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La revue de médecine légale (2012) 3, 4—13

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ARTICLE ORIGINAL

La judiciarisation de la notion de dangerosité


The development of dangerousness as a legal concept

A. Taleb

ATER droit pénal et sciences criminelles, centre de droit pénal, université Jean-Moulin Lyon-3, 15, quai Claude-Bernard,
69007 Lyon, France

MOTS CLÉS Résumé La notion de dangerosité a intégré le champ pénal et est aujourd’hui plus que jamais
Droit pénal ; au cœur des politiques criminelles dont l’objectif principal est d’assurer la protection de la
Procédure pénale ; société. Toutefois, le caractère incertain de cette notion suscite des interrogations tant chez les
Dangerosité ; professionnels du droit que chez les experts cliniciens. L’évaluation de la dangerosité étant
Définition ; imparfaite en raison entre autres de l’absence de définition légale de la notion ainsi que de
Judiciarisiation ; l’interaction des conceptions criminologique et psychiatrique de la dangerosité, le traitement de
Évaluation ; celle-ci s’en trouve nécessairement affecté. Face à ces difficultés, le législateur a toutefois
Traitement ; exprimé sa volonté de lutter contre la dangerosité en faisant le choix d’une politique pénale
Effectivité ; sécuritaire dont la conformité aux libertés individuelles peut poser problème.
Politique criminelle # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Dangerousness as a legal concept has certainly been integrated into the criminal law
KEYWORDS and criminal justice systems. This concept appears to be a topical issue within criminal policies
Criminal law; whose main purpose is to ensure the protection of society. Nevertheless, the unpredictable nature
Criminal justice; of dangerousness has caused controversy among both legal professionals and clinical experts. Due
Dangerousness; to the lack of a specific definition of dangerousness as a legal concept and the interaction of
Definition; psychiatric and criminological conceptions of dangerousness, the assessment of the concept turns
Legal concept; out to be unreliable and consequently impairs the capacity of the legal system in treating it
Assessment; efficiently. Facing these difficulties, the legislator has however expressed his will to fight against
Treatment; dangerousness by implementing excessive security measures that threaten individual rights and
Efficiency; whose compliance with the rules of due process of law remains questionable.
Criminal policy # 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction selon la dangerosité du criminel1. Deux auteurs ont marqué


ce mouvement de manière significative. Dans un premier
La notion de dangerosité est d’abord mise en lumière par les temps, à l’origine de ce courant, se trouve la thèse du
criminologues positivistes proposant un traitement distinct déterminisme individuel défendue par Cesare Lombroso

Adresse e-mail : akila_ta@yahoo.fr.


1
Les auteurs positivistes proposaient en effet l’élimination des criminels-nés par la peine de mort ou la déportation perpétuelle, la
ségrégation à perpétuité des criminels fous dans des asiles ou encore la mise en œuvre de mesures restitutives à l’égard des criminels
d’occasion ou des criminels par passion.

1878-6529/$ — see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.medleg.2011.11.001
La judiciarisation de la notion de dangerosité 5

qui, dans son ouvrage « l’homme criminel », prône le posi- tendance oscillerait entre culpabilité et dangerosité. Pour le
tivisme anthropologique. Dans un second temps, Enrico Ferri citoyen dit « normal », le concept de culpabilité dominerait,
développe la thèse du déterminisme social et prône ainsi le la notion de dangerosité permettant simplement de
positivisme sociologique. La notion de dangerosité est compléter l’arsenal législatif. En revanche pour l’individu
ensuite reprise par l’école de la défense sociale nouvelle dangereux, le concept de dangerosité tendrait à dominer et à
au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Elle sert alors de l’emporter sur celui de la culpabilité. Dans certains cas la
fondement à l’élaboration d’une justice pénale plus efficace dangerosité existerait même indépendamment de toute
à travers la diversification des sanctions et ce par la prise en culpabilité. Si la dangerosité agit dans un premier temps
compte de la personnalité du délinquant. Le droit pénal ne se comme complément de la notion de culpabilité, elle tend
fonde alors plus seulement sur le trouble objectif causé à donc parfois à se substituer à cette dernière.
l’ordre social mais il repose également, de manière plus Mais s’il est incontestable que la notion de dangerosité est
subjective, sur la personnalité du délinquant et le niveau au cœur des préoccupations de la politique criminelle
de dangerosité qu’il représente pour la société. actuelle en ce qu’elle génère des conflits de société gérés
Il existe aujourd’hui clairement et indéniablement un au sein même de l’enceinte judiciaire, la réalité est toutefois
phénomène croissant et constant de judiciarisation de la plus complexe. Les concepts de culpabilité et de dangerosité
notion de dangerosité qui consisterait en l’intervention, voire se recoupent et les objectifs de rétribution et de prévention
en l’immixtion ou l’ingérence des acteurs pénaux dans la spéciale peuvent se cumuler si l’intérêt général le justifie.
gestion du phénomène de la dangerosité. Cette intégration Quoi qu’il en soit, qu’elle agisse comme complément ou
a été réalisée de l’intérieur [1], la notion de dangerosité ayant substitut vis-à-vis de la notion de culpabilité, il apparaît
été d’abord conceptualisée par la doctrine puis reprise par la essentiel que la notion de dangerosité puisse être maitrisée
jurisprudence avant d’être officialisée par le législateur. par le droit pénal, ce qui ne semble pas pour l’instant être le
L’investissement grandissant des pouvoirs publics et du cas, compte tenu des difficultés rencontrées. En effet, la
gouvernement dans la lutte contre la récidive y est pour judiciarisation de la dangerosité implique que celle-ci puisse
beaucoup. Depuis quelques années, le phénomène de la être évaluée et traitée par le droit pénal avec efficacité. Or
récidive : préoccupation au cœur des débats ne saurait force est de constater qu’un certain nombre d’obstacles
être appréhendé que par l’étude préalable de la dangerosité apparaissent dans ces domaines. Ainsi, le manque d’effecti-
du délinquant. Ainsi, pour lutter contre la récidive et per- vité constaté tant au niveau de l’évaluation que du traite-
mettre l’élaboration d’une justice pénale efficace, le ment de la dangerosité par le droit pénal résulte d’un
système répressif contemporain se doit non seulement de manque d’efficacité du dispositif légal introduit par ce der-
sanctionner la violation de l’interdit pénal symbolisé par le nier qui ne permet pas d’appréhender aisément le
passage à l’acte, mais il se doit également d’éviter le phénomène de la dangerosité.
renouvellement de ce dernier. Il faut donc prévenir la réci- Il serait donc intéressant, afin d’appréhender le
dive. Et pour cela, il est un préalable indispensable : celui de phénomène de judiciarisation de la notion de dangerosité
l’évaluation de la dangerosité de l’individu. et pouvoir ainsi se positionner relativement à son intégration
Mais la dangerosité, notion insaisissable dont la définition au sein du droit pénal, d’étudier dans un premier temps les
demeure incertaine, déroute le monde judiciaire. Ainsi, la critères ainsi que les techniques juridiques d’évaluation de la
judiciarisation de la notion de dangerosité ne s’est pas faite dangerosité (I) pour s’intéresser dans un second temps, aux
sans difficultés et emporte encore beaucoup d’interroga- solutions proposées par l’étude des moyens et donc des outils
tions. Quelle place occupe aujourd’hui la notion de dange- juridiques posés au traitement pénal de la dangerosité (II).
rosité en droit pénal ? Si la notion de dangerosité dépasse
largement la sphère répressive liée au maintien de l’ordre (I) L’évaluation de la dangerosité en droit pénal
public, elle est une notion fuyante et évolutive alors même
que l’objet du droit pénal consiste à réprimer un comporte-
Bien que l’évaluation de la dangerosité demeure pour certains
ment pénalement répréhensible commis à un moment
un mythe [2], elle est rendue possible en raison de l’existence
précis. Dans ce contexte, comment le droit pénal doit-il
de critères légaux permettant à la justice pénale de détecter
aborder le phénomène de la dangerosité ? Quelle politique
la dangerosité d’un individu (A). Si ces critères constituent un
criminelle le gouvernement doit-il insuffler afin de gérer le
point de départ nécessaire dans l’évaluation des comporte-
phénomène de la dangerosité sans que la justice pénale ne
ments dangereux, ils n’apparaissent pas toujours suffisants en
perde en légitimité ? Face à ces questionnements, il serait
ce qu’ils n’offrent pas de certitude absolue quant à l’existence
intéressant de s’interroger sur l’avenir de la notion de
de cette dangerosité. En conséquence, la question de la
dangerosité particulièrement dans ses relations avec la
capacité du système pénal à évaluer la dangerosité mérite
matière pénale.
d’être posée et permet de mettre en évidence les difficultés
Il est vrai que traditionnellement, la notion de dangero-
rencontrées en la matière (B).
sité fondée sur la très forte probabilité de commettre un acte
infractionnel en raison de la personnalité de l’individu
s’oppose à la culpabilité fondée sur la faute de l’individu (A) Les critères légaux relatifs à l’évaluation de la
compte tenu de l’acte infractionnel commis. S’agissant des dangerosité
sanctions pénales, à la peine visant à punir le coupable En termes de politique criminelle, l’identification de ces
s’oppose généralement la mesure de sûreté visant à soigner critères permet de déterminer la manière dont le gouverne-
la personne dont l’état dangereux est constaté ou dont la ment entend positionner le « curseur » autorisant l’interven-
dangerosité est diagnostiquée, voire même pronostiquée. tion des autorités pénales. Le moment de cette intervention
Ainsi, il serait possible d’identifier un droit pénal dont la apparaît crucial. En effet, l’objectif fondamental étant celui
6 A. Taleb

de l’effectivité du système pénal, l’introduction d’un dispo- confusion possible et permet donc de la distinguer de la
sitif légal préservant un équilibre entre efficacité du système récidive légale.
pénal et protection des libertés individuelles s’avère néces- Ainsi, le lien entre la récidive et la dangerosité est
saire. Selon les différentes classifications doctrinales, qu’ils clairement établi d’autant que le récidiviste a toujours fait
soient d’ordre quantitatif ou qualitatif, d’ordre subjectif ou partie intégrante des figures de la dangerosité. Mais lorsque
objectif [3], ces critères s’attachent à l’auteur de l’infraction, la récidive ou la réitération d’infractions n’ont pu encore
d’une part, (1) et, d’autre part, à l’infraction pénale commise être constatées, l’évaluation de la dangerosité s’avère beau-
(2). coup plus délicate car il ne s’agit plus de démontrer l’état
(1) Les critères liés à l’auteur de l’infraction. Les critères dangereux de l’individu en fonction de ce qu’il a fait mais de
liés à l’auteur de l’infraction sont dits subjectifs et dépen- diagnostiquer voire de pronostiquer sa dangerosité en fonc-
dent du nombre d’actes infractionnels commis révélant chez tion de ce qu’il s’apprête à faire. Autrement dit, il revient
le récidiviste une inclinaison particulière pour les activités aux acteurs du processus pénal d’évaluer la dangerosité de
criminelles (a). Par ailleurs entre deux passages à l’acte, la l’intéressé non plus en fonction de l’état de récidive qui lui
question de la possible récidive demeure pertinente. Une est imputé mais en fonction du risque de récidive qui pourrait
présomption de récidive peut alors être élaborée et imputée lui être reproché.
à l’individu en fonction de sa dangerosité (b). (b) La prévision de l’activité criminelle : le risque
(a) La persistance de l’activité criminelle : la de récidive. Dans ce contexte, l’évaluation de la dange-
notion de récidive. D’un point de vue juridique, la réci- rosité se tourne vers l’avenir et en ce sens emporte indénia-
dive est une cause d’aggravation de la peine justifiée par le blement une part d’aléa. Le critère que constitue la récidive
renouvellement d’une infraction à la suite d’une condamna- et, de manière plus flagrante encore celui reposant sur le
tion définitive. Pour le législateur elle révèle chez l’individu risque de récidive, apparaissent extrêmement subjectifs
une attirance pour la délinquance devant entraîner une pour permettre d’affirmer avec certitude qu’un individu
répression plus sévère. Cette récidive permet d’introduire est ou non dangereux. Le droit pénal dispose à ce titre de
la dangerosité dans la sphère pénale et par là même de la deux indicateurs permettant d’évaluer la dangerosité de
judiciariser en ce qu’elle fixe à l’origine le seuil autorisant manière probante.
l’intervention des autorités judiciaires. Il existe deux types Tout d’abord, les antécédents judiciaires de l’intéressé
de récidive en droit pénal : la récidive légale et la simple offrent une indication précieuse relativement à sa capacité
réitération d’infractions instituée plus récemment « en rai- criminelle et mettent en exergue l’échec du délinquant à
son de la dangerosité ou des mauvaises habitudes qu’elle intégrer, à l’aide d’outils classiques, la notion d’interdit
révèle »2. pénal. Plus l’individu a commis d’infractions, plus sa « ré-
La récidive légale nécessite pour être constituée la réali- adaptabilité » est compromise et plus le risque de récidive
sation de deux termes. Le premier terme consiste en l’exi- est élevé. C’est la raison pour laquelle le récidiviste est un
stence d’une condamnation pénale devenue définitive, être dangereux considéré « comme l’incorrigible, l’inadapté
c’est-à-dire une décision de culpabilité assortie d’une peine social contre lequel les sanctions ordinaires ne peuvent
rendue par une juridiction pénale de l’un des États membres rien »5.
de l’Union européenne. Le second terme de la récidive est Ensuite, l’existence d’une pathologie diagnostiquée par
constitué en raison d’une nouvelle infraction postérieure à la les experts ainsi que plus récemment par une commission
première condamnation commise dans certains cas, dans un pluridisciplinaire6 permettrait de pronostiquer avec crédibi-
délai fixé par la loi3. lité la présence chez l’individu d’une dangerosité. Dans cette
La réitération d’infractions renvoie à l’hypothèse dans perspective, l’expertise réalisée au regard de la personnalité
laquelle la personne, déjà condamnée définitivement pour de l’intéressé va permettre la détection d’un risque de
un crime ou un délit, commet une nouvelle infraction ne récidive fondé sur l’extrême dangerosité de l’intéressé.
répondant pas aux conditions de la récidive légale. De plus la Mais afin d’optimiser l’efficacité du droit pénal à évaluer
réitération d’infractions ne doit pas se confondre avec le la dangerosité, ces critères d’ordre subjectif doivent néces-
concours réel d’infractions4. Enfin en cas de réitération de sairement être complétés par des critères plus objectifs en
comportements pénalement répréhensibles, l’aggravation rapport avec l’acte commis.
de la peine résulte de l’addition des peines prononcées sans (2) Les critères liés à l’acte pénalement répréhensible. -
Dans ce cas, le droit pénal pour déceler la dangerosité de
2
Certains auteurs la nomment « récidive de fait », v. Pin X, Droit l’individu se réfère à la gravité ainsi qu’à la nature particu-
pénal général, 4e éd., Dalloz 2010, p. 339, no 421. D’autres auteurs lière de l’infraction. Dans la mesure où la détermination des
parlent de « récidive avortée », v. Robert J.-H, Les murailles de valeurs sociales à protéger est incontestablement un choix
silicium, JCP 2006, I, 115, no 5. D’autres encore la considèrent de société qui se manifeste au gré des politiques criminelles,
comme étant une récidive imparfaite, v. Dreyer E, Droit pénal il est alors possible d’évaluer la dangerosité. L’infraction
général, Litec 2010, p.863, no 1387. V. également art.132-16-7 du révèle, d’une part, l’importance de la valeur sociale violée
Code pénal institué par la loi no 2005-1527 du 12 décembre 2005
et donc la sévérité de la répression (1) et, d’autre part, la
relative au traitement de la récidive des infractions pénales.
3
Pin X., op.cit., p.332 . Contrairement à la récidive en matière
nature de la valeur sociale violée imputée au condamné (2).
délictuelle et contraventionnelle, la récidive criminelle, est dite Dans les deux cas, la gravité du comportement reproché
générale et permanente. Aucune condition liée à la nature des révèle la dangerosité de l’intéressé.
infractions commises ou au délai entre les termes n’est exigée.
4 5
Il y a concours réel d’infractions lorsqu’une personne commet Burgaud E., op.cit., p. 210.
6
plusieurs infractions pénales non séparées par une condamnation V. art. 706-53-14 du Code de procédure pénale issu de la loi
devenue définitive, v. art. 132-3 et suivants du Code pénal. no 2008-174 du 25 fév. 2008 relative à la rétention de sûreté.
La judiciarisation de la notion de dangerosité 7

(a) La gravité du comportement résultant de sions sexuelles autres que le viol ne font pas nécessairement
l’importance de la valeur sociale violée. En droit encourir à celui qui les commet des peines de réclusion
pénal, la classification tripartite des infractions offre une criminelle10.
première indication7. Ainsi, la contravention ne révèle dans D’autres infractions comme celle du délit de risques
le comportement de l’auteur qui la commet qu’une simple causés à autrui plus connu sous le nom de délit de mise en
indifférence aux valeurs sociales protégées et ne constitue danger délibérée renvoie également à la notion de dange-
de ce fait qu’un signe d’indiscipline sociale. En revanche, les rosité sans pour autant que l’auteur d’un tel délit ne soit
crimes et les délits intentionnels révèlent chez l’auteur qui automatiquement sévèrement réprimé, les peines encourues
les commet un état d’esprit hostile aux valeurs sociales en cas de délit simple s’élevant à un an d’emprisonnement et
protégées. Les infractions intentionnelles font en effet inter- à 15 000 euros d’amende11. Enfin, c’est encore le cas des
venir la notion de dol caractérisant l’élément moral de infractions à la circulation routière lorsqu’elles sont commi-
l’infraction. Ce dol connaît plusieurs degrés d’intensité qui ses sous l’empire d’un état alcoolique, en état d’ivresse
ne font qu’accroître le doute sur la potentielle dangerosité manifeste ou sous l’influence de substances ou de plantes
de l’individu8. classées comme stupéfiants12.
Dans une certaine mesure, le législateur fait en droit Ces comportements à risque, impliquent parfois chez
pénal le lien entre gravité de l’infraction et dangerosité l’individu qui les adopte une marginalité, voire une déviance
de l’individu. Ainsi, à titre d’exemple, il est possible de dont la société doit se méfier en ce qu’ils dénotent une
citer la rétention de sureté dont la mise en œuvre est potentielle dangerosité. Certes la déviance doit être distin-
conditionnée au prononcé d’une peine d’une durée égale guée de la délinquance dans la mesure où certains compor-
ou supérieure à 15 ans de réclusion criminelle. Le quantum tements ne sont pas en eux-mêmes constitutifs de
de la peine prononcée est nécessairement élevé dans la comportements pénalement répréhensibles, tel est le cas
mesure où celui-ci est déterminé en fonction de la gravité de la simple consommation d’alcool. Néanmoins, associés à
de l’infraction pour laquelle l’individu a été condamné. Or des activités dangereuses, ces comportements, du fait de
parmi le contentieux visé, il est possible de relever des leur caractère anomique, sont sources de danger [4]. Et c’est
infractions dont les valeurs sociales violées sont les droits précisément ce danger que la société cherche, si ce n’est à
à la vie et à l’intégrité physique9. Ainsi, l’importance de la éradiquer du moins à maîtriser. Au-delà, l’habitude pouvant
valeur sociale violée conditionne la sévérité de la répression s’installer chez certaines personnes manifestant une accou-
et donc la gravité du comportement. Plus l’infraction est tumance à l’égard de ces comportements pourrait se trans-
grave, plus la question de la dangerosité mérite d’être former en « mode de vie ». Celui-ci pourrait alors laisser
soulevée. place à un comportement addictif, amenant un comporte-
Cependant, la gravité du comportement révélant la dan- ment impulsif voire compulsif témoignant de la dangerosité
gerosité d’un individu peut également résulter de la nature de ces personnes. En conséquence, ce goût prononcé pour les
de la valeur sociale transgressée. comportements dangereux révèle également chez
(b) La gravité du comportement résultant de la l’intéressé sa potentielle dangerosité.
nature de la valeur sociale violée. Le problème de la Ainsi, l’identification de critères légaux apparaît néces-
dangerosité en droit pénal se pose également en raison de la saire à l’évaluation de la dangerosité par le droit pénal. Pour
nature même de l’infraction commise et sans qu’il n’existe autant, l’évaluation de la dangerosité ne peut entièrement
systématiquement de corrélation avec la sévérité de la reposer sur ces derniers et les difficultés rencontrées ten-
répression. Autrement dit, sans être sévèrement réprimés, dent, dans une certaine mesure, à remettre en cause l’effec-
certains comportements n’en sont pas moins graves et tivité de l’évaluation de la dangerosité.
révèlent ainsi la dangerosité de l’auteur selon le type
d’infractions commises. (B) L’effectivité du système pénal dans l’évaluation de
Ce peut être le cas de certaines infractions de nature la dangerosité
sexuelle, infractions pour lesquelles l’argument de la dan- Si les critères susvisés permettent d’évaluer la dangerosité,
gerosité est le plus fréquemment avancé. Pourtant les agres- il est permis de s’interroger sur leur efficacité. Lorsque la
dangerosité de l’individu est déterminée concomitamment
7
Art. 111-1 du Code pénal : « les infractions sont classées, suivant ou postérieurement à la commission d’une infraction pénale,
leur gravité, en crimes, délits et contraventions ». la notion de dangerosité vient sans aucun doute à l’appui de
8
Le dol général, donnée commune aux infractions intentionnelles la culpabilité de l’intéressé et permet de compléter et par-là
suppose nécessairement la volonté de la part de l’agent de trans- même de renforcer l’efficacité du traitement du condamné.
gresser l’interdit pénal et peut être défini comme la volonté de Toutefois, lorsque la dangerosité de l’individu doit être
commettre le délit et la conscience d’enfreindre la loi. Le dol évaluée indépendamment ou antérieurement à la commis-
spécial, quant à lui, requiert chez l’auteur l’intention d’atteindre sion d’une infraction, des difficultés apparaissent dans la
un résultat précis prohibé par la loi pénale. Enfin, le législateur peut mesure où la dangerosité se substitue à toute culpabilité. Ces
prendre en compte certains mobiles considérés comme des facteurs
difficultés tiennent principalement à l’absence de définition
légaux d’aggravation de la peine. Tel est le cas des infractions
constituées d’un dol aggravé qui requiert par exemple chez l’auteur
claire et précise de la notion (1). En conséquence la dange-
de l’infraction une intention préméditée, v. Pin X, op.cit., p. 147- rosité tend à prendre le pas sur la culpabilité comme fonde-
151. ment du droit pénal et révèle ses dangers (2).
9
Sur ce point v. art. 706-53-13 du Code de procédure pénale
10
prévoyant par exemple l’application de la mesure pour les crimes V. par exemple art. 222-22 du Code pénal.
11
d’assassinat, de torture ou actes de barbarie, de viol, d’enlèvement V. art. 223-1 du Code pénal.
12
ou de séquestration commis avec ou sans circonstances aggravantes. V. art. L.234-1 et L.235-1 du Code de la route.
8 A. Taleb

(1) L’absence de définition légale de la dangerosité. Il n’exi- malmenés car ces derniers imposent que la notion de dange-
ste en droit criminel aucune définition légale de la dangero- rosité soit clairement et précisément définie sous peine de
sité. Certes le terme apparaît à plusieurs reprises tant dans le nuire à sa légitimité16.
Code pénal que dans le Code de procédure pénale mais au Dans ce contexte, le vide juridique entourant la définition
moyen de dispositions éparses sans qu’une cohérence de la notion de dangerosité révèle tous ses dangers.
d’ensemble ne puisse être relevée 13. Afin de préciser la (2) Les dangers de la notion de dangerosité17. La rencontre
notion de dangerosité, le législateur se réfère simplement entre le droit pénal et une personne dangereuse se fait en
aux termes de « probabilité » ou de « susceptibilité » de principe au moment du franchissement de l’interdit pénal.
réitération d’une infraction et tisse alors un lien étroit entre Le droit pénal évalue la dangerosité du comportement cri-
la notion de dangerosité et celle de récidive ou plutôt celle du minel rétroactivement, en se replaçant au moment des faits.
risque de récidive. L’idée de rétrospective est donc fondamentale en droit
Il est vrai que la notion de dangerosité demeure pendant pénal. Mais la notion de dangerosité, contrairement à celle
longtemps inconnue de la sphère pénale dans la mesure où d’état dangereux, est une notion évolutive, fuyante et rela-
elle ne recouvre pas, à l’origine, un concept juridique. Cette tive qui ne peut être réduite à un évènement donné : celui du
notion apparaît en effet dans une branche spécifique du droit passage à l’acte. La dangerosité va dépendre largement des
criminel, celle de la criminologie et plus précisément celle valeurs d’une société, d’où la nécessaire nuance entre les
de l’anthropologie criminelle. termes « état dangereux » et « dangerosité ».
La notion de dangerosité dans son acception courante ren- La confusion entre « état dangereux » et « dangerosité »18 :
voie à la notion de danger dont l’adverbe « dangereusement » une distinction s’impose entre les notions d’« état dangereux »
apparaît en 1538 avant que son substantif, « la dangerosité », ne et de « dangerosité ». Alors que la première consiste en un état
soit utilisé à partir de 1963. Le terme apparaît pour la première de fait qui ne peut être contesté car déjà constaté, la seconde
fois en psychiatrie à travers la loi de 1838 relative aux aliénés suggère un état possible voire probable mais dont l’existence
dangereux avant d’être par la suite reprise en criminologie par est contestable car non encore constatée. La dangerosité est
le courant des positivistes à la fin de XIXe siècle14. donc « un état en puissance tout au plus mais pas un état de
D’un point de vue psychiatrique, elle désigne une personne fait » qu’il faut distinguer de l’état dangereux car « dans le
dangereuse en raison d’une maladie mentale. D’un point de premier cas, l’individu est dangereux et dans le second il
vue criminologique, elle désigne le membre d’un groupe à risque de l’être ». Ainsi l’état dangereux est davantage tourné
risque. De manière plus générale, elle décrit le « phénomène vers le passé alors que la dangerosité nécessite de se projeter
psychosocial caractérisé par des indices révélateurs de la vers l’avenir afin d’évaluer la probabilité d’un état non acquis
grande probabilité de commettre une infraction contre les et dont l’existence demeure aléatoire. Cette distinction est
personnes ou contre les biens »15 et renvoie au « risque pour d’autant plus importante à établir que la notion de dangero-
une personne condamnée de commettre une nouvelle infrac- sité est susceptible d’évoluer et en ce sens rend tout jugement
tion après sa libération » [5]. Il convient donc de distinguer la figé impertinent. Et parce que l’état dangereux préexiste à
dangerosité criminologique reposant sur un diagnostic social toute dangerosité, le législateur semble parfois légitimer
de la dangerosité psychiatrique reposant sur un diagnostic certaines mesures sur le fondement de l’état dangereux de
médical. Les deux conceptions ne peuvent en effet se confon- la personne et non sur sa dangerosité. Pourtant, compte tenu
dre au risque d’assimiler tout homme dangereux à une per- des termes auxquels le législateur se réfère, c’est bien de la
sonne atteinte d’un trouble mental, ce qui n’est pas dangerosité dont il s’agit. Or il arrive que le lien de causalité
forcément le cas. Enfin, d’un point de vue pénal ou carcéral, entre dangerosité et infraction soit parfois tellement distendu
elle désigne celui qui commet un délit et/ou qui récidive. La qu’il en devient inexistant. Ainsi, le danger réside dans la
notion de dangerosité est donc protéiforme. En l’absence de confusion entretenue par les textes qui permettent l’institu-
définition légale, le législateur entretient le flou juridique tion de mesures attentatoires aux libertés fondamentales sur
rendant par là même son appartenance au droit pénal, incer- le fondement d’une dangerosité rattachée au risque de réci-
taine. Les principes de légalité criminelle et de l’interpréta- dive déduite de l’état dangereux et constaté à un instant T
tion stricte de la loi pénale s’en trouvent en conséquence mais qui ne reflète peut-être pas ou plus la réalité.
En d’autres termes, « la dangerosité est inscrite dans une
13 loi pour lui conférer une dynamique punitive au seul vu d’une
La notion de dangerosité apparaît d’abord dans le Code de la
santé publique avec la loi du 15 avril 1954 sur les alcooliques perspective dont on ne sait rien, dont on ne peut prédire que
dangereux, puis dans le Code pénal de 1994 suite à la loi du 1er peu et selon les données du passé seulement »19 alors même
février 1994 prévoyant une peine de réclusion criminelle incompres- que la dangerosité est un état « relatif qui dépend des
sible prononcée à l’encontre de certains criminels: v. Lameyre X. sociétés et de la législation de chaque pays aux divers
op.cit., p. 313. Dans le Code de procédure pénale, la particulière moments de son histoire » [6].
dangerosité est définie par la loi « comme une probabilité très élevée La dimension plurielle et évolutive de la dangerosité :
de récidive ». Le terme de dangerosité est principalement associé même considérée en se référant à l’état dangereux, le
aux termes de potentialité, de probabilité ou encore d’éventualité. législateur crée l’illusion de pouvoir évaluer avec certitude
Toutefois, si la haute probabilité ne laisse que très peu de place au la dangerosité d’un individu alors même qu’aucune certitude
doute, elle n’implique cependant aucune certitude. De plus le
législateur se réfère parfois à la simple dangerosité sans que
16
celle-ci ne révèle d’intensité particulière, v. Fiechter-Boulvard F. Fiechter-Boulvard F. op.cit., p. 265.
17
Des liens entre la criminologie et le droit pénal: propos autour de la Expression empruntée à Lameyre X., op. cit. p. 311.
18
notion de « dangerosité », Arch. pol. crim. 2009, p. 265. L’ensemble du développement s’appuie sur les idées de Mme
14
Loi n˚ 7443 du 30 juin 1838, v. Burgaud E. op. cit., p. 207. Fiechter-Boulvard F. op.cit., p. 265.
15 19
V. Fiechter-Boulvard F. op.cit., p. 265. Fiechter-Boulvard F. op.cit., p. 265.
La judiciarisation de la notion de dangerosité 9

dans la définition de la notion ne peut être garantie. Autre- infractions ». Le phénomène collectif en raison de sa dange-
ment dit, les incertitudes entourant la définition de la notion rosité et de sa complexité aggrave en ce cas la répression.
rendent incertaine l’évaluation de cette dernière. En réalité De la même manière des infractions autonomes ont été
la dangerosité ne doit pas être appréhendée dans l’unicité créées. La technique juridique de l’infraction préventive23
d’une donnée personnelle invariable mais dans sa dimension permet, outre l’incrimination de la tentative de crimes et de
plurielle, tant individuelle que situationnelle afin d’app- certains délits, l’institution d’infractions dites autonomes.
réhender au mieux la dangerosité de l’individu dont l’évalua- (b) L’intervention du législateur par l’institution
tion peut varier en fonction de situations plus ou moins d’incriminations autonomes. Le législateur est inter-
dangereuses20. Le danger consisterait donc à apprécier venu en créant des infractions considérées par la doctrine
d’un point de vue statique une notion dont le caractère comme étant des infractions formelles ou obstacles. Ces
est fondamentalement dynamique. deux types d’infractions ont pour point commun, certes à
En conséquence, l’absence de définition de la notion de des degrés distincts, de prendre en compte le caractère
dangerosité crée, selon certains auteurs, une impasse faisant dangereux de l’individu.
nettement obstacle à toute évaluation efficace de la dange- En ce qui concerne les infractions dites formelles, ces
rosité et au-delà à l’intégration effective de la notion en droit dernières n’incluent jamais une atteinte effective à la valeur
pénal21. Cela emporte indubitablement des conséquences au protégée dans la mesure où le législateur incrimine un simple
niveau du traitement pénal de la notion de dangerosité. procédé. Autrement dit, dans le cadre des infractions formel-
les, le résultat tangible importe peu, l’important est que le
(II) Le traitement de la dangerosité en droit pénal résultat légal soit atteint, à savoir la violation d’une règle
légale interdisant un procédé déterminé. La sanction frappe
Après avoir détecté et évalué la dangerosité, le législateur donc très tôt sur l’iter criminis et se situe en amont de celle
est intervenu en se dotant d’outils juridiques dans le but de des infractions matérielles pour lesquelles l’atteinte d’un
résorber le phénomène de la dangerosité en l’éliminant ou du résultat dommageable s’avère nécessaire. Ainsi, dans l’infrac-
moins en le maîtrisant (A). Mais là encore des difficultés ont tion d’empoisonnement, le législateur réprime le simple fait
été rencontrées dans le traitement de la dangerosité altérant « d’attenter à la vie d’autrui » par l’emploi ou l’administration
considérablement l’effectivité du système pénal dans ce de substances de nature à entraîner la mort. Le caractère
domaine (B). dangereux du comportement d’un individu est également mis
en exergue à travers le délit mise en danger délibérée
(A) Les outils juridiques liés au traitement judiciaire d’autrui24 puisque le législateur réprime l’auteur en l’absence
de la dangerosité même de résultat dommageable, sur le seul risque de dom-
La judiciarisation de la dangerosité implique nécessairement mage créé par le comportement dangereux de ce dernier.
un phénomène de juridicisation par lequel le législateur tend à De même, les infractions obstacles conduisent à l’incrimi-
apporter une réponse juridique à une situation donnée. Les nation de comportements dangereux se situant très en amont
nouvelles lois promulguées à l’appui du traitement de la sur le « chemin criminel ». En ce sens, le législateur, en
dangerosité portent, soit sur l’incrimination, soit sur la sanc- érigeant ces comportements en de véritables infractions auto-
tion. Ainsi, l’intervention du législateur se manifeste d’abord nomes, tend à incriminer de simples actes préparatoires au
par l’aggravation ou la création d’infractions pénales (1). Elle moyen d’une anticipation dirigée vers la réalisation redoutée
se manifeste ensuite par l’institution de nouvelles sanctions d’une autre infraction dite de base qui peut être matérielle ou
parmi lesquelles les mesures de sûreté (2). formelle25. La répression intervient alors que l’infraction n’a
(1) Le traitement de la dangerosité par l’aggravation ou été ni consommée, ni même tentée. Il est possible de citer
l’institution d’infractions pénales. (a) L’intervention du l’infraction dite du « mandat criminel »26 consistant à
législateur par l’aggravation d’infractions. Le législateur a commanditer un empoisonnement ou un assassinat alors
en effet institué des circonstances aggravantes rattachées à même que la provocation n’a pas été suivie d’effets. De
certaines infractions en fonction de la dangerosité du délin- même l’infraction d’association de malfaiteurs27 dont le
quant. Il en est ainsi de la circonstance aggravante liée à la
23
violation manifestement délibérée d’une obligation particu- Jacopin S., op.cit., p. 246.
24
lière de sécurité ou de prudence légale ou réglementaire 22. Il La notion est définie à l’article 223-1 du Code pénal comme « le
faut également citer la préméditation prévue à l’article 132- fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou
72 du Code pénal et définie comme « le dessein formé avant de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité
l’action de commettre un crime ou un délit déterminé ». Dans permanente par la violation manifestement délibérée d’une obliga-
tion particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
ce cas, l’organisation et la préparation préalablement au
règlement ».
passage à l’acte révèlent la dangerosité de l’intéressé. Il en 25
Jacopin S. op. cit., p. 246.
est de même de la bande organisée prévue à l’article 132-71 du 26
Art. 221-5-1 du Code pénal « Le fait de faire à une personne des
Code pénal et définie comme « tout groupement formé ou offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou
toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée avantages quelconques afin qu’elle commette un assassinat ou un
par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs empoisonnement est puni, lorsque ce crime n’a été ni commis ni
tenté, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 s d’amende ».
27
Art. 450-1 du Code pénal « Constitue une association de malfai-
20
Lameyre X., op.cit., p. 320. teurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la
21
Fiechter-Boulvard F. op.cit., p.265, Lameyre X., op.cit., p. 311. préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un
22
V. Par exemple art. 221-6 al.2, 222-19 al.2, 222-19-1 1˚, 222-20 ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq
et 222-20-11˚ du Code pénal. ans d’emprisonnement ».
10 A. Taleb

domaine d’application est plus vaste, est constituée par tout (b) L’intervention du législateur par l’institution
groupement formé ou entente établie en vue de la préparation de mesures de sûreté. Le droit pénal manifeste claire-
d’un délit ou d’un crime à la condition qu’elle soit caractérisée ment un regain d’intérêt pour les mesures visant non pas à la
par l’existence d’au moins un fait matériel. Enfin, la loi du répression du prévenu en raison de la culpabilité constatée
2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes mais à la prévention de la société en raison de l’état dange-
et la protection des personnes chargées d’une mission de reux imputé à une personne déterminée. Parmi ces mesures,
service public vient incriminer la participation à une bande plus connues sous le nom de « mesures de sûreté », il est
ayant des visées violentes28. possible de citer les plus médiatisées à savoir le placement
L’intervention du législateur concerne également l’aggra- sous surveillance électronique mobile prononcé au titre du
vation ou l’institution de sanctions pénales. suivi socio-judiciaire et institué par la loi du 12 décembre
(2) Le traitement de la dangerosité par l’aggravation ou 2005 mais également la rétention de sûreté dont l’objectif
l’introduction de sanctions. Les mesures sont nombreuses est clairement affiché par le législateur : lutter contre la
mais pour ne citer que les plus révélatrices, il est possible de dangerosité. En raison de l’échec de la peine dans ses
présenter quelques dispositions relatives à l’aggravation de fonctions classiques, le législateur a donc tenté d’innover
la peine (a) avant d’expliciter la mise en œuvre de certaines avec la loi no 2008-174 du 25 février 2008 relative à la
mesures de sûreté (b). rétention de sûreté. Ces lois appliquent pleinement la
(a) L’intervention du législateur par l’aggravation logique selon laquelle la personnalité dangereuse détermine
de la peine. Outre la loi no 2005-1549 du 12 décembre le traitement pénal de l’individu. Les nouvelles mesures
2005 relative au traitement de la récidive des infractions visent les personnes dangereuses ainsi que les personnes
pénales qui complète le dispositif législatif par l’extension atteintes d’un trouble mental.
du champ d’application de la récidive légale à la réitération S’agissant des personnes dangereuses, il convient tout
d’infractions renforçant ainsi l’idée selon laquelle la société d’abord de mentionner le placement sous surveillance judi-
se défend plus énergiquement contre le récidiviste en raison ciaire de ces dernières qui consiste à lutter contre la réci-
de la constatation d’un comportement particulièrement dive en prévenant le risque de celle-ci. Cette mesure
dangereux pouvant laisser présager une dangerosité du constitue une première solution au traitement de la dange-
prévenu pour la société, il convient de présenter rapidement rosité. Depuis la loi no 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à
la loi relative aux peines planchers. Cette loi no 2007-1198 du amoindrir le risque de récidive criminelle, elle concerne les
10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des personnes condamnées pour des infractions punies d’une
majeurs et mineurs prévoit que lorsqu’un délinquant peine d’emprisonnement d’au moins sept ans et qui sont
commet une infraction pénale en état de récidive légale, libérées au titre du crédit de réduction de peine. Il peut
le juge a l’obligation de prononcer une peine minimum s’agir d’un placement sur surveillance électronique fixe ou
d’emprisonnement. Il s’agit des peines planchers. Malgré mobile. Il existe toutefois un préalable indispensable : la
la faculté dont dispose le juge de contourner ces seuils dangerosité du condamné doit avoir été évaluée au moyen
légaux en raison de facteurs liés aux circonstances de d’une expertise médicale. Si la durée de cette surveillance
l’infraction, à la personnalité de son auteur ou aux garanties judiciaire est limitée et ne peut excéder la durée de celle
d’insertion ou de réinsertion que présente le condamné, le correspondant au crédit de réduction de peine, elle peut
dispositif place l’état de récidive dans un régime totalement néanmoins être prolongée pour une durée de deux ans
dérogatoire du droit commun et s’inspire directement des renouvelables et être remplacée par une surveillance de
théories de rétribution et de neutralisation de la peine. Ainsi, sûreté. Celle-ci interviendra également en cas d’inobserva-
en vertu du principe d’individualisation de la peine, la liberté tion des obligations imposées au condamné dans le cadre de
dont dispose en théorie le magistrat dans la détermination du la surveillance judiciaire. Dans tous les cas, l’examen de la
quantum de la peine prononcée, est considérablement dangerosité sera destiné à mesurer le risque de commission
réduite, notamment en présence d’un multirécidiviste ayant d’une nouvelle infraction et conditionnera la durée de cette
commis des infractions de violences graves telles que des mesure de sûreté.
violences volontaires ou des violences sexuelles. Dans ce cas, Il convient ensuite de signaler la mise en œuvre de la
le pouvoir du juge est limité et seules « les garanties excep- surveillance de sûreté des personnes dangereuses qui s’appa-
tionnelles d’insertion ou de réinsertion » caractérisant rente à la surveillance judiciaire avec des obligations à
l’absence de dangerosité de l’individu peuvent amener le remplir. Elle s’applique aux personnes condamnées à une
juge à s’écarter du seuil légal. peine d’au moins 15 de réclusion criminelle. En cas de
Plus récemment, les mesures de sûreté ont fait leur violation de ces obligations, il peut être ordonné le place-
apparition en droit pénal et le recours à ces dernières ment dans un centre de rétention justifié là encore par la
s’est multiplié ces dernières années. particulière dangerosité de l’intéressé caractérisée par une
probabilité très élevée de commettre à nouveau les infrac-
tions prévues à l’article 706-53-13 du Code de procédure
pénale. La durée maximale de cette mesure est de deux ans
28
L’article 222-14-2 du Code pénal crée en effet une nouvelle
et peut être également renouvelée29.
infraction obstacle punissant d’un an d’emprisonnement et de Il convient enfin d’évoquer une dernière mesure et non
15 000 s d’amende « le fait pour une personne de participer des moindres, la rétention de sûreté des personnes dange-
sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, reuses. Cette mesure est de loin la plus controversée et
en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits
matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de
29
destructions ou dégradations de biens ». Art. 706-13-19 du Code de procédure pénale.
La judiciarisation de la notion de dangerosité 11

consiste en un placement du condamné en centre socio- relative à la mesure d’hospitalisation d’office, aujourd’hui
médico-judiciaire de sûreté dans lequel il lui est proposé connue sous le nom de « soins psychiatriques de la per-
de façon permanente une prise en charge médicale, sociale sonne, sous la forme d’une hospitalisation complète »30.
et psychologique. Ordonnée par décision motivée de la Les plus hautes instances juridictionnelles telles que le
juridiction régionale de la rétention de sûreté après Conseil constitutionnel ou la Chambre criminelle de la
« évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité assortie Cour de cassation ont en effet éprouvé toutes les peines
d’une expertise médicale réalisée par deux experts », elle du monde à définir avec précision et clarté tel que l’exige
est à durée déterminée mais renouvelable sans limite. le principe de légalité, la nature juridique de ces mesures
Aucun plafond n’est fixé et la durée de la mesure dépend nouvellement créées. Par suite, le régime juridique de ces
de la « persistance » de la dangerosité. Le but est ainsi de dernières a fait l’objet de controverses au sein du monde
protéger la société en écartant les personnes extrêmement judiciaire.
dangereuses même après exécution de leur peine. La loi Les juges avaient en effet été saisis dans la mesure où se
de 2008 introduit donc la notion de « particulière posait un problème de droit transitoire. Il s’agissait donc de
dangerosité » comme critère permettant de priver un déterminer si ces mesures pouvaient s’appliquer au prévenu
individu de sa liberté. L’examen de la personnalité doit condamné pour des faits commis avant l’entrée en vigueur de
porter sur la prédiction d’un risque de récidive. La loi du la loi les instituant.
10 mars 2010 étend d’ailleurs son champ d’application à la Il est utile de préciser dès à présent qu’en raison de la
récidive [7]. diversité des fonctions de la peine en droit contemporain
S’agissant des personnes atteintes de troubles mentaux, ainsi qu’en raison de l’interaction constatée entre les
la loi de 2008 permet de juger la personne atteinte d’un fonctions de la peine et de la sanction, la distinction entre
trouble psychique ou neuropsychique et déclarée irrespon- ces deux notions est malaisée. À cela il faut ajouter
sable pénalement du fait de l’abolition de son discerne- l’absence de définition légale de ces notions. Il faut donc
ment. Les dispositions légales organisent au stade de se référer aux définitions doctrinales pour tenter de dis-
l’instruction une véritable procédure se substituant aux tinguer les notions de peine et de sanction. La peine peut
décisions de non-lieu, relaxe, acquittement ou classement se définir comme une « punition prévue par la loi et
sans suite. La personne jugée irresponsable pénalement infligée par la société à l’auteur d’une infraction
peut, à ce titre, faire l’objet d’une mesure d’hospitalisation pénale » [9]. Ainsi « elle suppose une déclaration de
d’office [8]. La chambre de l’instruction, la juridiction de culpabilité préalable et procède d’une condamnation
jugement ou la Cour d’assises, ne peuvent se prononcer sur pénale »31 prononcée par une juridiction répressive. La
cette hospitalisation qu’après la réalisation d’une expertise notion de sanction est en revanche plus large et englobe la
ou d’un examen médical actualisé de la personne. Pro- notion de peine. Ainsi la sanction peut être pénale ou non
noncée en cas d’irresponsabilité pénale, cette mesure puisqu’il existe des sanctions d’ordre administratif,
ne peut viser que la dangerosité de l’individu et non sa d’ordre disciplinaire, etc. La mesure de sûreté est, quant
culpabilité. à elle, pour la doctrine pénaliste, « une sanction pénale ou
Mais là encore le dispositif légal mis en place et non, liée moins à une infraction déjà commise qu’à l’éven-
permettant la mise en œuvre de ces mesure de sûreté tuelle renouvellement d’une infraction »32. Dans sa déci-
apparaît critiquable dans la mesure où celui-ci est sion du 21 février 2008, le Conseil, saisi du contrôle a priori
en réalité fondé non pas sur un diagnostic d’état dange- de la constitutionnalité de la loi, a dû se prononcer sur la
reux mais davantage sur un pronostic de dangerosité. La nature juridique de la rétention de sûreté. Etrangement,
mesure se révèle donc fondée sur une prévision de dange- après avoir considéré que cette mesure n’était « ni une
rosité dont la réalisation future par définition demeure peine ni une sanction ayant le caractère d’une punition »,
incertaine. le Conseil s’était refusé à l’appliquer rétroactivement à
Ainsi, la multiplication de mesures destinées à assurer la des faits commis avant son entrée en vigueur eu égard
surveillance post-carcérale des personnes les plus dangereu- notamment « à sa nature privative de liberté. . . »33. Il est
ses ne va pas sans difficultés. Il est alors légitime de s’inter- vrai qu’en droit pénal en vertu du principe de légalité des
roger sur l’effectivité du système pénal dans le traitement de délits et des peines, seules les peines sont soumises au
la dangerosité. principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère
et a contrario au principe de rétroactivité de la loi pénale
(B) L’effectivité du système pénal dans le traitement plus douce pour des faits commis avant l’entrée en vigueur
de la dangerosité
Des critiques peuvent être formulées quant à l’effectivité du 30
Il convient en effet de noter que la loi no 2011-803 du 5 juillet
traitement de la dangerosité. Ce manque d’effectivité 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant
résulte d’abord des doutes s’agissant de la conformité de l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en
certaines mesures aux libertés fondamentales protégées par charge (JORF 6 juill. 2011, p. 11705) est venue réformer le régime de
le droit pénal (1). Il tient ensuite au risque de dérives l’hospitalisation sous contrainte de 1990 après que le Conseil cons-
sécuritaires liés à la multiplication de régimes juridiques titutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, ait
déclaré certaines articles du Code de la santé publique contraires à
dérogatoires (2).
la Constitution. Sur ce point v. Cons. const., décision n˚2010-71
(1) Les doutes liés à la légalité des mesures tendant à QPC, 26 nov. 2010. V. également décision n˚ 2011-185 QPC, 21 oct.
traiter la dangerosité. Les illustrations sont nombreuses 2011.
mais les plus significatives demeurent sans aucun doute les 31
E. Dreyer, op.cit., p. 743, n˚ 1171.
polémiques soulevées par la mesure de rétention de sûreté 32
E. Dreyer, précit., ibid.
33
instituée par la loi du 25 février 2008 ainsi que celle Cons. const., décision no 2008-562 DC, 21 févr. 2008.
12 A. Taleb

des nouvelles dispositions. Les mesures de sureté sont, le détournement des règles du droit pénal de fond et de
quant à elles, immédiatement applicables car elles ne forme38. Ainsi, le traitement de la dangerosité institue des
visent pas la culpabilité mais la dangerosité de l’individu. régimes exceptionnels, dérogatoires du droit commun
De ce fait, selon la jurisprudence, la nature et le régime régissant habituellement le droit pénal de la culpabilité.
juridique de la mesure de sûreté va dépendre de ses Outre la tendance à l’abandon des principes de responsa-
caractères34. Toutefois, le lien établi par le Conseil entre bilité morale fondée sur le libre arbitre et défendus par
nature et régime juridique de la rétention de sûreté est l’école classique, les mesures destinées au traitement de la
apparu incohérent. Les auteurs ne se sont d’ailleurs pas dangerosité remettent en cause le principe de légalité et
privés d’insister sur l’ambiguïté de la position du Conseil à justifie les restrictions aux garanties procédurales telles
l’égard de la rétention de sûreté qui sans être une peine que le respect du principe relatif au procès équitable. En
d’un point de vue constitutionnel devait toutefois être conséquence, il existerait un droit pénal de la culpabilité
soumise au régime juridique de cette dernière35. Il sem- applicable au citoyen dont on peut raisonnablement penser
blerait en outre que la position du Conseil se soit écartée que les fonctions classiques de la peine lui permettront
de celle de la Cour européenne, celle-ci ayant condamné d’intégrer la norme pénale et de s’y conformer et un droit
l’Allemagne estimant que la « détention de sûreté » alle- pénal de la dangerosité à destination de l’individu dange-
mande était une peine36. reux dont on peut douter qu’il intègrera la notion d’interdit
Dans le cas de la mesure de soins psychiatriques de la pénal et qui nécessite donc que soient prises à son encontre
personne, sous la forme d’une hospitalisation complète des mesures plus radicales, de neutralisation, voire
prononcée en cas d’irresponsabilité pénale pour cause de d’élimination sociale39.
trouble mental, la Chambre criminelle de la Cour de cassa- Toutefois, les figures de la dangerosité tendent à se
tion, après avoir considéré que cette mesure était une peine, multiplier40 et avec elles, l’accroissement des régimes déro-
a opéré un revirement et estimé que, conformément à ce gatoires dont la banalisation croissante constitue autant de
qu’avait décidé le législateur, la mesure prévue aux articles risques de dérives rendus possibles par la « contamination de
706- 135 et 136 du Code de procédure pénale était une l’ordinaire par l’extraordinaire, du commun par le
mesure de sûreté [10]. dérogatoire »41 et dont il convient de se méfier.
L’identification de la nature et du régime juridique de De toutes ces observations, il ressort clairement que le
certaines mesures a donc été laborieuse et témoigne du traitement de la dangerosité manque inévitablement
malaise de la justice criminelle à justifier juridiquement d’effectivité dans la mesure où le législateur tend à créer
l’introduction dans le champ pénal de mesures fondées sur « non une justice de liberté fondée sur la responsabilité de
l’unique dangerosité de l’individu d’où peut résulter une l’auteur du crime » mais une justice où le crime devient un
privation de liberté selon des règles dérogatoires aux prin- risque et suppose « un régime de sûreté fondé sur la dange-
cipes fondamentaux du droit pénal. rosité présumée d’un auteur virtuel d’infractions
(2) La multiplication des régimes dérogatoires aux prin- éventuelles » [11].
cipes de droit pénal. Avant tout, il convient de formuler
deux remarques qui semblent faire l’unanimité au sein de
la doctrine pénaliste37. En premier lieu, il apparaît évident Conclusion
que nous sommes entrés dans une nouvelle « ère » du droit
pénal, ce dernier étant fondé non plus seulement sur la Face aux incertitudes que suscite la judiciarisation de la
culpabilité mais également sur la dangerosité de l’individu. notion de dangerosité, une certitude demeure : la société
En second lieu, ce droit pénal de la dangerosité appelé s’autorise à l’heure actuelle plus que jamais à agir contre le
également droit pénal de l’ennemi dans ses manifestations délinquant en raison du danger qu’il représente. Dès lors la
extrêmes, a pu s’imposer grâce à la prédominance notion de dangerosité est intégrée dans le champ pénal. Si
des théories positivistes et à l’idée selon laquelle l’utile celle-ci se manifeste de manière plus ou moins apparente
tendrait à l’emporter sur le juste. En effet pour certains selon les périodes en fonction des priorités posées par les
auteurs, le pragmatisme justifierait à tort que l’on politiques criminelles, elle n’en demeure pas moins
déroge à la rigueur du droit, par le contournement voire présente et est aujourd’hui intrinsèquement liée à la pro-
blématique ainsi qu’aux objectifs posés par la science
34
Pin X., op.cit., p. 91. pénale.
35
Sur ce point v. les commentaires doctrinaux de la décision du Toutefois, le système pénal s’agissant tant de l’évalua-
Conseil Constitutionnel du 21 février 2008 : Mayaud Y, D. 2008, tion de la dangerosité que de son traitement, souffre incon-
chron., p. 1359; Courtin C., Dr. pén. 2008, Et. 11; Mathieu B., testablement d’un manque d’effectivité. Le nombre
JCP G 2008, act. n˚166; Rousseau F., op.cit., p. 273. important de textes législatifs et réglementaires promulgués
36
Cour EDH, 5e Sect. 17 décembre 2009, Requête no 19359/04,
Mücke c/Allemagne. Or, compte tenu des critères de la peine posés
38
par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt du 9 Fiechter-Boulvard F., op.cit., p. 265; Guidicelli-Delage G.,
février 1995 Welch c/RU, la rétention de sûreté apparaît clairement précité.
39
comme étant une peine car prononcée à la suite d’une condamna- Guidicelli-Delage G., précité.
40
tion à une peine d’au moins 15 ans de réclusion criminelle, elle doit Les malades mentaux, les délinquants sexuels, les toxicomanes,
être expressément prévue par la juridiction répressive à la suite de les alcooliques, les violents, les membres de groupes criminels
la commission d’une infraction et implique une privation de liberté. organisés ou non, les membres de minorités, les étrangers, les
37
V. par exemple Guidicelli-Delage G., op.cit., p. 69; Rousseau F., terroristes, les jeunes sont les figures actuelles de la dangerosité,
dangerosité et sanctions pénales, op.cit., p. 273, Lameyre X., v. Guidicelli-Delage G., précité.
41
op.cit., p. 322. Guidicelli-Delage G., précité.
La judiciarisation de la notion de dangerosité 13

ces cinq dernières années42 révèle le malaise de notre leurs droits fondamentaux. Il n’est pas évident que l’une soit
société et plus précisément de la justice criminelle à gérer plus excusable que l’autre » [12].
et donc à traiter le problème de la dangerosité. La crédibilité
du système pénal s’en trouve nécessairement affectée et
conduit à un manque de cohérence dans la politique crimi- Déclaration d’intérêts
nelle menée par les différents gouvernements. En effet et
paradoxalement le législateur multiplie les textes renforçant L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-
la répression à l’égard des criminels dangereux tout en tion avec cet article.
développant dans le même temps les alternatives à l’enfer-
mement. Ce comportement nuit au principe de sécurité
Références
juridique et ne fait qu’apaiser l’opinion publique en créant
l’illusion d’une certaine capacité du politique et du juridique
[1] Guidicelli-Delage G. Les politiques sécuritaires à la lumière de
à gérer le phénomène de la dangerosité.
la doctrine pénale du XIXe au XXIe siècle, Droit pénal de la
Dans ce contexte, quelles perspectives d’évolution peut- dangerosité-droit pénal de l’ennemi, RSC; 2010. p. 69.
on vraisemblablement envisager ? Après avoir tenté en vain [2] Rousseau F. Dangerosité et sanctions pénales. In: Peine,
pendant des années d’éradiquer la dangerosité, les pouvoirs dangerosité : quelles certitudes ? Essais de philosophie pénale
publics ne semblent pas s’être résignés. Or la dangerosité de criminologie, institut de criminologie de Paris. Dalloz; 2010.
fait partie intégrante de toute société et en ce sens ne peut p. 280;
être supprimée. Il faut donc tenter de la maîtriser. Mais les Lameyre X. Les dangers de la notion de dangerosité. In: Peine,
moyens employés ne semblent guère faire l’unanimité. Ainsi dangerosité : quelles certitudes ? Essais de philosophie pénale
d’une part, la loi du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le de criminologie, institut de criminologie de Paris. Dalloz; 2010.
risque de récidive criminelle a institué la mesure très p. 319.
[3] Burgaud E. La variabilité du concept de dangerosité en droit
conversée de la « castration chimique », l’article 10 de cette
pénal des origines à la fin du XIXe siècle. In: Peine, dangerosité :
loi prévoyant en effet que les personnes condamnées pour quelles certitudes ? Essais de philosophie pénale de criminolo-
l’une des infractions de nature sexuelle mentionnées à gie, institut de criminologie de Paris. Dalloz; 2010. p. 207, 265.
l’article 706-47 du Code de procédure pénale puissent faire [4] Jacopin S. La dangerosité saisie par le droit pénal. In: Peine,
l’objet, sur prescription du médecin traitant, d’un traite- dangerosité : quelles certitudes ? Essais de philosophie pénale
ment inhibiteur de la libido. D’autre part, l’actuel garde des de criminologie, institut de criminologie de Paris. Dalloz; 2010.
sceaux a annoncé en conseil des ministres, le 2 mars dernier, p. 243—244.
la création d’un office interministériel de repérage des [5] Lopez G, Tzitzis S. Dictionnaire des sciences criminelles. Dal-
délinquants les plus dangereux, d’alerte et de prévention loz; 2007.
de leurs passages à l’acte. [6] Gassin R. Criminologie, . Précis 6e éd., Dalloz; 2007, no 21.
[7] Robert JH. Récidive législative. Commentaire de la loi no 2010-
La tendance actuelle consiste donc à s’écarter de la
242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive
dichotomie classique : répression/prévention pour se diriger criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale,
vers l’idée de neutralisation du délinquant dangereux. La Dr. Pén; 2010 [no 5, Et. 8].
voie de la prévention dite négative est privilégiée43 et [8] Cass.. Crim; 2009;
implique une prise en charge de la personne dangereuse Mistretta P. JCP G; 2010, 117;
par un traitement parfois très lourd et difficile à supporter. Pradel J. D; 2010, jur., p. 471.
Malgré les critiques, le législateur persiste et signe et affiche [9] Beziz A. Dictionnaire de droit pénal général et de procédure
progressivement sa position en faveur d’un droit pénal de la pénale, Ellipses, 5e éd., 2011, p. 216.
dangerosité. Mais « la dangerosité n’est pas à sens unique. [10] Rousseau F. L’application dans le temps des nouvelles dispo-
S’il existe une première forme de dangerosité qui consiste à sitions du 25 février 2008 relatives à l’irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental. À propos de l’arrêt de la chambre
s’attaquer aux droits des individus en les agressant physi-
criminelle du 21 janvier 2009, Dr. Pén 2009; 2009 [Et.9;
quement, il en existe une seconde qui consiste aussi, en se V. également Cass. crim. 16 déc. op.cit].
prononçant sur la dangerosité des autres, à faire violence à [11] Badinter R. « Le retour de l’homme dangereux », Nouvel
observateur; 2008;
Badinter R. « La prison après la peine », Le Monde, 27 novembre
42
V. loi no 2005-1549 du 12 déc. 2005 portant traitement de la 2007 in Fiechter-Boulvard F., p. 265.[op.cit].
récidive des infractions pénales, JORF du 13 déc. 2005; loi no 2007- [12] Dozois J, Lalonde M, Poupart J, Morice A, d’Hervé N. Justice de
sûreté et gestions des risques : approche pratique et réflexive,
297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, JORF
du 7 mars 2007; loi no 2007-1198 du 10 août 2007 relative à la bibliothèques de droit pénal. l’Harmattan; 2010. p. 43.
récidive des majeurs et des mineurs, JORF 11 août 2007; loi
n˚2008-174 du 25 févr. 2008 relative à la rétention de sûreté, JORF
26 fév. 2008; loi pénitentiaire n˚2009-1436 du 23 nov. 2009, JORF 25
nov. 2009; la loi no 2010-201 et 2010-242 des 2 et 10 mars 2010
relative aux violences de groupe et à la récidive criminelle, JORF du
3 et 11 mars 2010; Taleb A., Obs. sur le Décret no 2010-1277 du 27
oct. 2010 relatif à la libération conditionnelle et à la surveillance
judiciaire et portant diverses dispositions de procédure pénale,
JORF du 28 oct. 2010, p. 19365 in Chron. législative (ss. la dir.
Varinard A.), Rev. pénit. 2011 no 2 (à paraître).
43
La prévention dite positive impliquerait des mesures liées à la
réinsertion.

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