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: intrigues et personnages

Article Par Annie Collognat, le 04/11/2020

LA COMÉDIE LATINE : INTRIGUES ET PERSONNAGES

Manuscrit enluminé de l’époque carolingienne (début du IXe siècle) qui reproduit un manuscrit antique
aujourd’hui disparu et qui comporte les six comédies de Térence. Ici l’illustration d’une page de
L’Héautontimorouménos (IV, 1, vers 614 sq.) : Sostrata (mulier, la femme) montre à la vieille nourrice (nutrix
anus) l’anneau qui va permettre la reconnaissance de sa fille autrefois abandonnée, en présence de son mari
Chrémès (senex, le vieux) et de l’esclave (servus) nommé Syrus. Bibliothèque nationale de France, Département
des manuscrits, Paris. ©BnF, Gallica.
 

De la néa grecque à la comédie latine


À Athènes, à la fin du IVe siècle avant J.-C., c’est Ménandre (env. 343-292 av. J.-C.) qui met en scène
une intrigue et un type de personnages promis au plus grand succès : dans le Dyskolos (le
"grincheux" misanthrope), la seule de ses cent comédies qui nous soit parvenue en entier, un esclave
fripon, Daos, aidé d’un cuisinier, Sicon, aide les "fiancés" à se tirer d’affaire aux dépens du vieux
paysan hargneux qui refuse le soupirant de sa fille. Cette veine comique, baptisée néa ("comédie
nouvelle"), substitue aux questions politiques et morales chères à l’"ancienne" tradition représentée
par Aristophane, des débats familiaux et sentimentaux : les conflits de la cité laissent la place aux
histoires amoureuses opposant des pères autoritaires à des enfants désireux de s’émanciper.
Même évolution dans la comédie latine qui, à son tour, met en scène un univers bourgeois et familial.
Plaute, puis Térence mettent à la mode romaine thèmes et personnages hérités de Ménandre : la
comédie dite fabula palliata (jouée en pallium, le manteau grec) prend ainsi le relais de la comédie
nouvelle (voir le "Petit dictionnaire pour découvrir le théâtre latin"). Ni miroirs de la vie quotidienne ni
analyses psychologiques, les représentations sont conçues comme des jeux de virtuosité, avec des
figures stéréotypées et des numéros d’acteurs selon des rôles codifiés, dans un cadre renvoyant à
une Grèce de convention.

Acteurs comiques néa

Acteur comique de la comédie nouvelle (les sourcils levés et froncés marquent la colère du senex
iratus, voir ci-après), statuette fragmentaire en terre cuite, Grèce, env. 323 av. J.-C., BnF, département
des Monnaies, Médailles et Antiques, Paris. ©BnF, Gallica.
Acteur comique portant le masque d’un esclave chauve, statuette en terre cuite, Italie (Latium),
période étrusque, IIe siècle av. J.-C., British Museum, Londres. ©British Museum.
 
L’intrigue : un schéma stéréotypé
Elle est condensée dans l’argument (argumentum) et annoncée dans le prologue par un acteur de la
troupe pour capter l’intérêt des spectateurs. Peu importe la vraisemblance : il faut faire rire un public
populaire avec de gros effets, des situations scabreuses appelant un comique verbal qui ne cherche
pas le raffinement.
Le rythme de la représentation doit être trépidant, le volume sonore bruyant, sans temps mort, qui
risquerait de provoquer l’ennui et la désaffection du public. Ainsi en témoigne le vieux Prologus
présentant L’Heautontimoroumenos de Térence :
« Prêtez-moi une attention bienveillante ; faites que je puisse représenter dans le silence une pièce
d’un caractère tranquille, que je n’aie pas toujours à jouer un esclave qui court (servus currens), un
vieillard en colère (iratus senex), un parasite vorace (edax parasitus), un sycophante impudent
(sycophanta impudens), un avide marchand d’esclaves (avarus leno), tous rôles qui exigent de grands
cris et me mettent sur les dents. Par égard pour moi, trouvez bon qu’on allège un peu mon fardeau ;
car ceux qui composent aujourd’hui des pièces nouvelles ne ménagent pas ma vieillesse. » (vers 35-
43, traduction Henri Clouard, 1937)

Les personnages sont caricaturaux selon des rôles traditionnels fortement codifiés : un père buté et
avare, un fils prodigue et amoureux, un esclave rusé qui vient au secours de son jeune maître, un
parasite, un soldat fanfaron, un proxénète en sont les archétypes devenus classiques.
Comme l’univers tragique, le monde de la comédie s’inscrit donc dans le champ clos de la famille où
bouillonnent toutes les violences, cachées, étouffées, mais prêtes à exploser à la moindre occasion.
Que sa résolution soit tragique ou comique, la crise naît de cette effervescence.
Banalité d’une action qui se résume en quelques lignes selon le principe du schéma actantiel
stéréotypé : le fils (héros) aime une courtisane ou une jeune esclave (objet de la quête) dont l’origine
libre sera dévoilée au dénouement ; le père (opposant) contrarie ses amours, tandis que l’esclave
(adjuvant) lui apporte le secours de ses ruses. Apparitions et disparitions sans explications,
naufrages, enlèvements par des pirates, retours imprévus, reconnaissances miraculeuses ponctuent
un scénario "rocambolesque", pourtant sans surprise pour un public dont le plaisir est celui de la
reconnaissance et non celui de la découverte. Jusqu’à l’inévitable "happy end" qui consacre le
triomphe de la jeunesse et de la ruse sur l’autorité des vieillards.

On voit  s’affronter les principes antagonistes de réalité et de plaisir chers à la psychanalyse : «  le


principe de réalité règne dans la maison  », comme le dit Charles Mauron (Psychocritique du genre
comique, Librairie José Corti, 1963). « Le père riche y représente l’autorité réelle. Qu’on le ridiculise, il
devient le barbon, secrètement faible et immoral. Sans argent, ni autorité domestique, le fils lui est
subordonné ; ses armes sont : l’amour (souvent caché) que lui porte son père, une audace parfois
sans scrupule, la mobilité, la dissimulation, la flatterie ; ses serviteurs se spécialisent dans la
fourberie, le déguisement le vol. La jeune fille, objet du litige, est la propriété du père qui la garde ou
du leno qui la vend » (o. c.). Précisons que le leno est le marchand d’esclaves, à la fois pourvoyeur de
filles et proxénète : personnage traditionnel de la comédie latine, il est le principal avatar de la figure
du Père et de l’Interdit, selon Charles Mauron.
«  Le mariage dans l’affranchissement se présente dès lors comme l’enjeu de l’intrigue. Les traits
généraux de la comédie nouvelle sont ainsi fixés pour une longue suite de siècles. [...] Dans la
mesure où elle demeure bourgeoise et familiale, la comédie de Molière les adopte nécessairement »
(o. c.).
Dans l’éternel conflit des générations, la comédie introduit une nouvelle règle : «  La grande loi du
genre comique, c’est que le principe de plaisir l’emporte. [...] Le rire dans la comédie nouvelle est
organiquement lié aux deux figures du père dupé et du valet fourbe. Le conflit et sa solution obligée
ont évidemment un sens psychique : ils représentent le triomphe magique du plaisir sur la réalité. [...]
Le grand ressort de la comédie nouvelle est donc l’invraisemblable fourberie : elle constitue
proprement le trait d’esprit, libérant les tendances. Mais on peut la goûter en soi, comme une
virtuosité dans le mélange de sens et de non-sens, ou l’inhibition de la victime. Selon un trait presque
constant et remarquable, cette fonction est assignée à un esclave ; Le fils évite ainsi la colère
paternelle » (o. c.). Personnage en marge de la société et de la morale, substitut commode, l’esclave
/ serviteur satisfait les exigences inavouables du fils sans que la dignité familiale ait à en souffrir,
sans transgression ni remords.
Scène de comédie Pompéi

Scène de comédie, fresque in situ, maison de Casca Longus, Pompéi, Ier siècle av. J.-C. ©Wikimedia
commons. 

Le personnage vêtu d'une tunique jaune courte, pieds nus, est un esclave : son index gauche levé
semble indiquer qu’il conseille au jeune couple d’amoureux de prendre garde (de l’arrivée du père
autoritaire ?).

Le triomphe de la ruse et la revanche du "petit"


Comme les fameuses Saturnales à Rome, reprises par le Carnaval italien et les Soties du Moyen Âge,
qui instituent de manière très officielle "un monde renversé" où maîtres et esclaves inversent
momentanément leurs rôles, le théâtre comique permet aux "petits" de donner des ordres au
"grands". Esclaves et valets prennent ainsi leur revanche sous le masque qui leur garantit anonymat
et impunité. En mimant de façon ludique, en champ clos dans l’espace et dans le temps (celui du
spectacle et / ou de la fête), ce qui pourrait constituer une véritable révolution de la société, de telles
manifestations assurent la fameuse fonction de catharsis, "la purge" en grec, définie par la Poétique
d'Aristote.
Pourtant, la fête finie, tout rentre dans l’ordre et le dénouement n’est qu’une affaire de pure
convention aidée par le hasard (le fameux deus ex machina) : l’aimable jeune fille, la "courtisane"
d’origine inconnue, dont la vertu est restée intacte dans l’attente d’un généreux protecteur, se révèle
être une riche héritière volée au berceau ou enlevée par des pirates, disparue, substituée, retrouvée,
reconnue. Attendrissement général, mariage : étalage de sentimentalité à la fois romanesque et
bourgeoise. Bien entendu, le dénouement comprend nécessairement le pardon du maître qui a
retrouvé toute son autorité pour jouer les grands seigneurs et admettre le fripon repenti à sa table.
Molière restera fidèle à la lettre comme à l’esprit.

Cistellaria Lugo 2011

Représentation de la Cistellaria ("La Cassette") de Plaute, Festival de théâtre gréco-latin de Lugo


(Espagne) 2011. ©Wikimedia Commons (Luis Miguel Bugallo Sánchez).
 

Le "triangle" constitutif : senex, adulescens, servus


Comme on l’a vu, l’intrigue d’une comédie latine obéit à un schéma très "classique", celui que Molière
reprendra souvent dans ses comédies (Les Fourberies de Scapin, par exemple)  : le père (senex)
s’oppose aux amours de son fils (adulescens), lequel se fait aider par un esclave rusé (servus).

• Senex
Le "vieux" père de famille (le paterfamilias), sèvère, grondeur, égoïste et "radin", incarne "le principe de
réalité" et s’oppose aux amours de son fils. Il est souvent croqué en senex amator  : un barbon
amoureux qui s’est épris d’une jeune fille et qui, par des moyens divers, cherche à satisfaire cette
passion.
Les crises du senex iratus ("le vieux en colère") comptent parmi les moments les plus attendus du
spectacle  : le père irascible s’emporte bruyamment alors qu’il est invariablement bafoué, dupé et
ridiculisé par tous ceux à qui il veut imposer son autorité (sa femme, son fils, ses esclaves).
Caractérisées par une agitation et une véhémence verbales et physiques, ces crises de colère
constituent presque toujours une scène chantée et dansée (un canticum)  : "le vieux" menace de
diverses violences l’esclave meneur de jeu (une violence qui, cependant, ne s’exerce jamais). On
trouve une trentaine d’exemples de ce type de séquences dans les comédies de Plaute et de
Térence.
Le senex iratus est le modèle des pères abusifs de Molière : Argan (Le Malade imaginaire), Harpagon
(L’Avare), Géronte (Les Fourberies de Scapin, Le médecin malgré lui), Orgon (Le Tartuffe),...
Face à ce senex durus ("dur" à vivre) il arrive aussi qu’un autre senex se montre lepidus ("agréable"),
beaucoup plus "cool" comme on dirait aujourd’hui : par exemple, les frères Déméa et Micion dans Les
Adelphes de Térence. Molière développe ce jeu d’opposition entre deux frères, dont l’un a pour
principe la sévérité dans l’éducation des enfants et l’autre l’indulgence, dans L’École des maris
(1661).

Senex iratus

Furieux, poing fermé, le senex (le "vieux" Démiphon) s’emporte contre l’adulescens (le "jeune homme"
Phédria) et le servus (l’"esclave" Géta) dans Le Phormion de Térence, manuscrit enluminé (début du
IXe siècle), Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Paris. ©BnF, Gallica.
Masque théâtral (un satyre aux airs de senex iratus), fresque pompéienne, Ier siècle, Musée
archéologique national, Naples. ©Wikimedia Commons.

• Adulescens
Alors que la tragédie met en garde contre les désastres de la passion, la comédie offre le spectacle
du triomphe de l’amour. Mais le véritable héros n’est jamais le jeune premier des romans et des
contes de fées : sur la scène comique, le fils de famille (adulescens) est un amoureux transi, prêt à
désobéir à son père et à faire toutes les dépenses que sa passion exigera  ; souvent niais et
pleurnichard, il apparaît bien incapable de surmonter seul les obstacles de ce traditionnel parcours
initiatique qu’il doit subir avant de parvenir à l’objet désiré. Il y a, comme dit encore Mauron,
«  dissociation du désir et de la technique, car ce n’est pas le même personnage qui désire et qui
invente » (o. c.).
En effet, le fils de famille fait piètre figure auprès de son serviteur habile et dévoué qui assume la
direction des opérations. Ce "double" de condition servile est bien plus hardi et plus intelligent que
lui : en déjouant l’autorité du père à la place du fils, c’est lui qui assure la revanche sur la réalité.

Adulescens et servus Térence

Le jeune homme (adulescens) et l’esclave (servus) dans Les Adelphes de Térence, manuscrit
enluminé (début du IXe siècle), Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Paris.
©BnF, Gallica.

• Servus
Comme le dit Molière, « dans toutes les comédies anciennes, on voit toujours un valet bouffon qui
fait rire les auditeurs » (L’Impromptu de Versailles, scène I).
Sur scène, l’esclave est vêtu d’une tunique courte et d’un petit manteau qu’il rejette sur l’épaule pour
courir plus vite quand il est pressé ou qu’il fait semblant de l’être (servus currens, "l’esclave courant",
parfois même au milieu du public).
Il porte une perruque rousse (cette couleur est traditionnellement considérée comme un élément
très dépréciatif).
Esclave Plaute

Acteur comique dans le rôle d’un esclave assis sur un autel, marbre trouvé à Rome (colline du
Caelius), Ier siècle, British Museum, Londres. ©British Museum.

À Athènes, à la fin du IVe siècle avant J.-C., c’est Ménandre qui a mis en scène ce type de
personnages promis au plus grand succès. Dans le Dyskolos ("le grincheux" misanthrope), l'esclave
fripon, Daos aide les "fiancés" à se tirer d'affaire aux dépens du vieux paysan hargneux.
Aussi impudent qu’ingénieux, sûr de son succès, bravant les coups, s’amusant à tourmenter le jeune
maître qu’il sert, le servus callidus (l’esclave rusé) devient le véritable roi de la palliata : il s’impose
comme le maître d’un jeu où l’intelligence jouit de son pouvoir de manipulation  ; enivré de son
importance jusqu’à l’héroïsme désintéressé, il risque tout, menaces et châtiments, pour faire rire et
rester à la hauteur de sa réputation.
Les titres mêmes de plusieurs comédies de Plaute, qui portent le nom de l’esclave rusé, montrent
bien le succès de ce type traditionnel : Epidicus (littéralement "réclamé en justice" en grec), Stichus
("la rangée" en grec), Truculentus ("Le Bourru"), Pseudolus ("L'Imposteur").
C’est Plaute, en effet, qui met en valeur les rôles d’esclaves de manière originale et déploie
brillamment leurs talents de "fieffés coquins" : dans l’Asinaria ("La Comédie des ânes"), le fripon
s’approprie le prix de vente d’un troupeau d’ânes ; dans Mostellaria ("La Comédie du fantôme"), il fait
croire au père que sa maison est hantée et que le fils doit emprunter une grosse somme pour
acheter celle du voisin ; dans l’Aulularia ("La Marmite", dont Molière fera L'Avare), il subtilise l’argent
du maître caché dans le précieux récipient ; dans Curculio ("Le Charançon") et Pseudolus, il s’empare
de la lettre d’introduction d’un militaire amoureux qui veut acheter la belle.
Esclaves Plaute

Acteur interprétant le rôle d’un esclave, statuette en bronze, début du IIIe siècle ap. J.-C. Palazzo
Massimo alle Terme, Rome. ©Wikimedia Commons.
Dessin d’une statuette romaine d’acteur comique dans le rôle d’un esclave (voir ci-dessus), 1805,
British Museum, Londres. ©British Museum.
 

Autres personnages : types et fonctions


Autour de ce "noyau" fondamental gravitent d’autres personnages apparaissant en fonction de
l’intrigue.
• Le leno : proxénète marchand d’esclaves femmes ; il joue aussi les entremetteurs.
• Le parasitus (parasite) : pique-assiette ; de naissance libre, il a choisi de se mettre au service d’un
maître pour subsister.
• Le miles gloriosus (soldat fanfaron) : militaire vantard et ridicule ; il se targue d’exploits qu’il n’a pas
réalisés.

Du côté des femmes


Les personnages féminins - tous joués par des hommes - sont plus effacés que les personnages
masculins dans les comédies de Plaute et de Térence (dans les 21 pièces de Plaute qui nous sont
parvenues, on compte 154 rôles masculins et 54 rôles féminins).
• La puella (jeune fille) aimée du fils de famille est une belle virgo (vierge), pauvre et obéissante,
souvent réduite par les événements au rôle de meretrix (prostituée), mais qui recouvre son statut
d’héritière de bonne famille (d’origine grecque) au dénouement. Si elle est au cœur de l’intrigue, elle
participe peu à l’action (son rôle est parfois muet).
• La meretrix (prostituée) est une "courtisane", libre ou esclave, sous l’autorité d’un leno ou d’une
lena.
• La lena (mère maquerelle), version féminine du leno, est une vieille femme, libre ou esclave,
généralement une ancienne courtisane, qui conseille la meretrix, dont elle peut être la mère.
• La matrona (matrone) est une femme mûre de naissance libre, le plus souvent mariée ou veuve, et
généralement mère d’un adulescens (le jeune homme) ou d’une puella (la jeune fille).
• La nutrix (nourrice), une vieille femme (anus) qui a élevé la puella et contribue à sa reconnaissance
en tant que jeune fille de bonne famille.
• L’ancilla, esclave de sexe féminin, est au service de la matrona ou de la meretrix.

"La société comique"


Voici comment Florence Dupont résume la représentation d’une comédie latine :
«  La scène a été occupée par des personnages tous ridicules qui constituent la société comique :
des vieillards acariâtres et avares, des jeunes gens amoureux, pleurnichards et sans un sou, des
esclaves qui courent dans tous les sens afin de donner aux jeunes gens la femme qu’ils aiment et
l’argent pour banqueter avec elle et leurs amis. Ils prononcent sans arrêt des mensonges, se
travestissent, montent des intrigues tortueuses. Tout ce monde chante et danse selon son rôle. Les
vieillards ont une voix de basse, un rythme lent, les jeunes gens piaillent et se plient en deux de
douleur. Les esclaves, rouquins à gros mollets, courent, bondissent, inventent, savent tout faire et
tout imiter. Soudain passe une courtisane, tous voiles dehors, elle se tortille agréablement et lance
des regards de feu à celui qui est susceptible de payer. Des personnages odieux, comme les
banquiers et les maquereaux, obèses et grimaçants, attirent la haine joyeuse du public. Le parasite,
grande asperge molle et pâle, toujours en quête d’un banquet pour s’y faire inviter, hurle à la mort sur
un ton très aigu. Le public rit de ses malheurs et de sa silhouette équivoque. Tout finit dans une
farandole générale, le jeune homme a la fille et l’argent pour faire la fête, le banquier est jeté dehors,
volé et étrillé, le père se résigne à payer, l’esclave boit un coup, le parasite est invité à s’empiffrer
avec les jeunes gens. On applaudit et les spectateurs sortent banqueter de leur côté. »
(La Vie quotidienne du citoyen romain sous la République, Florence Dupont, Hachette, 1989,
disponible sur Gallica)

De la comédie latine à la commedia dell’arte


Genre théâtral populaire et comique, la commedia dell’arte fit son apparition en Italie au XVe siècle
avec des troupes d’acteurs souvent itinérants. Leur succès franchit rapidement les Alpes et, sous
l’impulsion de sa mère Catherine de Médicis, le roi Henri III fit venir pour la première fois en France
(1576) une troupe de comédiens italiens, les Gelosi (les "jaloux" de plaire).
Les personnages de la commedia dell’arte incarnent des "caractères" universels, quasi immuables
depuis l'Antiquité, auxquels s’ajoutent des caractéristiques régionales  ; ils sont facilement
identifiables par leurs masques et leurs costumes : le jeune couple d’amoureux, les vieillards avares
et butés, les serviteurs rusés.
Tout droit issus des esclaves de l’atellane (voir dans le "Petit dictionnaire pour découvrir le théâtre
latin") et de la comédie latine, les zanni (valets bouffons) sont les principaux moteurs de l’intrigue. Ils
sont spécialisés en deux types complémentaires : le balourd Arlecchino (Arlequin) et le fourbe
Brighella, tous deux venant de Bergame.
Pulchinella (Polichinelle) vient de Naples ; Il Dottore (le Docteur) Gratiano, pédant et ignorant, de
Bologne. Marchand venu de Venise, Pantalone (Pantalon) incarne le vieux bourgeois grincheux et
avare ; les fanfarons, Capitano (le Capitaine), Scaramuccia (Scaramouche), Fracassa (Fracasse) sont
les héritiers du miles gloriosus de Plaute - et les frères du capitan espagnol Matamoros (Matamore).
Les rôles féminins sont tenus par des femmes, innovation théâtrale sans précédent dans les autres
pays d’Europe où tous les personnages sont joués par des hommes (comme dans l’ensemble du
théâtre antique). Les soubrettes, Colombina, Silvia, et les jeunes premières, Isabella, Flaminia,
portent des costumes de fantaisie et évoluent sans masque, comme leurs amoureux (Lelio).
Les canevas de la commedia dell’arte étaient construits en fonction des acteurs disponibles et de
leurs lazzi les plus réussis. Les lazzi sont de petits jeux de scène écrits et répétés à l’avance par un
comédien : choisis pour leur grand potentiel comique et spectaculaire, ils sont faciles à réutiliser
d’une intrigue à une autre.

Commedia dell' arte

"Troupe de comédiens italiens" (sans doute la célèbre troupe des Gelosi), env. 1580, Musée
Carnavalet, Paris. ©Wikimedia Commons.
L’amoureux, caché derrière un rideau, fait passer un message à sa bien-aimée par un entremetteur
sous l’œil soupçonneux du barbon Pantalon (en rouge et noir) suivi de son valet.
Sommaire du dossier
CONFRONTER LA COMÉDIE CLASSIQUE À LA COMÉDIE LATINE

Accueil du dossier

Plaute : repères biographiques, répertoire des œuvres

Térence : repères biographiques, répertoire des œuvres

Le Phormion de Térence : une page de manuscrit à déchiffrer

Au théâtre à Rome : quelques repères

Petit dictionnaire pour découvrir le théâtre latin

\ La comédie latine : intrigues et personnages

Le théâtre romain

Plaute et Molière : de la marmite d’Euclion à la cassette d’Harpagon

Molière mauvais acteur tragique ?

La comédie du ridicule

Médecins, médecine et maladie dans le théâtre de Molière

Réflexions sur la mort de M. de Molière en habit de médecin imaginaire

À consulter :
Marion Faure-Ribreau, Pour la beauté du jeu. La construction des personnages dans la
comédie romaine (Plaute, Térence), Les Belles Lettres, 2012.
Marion Faure-Ribreau, « Ce que les femmes se disent entre elles : les duos féminins dans
la comédie romaine », Cahiers « Mondes anciens », 3 | 2012, « Femmes de paroles. Voix

énonciatives et pragmatique des formes de discours ».


Céline Candiard, « Âge et numéro d’acteur de la comédie romaine à Louis de Funès »,
Recherches & Travaux, 86 | 2015, « Jouer (avec) la vieillesse ».
 
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