu’il se situe
dans la lignée de votre raisonnement portant sur les initiales…

Bien qu’elle se souciait de savoir si ces deux êtres singuliers assis dans une position singulière
et exposant des raisonnements singuliers était une image des plus singulière, Misora désigna
les photos dans l’ordre. Elle manqua l’occasion de descendre ses pieds de la chaise. Par la
suite, il lui sembla que cette manière de s’asseoir était plus confortable qu’il n’y paraissait.

- 53 -
- Les initiales des victimes sont B.B. Q.Q, B.B, n’est-ce pas ? On ne peut absolument pas
parler de lien manquant quant à l’analogie des initiales des noms et prénoms, mais…
Regardez, les initiales des première et troisième victimes sont identiques, à savoir B.B..
Imaginons que les initiales de la seconde victime ne fussent pas Q.Q., mais B.B. Nous
pourrions conclure que se situe là le lien manquant, non ?

Un calcul simple : 26 X 26 donne une proportion d’une personne sur 676. A partir de la
similitude des initiales, la probabilité baisse rien qu’en se cantonnant à la spécificité d’une
lettre de l’alphabet. Si on considère que les noms commençant par B sont peu nombreux, la
valeur numérique baisserait davantage.

- Votre réflexion est intéressante. Toutefois les initiales de Quarter Queen, la seconde victime
sont… Q.Q.. A moins que vous sous-entendiez la possibilité que LE SECOND MEURTRE
SOIT LE FRUIT D’UNE MEPRISE ? Qu’à l’origine, une personne portant les initiales B.B.
devait mourir mais que par erreur, une autre portant les initiales Q.Q. ait été tuée ?

- Qu’est-ce que vous racontez ? Le message laissé sur le premier lieu désigne sans conteste
Quarter Queen. Il n’y a donc pas erreur sur la personne.
- Vous avez raison. J’avais omis cela.
-…

L’avait-il vraiment omis ? Elle eut l’impression que ces propos étaient intentionnels… Enfin
bon, se soucier des réactions de Luxaky ne mènerait à rien.

- Neuf jours, quatre jours, neuf jours. B.B., Q.Q., B.B.. Dos, ventre, dos… Comme vous
l’avez dit, on y voit là une règle, celle d’« alternance ». Néanmoins, ne pensez-vous pas que
« caractère maniaque » et « alternance » sont des termes incompatibles ? Un être maniaque
agit dans la plupart des cas avec cohérence.
- Mais les causes de la mort par strangulation, coups de barres et arme blanche ne semblent
pas tellement cohérentes…
- Je pense que cette incohérence est une cohérence : dans un caractère maniaque, on peut la
voir au travers de divers essais. Toutefois, « alternance » diffère de « divers ». Je m’en suis
aperçue par hasard en regardant le miroir, mais « B » et « Q » ont la même forme, n’est-ce
pas ?
- « B » et « Q » ? Je ne pense vraiment pas, non…
- Je ne parle pas de majuscule mais de minuscule.

Tout en disant cela, elle écrivit sur la table ces lettres de l’alphabet avec son index. « b » et
« q ». Plusieurs fois. « b » et « q ». « b » et « q ». « b » et « q ».

- Regardez, LES FORMES SONT IDENTIQUES. ELLES SONT SIMPLEMENT


INVERSEES.
- … VOUS VOULEZ DIRE SUR LE VENTRE ?
- OUI.

Naomi Misora acquiesça.

- Un calcul simple : une personne sur 676 porte les initiales B.B. … Supposons que ce soit le
lien manquant : rien que de chercher une personne portant les initiales B.B. demanderait une

- 54 -
grosse débauche d’énergie. A plus forte raison quand on en cherche quatre. Alors ne peut on
pas penser qu’il a inévitablement substitué les initiales B.B. par Q.Q. ?
- …Hormis pour le terme « inévitablement », je suis d’accord avec vous. En effet, je ne pense
pas qu’il soit plus simple de trouver quelqu’un portant les initiales Q.Q. que quelqu’un portant
les initiales B.B.. En adoptant momentanément cette hypothèse, on doit voir cette substitution
comme le lien d’une énigme vis-à-vis des enquêteurs. En effet, si dès le début toutes les
victimes portaient les initiales B.B., le lien manquant aurait trop vite fait d’être découvert.
Cependant, même avec cette hypothèse, la certitude de ce raisonnement ne s’élèverait qu’à
trente pour cent.
- Trente pour cent…

C’est terriblement bas.


S’il s’agissait d’un examen, cela équivaudrait sans aucun doute à une note en dessous de la
moyenne.

- Qu’en pensez-vous ?
- Votre raisonnement est basé sur le fait que LE CADAVRE DE QUARTER QUEEN ETAIT
EN POSITION VENTRALE… Autrement dit, la « position ventrale » fait allusion à
l’ « inversion » et signifie l’inversion du « b » et du « q ». Néanmoins Mlle Misora, ce n’est
fondamentalement pas plausible
- Et pourquoi cela ?
« Les minuscules », dit simplement Luxaky.
- Les initiales sont d’ordinaires écrites avec des majuscules, non ?
- Ah…

Aucun doute.
Les initiales ne s’écrivent pas avec des minuscules. Les majuscules sont utilisées dans ce cas.
Quarter Queen s’écrit « Q.Q. » et non pas « q.q. ». De la même manière, « B.B. » ne peut pas
être interprétée par « b.b. ».

- … Moi qui pensais tenir une bonne piste…

Misora posa sa tête sur ses rotules.


Aurait-elle été trop légère ?… Cette idée touchant à l’incompatibilité entre le « caractère
maniaque » et l’ « alternative » était-elle tirée par les cheveux ? Mais tout de même,
l’analogie entre le « b » et le « q » comporte une mystérieuse signification…

- Cela arrive. Ne soyez pas déçue Mlle Misora.


- D’accord…
- Et puis tant mieux si ce raisonnement ne tient pas la route. S’il était correct, Quarter Queen
aurait été tuée par substitution. Il aurait été trop cruel qu’une enfant âgée d’une dizaine
d’années ait été assassinée pour une telle raison.
- Vous avez raison. A y réfléchir, ce raisonnement est…
… Mmh ? Misora ne finit pas sa phrase et inclina la tête. Elle pensa aux propos de Luxaky qui
disait que le meurtre d’un enfant ne différait pas de celui d’un adulte… Non… Est-ce une
question de motif ? Celle concernant la substitution… Toutefois, cela n’a pas vraiment de
rapport. Une enfant d’une dizaine d’années…
Une enfant ?
Une enfant ?
UN PETIT… ENFANT ?

- 55 -
- …Vous faites fausse route, Luxaky.
- Pardon ?
« Les minuscules siéent DANS CE CAS », dit Misora d’une voix tremblante.

Ce tremblement était bien entendu dû à la colère.

- LE CRIMINEL A CHOISI UNE ENFANT COMME VICTIME.

Une enfant de treize ans.


Initiales.
Majuscules, minuscules.

- COMME C’EST UNE ENFANT, MINUSCULES. DE PLUS ELLE ETAIT EN POSITION


VENTRALE… INVERSION !
UU

A l’origine, c’est Luxaky qui avait fait allusion à cette histoire d’initiales et appuyé exprès sur
le fait que la victime était une enfant. De plus, l’élément déclencheur du raisonnement était le
café rempli de sucre qui avait conduit Naomi Misora au miroir de la salle de bain. Un bon
moment s’était écoulé avant que Misora ne réalise tout cela … Enfin bref.
L’affaire BB des meurtres en série de Los Angeles.
Une série de meurtres qui portera ce nom par la suite… Le facteur le plus important est
maintenant découvert. A ce moment, le lien manquant fut mis en lumière.

- 56 -
Page.4 Shinigami

Imaginons que tu projettes de tuer quelqu’un : à ton avis, qu’est-ce qui serait le plus difficile ?
3, 2, 1, temps écoulé. La réponse est « tuer quelqu’un »... Doucement, pas la peine de
t’énerver. Je ne fais pas dans la plaisanterie mais dans le sérieux. Cet être vivant qu’on appelle
humain n’est pas de nature à mourir aussi facilement, du moins on ne peut penser qu’il meurt
simplement en criant « argh ! » dans sa chute. Que ce soit par strangulation, par coups de
barre ou par arme blanche, il ne meurt pas aussi facilement. L’humain est un être vivant plus
robuste qu’il n’y parait. A fortiori quand un de ses congénères attente à sa vie, il fait preuve
de résistance. Personne ne veut être tué et au contraire, cherche à tuer. La différence de force
entre les humains est généralement minime, d’autant plus que le degré de difficulté augmente
en un contre un. Sous cet angle, on peut imaginer l’existence de ce carnet de la mort grâce
auquel on peut tuer rien qu’en y écrivant un nom était contre-nature. Et pourtant… Beyond
Birthday, l’auteur actuel de cette série de meurtres, n’éprouvait quasiment aucune peine
relative à l’assassinat. En effet, le meurtre en lui-même n’était pas une finalité et ne s’en
inquiétait donc absolument pas. Il est toutefois difficile de deviner le pourquoi de cette
absence d’inquiétude. Il avait certes eu recours à des produits pharmaceutiques et des armes,
mais pourquoi les trois victimes se sont fait tuer sans une farouche résistance ? Dans la
plupart des cas, l’homicide est spécifié « après la résistance », MAIS POURQUOI CES
VICTIMES SONT MORTES COMME SI ELLES SAVAIENT QU’A CE MOMENT LA
MORT ETAIT UNE EVIDENCE ? L’agent du FBI Naomi Misora ne l’aura jamais su. Même
L, le détective du siècle, des années après la résolution totale de cette affaire n’aura jamais pu
émettre la moindre supposition.

Les effets de style n’apportent rien.

Je vais tout te dévoiler.

BEYOND BIRTHDAY POSSEDAIT DES SA NAISSANCE L’ŒIL DU SHINIGAMI.


POUR LUI, TROUVER UNE PERSONNE AUX INITIALES B.B. OU TROUVER
QUELQU’UN QUI VA MOURIR TEL JOUR OU A TELLE HEURE ETAIT SANS
CONTESTE AISE et ce, même dans une gigantesque ville comme Los Angeles où suffoquent
vingt millions d’habitants.

Tuer était ordinaire pour lui.

Tuer quelqu’un destiné à mourir ne s’accompagnait nullement d’embarras.

J’oubliais : il est sans doute nécessaire d’apporter un complément d’explication quant à l’œil
du Shinigami. Il m’apparaît comme un terme-clé des plus évident mais si je n’apporte pas
d’explications, certains crieront à l’injustice. L’œil du Shinigami. Un œil spécial qu’un
humain peut acquérir en concluant un marché avec un Shinigami : en échange de la moitié de
sa vie restante, il lui devient possible de voir le nom et la longévité d’autrui. A l’origine, il est
indispensable d’être en contact avec un Shinigami pour l’obtenir mais Beyond Birthday est
venu au monde avec, sans passer par cette étape. IL CONNAISSAIT LES NOMS SANS
QU’ON LES LUI DISE.

- 57 -
IL CONNAISSAIT LE MOMENT OU ALLAIENT MOURIR TOUTES LES PERSONNES
RENCONTREES.

… Il est inutile de réfléchir sur l’éducation de cet être singulier. Sans le carnet de la mort, on
pourrait penser que l’œil du Shinigami ne serait d’aucune utilité mais il n’en est rien. Voir la
longévité, c’est voir la mort. La mort, la mort, la mort. Beyond Birthday devait vivre en ayant
continuellement conscience que tout être humain est voué à mourir. Il connaissait depuis sa
venue au monde le jour où son père serait tué par un malfaiteur et celui où sa mère mourrait
dans un train qui aurait déraillé. Beyond Birthday possédait l’œil du Shinigami avant sa
naissance. Voilà ce qui faisait de lui un enfant singulier… Il fut recueilli dans NOTRE cher
orphelinat, j’ai nommé la Wammy’s House.

Il s’appelait B.

Le second enfant de la Wammy’s House.

« J’aimerais tant voir la longévité du monde ».

Le 19 août à 6h du matin, Beyond Birthday murmura ces paroles au saut du lit. Un lit situé au
deuxième étage d’un entrepôt préfabriqué loué au nom d’une société pour le moment inactive
dans la banlieue de Westside. Sa présence du côté de Westside ce jour-là alors qu’il est
propriétaire de cachettes Aux Etats-Unis, que dis-je, dans le monde, s’expliquait par la venue
dans les parages de la couverture de L, le détective du siècle, j’ai nommé l’agent du FBI
Naomi Misora.

« Naomi Misora. Misora Naomi. Les membres de L. Les yeux de L. Le bouclier de L. … Ha


ha ha ha ha ! Non… ce rire ne reflète pas mes sentiments…. Mouah ah ah ah ah ah ! Voilà,
c’est mieux comme ça »

Mouah ah ah ah ah ah !

Mouah ah ah ah ah ah !

Beyond Birthday quitta son lit avec ce rire strident. Un rire cruel, mais qui quelque part
sonnait faux. Exprimer un « rire » n’était que l’exécution d’une tâche.

Il se remémora son agression sur Naomi Misora dans une ruelle de Downtown trois jours plus
tôt, le 16 août. Il avait bien évidemment connaissance de sa longévité à ce moment : il l’avait
vu. Il avait vu la longévité de Naomi Misora. Non pas à cette date du 16 mais bien longtemps
auparavant.

De plus, il savait qu’il ECHOUERAIT DANS SA TENTATIVE DE MEURTRE SUR ELLE.


De ce fait, il lui était nécessaire de s’assurer une échappatoire. Au final, Misora n’était qu’une
envoyée de L et même s’il la tuait, elle serait remplacée par le FBI, la CIA, le Pentagone voire
les services secrets. Voilà pourquoi lors de ce moment, il cherchait simplement à obtenir la
confirmation que Naomi Misora était apte à suppléer L.

« Fu fu fu. Keh keh keh. Je devrais peut-être glousser… Non, ça me semble un peu trop
superficiel. L’agent du FBI Naomi Misora mérite mieux. »

- 58 -
Ce sera tout pour l’examen : reçu.

Aujourd’hui, elle aura probablement trouvé le message laissé par Beyond Birthday sur les
lieux de la troisième affaire. Elle agira ensuite en vue d’empêcher Beyond Birthday de
commettre un quatrième meurtre.

Tant mieux.

C’EST DANS CETTE SITUATION QU’AURA LIEU LE VERITABLE COMBAT.


C’est dans cette situation qu’aura lieu la véritable énigme.

- … L.

Le combat entre L et B.
L’énigme entre L et B

- Si L est un génie, B est le génie ultime… Si L est un pervers, B est le pervers ultime. Bien, il
est temps d’apporter la touche finale, celle qui me permettra de surpasser L… Keh keh keh.

A cette pensée, Beyond Birthday rit sans hésiter sur le rire à adopter. Pour une personne bien
au fait, ce rire s’apparentait à celui d’un Shinigami. Face à un miroir et toujours avec la mine
enjouée, il arrangea ses cheveux et commença à se maquiller. Le miroir reflétait son être. Son
être. Comme à l’accoutumée, seule sa propre longévité lui restait invisible, tout comme la
longévité du monde.

UU

Le 19 août.

Naomi Misora se trouvait au domicile de Backyard Bottomslash, une maison mitoyenne, lieu
du troisième meurtre situé à Westside. Elle partageait ce domicile avec une bonne amie, mais
le crime atroce fut commis durant le voyage d’affaires de celle-ci. A l’instar de la mère de la
seconde victime, cette amie était retournée au domicile parental.

Le second étage abritait les appartements privés de Backyard Bottomslash. Juste en dessous
de la poignée, une serrure thumbturn. Sur le mur, deux trous, traces des poupées de paille. Un
sur le mur en face de la porte et un sur le mur à droite de la porte. Il était étrange que la
chambre de la victime âgée de 28 ans soit autant fantaisiste avec cette multitude de peluches
ornant le sol. Contre les quatre murs il y avait dans l’ordre deux, cinq, neuf et douze peluches.
Au total vingt six peluches, un nombre conséquent. Uniquement des peluches animales.
Cependant, bien qu’il fût nettoyé, une odeur de sang persistante émanait du sol et gâchait
l’aspect fantaisiste de la chambre…

« … Luxaky est en retard… »

La montre en argent accrochée à son poignet gauche indiquait qu’il était déjà 14h30.

Ils avaient convenu de se retrouver pour 14h…

Décidée à inspecter les lieux la première, Misora avait déjà visité la maison mitoyenne très tôt
le matin puis tout le domicile si bien qu’au bout de cinq heures, elle n’eut plus rien à faire et

- 59 -
se sentit désoeuvrée. De plus, ses recherches vaines renforcèrent son sentiment de
désoeuvrement. Misora se mordilla les lèvres en ayant l’impression d’être impuissante en
l’absence de Luxaky. A ce moment, son portable sonna dans son sac. Elle se hâta de
décrocher, pensant avoir affaire à L, mais son interlocuteur fut son petit ami et agent du FBI,
Raye Penber.

- … Allô ? Raye ?
- Oui. Je serai bref, Naomi.

Raye parlait à voix basse. Au vu de l’heure, il devait sans doute téléphoner en présence de
quelqu’un.

- J’ai effectué des recherches sur ce que tu m’avais demandé.


- Ok. Merci.

Sa requête remontait au 16 août et nous étions le 19 août. Misora l’avait remercié en jugeant
la réponse rapide pour un agent du FBI affairé. A vrai dire, elle souhaitait surtout le remercier
car il se pliait toujours en quatre pour elle.

- Alors ? Qu’est-ce que ça donne ?


- Commençons par la conclusion : il n’existe aucun détective privé répondant au nom de Luee
Luxaky.
- Il n’a donc pas d’approbation ?

Un détective privé désintéressé.

C’est ce qu’il avait dit.

- Tu n’y es pas. Je veux dire par là qu’il n’existe aucun individu nommé Luee Luxaky. Mes
recherches ne se limitaient pas aux Etats-Unis, elles se sont étendues sur tout le globe, pour un
résultat infructueux. Le patronyme « Luxaky » est répandu au Japon, ton pays d’origine mais
il n’existe là-bas aucune personne ayant hérité du prénom « Luee ».
- Je vois… Ce nom sonnant japonais, il était possible qu’il soit originaire de là-bas… Il s’agit
donc d’un faux nom.
- Il semble bien, en effet.

Raye Penber s’interrompit et lança un « dis, Naomi » sur un ton différent.

- A quoi est-ce que tu joues ?


- Tu avais promis de ne pas me questionner.
- Tu as raison… Mais ton inactivité cessera la semaine prochaine et je me demandais ce que
tu allais faire par la suite. Tu es tentée par un retour au FBI ?
- … Je n’y ai pas encore réfléchi.
- Je parle en mon nom, mais tu…
- Ne dis rien. Si tu parles en ton nom, ne dis rien.
-…
- Je n’ai plus de temps. Je te rappellerai.

- 60 -
Misora raccrocha sans attendre les propos de son interlocuteur. Elle fit tourner le portable
dans sa main et éprouva une légère aversion envers elle-même. Elle n’avait pas réfléchi à son
retour ou non au FBI ou plutôt, elle ne voulait pas y réfléchir.

- La semaine prochaine… Non, je dois seulement penser à l’enquête pour le moment.

Peut-être était-ce pour s’évader de la réalité mais Luxaky n’étant pas encore être arrivé (elle
soupçonnait dès le départ qu’il s’agissait d’un faux nom et apprendre que c’était bien le cas ne
lui faisait ni chaud ni froid… Elle se demandait toutefois pourquoi il avait opté pour
« Luxaky ». Si problème il y a, ce serait ces familles des victimes qui ont fait appel à un
détective privé inexistant), Misora décida de récapituler les faits mis en lumière.

Tout d’abord, elle se pencha sur le message laissé par le criminel à Downtown, lieu de la
seconde affaire. Ensuite… Une heure après qu’elle s’aperçût du lien manquant unissant les
victimes, à savoir les initiales, Misora Naomi était parvenu à une réponse : les LUNETTES
portées par Quarter Queen. Sans adopter la position à quatre pattes de Luxaky, elle écarquilla
les yeux et explora sous tous les angles l’appartement mais ne put rien trouver. Elle regarda la
photo en se demandant si quelque chose de semblable à la meurtrissure laissée sur la poitrine
de Believe Bridesmaid se trouvait sur la seconde victime, mais la jeune fille était en position
ventrale. Le cadavre d’une jeune fille aux yeux crevés…. Quand elle se prit la tête entre les
mains, Luxaky lui dit que ces yeux crevés exprimaient peut-être une sorte de message. Peut-
être bien… Il était légitime de penser cela… Bon…« les yeux ? ». Elle ressortit de l’armoire
l’album de la victime et en tourna les pages une nouvelle fois. Elle constata que la blondinette
figurait sur toutes les photos.

Elle s’en aperçut.

ELLE S’APERÇUT QU’ELLE NE PORTAIT DE LUNETTES SUR AUCUNE DE CES


PHOTOS.

L’unique photo sur laquelle elle en porte est celle de son cadavre… Naturellement, cela ne
signifiait pas que sa vision était parfaite. Sur sa fiche médicale figurant dans les documents
d’enquête, il était précisé qu’elle avait 0,1 à l’œil droit et 0,05 au gauche. Autrement dit,
ELLE AVAIT PRINCIPALEMENT RECOURS A DES LENTILLES DE CONTACT. Le
criminel lui a sans doute mis des lunettes une fois morte et emporté ses lentilles de contact.
Etant donné qu’il s’agissait de lentilles jetables, la section de recherche ne pouvait pas
s’apercevoir de leur perte mais en questionnant sa mère retournée au domicile parentale, elle
sut que Quarter Queen ne portait au quotidien que très rarement ses lunettes aussi bien à la
maison qu’à l’extérieur. Ajouter à cela que les lunettes chaussées par le cadavre ne lui
appartenait pas.

« C’est étrangement passé inaperçu… Normal, car ordinairement on ne se soucie pas de


savoir si les lunettes d’un cadavre sont bien les siennes. Fum. Cet élément passé inaperçu est
identique aux lettres. Les yeux crevés suggèrent cela. », dit Ryûzaki.

- On doit considérer que des lunettes séant à merveille au cadavre d’une jeune fille est une
cause lointaine de la non progression de la section d’investigation. La victime elle-même ne
s’était pas aperçue qu’elle les portait si bien.
- Luxaky, votre opinion est inconvenante…
- Je plaisantais.

- 61 -
- Plaisanter est une inconvenance.
- Dans ce cas j’étais sérieux.
- Ce sérieux est tout aussi inconvenant.
- Dans ce cas, j’étais très sérieux. Regardez, n’est-elle pas plus jolie ?
- Vous n’avez pas à dire cela…

Inconvenance.

La mère ayant vu le cadavre de sa fille à l’hôpital, les lunettes avaient sans doute déjà été
enlevées. Le criminel l’avait probablement prévu…. On ne pouvait pensait qu’ainsi en
poussant son raisonnement jusque-là.

- Le lieu de la troisième affaire se situe vers la STATION GLASS de Westside… Glass6. Cela
correspond. Néanmoins, on ne peut pas délimiter précisément l’adresse avec cela. La zone
correspondante est trop large.
- Non, si on remonte jusque-là n’est-ce pas là une forme de délimitation, Mlle Misora ? Si
l’on cherche dans les environs des personnes portant les initiales BB, on peut déterminer
précisément l’adresse. En bref, je pense qu’au moment de commettre son second crime, le
criminel s’était aperçu du lien manquant que représentaient les initiales.
- D’accord, mais… C’est justement parce qu’il a commis un troisième meurtre, qu’on estime
que dans le duo « B » et « Q », « B » est le recto et « Q », une estimation impossible lors du
second meurtre.
- Il est inutile de comprendre cela. Même au moment du troisième meurtre, on ne sait pas si
« B » est le recto et « Q » le verso, ou si c’est l’inverse. En effet, si un quatrième meurtre met
en scène un enfant aux initiales « QQ », cela reviendra au même. Pour le meurtre d’un enfant,
le criminel souhaiterait peut-être donner une harmonisation avec les initiales « QQ ». … Nous
sommes pour le moment incapables de dire pourquoi il a opté pour « QQ » et « BB », mais
peu importe. L’important est de chercher des personnes porteuses de ces initiales.
- Je vois… Vous avez raison.

Quoi qu’on en dise à la date du 16 août, le troisième meurtre avait été perpétré un bon
moment auparavant. Cependant, en procédant à un recoupement, on s’aperçoit qu’aux
alentours de la station Glass de Westside, dans un rayon de cinq cent mètres, il n’y avait
aucun habitant dont les initiales étaient QQ et seul Backyard Bottomslash, la troisième
victime était porteur des initiales BB.

En comparaison avec le message laissé dans l’étagère du lieu de la première affaire, le


message des lunettes était bien plus simple à résoudre, mais c’était parce que la réponse
qu’était « station Glass » avait été donnée dès le début. Normalement si le cadavre portait des
lunettes qu’il ne mettait pas d’habitude, on n’aurait pas pu deviner qu’il s’agissait d’un
message prévenant d’un troisième meurtre. On doit considérer que le degré de difficulté a
augmenté depuis la première affaire. A présent, Misora devait agir afin d’empêcher un
quatrième meurtre, mais elle ne savait pas si elle avait pu totalement déchiffrer le message
laisser sur le troisième lieu, une question qui suscitait chez elle de l’inquiétude. C’est
justement pour cela qu’elle ne s’aperçut pas que c’était Luxaky qui avait abordé l’histoire des
yeux crevés et qui avait attiré son attention sur l’album de la victime. Il lui faudra un peu de
temps pour comprendre.

 En japonais, le mot « glass » (グラス ou ガラス) est issu du mot anglais « glasses » qui signifie « lunettes ».

- 62 -
Il était pile midi et elle décida de déjeuner pour ensuite se pencher sur l’attitude à adopter.
Luxaky l’invita à déjeuner, offre qu’elle déclina. Elle ne savait pas quelle horrible nourriture
sucrée il allait lui faire avaler et puis de toute façon, il était temps de prendre contact avec L.
Elle se devait de lui rapporter les faits mis en lumière. Elle s’éloigna considérablement de
l’appartement puis une fois les alentours inspectés, elle s’adossa contre un mur et composa le
numéro.

- Ici L.
- C’est Misora.

Une voix de synthèse assez familière. Misora exposa en détail les évènements survenus
jusqu’à maintenant et ceux qu’elle avait élucidés. Elle faillit une nouvelle fois se laisser
submerger par l’émotion en expliquant pourquoi la victime était en position ventrale mais elle
tint bon.

- Je vois… Entendu. J’ai eu le nez fin en vous mettant sur l’affaire, Mlle Misora. …A vrai
dire, je ne m’attendais pas à ce que vous produisiez de tels résultats.
- Je n’ai rien fait d’extraordinaire… Me féliciter me met dans l’embarras. Plus important,
j’aimerais connaître les prochaines directives. Je ne sais pas quand se produira le quatrième
meurtre et je me demande si je ne devrais pas me rendre directement à Westside…
« Cela ne sera pas nécessaire », dit L
- Assurez plutôt vos bases. En écoutant votre rapport, j’ai compris que nous bénéficions
d’assez de temps avant le quatrième meurtre.
- Pardon ?!
Elle n’avait pas parlé de cela…
- Le criminel perpétrera un quatrième meurtre le 22 août. Il nous reste six jours à compter
d’aujourd’hui.
- Encore six jours…

Cela fait neuf jours en comptant à partir du troisième meurtre. Neuf jours, quatre jours, neuf
jours… vient ensuite neuf jours ? Sur quoi L se base-t-il pour livrer une telle déduction ? Son
interrogation allait s’accompagner de paroles quand Luxaky la stoppa dans son élan.

- Désolé mais je ne dispose pas de temps pour entrer dans les explications. Veuillez réfléchir
de par vous-même. Le prochain meurtre se produira… enfin je veux dire que le criminel
tentera de le perpétrer le 22 août. Je voudrais que vous agissiez sur cette présupposition.
- … Entendu.

Face à ce ton qui ne laissait pas de place à la protestation, elle ne put qu’obéir. Tout de même,
le 22 août… Au fait, c’est le 22 juillet qu’est arrivée au siège de la police de Los Angeles une
grille de mots-croisés. Le 22 correspond. Il existe peut-être un rapport…

- Une fois que je me serai préparée au cours des six prochains jours, j’irai inspecter les lieux
de la troisième affaire.
- Faites donc. Mlle Naomi Misora, veillez à ce qu’il ne vous arrive rien. Vous seule êtes sur
cette affaire. Si vous mourrez, je n’aurai personne de plus compétent pour vous remplacer.

On aurait dit qu’il faisait référence à l’agression dans la ruelle. Ces propos soudains
perturbèrent considérablement Misora. JE N’AURAI PERSONNE DE PLUS COMPETENT POUR VOUS

- 63 -
REMPLACER. Venant de L, ces propos étaient probablement innocents, mais… Misora n’en
avait pas grand-chose à faire.

- Ne vous en faites pas. Je n’ai aucune blessure.


- Je ne parle pas de cela mais du fait de ne pas vous mettre dans des circonstances où vous
vous feriez agresser. Veuillez éviter les endroits tels que le fond des ruelles et les lieux peu
fréquentés. Même si cela vous vaut bon nombre de détours, empruntez les chemins fréquentés
et les transports.
- Tout ira bien, L. J’ai de quoi me défendre. Je suis expérimentée dans les arts martiaux.
- Les arts martiaux ? Lesquels ? Le karaté ou le judo ?
- La capoeira
-…

La réaction d’embarras de L se ressentait même au travers du brouillage de la ligne


téléphonique. Une japonaise agent du FBI utilisant la capoeira ne faisait pas partie de son
imaginaire. Même si ce n’était pas dans cette optique, Misora était tout de même contente
d’avoir mouché L.

- Je pensais moi aussi que c’était inapproprié avant de m’y mettre. Quand j’étais étudiante,
j’étais fan de street dance et la capoeira étant un prolongement, je m’y suis essayée. A ma
grande surprise j’étais une femme qui excellait dans le self defense. Comme à la base c’est un
art martial consistant à esquiver les attaques de son adversaire, il est inutile de briser la garde
de toutes ses forces comme au judo ou au karaté. Cet élément m’arrange car je ne peux pas
rivaliser avec un homme. Et puis les mouvements acrobatiques et de feintes de la capoeira
surprennent les criminels au moment d’une interpellation.

- Je vois. Vous avez certainement raison.

L approuva d’une voix admirative.

Une voix réellement admirative et non pas complaisante.

- Entendre cela pique à coup sûr ma curiosité. Je commanderai et visionnerai une cassette
quand j’aurai le temps… Cependant, quelque soit la confiance que vous lui accordez,
l’histoire serait tout autre face à un adversaire tenant une arme à feu ou face à une nuée
d’opposants. Je vous prierai donc d’être prudente.

- Entendu. Ne vous en faites pas, je connais les alentours. Dites-moi, L…

Misora interpella L une dernière fois.

- Qu’y a-t-il Mlle Misora ?


- Se pourrait-il que vous ayez une idée sur le criminel de cette affaire ?
- … En effet.

Réponse affirmative après un léger blanc. Misora avait vu juste. Si ce n’était pas le cas, il
n’aurait pas pu savoir quand serait programmé le prochain meurtre. Il lui avait toutefois dit de
réfléchir au pourquoi de cette date. Autrement dit, il aurait actuellement tous les
renseignements lui permettant de saisir la spécificité du criminel ? Misora pensa à cela
l’espace d’un instant, mais comme pour limiter cette idée, L continua :

- 64 -
- POUR DIRE LA VERITE, JE CONNAISSAIS LE CRIMINEL DES LE DEPART.
- … Pardon ?!
- Le criminel… c’est B.

UU

Dire que nous, élevés à La Wammy’s House située à Winchester en Angleterre en tant que
successeurs, en tant sauvegardes de L, connaissions L plus que quiconque est une totale
ineptie. Les personnes ayant rencontré L en tant que L, moi y compris, sont très peu
nombreuses. Les inventeurs de génie que sont Watari et Kirsh Wammy, fondateurs de la
Wammy’s House ne connaissaient pas L avant de le rencontrer. Personne ne connaît ses
antécédents. Je comprends néanmoins les sentiments de Watari. En regardant le talent rare de
L du point de vue d’un inventeur, n’importe qui souhaiterait en faire une copie, une
sauvegarde. Je l’ai déjà mentionné auparavant, mais si L ne se montrait jamais devant
personne, c’était pour protéger sa vie. Il fallait protéger des criminels ce corps porteur
d’immenses connaissances. L savait que sa mort entraînerait une forte recrudescence du taux
de criminalité. Cependant, que se passerait-il si une copie était fabriquée ? Que se passerait-il
si une sauvegarde de L était faite ?

Je parle de nous.

Les enfants de L réunis de par le monde.

Des enfants simplement réunis et ne connaissant pas le nom de l’autre. Néanmoins, quel que
soit le génie créatif de Watari, il n’est pas aisé de créer une imitation de L. Même Near et moi
qui sommes les plus proches de L, qui sommes asymptotiques, plus nous nous en approchions,
plus nous avions affaire à un lointain mirage. Du coup la Wammy’s House resta stupéfaite de
tous ces tests manqués. A, le tout premier enfant, n’ayant pas pu supporter la pression de
devenir L, mit fin à ses jours et B, le second enfant, alias Beyond Birthday, le surpassa puis
s’écarta du chemin.

B est une sauvegarde B.

Cependant B ne voulait pas devenir L, mais le dépasser… Non, ce n’est sans doute pas cela.
Je n’ai rien qui me permettrait de comprendre sa mentalité. Son… je veux dire LEUR époque,
comme la quatrième génération dont Near et moi sommes issus, ne réunissait pas uniquement
des enfants susceptibles d’être des L en série. Certains servaient de pré-tests voués à l’échec
et n’héritaient pas du code L. Voilà pourquoi à partir de ma propre expérience, je préfère
m’en remettre à mon imagination et m’abstenir de tenir des propos opportuns, mais il se peut
que Beyond Birthday pense de la manière suivante : tant que L sera là, B ne pourra pas
devenir L. Tant que l’original existera, la copie restera copie.*

L’affaire BB des meurtres en série de Los Angeles.

LABB : L is After Beyond Birthday7.

7
« L passe après Beyond Birthday ».

- 65 -
Je préfère CETTE APPELLATION car elle sied bien mieux au criminel de cette affaire que
« l’affaire des meurtres aux poupées de paille » ou « l’affaire L.A. des meurtres en série aux
pièces closes ». Je ne parle là nullement d’une appellation bonne ou mauvaise. Je soupçonne
simplement Beyond Birthday d’avoir mené sa pensée jusque-là. Néanmoins, même si ses
crimes se limitent à Los Angeles, si le criminel embrasse des intentions, cela devait
probablement être cela. Il était certainement plus obsédé par L’INDIVIDU L que Near et moi. Je
ne comprends que trop bien le sentiment d’un être souhaitant devenir un criminel afin de
défier un détective et c’est justement pourquoi je suis capable de le rédiger dans un carnet.
Mais tout de même… Que désirait-il par le meurtre de personnes avec lesquelles il n’avait
aucun lien ? Peut-être que B voulait rencontrer L. Ainsi, il aurait pu connaître le nom et la
longévité de L grâce à l’œil du Shinigami acquis à la naissance. Il aurait pu connaître le
véritable nom de L. Il aurait pu savoir QUI ETAIT L. Beyond Birthday n’a jamais dit à
personne qu’il possédait l’œil du Shinigami. Il n’y avait rien d’anormal à ce qu’il se sente
Shinigami.

C’est pourquoi il s’agit d’un combat de détectives sous une forme différente entre L et B.
Evidemment ceci n’est nullement comparable avec le combat légitime de détectives ayant
opposé autrefois Erald Coyle et Deneuve à L. Toutefois en se référant à l’aphorisme désignant
le plus brillant des détectives comme le plus brillant des criminels et en se basant sur le point
de vue de spécialistes d’enquêtes et sur celui de spécialistes de meurtres, il s’agit
indubitablement d’un combat de détectives entre détectives.

Beyond Birthday défia L.

L releva le défi.

En parlant ouvertement, je dirais que l’affaire BB des meurtres en série de Los Angeles était
perçue par nous comme une querelle interne dans notre chère et tendre Wammy’s House. Il
était regrettable que des victimes y soient impliquées, mais même si Beyond Birthday n’avait
pas mis fin à leurs jours, leur destin aurait été de mourir dans d’autres circonstances à ces
moments. Tenir ces propos éthiques ne change donc rien. Du coup, si l’on parle au sens strict
d’une personne impliquée dans cette affaire, il n’y a personne d’autre à part Naomi Misora.

- Tra na na na tra na na. Non, on ne rit pas de cette façon… Keh keh keh.

Il finit de s’habiller.

Beyond Birthday fit craquer son cou et entra en action.

- 66 -
Page.5 Montre

Finalement, Luxaky fit son apparition sur le lieu du troisième meurtre, la maison mitoyenne, à
15h passées.

- Veuillez m’excuser pour l’attente, Mlle Misora.


- Ce n’est rien. Je ne vous attendais pas spécialement. J’ai pris la liberté de commencer.

Face à un Luxaky présentant ses excuses sur un air indifférent, Misora répondit avec une
pointe d’ironie.

- Je vois…

Luxaky se mit rapidement à quatre pattes et se dirigea ainsi bruyamment vers Misora. Elle
s’était certes habituée à ce spectacle mais le voir adopter soudainement cette position accéléra
les battements de son cœur. Trois jours s’étaient écoulés depuis sa rencontre avec Luxaky…

Le 16 août, après avoir pris contact avec L, elle était retournée dans l’appartement de Quarter
Queen et avait informé Luxaky que si quatrième meurtre il y avait, il serait programmé le 22
août, soit d’ici six jours. Luxaky lui demanda naturellement pourquoi, mais elle-même n’en
avait aucune idée. Elle ne pouvait pas lui dire que L était à l’origine de cette information…
Elle parvint cependant à une réponse durant la conversation avec Luxaky… Une réponse
qu’elle considérait comme plausible et qu’elle pourrait faire accepter mais n’éprouvant pas
l’intérêt d’en informer ici Luxaky, elle s’en tint à dire que cela serait pour le 22. Elle eut
l’impression que Luxaky avait trop rapidement lâché un « je vois »… Quoi qu’il en soit, ils
avaient décidé au final de se rendre pour inspection ici, chez Backyard Bottomslash sur le lieu
du troisième meurtre à la date du 19. D’ici là, Naomi Misora et Luee Luxaky devaient chacun
utiliser leur temps pour trouver des preuves dans l’enquête et préparer leur raisonnement.
Avant le 19, Misora avança dans son idée tout prenant régulièrement contact avec L pour au
final obtenir une foule de renseignements profitables (dont certains ont été fournis par L grâce
aux concours des organes de police). C’est dans ces conditions qu’elle se rendit le 19 sur les
lieux du troisième meurtre et malgré une inspection qu’elle mena seule durant plusieurs
heures, elle eut l’impression de ne pas avoir avancé d’un pouce depuis le 16, quand elle était à
Downtown.

- Avez-vous déjà regardé dans la salle de bain, Mlle Misora ?


- Bien évidemment. Qu’en est-il pour vous ?
- J’y ai jeté un œil avant d’emprunter les escaliers. La baignoire est désormais inutilisable.
Peinte de la sorte, seule Elisabeth Bathory souhaiterait y entrer.
- Toutes les empreintes ont été essuyées mais pas le sang de la victime. C’était également le
cas sur le lieu du second meurtre mais cette fois, le côté maniaque atteint son paroxysme.
Typique. Le criminel se préoccupe uniquement de sa personne.

Tout en tenant ces propos, Luxaky marcha impassible à quatre pattes dans cette chambre au
sol imbibé de sang. Tout en suivant du regard Luxaky, Misora se demanda si le criminel
souhait qu’on inspecte encore un peu la chambre ou s’il s’en fichait.

- 67 -
- Je pense qu’il n’y a rien ici. J’ai moi aussi inspecté la pièce au peigne fin.
- Je n’imaginais pas que quelqu’un comme vous tiendrait ces propos négatifs.
- Pas du tout… Je pense néanmoins que le point central du lieu de ce troisième meurtre, c’est
le CADAVRE AMPUTE. L’amputation du bras gauche et de la jambe droite… Ce cas tranche
radicalement avec celui des autres victimes.
- Nous en avions déjà parlé auparavant : QUELQUE CHOSE QUI N’EST PAS LA BIEN QU’IL SOIT
CENSE L’ETRE. Dans ce cas de figure, nous devons réfléchir sur la question suivante : pourquoi
le criminel a-t-il laissé la jambe droite dans la salle de bain et emporté le bras gauche ? Un
seul bras quoi qu’il en soit. Cela paraissait bien plus difficile que d’emporter deux volumes de
Akazukin Chacha. Et pourtant…
- Le bras gauche n’a pas encore été retrouvé… Disposer d’un cadavre n’étant pas chose aisé,
si le criminel l’a emporté, c’est qu’il existe à coup sûr une raison. Je ne sais toutefois pas s’il
s’agit ou non du message… Même si ce n’est pas le cas, il figurait peut-être sur le bras une
trace handicapante pour le criminel.
- Probablement. On ne peut penser autrement. Néanmoins, si avoir crevé les yeux de la
seconde victime signifie « angle mort » et « lunettes », avoir emporté le bras gauche signifie
que… non, si c’est le cas Mlle Misora, la jambe droite est pour moi un sujet d’inquiétude.
L’homologie relative à la jambe droite est extrêmement incomplète. Vous avez dit qu’il
n’était pas aisé de disposer d’un cadavre, mais amputer un corps ne l’est pas non plus d’autant
plus que cela doit prendre du temps. Ne pensez-vous qu’il serait trop dangereux de procéder
ainsi dans la pièce d’une maison mitoyenne ? On pourrait se faire repérer par les habitations
voisines.
- Couper à la base le bras gauche et la jambe droite… Le cadavre était ici. Montrez-moi la
photo.

Misora prit la photo des lieux du troisième meurtre qu’elle avait extraite de son sac pour la
mettre dans sa poche. Une photo qui s’était avérée utile pour un raisonnement effectué sur le
lieu du second meurtre. En ajustant l’arrière-plan de la photo avec le paysage réel, on devinait
avec exactitude la position du cadavre.

- Avec son bras droit et sa jambe gauche restants, le cadavre était étendu ici en position
d’étoile de mer… Enfin « étoile de mer », c’est trop dire. Fum…
- D’après votre raisonnement, il reste encore du temps avant qu’un quatrième meurtre ne se
produise. Cherchons à tête reposée. … Au fait, puis-je me permettre une question ? Pourquoi
pensez-vous que le quatrième meurtre aura lieu le 22 ?
- Euh… Eh bien…

Misora remit la photo dans sa poche et se dirigea vers Luxaky. Celui-ci ne se retourna pas. Ils
se fréquentaient depuis cinq jours et se voyaient pour la troisième fois mais Luxaky ne
semblait pas habitué à parler en regardant le visage de son interlocuteur. Inutile de s’inquiéter
pour un détail aussi insignifiant.

- Je vais vous parler de quelque chose de simple au point d’en être absurde. Le troisième
meurtre a été perpétré le 13 août, n’est-ce pas ?
- Exact, aucun doute là-dessus.
- Nous avons eu affaire à des chiffres romains au cours du premier meurtre et maintenant,
nous voilà confrontés à des chiffres arabes. « 13 ». Le « 1 » et le « 3 » écrits côte à côte
forment un « B ».
- En effet.

- 68 -
Luxaky acquiesça.

Misora pensait qu’il se moquerait d’elle, mais contre toute attente, il semblait avoir pris cette
réflexion somme toute simple avec sérieux.

- A ce propos, j’ai déjà moi aussi entendu parler de cela dans un quiz. A la question « quel est
le résultat de 1 + 3 ? », la réponse est « B »…
- En bref « B ».
- … Donc BB ? Mlle Misora, cette réflexion entre certes en résonance avec le troisième
meurtre perpétré le 13 août, mais qu’en est-il pour les autres ? Le 22 juillet est arrivé au siège
de la police de Los Angeles une grille de mots-croisés, le 31 juillet a eu lieu le premier
meurtre, le 4 août le second et le 22 août est pour vous la date du quatrième. Je n’y vois là
aucun rapport avec le « B »…
- En effet, il n’existe aucun rapport à première vue. Toutefois, le pattern diffère dans la
pratique. Pour faire simple, prenons le 31 juillet, date du premier meurtre. « 3 » et « 1 ». En
permutant ces deux chiffres, on peut lire « 13 ».
- Cette possibilité est applicable au 31. Qu’en est-il cependant pour le 4 et les deux 22 ?
- C’est la même chose. En pratique… Comme à la question « 1 + 3 » énoncée tout à l’heure
par vos soins, le « 4 » de 4 août est à la base la réponse à « 1 + 3 ». Dans « 22 » du 22 juillet
et du 22 août le chiffre des dizaines est « 2 » tout comme celui des unités et en soustrayant
« 1 » des dizaines pour l’ajouter aux unités, on obtient « 13 ».

B.
13.

- Le criminel a agi le 22, le 31, le 4 et le 13. Quand on additionne les dizaines et les unités de
ces dates, un chiffre commun apparaît : le « 4 ». Sur un mois, il n’ y a que quatre dates : le 4,
le 13, le 22 et le 31… Seulement « 4 » dates. QUELQUE CHOSE SE PRODUIT AVEC CE TOUT. Le
nombre de poupées de paille est également de « 4 ». « 3 + 1 » donne « 4 »… Si on parle de
coïncidence, en additionnant « 4 » et « 9 », nombre de jours représentant l’intervalle entre les
meurtres, on obtient « 13 », donc « B ».
- … Je vois. Ce n’est pas mal.

Luxaky semblait approuver.


Misora se sentit soulagée.

- Je pense que voir « 13 » et « B » sous un même éclairage est un bon point de vue.
- N’est-ce pas ? Voilà pourquoi il apparaît logique de penser que le quatrième meurtre aura
lieu le 22 en ajoutant neuf jours à la date du 13. Certes, il existe la piste du « 4 », chiffre qui
viendrait après la suite « 9 » « 4 » « 9 », ce qui nous amènerait à la date du 17, soit quatre
jours plus tard… Dans ce cas là, on obtient deux « 13 » au niveau de l’intervalle des dates.
J’opterais cependant pour le 22 car un évènement s’est produit à cette date le mois dernier. On
aurait beau tourner la date du 17 dans tous les sens, on ne pourrait pas trouver de signe
suggérant un « B ». Dans ce cas, nul doute que le quatrième meurtre aura lieu le 22.

Le 17 était déjà passé, et ce jour-là aucun meurtre s’apparentant à l’affaire ne fut commis à
Los Angeles. Misora n’était pas totalement sereine mais avait foi en la conclusion catégorique
de L. C’est justement pour cela que Misora pensait que le principe du « 13 » résultait de

- 69 -
l’addition des périodes de neuf et quatre jours et que pour le criminel, ceci passerait pour une
pure coïncidence qui pourrait ne pas être relevée.

« Si je puis me permettre d’ajouter quelque chose », dit Luxaky.

- Dire qu’on obtient « 13 » en déplaçant « 1 » de la dizaine de « 22 » pour le mettre sur l’unité


est à mon sens assez tiré par les cheveux. En effet, vous prêchez pour votre paroisse en
déplaçant « 1 » de la dizaine vers l’unité. Il en va autrement pour l’inversion du « 3 » et du
« 1 » de « 31 » car on extirpe une cause à partir d’une conclusion.

- Mais… Luxaky…
- Ne vous méprenez pas Mlle Misora. Je partage votre raisonnement de base. Ce point ne me
plait cependant pas.
- Mais…

Réfuter le raisonnement portant sur le 22, élément essentiel, ne donne pas matière à discuter.
Envoyer paître la base n’a-t-il pas pour résultat de ne pas approuver le raisonnement ?

- J’ai une autre solution pour cette partie. Vous m’avez bien dit que vous avez été élevée au
Japon, non ? Dans ce cas, vous êtes plus familiarisée avec les kanji exprimant des chiffres que
moi.
- Des kanji exprimant des chiffres…
- Pensez à « 22 » écrit avec des kanji.
-…?
Kanji…

22 ?8

Misora s’exécuta, mais rien de concret n’émergea.

- Alors ?
- Rien du tout…
- Ah… Bon, je vais vous guider un peu plus. Remplacez le kanji « 10 » par « + » 9 et
réfléchissez. En bref, « 2 + 2 ».
- Ah !

Loin de dévoiler un indice, c’est la réponse qu’il donna.

« 2 + 2 » donne « 4 ».
« 4 » est égal à « 1 + 3 ».

- On obtient « 4 » par une addition. Interpréter « 4 » par « 1 + 3 » est une idée lumineuse.
Afin d’assimiler « 1 + 3 » à « B », il faut mettre côte à côte « 1 » et « 3 ». Ainsi, on pourra
former un « B ». Voilà pourquoi il est obligatoire d’interpréter « 22 » par « 2 + 2 ». Il suffit
d’avoir une base suffisante pour procéder à une addition. De plus, en se basant sur cette
supposition, le raisonnement selon lequel un quatrième meurtre aura lieu le 22 août devient

8
Avec des kanji , « 22 » s’écrit « 二十二 », soit « deux dix deux ».
9
Le kanji « 10 » s’écrit comme le + utilisé en mathématiques.

- 70 -
une exactitude. L’autre jour, j’ai été intimidé par votre ardeur mais maintenant mon âme
troublée est soulagée, comme si j’avais bu du sucre brut.

-…

Cette métaphore provoqua une brûlure d’estomac chez Misora.

Mais bon, il lui sembla que Luxaky allait dans le même sens qu’elle concernant la prévision
du quatrième meurtre…Le raisonnement de Luxaky sur la date du 22 était plus juste que le
sien mais cela ne la dérangea pas.

« Toutefois, Mlle Misora… », ajouta Luxaky.

- J’aimerais ajouter une dernière chose.


- … Allez-y.

Il dit une mais il y en eut deux.

Attaque surprise.

- Ce raisonnement montre que le criminel choisit ses victimes en les reliant via « BB »…
Autrement dit, il est à supposer que le criminel insiste sur le « B ». Bien qu’ayant compris
cela, nous avons également évoqué la possibilité que le lien manquant ne soit pas « BB » mais
« QQ ».

- En effet…

Si la quatrième victime est un enfant aux initiales QQ et en position ventrale, cela reviendra
quasiment au même.

- S’il s’agit de « Q » et non pas de « B », ce raisonnement tombera à l’eau. Pétrir encore et


encore une théorie débouche sur un raisonnement fantaisiste. Prenons cela comme un simple
hasard.

- Un hasard… Nous parlons bien de « B » et « 13 », non ? Il existe des signes y faisant


référence, ce qui n’est pas le cas pour le « Q ».

- En effet. En arriver jusque-là n’est pas dû au hasard. Cependant ceci est uniquement basé sur
un résultat. C’est un appendice. J’aimerais savoir pourquoi vous menez votre raisonnement en
vous appuyant sur le « B » au lieu du « Q ».
- Eh bien…

Eh bien c’est parce que L lui avait affirmé catégoriquement que le criminel était B et qu’IL LE
SAVAIT DEPUIS LE DEBUT. Il était toutefois hors de question pour Misora d’en faire part à
Luxaky. Elle devait absolument garder L secret. Ainsi, bien qu’ils conversaient beaucoup tous
les deux, il ne fallait surtout pas qu’une relation amicale s’installe et qu’elle lâche le morceau
par inadvertance.

- 71 -
- Il y a à ce moment précis trois victimes et la proportion entre « B » et « Q » étant de deux
contre un, j’ai plus été marquée par le « B »… J’ai bien évidemment réfléchi par la suite au
« Q » mais n’ai pu trouver aucun signe...

Elle essayait de temporiser mais pendant qu’elle parlait de la sorte, il était indéniable pour elle
que ses paroles étaient étranges et Luxaky lui dit sèchement que son fondement était bancal.
Son côté orgueilleux et frivole en prit un coup. Frivole ? Et alors ?…. Elle est le porte-parole
du raisonnement de L, cherchant des preuves et une raison. Etant donné qu’il s’agit du
raisonnement de L, je pense que le terme «fondement bancal» n’est pas le bon mais nul doute
que c’est l’appendice du débat sur le résultat.

- Le criminel, c’est B…
- Pardon ?
- Le B est jusqu’ici fortement mis en avant. Si cette lettre est en elle-même un message, je me
demande si les initiales du criminel ne seraient pas BB.
- Ou « Q ». QQ. Comme vous l’avez souligné, les signes relatifs aux B sont nombreux mais
c’est simplement parce que nous n’avons rien pu découvrir concernant les signes relatifs au
« Q ».
- En effet…
« Je pense néanmoins également qu’il s’agit de « B » et non pas « Q » et ce, à plus de 99%. »,
dit sèchement Luxaky.

Cela revient à retirer la remarque précédente.

- Dire que le criminel est B est totalement plausible. Des victimes portent les initiales BB, tout
comme le criminel… Cela devient intéressant.
- Intéressant ?
- Tout à fait. Faites à l’avenir attention, Mlle Misora. Vous devez seulement avoir un
fondement affirmatif lorsque vous affirmez et uniquement un fondement négatif lorsque vous
réfutez. Même s’il est correct, faire un raisonnement basé sur une supposition erronée
n’offrira pas une victoire face au criminel.
- Offrir une victoire… Luxaky, vous pensez que c’est une question de victoire ou de défaite ?
« Oui. », répondit Luxaky
- C’est une question de victoire ou de défaite.

Pourquoi ? Car c’est un combat.

UU

Pour L dont on disait qu’il avait pour principe de ne pas prendre part aux affaires comportant
moins de dix victimes ou dont le montant des dégâts n’excédait pas le million de dollars, il
existait tout de même des exceptions comme le degré de complexité d’une affaire (bien
évidemment lui correspondant) ou une affaire d’ordre privée. L’affaire BB des meurtres en
série de Los Angeles combinait ces deux éléments. Une affaire des plus complexe et un
combat entre L et sa copie. Au travers de Kirsh Wammy et de Watari, dirigeants de la
Wammy’s House, L apprit la disparition dans la nature de B et dès lors, en parallèle à la
résolution d’une multitude d’enquêtes, il continuait de le chercher en y mettant toute son
énergie. Etant appelé B, son vrai nom, à savoir Beyond Birthday, n’était pas connu de la
Wammy’s House, ce qui rendit cette recherche particulièrement difficile. Ces meurtres en
série lui permirent néanmoins au final de retrouver sa trace. Voilà pourquoi L avait son idée
sur le criminel depuis le début.*Plus que la recherche d’un criminel, c’était une AFFAIRE que

- 72 -
L recherchait. L s’attendait depuis longtemps à ce que Beyond Birthday FASSE DES SIENNES.
Peut-être était-ce là la véritable raison pour laquelle un L capable de mobiliser les organes de
police du monde entier s’était limité cette fois au concours de Naomi Misora. Je n’imagine
pas que L soit de nature à prêter de l’importance à l’honneur mais je ne pense pas que
quelqu’un voudrait qu’on sache qu’il existe une mauvaise graine dans sa famille.

L était la visée de toutes les personnes de la Wammy’s House.

Tous désiraient le dépasser.

Tous voulaient le surpasser.

Tous voulaient le piétiner.

Aussi bien M, N que B.

M en tant que challenger et N en tant que successeur.

B en tant que criminel.

- … Luxaky. Auriez-vous mis en lumière un nouveau fait ?

Le débat sur la date terminé, Misora s’accorda une pause. Elle descendit au premier et se
rendit à la cuisine, versa du café dans deux tasses (avec naturellement une quantité de sucre
standard), les posa sur un plateau et quand elle retourna dans la chambre de Backyard
Bottomslash (ses deux mains étant occupées par le plateau, il lui fut difficile d’ouvrir la porte.
Au final, la poignée se situant au niveau de l’abdomen, elle se dressa légèrement sur la pointe
des pieds et l’accrocha à l’aide de la boucle de sa ceinture), Luxaky se trouvait au centre de la
pièce et était allongé sur le dos en position d’étoile de mer. Elle était sur le point de poser un
pied dans la chambre mais stoppa son action.

- … Ça sort ?

Misora répéta cette phrase dénuée de signification.

… Anxieuse, Misora se demanda si Luxaky avait l’intention de lui montrer le mouvement vu


dans un célèbre film d’épouvante en passant d’une position dorsale à une position à quatre
pattes et parcourir la chambre en faisant le pont, mais par bonheur, à moins que ce ne soit pas
malheur, même l’extraordinaire Luxaky ne livrait pas à une telle prestation. Néanmoins, à
quoi pouvait-il bien jouer ?

- Euh… Luxaky…
- Un cadavre.
- Vous dites ?
- Je suis actuellement un cadavre. Je ne réponds pas. Je ne suis qu’un macchabée.
-…

Elle put comprendre. Il semblait que Luxaky avait adopté la même posture que la troisième
victime lors de sa mort.*Son bras gauche et sa jambe droite étaient évidemment toujours
reliés à son tronc et la comparaison avec la photo était inutile pour comprendre que cette

- 73 -
position était celle de Backyard Bottomslash à sa mort. Sur le plan pratique, ce comportement
n’avait sans doute pas de sens pour Misora. Comme il était cependant inutile de se mêler du
raisonnement d’autrui, Misora décida de réfléchir au fait qu’il faille ou non enjamber Luxaky
pour parvenir jusqu’au bureau. L’enjamber la répugnait mais l’éviter l’irritait.

- Mmh ? Euh…

Misora s’aperçut de quelque chose. Elle s’aperçut qu’elle s’était aperçue de quelque chose.
Cependant, de quoi pouvait-il s’agir ? Peut-être de quelque chose entré dans son champ de
vision… Non, dans son champ de vision était entré à l’instant la porte fut ouverte « le faux
mort »... Elle se demanda ce qu’elle aurait vu en premier lieu si LUXAKY N’ETAIT PAS
ALLONGE LA. Si l’obstacle Luxaky n’était pas là lorsqu’elle apporta le café… s’il n’était pas là,
il n’y aurait rien. Ce serait une chambre fantaisiste des plus commune, des plus banale, à
l’exception de cette odeur de sang qui y régnait. Elle aurait tout au plus vu le trou dans le mur
d’en face… Le trou dans le mur ?

- La trace d’une poupée de paille…

Etant donné qu’il s’agissait d’un trou, on ne le remarquait pas au premier coup d’oeil.
Toutefois, imaginons QU’IL NE S’AGISSE PAS D’UN TROU MAIS DE LA POUPEE ELLE-MEME. Ne
serait-ce pas non pas Luxaky faisant le mort mais une poupée de paille qui entrerait dans le
champ de vision dès qu’on ferait irruption dans la pièce ? La porte aussitôt ouverte, c’est une
poupée que l’on verrait… C’est dans cette disposition qu’une des poupées de paille a été fixée
au mur. … Les poupées de paille étaient toutes fixées à la même hauteur (à peu près au niveau
des hanches de Misora) mais leur abscisse différait selon le lieu du crime. Soit dit en passant,
c’était un trou que l’on voyait une fois la porte ouverte et ce, quelque soit le lieu.

- Veuillez m’excuser Luxaky !

Plateau en main, elle enjamba Luxaky, ou plutôt, elle sauta par-dessus lui. Du moins elle
aurait dû car dans la précipitation, elle évalua mal la distance et piétina avec force le ventre de
Luxaky. Elle portait des bottes. De plus, dans sa tentative de reprendre son équilibre afin de
ne pas faire tomber le plateau, elle se précipita davantage et marcha de tout son poids sur les
muscles abdominaux de Luxaky.

- Argh !

Le cadavre réagit.

Quoi de plus normal…

- Ex… excusez-moi…

Si le café brûlant s’était déversé sur le corps de Luxaky, on aurait dit par la suite que Misora
était l’incarnation de la gaffe, mais cet évènement croustillant ne se produisit pas. Les arts
martiaux lui avaient permis de maîtriser son équilibre. Elle déposa le plateau sur le bureau et
s’empara des documents d’enquête avec ses mains maintenant libérées. Misora vérifia que sa
mémoire ne lui faisait pas défaut.

- Quelque chose ne va pas Mlle Misora ?

- 74 -
Luxaky avait beau être excentrique, il ne prenait tout de même pas de plaisir à se faire piétiner
par une femme et cessant de jouer le mort, il se retourna pour adopter une position à quatre
pattes et s’approcha de Misora.

- J’aimerais revoir les photos de chaque lieu des meurtres. … Je comprends maintenant la
position des poupées de pailles…
- La position des poupées de pailles ? Qu’entendez-vous par là ?

- Etant donné que la police les avait déjà emmenées quand nous avons inspecté les lieux, je ne
l'avais pas remarqué mais j’ai compris qu’il résidait un principe dans la position des poupées
laissées par le criminel. Ceci vaut également pour le lieu présent. En ouvrant la porte afin
d’entrer dans la pièce, c’est une poupée de paille qui entre en premier lieu dans le champ de
vision. ON PEUT VOIR UNE POUPEE DE PAILLE EN FACE DE LA PORTE… L’idée est que le regard
croise en premier une poupée de paille quand on entre dans la pièce.

- Fum. Maintenant que vous le dites…

Luxaky acquiesça aux propos de Misora.

- Cela vaut pour cette pièce mais je me souviens que sur les lieux des premier et second
meurtres figurait également en face de la porte ouverte la trace d’une poupée de paille. Dites-
moi néanmoins à quoi cela rime, Mlle Misora.

- Euh… Eh bien…

A quoi cela peut-il bien rimer ? Elle avait le sentiment d’avoir fait une grande découverte et
avait piétiné de tout son poids l’abdomen de Luxaky mais lui poser cette question jeta un froid
car elle ne savait pas quoi répondre. Etant en mauvaise posture, Misora tricota une phrase
adéquate.

- Euh… j’imagine que c’est en rapport avec la chambre close…


- Qu’insinuez-vous ?
- Dans les trois meurtres, tous ceux qui ont découvert en premier les cadavres ont dû ouvrir
une porte pour pénétrer sur le lieu, soit en utilisant un double de clé, soit en la forçant. En
entrant dans la pièce, on voit aussitôt une sinistre poupée de paille. L’œil voit en premier une
poupée de paille. Cette poupée de paille attire la l’attention. Le criminel caché dans la pièce
profite de l’instant où le découvreur a l’esprit distrait pour quitter les lieux.

- Comme astuce de pièce close qu’on trouve dans un roman policier, c’est aussi classique que
« le fil et l’aiguille ». Cependant, Mlle Misora, réfléchissez bien. Il n’est pas nécessaire de
recourir à une poupée de paille afin de simplement distraire l’attention.
- Et pourquoi ?
- PARCE QUE SI ELLE N’EST PAS LA, C’EST LE CADAVRE QUE L’ON VERRA EN PREMIER. Comme
lorsque vous vous êtes arrêtée à la vue de « mon cadavre ». L’instant de surprise de celui qui a
découvert le corps en premier suffit au criminel pour s’enfuir.
- En effet… Vous avez raison. IL VOULAIT DONC QUE LE DECOUVREUR VOIE EN PREMIER AUTRE
CHOSE QUE LE CADAVRE… ? Je ne saisis pas pourquoi….
- Ah…

- 75 -
- Retarder la découverte du cadavre d’une ou deux secondes ne rime à rien… Alors pourquoi
avoir positionné les poupées de paille de la sorte ? Le principe relèverait-il du hasard ?
- Non, je pense qu’il réside une intention. Il est impossible de qualifier cela de hasard. J’ai
cependant dans l’idée qu’une approche sous cet angle est dénuée de valeur. Je me répète mais
le message laissé par le criminel prime sur la question portant sur la pièce close et la poupée
de paille.
- Mais Luxaky… D’accord, agissons ainsi.

Elle cessa d’objecter. Ce point la tracassait mais il étai vrai que le débat ne menait nulle part.
Dans l’immédiat, le plus important était de trouver rapidement la quatrième victime ou de
déterminer un lieu. Il fallait se hâter de trouver non pas une poupée de paille située sur tous
les lieux de l’affaire mais un message spécifique laissé dans une pièce par le criminel.

- Excusez-moi de gaspiller ce temps si précieux.


- Excusez-vous plutôt de m’avoir piétiné, Mlle Misora.
- Oui, ces excuses vont de soi
- Vous êtes vraiment navrée ? Dans ce cas, vous ne verrez pas d’inconvénient à répondre à ma
petite requête en guise d’excuse.
- … Allez-y.

Il ose demander une contrepartie…


Il est toutefois vrai qu’elle l’avait piétiné.
De tout son poids, sans gêne.

- Quelle est-elle ?
- Voulez-vous bien faire le mort comme je l’ai fait tout à l’heure ? Backyard Bottomslash
étant une femme, vous serez plus inspirée que l’homme que je suis.
-…

« Ce détective privé ne semble pas savoir ce qu’est l’amour-propre… », pensa Misora mais
les circonstances ne lui permettaient de refuser catégoriquement. Par cet acte, Misora serait
gênée de passer pour une tsundere10. Il fallait explorer toutes les possibilités. Qu’il existe ou
non une signification, au point où ils en étaient, elle pourrait se mettre à quatre pattes et
parcourir la chambre. Misora s’allongea nonchalamment sur le dos, à même le sol. Son point
de vue changea radicalement.

- Alors ? Avez-vous compris quelque chose ?


- Non, rien du tout.
- Ah bon ? D’accord...
-…

Cela ne coûtait rien d’essayer.


Luxaky prit place sur une chaise dans sa position usuelle, à savoir les mains entourant ses
genoux et disant qu’il fallait en profiter tant qu’il était encore chaud, il but le café servi par
Misora. Misora pensa qu’il se plaindrait de la quantité sucre idéalement dosée pour elle mais
il ne broncha pas. Il ne sembla pas qu’il ne pouvait manger ou boire uniquement des aliments
sucrés. Misora aurait pu se relever mais ne se sentant pas bien, elle resta allongée sur le dos.

10
Ce mot désigne généralement une femme qui au départ est dotée d’un caractère froid mais qui devient gentille
au fur et à mesure.

- 76 -
« Fuu. Ce café chaud accentue ma douleur à l’abdomen», dit Luxaky.

Il semblait insouciant et étonnamment résistant.

- Luxaky… A l’instar de la première, on a déshabillé cette victime. On l’a ensuite amputé puis
rhabillée.
- Exact. Où voulez-vous en venir ?
- On comprend qu’il est plus simple de retirer les vêtements lors d’une amputation car ceux-ci
sont assez résistants. Un outil tranchant a peut-être été utilisé.*Néanmoins, pourquoi rhabiller
la victime ? Ne vaudrait-il pas mieux la laisser nu ?
- Fum…
- Remettre la chemise dans la première affaire se justifiait par le fait qu’elle dissimulait les
meurtrissures représentant des chiffres romains. Par contre, concernant cette troisième
victime… Même si ce n’est pas un cadavre, habiller quelqu’un d’immobile est pénible.
- … Mlle Misora, la jambe droite de la victime abandonnée dans la salle de bain était munie
d’une chaussette et d’une chaussure, n’est-ce pas ?
- Oui, d’après la photo.
- Dans ce cas, ne serait-ce pas la visée du criminel ? … Non, le message du criminel est sans
rapport avec les vêtements ou la chaussure mais avec l’amputation du cadavre. C’est
justement pour cette raison qu’il a remis en l’état tout ce qui y faisait exception.

Remis en l’état.
Dans ce cas…

- Dans ce cas… c’est le bras gauche et la jambe droite. La jambe droite a été laissée dans la
salle de bain et le bras gauche a été emporté… Pourquoi ? Qu’y a-t-il de différent entre la
jambe droite et le bras gauche ?... Le bras et la jambe…

Misora murmura cela en regardant le plafond. Les yeux également rivés sur le plafond,
Luxaky dit lentement sur un ton évocateur :

- Autrefois…

Il dit cela en mordant l’ongle de son pouce.

- Une affaire sur laquelle j’ai enquêté pourra peut-être servir de référence. Puis-je vous en
exposer le contenu ?
- … Je vous en prie.
- Il s’agit d’une affaire de meurtre au cours de laquelle la victime a été poignardée au niveau
de la poitrine et dont l’annulaire de sa main gauche a été sectionné et emporté. L’amputation
d’un cadavre. Pourquoi cet acte à votre avis ?
- C’est simple, s’agissant de l’annulaire de la main gauche. La victime était probablement
mariée. Le criminel a certainement emporté l’annulaire afin de s’emparer de l’alliance. En
effet, une alliance longuement portée s’enfonce dans la chair et il arrive qu’elle soit
impossible à retirer.
- En effet. C’était un crime d’ordre financier. J’ai réussi par la suite à retrouver cette alliance
vendue au marché noir et j’ai pu remonter jusqu’au criminel de l’affaire et l’appréhender.
- Cette histoire est fort intéressante mais je ne crois que le bras ait été emporté afin de
s’emparer d’une alliance. Backyard Bottomslash était célibataire. D’après les documents, elle
n’avait même pas de petit ami.

- 77 -
- Il existe toutefois d’autres anneaux que celui du mariage.
- Cela ne justifie pas qu’un bras ait été emporté.
- Oui, en effet. J’ai pensé que cette histoire pouvait peut-être servir d’appui. Je suis désolé que
cela ne soit pas le cas.
- Inutile de me présenter des excuses pour cela… Elle n’avait pas d’anneau… je crois…

… ET SI C’ETAIT AUTRE CHOSE QU’UN ANNEAU ?


Un bracelet par exemple.
S’il s’agissait d’un bracelet plutôt qu’un anneau… non, c’est stupide. Couper un doigt afin
d’obtenir un anneau est plausible mais couper un bras afin d’obtenir un bracelet n’est pas
convaincant, même en y mettant de la bonne volonté. Personne n’irait jusque-là. Le criminel
de cette affaire n’est pas en quête d’argent, auquel cas la seconde victime, une petite fille, ne
correspondrait pas au profil.

-…

Misora tendit soudainement son bras gauche vers le plafond. Elle l’avait levé du sol sans
raison spéciale. Elle ouvrit la main et tendit les doigts, comme pour saisir la lampe
fluorescente.
Une bague sur l’annulaire. Une bague de fiançailles offerte par Raye Penber. Enfin, cette
bague de fiançailles s’apparentait plutôt à une plaisanterie entre enfants… Imaginons qu’on
sectionne un doigt ou un bras pour voler cette bague… Et si c’était un bracelet ? Impossible.
Misora n’arrivait pas à se projeter dans la scène.
En levant son bras, la manche de sa veste tomba. Sa montre à moitié cachée se retrouva ainsi
totalement découverte. Une montre argentée. Un cadeau d’anniversaire offert cette année par
le même Raye Penber, le 14 février. Et s’il s’agissait non pas d’un bracelet mais d’une
montre ?… Vu que c’est de l’argent, le prix est… Une montre ?

- … Luxaky, Backyard Bottomslash était-elle gauchère ou droitière ?


- Gauchère ou droitière ? Selon vos documents d’enquête, elle était droitière. Pourquoi ?
- Cela signifie que logiquement, elle devait porter une montre sur le bras gauche. SI C’EST
BIEN LE CAS, LE CRIMINEL L’A PEUT ETRE EMPORTEE.

Toujours en position allongée, Misora continua :

- La chaussette comme la chaussure ont été laissées sur la jambe droite. Il y a donc fort à
parier que la montre est restée sur le bras qui a été emporté.
- Vous voulez dire que le bras a été sectionné afin de s’emparer de la montre ?... Pour quelle
raison ? Mlle Misora, comme vous l’avez dit, personne n’emporte un bras afin de s’accaparer
un anneau. N’en va-t-il pas de même pour une montre ? Si le but était la montre, il aurait
simplement suffit d’emporter celle-ci. Une montre ne serre pas autant qu’une bague. Il n’est
nullement nécessaire de couper un bras.
- La montre n’est pas le but mais LE MESSAGE QUI NOUS INTERESSE. La simple disparition de la
montre n’aurait pas été manifeste, alors que celle du bras…
- Une fausse piste ? Je vois… Mais dans cas, je ne comprends pas pourquoi la jambe droite a
été sectionnée… Je ne crois pas qu’on accroche une montre à une jambe. Et puis à parler de
fausse piste, inutile d’emporter le bras, le poignet aurait largement suffit.

- 78 -
En effet, mais cette idée de montre ne semble pas mauvaise… Elle avait le pressentiment
d’effleurer la vérité. Elle avait touché quelque chose au travers des deux premiers meurtres.
En parlant de façon commune, il s’agissait de l’extrême particularité du criminel qui flottait
également dans cette pièce…

- Bras gauche… Jambe droite… Poignet gauche… Cheville droite… Main gauche… Pied
droit… Montre, montre, montre, montre… Les deux mains et les deux pieds, les deux bras et
les deux jambes… A moins que les MEMBRES LAISSES comporte une signification ? Le bras
droit et la jambe gauche ont une signification et non pas le bras gauche et la jambe droite…
Les membres11….
- On dit également « corps »12
- Corps… 5 – 2 = 3… « 3 ». Troisième meurtre… Les pieds, les bras… et la tête forment le
corps… La tête ? … Le cou. Le cou, un bras et une jambe…

Misora enchaînait les mots qui lui venaient en tête, cependant ayant simplement peur de se
retrouver dans une impasse, elle ne faisait que tourner vainement au même endroit tel un
enfant perdu. Durant cette action, elle eut même le sentiment que son aiguille directrice
présente en son sein avait disparu. L’aiguille directrice, la boussole…

- Si 5 – 2 = 3, il aurait pu couper les deux bras et laisser seulement les deux jambes ou alors
couper le bras gauche et la tête… Le bras gauche est important mais pourquoi la jambe
droite ?

Afin déjà de bien utiliser son temps, Misora s’arracha les cheveux avec des doutes qu’elle
n’imaginait pas en être et avec des doutes qu’elle ne pouvait qualifier de la sorte. Luxaky
intervint à ce moment :*

- Il reste la tête, un bras et une jambe et la longueur de chacun d’eux est différente.

L’espace d’un instant, elle ne comprit pas ce qu’avait dit Luxaky et même quand elle comprit,
elle trouva à cette phrase un manque de cohérence. Elle signifiait que l’essentiel est que le
bras soit plus long que la tête et le cou et que la jambe soit plus grande que le bras. Et alors ?
Comme Misora, Luxaky ne faisait que dire tout ce qui lui passait par la tête ? Cela ne
deviendra ni une aiguille directrice, ni une boussole.

- Une aiguille directrice ?… Euh… « aiguille » ?


- Qu’y a-t-il avec l’aiguille ?
- Aiguille…

« Le fil et l’aiguille », une astuce classique dans les circonstances d’une pièce close. Ceci n’a
toutefois rien à voir avec le cas présent. Aiguille ? Se pourrait-il que…

- Une montre ! L’aiguille d’une montre, Luxaky !


- Pardon ? Une montre ? L’aiguille d’une montre ?...
- LA PETITE AIGUILLE, LA GRANDE AIGUILLE ET LA TROTTEUSE… CELA FAIT TROIS AIGUILLES !
LES TROIS AIGUILLES D’UNE MONTRE SONT DE TAILLES DIFFERENTES !

11
« Membre » se dit « shishi » (四肢), littéralement les quatre membres.
12
« Corps » se dit « gotai » (五体), littéralement les cinq parties du corps, soit la tête, les bras et les jambes. Il
désigne également la tête, le cou, la poitrine, le bras et la jambe.

- 79 -
Misora abattit son bras gauche sur le sol et releva d’un coup son buste. Elle s’approcha de
Luxaky, saisit la tasse de café qu’il tenait, la vida d’un trait puis la frappa sur le bureau, geste
qui faillit briser le récipient.

- Sur le lieu du premier meurtre, Akazukin Chacha a été emporté et remplacé par Asobi
tarazu ! Sur le second lieu, des lentilles de contact ont été emportées et remplacées par des
lunettes ! QUANT AU TROISIEME, UNE MONTRE A ETE EMPORTEE ET LA VICTIME FAIT OFFICE DE
MONTRE !
- La victime FAIT OFFICE de montre ?

Tout en contemplant une Misora agitée avec ses yeux exorbités de panda, il dit sur un ton
stoïque :

- Une montre…
- LA TETE REPRESENTE LA PETITE AIGUILLE, LE BRAS LA GRANDE ET LA JAMBE LA TROTTEUSE !
Voilà pourquoi le criminel ne s’est pas contenté d’emporter la montre ou de simplement
sectionner le poignet. Il devait sectionner le bras à la base et une jambe, sans quoi il n’y aurait
pas de montre à trois aiguilles !

Elle dit tout cela sans reprendre son souffle et une fois l’exaltation passée, elle tira de sa
poche une photo du cadavre de Backyard Bottomslash. Backyard Bottomslash sur le dos, en
position étoile de mer, enfin pas vraiment vu que car son bras gauche et sa jambe droite
avaient été coupés.

- Regardez cette photo, Luxaky. La tête représente l’heure, le bras droit les minutes et la
jambe gauche les secondes. Le tout indique 12h45 et 20 secondes.
- … Fum. Si vous le dites…
- « Si vous le dites » ? Il ne fait aucun doute qu’il s’agit du message laissé par le criminel.
Avoir coupé la jambe droite pour l’abandonner dans la salle de bain et emporté la montre
servait de mise en relief.
-…
Luxaky garda le silence durant un bon moment, comme s’il méditait puis d’un « je vous
l’emprunte un instant », il prit la photo des mains de Misora. Il l’examina minutieusement en
modifiant à plusieurs reprises l’angle de son cou. Misora eut l’impression que ce
comportement indiquait que son raisonnement était totalement erroné. S’agissant d’une
question de message, cela donnera un raisonnement impossible, un raisonnement sans preuve
s’il est dit que c’est une coïncidence. Son intuition a été mise à l’épreuve. Un combat
d’intuition.

- Mlle Misora.
- Qu’y a-t-il ?
- A imaginer que votre raisonnement soit juste, l’heure indiquée par la « victime montre » sur
la photo ne se limite pas à 12h45 et 20 secondes.
- Quoi ?
- Regardez.

Luxaky montra la photo à Misora en l’inversant.

- De la sorte, on lit 6h15 et 50 secondes. Si on fait cela…

- 80 -
Luxaky fit cette fois pivoter la photo.

- 3h00 et 35 secondes. En faisant pivoter la photo à 180°, cela donne 9h30 et 5 secondes.
- En effet…

Il avait raison. La photo de la victime ayant été prise dans le sens de la longueur, elle pensa
que la tête, la petite aiguille, indiquait 12h mais si l’on considère la victime comme une
montre, cela ne se limitait pas à cela. Peut-être que oui, peut-être que non. Changer l’angle de
la photo offre une interprétation infinie de l’heure. En effet, de zéro à trois cent soixante
degrés, même si les aiguilles sont fixes, il est possible de faire pivoter le cadran à volonté.
IL N’EXISTE AUCUN CRITERE QUI DEFINIRAIT L’HEURE.

- Si la victime représente trois aiguilles, cette pièce carrée est le cadran car la victime est sur
le dos, au centre de la pièce. Le tronc de la victime étant placé de manière parallèle et
perpendiculaire par rapport aux murs de la pièce, il nous suffit pour le moment réfléchir
uniquement aux quatre modèles que j’ai exposés mais quatre, c’est déjà trop. Si nous
n’arrivons à restreindre l’heure à tout au plus deux possibilités, dire que nous aurons décrypté
le message laissé par le criminel sera impossible.
- La pièce… est un cadran.
- Cela me rappelle que dans la première affaire, les chiffres romains qu’on voit sur les
montres étaient un élément important… Cette pièce ne comporte néanmoins pas de chiffres
romains dignes de ce nom. Il nous faudrait un indice nous montrant quel mur indique
l’heure…

Quel mur indique l’heure …? C’est bien gentil de dire cela mais… Leur surface est ordinaire,
ce ne sont que de simples murs. Le mur où se trouve la porte, celui qui lui fait face, celui qui
comporte la fenêtre. Le dressing… Serait-ce une aiguille directrice ? Une boussole…

- Luxaky…Où se trouve le nord en regardant de cette chambre ? Imaginons que ce point


cardinal représente 00h00…
- J’y ai déjà songé mais il n’existe pas d’argument qui relierait le nord à 00h00 car il ne s’agit
pas d’une carte. Cela pourrait aussi bien être l’est, l’ouest ou le sud.
- Un argument… En effet. Sans preuve, du moins sans argument… Nous ne sommes tout de
même pas censés savoir quel mur indique quoi...
- Sans doute. J’ai l’étrange impression qu’un mur infranchissable se dresse devant nous.
- Un mur… ? Belle métaphore. Un mur, mur…

Mur ? Qui dit mur dit poupée de paille. Deux poupées de paille avaient figuré dans cette pièce.
Y aurait-il un lien ? Peut-être que ces poupées ont une signification ici. Misora s’efforça de
penser que c’était le seul indice et y axa sa pensée. Poupée de paille. Paille. Poupée. Poupée.
Poupée. Peluche… ? Peluche… Une chambre fantaisiste. Fantaisiste au point de ne pas
convenir à une femme de 28 ans…
DES PELUCHES CONTRE LES MURS.

« J’ai compris, Luxaky… », dit Misora.

Elle n’était cette fois pas agitée.


Elle était extrêmement calme.

- 81 -
- LE NOMBRE DE PELUCHES… LE NOMBRE DE PELUCHES CONTRE LES MURS INDIQUE L’HEURE.
Regardez, le mur situé côté porte a DOUZE PELUCHES. Là-bas, il y en a NEUF. Cela indique
« 12h00 » et « 9h00 ». De ce fait, le mur de la porte désigne le haut quand on imagine cette
pièce comme une montre.
- Pas si vite, Mlle Misora.

Luxaky interrompit Misora.

- Vous avez certainement raison pour « 12h00 » et « 9h00 » mais ce mur contient cinq
peluches et celui-là deux. S’il s’agit du cadran d’une montre comportant quatre chiffres, cela
devrait être « 12 » « 3 » « 6 » « 9 »… « 12 » « 2 » « 5 » « 9 » ne correspond pas à un cadran.
- BIEN SUR QUE SI, AVEC LES POUPEES DE PAILLE.

Misora dit cela en regardant un trou dans le mur.

- On obtient « 3 » en ajoutant une poupée de paille aux deux peluches et « 6 » en ajoutant une
poupée de paille aux cinq peluches. Ainsi, il est établi que ce troisième lieu fait office de
montre. Cette pièce est bien une montre.

Misora posa délicatement la photo de Backyard Bottomslash en prenant soin de la placer dans
cette même position allongée qu’elle et Luxaky avaient adoptée.

- Elle indique 6h15 et 50 secondes.

- 82 -
Page.6 Echec

Nous voilà au 22 août, jour de l’arrestation du criminel de l’affaire BB des meurtres en série
de Los Angeles. Un fait évident si l’on regarde le passé, tout comme n’importe quel
évènement antérieur. Cependant, avec un regard en temps réel, les protagonistes n’en savaient
rien, d’autant plus qu’il n’y avait aucune raison de voir les évènements se dérouler en leur
faveur. Bien au contraire, Naomi Misora accueillit ce jour l’esprit remplie d’anxiété et
d’incertitudes.

6h15 et 50 secondes.

Avoir pu décrypter le message laissé par le criminel sur le lieu du troisième meurtre était
bénéfique, mais il était cependant nécessaire de se demander si cette heure correspondait au
matin ou au soir. De la date au cours de laquelle elle avait découvert la montre jusqu’au 20
août, soit le jour suivant, Misora chercha sur le lieu du crime un élément désignant « matin »
ou « après-midi », pour un résultat infructueux.

« Mettre autant d’énergie dans ses recherches et ne rien trouver signifie que cela n’a pas
d’importance », dit Luxaky.
- S’agissant de la réplique d’une montre analogique et non pas celle d’une montre digitale, il
est sans doute inutile de s’attarder sur cette histoire de matin et d’après-midi.
- En effet…

Misora approuva de la tête. Elle se demanda en réalité si cette réflexion était bonne ou non
mais maintenant, elle ne pouvait qu’acquiescer. Elle décida cependant de commencer par
interpréter le message via « 6h15 et 50 secondes » et « 18h15 et 50 secondes ». Comme ce fut
le cas sur le lieu du premier meurtre avec Quarter Queen et sur le second avec la station Glass,
quelque chose était-il désigné ? Misora et Luxaky se penchèrent ensemble sur la question et
c’est Luxaky qui le premier sembla atteindre une réponse plausible : « 061550 ». Le numéro
du permis de construire d’un immeuble en copropriété. Un grand ensemble d’habitations situé
à Valley Area, à Pasadena. Un grand complexe rassemblant deux cents appartements allant du
2 LDK au 4 LDK 13 . Dans l’appartement 1313, résidait une femme répondant au nom de
Blackberry Brown. Appartement 1313. Initiales BB.

« Aucun doute possible. », dit Misora. Le numéro du permis de construire du complexe


commençant indubitablement par 0, le numéro « 181550 » n’existait pas. Sa légère inquiétude
concernant le matin et l’après midi était maintenant balayée par l’obtention de cette réponse.
Comme l’avait dit Luxaky, peu importait vu qu’ils avaient affaire à une montre analogique.
Misora se sentit soulagée. Luxaky n’afficha pourtant pas une mine réjouie, ou plutôt il n’était
pas homme à en afficher une… Misora pensa que sa réaction rimait avec insatisfaction.

- Que vous arrive-t-il, Luxaky ? Nous avons lu le jeu du criminel et pouvons maintenant
anticiper. Nous pouvons lui tendre une embuscade. En nous débrouillons bien, nous pouvons
même faire d’une pierre deux coups en empêchant un quatrième meurtre et en procédant à son
arrestation. Nous le coincerons assurément, et en vie, de surcroît.

13
LDK (Living room, Dining room, Kitchen). Ce sigle désigne la chambre, la salle à manger et la cuisine. Le
chiffre qui le précède indique le nombre de chambre.

- 83 -
« Mlle Misora. », dit Luxaky.
- A vrai dire, il existe une autre personne qui remplit les conditions dans le complexe, une
autre personne porteuse des initiales BB. Un dénommé Bruceharp Babysplit vivant seul dans
l’appartement 404.
- Oh non…

Deux personnes portaient les initiales BB. Bon nombre de ces deux cent appartements
constituant ce grand ensemble d’habitations étaient habités non seulement par des personnes
seules mais également par des familles. La fourchette du nombre de résidents se situait entre
400 et 500… Avec un calcul simple, sur la proportion d’une personne sur 676, il n’était pas
étrange que deux soient porteuses des initiales BB. Un taux de probabilité tout à fait plausible.

Cependant, Misora dit :

- Toutes les réflexions mènent à l’appartement 1313. Une indication de « 13 » et « B »,


Luxaky. « 1313 » donne « BB ». Un quatrième meurtre… En pensant au nombre de poupées,
ce quatrième meurtre sonnera comme le dernier.
- Ah oui ?
- Oui. Après tout, l’appartement 404…

Il est vrai que « 4 » correspond à « 1 + 3 » donc à « B ». Entre « 1313 » et « 404 » le criminel


devrait largement privilégier le premier nombre… Misora pensa que le criminel opterait pour
ce choix mais Luxaky ne semblait pas du même avis.

- Luxaky, il est rare de trouver aux Etats-Unis un immeuble de 13 étages ou un appartement


portant le 13. Le nombre « 13 » est d’ordinaire occulté dans l’affichage des étages. Le
criminel ne serait-il pas désireux d’utiliser ce 13ème étage vu qu’il existe ? On peut également
penser que c’est justement pour ce critère que le complexe et la victime ont été choisis…

- Faites appel à votre mémoire, Mlle Misora. N’y avait-il pas la question des intervalles dans
cette affaire ? Une grille de mots-croisés est parvenue au siège de la police de Los Angeles le
22 juillet, neuf jours plus tard, soit le 31 juillet, est perpétré le premier meurtre. Quatre jours
plus tard, à la date du 4 août, a lieu le second meurtre. Neuf jours plus tard, le 13 août, est
commis le troisième et 9 jours après, le 22 août, est la date d’un hypothétique quatrième
meurtre. Neuf jours après, quatre jours après, neuf jours après, neuf jours après. Pourquoi
n’est-ce pas « 9 4 9 4 » mais « 9 4 9 9 », alors que « 9 + 4 » » donne « 13 » ?

- Eh bien…

C’est Misora qui à l’origine, avait pris pour référence le « 13 » résultant de l’addition entre
l’intervalle de neuf jours et celui de quatre jours. Le 17 août étant resté vierge en évènement,
elle s’était dit que c’était sans doute un hasard. Le 17 ne suggérant pas le « B », inutile de
considérer cela comme un problème. Misora ne savait pas pourquoi cette discussion avait
présentement lieu mais…

- Il y a un « 4 » et trois « 9 ». N’y voyez-vous pas là un déséquilibre ?


- Bien sûr que si, mais la « réciprocité »…
- Il ne s’agit pas de « réciprocité » car si l’on considère « 4 » et « 9 » comme un ensemble, le
« 13 » continuerait invariablement. Je trouve étrange que la situation actuelle ne soit pas dans
ce schéma.

- 84 -
-…
- Avec le nombre « 404 » de la chambre 404, l’équilibre serait parfait : trois « 4 » et trois
« 9 ».
- Ah…

Il lui donne cette signification…

- S’il s’agissait d’un appartement autre que le 404, j’aurais été persuadé à 100 %, que dis-je, à
200 %, que la cible serait Blackberry Brown, habitante de l’appartement 1313, mais il est hors
de question d’occulter cet appartement 404 incluant deux « 4 » et son occupant, Bruceharp
Babysplit, porteur des initiales BB.
- Evidemment que nous ne pouvons passer outre…

Suite aux arguments de Luxaky, Misora pensa que l’appartement 404 était bien plus
susceptible d’être visé. Quant à l’histoire des intervalles de quatre et neuf, Misora ressentait
elle aussi une incompatibilité. Devait-elle se résoudre à conclure à un hasard ? N’est-ce pas un
fait qu’il ne se soit rien passé le 17 ? Des deux appartements, le 404 était pour elle celui qui
épongerait ce sentiment vague.

Misora fit la moue.

Elle n’avait pas pu établir que la montre indiquait le matin ou l’après-midi et même si elle
avait trouvé le lieu du prochain crime, elle n’arrivait pas non plus à déterminer qui serait la
prochaine victime parmi les deux options… Elle éprouvait un certain mal être et de la
frustration malgré tout le chemin parcouru. Elle n’était pas apaisée. Bien qu’elle ait décrypté
le message, elle ne se sentait pas sereine. Un trouble qui plus tard pourrait être lié à une erreur
déterminante…

« Tant pis. », dit Luxaky.


- Au vu de la situation, nous n’avons pas d’autre alternative que celle de nous séparer.
Heureusement que nous formons un duo.

« Nous sommes certes deux mais ne formons toutefois pas un duo », garda pour elle Misora.

- Chacun de nous se rendra sur les lieux en question. Il serait conforme que vous alliez à
l’appartement 1313 et moi au 404 car l’habitant du premier appartement cité, à savoir
Blackberry Brown, est une femme tandis qu’habite dans le second le dénommé Bruceharp
Babysplit. Cette répartition m’apparaît comme naturelle.
- … Qu’entendez-vous par « répartition » ?
- Vous l’avez mentionné tout à l’heure, Mlle Misora. Nous pouvons anticiper et tendre un
guet-apens. Sollicitons la coopération de Blackberry Brown et de Bruceharp Babysplit sur
l’enquête aujourd’hui ou demain. Nous ne mentionnerons bien évidemment pas le fait qu’on
attente à leurs vies. Une situation non désirée pourrait survenir si des informations filtraient à
cause d’une phrase mal venue.
- N’ont-ils pas le droit d’être mis au courant ?
- Le droit de vivre est plus important. Il suffira de leur louer leurs appartements pour la
journée contre une somme d’argent.
- De l’argent ?
- Tout à fait. C’est le moyen le plus explicite. Heureusement, mon patron me donne de
l’argent pour les dépenses urgentes. De plus, je recevrai une récompense des clients une fois

- 85 -
l’affaire résolue. Il en serait allé autrement pour une affaire de meurtres ordinaire, mais dire à
Blackberry et Bruceharp qu’ils seront assassinés rien que parce qu’ils sont porteurs des
initiales BB est loin d’être un argument suffisant. S’ils doivent être tués, il faut QUE CELA SOIT
DANS LEUR APPARTEMENT RESPECTIF, soit le 1313 et le 404. Dans ce cas, si nous prenons leur
place dans leurs appartements, nous pourrons nous retrouver face au criminel. Il va sans dire
que par précaution, il nous faudra mettre à l’abri Blackberry Brown et Bruceharp Babysplit à
la date du 22… Un séjour dans la suite d’un luxueux hôtel pourrait faire l’affaire.
- Et nous…

Misora se mit à réfléchir, la main sur la bouche. Acheter des éventuelles victimes ne posait
pas de problème… Elle ne connaissait pas le patron qui versait une aide pécuniaire à Luxaky,
mais même elle pourrait sortir de l’argent pour acheter quelqu’un si L le lui demandait.
Luxaky allait prendre la place de Bruceharp Babysplit et Misora celle de Blackberry Brown…

- Mieux vaudrait ne pas demander l’assistance de la police…


- En effet. Nous pourrons peut-être sauver la vie de la victime, mais à coup de renforts trop
conséquents, le criminel nous filerait entre les doigts. Et puis d’ailleurs, il est impossible de
mobiliser les organes de police avec notre raisonnement. Je suis certain à 99 % de l’exactitude
du message du criminel, mais même en se montrant persuasif, il manque tout de même des
preuves. On nous dirait que tout ceci n’est que chimère, que tout ceci ne repose sur rien.
- Que tout ceci ne repose sur rien…
- Sans racine, pas de feuillecine.
-…
Ce mot n’existe pas.
Il avait tout de même raison.

Et si elle demandait à Raye Penber, son petit ami du FBI ?... Non, elle ne pouvait pas
s’adresser au FBI. Misora est actuellement en inactivité… Même devant Luxaky, elle s’était
présentée comme étant un détective. Son attitude adoptée durant une semaine pouvait devenir
problématique pour l’agent du FBI qu’elle était. Elle agissait certes sous le commandement de
L mais il était hors de question de rendre ce fait public…

- Le criminel agit probablement seul mais il faudra se battre avec lui lors de l’interpellation,
Luxaky.
- Ne vous en faites pas. Je ne perdrai pas en un contre un. Je suis suffisamment fort. Et vous
Mlle Misora, vous maîtrisez la capoeira.
- Certes, mais…
- Savez-vous vous servir d’une arme à feu, Mlle Misora ?
- Pardon ? Euh oui, mais je n’en possède pas.
- Bon, je vais vous en fournir une. Equipez-vous avec, je vous prie. Jusqu’à maintenant,
c’était une lutte entre un criminel et des détectives mais désormais, nos vies sont en jeu.
Faites-vous également à cette idée, Mlle Misora.

Luxaky avait dit cela en mordillant son pouce.


Belle ambiance…

Ce jour-là, en proie à l’inquiétude, Misora séjourna une nuit dans un hôtel de Westside. Elle
prit contact avec L depuis le terminal de sa chambre et lui parla de l’aide financière et des
faits mis en lumière. Elle pensa que L jugerait ce guet-apens trop dangereux, ou qu’il
penserait qu’il faudrait davantage se préoccuper de la sécurité des victimes potentielles ou

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encore qu’il serait contre le scénario imaginé par Luxaky (à vrai dire, elle caressa l’espoir
qu’il en soit ainsi) mais bien loin de ces pensées, il trouva à son goût le scénario de Luxaky.
Misora demanda à maintes reprises si on pouvait faire confiance à Luxaky et L lui répondit
que la question ne se posait pas tant qu’il resterait sous surveillance. De toute façon, tout
prendrait fin le 22…

« Je vous en prie, Mlle Misora », dit L


- Attrapez coûte que coûte le criminel de cette affaire.

Utiliser tous les moyens.


Tous les moyens.

- … Entendu
- Merci… Néanmoins, Mlle Misora, vous ne pouvez certes pas avoir recours aux organes de
police officiels, mais il en va autrement pour une unité de renfort officieuse. J’aimerais vous
envoyer des hommes de main agissant en mon nom. Inutile d’avoir des preuves tangibles pour
qu’ils entrent en action. Ils se tiendront dans un périmètre assez éloigné.

- D’accord. Sur ce, je vous laisse.

Il était minuit passé quand la communication avec L prit fin et par conséquent, nous étions le
21 août. Etant donné qu’il fallait absolument être à Pasadena toute la journée du 22, elle
devait se rendre là-bas dès la veille. Décidée à dormir, Misora se glissa dans les draps du lit de
l’hôtel et ferma les yeux.

« Tiens ? », murmura-t-elle.
Elle avait dit cela en glissant vers le sommeil.

- Quand ai-je parlé à Luxaky de la capoeira ?

Elle n’en avait aucune idée.


Autre chose lui échappait également.
Quelque chose dont elle n’avait pas conscience.
Quelque chose qui jamais ne la concernerait.
Elle aurait beau se démener qu’elle n’en saurait rien.
Elle ne saurait pas que Beyond Birthday, le criminel de cette affaire, pouvait d’un regard
connaître le nom et la longévité d’une personne grâce à l’œil du Shinigami acquis à la
naissance... ELLE NE SAURAIT PAS QUE DEVANT LUI, FOURNIR UN FAUX NOM ETAIT AUSSI BIEN
DENUE DE SENS QU’INEFFICACE.
Elle ne le saurait pas.
Après tout, Beyond Birthday lui-même ne saurait expliquer pourquoi il avait acquis à la
naissance l’œil du Shinigami, sans passer de marché, sans contrepartie. Misora, L et moi aussi
n’en connaissions évidemment pas la raison. Tout ce que je peux dire, c’est qu’étant donné
qu’il existe un crétin de Shinigami ayant fait tomber un carnet de la mort, il n’y aurait rien
d’étrange à ce qu’il existe un Shinigami ayant fait tomber son globe oculaire. Quoi qu’il en
soit, il est complètement absurde pour un humain n’ayant pas connaissance des Shinigami de
prendre conscience de l’existence de l’œil du Shinigami.
J’aurais tout de même voulu qu’elle s’aperçoive ne serait-ce que légèrement qu’avec son
assimilation du « B» au « 13 », elle aurait pu faire également le rapprochement entre le « 13 »
et la carte porteuse de ce nombre indiquant La Mort dans un jeu de tarot…

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Telle est ma réflexion.

C’est avec de l’anxiété, des incertitudes et un seul échec en tête que Misora allait agir dans
une affaire atteignant son apogée.

UU

Arrestation.
Je voulais au départ passer sous silence dans ce carnet le pourquoi de l’inactivité Misora, de
sa suspension, laisser en somme cette raison dans le vague. Même maintenant, je me dis que
je m’en serais bien passé si c’était possible. Ce sentiment est sincère. Comme je l’ai déjà
mentionné auparavant, elle était la seule « victime » à être mêlée aux dissensions internes de
la Wammy’s House… Même ce prétexte ne m’avait pas donné envie de pénétrer dans son
intimité. C’est pourquoi j’avais jusqu’ici évité d’entrer dans les détails, mais je dois décrire le
regard complexe d’une Naomi Misora munie d’une arme à feu fournie par Luxaky, un Strayer
Voigt Infinity, le 22 août 2002 dans l’appartement 1313 situé à Pasadena, Valley Area. Il est
hors de question que je j’élude la raison de ces prunelles et faire comme si de rien était en
faisant avance rapide.
Cette histoire n’est toutefois pas si complexe. Pour résumer, elle avait ruiné une enquête
d’infiltration, une opération top secrète relative à un trafic de drogue menée depuis plusieurs
mois qu’elle et son équipe avaient montée. Elle n’avait pas pu appuyer sur la détente au
moment crucial. Bien qu’il n’était pas dans son habitude de se déplacer avec une arme, il en
allait autrement lors d’une mission… Je n’ai pas l’intention de dire que ne jamais avoir tiré
sur quelqu’un est de l’inexpérience, Naomi Misora étant un agent du FBI entraîné. Je ne crois
pas qu’elle feint d’être puriste ou loyale. Cependant, elle ne put presser la détente à ce
moment, car la cible située de l’autre côté du canon était âgée d’à peine 13 ans. Et alors ? 13
ans ou pas, c’était un ignoble criminel. Cependant, Naomi Misora le laissa s’échapper,
réduisant ainsi à néant une opération top secrète pour laquelle bon nombre des ses collègues
avait sué sang et eau. Point final. Pas la moindre arrestation. Pire encore : bien qu’il n’y eut
pas de mort parmi ses collègues, l’un d’entre eux fut tout de même gravement blessé au point
de ne peut-être plus jamais retourner sur le terrain. Dans le rapport dépense efficacité, c’était
le pire des résultats. Bien que son statut était bas au sein de l’organisation, se retrouver en
inactivité était pour elle un moindre mal. Naomi Misora ne savait vraiment pas pourquoi elle
n’avait pas pu presser la détente. Sa conscience d’agent du FBI… non peut-être qu’elle n’était
pas résolue à le faire. Son petit ami Raye Penber lui avait dit qu’il était heureux que son
surnom de Misora la bouchère fût inapproprié, mais elle ne savait pas s’il s’agissait là de
paroles réconfortantes ou ironiques. Dans un cas comme dans l’autre, elle estimait qu’il avait
raison.
Cependant, Naomi Misora se souvint.
Quand elle pointa le canon…
Elle se souvint de cet enfant braquant ses yeux sur elle.
CES YEUX QUI VOIENT L’INCROYABLE… Un regard semblable à une rencontre avec un
Shinigami. Ridicule… A-t-elle déjà pensé à tuer ou à être tuée ? Elle n’est pas plus résolue à
tuer qu’à être tuée. Une résolution de criminel. Une résolution d’agent du FBI. Dans un cas
comme dans l’autre, résolution. Membre d’une organisation. Cet enfant était lui aussi un
membre d’une organisation. Peut-être est-ce pour cela que la résolution fut ébranlée. Peut-être
que la résolution fut paralysée. Peut-être que la résolution rouilla. Qu’en est-il ? Vu son lieu
de naissance, cet enfant n’avait déjà pas la moindre chance de vivre dans le droit chemin.
Quel genre de résolution pouvait réclamer Misora à un tel être ? Etait-ce cruel de compter là-
dessus ? Le fait que cet enfant n’ait que cette manière de vivre était une vérité sautant aux

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yeux. Le destin avait œuvré dès le départ. Fallait-il pour autant accepter ce destin ? Les
manières de vivre et de mourir sont-elles prédéterminées ? La vie comme la mort d’un être
sont-elles manipulées par quelqu’un ?
Il y avait évidemment du ressentiment envers ceux qui prétextant son erreur, l’avaient
suspendue, mais quand par exemple, elle se demanda ce qui différenciait clairement la
deuxième victime de l’affaire BB des meurtres en série de Los Angeles, Quarter Queen, et cet
enfant de 13 ans sur lequel elle n’avait pas pu faire feu, il était indéniable que son état d’âme
était ridicule.
Misora n’est pas animée d’un fort sentiment de justice.
Je ne l’imagine pas non pas forte sur un plan logique et éthique.
Elle n’a pas de philosophie concernant les affaires.
C’est simplement que ses pas dans la vie, semblables à ceux effectués dans une ville inconnue,
l’avaient menée à cette situation... Si elle répétait sa vie, elle parviendrait certainement à une
autre situation. Quand elle se demanda pourquoi être entrée au FBI, toute réponse fut
impossible.
Elle est brillante, une qualité tirant son origine de ses capacités.
Ce n’est pas une idéologie.
« Que faire si le criminel s’avère être un enfant ? » murmura Misora sur un ton mélancolique
- 13 ans…13 ans…
Après s’être assurée que le cran de sûreté de l’arme à feu qu’elle tenait était bien activé, elle
rangea l’arme sur son flanc. Se trouvaient également à cet endroit des menottes fournies par
Luxaky en vue de la capture du criminel. Appartement 1313 d’un immeuble en copropriété,
occupé par Blackberry Brown. Un 2 LDK. On voyait depuis le vestibule une pièce équipée
d’une serrure thumbturn. Neuf étages plus bas, dans l’appartement 404, Luxaky devait à
l’heure qu’il est préparer un guet-apens à l’attention du criminel, sous l’identité de Bruceharp
Babysplit…. Luxaky prétendait qu’il était fort, mais son physique élancé et son dos courbé
donnant l’impression inverse, Misora était assez inquiète. Lors de leur concertation juste
avant de rejoindre chacun leur poste, il débordait de confiance… C’était suspect.
Misora ne savait toujours pas à ce moment si le criminel, « B » comme l’appelait L, se
manifesterait dans l’appartement 1313 ou 404. Elle continuait de réfléchir avant l’heure limite
mais elle ne put obtenir une conclusion digne de ce nom. La question portant sur la montre
indiquant le matin ou l’après-midi sur le lieu du troisième meurtre la tracassait également…
Cela n’apportait rien de penser à cela maintenant. Elle devait maintenant se mettre dans la tête
que le criminel visait l’appartement 1313, qu’il visait Blackberry Brown, personne dont elle
avait pris l’identité, et passer à l’action. Ce n’était pas le moment de se soucier de quelqu’un.
Elle pouvait toujours se dire qu’elle, LA REPRESENTANTE DE L, ETAIT DANS LE COLIMATEUR DE
« B ».
Elle regarda l’horloge fixée sur le mur.
Une horloge digitale… 9h00 pile.
Nous étions le 22 août et neuf heures s’étaient écoulées. Il n’en restait plus que quinze. Elle
devait aujourd’hui rester éveillée au moins vingt quatre heures. Elle ne devait même pas
s’absenter pour aller au petit coin. Luxaky lui avait également dit de s’armer de patience car le
temps serait long… Elle devait se tenir prête à interpeller le criminel lorsque celui-ci
pénètrerait dans la pièce. Quoi qu’il en soit, il était temps de prendre contact avec L. Misora
sortit de son sac un téléphone et joignit L selon la procédure indiquée, tout en promenant son
regard sur la porte et les rideaux fermées d’une fenêtre.
- Ici L.
- C’est Misora. Aucun mouvement à signaler actuellement. J’ai contacté Luxaky tout à
l’heure : rien à signaler de son côté non plus. J’ai le sentiment que ce combat sera de longue
haleine.

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- Ah oui ? Je vous prie dans ce cas de faire preuve d’une vigilance de tous les instants.
Comme je l’ai précédemment signifié, une unité surveille l’extérieur de la copropriété et
pourra agir sur le champ si le besoin s’en fait sentir.
- J’en suis consciente.
- J’ai envoyé il y a peu deux alliés dans la copropriété. Je me suis demandé si cela suffirait
mais j’ai l’impression que le climat nous est favorable. J’ai le sentiment que la chance nous
sourit.
- Pardon ? Mais…

Afin de ne pas alerter la vigilance du criminel, il n’y avait pas dans la copropriété de caméra
de surveillance ou de stupides micros, y compris dans cet appartement… Et voilà que tout
d’un coup, venait se greffer d’autres personnes... Et dire qu’il fallait que le criminel ne
s’aperçoive de rien…

- Ne vous en faites pas. Le criminel n’y verra que du feu. L’une des deux personnes est une
pro de l’arnaque et l’autre une pro de l’infiltration. Je ne peux pas explicitement dire à l’agent
du FBI que vous êtes qui ils sont, mais l’essentiel est que vous sachiez qu’ils ont le statut de
voleur et d’escroc. Ils jouent pour l’occasion le rôle de protecteurs des appartements 1313 et
404.
- Statut de voleur… et d’escroc… ?

Qu’est-ce qu’il raconte ?


Il plaisante ?

- Sur ce, Mlle Naomi Misora…


- Euh… L…

Misora retint un L sur le point de mettre fin à la communication et posa immédiatement une
question qu’elle hésitait depuis longtemps à poser.

- Vous connaissez le criminel, n’est-ce pas ?


- Oui. Je vous l’ai déjà dit. Le criminel, c’est « B ».
- Je ne parle pas en ce sens. Je vous ai demandé si « B » était une de vos connaissances
personnelles.

Dès lors que L lui avait dit le 16 qu’il savait depuis le début que « B » était le criminel, elle
eut un doute, doute qui se mua en certitude suite aux paroles de L datées d’avant-hier :
« UTILISEZ TOUS LES MOYENS », « ARRETEZ COUTE QUE COUTE LE CRIMINEL DE CETTE
AFFAIRE ». Elle ne pouvait plus penser que la cible de ces paroles soit pour le détective du
siècle un simple meurtrier en série. Cet être porteur de la lettre « B » était obnubilé par L.

- Oui.

La voix de synthèse acquiesça aux propos de Misora.


La question ne l’embarrassa nullement.

- Veuillez cependant garder cela secret, je vous prie. L’unité postée aux alentours de la
copropriété ainsi que la voleuse et l’escroc ne connaissent même pas le contenu de l’affaire
sur laquelle ils sont mobilisés. Je vous ai répondu car vous m’avez posé la question mais à la
base, vous n’aviez pas à le savoir.

- 90 -
- Je partage votre avis car à la question « qui est « B » ? », la réponse est qu’il s’agit d’un
criminel ayant ôté trois précieuses vies de manière irraisonnée. J’aimerais néanmoins que
vous me renseigniez sur un point.
- Quel est-il ?
- CELA NE NOUS VOUS DERANGE PAS QUE LE CRIMINEL SOIT UNE DE VOS CONNAISSANCES ?

Pour Misora, cette question ressemblait à « Etes-vous capable de tirer sur un enfant ? »

« JE N’EN AI RIEN À FAIRE », répondit L.


- B n’est pas à franchement parler une connaissance mais quelqu’un dont je connais
simplement l’existence... Néanmoins, mon raisonnement n’en faiblit pas pour autant. Il est
vrai que mon intérêt pour cette affaire et le fait de m’être lancé dans une enquête était dû au
fait que je connaissais l’identité du criminel depuis le début. Ceci n’influence néanmoins
aucunement mon comportement dans cette enquête. Mlle Naomi Misora, je ne peux tolérer le
Mal. Je ne peux le tolérer. Peu importe donc qu’il soit une connaissance ou tout autre chose,
seule la Justice m’intéresse.
- Seule… la Justice…

Misora resta bouche bée face à cette réponse.

- Vous voulez dire que rien ne vous intéresse en dehors de la Justice ?


- Ce n’est pas ce que je prétends, mais le reste est loin d’être une priorité.
- Quelque soit la forme revêtue par le Mal, vous ne pouvez le tolérer ?
- Ce n’est pas ce que je prétends, mais cette notion est loin d’être prioritaire.
- Mais…

A l’instar d’une victime de 13 ans.

- Beaucoup de gens ne peuvent être sauvés par la Justice.

A l’instar d’un assaillant de 13 ans.

- Beaucoup de gens peuvent être sauvés par le Mal


- En effet. Mais tout de même…

L dit cela sur un ton inchangé.


Comme pour persuader Naomi Misora.

- La Justice possède un pouvoir plus fort que tout.


- Pouvoir ? Vous entendez par là puissance ?
- Non, je parle de tendresse.

Cette manière de parler était trop évasive.


Misora faillit lâcher le téléphone.
L.
L, le détective du siècle.
L, le détective de la Justice.
Celui qui résout toutes les affaires complexes…

- … Je pense avoir fait erreur sur votre compte, L.

- 91 -
- Ah bon ? Je suis content de l’apprendre.
- Je retourne sur l’enquête.
- Entendu. A plus tard.

Misora ferma son portable ainsi que ses yeux.


Fuu.
Aucune évolution positive.
Il n’a fait que la caresser dans le sens du poil.
Il n’a fait que tenir des propos attentionnés.
Peut-être s’est-elle fait embobiner par ces belles paroles.
La question n’avait rien résolu. Le doute estompé n’a pas fait pour autant place à la résolution.
Même si elle avait l’impression que quelque chose avait légèrement changé, ce quelque chose
reviendrait à son état initial le jour suivant. Néanmoins, Misora pensa un court instant à ce
moment qu’elle aimerait réintégrer le FBI une fois sa période d’inactivité expirée plutôt que
de présenter sa démission dès la résolution de cette résolue. Elle se demandait si le criminel
de cette affaire serait ou non un cadeau.

- Bon, je devrais contacter Luxaky d’ici une heure… Je me demande si tout va bien de son
côté…

Blackberry Brown et Bruceharp Babysplit : les deux BB. Appartement 1313 et 404… Elle ne
pouvait pas s’empêcher de penser quant à la possible présence sur le lieu du troisième meurtre
d’un élément désignant la prochaine victime du criminel. Tout comme elle ne pouvait pas non
plus s’empêcher de penser qu’elle n’avait peut-être pas tout fait pour réduire le nombre
possibilité à une seul...

- …Oui. Je vois, d’où QQ.

Il lui était venu un élément à l’esprit. La raison pour laquelle les initiales de la seconde
victime n’étaient non pas BB mais QQ. La raison pour laquelle une enfant avait été retournée,
transformant ainsi un « b » en « q »… C’était pour prévenir l’implication d’autres
homonymes. Le type de message laissé sur le lieu du premier meurtre… Autrement dit, dans
le cas d’un message désignant la prochaine cible et non le pas le lieu du prochain meurtre, elle
ne pouvait pas réfuter la possibilité d’un homonyme. Ainsi, QQ est plus rare que BB…
Quarter Queen. Elle n’avait pas évalué combien de personnes à Los Angeles s’appelaient
Believe Bridesmaid et Backyard Bottomslash mais, il n’y avait qu’une Quarter Queen dans
cette ville. Dans ce cas, il était plus juste de voir au recto du message un B plutôt qu’un Q. B.
BB.
Toutefois, pourquoi lors de l’ultime situation, le criminel qui s’était pourtant évertué à
restreindre la réponse des messages à une seule possibilité a-t-il crée une situation laissant
supposer qu’il y ait potentiellement deux victimes ? Misora aurait-elle omis un message
important ? Aurait-elle failli à sa tâche ?
Mots-croisés.
En parlant de cela, elle n’avait pas encore relevé le défi.
En y repensant, il restait une question laissée en suspens… et pas seulement la question des
appartements 1313 et 404. Est-ce que tout sera résolu si la capture du criminel est une
réussite ? Ou alors…

- … Je me demande si la pièce close est due à un double de clé…

- 92 -
Dans ce cas, une fois que le criminel se serait une nouvelle fois muni d’un double de clé, elle
devrait faire face à un meurtre… Pendant combien de temps le criminel a-t-il vérifié au
préalable l’entourage de ses victimes ? Elle avait fait preuve d’attention au possible, mais il
planait la possibilité que Misora soit prête, tout comme il se pouvait qu’elle passe au travers…

- Une pièce close. « Un fil et une l’aiguille » ?... « L’aiguille » était un indice important lors
du troisième meurtre, mais bon…

La grande aiguille, la petite et la trotteuse.

De plus, il était surprenant que les poupées de paille aient une signification réelle, alors
qu’elles faisaient simplement penser à une métaphore portant sur les victimes. Ajoutées aux
peluches, elles représentaient le cadran de la montre. Certaines peluches n’appartenant pas à
la victime avaient peut-être été ajoutées afin de faire le compte. Histoire plausible.
Quatre, trois, deux : le nombre de poupées de paille diminue.
La dernière pour le quatrième meurtre.
Peut-être que oui, peut-être que non.

- Je me demande si la dernière poupée de paille sera laissée sur le mur face à la porte… Je
pense que ce serait l’endroit idéal… Sens profond…. La mise en scène d’un sens profond ?
En entrant dans une pièce close, ce qui attire d’abord le regard… Ce qui attire le regard, plus
qu’un cadavre…

Misora se leva et se dirigea vers la porte, sans avoir en tête une idée précise. Elle l’ouvrit et
promena son regard dans la pièce : rien de suspect. Une pièce ordinaire. A ce moment précis,
cet endroit n’avait rien d’un lieu de crime. Il s’agissait juste d’un lieu permettant d’épier la vie
banale de Blackberry Brown.

- Quelque soit le lieu, la hauteur à laquelle étaient fixées les poupées de paille était quasiment
la même… L’horizontale varie mais pas la verticale. Dans mon cas, une hauteur m’arrivant
aux hanches… Autrement dit, à peu près comme ça.

Misora s’accroupit. Cette position ressemblait à celle de Luxaky quand ses bras enserrent ses
genoux, mais inutile de s’attarder là-dessus. Tant mieux pour elle si elle pense que cette
position augmentera un temps soit peu sa faculté de raisonnement. De toute manière, elle était
seule dans cette pièce. A supposer que s’applique ici, le lieu d’un quatrième meurtre, cette
règle indiquant qu’il y aura en face de la porte une poupée de paille, ses yeux croiseront à
coup sûr ceux de la poupée de paille. La poupée n’avait pas d’yeux donc cela ne rimait à
rien…

- Si on réfléchit au fait qu’elle soit uniquement mêlée aux peluches, inutile qu’elle se situe sur
le mur en face de la porte… La mise en scène d’une signification profonde… Mise en
scène… ? A moins que cela soit simplement une des manifestations d’un caractère
maniaque… Aïe !

Réfléchir dans cette étrange position la fit soudainement tomber et son occiput tapa
légèrement contre la poignée de la porte. Elle retourna instinctivement, tout en frottant
l’arrière de son crâne. Et là…

Dans son champ de vision, la poignée de la porte. Et là…

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Et là, juste en dessous, une serrure thumbturn. Un bouton.

-…!

Misora tourna sa tête à une vitesse fulgurante vers le mur frontal, au point d’émettre un bruit
et le regarda. Il n’y avait rien, si ce n’est un papier peint ordinaire. Cependant, Misora projeta
sur ce mur l’image dune poupée de paille via son imagination. ET SI FIGURAIT A CETTE
HAUTEUR UNE POUPEE DE PAILLE ?… Pas en face de la porte.
EN FACE DE LA POIGNEE.
En face de la serrure thumbturn SERA SUSPENDUE UNE POUPEE.

- Je vois… Pourquoi ne m’en étais-je pas aperçue ?

La hauteur des hanches… Elle savait que cela correspondait à la hauteur des poupées de paille
dès lors qu’elle avait lu les documents d’enquête. Sur le lieu du premier meurtre, quand elle
tourna le verrou thumbturn, ELLE S’ETAIT APERÇUE QUE LE BOUTON LUI ARRIVAIT AU NIVEAU
DES HANCHES, que sur le second, le design de la porte de l’appartement différait du premier
mais elle pensa que la structure était la même… Sur le troisième, quand ses mains étaient
occupées, elle avait ouvert la porte en tournant la poignée grâce à l’aide de la boucle de sa
ceinture. Autrement dit, en procédant par induction à partir de ces cas, LA HAUTEUR DU
BOUTON DU VERROU THUMBTURN ET CELLE DES POUPEES DE PAILLES S ETAIENT QUASIMENT
IDENTIQUES. Inutile de parcourir les documents d’enquête et de comparer les chiffres. Mais
pourquoi ? Certes la hauteur à laquelle étaient fixées les poupées de paille et la hauteur du
bouton du verrou thumbturn étaient semblables… Et puis pour quelle raison annexe la poupée
a été placée pile en face du bouton du verrou thumbturn ?

-…

Elle arriva à une réponse sur laquelle elle ne devait pas arriver.
Elle parvint à une réponse sur laquelle elle ne devait pas parvenir.
Elle eut cette impression.
Une réponse capable de renverser toutes les suppositions auxquelles elle croyait jusqu’à
maintenant… Cependant, elle ne pouvait plus s’arrêter. Elle ne pouvait plus stopper son
raisonnement de par sa volonté. Imaginons qu’une poupée de paille soit laissée sur le mur
situé en face de la porte du lieu du quatrième meurtre… Un raisonnement par l’absurde.
Quatre poupées… Trois poupées… Deux poupées… Une poupée !

- Non, je n’arriverai à rien comme ça… Cette vérité est donc impossible… L’astuce de la
pièce close… Une pièce close due à « un fil et une aiguille »… « L’aiguille », un élément sur
le lieu du troisième meurtre… Qu’en est-il pour « le fil » ? Interstice de la porte…
Interstice… Interstice… Aucun interstice, porte parfaitement fermée…

Etat de pièce close.


La mise en place d’une pièce close sert à faire croire au suicide de la victime, mais dans le cas
présent, il n’y a pas eu paradoxalement de mise en scène.
ET SI C’ETAIT UNE PIECE CLOSE AYANT POUR BUT DE NE PAS FAIRE CROIRE A UN SUICIDE ?
Qu’adviendrait-il ?
Que faire ?

- Aah…

- 94 -
A vrai dire…
Misora avait jusqu’ici été guidée par Luxaky. Le message laissé dans l’étagère, l’analogie
entre le « q » et le « b » et le raisonnement sur les dates des meurtres étaient des pensées nées
durant les conversations avec Luxaky. Il avait en sorte qu’elle s’aperçoive qu’une montre
avait été emportée sur le lieu du troisième meurtre et que la victime faisait office de montre. Il
avait évoqué l’histoire de la bague ainsi que la différence de longueur entre la tête, les bras et
les jambes et émis la métaphore du mur infranchissable… Naomi Misora était quasiment
semblable à une marionnette manipulée par Luxaky.

- C’EST VRAI ÇA… COMMENT LE SAVAIT-IL ?

Elle y parvint.
Naomi Misora y était finalement parvenue par ses propres moyens.
Elle avait atteint la vérité.
Elle avait atteint la Justice.

- AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Misora avait poussé un cri de guerre qui avait déchiré l’air et écorné son image, puis sauta
devant la porte en brandissant l’arme à feu et les menottes. Elle revint immédiatement sur ses
pas et s’empressa de quitter l’appartement 1313.*
Ascenseur.
Non, pas le temps d’attendre. Escaliers de secours.
Tout en se repassant dans la tête le plan de la copropriété vérifié au préalable, elle courut dans
le couloir, cherchant les escaliers de secours. Elle ouvrit la porte d’un coup de pied et dévala
les marches quatre à quatre.
Etage inférieur.
Destination : neuf étages plus bas.

- J’y crois pas ! Pourquoi pourquoi pourquoi… C’est impossible ! C’était clair comme de
l’eau de roche !

Elle était horripilée.


La vérité n’est-elle pas la plus douce des sensations ? N’est-on pas censé avoir le cœur plus
léger une fois la lumière faite ?
Si c’est ainsi qu’elle l’exprime…
Le détective du siècle qui soi-disant a résolu toutes ses affaires endosse de lourdes
responsabilités. Il continue de résoudre des enquêtes et de goûter à une lourde souffrance.
Il en est et en sera ainsi.
Un poids si lourd que son dos en est terriblement courbé.
Un goût si amer qu’il désire une quantité incroyable de sucre.
Elle freina prestement sa course car elle allait si vite qu’elle faillit arriver au premier étage.
Elle s’offrit un court instant de répit pour reprendre son souffle puis ouvrit la porte et vérifia
une nouvelle fois qu’elle était bien au quatrième étage. Où aller ? A gauche ? A droite ? Cette
copropriété devenant sinueuse à un certain endroit, la direction du couloir différait de celle du
treizième étage… L’appartement 417 est à droite et en face, c’est le 418. C’est donc par là !

- Aaaah !

- 95 -
Elle entendit un cri.
Ce cri féminin l’effraya un court instant. Il provenait d’une habitante de la copropriété qui,
passant par hasard dans le couloir à ce moment, avait vu dans la main droite de Misora une
arme à feu. Situation trompeuse ! Misora tourna les talons afin de fuir cette habitante et se
dirigea vers l’appartement 404.

- Lu… Luxaky !

Elle arriva à destination après avoir tourné à droite, au coin suivant.


L’entrée n’était pas fermée à clé. Elle entra. L’appartement 1313 où s’était rendue Misora
était un 2 LDK mais celui-ci était un 3 LDK. Un appartement vaste. Quelle pièce ? Pas le
temps de réfléchir : il fallait vérifier les endroits proches. Echec sur la première pièce : elle
était vide. Seconde pièce : la porte ne s’ouvrit pas. Cette sensation… un verrou thumbturn !

- Luxaky ! Luxaky ! Luxaky !

Elle frappa à la porte… non « frapper » était un terme trop doux. Elle porta violemment des
coups sur la porte, comme pour la briser. De structure solide, le rempart ne céda en rien.
Aucune réponse de l’intérieur.
Aucune réponse de Luxaky.

- Han !

Elle frappa du talon la zone de la poignée avec un geste semblable à un ushiro mawashi geri.
L’effet produit fut plus conséquent que celui des coups portés précédemment mais cette porte
n’était pas simple à défoncer. Elle porta un dernier coup de manière identique au même
endroit, pour un résultat analogue.
Misora recourut à son arme.
Un Infinity.
Un huit coups, calibre quarante cinq.
Elle visa le verrou.

- Je presse la détente !

Elle tira deux fois.

Le verrou thumbturn et la poignée sautèrent. Misora enfonça ensuite la porte. Une poupée de
paille entra en premier lieu dans son champ de vision. Une poupée de paille fixée sur un mur,
fixée en face de la porte.
Et voici la suite.
DANS UNE ANGLE INVISIBLE DEPUIS L’ENTREE, ELLE VIT UNE TORCHE HUMAINE. EN PROIE A DE
TERRIBLES SOUFFRANCE, ELLE FAISAIT DES ROULADES.
Luxaky.
Il s’agissait de Luee Luxaky.
Elle vit son regard au sein des flammes.

- Lu… Luxaky !

Une terrible chaleur à en donner le vertige.


L’incendie se propageait un peu partout.

- 96 -
L’air embrasé s’attaqua à la peau de Misora.
CETTE ODEUR… DE L’ESSENCE !
Meurtres par strangulation, par coups de barre, par arme blanche et pour finir, par le feu !
Misora regarda le plafond, pensant y trouver un asperseur mais celui-ci avait bien
évidemment été détruit. Il ne remplira pas sa fonction, tout comme le système d’alarme. Elle
réprima sa panique et ses tremblements et quitta l’appartement 404 pour se retrouver à
nouveau dans le couloir. Elle rebroussa chemin. Elle avait vu quelque part un extincteur en
venant ici… Peut-être là… oui, le voilà ! Elle le décrocha, le prit dans ses mains et s’en
retourna. Ayant reçu un entraînement pour l’utilisation des extincteurs, lire l’étiquette lui était
inutile.
Elle se dirigea vers un Luxaky en flammes, le tuyau pointé dans sa direction, et appuya avec
force sur la poignée. Une fumée blanche se libéra, imprégnant la chambre de sa couleur. La
pression étant plus forte que ce qu’elle pensait, elle perdit l’équilibre et faillit être projetée en
arrière mais se ressaisissant, elle se débrouilla pour ne pas détourner le tuyau de Luxaky.
Combien de temps de faut-il ?
Dix secondes ? Plusieurs dizaines de secondes ?
Misora se demanda s’il fallait une journée pour que l’extincteur soit totalement vide.
Le feu disparut une fois l’extincteur vide.
La fumée blanche qui remplissait la chambre s’estompa peu à peu.
Sous les yeux de Misora, un corps carbonisé… Non, « carbonisé » ne marquait pas assez les
esprits. Il serait plus proche de la réalité d’appeler cela un morceau de viande d’un rouge
noirâtre. Le feu avait profondément entamé sa chair. Une atroce odeur de chair et de cheveux
brûlés se mêlait à celle de l’essence. Misora se boucha inconsciemment le nez. Ouvrir la
fenêtre pour aérer… Surtout pas : il résidait un risque de retour de flammes. Misora
s’approcha à petits pas de Luxaky, comme si elle avait peur qu’un mouvement brutal ne
détruise son corps. Elle s’accroupit près d’un Luxaky en position dorsale et l’appela.

- Luxaky…

Pas de réponse.
Etait-ce un simple macchabée ?

- Luxaky !
- Aah…
- Luxaky…

Il est en vie.
En vie.

Son état de grand brûlé nécessitait des soins urgents, mais elle éprouva tout de même du
soulagement. C’est à ce moment qu’entendant un bruit derrière elle, elle se retourna.
Quelqu’un était présent. Il s’agissait de l’habitante de cette copropriété qui avait crié dans le
couloir à la vue de l’arme de Misora. Il semblait qu’elle ait entendu les détonations et
l’extincteur et bien qu’effrayée, elle était venue voir ce qui se passait.

« Il… il s’est passé quelque chose ?», demanda-t-elle.

Tout en pensant que cette femme aurait dû demander ce qui s’était passé, Misora se présenta :
« Je suis du FBI ».
Elle a dit qu’elle était du FBI.

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Elle avait décliné son appartenance.

- Appelez la police, les pompiers et les urgences je vous prie.

D’un « d’accord », la femme quitta l’appartement 404, le visage blême. Misora se demanda si
par hasard elle n’avait pas affaire à la voleuse ou à l’escroc envoyés par L, mais elle remit à
plus tard cette pensée.

Elle retourna le corps de Luxaky.


Elle retourna le corps de couleur rouge noirâtre de Luxaky. Elle saisit ensuite son poignet
encore imprégné d’une importante quantité de chaleur. Elle vérifia son pouls : très irrégulier
et de surcroît très faible. Dans cet état, tiendra-t-il le coup jusqu’à l’hôpital ?... Tiendra-t-il
même le coup jusqu’à l’arrivée de l’ambulance ?... Il pourrait ne pas survivre.
Dans ce cas…
Il y a quelque chose qu’elle devait dire.
Il y a quelque chose qu’elle devait faire

- Luee Luxaky…

Misora passa les menottes au poignet qu’elle avait saisi.

- Soupçonné des meurtres de Believe Bridesmaid, Quarter Queen et Backyard Bottomslash,


vous êtes en état d’arrestation. Vous n’avez pas le droit de garder le silence, vous n’avez pas
le droit d’appeler un avocat et vous n’avez pas le droit de passer en jugement.

UU

Le criminel de l’affaire BB des meurtres en série de Los Angeles, Luee Luxaky alias Beyond
Birthday, fut arrêté.

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