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ÉVANGÉLISER LA GÉNÉRATION CO

Le défi de la synodalité

Nathalie Becquart

Editions jésuites | « Lumen Vitae »


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2018/2 Volume LXXIII | pages 151 à 159
ISSN 0024-7324
ISBN 9782873245887
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-lumen-vitae-2018-2-page-151.htm
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Revue Lumen Vitae
Vol. LXXIII, no 2 – 2018 (pp. 151-159) doi : 10.2143/LV.00.0.0000000

Évangéliser la génération CO
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Le défi de la synodalité

Par Nathalie BECQUART1

« Aujourd’hui nous sommes à une


période nouvelle. (…) ce n’est pas une
époque de changement, mais c’est un
changement d’époque2. »
Pape François

U n monde s’efface et s’effondre, un autre monde est en


train d’avenir en cette période de mutations accélérées.
Nous sommes en train de passer de la culture de l’écrit à
la culture des écrans. La révolution numérique et le développement de
l’innovation technologique gagnent toutes les sphères de la vie et indui-
sent de nouvelles pratiques. Affrontés au choc des changements
sociaux et confrontés à de multiples défis, nous vivons un profond chan-
gement culturel, dont sans doute nous n’avons pas encore pris la
mesure, et dont les jeunes sont les premiers porteurs et acteurs. Nous

1 Nathalie BECQUART, xavière, Directrice du Service national pour l’évangélisation des


jeunes et pour les vocations depuis septembre 2012 à la Conférence des évêques
de France. Membre du Conseil épiscopal du diocèse de Nanterre depuis 2015, elle
est aussi Vice-présidente du Service européen des vocations depuis 2016. –
Adresse : Xavières, rue d’Issy, 5, F-92170 Vanves ; courriel : nathalie.becquart@cef.fr.
2 Pape FRANÇOIS, Discours aux évêques du Brésil, JMJ, Rio de Janeiro, 27 juillet
2013. Cf. supra, p. 141, note 3.

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voyons en effet chez les moins de trente ans comme avec un miroir
grossissant les tendances émergentes et les évolutions de fonds qui tra-
versent toute la société. Dès lors, réfléchir à la mission de l’Église auprès
des jeunes aujourd’hui, c’est prendre acte de ce changement de monde
et chercher à comprendre cette nouvelle culture postmoderne numé-
rique à l’œuvre avec ses nouveaux codes et langages et entrer dans
une démarche d’inculturation audacieuse. Et ce en marchant avec les
plus jeunes et en posant sur eux un regard d’abord bienveillant, un
regard d’espérance qui les considère comme des sujets pleinement
acteurs du présent et de l’avenir, et même des éléments moteurs de la
transformation de nos sociétés.
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Les jeunes, premiers moteurs de la réforme de l’Église et de
la transformation du monde

Telle est la perspective ouverte par la préparation du prochain


synode des évêques d’octobre 2018 sur « les jeunes, la foi et le discer-
nement des vocations ». Cette marche synodale voulue par le pape
François met un focus sur les jeunes de 16 à 29 ans et invite toute
l’Église à « s’interroger sur la façon d’accompagner les jeunes à recon-
naître et à accueillir l’appel à l’amour et à la vie en plénitude », mais aussi
à « demander aux jeunes eux-mêmes de l’aider à définir les modalités
les plus efficaces pour annoncer la Bonne Nouvelle3 ». Par-là, non seu-
lement l’Église vient marquer sa sollicitude envers les jeunes et se
mettre à leur écoute pour mieux les entendre et les comprendre, mais
surtout elle appelle à les considérer comme de véritables acteurs de la
transformation du monde et de l’évangélisation.
Si ce synode s’inscrit dans la continuité des deux synodes sur la
famille qui avaient déjà mis en lumière des thèmes liés aux jeunes
(cf. notamment le chapitre 7 d’Amoris Laetitia sur l’éducation), il sera
sans doute plus encore une étape « stratégique » pour accélérer la mise
en œuvre de la réforme actuelle de l’Église voulue par le pape François
dans un contexte où celui-ci insiste particulièrement sur l’enjeu de la
synodalité. En effet dans un des textes clés de son pontificat – le dis-
cours prononcé le 17 octobre 2015 pendant le synode sur la famille pour
la Commémoration du 50e anniversaire de l’institution du synode des
évêques –, le Pape dessine clairement la ligne à tenir :

« Le monde dans lequel nous vivons, et que nous sommes appelés à


aimer et à servir même dans ses contradictions, exige de l’Église le déve-
loppement de synergies dans tous les domaines de sa mission. Le che-
min de la synodalité est justement le chemin que Dieu attend de l’Église

3 Introduction du Document préparatoire au synode 2018.

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du troisième millénaire. » Et il poursuit : « Une Église synodale est une


Église de l’écoute, avec la conscience qu’écouter “est plus qu’en-
tendre”. » C’est une écoute réciproque dans laquelle chacun a quelque
chose à apprendre. »

Mon intuition est que la jeunesse actuelle, que je qualifie de


« génération CO », car elle est particulièrement marquée par le dévelop-
pement de l’esprit collaboratif – adepte de l’économie du partage, elle
aspire aux pratiques de co-construction4… – constitue un atout et un
moteur pour développer cette synodalité à tous les niveaux du fonction-
nement ecclésial. Mais plus encore, si elle est bien accompagnée et
soutenue par des aînés qui accueillent sa vitalité et sa créativité en lui
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transmettant sagesse et confiance, elle détient les réponses à inventer
pour sortir de la crise et des impasses du monde actuel.

« La jeunesse est la fenêtre à travers laquelle l’avenir entre dans le monde,


et elle nous propose donc de grands défis. Notre génération se révélera à
la hauteur de la promesse qui est en chaque jeune quand elle saura lui
offrir un espace et lui assurer les conditions matérielles et spirituelles
nécessaires à son épanouissement ; quand elle saura lui donner de
solides fondements sur lesquels il puisse construire sa vie et lui garantir la
sécurité et l’éducation afin qu’il devienne ce qu’il peut être ; quand elle
saura lui transmettre des valeurs enracinées pour lesquelles il vaille la
peine de vivre et lui assurer un horizon transcendant pour apaiser sa soif
de bonheur authentique et sa créativité dans le bien ; et quand elle saura
lui confier en héritage un monde qui corresponde à la mesure de la vie
humaine et réveiller en lui les meilleures potentialités pour être protago-
niste de son lendemain et coresponsable du destin de tous » (Pape Fran-
çois, Discours lors de la cérémonie de bienvenue, Rio le 22 juillet 2013).

Le pape François a particulièrement bien perçu combien ces nou-


velles générations postmodernes, plongées dans ce monde globalisé
en plein basculement et dans une société liquide, ont soif d’agir pour
changer ce monde qui les laisse insatisfaites. Cette génération char-
nière, en tension entre deux mondes, est en effet portée par une très
grande quête de sens et un désir de vivre sa vie, même si elle se heurte
souvent au monde ancien en crise5… Ainsi 76 % des jeunes français
estiment que la société n’accorde pas une place aux jeunes pour qu’ils
réussissent leur vie6 et beaucoup se considèrent comme une génération

4 Comme on peut le voir à travers le développement du covoiturage, des colocations,


du crowdfunding, des processus de démocratie participative… et tout ce que
Jérémy Rifkins appelle les « communaux collaboratifs ».
5 Cf. selon les mots de la sociologue Cécile VAN DE VELDE, spécialiste de la jeunesse,
interviewée dans Le Monde du 23 novembre 2017.
6 Selon une étude publiée en mai 2016 par l’Association nationale des conseils d’en-
fants et de jeunes (ANACEJ) et l’institut d’études IFOP.

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sacrifiée7. Les jeunes manifestent en effet un grand besoin d’être écou-


tés et reconnus, un besoin de se sentir utiles et une soif d’engagement,
mais ont l’impression de ne pas toujours être entendus et pris en compte
dans une société qui a du mal à leur faire confiance. Par ce synode bien-
venu, « l’Église veut écouter la voix, la sensibilité, la foi, et aussi les
doutes et les critiques des jeunes. Faites entendre votre cri, laissez-le
résonner dans les communautés et faites-le arriver aux pasteurs », écrit
le pape François, dans sa lettre publiée en janvier 2017 en même temps
que le Document préparatoire au synode.
Pour lancer la phase de consultation devant aboutir en mai/juin
2018 à la publication de l’Instrument de travail qui servira de base aux
pères synodaux, ce document déploie d’ailleurs dans son plan8 cette
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démarche fondamentale d’écoute bienveillante et d’accueil de la réalité
actuelle des jeunes, caractéristique de l’accent fort mis par le pape Fran-
çois sur le dialogue et l’écoute. Déjà dans le paragraphe 105 de son
exhortation apostolique Evangelii Gaudium, il faisait ce constat et des-
sinait l’horizon à atteindre :

« La pastorale de la jeunesse, telle que nous étions habitués à la déve-


lopper, a souffert du choc des changements sociaux. Dans les structures
habituelles, les jeunes ne trouvent pas souvent de réponses à leurs
inquiétudes, à leurs besoins, à leurs questions et à leurs blessures. Il
nous coûte à nous, les adultes, de les écouter avec patience, de com-
prendre leurs inquiétudes ou leurs demandes, et d’apprendre à parler
avec eux dans le langage qu’ils comprennent. »

Depuis le début de son pontificat, le pape François, en éducateur


façonné par sa formation jésuite, accorde une attention particulière aux
jeunes, sans oublier pour autant les aînés. Sans doute compte-t-il particu-
lièrement sur eux pour mener à bien la transformation missionnaire de
l’Église appelée à vivre une conversion pour « sortir » et aller aux périphé-
ries. C’est en marchant ensemble avec les jeunes que nous pouvons écou-
ter l’Esprit Saint tels des guetteurs du monde en émergence et lire les
signes des temps dont ils sont les premiers porteurs. À travers ce synode,
l’Église souhaite rejoindre et évangéliser les jeunes pour qu’ils s’engagent
toujours davantage à rendre le monde meilleur en sortant de leur canapé.

7 Selon les résultats de l’enquête 2013 « Génération quoi ? », auprès des 18-34 ans.
8 Une première partie avec une approche plus sociologique essaie de faire un état
des lieux de la culture actuelle des jeunes, du monde dans lequel ils grandissent et
qui les façonne, en soulignant quelques grandes caractéristiques de la jeunesse
contemporaine. La deuxième partie, plus spirituelle et théologique, décrit de
manière très pédagogique ce qu’est le processus de discernement et d’accompa-
gnement des jeunes sur le chemin de la foi et de la découverte de leur vocation. La
troisième partie, plus pastorale, donne des repères et pistes concrètes pour une
pastorale des jeunes et des vocations dans le monde d’aujourd’hui.

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Pour cela, elle continue de déployer une posture pastorale fondée sur ces
deux mots phares que sont l’accompagnement et le discernement.

Quelques traits caractéristiques des générations Y et Z


nées dans les années 1990 et 2000

Réaliste, mature et autonome, pragmatique et créative, cette nou-


velle génération est souvent qualifiée de génération EPIC. E comme
expérientielle : les jeunes aiment apprendre par l’expérience, le « lear-
ning by doing » et le « do it yourself » ont le vent en poupe. P comme
participative car ils aiment être associés aux choix qui les concernent et
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plébiscitent l’interactivité, n’aimant guère rester passifs. I comme image,
car leurs langages premiers sont des langages d’images, de vidéos et
de musiques, ils utilisent largement les émoticônes pour s’exprimer.
C comme connectée.
Quatre images peuvent aussi nous aider à appréhender ces « digi-
tal natives » :
♦ L’image du réseau, car les jeunes fonctionnent de plus en plus
en réseau. Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Insta-
gram…), en plein boom depuis quelques années, sont devenus
comme le symbole de cette culture postmoderne numérique.
Un réseau social est un ensemble de personnes en interaction,
en relations interpersonnelles. Cette image nous dit combien
aujourd’hui la relation est au centre. Pour l’individu démocra-
tique, autonome et libre, en quête de soi, tout passe de plus en
plus par la relation interpersonnelle.
♦ L’image de la mosaïque, car, dans cet univers, les jeunes
construisent leur identité dans une logique d’expérimentation
et non plus de reproduction. Cela donne des identités ouvertes
et plurielles telle une mosaïque puisque les jeunes avancent
dans la vie en expérimentant de multiples appartenances selon
les opportunités qui se présentent sur leur chemin. Ce n’est
plus le groupe englobant qui leur donne une identité consis-
tante et fixe. Chacun doit construire sa vie et ne souhaite pas
rentrer dans des cadres prévus à l’avance, c’est pourquoi il
tâtonne sans certitudes prédéfinies et sans la sécurité donnée
d’emblée par une identité héritée. Et ils sont plongés dans un
monde de plus en plus pluriel, composé d’individus singuliers
aux parcours de plus en plus individualisés.
♦ L’image de la mer pour décrire cette société liquide et fluide. Les
jeunes grandissent dans cette vision d’un avenir incertain, impré-
visible, angoissant… Notre monde en pleine mutation est mou-

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vant comme la mer. La mer est aussi le symbole de cette mobilité


croissante, caractéristique première de la jeunesse actuelle.
♦ L’image du LOL (Laughing Out Loud = « mort de rire » en lan-
gage SMS). Dans notre société du spectacle, le ludique a le
vent en poupe. Ce que les jeunes échangent le plus aujourd’hui
sur internet, ce sont des vidéos humoristiques. Finalement, la
plupart ont un rapport à la vie comme à un jeu. Selon le socio-
logue Aurélien Fouillet9, nous sommes passés de l’« homo
faber » sérieux et travailleur à l’« homo ludens ». Les loisirs ont
pris de plus en plus de place, la « cool attitude » est promue sur
les médias à travers de nombreux shows et émissions de diver-
tissements. Pour mobiliser, convaincre, susciter l’intérêt, créer
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du « buzz », mieux vaut utiliser quelques phrases-choc et faire
de l’humour que de déployer dans un style austère une argu-
mentation raisonnée et approfondie… Car les jeunes fonction-
nent de plus en plus à l’affect, avec pour moteur la passion.
Priment l’émotion, les sensations, l’intuitif, le symbolique et l’ar-
tistique sur le conceptuel.

Un nouveau rapport à la foi et à l’Église

Dans une société plurielle, complexe et profondément sécularisée,


les jeunes catholiques engagés sont devenus très minoritaires. Seul un
petit pourcentage des 18-24 ans vont à la messe tous les dimanches.
Et pourtant, 42 % des 18-30 ans en France se disent catholiques et la
moitié d’entre eux pensent que Dieu existe10. Nous observons d’ailleurs
depuis quelques années un vrai renouveau de la pastorale des jeunes
en France avec beaucoup d’initiatives, de créativité missionnaire, une
augmentation d’effectifs dans les mouvements de scoutisme, les aumô-
neries étudiantes, un grand dynamisme autour des JMJ, un nombre
croissant de jeunes catéchumènes… Que se passe-t-il ? La foi n’a pas
disparu, mais elle s’exprime de façons nouvelles.
Contrairement à ce que beaucoup pensent encore, nous sommes
aujourd’hui sur un terrain très favorable pour la mission et l’annonce de
l’Évangile. Une grande et forte quête de sens et soif spirituelle habitent
nos contemporains en particulier les plus jeunes de la génération Y (les
15-24 ans) et de la génération Z qui les suit (moins de 15 ans). Comment
l’expliquer ? Dans une société complexe, fugace, hyperconnectée et
9 Cf. Intervention d’Aurélien FOUILLET, membre du Centre d’Étude sur l’Actuel et le
Quotidien, spécialiste de la sociologie de l’imaginaire, à l’équipe nationale du MCC :
www.jeunes-vocations.catholique.fr/reflexions-et-etudes/jeunes/la-generation-
y.html.
10 Selon le sondage Opinion Way, La Croix/SNEJV de juillet 2016.

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fragmentée, les jeunes ont soif de sens et de spiritualité. Grandir dans


des familles souvent fragilisées, construire son identité, faire les bons
choix, vivre sa foi dans une société plurielle et sécularisée sont autant
de défis qui s’imposent aux jeunes. L’écologie, la pauvreté et la paix res-
sortent aussi comme des préoccupations majeures de cette génération.
Cette nouvelle ère de la foi est caractérisée par un changement
de rapport à l’autorité et aux institutions, une autre manière d’articuler
l’individu et la communauté. L’entrée dans la foi aujourd’hui est éminem-
ment personnelle, fondée sur une expérience. Nous sommes sortis d’un
catholicisme sociologique. Pour les jeunes adultes, se dire catholique et
vivre sa foi dans une société qui n’est plus chrétienne, c’est un acte
extrêmement fort, un choix personnel fondé sur la rencontre personnelle
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du Christ. Les itinéraires de foi sont de plus en plus singuliers. La porte
d’entrée dans l’Église est bien souvent d’abord pour les plus jeunes la
relation à Dieu et non en premier lieu l’appartenance à une commu-
nauté. Cela ne veut pas dire que les jeunes n’ont pas soif d’être
ensemble. Au contraire, ces « individualistes solidaires » ou « individua-
listes collaboratifs » comme les appellent les sociologues ont soif de
communion, mais ils ont besoin de vibrer pour être ensemble, d’expéri-
menter pour adhérer, d’être acteurs des lieux et processus de socialisa-
tion refusant un collectif qui prime sur l’individu. Dès lors, le grand défi
de la mission de l’Église dans cette société post-sécularisée, c’est de
rejoindre et accompagner chacun et de trouver de nouvelles manières
pour faire communauté à partir d’individus singuliers qui ont besoin
d’être reconnus dans leur singularité. Cela demande des projets fédé-
rateurs, un tissage de la fraternité au quotidien, des cadres et des lieux
pour l’expérience trinitaire et cheminer avec le Christ afin de découvrir
comment vivre en chrétien dans une société qui ne l’est plus.
Ainsi cette génération, traversée par une soif de spiritualité, cherche
une Église non pas institutionnelle, mais relationnelle, évangélique, simple
et joyeuse à l’image du pape François. Même si on perçoit aussi des
accents qui peuvent être différents – voire des clivages entre différents
types de jeunes catholiques – avec certains qui mettent davantage en
avant la demande d’enseignement et de formation, et l’attente d’une
Église phare avec une identité claire et forte. Les jeunes attendent surtout
une Église qui donne pleinement sa place aux jeunes et qui les accueille
tels qu’ils sont sans les juger, c’est-à-dire une Église proche, accessible,
bienveillante, qui offre aussi du vivre-ensemble, de la rencontre, de la fra-
ternité, notamment par de grands rassemblements, des projets mobilisa-
teurs. Mais ils demandent aussi une Église qui nourrisse la vie intérieure
et spirituelle, forme et soutienne la prière, aide à lire la Bible… Aussi cette
génération de croyants, avec une grande soif de prière/spiritualité, peut-
elle sans doute être qualifiée de « mystique ». Elle emploie d’ailleurs faci-
lement le mot de « famille » pour parler de son expérience et sa vision de

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l’Église. Comme l’a montré la synthèse des réponses françaises à la


consultation synodale11, beaucoup de jeunes expriment une vision de
l’Église non pas institutionnelle, mais relationnelle.
De plus en plus les acteurs de la pastorale des jeunes ont pris acte
de cela et apprennent ainsi à dire la foi dans un langage de musique et
d’images, d’Internet et de réseaux sociaux, dans un langage symbolique
plutôt qu’abstrait. Un bon guide pour l’annonce de l’Évangile dans cette
nouvelle culture est le pape François. Son style et ses paroles rejoignent
et touchent les jeunes connectés, globalisés et de plus en plus mobiles,
car il est très en phase avec la culture actuelle des jeunes qui fonctionne
à l’affect, et déploie un nouveau rapport au temps et à l’espace. Son
authenticité, sa spontanéité, sa manière de parler simplement avec des
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images, et surtout sa proximité, parlent et touchent ! Il est même devenu
la personne la plus influente sur Internet ! Tout en ne cessant de tourner
chacun vers le Christ. Il a compris qu’aujourd’hui, la relation est au centre,
que les gens n’attendent pas des experts de la foi qui parlent de leur pié-
destal, mais des témoins accessibles dans une posture de réciprocité et
de dialogue. La culture actuelle des jeunes de la « société de la commu-
nication et de la conversation » nous pousse ainsi à aller au bout de la
réception de Vatican II et de sa mise en œuvre à laquelle Paul VI invitait
dans sa belle encyclique Ecclesiam Suam : « L’Église se fait message,
l’Église se fait conversation ». Dans ce monde bombardé d’informations
où les médias imprègnent et façonnent de plus en plus les mentalités,
nos contemporains et en particulier les jeunes ont une grande soif de
relations vraies, la mission commence par une qualité d’accueil et de rela-
tion. Aujourd’hui, la forme du message importe tout autant que le fond,
les jeunes sont particulièrement sensibles à l’image, au style, au « pac-
kaging » des propositions spirituelles. À nous de rendre la vérité du Christ
attractive et populaire par la joie qui en émane pour faire buzzer la rumeur
de Pâques.

Une nouvelle période de post-sécularisation ?

Pour conclure cette plongée dans la planète jeune, je fais l’hypo-


thèse que nous sommes entrés dans l’ère de la post-sécularisation. De
mes nombreux échanges avec des responsables pastoraux d’autres
pays d’Europe et du monde lors de rencontres d’Église au niveau euro-
péen et international, j’ai acquis la conviction que la France, qui a été
historiquement le premier pays à entrer dans le processus de séculari-
sation, est aujourd’hui le premier pays arrivé au bout de ce processus
que les autres pays vivent après nous de manière plus ou moins décalée

11 Disponible sur www.jeunes-vocations.catholique.fr/ressources/dossiers/dossier-


synode-2018.html.

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Évangéliser la génération CO

dans le temps. Cela explique d’ailleurs pourquoi l’Église de France est


maintenant regardée comme un véritable laboratoire. Car nous avons
appris à faire autrement et avons découvert que la sécularisation, accen-
tuée peut-être chez nous par une conception très particulière de la laï-
cité, n’est pas la catastrophe ou la fin du monde… Cela donne une
expérience très intéressante et stimulante pour l’annonce de la foi à frais
nouveaux dans ce qu’il faut maintenant appeler je crois une nouvelle
période de la post-sécularisation. Car s’est ouverte une nouvelle ère
déroutante, mais passionnante, avec un terreau très en attente par rap-
port à la Bonne Nouvelle de Pâques.
Nous sommes au bout de quelque chose, autre chose redémarre
autrement d’un nouveau rapport au religieux et à la foi si nous sommes
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capables d’être davantage à l’écoute de ce qui germe et de penser une
Église en émergence, d’accepter des pastorales du provisoire pour
répondre dans une dynamique pascale aux questions existentielles qui
traversent de plus en plus nos contemporains aspirant à autre chose que
le matérialisme et la consommation à outrance. Aujourd’hui, les jeunes,
qui vivent davantage dans l’intensité du présent, sont en quête d’un bon-
heur d’abord fait d’une vie affective riche, d’un travail qui puisse avoir du
sens, et cherchent pas à pas comment traverser les tempêtes de la vie
puisque la crise de l’individu et de la société est devenue structurelle. Dès
lors, le défi de la mission auprès des jeunes dans ce monde post-sécu-
larisé est de prendre acte de ce véritable changement de paradigme pour
entrer dans une démarche d’inculturation en cette nouvelle culture à
l’œuvre et de repenser les modalités de la mission et de l’évangélisation
dans ce nouveau contexte en s’appuyant sur les jeunes eux-mêmes. La
soif de Dieu et les attentes spirituelles sont immenses. Oserons-nous être
assez proposants, créatifs et audacieux pour y répondre ?

EVANGELIZING GENERATION CO : THE CHALLENGE OF SYNODALITY


In a constantly changing world that faces great cultural and social
changes, young generations want to be heard and to take their place in
society. But more than that, bringing as they do new practices and ways
of seeing, they aspire to live their lives, find meaning and transform the
world in depth. By preparing for the synod of October 2018, the Church
focuses on 16-29 year-olds in order to listen to them and accompany
them in their choices. By walking with them, the Church tries to listen to
the way the Holy Spirit leads the youngest of the CO generation on a
search for an identity and form of coexistence that put relationships at
the centre and work in a greater spirit of cooperation than their elders had
done. No doubt Pope Francis recognised that he can rely on the
youngest in particular to develop synodality and contribute to the mis-
sionary transformation of the Church, which he calls upon to go forth ever
further to the peripheries to build a culture of encounter.

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