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Cette place ne doit rien au hasard car si cette fable est une réécriture de celle d’Esope
(fabuliste du VII-VIème siècle avant J.-C), elle met en place les deux visions du monde
qui animent La Fontaine.
La Fontaine se garde par ailleurs de donner une morale explicite à sa fable : il s’agit donc
d’un apologue à la morale ambiguë.
I – Un apologue plaisant
A – Un récit plaisant
« La cigale et la fourmi » est une réécriture de la fable d’Esope, un fabuliste grec du
VIIème- VIème siècle avant J.-C.
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Cette réécriture a tout pour plaire. Tout d’abord, l’utilisation des animaux doués de parole
est une stratégie traditionnelle chez les fabulistes qui utilisent l’anthropomorphisme
pour déceler le défaut des humains.
Le bestiaire utilisé par La Fontaine dans cette fable met ainsi en valeur de façon
plaisante deux types humains opposés.
Les heptasyllabes (vers de sept syllabes) donne une vivacité au récit. Le complément
circonstanciel « “Tout l’été” » constitue même un vers de trois syllabes, ce qui crée un
effet d’accélération.
Cette vivacité est renforcée par la présence de dialogues qui animent le récit et lui
donnent un aspect théâtral.
B – Une saynète
La fable « la cigale et la fourmi » ressemble à une saynète (courte pièce de comédie).
Au début du dialogue, La Fontaine distribue la parole par les incises « “lui dit-elle »,
« Dit-elle à cette emprunteuse” », puis les animaux poursuivent le dialogue sans
l’intermédiaire du narrateur comme si les animaux prenaient leur autonomie comme le
montre l’effet d’écho « “Je chantais, ne vous déplaise / Vous chantiez ?” ».
Ces effets d’écho ressemblent aux stichomythies du théâtre comique qui mettent en
scène la lutte verbale entre deux personnages.
Généralement, un apologue est un récit conclu par une morale. Dans « La cigale et la
fourmi », la fable se conclut pas la prise de parole de la fourmi.
Il y a bien une chute puisque la fourmi reprend ironiquement le verbe chanter utilisé par
la Cigale : « “Vous chantiez, j’en suis fort aise / Et bien ! dansez maintenant.” »
Ainsi, comment comprendre cette fable ? Faut-il se laisser porter par l’ironie de la
Fourmi ou ne peut-on pas comprendre autrement cette rencontre entre deux types
incarnant deux visions du monde opposées ?
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L’extrême pauvreté est soulignée par l’insistance sur la négation « “pas un seul petit” ».
La Cigale met en place une stratégie de mendicité : elle prétend pouvoir rembourser la
fourmi. Mais les promesses de cette chanteuse n’inspirent pas confiance.
Par ailleurs la Cigale cherche « “Quelque grain pour subsister / Jusqu’à la saison
nouvelle ». L’effet de suspens créé par l’enjambement conduit à une déception car en
disant « ‘Jusqu’à la saison nouvelle’ », le lecteur découvre que la Cigale compte, non se
mettre à travailler, mais reproduire exactement le même scénario l’année suivante.
Le personnage n’apprend donc rien de la vie et des épreuves.”
La Fontaine fait donc le portrait sans concession d’une cigale oisive, épicurienne. Elle
incarne ce que Diderot appellera les « parasites », les artistes cherchant un mécène dont
ils dépendent.
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Au début du texte, elle n’est qu’une « voisine » et a donc une place périphérique.
Mais par la suite, « La Cigale » est désignée par la périphrase péjorative « “cette
emprunteuse” » qui adopte le point de vue de la fourmi.
La Fourmi semble d’autant plus prendre le dessus qu’elle manie l’ironie. « “Vous
chantiez ? j’en suis fort aise / Eh bien ! dansez maintenant” ». La Fourmi reprend le terme
de la Cigale immédiatement employé avant son intervention « “Je chantais” ». Mais elle
reprend aussi ironiquement le « “fort dépourvue” » du début du texte par un cinglant
« “J’en suis fort aise” ». Elle a donc la puissance de la parole.
Il ne faut pas oublier que le 17ème siècle est le siècle du mercantilisme mis en place en
France par Colbert. L’économie française est en pleine expansion et d’après la doctrine
économique du mercantilisme, le Roi doit s’appuyer sur une classe de marchands pour
dynamiser l’économie française et la conduire vers le progrès. La Fourmi représente
l’esprit mercantiliste et rationnel qui privilégie le calcul et la raison sur les passions.
Sur un plan philosophique et littéraire, la fourmi incarne aussi l’idéal classique qui, par
la mesure et la raison, ne laisse rien au hasard ou à l’aventure.
La Cigale représente plutôt l’esprit baroque qui va « à tout venant » tourne en rond et
heurte le sens de l’effort et de la mesure.
Transition : Cette fable serait-elle une ode à la prévoyance et une critique sévère de
l’oisiveté ? Cela n’est pas si simple car La Fontaine demeure un épicurien. Il prend
même des distances avec ce personnage modèle qu’est la fourmi et propose un
autre modèle philosophique.
A – L’égoïsme de la fourmi
A la caricature « “emprunteuse” », La Fontaine répond par effet de rime pas une autre
caricature : « “La Fourmi n’est pas prêteuse” » ce qui ramène la Fourmi à l’archétype
de l’Avare si souvent moqué dans les satires ou au théâtre (L’Avare de Molière la même
année en 1668).
Le vers qui suit « “C’est là son moindre défaut” » suggère que l’auteur pourrait dresser
un portrait satirique sans concession du personnage.
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De plus, la fourmi profite de sa position de force avec une méchante jubilation. Les
questions qu’elle pose à la cigale sont des questions rhétoriques (dont elle connaît la
réponse) pour pousser la Cigale à l’aveu et renforcer son humiliation.
La Cigale est en outre marquée par la générosité. « : « “Nuit et jour à tout venant / Je
chantais […]” ». Elle distribue son art à tout le monde au hasard des rencontres.
L’absence de morale dans « La cigale et la fourmi » permet à La Fontaine de jouer avec
son lecteur en valorisant tout à tour un personnage puis l’autre.
S’il ne fait pas de choix explicite, il est fort à parier que l’épicurien La Fontaine porte un
regard bienveillant sur sa Cigale qui reflète l’ordre aristocratique face au nouvel ordre
triomphant des marchands.
La Fontaine reste un homme de son temps : il voit les mérites des valeurs nouvelles
de prévoyance et d’individualisme, mais il en perçoit aussi les limites.
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