Vous êtes sur la page 1sur 9

PAGE

Cycle de préparation à l’agrégation /Marrakech


Mars 2024
Agrégation de français.
Œuvre au programme : L’Heptaméron, Marguerite de Navarre,1558
Leçon littéraire sur : Le viol
Par Boulfassa Hicham

Introduction
Marguerite de Navarre, née Marguerite d'Angoulême, était en effet une femme avant d'être une écrivaine
de renom. Elle vécut au XVIe siècle, période où les normes sociales, religieuses et légales imposent aux
femmes une position inférieure par rapport aux hommes. Dans cette société profondément marquée par la
misogynie, les femmes étaient souvent reléguées à des rôles de subordination, contraintes par les limites
imposées par une culture patriarcale dominante. Ainsi, tandis que les normes sociales et culturelles de
l'époque confinent les femmes à des rôles subalternes et les relèguent dans les limites strictes d'une
société patriarcale, leur corps devient un terrain de lutte pour le pouvoir et la domination. Cette
perception de la femme comme une altérité physique pour l'homme se manifestait dans la manière dont
son corps était exploité et utilisé à des fins de désir, de convoitise et de contrôle. Anatomiquement, la
capacité de la femme à enfanter était perçue comme une responsabilité pour la pureté du lignage, faisant
de son utérus un objet d'intérêt et de pouvoir au sein de la société. En fin de compte, le corps féminin était
bien plus qu'un simple véhicule biologique ; il était investi d'une signification sociale et politique.

Soit entre les quatre murs de sa maison, dans sa chambre à coucher ou bien souvent dans les lisières des
forêts, sous l’ombre des broussailles ou le noir de la nuit, la femme ou plutôt son corps constitue une proie
idéale pour les mâles à la recherche de plaisir charnel. Les contes de l’Heptaméron nous ouvrent cette
fenêtre sur cette époque, des histoires d’une violence inouïe qui dit long sur la condition de la femme de
l’époque.

Aborder la question du viol dans le recueil de l’Heptaméron exige la prohibition de toute interférence avec
l’époque actuelle. On doit faire fi de toute lecture anachronique et analyser ce phénomène de l’intérieur ;
c’est-à-dire le contextualiser dans la société de la renaissance. En effet, le terme viol tel qu’il est défini sur
le site de l’académie française, dans la première édition de 1694 renvoie au fait

d’enfreindre, agir contre le droit, contre le respect qu’on doit à certaines choses, contre certains privilèges
établis par les lois. Violer les lois, le respect qu’on doit à son Souverain. Violer sa foi, son serment, sa
promesse, les droits de l’amitié. Violer un traité, le droit des gens. Violer un vœu, ses vœux. Violer la sûreté
publique. Violer un asile.

On dit, Violer une femme, pour dire, La prendre à force. Il l’a violé le poignard sur la gorge.

Au départ, le viol était souvent associé à une transgression des lois et des normes religieuses, violant la foi,
le serment ou d'autres engagements moraux. Par la suite, il est devenu également une menace à l'ordre
social, mettant en danger la sûreté publique et perturbant l'harmonie de la société. D’un autre côté le viol
dénote une profanation d'un lieu sacré, comme l'asile.
PAGE

Ce n’est que par l’expression on dit, qu’on associe ce verbe au complément d’objet direct femme. Le
glissement de sens semble très artificiel est nouveau pour le lecteur de cette époque ; d’ailleurs
l’expression la prendre par force suggère une certaine pudeur et relève d’un euphémisme. Cette réserve
dans l’explication nous allons la remarquer dans la dernière partie de la définition lorsqu’il est question
d’exemple : Il l’a violé le poignard sur la gorge. Aucune explicitation d’un acte sexuel quiconque mais
surtout une allusion. Comme si le processus de l’exclusion de l’acte de viol au sein de la société se
transpose aussi dans le langage par une absence totale de tout renvoi directe à un acte sexuel imposé par
force sur la femme. Une forme qu’on rencontre toujours dans questions liées aux tabous, ces derniers
imposent un mécanisme de retenu et de non-dit afin de ne pas heurter la sensibilité du lecteur. La
définition trahit aussi le destin tragique réservé aux femmes violées ; l’expression le poignard à la main
montre à quel point cet acte pourrait être mortel.

Le constat sera plus clair à travers les nouvelles évoquant le viol dans l’Heptaméron, un acte parfois
justifié, parfois condamné mais souvent qui mènent la femme violée vers une mort ou une mutilation de
son corps.

Ceci dit, les femmes étaient souvent considérées comme des êtres dépendants, subordonnés à un tiers.
Juridiquement, elles étaient sous l'autorité de leur père avant le mariage, puis passaient sous celle de leur
mari après leur union, prenant le nom de famille de ce dernier. Malheureusement, dans le cas du viol de sa
femme, le mari était souvent considéré comme la vraie victime. C’est un mari dont l’honneur a été bafoué,
car son épouse était perçue comme faisant partie de ses biens, sa propriété.

Ainsi, à l’aune de notre étude des nouvelles de l’Heptaméron nous sommes véritablement curieux de
savoir comment les récits des actes de viols mettent en lumière non seulement des intrigues violentes
mais aussi dévoilent les représentations de la société de l’époque sur ce sujet ?

Dans l’intention de porter des réponses à ces questionnements ; nous allons discuter dans un premier
moment comment les violences sexuelles constituent un miroir d’une société en crise, puis nous allons voir
comment les victimes sont souvent voués au silence tandis que les violeurs échappent à la justice et enfin il
sera question d’étudier le discours sur le viol ou comment le viol est restreint au niveau de la langue
utilisée dans les nouvelles.

I. Les violences sexuelles constituent un miroir d’une société en crise

La lecture des nouvelles de l’Heptaméron nous peint un tableau truffé de violences sexuelles, ces
agressions sont nourries par un désir sexuel incontrôlable voire parfois bestial. Qu’il s’agissait de viol, de
tentative de viol, d’inceste ou d’adultère il est toujours question d’un écart à la morale et à la bonne
conduite.

a. Des agressions motivées par une forte concupiscence.

L’amour passionnel d’un homme pour une femme pourrait glisser subitement en tentative de viol forcé.
Ainsi dans la nouvelle 10
PAGE

Amadour est en proie à une fort désir sexuel envers Floride. Cette dernière ressentant le danger qui la
guette d’une telle menace décide de prendre une pierre est de mutiler son visage. Une manière cruelle
d’effacer ses traits de beauté qui enflamment les yeux d’Amadour et le font saliver. La jeune fille pense que
c’est le seul moyen pour éloigner d’elle la bête qui la guette.

Loin de là, la réaction d’Amadour est glaciale : ‘’Quand je ne pourrais avoir de vous que les os, si les
voudrais-je auprès de moi’’P153. C’est un désir obsessionnel de possession qui montre à quel point cet
homme manque d’empathie à l’égard de cette femme dont le visage est cicatrisé sous les pansements. Le
geste de Floride acquiert une dimension symbolique dans la mesure où elle renonce au désirs matérialistes
en détruisant sa beauté faisant allusion à la passion du christ dans laquelle elle a pu accepter sa souffrance
pour expier les péchés des autres. La tournure hyperbolique recherchée contraste avec le contenu sombre
et sadique de la phrase.
La mise en scène de la situation entre Amadour et Floride peut nous éclairer sur les mécanismes du désir
sexuel incontrôlable. En fait, la réaction du jeune homme réduit son attachement à la fille au plaisir
charnel, c’est une déconstruction de la nature humaine mettant en lumière les coté les plus sombre de
notre conscience. Etre prisonnier de ses instincts rapproche l’homme de l’animale, le déshumanise et le
place dans l’addiction aux pulsions les plus primaires.
La réaction des femmes face au viol prend diverses formes : De l’automutilation au consentement en
passant souvent par une lutte physique qui peut les mener à la mort.

b. Les résistances à l’agression

L’agresseur agit tel une fin prédatrice choisit malicieusement l’espace et le temps convenable afin
d’attaquer. La nuit quand tous dorment, dans l’obscurité de la chambre à coucher où la femme pourrait
confondre son violeur avec un mari. Les nouvelles de l’Heptaméron nous exposent les techniques utilisés
par les violeurs mais aussi la réaction des femmes.
Dans la nouvelle 4 nous présente une brave princesse de Flandre qui réussit à se défendre contre son
agresseur et à le pousser à fuir tout plein de morsures et griffures.
Avant de passer à l’acte, ce gentilhomme a d’abord monté tout un stratagème pour accomplir son dessein.
Elle a pu convaincre le frère de la princesse à venir passer quelques jours dans son château pour chasser.
Lui son plan était de se procurer le corps de la noble dame.
‘’Mais elle qui était forte se défait de ses mains, et en lui demandant qui était, se met à le frapper, mordre
et égratigner de sorte qu’il fait contraint pour la peur qu’il eut qu’elle appela lui fermer la bouche de la
couverture, ce qu’il lui fut impossible de faire.’’ P91
En s’infiltrant secrètement dans le lit le jeune homme voulait imposer à la femme un fait accompli, créer
un effet de surprise qui pourrai suggérer une tentation de cession et d’abdication. Le fait qu’elle se défait
de ses mains évoque le fait que le violeur entame d’emblée son acte sans même attendre un
consentement de la femme. Elle réussit à se libérer des mains de son prédateur grâce à sa force physique.
Dans un second moment elle essaye de connaitre l’identité de son agresseur en recourant à la parole sans
résultat. Finalement, elle se combattait comme une bête : frapper, mordre, égratigner sont tous des
actions qui révèle que la dame est retranchée dans les derniers recoins de sa nature humaine, elle n’a que
son corps pour repousser cette attaque brusque.
PAGE

Si la dame n’a pas repoussé la tentative du gentilhomme, elle sera accusée de fornication. C’est-à-dire un
péché de chair. De là elle passera de la chasteté à la luxure de la vertu au péché.
Une situation qui oscille entre culpabilité et innocence.

c. Des femmes condamnées avant d’être victimes


Inutile de rappeler l’image totalement dépréciative jouissait la femme au 16ème siècle. Héritée de la
tradition judéo chrétienne accusant la femme d’être responsable du péché originel. Les nouvelles de
l’Heptaméron en donnent une parfaite illustration. De plus même la médecine de la Renaissance fondée
sur les théorie d’Hippocrate selon lesquelles il n’y aura pas de procréation que si les deux conjoints
éprouvent du plaisir lors de l’acte sexuel. Par conséquent, si la femme violée tombe enceinte, elle sera sans
doute accusée de consentement et donc de péché.
Dans la première nouvelle Simontault éclaire cette vision culpabilisante à l’égard des femmes :
‘’je vous supplie mesdames quelle mal il vient d’une méchante femme, combien de maux se font par le
péché de celle-ci. Vous trouverez que depuis Eve fait pécher Adam, toutes les femmes ont pris possession
de tourmenter, tuer, et damner les hommes’’. P76
La première nouvelle de l’Heptaméron s’inscrit dans la tradition médiévale qui diabolise carrément. Les
propos du devisant revêtit un aspect épidictique et judiciaire : Un discours fondée sur des références
religieuses attachant par une lignée directe toutes les femmes du monde à une seule être biblique ‘’Eve’’.
Judiciaire puisque ce raisonnement a des allures de réquisitoire contenant des arguments tangibles du
point de vue de l’énonciateur qui tente de convaincre son auditoire du bien fondée de ses accusations.
Somontault recourt à un syllogisme tronqué, qui prend une forme d’enthymème : Eve est une pécheresse,
Eve est une femme, donc toutes les femmes sont potentiellement pécheresse. Une image qui a pu
traverser les siècles est a façonné les représentations des sociétés européennes sur la femme. Cette
nouvelle questionne même la véracité des récits des devisants homme en particulier, un récit
invraisemblable et simpliste. Est-ce une intention auctoriale de la part de De Margueritte de Navarre de
discréditer le récit de Simontault ou bien est-ce le fruit du juste hasard. Bref, la femme est toujours
coupable et l’homme en est sa première victime depuis Adam. Une situation qui pousse la plupart des
femmes victimes de viol au mutisme.
II. Des victimes vouées à l’abdication
Les femmes violées n’ont qu’à se taire sous le poids de la honte. A accepter le fait accompli ou bien être
exposées aux déshonneur. Des femmes en insécurité même derrière les murs des églises
a. Le poids de la honte.
La peur du regard de la société pousse la plupart des femmes à garder le silence sur un tel acte. Dans la
nouvelle 62. Qui est une mise en abime d’une autre nouvelle. Longarine raconte comment une femme
racontant le viol d’une épouse qui se révèle en fait son propre viol.
‘’Le jeune folâtre vint en la maison de cette dernière, laquelle il trouva dormant en son lit et advisa que les
chambrières s’en étaient allées hors de la chambre, et sans avoir le sens de fermer la porte, se vint couché
tout houzé (botté) et éperonné (encouragé), dedans le lit de la demoiselle. Et quand elle se réveilla fut
autant marrie (confuse) : mais quelques remontrances, qu’elle lui sait faire, il la prit par force, lui disant
PAGE

que si elle révélait cette affaire, il le dirait à tout le monde…dont la femme eu si grand peur qu’elle n’osa
crier’’p532
Le fait que cette dame s’abstient de crier renvoie au calcul réaliste que cette dernière a effectué devant le
chantage de son violeur. En effet, le gentilhomme n’est pas dupe et sait mesurer ses stratégies. Menacer
de révéler l’agression à tout le monde pourrait mettre en péril la chasteté et l’honneur de la victime ; cette
dernière n’a qu’à céder devant un tel avertissement pour préserver son statut social et éviter le
déshonneur et la stigmatisation qui pourraient résulter de la divulgation de l'agression.
Il est à noter que la structure narrative de cette nouvelle est la même que celle de la nouvelle 4. Le violeur
profite du sommeil de sa victime, de son état de relâchement et de l’absence des chambrières pour glisser
dans le lit et passe à l’acte. La femme violée était l’épouse d’un vieillard et le violeur était un gentilhomme
voisin. Le choix des personnages n’est pas du tout sans signification. La narratrice présente le violeur d’une
manière valorisante : folâtre, houzé, éperonné. Comme si violer une femme est perçu comme un exploit.

Questionner ce récit à la fois romantique, valorisant nous permet de saisir à quel point l’analyse du viol
s’avère compliquée. Il s’agit surtout pour nous de montrer la vulnérabilité de la situation de la femme qui
est exposé à l’agression sexuelle n’importe où et n’importe quand et même les récits de viol laisse paraitre
un discours apologique à l’égard de l’agresseur.
Alors que les violeurs sont pratiquement des proches de la victime : voisins, amis, parents…Les limites
entre viol et séduction ne sont pas claires.

b. Séduire et violer : divers moyens pour une seule fin.


Alors que dans la norme la femme doit être séduite avant d’entrer en relation sexuelle, la victime violée est
obligée par force de le faire. Dans le premier cas, la responsabilité morale incombe à la dame qui a choisi
de son plein gré de céder, tandis que dans le deuxième la culpabilité est sur l’homme, le violeur qui l’a
privée de son libre arbitre.
En présentant sa nouvelle 14, Simontault la préfaçant en disant que l’héroïne faisant semblant d’être
chaste mais la fin la montre telle qu’elle est. Dans le duché de Milan, il y avait un gentilhomme nommé
seigneur de Bonnivet, Lors d’un bal de carnaval, il rencontre une belle milanaise et se met sans tarder à lui
faire des propositions amoureuses, la dame fait tout son possible pour lui faire comprendre qu'elle ne sera
jamais infidèle à son mari. Bonnivet soupçonne qu'étant donné la laideur de son mari et sa propre beauté à
lui, elle ment. Après de longue investigations Bonnivet découvre que la dame a une relation secrète avec
un gentilhomme italien. Alors, par l’intermédiaire de l’amant italien Bonnivet réussit à attirer sa victime
vers un piège. La milanaise attendait comme son habitude dans son lit l’arrivée du jeune italien cependant
c’est Bonnivet qui viendra. Se mettant au même lit et violant la dame. P195
‘’lui demanda si elle était aussi contente de lui, que lui d’elle. Elle cuidant que ce fut son ami, lui dit, que
non seulement elle était contente, mais émerveillée de la grandeur de son amour’’. Alors Bonnivet se met
à rire très fort et lui dit : Or, sus Mme, me refuserez-vous une autre fois, comme vous avez accoutumez de
faire, jusqu’ici’’. Le reconnaissant à ses paroles et à son rire, elle fut tellement envahie par la honte et la
culpabilité qu'elle le traita plus de mille fois de méchant, de traître et de trompeur. Essayant même dans
un geste désespoir de se jeter hors du lit et de trouver un couteau avec lequel elle pourrait se suicider.
PAGE

L’essentiel de cette histoire est que la dame n’a compris qu’elle venait d’être violée que lorsque l’identité
de l’homme a été dévoilée. Et comme d’habitude Bonnivet a réussi à sortir indemne de cette agression en
promettant de garder le secret et d’être un meilleur ami.
En observant les récits de viol dans l'Heptaméron, une autre réalité apparait : celle des viols qui se cachent
sous le couvert de la religion.
c. Des viols sous le couvert de la religion
Marguerite de Navarre exploite les récits de l’Heptaméron pour régler ses comptes avec l’église
catholique. Le motif du moine concupiscent et lubrique est omniprésent dans les intrigues racontées. On le
retrouve dans la nouvelle 22 racontant le viol de la sœur Marie Héroit par un prieur de Saint-Martin. De
Navarre intervient en personne, par un procédé de Deus Ex Machina pour rétablir l’honneur de la
prêtresse et de punir le moine.
P277’’ Lui mis la main sous la robe, et tout ce qu’il peut toucher de ces ongles égratigna de telle fureur, que
la pauvre fille en criant bien fort, de tout son haut tomba évanouie’’ Cette représentation d'une attaque
violente et explicite sur les organes génitaux féminins contraste fortement avec les tentatives de viol des
"gentilhomme", qui sont décrits avec beaucoup moins de détails graphiques. En effet, la main du prêtre
sous la robe de la dame fait écho au sens même du viol qui signifie une profanation d’un lieu sacré. Ici, il y
a double violation : le couvent et l’intimité de la religieuse. Outre son caractère violent, la scène dégage
une impression bestiaire chez l’agresseur par l’intermédiaire des mots : ongles, égratigner et fureur. Ce qui
est mis en relation avec le terme loup qualifiant le prieur et brebis renvoyant à la communauté des sœurs
auparavant dans la même nouvelle.
Au-delà de l’aspect narratif de la nouvelle, on peut dire que cette implication de Marguerite de Navarre
comme une véritable deus ex machina pour accorder une « fin heureuse » à la religieuse qui souffre depuis
longtemps. Non seulement elle agit de sa propre autorité pour sauver la victime ; elle remplace la
domination masculine par la domination féminine et remet en question le droit du clergé à gouverner une
communauté de femmes.
Certes les nouvelles de l’Heptaméron offrent une perspective féminine sur le viol cependant l’exploration
de la langue utilisée nous offre la possibilité de mieux appréhender ce sujet

III. Le discours sur le viol ou le voile qui dévoile


Si le viol constitue un tabou réprimé, c'est-à-dire voué à la prohibition, à l'inexistence et au mutisme, le
seul fait d'en parler, et de parler à travers des nouvelles suivies de discussions dialogiques des devisants, a
comme une allure de transgression délibérée.
Cependant les récits de viol restent une clé à appréhender ce fait. Nous avons constaté qu’entre violeur et
violée il y a un abime communicationnel ; ainsi que les récits sert surtout d’exemplum à suivre pour les
femmes nobles et enfin nous pensons que la question du viol constitue un conflit de représentation.
a. L’abime communicationnel entre homme et femme.
Si nous revenons au récits que nous avons étudiés jusqu’à présent nous allons constater des malentendus
entre les hommes et les femmes. En effet, l’homme est parfois incapable de déchiffrer la réaction de la
femme. Par exemple dans la nouvelle 4.
PAGE

‘’ce gentilhomme voyant la sœur de son maitre femme joyeuse et qui riait volontiers pensa qu’il essayera si
les propos d’un honnête ami lui déplaireront’’ p89
Le rire de la princesse de Flandre conduit le héros à interpréter à tort la bonne humeur de la dame comme une
volonté d'aventure sexuelle. Comme une invitation à l’amour. Ce qu’il le motive à lui proposer directement. Mais il a
été rejeté sèchement. Ce qui se joue réellement entre les deux, c'est la représentation de la sexualité en elle-même.
Dans le système linguistique du héros, le rire d'une femme signale le désir sexuel, tandis que pour l'héroïne, la
liberté de s'amuser en public coexiste avec le fait d'être une femme de bien, l'intrigue est donc façonnée par
l'incapacité des protagonistes à s'entendre sur le sens des mots liés à la sexualité et aux relations de genre.

Ceci dit, le rire est souvent associé aux prostituées car il est contraire à l’image de la femme modeste et pudique. Si
le rire de l’homme est considéré comme un juste amusement ou une femme qui rit risque toujours de passer pour
une fille de joie. D’ailleurs l’adjectif joyeuse est utilisé pour décrire la femme de cette nouvelle.

On peut dire qu’au niveau du langage corporel il y a une hiérarchie entre l’homme et la femme. Sans doute, le rire
féminin doit rester sous surveillance, toléré à condition de se cacher derrière sa main et qu’il soit discret. Après avoir
explorer les malentendus communicationnels entre hommes et femmes, il est pertinent de voir comment un récit de
viol devient une parabole religieuse.

b. La Réappropriation Religieuse des Victimes de Viol"

Les récits de viol sont parfois récupérés dans un contexte religieux pour glorifier la chasteté et l'abnégation des
victimes, en se focalisant sur leur "sainteté" et leur "sacrifice", et en passant sous silence leurs souffrances réelles.

P80 N1. ‘’Ainsi fut enterrée cette martyre de chasteté en l’église Saint-Florentin où toute les femmes de bien de la
ville faillirent de faire leur devoir autant qu’il était possible …Les folles et légères voyant l’honneur que l’on faisait à
ce corps se délibéreront de changer leur vie en mieux’’

Le récit de la mort tragique de cette muletière nous éclairera sur une autre dimension. On remarque tout d’abord
que contrairement à la princesse de la nouvelle quatre qui a réussi à battre son agresseur et à le repousser la
muletière ne sortira vivante. Cette situation n’est pas du tout dépourvue de sens et nous renseigne sur la brutalité
quand il est perpétré sur une personne de basse condition. La victime n’a pas les mêmes privilèges que les
aristocrates de la noblesse ainsi le corps de la muletière devient le site de la sanctification de sa chasteté, glorifiée
par la communauté et inscrite dans l'espace sacré de l'église Saint-Florentin.

Cependant, il faut signaler que derrière cette glorification religieuse se cache souvent une occultation des véritables
souffrances endurées par la victime. La focalisation sur la chasteté et l'abnégation peut obscurcir les expériences de
douleur, de traumatisme et de détresse de la victime. La muletière a été poignardé vingt-cinq fois, blessée dans son
dos par l’épée du varlet qui l’agresse ; perdait tout son sang et le pouvoir de parler elle continue de donner des
signes de sa foi avec ses yeux et ses mains, « et ainsi, avec un visage joyeux, les yeux levés au ciel, ce corps chaste à
la terre et son âme à son Créateur’’.

Ce récit démontre comment on ce mécanisme de récupération d’un acte d’agression criminel en exemplum
religieux. Le récit s’éloigne de décrire véritablement les souffrances de la pauvre muletière et se transforme en
parabole biblique louant la chasteté comme le montre une forte présence de l’isotopie chrétienne : martyre,
chasteté, salut, visage joyeux, ciel, âme, créateur. Au lieu de parler du crime en tant que telle Oisille déplace le sujet
vers un tout autre registre et l’inscrit dans une logique religieuse.

Ceci dit le viol, loin d’être un enjeu de pouvoir de domination et de réappropriation religieuse, il est aussi un conflit
de représentation entre hommes et femmes.

c. Le viol, un conflit de représentation


PAGE

Dans le sillage des nouvelles de l’Heptaméron, La polarisation entre récits racontés par les hommes et ceux narrés
par les femmes est intense. C’est un jeu de pouvoir qui se déploie entre les lignes dans lequel chaque camp avance
ses représentations sur l’acte de violer. Par exemple pour les hommes violer une femme est minimiser et peut être
assimiler à une séduction ou une conquête, pour les femmes cela relève de l’agression et de l’atteinte à leur dignité.

L’autrice est sans doute consciente de la vulnérabilité de la condition féminine et elle l’exploite dans les
constructions narratives de ses nouvelles. Ainsi il amplifie les caractères misogynes de ses devisants masculins et
essaye de les décrédibilise par le biais même de leurs récits racontés : des nouvelles invraisemblables que la simple
recherche de leur origine nous dévoile qu’ils appartiennent aux anciens fabliaux médiéval célèbres au 16 ème siècle.
Ainsi Hircan croit dur comme fer que les femmes sont de nature démoniaque et cette représentation se traduit dans
son comportement et ses nouvelles.

Comme le souligne Nicole Cazuran dans un article La 30 ème nouvelle ressemble à un exemplum déjà paru sous forme
écrite à la fin du XIIe siècle. Une histoire racontant comment le diable a inspiré une mère à commettre l'inceste avec
son fils et comment elle a finalement été pardonné après avoir confessé son péché. Cazauran conclut que le récit
d'Hircan n'est pas un analogue exact, puisque dans tous les sermons le fils sait qu'il couche avec sa mère et l'enfant
né de leur union est immédiatement étranglé.

De plus n’hésite pas à montrer son désaccord voire ses regrets face au dénouement des nouvelles de viols qu’il
aurait souhaité autrement. Dans la partie dialogique de la nouvelle quatre , il reproche au violeur son manque de
persévérance. P96" Il me semble, " dit Hircan, " que le grand monsieur dont vous parliez manquait tellement de
courage qu'il ne valait pas la peine qu'on se souvienne de lui ; car ayant une telle occasion, il n'aurait dû, ni jeune
ni vieux, abandonner son entreprise.

Le constat est clair pour Hircan la vielle femme et le jeune n’ont pas le droit d’exister puisqu’ils sont un obstacle à
l’action du violeur, une attitude assez révélatrice sur les représentations masculines de l’époque sur un tel fait. Ainsi
De Navarre réussit à dévoiler les intentions de son devisant en le dénudant devant le lecteur : Une personne qui
cautionne le viol et n’hésite pas à montrer sa déception devant l’échec du violeur.

Conclusion

L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, à travers les nouvelles sur le viol, une matière riche à explorer. Ces
nouvelles ont traversé les siècles et conservent dans leurs intrigues des images cruelles de luttes des femmes contre
cette violence sexuelle. Un combat qui mène souvent à la mort de la femme et l’impunité du violeur.

Ce combat loin d’être physique mais il devient politique comme le cas de la sœur Marie Héroit du couvent de Saint-
Martin qui offre à l’autrice l’opportunité de critiquer frontalement l’institut ecclésiastique de l’époque. Un combat
aussi dans le champ discursif au un autre combat s’affiche au niveau du langage où des termes comme séduction
peuvent cachés des intentions malsaines et enfin et c’est d’autant plus tragique le viol est un acte qui n’est pas traité
indépendamment, il est souvent assimilé au péché, au rapt ou au trouble public.

Le viol ne se limite pas dans le désir sexuel mais il le dépasse en abus de pouvoir, c’est ce qu’on constate également
dans le cas de personne ayant autorité sur personne vulnérables : femmes, enfants, personne ne souffrant
d’handicap menatl…

Le viol est un acte ancré au fin fond de la conscience collective humaine, une attitude que l’on rencontrera même
dans des livres sacrés couverts de centaines de milliers de discours apologiques. Dans les sociétés archaiques les
femmes sont des objets d’échange. Comme le cas de Loth dans l’Ancien testament qui livre sans état d’âme ses filles
à une foule d’excités. Elles sont à ce moment-là réduites au statut de femmes-objet, servant de simple monnaie
d’échange pour apaiser des esprits masculins échauffés. Genèse 19/8

Encore plus écœurant l’histoire de Levy Juges 19. ‘’Voici, j'ai une fille vierge, et cet homme a une concubine ; je vous
les amènerai dehors ; vous les déshonorerez, et vous leur ferez ce qu'il vous plaira. Mais ne commettez pas sur cet
homme une action aussi infâme. 25Ces gens ne voulurent point l'écouter. Alors l'homme prit sa concubine, et la leur
amena dehors. Ils la connurent, et ils abusèrent d'elle toute la nuit jusqu'au matin ; puis ils la renvoyèrent au lever de
PAGE

l'aurore. 26Vers le matin, cette femme alla tomber à l'entrée de la maison de l'homme chez qui était son mari, et elle
resta là jusqu'au jour.…

Merci

Vous aimerez peut-être aussi