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BACCALAUREAT SESSION 2023 – Série technologique

Texte N°3 – Jean de La Fontaine, Fables (1668), V, 6 :


« La vieille et les deux servantes »

Explication de texte linéaire de la fable « La Vieille et les Deux Servantes » de Jean de La Fontaine
Introduction : « La vieille et les deux servantes » est la sixième fable du Livre V des Fables de Jean de La
Fontaine, paru en 1668. Jean de La Fontaine était un fabuliste du 17e siècle appartenant au mouvement du
classicisme. En 25 ans, il a écrit 240 fables. Pour écrire ses fables, La Fontaine s’est inspiré des fabulistes grec
et latin : Esope et Phèdre, tout en ajoutant une vivacité et une fantaisie versifiée dans ses textes.
Thème : « La vieille et les deux servantes » est une fable visant à dénoncer l’exploitation de l’être humain par
l’être humain, par le biais de la parodie, du comique et du pathétique.
Mouvement du texte :
1- v. 1 à 5 : situation initiale / scène d’exposition
2- v. 6 à 19 : récit du travail / exploitation des servantes
3- v. 20 à 25 : résolution aggravante du problème (assassinat du coq = résultat pas à la hauteur des attentes)
4- v. 26 à 31 : moralité de la fable = Il est dangereux de vouloir modifier son destin.
Piste de lecture (= enjeu ou problématique de la fable) : En quoi cette fable participe-t-elle de la
manifestation de l’esprit de justice de La Fontaine ? ou : Comment l’auteur parvient-il à mêler les registres
héroïque/épique, pathétique et comique dans cette fable dénonçant la maltraitance ?

Explication linéaire proprement dite :


- vers 1 à 5 : situation initiale / scène d’exposition
Il était une vieille ayant deux Chambrières.
Elles filaient si bien que les soeurs filandières
Ne faisaient que brouiller au prix de celles-ci.
La Vieille n'avait point de plus pressant souci
Que de distribuer aux servantes leur tâche.
Les cinq premiers vers dressent le tableau de la situation initiale, à l’imparfait de description. La fable
commence comme un conte : « Il était » = il était une fois. Une maîtresse âgée (« une vieille ») et deux
servantes (« deux chambrières » = deux femmes de chambre) qui sont d’excellentes fileuses. On trouve ici la
première des nombreuses références mythologiques qui émaillent la fable et en font une parodie comique
parce qu’elles sont décalées (trop érudites) par rapport au milieu modeste dans lequel évoluent la Vieille et ses
deux servantes. Ainsi, au v. 2, « les sœurs filandières » représentent les Parques (dans la mythologie latine) ou
les Moires (dans la mythologie grecque). Ce sont trois sœurs (nommées Nona, Decima et Morta pour les
Parques, ou Clotho, Lachésis et Atropos pour les Moires), qui, en filant, tiennent entre leurs mains la vie des
humains et l’interrompent lorsqu’elles coupent ce fil. Les deux servantes sont donc encore plus talentueuses en
matière de filature que les trois Parques : « Elles filaient si bien que les sœurs filandières ne faisaient que
brouiller au prix de celles-ci ». Ces références mythologiques peuvent être également lues comme une
préfiguration de la Querelle des Anciens et des Modernes qui a pris place dans les deux dernières décennies du
XVIIe siècle : La Fontaine y prend le parti des Anciens et de la tradition des auteurs de l’Antiquité, contre les
Modernes comme Perrault et ses contes de fées. Ici, dans cette fable, on retrouve les deux partis. La vieille,
quant à elle, veille avec diligence à donner aux servantes du travail : « n’avait point de plus pressant souci que
de distribuer aux servantes leur tâche ».
- vers 6 à 19 : récit du travail / exploitation des servantes
Dès que Téthis chassait Phébus aux crins dorés,
Tourets entraient en jeu, fuseaux étaient tirés ;
Deçà, delà, vous en aurez :
Point de cesse, point de relâche.
Dès que l'Aurore, dis-je, en son char remontait,
Un misérable Coq à point nommé chantait ;
Aussitôt notre Vieille, encor plus misérable,
S'affublait d'un jupon crasseux et détestable,
Allumait une lampe, et courait droit au lit
Où, de tout leur pouvoir, de tout leur appétit,
Dormaient les deux pauvres servantes.
L'une entrouvrait un oeil, l'autre étendait un bras ;
Et toutes deux, très malcontentes,
Disaient entre leurs dents : "Maudit coq, tu mourras."
A partir du v. 6, c’est l’imparfait de répétition ou d’habitude qui prend la suite de l’imparfait de description.
En effet, tous les matins, les deux servantes sont réveillées par le coq (« un misérable coq à point nommé
chantait », elles travaillent sans cesse et sans relâche (« point de cesse, point de relâche ») avec leurs
« tourets » (= bobines) et leurs « fuseaux » (= bâton pointu), qui sont des instruments de la filature. « Deçà,
delà, vous en aurez » est le discours esclavagiste qu’adresse la vieille à ses servantes.
Les références mythologiques érudites continuent : au v. 6, « Thétis », est une divinité maritime qui représente
la nuit qui chasse « Phébus », dieu du soleil. Ce vers, qui imite les textes épiques grecs comme l’Iliade ou
l’Odyssée, veut tout simplement dire que c’est la fin de la nuit et que la journée commence : « dès que Thétis
chassait Phébus aux crins dorés ». Au v. 10 on trouve cette fois-ci de la mythologie romaine avec « Aurore »,
déesse de l’aube se déplaçant en char.
Cela introduit un décalage un peu comique et ridicule avec les autres protagonistes de l’histoire : le coq,
qualifié de « misérable » (v. 11), sans doute parce que le narrateur omniscient sait déjà qu’il va mourir, la
vieille qui « courait droit au lit » des servantes pour les réveiller, les deux servantes qui, « l’une entrouvrait un
œil », « l’autre étendait un bras ». Le mot « misérable » est utilisé à deux reprises, à la fois pour qualifier le
coq et la Vieille, avec deux significations différentes. Lorsqu’il parle du « misérable coq » (v. 11), l’auteur
veut dire pitoyable, tandis que lorsqu’il écrit « notre Vieille, encor plus misérable » (v. 12), l’adjectif signifie
méchante, mauvaise, méprisable. Tout au long du texte, la vieille incarne de nombreuses antithèses ou de
nombreux paradoxes. Elle est avare, ne veut pas montrer sa richesse : « s’affublait d’un jupon crasseux et
détestable », mais elle est la patronne des deux servantes et les accable de travail (elle est « misérable »). Elle
est âgée mais pleine d’énergie : « courait droit au lit ». Par la suite, elle courra « comme un lutin ». L’auteur se
moque délibérément d’elle en parlant de son apparence physique : « Aussitôt notre Vieille encor plus
misérable, / S’affublait d’un jupon crasseux et détestable ». Ainsi la Vieille préfère donner du travail aux deux
servantes plutôt que de s’occuper d’elle-même.
On peut remarquer également le registre pathétique. En effet, les deux servantes souffrent, elles sont faibles et
maltraitées. L’auteur parvient à nous faire ressentir de la compassion à leur égard en mettant leurs émotions en
avant : « Dormaient les deux pauvres servantes » (v.16). Sur une illustration de la fable « La Vieille Et Les
Deux Servantes » réalisée par Gustave Doré au XIXe siècle, on peut voir comment l’artiste a souhaité mettre
en avant le désarroi des deux servantes, exploitées par la vieille en pleine nuit. La chambre est sombre,
misérable, lugubre. La vieille ressemble à une figure maléfique sortie d'un conte. C'est une véritable allégorie
de la Maltraitance.
- vers 20 à 25 : assassinat du coq = résultat pas à la hauteur des attentes
Comme elles l'avaient dit, la bête fut grippée ;
Le réveille-matin eut la gorge coupée.
Ce meurtre n'amenda nullement leur marché.
Notre couple, au contraire, à peine était couché,
Que la Vieille, craignant de laisser passer l'heure,
Courait comme un lutin par toute sa demeure.
Malgré le registre pathétique, nous sommes sensibles à l’effet comique tout au long de la fable. On se moque
des servantes qui, après avoir tué le coq (« la bête fut grippée », « le réveille-matin eut la gorge coupée »), sont
confrontées à la Vieille, qui les réveille encore plus tôt dans la nuit, « craignant de laisser passer l’heure » :
c’est l’ironie du sort (« Ce meurtre n’amenda nullement leur marché » = ce meurtre n’améliora pas leur
situation). La Vieille elle aussi est l’objet de cet effet comique, elle est comparée à un lutin : « courait comme
un lutin dans toute sa demeure » (v. 25), on reste dans le conte, avec des sorcières et des lutins.
- vers 26 à 31 : morale de la fable
C'est ainsi que, le plus souvent,
Quand on pense sortir d'une mauvaise affaire,
On s'enfonce encor plus avant :
Témoin ce Couple et son salaire.
La Vieille, au lieu du Coq, les fit tomber par là
De Charybde en Scylla.
Enfin, la moralité de la fable est également une référence mythologique : « La vieille, au lieu du coq, les fit
tomber par là de Charybde en Scylla ». « Charybde et Scylla » étaient deux déesses qui ont été transformées
l’une en un tourbillon et l'autre en un rocher situés dans le détroit de Messine, et qui constituaient pour les
marins deux dangers. On devait d’abord passer le tourbillon et, lorsqu’on pensait s’en être sorti, on tombait sur
Scylla, un rocher encore plus dangereux. Ainsi, par la moralité de cette fable, Jean de La Fontaine nous
rappelle quelque chose de simple : mieux vaut laisser le temps faire et supporter son sort plutôt que d’agir soi-
même et penser résoudre son problème en risquant finalement de tomber dans un malheur bien plus terrible.
Conclusion : Cette fable, qui met en jeu des humains et non des animaux, et qui prend donc moins de distance
avec la réalité qu’elle décrit, dénonce bien les excès du travail et de l’exploitation ouvrière avant la lettre, par
le tableau pathétique qu’elle fait des deux servantes et de leur patronne qui les harcèle. L’aspect parodique et
comique atténue cependant la gravité du sujet. Mais cette fable met en garde également contre les agissements
des humains pour améliorer leur sort : mieux vaut laisser faire le temps et supporter son destin, car sinon on
risque d’attirer sur soi un malheur encore plus grand.

Grille d’évaluation de l’explication de texte linéaire orale sur 20 points


- Lecture expressive : /2 pts
Introduction :
- Présentation auteur/œuvre : /2 pts
- Mouvement du texte : /1 pt
- Piste de lecture/problématique : /1 pt
Développement :
- Reformulation/explicitation pertinentes : /5 pts
- Analyse des procédés de style : /5 pts
Conclusion : /2 pts
- Langue correcte, débit/élocution et respect du temps (5-8 mn) : /2 pts

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