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Margaux Leroux

L3 Cinéma et Audiovisuel
Université Gustave Eiffel
2021 - 2022

EXAMEN PREMIER SEMESTRE – 2021 – 2022


APPROCHE DE LA MISE EN SCENE
UNIVERSITE GUSTAVE EIFFEL

Approche de la mise en scène – Ruined Heart ; Another Lovestory Between a Criminal


and a Whore, 2012, Khavn de la Cruz

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Table des matières
Introduction .......................................................................................................................... 2
I – Une modulation violente de l’image .............................................................................. 3
1. Des mouvements de caméra et une composition vertigineuse ...................................... 3
2. La musique génératrice de l’image .............................................................................. 4
II – Une mélancolie mystique ............................................................................................... 7
1. Une finalité d’emblée annoncée .................................................................................. 7
2. Eros et Thanatos, pulsion de vie et pulsion de mort ..................................................... 9
Conclusion .......................................................................................................................... 12
Filmographie ....................................................................................................................... 13

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Introduction

A travers ce dossier nous allons étudier un film du réalisateur Khavn de la Cruz qui pour se
faire doit être replacé dans le contexte du cinéma philippin. Tout d’abord il est important de
souligner que les Philippines sont l’une des plus anciennes industries cinématographiques
d’Asie. C’est un cinéma qui apparaît tout d’abord extrêmement commercialisé avec plus de 130
millions de films produits par an jusque dans les années 1990. Ces films à grand succès sont
des films d'action ou pornographique. Cependant, en parallèle il existe un cinéma indépendant
philippin qui est peu reconnu car bien souvent interdit par la censure. Ces films indépendants
montrent la réalité sociale du pays, sa pauvreté et sa violence sous forme première de
documentaire. Le cinéma philippin connaît par la suite une baisse de sa production que l’arrivée
du numérique relance avec la nouvelle vague philippaine à travers l'ascension du digital et de
films expérimentaux. Khavn de la Cruz réalise en 2010 un documentaire sur cette nouvelle
vague : Philippine New Wave : This is Not a Film Movement auquel de nombreux réalisateurs
ont participé pour revendiquer cette nouvelle vague à travers l’histoire du cinéma philippin. On
y retrouve des personnes comme Lav Diaz, Brillante Mendoza, Raya Martin, John Torres etc…
Khavn de la Cruz devient le père de cette ère numérique, ses films sont qualifiés de “manilla
guérilla" car il tourne sans autorisation.
Ruined Heart : Another Lovestory Between a Criminal and a Whore de Khavn de la Cruz réalisé
en 2012 n’échappe pas à la règle. Le film a été tourné en seulement 24h dans la ville de Manille,
seul les premières prises sont utilisées ce qui apporte une énergie très rythmé au film.
Les plans sont très courts car “plus c’est long plus c’est coûteux” d’après le réalisateur qui dans
cette continuité effrénée a aujourd’hui plus de 100 métrages à son actif.
Le film a été nominé à la Berlinale Festival du Film International de Berlin en 2012 dans la
catégorie Best Short Film. Comme l’annonce le titre, le film se centre sur l’histoire amoureuse
d’un criminel et d’une prostituée qui semble être la femme d’un mafieu. Le film n’est qu’une
fuite constante de ces deux amoureux poursuivis par le mafieux.
Le style survolté de Khavn est ce qui caractérise nombre de ces films, ainsi à travers ce dossier
nous répondrons à la problématique suivante : Quels éléments de la mise en scène produisent
la frénésie constante du film ?
Pour répondre à cette problématique nous verrons dans une première partie que cette frénésie
est engendrée par une modulation violente de l’image, puis dans une seconde partie que la
mélancolie mystique du film propulse le film dans une dimension effervescente.

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I - Une modulation violente de l’image.
A - Des mouvements de caméra et une composition vertigineuse.

La frénésie du film est engendrée par les mouvements de la caméra, en effet, dès l’ouverture
la caméra apparaît comme étant instable, c’est une caméra à l’épaule qui semble constamment
en mouvement. La caméra est instable car elle est reliée au corps en mouvements des
personnages, un corps qui est lui-même instable.
Cette instabilité se retrouve dans de
nombreuses scènes, notamment celles de
courses poursuites qui semblent être filmées en
found footage avec un grand angle que tient le
héros principal. La caméra est déjantée et
remue dans tous les sens de façon survoltée. Il
en devient impossible de lire l’image et de
distinguer quelque chose. Les lumières se mélangent entre elles de façon à créer une forme
d’image où rien ne semble faire sens pour changer constamment.
Dans un moment de forte agitation, la caméra s’engouffre dans la gorge de l’un des personnages
tel une fibroscopie. Il y a quelque chose d’organique qui ressort comme lors d’une scène
précédente où la caméra s’arrête sur des régurgitations humaines. Même dans l’intérieur du
corps humain la caméra est frénétique puisque le corps l’est lui-même, en dehors du cadre
comme dedans et au plus profond des organes.
Lorsque ce n’est pas la caméra qui est effrénée c’est l’image à l’intérieur et extérieur du cadre.
Le film est lui-même une fuite constante tout comme les personnages, de ce fait, il y a du
mouvement partout dans le cadre et en dehors. On constate une difficulté pour les corps de
rester dans le cadre car ils existent constamment dans le hors champs provoquant une
complication du cadre à les saisir.
Le cadre est souvent découpé par le décor ou alors est fractionné par de nombreux sur-cadrages.
Lors d’une scène où le personnage principal du criminel est calme, il se retrouve découpé par
de nombreuses étagères et grilles qui préfigurent un démantèlement : la découverte d’un
cadavre. La violence est présente et annoncée avec un cadre constamment fracturé et découpé
qui tient les personnages prisonniers. Les lignes de forces horizontales et verticales créées par
les étagères, les grilles ou encore les sur-cadrages, ne font que souligner la claustration des
personnages. Lors de nombreux passages dans les ruelles de Manille, les personnages se
retrouvent restreint dans des allées semblables à de longs couloirs étroits. Le décor propose un

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sur-cadrage vertical avec des lignes de fuite horizontale insistant sur cette idée de personnages
pris au piège. Ils ne peuvent pas aller à droite ou à gauche, ni en arrière car la caméra de dos
bouche cette sortie, elle joue le rôle de mur invisible, poussant ainsi le criminel et la prostituée
à aller de l’avant.
Dans certains moments la caméra semble être contrôlée par le criminel, en effet, les scènes
filmées en grand angle laissent apercevoir que la caméra est tenue par celui-ci et qu’il lui fait
subir ses propres mouvements corporels. Ainsi, lorsque le plan n’est pas fracturé, il est sans
structures. L’image provoquée par le corps du héros est tant déchaînée que les formes et les

lumières se mélangent, il n’y a plus aucun repère dans l’image totalement déstructurée. Les
corps deviennent inexistants dans ces moments filmés en grand angle, ils fusionnent avec le
cadre, la caméra et l’image.
Cette violence de l’image nous conduit au cœur de Manille où la destruction est constante et
constamment présente. On peut le voir avec de nombreuses altercations, cadavres ou la présence
d'armes à feu ballotées dans tous les sens. Ou encore la vision d’une croix prenant feu, qui se
consume jusqu’à s’éteindre. Le feu se rallume dans une autre scène où l’on tente de brûler le
visage de la prostituée. Cela nous montre que malgré une violence omniprésente le chaos ne
peut exister en deux endroits. Il est lié aux personnages et les suit.
Ainsi, les mouvements de caméra et la composition des plans donnent une place importante à
l’image. On comprend l’enjeu du film uniquement avec des informations visuelles, le titre
tatoué sur le corps d’un homme ou encore la présentation des personnages lors de la scène
d’ouverture, se présentant un à un devant la caméra. Les plans sont révélateurs du récit puisqu’il
n’y a aucuns dialogues présents pour donner aux spectateurs des informations narratives. Le
récit nous est proposé de façon visuelle.

B - La musique génératrice de l’image

Nous avons premièrement vu que le récit se développait de manière visuelle. Cependant, le son
est également un aspect important de ce film, tout particulièrement la musique. En effet, la

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musique participe à la trame de l’histoire, elle explique et crée l’histoire, elle est génératrice de
l’image et des actions des personnages.
La musique comme la caméra est dirigée, et le chef d’orchestre de cette musique n’est autre
que Khavn de la Cruz dont le personnage s’appelle “le pianiste”. Il est un compositeur
intrinsèque, il dirige la musique et l’image car celle-ci est souvent engendrée par la musique.
Lors d’une scène de défilement
menée par le personnage
principal où des personnes
tiennent des parapluies avec de
nombreuses couleurs différentes,
nous avons l’impression d’entrer
dans un nouveau registre : celui
de la comédie musicale.
Seulement la musique performée
est bien différente de celle de comédie musicale avec des sonorités psychédélique.
Le son qui accompagne l’image est souvent saturé tel une musique de distorsion. Ces musiques
expérimentales se répandent sur l’image. En effet, plusieurs scènes où l’image est ralentie sont
accompagnées de cette distorsion sonore qui ne fait qu’augmenter le ralenti de l’image. Les
courses frénétiques des personnages sont souvent accompagnées d’une musique rythmique
avec des sons de basses à forte résonance de distorsion. Le grand angle qui déforme l’image
avec ses couleurs de blanc cramé, spectrales et aveuglante ou bien les moments de fêtes aux
couleurs néons vives sont des moments d’euphorie frénétique que la musique ne fait que
renforcer. La musique dans son exaltation emporte l’ivresse de l’image pour la rendre encore
plus déchaînée.
La frénésie de la musique guide le corps, en
effet, le criminel joue de plusieurs
instruments. Il utilise un ukulélé comme
une guitare électrique en remuant dans tous
les sens. Plus tard il joue de la guitare
électrique, même celle-ci est désaccordée
et produit une sonorité étrange. La frénésie sonore est corporelle, pour faire suite à la course
endiablée le criminel joue de façon tumultueuse à la batterie, il n’y a pas de rythme, seulement
des sons assourdissants résonnants sans que cela soit plaisant à l’oreille. La caisse de résonance
est couverte de sang et l’une de ses baguettes se révèle être un pénis géant. La musique est

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violente d’un point de vue sonore comme visuelle, dans son écoute et dans son exécution,
l’objet musical appel à la déstructure.
Concernant les musiques chantées nous pouvons constater que la bande son du film est
polyglotte. On retrouve des musiques allemandes, françaises, philippines ou encore
australiennes. Ce mélange renforce la frénésie du film. En effet, nous pouvons assister à de
nombreuses scènes de danse où quelque chose de mystique semble s’opérer mais également
d’urbain, de social. La musique conduit les personnages et la caméra dans les quartiers urbains
de Manille, des endroits où la violence est omniprésente et souvent dépeinte. Ces scènes nous
montrent que les corps répondent sans cesse à la musique, ils dansent, bougent et évoluent selon
elle.
Les paroles des musiques éclairent l’image et l’histoire. Lors d’une scène où le personnage
principal soigne la blessure à la tempe de la prostituée nous pouvons entendre la musique “cœur
ruiné” de Stereo Total -cette musique deviendra le thème du film sous plusieurs langues-. Les
paroles que l’on peut entendre sont “s’il te plaît Docteur Love recolle mon cœur brisé”. La
musique et l’image dialoguent ensemble, la musique guide et explique en remplaçant les
dialogues inexistants. Cette utilisation de la
musique reviendra plusieurs fois,
notamment lors de mise à feu de la croix
sur une musique d’amour où l’on peut
entendre “song of the broken heart”. La
frénésie fait place à une violence latente qui
s’installe doucement comme leur amour,
pour finir par se consumer.
La musique occupe de ce fait une place très importante. On ne sait pas si la musique est extra
ou intra diégétique à bien des moments. Souvent on ne voit pas d’où elle pourrait venir mais les
personnages y réagissent constamment et la musique devient un guide pour les mouvements
corporelles et visuelles.

La frénésie du film est premièrement produite par cette modulation de l’image violente, effrénée
et brutale. La caméra est sans arrêt en mouvement, elle déforme l’image et répond à un corps
fougueux. L’image lorsqu’elle est visible est déstructurée par de nombreux sur-cadrages ou
lignes de fuite. La violence est omniprésente visuellement, elle se dissout dans l’image et ne
laisse aucun répit. La musique est l’outil qui propulse la frénésie à travers ses sons
psychédélique et violents. Elle précipite les personnages dans cette violence infinie.

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II - Une mélancolie mystique
A - Une finalité d’emblée annoncée

A travers plusieurs éléments de mise en scène que nous avons étudiés tels que les mouvements
de caméra, composition de plans ou encore la musique nous pouvons dégager une idée forte du
film : sa propre conscience de fiction qui annonce sa finalité bien avant que celle-ci est lieu.
L’ouverture du film rappelle son propre statut de fiction. En effet, les personnages viennent se
présenter à tour de rôle devant la caméra. Dans la première partie nous avons dégagé l’idée que
cette mise en scène renforçait l’enfermement et l’emprisonnement des personnages mais un
autre axe peut être relevé. Effectivement, cette présentation est semblable à celle de rôle
théâtral, elle brise le quatrième mur entretenu par la caméra puisque celle-ci est reconnue par
les personnages. La caméra et par extension le spectateur sont considérés par les personnages,
ils présentent leur rôle comme au commencement d’une pièce. Ce procédé pourrait placer le
film du côté du documentaire entretenu par l’utilisation du found footage. Mais il renforce
particulièrement l’idée que celui-ci est objet de fiction. Nous entrons dans un récit, une fable,
un conte qui nous est introduit. Un conte populaire, en effet l’histoire d’un criminel tombant
amoureux d’une prostituée se retrouvant par la suite suivi et menacé par la mafia est commune
et existante dans plusieurs films. La finalité est la mort attendant les personnages.
Cette finalité inéluctable est mise en scène par l’utilisation de la vision frontale. Celle-ci est
utilisée lorsque nous suivons le personnage principal de dos dans les ruelles de la ville. Ou bien
dans le couloir blanc où les lignes de fuites et la couleur blanche ne font que renforcer la
perspective. Le personnage du criminel est
alors contraint d’aller au bout de cette ruelle
ou de ce couloir, il n’y a pas d’échappatoire,
il se dirige tout droit vers la mort car ce qui
se trouve au bofut de ces chemins n’est rien
d’autre que la violence. Une violence qui
deviendra dévastatrice.
Cette finalité déjà avouée par cette conscience que le film a de lui-même et d’être un objet de
fiction. C’est dans la composition des plans qu’on retrouve cette étrange impression que le film
revendique son statut fictif. En effet, lors d’un plan évocateur nous pouvons voir un spot blanc
en plein milieu de la rue, celui-ci peut être associé au spectacle mais surtout au tournage studio.
Le film apparaît comme une imbrication de la fiction dans la fiction.
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Cet aspect se retrouve avec la présence de Khavn de la Cruz en tant que pianiste/compositeur
du film comme analysé précédemment. Ses musiques et son poème “world life” ainsi que sa
présence tendent à montrer que la finalité du film sera engendrée par ses actions et que celle-ci
sera inévitable. Lors de l’avant dernière séquence introduisant la finalité du film où le criminel
se recueille près des tombes après avoir
découvert la mort de son amante, nous
pouvons remarquer la présence de Khavn.
Cette fois ci, le réalisateur apparaît en tant
que trompettiste il reprend le thème
principal du film “ruined heart” mais joué
de façon mélancolique. Il n’y a plus de
doutes, ou d’échappatoire, le personnage principal par son cœur brisé va retrouver sa bien-
aimée. Cette scène conclut la violence qui habitent les personnages, leur frénésie n’était
qu’oscillation entre désir de vie et désir de mort. La création et l’autodestruction s’auto
contiennent durant tout le film. Cette pulsion de vie et pulsion de mort est un concept
psychanalytique en partie développé par Sigmund Freud et Jacques Lacan. Le désir de vie est
représenté par Eros, dans la mythologie Grec le dieu de l’amour, cette pulsion consiste à la
recherche du plaisir sexuelle ainsi à la pulsion de vie. Ce désir de vie est entretenu par les deux
personnages principaux tout au long du film, à travers leur fuite et leurs relations sexuelles.
Cependant, en parallèle de cette pulsion se développe la pulsion de mort représenté par
Thanatos personnification de celle-ci. Ces deux oppositions s’expliquent par notre non-décision
à vivre. Nous naissons pour mourir avec cette pulsion de détruire un corps que nous n’avons
pas souhaité. Un corps qui dans le film est sans cesse soumis à une force dévastatrice à travers
la caméra frénétique, les sur-cadrages, lumières, musique etc, le corps est continuellement
découpé par le cadre.
Cette pulsion de mort apporte le repos éternel, la paix et l'équilibre, des aspects que nous
retrouvons dans la scène finale de déambulation des deux personnages. Il n’y a pas de
manichéisme dans cette scène avec la robe blanche d’ange et les ailes noires d’ange déchu de
la prostituée. Cette déambulation est le résultat de cette vie créatrice et de mort destructrice.
Les deux personnages connaissent enfin la paix et le repos éternel.

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B - Eros et Thanatos, pulsion de vie et pulsion de mort

Comme nous l’avons énoncé, le film est un constant mélange de cette pulsion de vie et de
mort. Dans cette partie, nous approfondirons cet aspect à travers un outil de mise en scène qui
est celui de la couleur.
En étudiant la globalité du film, deux couleurs prédominantes ressortent, toutes deux sont portés
par le personnage principal et sont des couleurs complémentaires : le jaune et le bleu.
Le jaune symbolise la pureté, la transcendance, c’est une couleur chaude, solaire et sacré. C’est
la lumière qui dissout les ténèbres, elle est resplendissante, c’est une énergie positive, parole de
Dieu, de l’ordre, la logique et le sens. C’est la voie à suivre pour vaincre le désordre mental.
Dans le film, la couleur jaune est présente souvent qu’à un seul endroit de l’image, elle irradie
le lieu mais est souvent recouverte voire effacé par le bleu, comme nous pouvons le voir avec
le t-shirt jaune du criminel souvent recouvert par sa chemise bleu.
La couleur bleue est une couleur primaire, elle évoque le domaine céleste, le ciel, c’est une
couleur froide. Mais dans le film ce n’est pas le bleu du ciel sacré que l’on retrouve mais le
monde d’en bas, celui de la mer. Tandis que le ciel représente l’esprit, la mer évoque l’âme. La
couleur bleue de la mer est fluctuante, c’est un monde inquiétant, mystérieux qui conduit aux
profondeurs, au désespoir, à la désolation
des états de l’âme desquelles les
personnages -principalement le criminel-
sont prisonniers. Ainsi, lorsque le criminel
recouvre son t-shirt jaune par sa chemise
bleue l’énergie positive est dissipée par la
froideur du bleu.
Le jaune représente la pulsion de vie créatrice et le bleu la pulsion de mort destructrice.
Ces deux couleurs sont présentes dès le début du film. L’ouverture du film se fait dans une
atmosphère de couleurs grisâtres, délavées et bleutées, mais l’arrivée du personnage principal
apporte la vie et une couleur chaude en portant uniquement son t-shirt jaune apportant du

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contraste. Puis, la couleur bleue fait son apparition à travers les murs de la maison formant un
sur-cadrage, la couleur et le cadre tiennent prisonnier. En fond nous pouvons apercevoir une
guirlande jaune faiblement allumé mais le sacré n’est pas suffisamment puissant pour empêcher
la bagarre et le meurtre.
Comme nous l’avons annoncé, le bleu est lié à l’eau. Lors de la scène où le criminel soigne la

prostituée dans un plan de forte contre-plongée où la caméra est positionnée sous la bassine
d’eau, nous pouvons dégager une très forte symbolique. Le bleu et l’eau recouvrent le cadre,
comme le bleu, l’eau reflète l’âme, c’est également un élément créateur. Ici, l’eau est créatrice
de l’amour entre les deux personnages, mais elle est aussi destructrice. L’eau mouvementée
déforme le visage des personnages renvoie à un état psychologique, c’est une hostile
préfiguration de la destruction et de la mort des deux amants. L’eau par son essence et sa couleur
bleu évoque d’un côté la pulsion de vie Éros et la pulsion de mort Thanatos. Elle libère comme
elle engloutie. Lorsque la caméra est recouverte par les fluctuations de l’eau, l’image bleuté est
suivie par une explosion jaune. Les feux d’artifices par leur couleur et leur exaltation
représentent le désir de vie frénétique qui tente de prendre le dessus sur le désir de mort.
Cette pulsion de mort qui finira par prendre le dessus n’est cependant pas causée par l’état
psychologique des personnages. Car comme on
peut le voir, le personnage principal dans une
scène est uniquement recouvert de jaune mais sa
maison et les murs de la ville l’entour de bleu.
Son âme est une énergie positive tandis que
Manille est avec ses habitants l’élément
destructeur. Les scènes de déambulation des personnages sont très évocatrices de cette lutte. La
première propose des couleurs bleus et jaunes tellement saturées que le reste semble être du

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noir et blanc, cela montre bien la dualité de la vie et la mort. La robe de la prostituée qui est
blanche semble être jaune, la vie tente d’irradier tandis que la mort est présente sur le corps du
criminel. Le masque de cheval porté par le personnage principal rapporte à une forte
symbolique abstraite de l’animal, en effet, dans la mythologie, celui-ci est connu pour son
pouvoir à traverser l’eau. L’eau peut être un passage pour un autre monde, ce passage sera celui

de vie créatrice vers la mort destructrice. Ainsi la déambulation mélancolique finale est un pur
moment de lutte entre pulsion de vie et pulsion de mort. Les deux couleurs jaune et bleu sont
présentes de façon équitable et ressortent de façon à emplir le cadre. La déambulation se termine
sur un mur bleu, atteste de l’ascension au repos éternel, à l’équilibre et à la paix.

Ainsi, la frénésie du film est également provoquée par la mélancolique mystique de celui-ci.
Il arbore d’entrée sa finalité, les personnages évoluent sans issue pour s’enfoncer dans la
violence des ruelles étroites de Manille. Cette finalité n’est qu’une lutte constante entre pulsion
de vie et pulsion de mort représentée par le choix de couleurs complémentaires. Les
personnages à travers cette frénésie violente accèdent finalement à la pulsion de mort et ainsi à
l’équilibre.

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Conclusion

Comme nous avons pu l’analyser, plusieurs éléments de la mise en scène sont créateurs et
conducteurs de cette frénésie continue et omniprésente. Les mouvements de caméra participent
à cette frénésie déjà amorcée par le récit. Les corps instables provoquent ces mouvements
vertigineux. Si la caméra est stable c’est la composition de l’image qui apporte de la violence
avec ces découpages et sur-cadrages ainsi que les actions des personnages. La musique est
également vectrice de cette danse endiablée qui s’amplifie tout au long du film. Une danse
endiablée de la caméra, des images, des lumières et des personnages qui évoluent au fil des
notes de distorsion psychédélique.
Mais cette frénésie n’est pas uniquement précipitée et torrentueuse. Elle est également latente
et sous-jacente. Elle se développe de façon mystique dans les quartiers urbains de Manille, elle
se consume sous des airs languissants. Cette frénésie est avant tout mélancolique, elle assiste à
la violence qui croît pour devenir dévastatrice. Une frénésie sans limites et sans échappatoire
qui conduit inéluctablement à la mort des personnages.
Mais c’est une frénésie tumultueuse qui est créée entre la pulsion de vie et la pulsion de mort.
L’opposition de ces deux instances alimente la frénésie du film à travers l’utilisation importante
de deux couleurs complémentaires que sont le jaune et bleu. Chacune des deux représentent
une pulsion et tentent constamment de prendre le dessus sur l’autre.
Cette frénésie qui enveloppe le film conduira inéluctablement à la violence et tout
particulièrement à la mort.

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Filmographie

Philippine New Wave : This is Not a Film Movement, 2010, Khavn de la Cruz

Ruined Heart : Another Lovestory Between a Criminal and a Whore, 2012, Khavn de la Cruz

Khavn de la Cruz : « Mon style c’est que je n’ai pas de style », 2019, TRACKS - Arte

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