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Chapitre VII, p.224 à p.

225, depuis « Et, lâchant la chemise » jusqu’à «


par les fenêtres. »
Nana, lancée à la conquête du monde a comme amant le comte
Muffat. Dévot quand s’ouvre le roman, il est entraîné dans le sillon de
la prostituée pour laquelle il se sent enchaîné. Forte de ses succès au
théâtre, Nana profite de l’argent que lui donnent ses protecteurs. Le
passage étudié relate la lecture par Muffat d’un article de journal écrit
par Fauchery à l’encontre de Nana et de la pièce dans laquelle le tout
Paris la voit. C’est le troisième personnage dans le récit qui fait la
lecture de l’article puisque son coiffeur ainsi que Daguennet, rencontré
dans un café lui en ont déjà parlé. Seulement, la jeune fille craint ne
pas bien comprendre les implicites du journal et demande à son
compagnon ce qu’il en pense. L’extrait présente la lecture du comte
devant Nana.
Dans quelle mesure cet extrait donne au lecteur les clefs de l’œuvre ?

I) Nana, la mouche d'or de la scène :


Nana et Muffat sont à la source de l'article, les modèles qui l'ont
inspiré. Cependant, dans un effet rétrospectif de reflet, l'article semble
rejaillir sur eux et la scène construit les personnages en écho à ce que
l'article nous a donné à lire comme par un effet de contamination.
Nana dans cette scène peut être analysée à la lumière de l'article.
A) Inscription de l'article dans la diégèse :
- Nana est la source d'inspiration de cet article qu'elle n'a pas bien
compris et qu'elle demande alors à Muffat de lire pour le lui commenter.
Le comte va s'y employer et l'article nous est alors rendu par une double
médiation, celle de la voix de la narration relayant la lecture de Muffat :
la phrase "Muffat lisait lentement" sert d'embrayeur à l'inscription de
l'article dans le récit en discours indirect libre à l'intérieur de la
narration d'où l'emploi de l'imparfait pour son intégration au récit.
- L'article fait donc l'objet d'une double mise en scène dans le texte : par
le tableau de la nudité de Nana sur lequel sa parole s'élève ("attendant
que Muffat eût fini sa lecture, Nana resta nue"), par la lecture silencieuse
de Muffat dont le lecteur a conscience qu'il lit ici, sous la plume
sautillante et irrévérencieuse de Fauchery, sa propre condamnation.
Cette inscription dans la diégèse est donc en soit une première forme de
mise en abyme de l'article puisque la situation même du Comte, saisi en
plein adultère en compagnie de sa maîtresse nue, est un dispositif qui
souligne dès l'abord, le jeu de constants va et vient entre le propos de
l'article et la situation de la scène - l'article suscitant autant qu'il met en
abyme la situation qui se joue entre les personnages.

B) Elle est la fille au "sang gâté par une longue hérédité de misère et de
boisson"
- Fille du charpentier alcoolique Coupeau qu'on a rencontré dans
L'Assomoir, et de Gervaise.
Voir tous les éléments qui rappellent le précédent roman.

C) L’article parle de Nana


- Elle est ensuite la fille marquée "par le détraquement de son sexe de
femme"
- « pourrissait l’aristocratie »
- « Elle devenait une force de la nature… »
II) La mise en abyme de l'article de La mouche d'or :
A) Idées force de l'article et réseaux métaphoriques de signification :
- Le sexe est au centre de l'article : pourtant, il demeure non nommé sauf
dans l'expression "le détraquement de leur sexe" et il est alors
significativement associé à la femme seulement comme s'il était de son
unique ressort. Lorsque la réalité du sexe associe ensuite les hommes du
monde, il n'en est plus question que sous des expressions métaphoriques
qui cachent la réalité dont il est pourtant question : l'accouplement des
femmes du peuple et des hommes de la classe élevée.
- Le sexe, vecteur de pourriture et par là de destruction morale : c'est par
"le détraquement nerveux de son sexe de femme" qui la pousse sur le
pavé de Paris très tôt et par "sa chair superbe" que la fille dont il est
question va corrompre la société toute entière : le sexe associé ici à "la
pourriture", ou encore au poison (la mouche "empoisonnait les hommes
rien qu'à se poser sur eux"), "ferment de destruction" est
axiologiquement envisagée de manière radicalement négative : l 'idée de
la corruption morale à laquelle il est associée n'est pas interrogée : le
sexe est immédiatement rabattu sur "l'ordure" et "la pourriture" par
l'article comme par évidence.
- Le sexe, vecteur de promiscuité sociale entre les classes élevées et le
peuple et par là de désorganisation sociale : par ailleurs, le sexe est le
vecteur de la destruction des classes dirigeantes ("de l'aristocratie" qui
habite "les palais").Il est destruction parce qu'il est le vecteur d'une
promiscuité nouvelle entre les classes sociales élevées et le peuple : dans
un curieux raccourci le sexe est associé au peuple : il vient du peuple et
de ses femmes subissant un "détraquement nerveux de (leur) sexe de
femme" du fait de leur lourde hérédité : le sexe est "pourriture" mais
"pourriture" ou encore "ordure" sont aussi des métaphores du peuple
dans l'article ou plus exactement sont en rapport de métonymie avec lui
(cf : "elle avait poussé dans un faubourg, (...) ainsi qu'une plante de plein
fumier" et la mouche à laquelle elle est comparée est "envolée de
l'ordure") : la fille de l'article est alors dangereuse dans le sens où elle
contamine, "empoisonne" l'aristocratie de l'atmosphère morale
corrompue qui règne dans les bas-fonds : "Avec elle, la pourriture qu'on
laissait fermenter dans le peuple, remontait et pourrissait l'aristocratie."
L'article suggère même que la fille du peuple devenue courtisane se sert
du sexe, dans une forme d'inconscience ("sans le vouloir elle-même" dit
le texte) comme d'un arme de lutte des classes : "elle vengeait les gueux
et les abandonnés dont elle était le produit."
B) Naturalisme et hérédité
Nana vient de « quatre ou cinq génération d’ivrognes, le sang gâté par
une longue hérédité de misère et de boisson ». Il s’agit donc plus d’un
discours qui se veut scientifique que d’un discours romanesque, ce
dernier venant illustrer le premier. Le personnage féminin est donc
l’illustration d’une thèse scientifique et manque de liberté puisqu’elle est
soumise aux lois de l’hérédité. A la fatalité religieuse, succède avec Zola,
la fatalité familiale, le personnage étant condamné d’avance à la
décrépitude impropre à cause de ses ancêtres. C’est pourquoi, l’article ne
précise aucun nom, le roman illustre une loi générale. La littérature est
envisagée comme une observation scientifique des lois de l’hérédité.
Cette loi de l’héritage biologique étant posée, l’auteur précise la fonction
de Nana.
C) Fonction de Nana dans le roman
- Le discours naturaliste de l’auteur se définit également par un langage
social. En effet, l’article présente Nana comme si elle « vengeait les gueux
et les abandonnés dont elle était le produit. ». En « pourrissant »
l’aristocratie, la prostituée instaure donc un nouvel ordre dans l’anarchie
qu’elle sème sur son passage, d’où la réaction gênée de Muffat qui se lit à
travers cette allusion à l’aristocratie. Nana est envisagée comme le porte
parole des miséreux qui prend le pouvoir (et c’est la différence avec les
romans de Hugo) même si c’est pour semer le désordre. Elle est
envisagée comme le socle de cette société qui au fond ne distingue plus
les riches et les pauvres dans les mœurs, la différence ne jouant que sur
les apparences. Nana dévoile donc dans le roman l’abêtissement des
classes dirigeantes qui se complaisent de façon égale dans le vice. Dans le
passage qui précède, Nana et le lecteur viennent d’apprendre que la
comtesse Muffat a aussi un amant. Plus rien ne distingue donc les deux
classes qui sont dominées par ce même goût de la luxure. L’article du
journal a donc aussi un effet d’annonce puisque la fin est clairement
indiquée : le personnage féminin anéantit le pouvoir de l’aristocratie en
montrant son avilissement.
- Malgré cette inconscience de la prostituée, la fille-mouche d'or est
tenue pour responsable de la décadence de la société sans jamais que soit
envisagée dans l'article l'éventuelle responsabilité des hommes de la
haute société. Qu'il s'agisse de la fille de joie ou de la mouche d'or, de
manière significative, chacune d'elles se trouve être respectivement
l'unique sujet des verbes de l'article: "elle vengeait (...)" "elle devenait un
ferment de destruction (...) corrompant et désorganisant Paris", "elle
empoisonnait (...)".
- Au contraire, les hommes sont implicitement en posture de victime et
par là, déculpabilisés : ils sont trompés par la beauté de la mouche d'or
"couleur de soleil", "jetant des éclats de pierreries", dont il émane
trompeusement un rayonnement positif masquant "l'ordure" d'où elle
vient et "la mort" qu'elle transporte, mais surtout ils sont "empoisonnés"
par elle c'est à dire contaminés sans s'en apercevoir- ce qui laisse à
entendre une forme d'irresponsabilité.

La page étudiée se présente comme une mise en abîme du récit dans la


mesure où elle renvoie à la notion de lecture. Le discours du journaliste
est le porte-parole de la parole auctoriale pour mieux souligner en
dernière instance la fonction de Nana dans la démonstration de
l’écrivain.

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