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Dalhousie French Studies
Tovi Bibrinz
1 Cet article reprend, et approfondit parfois, des parties du chapitre "Errance et Adhérence", de ma thèse de
doctorat "Erotisme et Danger : désir, transgression et dames aventurière dans les Lais de Marie de France",
rédigée au département de français de l'université Bar-Ilan, sous la direction du Dr. G.D. Mole. Je voudrais
adresser mes plus sincères remerciements au Dr. Mole pour le soutien qu'il m'a apporté durant ce long
chemin, ainsi qu'à Monsieur Sylvain Mannelli pour sa lecture bienveillante du manuscrit.
justice, la morale, la ca
chevaliers de la Table
coopère avec le monde
d'être une preuve vivan
féodale. Les hommes a
sens ils veillent à ce qu
responsabilité mascul
illicite, ce sont les hom
procès. Quant aux fem
l'amour ; elles sont deu
chevalier l'amour cour
C'est en respectant le
serviteur soumis de l'
l'échange amoureux, ch
transgressif par rappor
aux lois de l'amour co
libérée, voire perverse.
qui n'a lieu que dans u
humain. Il en découle q
nature inhumaine.
Mais comment est-il
par excellence, dont le
gracieuse, puisse être p
l'amour de la reine afi
d'une perversité sexuell
La typologie des femm
La demoiselle que Lanva
substantif puce le. Sa b
apprennent que c'est
Morgane le Fay ou à M
reine Guenièvre. Je n
raisons qui me semblen
comme des personnage
événements racontés d
soient pas nommées un
personnages masculin
personnages féminins
évoquées plus loin, et je
En les assimilant à G
prototype, de la valeur
plus de dénominateurs c
du prototype. Le type
la féerie médiévale, l
pouvoir, venant d'un
définition généralise l
dénominateur comm
classement par sous pr
pouvoir" sera celui d
marraines, ou celui de
relation avec les hom
suivant le type de la
suivant le type german
La fée Mélusine et la f
de la fée amante. Tout
Monde, leur capacité d
une relation amoureu
utiliser la terminologi
Harf-Lancner définit
d'un être humain, le s
d'un interdit. Il rega
descendance" (Harf-Lan
suivante : "un être sur
Le retour du mortel p
provoque la mort du h
demeure stérile" (Harf-
La pucelle dans Lanv
chevalier dans le mond
sui venue querré ! ", 1
monde ("Od li s'en vait
beals : / La fu raviz
l'interdit et sa disparit
n'appartient donc pas à
Cet aperçu et sa conc
tente à un modèle pré
innée. Elle sert l'évolu
lui et non selon des tr
une fée atypique. Quan
d'une leçon d'humilit
actions ne corresponde
prototype du lai féer
capacité d'action merv
ni dans le fait qu'elle
l'a aliéné, ni même dan
rôle dans le lai, sa vérit
6 "La structure des lais fait souvent écho à celle du conte mélusinien et du conte morganien. Mais elle
s'identifie rarement à celle de l'un ou de l'autre" (Harf-Lancner, 1984:243).
7 Voir à ce sujet mon article : "Le fantasme du fils déshérité, Lanval et la reine de Marie de France",
www.mondesfrancopones.com.
8 "Such a theme, concerned as it is with love and hate and the sweet strife between the sexes, deserves to be
popular ; it is of the stuff of which marchen are made and has, therefore, become a stock motif in folklore"
(Faverty 81).
Deuxièmement, la re
Wathelet-Willem, m
courtoisie. La courtois
verrons plus tard, ma
symbolise la libération
qui obéit à des convent
par la suite en actions
ses réactions sont justif
Le prototype de la fe
Guenièvre9. Guenièv
particulièrement Lanc
ses exploits sexuels son
Le consensus selon leq
l'épouse du roi Arthur
Arthur n'a d'autre é
considérer comme telle
même si tout au long d
la reine est Guenièvre
du roi Arthur, mais q
Les noms des femmes
Ainsi émerge la seconde question concernant ces deux femmes. Pourquoi ne sont-elles
pas nommées ? Formulée ainsi, la question n'est pas pertinente puisqu'il n'est pas rare
dans la littérature médiévale, et surtout dans les genres courts et restrictifs, de désigner les
personnages par des substantifs. La question doit être : "pourquoi les femmes ne sont-
elles pas nommées lorsqu'elles jouent toutes les deux un rôle si décisif ? "Il n'y a pas
lieu de s'étonner de ce fait. Marie - fort avare de noms propres - les réserve de
préférence à des personnages subalternes et se contente de désigner d'un simple
substantif certains des principaux acteurs de ces historiettes" (Wathelet-Willem 119). Et
pourtant, cette deuxième formulation de la question ne couvre pas non plus toute la
problématique, puisque, face aux femmes, il existe dans le lai un monde masculin où tous
les acteurs principaux sont nommés. Il faut donc se demander pourquoi les dames,
actrices essentielles du lai, ne sont pas désignées tandis que les hommes le sont avec
précision : le lai se situe dans la cour du Roi Arthur, avec les chevaliers de la Table
Ronde dont on reconnaît Gauvain et Yvain.
Jacques Ribard considère que la reine et ses suivantes ne sont pas nommées
puisqu'elles n'ont de sens que par rapport au monde masculin : "la reine n'y est que la
reine, une «raison sociale» privée de la personnalité profonde que lui conférerait son nom
de femme, et ses suivantes n'ont d'autres raison d'être que de permettre aux chevaliers de
se mieux «esbanier» dans le verger" (Ribard 530). J'ai suggéré plus haut
qu'effectivement les personnages féminins dans Lanval n'ont d'existence qu'en relation
avec le chevalier. Pourtant je ne partage pas complètement l'opinion de Ribard. Ce n'est
pas que les femmes restent des figurines ornant un monde féodal, mais plutôt que leur
rôle est de donner un sens à la vie d'un chevalier spécifique, le héros du lai. D'ailleurs,
Lanval ne s'intègre justement pas au monde masculin, il ne sait pas suivre ses strictes
lois. Même au verger il reste à l'écart, ne jouant pas le rôle du chevalier courtois au
service de la dame. Néanmoins, il est clair qu'il y a séparation entre deux sociétés,
9 Comme le racontent, entre autres, Le chevalier à la charrette de Chrétien de Troyes et plus tard La mort
d'Arts anonyme. Par ailleurs, la réputation de dame perfide de Guenièvre est plus tardive que le douzième
siècle. Dans les romans de Chrétien de Troyes contemporains des Lais, la reine est une "bonne" dame
courtoise, adultère suivant les règles de la courtoisie, mais indulgente. C'est elle qui aide les amants dans Erec
et Enide et c'est elle qui dans Cligès essaie d'intervenir en faveur des prisonniers condamnés au supplice.
masculine et féminine
de l'appellation des pe
prénom et les chevalier
soumission par rappor
composé de deux histoi
rassemble deux tradition
celle de la femme de P
triangle amoureux tor
personnaliser les deux
intrinsèques. La reine
représente la lutte de
n'appartiennent pas ex
amoureux résulte en u
rendue possible grâce
partie se déroule intent
de Lanval. Raconter un
illustre dans la littérat
mythique à l'époque d
paradoxalement comm
est sa cour11. Le dérou
accusateurs soient le r
l'imaginaire médiéval c
que les personnages qu
apparaissent comme
arthuriennes13. En situ
justice sera faite, il ne
Arthurian and the fair
Marie always rewards
juger de l'intention de
du roi Arthur et présen
connaissait ? Ou au co
Lanval en utilisant la c
de l'enjeu de la lecture
ombres planant sur la r
aventures du chevalier v
La présence des deux personnages féminins permet l'ouverture d'un débat théorique,
dans le sens où ils matérialisent des valeurs opposées. La reine accusatrice et la pucelle
libératrice exposent
"l'opposition de deux univers antagonistes : un monde régi par les lois sociales,
dans lequel l'individu n'a que le devoir de se plier aux valeurs dominantes
d'une société hostile, et pas le moindre droit de rechercher un épanouissement
personnel ; et un autre monde où s'affirment les valeurs individualistes, en
particulier le droit au bonheur, c'est-à-dire pour Marie le droit d'aimer" (Harf-
Lancner 1995:82).
Les deux univers antagonistes ne peuvent coexister. Lanval doit faire un choix. S'il vit
dans la société courtoise féodale, il perd le droit individuel, s'il vit dans l'Autre Monde, il
perd le droit de vivre parmi les hommes. Ce choix crée un lien de rivalité entre les deux
mondes et entre les deux femmes. Il a suffi de mentionner la pucelle devant la reine pour
que la première disparaisse, et, sa brève réapparition a permis au chevalier de restaurer
ses liens avec la cour en dépit de la reine. La victoire de la reine est momentanée. Pour un
bref délai la pucelle est hors jeu et Lanval est sous caution. Véritablement, l'élimination
de la pucelle est partielle, elle reviendra aussitôt et la punition souhaitée du chevalier
aboutit à sa libération. Une lecture littéraire assimile cette rivalité à un triangle amoureux,
une lecture idéologique l'assimile à une crise entre la société et l'individu. Quelle que
soit la lecture appliquée, c'est la pucelle qui l'emporte.
Dans le triangle amoureux habituel, une femme se bat pour l'amour d'un amant et
contre l'emprise d'un mari. L'amant concrétise son droit naturel à l'épanouissement
sentimental et sexuel et le mari, son oppression. Une oppression gravée dans la loi et dans
l'ordre permettant à un individu l'autorité sur un autre, plus faible. Le mari possède donc
le pouvoir de punir et de séquestrer son épouse. Lanval est un homme qui lutte lui aussi
entre la représentante de son droit à l'amour (la pucelle) et la représentante de l'ordre
social (la reine). Certes, la reine n'est pas l'épouse de Lanval, mais elle est sa supérieure
de rang. Comme un mari jaloux elle est l'agent de la Loi. C'est une souveraine courtoise
et l'épouse du souverain féodal. Ainsi, Lanval lui doit obéissance. En refusant de l'aimer,
il ressemble à une femme qui se refuse à son mari. Le prétexte de rester fidèle au roi fait
écho au prétexte de la dame dans Loustic pour expliquer le chant du rossignol. Dans les
deux cas, l'existence d'un amant provoque un mensonge rationnel qui a l'empreinte dans
la réalité. Le chant printanier du rossignol orne les rendez-vous des amants mais il ne
constitue pas la raison pour laquelle la dame se lève toutes les nuits. Elle le faisait bien
avant le printemps et l'arrivée de l'oiseau. De la même manière, Lanval est le chevalier
d'Arthur, mais il ne songe pas particulièrement à la loyauté envers un seigneur qui l'a
défavorisé. Il parle de ses droits envers le roi, pour cacher l'existence de l'amante, pour
respecter le secret de leur amour. Tout comme le mari de Laüstic, la reine n'est pas
convaincue par la déclaration de Lanval. Elle est égoïstement mais aussi
émotionnellement peinée. Le simple chevalier lui répond avec une témérité inacceptable :
"... laissiez m'ester : / Jeo n'ai cure de vus amer !" (269-270). Mais surtout, il l'humilie
en n'acceptant ni son cœur ni probablement son corps. La reine le provoque alors avec la
seule violence à sa disposition, l'insulte. Elle ne le fait pas par méchanceté mais par
humanité. C'est justement l'humanité de la reine qui est mise en avant, surtout face à
l'inhumanité de l'amante. Je suis en accord avec ce que note Ribard : "II y a plus de
chaleur humaine dans les propositions déshonnêtes que lui fait la reine, plus d'amour vrai
peut-être dans cet adultère que lui offre avec impétuosité un être de chair comme lui que
dans la déclaration d'amour impérieuse et froide de la déesse" (Ribard 536). Pourtant, il
conviendrait de nuancer cette formulation pour deux raisons. D'abord, les déclarations
amoureuses de la reine ("Tute m'amur poez aveir" 265) et de la pucelle ("Kar jo vus aim
16 L'avantage de ce monde fé
tous les participants. La pu
acquitté et retrouve son bonh
une humiliation mais qui n'e
dans une nouvelle courtoise
sujet que Lanval mais dans
s' achevant par une triple m
séductrice, vaine et accusatr
profondément amoureuse du
meurt de chagrin suite à un l
tour, le chevalier se suicide
le drame s'est produit à cause
du bal dansant. La froideur de
{La Châtelaine de Vergy, Editi
II y a une réplique déconcertante dans Lanval. La reine ne suggère pas, elle dénonce le
comportement sexuel du chevalier. A haute voix, elle l'accuse : "Vaslez avez bien
afaitiez" (281). Sa déclaration selon laquelle Lanval serait homosexuel, est tellement
choquante et inattendue qu'elle semble parler de colère. D'une manière assez étonnante,
ce sont ces paroles hâtives de la reine qui contiennent un indice sur la perversité de
l'amour partagé avec la pucelle-fée17. Etonnante puisqu'il a été souvent dit très justement
que l'intention de la reine n'est pas d'exposer une information cachée qu'elle possède sur
le chevalier, mais tout simplement de l'humilier. Effectivement, elle ne connaît rien de sa
vie amoureuse. Seulement, elle vient d'être brutalement repoussée par lui. Son
humiliation est double, elle s'est déclarée amoureuse la première et sa déclaration
passionnée est restée frustrée. Elle n'a pas obtenu la réponse souhaitée, et en plus la
manière avec laquelle elle a été traitée était violente : "laissiez m'ester " (269). Face à
l'affront, elle ne pense qu'à inverser sa position d'infériorité. Son arme est sa langue. Elle
raisonne alors suivant un syllogisme passionné que nous pouvons formuler ainsi : "Si tu
ne m'aimes pas, moi qui suis le modèle de toute femme, de la Femme, et qui sais que tu
n'as pas d'autre amoureuse, tu n'aimes aucune femme". La réaction du chevalier à ces
insultes emprunterait le ton de la reine. "Non seulement j'aime une autre femme, mais
encore est-elle plus belle que toi". Sans aucun doute, il y a ici une confrontation verbale
enfantine entre deux adultes passionnés, affligés chacun dans son ego.
Un raisonnement passionné, impulsif, certes, mais si la reine est impulsive, Marie de
France ne l'est pas. Considérer la remarque de la reine comme une insulte vide de sens
relatif à la sexualité serait un peu fortuit. Clairement, le choix d'attaquer le chevalier dans
17 Mes modalités évajuatives concernant les pratiques sexuelles me servent uniquement pour me référer à la
sexualité telle qu'elle est perçue à l'époque étudiée, elles ne sont en aucun cas axiologiques ou porteuses de
jugement.
En sa chemise senglem
Mult ot le cors bien fai
[-]
Tut ot descovert le costé,
Le vis, le col e la peitrine :
Plus ert blanche que flurs d'espine ! (93-106).
Dans ce premier sens, on prive la nature inhumaine de la fée. Elle est la plus belle
que personne n'ait jamais vue, mais sa beauté emprunte les traits de la beauté féminine la
plus naturelle et humaine. Le chevalier la contemple comme un être susceptible de
répondre à ses désirs : "II resguarda, si la vit bêle : / Amurs le puint de Festencele, / Ki
18 "Ainz est bargaine de burgeis" {Equitan, 149); "Mun escient que vus amez / E si si est, vus meserrez"
(Bisclavret, 51-52); "Fiz a putain" (Eliduc, 843); "Mut est foie ki humme creit !" (Eliduc, 1084).
19 Le Lai anonyme de lyolet pose un problème dans ce sens puisque i animai magique guidant le cnevaner
dans sa vie d'adulte se métamorphose en homme. Sur le problème de l'identité sexuelle de Tyolet voir: Tovi
Bibring, "Of Swords and Rings: Genital Represntation as Defining Sexual Identity and Sexual Liberation in
Some Old French Fabliaux and Lais", in Genealogies of Identity: Interdisciplinary Readings on Sex and
Sexuality (M. Breen & F. Peters eds.), Rodopi, Amsterdam, 2005, pp.151-167.
20 Pour le médiéviste littéraire le merveilleux est repéré bien avant. De nombreux motifs nous y préparent
(réloignement de la ville, le frémissement du cheval, le cours d'eau, les demoiselles avec les bassins d'or).
du chevalier à la non-app
au désespoir.
La reine est la clé de la
refoulement de ce que Ha
comme la tendance sexue
vraiment sa pucelle, il se
fidèle à son amoureuse fé
une satisfaction dans l'in
doit trancher entre l'app
réaction démesurée vis-
véritable cri de désespoir
aucune cour féodale. Il q
père, roi lui aussi ; il suit
je l'ai avancé plus haut, l'
Ainsi s'annonce, prém
ouvrant le débat sur la
appartenir à la cour, Lan
Femme, une femme, l'im
Université Bar-Ilan
OUVRAGES CITÉS
Damon, S. Foster. "Marie de France: Psychologist of Courtly Love". PMLA 44(1929):
968-996
Eccles, Jacqueline. "Feminist Critisim and the Lay of Lanval: A Reply". Romance Notes
38[3](1998): 281-285
Faverty, Frederic Everett. "The Story of Joseph and Putiphar's wife in Medieval
Literature." Studies and Notes in Philology and Literature 13(1931): 81-127
Francis, E. A. "The trial in Lanval", in Studies in French Language and Medieval
Literature Presented to Professor Mildred K. Pope, 1939. 115-124
Gurevitch, Danielle. Reflections of Reality in Fictional Narrative : Metamorphoses in the
Lais of Marie de France. Phd Dissertation (in Hebrew), Bar-Ilan University, 2002
Hall McCash, June. "Images of Women in the Lais of Marie de France." Medieval
perspectives, 1 1(1996): 96-1 12
Harf-Lancner, Laurence. 1984 Les fées au Moyen Age, Morgane et Malusine, La
naissance des fées, Champion, Paris, 1984
Whitfield, Pam. "Power Plays: Relationships in Marie de France's Lanval and Eliduc."
Medieval Perspectives 14(1999): 242-254