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«La fonction politique de l'intellectuel»

Entretien avec Michel Foucault


Dits Ecrits Tome III n°192
ns
«Intervista a Michel Foucault» («Entretien avec Michel Foucault» ; réalisé
par A, Fontana et P. Pasquino, en juin 1976 ; trad. C. Lazzeri), in Fontana
(A.) et Pasquino (P.), éd., Microfisica deI potere : interventi politici, Turin,
Einaudi, 1977, pp. 3-28.

Dits Ecrits Tome III n°192

Ce texte doit être lié à la première version publiée en France : «La fonction
politique de l'intellectuel», politique-Hebdo, 29 novembre - 5 décembre
1976, pp. 31-33. Agencement d'extraits de l' «Entretien avec Michel
Foucault» qui paraîtra en Italie en 1977. (sur la redéfinition de l'intellectuel
comme "intellectuel spécifique" après 1945).
Ce texte se trouve dans Dits Ecrits III
n°184 http://1libertaire.free.fr/MFoucault133.html

- pour le public italien, vous êtes l'auteur de l'Histoire de la folie, des Mots et
les Choses et aujourd'hui de Surveiller et Punir, Est-ce que vous pourriez
brièvement esquisser le trajet qui vous a amené de votre travail sur la folie à
l'âge classique à l'étude de la criminalité et de la délinquance ?

- Quand j'ai fait mes études, vers les années 1950-1955, l'un des grands
problèmes qui se posaient était celui du statut politique de la science et des
fonctions idéologiques qu'elle pouvait véhiculer. Ce n'était pas exactement le
problème Lyssenko qui dominait, mais je crois qu'autour de cette vilaine
affaire qui est restée si longtemps

1. Il faut lire égaiement le livre remarquable de Bernard Rémy, journal de


prison (Paris, 1977), l'un des ouvrages les plus forts sur l'empoisonnement
militaire et à travers lui sur l'institution militaire dans son ensemble.

enfouie et soigneusement cachée, tout un tas de questions intéressantes ont


été agitées. Deux mots vont les résumer toutes : pouvoir et savoir. Je crois
que j'ai écrit l’Histoire de la folie un peu sur l'horizon de ces questions. Il
s'agissait pour moi de dire ceci : si on pose à une science comme la physique
théorique ou comme la chimie organique le problème de ses rapports avec les
structures politiques et économiques de la société, est-ce qu'on ne pose pas
un problème trop compliqué ? Est-ce qu'on ne place pas trop haut la barre de
l'explication possible ? Si, en revanche, on prend un savoir comme la
psychiatrie, est-ce que la question ne sera pas beaucoup plus facile à
résoudre, parce que le profil épistémologique de la psychiatrie est bas et
parce que la pratique psychiatrique est liée à toute une série d'institutions,
d'exigences économiques immédiates, d'urgences politiques de régulations
sociales ? Est-ce que, dans le cas d'une science aussi «douteuse» que la
psychiatrie, on ne pourrait pas saisir de façon plus certaine l'enchevêtrement
des effets de pouvoir et de savoir ? C'est cette même question que j'ai voulu,
dans la Naissance de la clinique, poser à propos de la médecine : elle a
certainement une structure scientifique beaucoup plus forte que la
psychiatrie, mais elle est aussi engagée très profondément dans les structures
sociales. Ce qui m'a alors un peu dérouté, c'est le fait que cette question que
je me posais n'a pas du tout intéressé ceux à qui je la posais. Ils ont considéré
que c'était un problème qui était politiquement sans importance et
épistémologiquement sans noblesse.

Il y avait à cela je crois trois raisons. La première, c'est que le problème des
intellectuels marxistes en France était -et en ceci ils jouaient le rôle que leur
prescrivait le P.C.F. -de se faire reconnaître par l'institution universitaire et
par l'establishment ; ils devaient donc poser les mêmes questions qu'eux,
traiter des mêmes problèmes et des mêmes domaines : «Nous avons beau être
marxistes, nous ne sommes pas étrangers à ce qui vous préoccupe ; mais nous
sommes les seuls à donner à vos vieilles préoccupations des solutions
neuves.» Le marxisme voulait se faire accepter comme renouvellement de la
tradition libérale, universitaire (comme d'une façon plus large, à la même
époque, les communistes se présentaient comme seuls susceptibles de
reprendre et de revigorer la tradition nationaliste). De là, dans le domaine qui
nous occupe, le fait qu'ils ont voulu reprendre les problèmes les plus
académiques et les plus «nobles» de l'histoire des sciences : mathématique,
physique, bref, les thèmes valorisés par Duhem, Husserl, Koyré. La
médecine, la psychiatrie, ça ne faisait ni très noble ni très sérieux, pas à la
hauteur des grandes formes du rationalisme classique.

La deuxième raison, c'est que le stalinisme poststalinien excluant du discours


marxiste tout ce qui n'était pas répétition du déjà dit ne permettait pas
d'aborder des domaines non encore parcourus. Pas de concepts formés, pas
de vocabulaire validé pour des questions comme les effets de pouvoir de la
psychiatrie ou le fonctionnement politique de la médecine ; alors que les
innombrables échanges qui avaient eu lieu depuis Marx jusqu'à l'époque
actuelle, en passant par Engels et Lénine, entre les universitaires et les
marxistes avaient réalimenté toute une tradition de discours sur la science au
sens où le XIXe siècle l'entendait. Les marxistes payaient leur fidélité au
vieux positivisme, au prix d'une surdité radicale à l'égard de toutes les
questions de psychiatrie pavloviennes ; chez certains médecins proches du
P.C.F., la politique psychiatrique, la psychiatrie comme politique n'était pas à
l'honneur.

Ce que, de mon côté, j'avais essayé de faire dans ce domaine, a été accueilli
par un grand silence dans la gauche intellectuelle française. Et c'est
seulement autour de 1968, en dépit de la tradition marxiste et malgré le P.C.,
que toutes ces questions ont pris leur signification politique, avec une acuité
que je n'avais pas soupçonnée et qui montrait combien mes livres antérieurs
étaient encore timides et embarrassés. Sans l'ouverture politique réalisée ces
années-là, je n'aurais sans doute pas eu le courage de reprendre le fil de ces
problèmes et de poursuivre mon enquête du côté de la pénalité, des prisons,
des disciplines.

Enfin, il y a peut-être une troisième raison, mais je ne peux pas être sûr,
absolument, qu'elle ait joué. Je me demande cependant s'il n'y avait pas chez
les intellectuels du P.C.F. (ou proches de lui) un refus de poser le problème
du renfermement, de l'utilisation politique de la psychiatrie, d'une façon plus
générale du quadrillage disciplinaire de la société. Peu encore, sans doute,
connaissaient, vers les années 1955-1960, l'ampleur du goulag dans la réalité,
mais je crois que beaucoup la pressentaient, beaucoup avaient le sentiment
que de ces choses-là il valait mieux de toute façon ne pas parler : zone
dangereuse, lumière rouge. Bien sûr, il est difficile de jauger
rétrospectivement leur degré de conscience. Mais vous savez bien avec
quelle facilité la direction du Parti -qui, elle n'ignorait rien, bien entendu -
pouvait faire circuler des consignes, empêcher qu'on parle de ceci ou de cela,
disqualifier ceux qui en parlaient...

- Il existe donc un certain type de discontinuité dans votre propre trajet


théorique. À ce propos, que pensez-vous aujourd'hui de ce concept à travers
lequel on a trop vite et trop facilement cherché à faire de vous un historien
structuraliste ?

- Cette histoire de discontinuité m'a toujours un peu surpris. Une édition du


Petit Larousse qui vient de paraître dit : «Foucault : philosophe qui fonde sa
théorie de l'histoire sur la discontinuité.» Ça me laisse pantois. Je m'en suis
sans doute insuffisamment expliqué dans Les Mots et les Choses, bien que
j'en aie parlé beaucoup. Il m'a semblé que, dans certaines formes de savoir
empiriques comme la biologie, l'économie politique, la psychiatrie, la
médecine, etc., le rythme des transformations n'obéissait pas aux schémas
doux et continuistes du développement qu'on admet d'ordinaire. La grande
image biologique d'une maturation de la science sous-tend encore pas mal
d'analyses historiques ; elle ne me paraît pas pertinente historiquement. Dans
une science comme la médecine, par exemple, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle,
vous avez un certain type de discours dont les transformations lentes -vingt-
cinq, trente ans -ont rompu non seulement avec les propositions vraies qui
ont pu être formulées jusque-là, mais plus profondément, avec les façons de
parler, avec les façons de voir, avec tout l'ensemble des pratiques qui
servaient de support à la médecine : ce ne sont pas simplement de nouvelles
découvertes ; c'est un nouveau régime dans le discours et le savoir. Et cela en
quelques années. C'est quelque chose qu'on ne peut pas nier à partir du
moment où l'on regarde les textes avec suffisamment d'attention. Mon
problème n'a pas été du tout de dire : eh bien voilà, vive la discontinuité, on
est dans la discontinuité et restons-y, mais de poser la question : comment
peut-il se faire qu'on ait à certains moments et dans certains ordres de savoir
ces brusques décrochages, ces précipitations d'évolution, ces transformations
qui ne répondent pas à l'image tranquille et continuiste qu'on s'en fait
d'ordinaire ? Mais l'important dans de tels changements, ce n'est pas s'ils
seront rapides ou de grande étendue, ou plutôt cette rapidité et cette étendue
ne sont que le signe d'autres choses : une modification dans les règles de
formation des énoncés qui sont acceptés comme scientifiquement vrais. Ce
n'est donc pas un changement de contenu (réfutation d'anciennes erreurs,
mise au jour de nouvelles vérités), ce n'est pas non plus une altération de la
forme théorique (renouvellement du paradigme, modification des ensembles
systématiques) ; ce qui est en question, c'est ce qui régit les énoncés et la
manière dont ils se régissent les uns les autres pour constituer un ensemble de
propositions acceptables scientifiquement et susceptibles par conséquent
d'être vérifiées ou infirmées par des procédures scientifiques. Problème en
somme de régime, de politique de l'énoncé scientifique. À ce niveau, il s'agit
de savoir non pas quel est le pouvoir qui pèse de l'extérieur sur la science,
mais quels effets de pouvoir circulent entre les énoncés scientifiques ; quel
est en quelque sorte leur régime intérieur de pouvoir ; comment et pourquoi,
à certains moments, il se modifie de façon globale.

Ce sont ces différents régimes que j'ai essayé de repérer et de décrire dans
Les Mots et les Choses. En disant bien que je n'essayais pas, pour l'instant, de
les expliquer. Et qu'il faudrait essayer de le faire dans un travail ultérieur.
Mais ce qui manquait à mon travail, c'était ce problème du régime discursif,
des effets de pouvoir propre au jeu énonciatif. Je le confondais beaucoup trop
avec la systématicité, la forme théorique ou quelque chose comme le
paradigme. Au point de confluence de l’Histoire de la folie et des Mots et les
Choses il y avait, sous deux aspects très différents, ce problème central de
pouvoir que j'avais encore très mal isolé.

- Il faut donc replacer le concept de discontinuité dans le lieu qui lui est
propre. Il y a peut-être un concept alors qui est plus astreignant, qui est plus
central dans votre pensée, le concept d'événement. Or, à propos de
l'événement, une génération a été pendant longtemps dans l'impasse, car, à la
suite des travaux des ethnologues et même des grands ethnologues, il s'est
établi cette dichotomie entre les structures, d'une part (ce qui est pensable), et
l'événement, d'autre part, qui serait le lieu de l'irrationnel, de l'impensable, de
ce qui ne rentre pas et ne peut pas rentrer dans la mécanique et le jeu de
l'analyse du moins dans la forme qu'ils ont prise à l'intérieur du
structuralisme. Tout récemment encore, dans le cadre d'un débat publié dans
la revue L'Homme, trois éminents ethnologues se posent à nouveau cette
question et répondent à propos de l'événement : c'est ce qui nous échappe, il
est le lieu de la contingence absolue. Nous sommes les penseurs et les
analystes des structures. L'histoire ne nous concerne pas, nous ne savons
qu'en faire, etc. Cette opposition a été le lieu et le produit d'une certaine
anthropologie. Je crois qu'elle a produit des ravages, y compris chez les
historiens qui en sont finalement venus à disqualifier l'événement et l'histoire
événementielle comme histoire de second ordre des faits petits, voire infimes,
des accidents, etc. Le fait est qu'en histoire se produisent des noeuds où il ne
s'agit ni de faits mineurs ni de cette belle structure bien ordonnée, pertinente
et transparente pour l'analyse. Le grand renfermement, par exemple, que vous
décrivez dans l'Histoire de la folie, constitue peut-être un de ces noeuds qui
échappent à l'opposition entre événement et structure, Peut-être pourriez-
vous préciser, en l'état actuel des choses, cette reprise et cette reformulation
du concept d'événement ?

- On admet que le structuralisme a été l'effort le plus systématique pour


évacuer non seulement de l'ethnologie, mais de toute une série d'autres
sciences, et même à la limite de l'histoire, le concept d'événement. Je ne vois
pas qui peut être plus antistructuraliste que moi. Mais ce qui est important,
c'est de ne pas faire pour l'événement ce qu'on a fait pour la structure. Il ne
s'agit pas de tout mettre sur un certain plan qui serait celui de l'événement,
mais de bien considérer qu'il existe tout un étagement de types d'événements
différents qui n'ont ni la même portée, ni la même ampleur chronologique, ni
la même capacité de produire des effets.

Le problème, c'est à la fois de distinguer les événements, de différencier les


réseaux et les niveaux auxquels ils appartiennent, et de reconstituer les fils
qui les relient et les font s'engendrer les uns à partir des autres. De là le refus
des analyses qui se réfèrent au champ symbolique ou au domaine des
structures signifiantes ; et le recours aux analyses qu'on fait en termes de
généalogie de rapports de forces, de développements stratégiques, de
tactiques. Je crois que ce à quoi on doit se référer, ce n'est pas au grand
modèle de la langue et des signes, mais de la guerre et de la bataille.
L'historicité qui nous emporte et nous détermine est belliqueuse ; elle n'est
pas langagière. Relation de pouvoir, non relation de sens. L'histoire n'a pas de
sens, ce qui ne veut pas dire qu'elle est absurde ou incohérente. Elle est au
contraire intelligible et elle doit pouvoir être analysée jusque dans son
moindre détail : mais selon l'intelligibilité des luttes, des stratégies et des
tactiques. Ni la dialectique (comme logique de contradiction), ni la
sémiotique (comme structure de la communication) ne sauraient rendre
compte de ce qui est l'intelligibilité intrinsèque des affrontements. Cette
intelligibilité, la dialectique est une manière d'en esquiver la réalité toujours
hasardeuse et ouverte, en la rabattant sur le squelette hégélien ; et la
sémiologie est une manière d'en esquiver le caractère violent, sanglant,
mortel, en la rabattant sur la forme apaisée et platonicienne du langage et du
dialogue.

- En rapport avec ce problème de la discursivité, je crois qu'on peut dire


tranquillement que vous avez été le premier à poser au discours la question
du pouvoir, la poser au moment où sévissait un type d'analyses qui passait
par le concept de texte, disons l'objet «texte» avec la méthodologie qui
l'accompagne, c'est-à-dire la sémiologie, le structuralisme, etc. Donc, poser
au discours la question du pouvoir veut dire, au fond, à qui sers-tu ? Il ne
s'agit pas tant de le décomposer dans son non-dit, d'y traquer un sens
implicite. Les discours, vous l'avez souvent répété, sont transparents, ils n'ont
pas besoin d'interprétation ou de quelqu'un qui vienne leur donner un sens.
Quand on lit les textes d'une certaine manière, on voit qu'ils parlent
clairement et qu'ils n'ont pas besoin d'un sens et d'une interprétation
additionnels. Cette question du pouvoir posée aux discours a comporté
naturellement un certain type d'effet et un certain nombre d'implications sur
le plan méthodologique et sur celui de la recherche historique en cours.
pourriez-vous situer assez brièvement cette question que vous avez posée, s'il
est vrai que vous l'avez posée ?

- Je ne pense pas avoir été le premier à poser cette question. Je suis frappé au
contraire du mal que j'ai eu à la formuler. Quand j'y repense maintenant, je
me dis de quoi ai-je pu parler, par exemple, dans l’Histoire de la folie ou
dans la Naissance de la clinique, sinon du pouvoir ? Or j'ai parfaitement
conscience de n'avoir pratiquement pas employé le mot et de n'avoir pas eu
ce champ d'analyses à ma disposition. Je peux dire qu'il y a eu certainement
une incapacité qui était liée à coup sûr à la situation politique dans laquelle
nous nous trouvions. On ne voit pas de quel côté -à droite ou à gauche -on
aurait pu poser ce problème du pouvoir. À droite, il n'était posé qu'en termes
de Constitution, de souveraineté, etc., donc en termes juridiques ; du côté du
marxisme, en termes d'appareils de l'État. La manière dont il s'exerçait
concrètement et dans le détail, avec sa spécificité, ses techniques et ses
tactiques, on ne la cherchait pas ; on se contentait de le dénoncer chez l'autre,
chez l'adversaire, d'une façon à la fois polémique et globale : le pouvoir dans
le socialisme soviétique était appelé par ses adversaires totalitarisme ; et,
dans le capitalisme occidental, il était dénoncé par les marxistes comme
domination de classe, mais la mécanique du pouvoir n'était jamais analysée.
On n'a pu commencer à faire ce travail qu'après 1968, c'est-à-dire à partir de
luttes quotidiennes et menées à la base, avec ceux qui avaient à se débattre
dans les maillons les plus fins du réseau du pouvoir. C'est là où le concret du
pouvoir est apparu et en même temps la fécondité vraisemblable de ces
analyses du pouvoir pour se rendre compte de ces choses qui étaient restées
jusque-là hors du champ de l'analyse politique. Pour dire les choses très
simplement, l'internement psychiatrique, la normalisation mentale des
individus, les institutions pénales ont sans doute une importance assez limitée
si on en cherche seulement la signification économique. En revanche, dans le
fonctionnement général des rouages du pouvoir, ils sont sans doute
essentiels. Tant qu'on posait la question du pouvoir en le subordonnant à
l'instance économique et au système d'intérêt qu'elle assurait, on était amené
à considérer ces problèmes comme de peu d'importance.
- Est-ce qu'un certain marxisme et une certaine phénoménologie ont constitué
un obstacle objectif à la formulation de cette problématique ?

- Oui, si vous voulez, dans la mesure où c'est vrai que les gens de ma
génération ont été nourris, quand ils étaient étudiants, de ces deux formes
d'analyse : l'une qui renvoyait au sujet constituant et l'autre qui renvoyait à
l'économique en dernière instance, à l'idéologie et au jeu des superstructures
et des infrastructures.

- Toujours dans ce cadre méthodologique, l'approche généalogique, comment


la situeriez-vous alors ? Quelle est sa nécessité comme questionnement sur
les conditions de possibilité, les modalités, et la constitution des «objets» et
des domaines que vous avez tour à tour analysés ?

- Ces problèmes de constitution, je voulais voir comment on pouvait les


résoudre à l'intérieur d'une trame historique au lieu de les renvoyer à un sujet
constituant. Mais cette trame historique ne devrait pas être la simple
relativisation du sujet phénoménologique. Je ne crois pas que le problème se
résolve en historicisant le sujet auquel se référaient les phénoménologues et
en se donnant, par conséquent, une conscience qui se transforme à travers
l'histoire. Il faut, en se débarrassant du sujet constituant, se débarrasser du
sujet lui-même, c'est-à-dire arriver à une analyse qui puisse rendre compte de
la constitution du sujet dans la trame historique. Et c'est ce que j'appellerais
la généalogie, c'est-à-dire une forme d'histoire qui rende compte de la
constitution des savoirs, des discours, des domaines d'objet, etc., sans avoir à
se référer à un sujet, qu'il soit transcendant par rapport au champ
d'événements ou qu'il coure dans son identité vide, tout au long de l'histoire.

- La phénoménologie marxiste, un certain marxisme ont certainement fait


écran et obstacle ; il y a deux concepts aussi qui continuent, eux, à faire écran
et obstacle, aujourd'hui, ceux d'idéologie, d'une part, et de répression, de
l'autre. C'est ainsi que, tout bien pesé, se pense l'histoire, que l'on donne un
sens à ces phénomènes de normalisation, de sexualité, de pouvoir. Au fond,
qu'on en fasse ou non usage, on revient toujours, d'une part, à l'idéologie,
concept que l'on peut facilement faire remonter à Marx, et, d'autre part, à
celui de répression que Freud a souvent et volontiers utilisé dans toute son
oeuvre. Par conséquent, je me permettrai d'avancer la chose suivante : il y a
comme une espèce de nostalgie derrière ces deux notions et chez ceux qui les
utilisent à tort et à travers ; derrière la notion d'idéologie, il y a la nostalgie
d'un savoir qui serait comme transparent à soi-même et qui fonctionnerait
sans illusion, sans erreur ; d'autre part, il y a derrière la notion de répression,
la nostalgie d'un pouvoir qui fonctionnerait sans contrainte, sans discipline,
sans normalisation ; une espèce de pouvoir sans matraque d'un côté et un
savoir sans illusion de l'autre. Ces deux notions d'idéologie et de répression,
vous les avez définies comme négatives, psychologiques, insuffisamment
explicatives. Vous l'avez surtout fait dans votre dernier livre, Surveiller et
Punir, dans lequel, si l'on ne trouve pas de grande discussion théorique sur
ces concepts, on rencontre un type d'analyse qui permet d'aller au-delà des
formes d'intelligibilité traditionnelles fondées, et pas seulement en dernière
instance, sur les notions d'idéologie et de répression. Ne disposeriez-vous pas
maintenant du lieu et de l'occasion pour préciser votre pensée à ce propos ?
Pour la première fois, peut-être, s'annonce, dans Surveiller et Punir, une
espèce d'histoire positive, sans idéologie et sans répression, histoire enfin
libérée de toute la négativité et de tout le psychologisme qu'impliquent ces
instruments passe-partout.

- La notion d'idéologie me paraît difficilement utilisable pour trois raisons.


La première, c'est, qu'on le veuille ou non, qu'elle est toujours en opposition
virtuelle avec quelque chose qui serait la vérité. Or je crois que le problème,
ce n'est pas de faire le partage entre ce qui, dans un discours, relève de la
scientificité et de la vérité et puis ce qui relèverait d'autre chose, mais de voir
historiquement comment se produisent des effets de vérité à l'intérieur de
discours qui ne sont en eux-mêmes ni vrais ni faux. Deuxième inconvénient,
c'est qu'elle se réfère je crois nécessairement à quelque chose comme un
sujet. Et, troisièmement, l'idéologie est en position seconde par rapport à
quelque chose qui doit fonctionner pour elle comme infrastructure ou
déterminant économique, matériel, etc. pour ces trois raisons, je crois que
c'est une notion qu'on ne peut pas utiliser sans précaution.

La notion de répression, elle, est plus perfide, ou en tout cas j'ai eu beaucoup
plus de mal à m'en débarrasser dans la mesure où, en effet, elle paraît si bien
coller avec toute une série de phénomènes qui relèvent des effets du pouvoir.
Quand j'ai écrit l'Histoire de la folie, je me servais au moins implicitement de
cette notion de répression. Je crois bien que je supposais alors une espèce de
folie vive, volubile et anxieuse que la mécanique du pouvoir et de la
psychiatrie serait arrivée à réprimer et à réduire au silence. Or il me semble
que la notion de répression est tout à fait inadéquate pour rendre compte de
ce qu'il y a justement de producteur dans le pouvoir. Quand on définit les
effets de pouvoir par la répression, on se donne une conception purement
juridique de ce même pouvoir ; on identifie le pouvoir à une loi qui dit non ;
il aurait surtout la puissance de l'interdit. Or je crois que c'est là une
conception toute négative, étroite, squelettique du pouvoir qui a été
curieusement partagée. Si le pouvoir n'était jamais que répressif, s'il ne faisait
jamais rien d'autre que de dire non, est-ce que vous croyez vraiment qu'on
arriverait à lui obéir ? Ce qui fait que le pouvoir tient, qu'on l'accepte, mais
c'est tout simplement qu'il ne pèse pas seulement comme une puissance qui
dit non, mais qu'en fait il traverse, il produit les choses, il induit du plaisir, il
forme du savoir, il produit du discours ; il faut le considérer comme un
réseau productif qui passe à travers tout le corps social beaucoup plus que
comme une instance négative qui a pour fonction de réprimer. Dans
Surveiller et Punir, ce que j'ai voulu montrer, c'est comment, à partir des
XVIIe-XVIIIe siècles, il y avait eu véritablement un déblocage technologique
de la productivité du pouvoir. Non seulement les monarchies de l'époque
classique ont développé de grands appareils d'État -armée, police,
administration fiscale -, mais surtout on a vu à cette époque s'instaurer ce
qu'on pourrait appeler une nouvelle économie du pouvoir, c'est-à-dire des
procédés qui permettent de faire circuler les effets de pouvoir de façon à la
fois continue, ininterrompue, adaptée, individualisée dans le corps social tout
entier. Ces nouvelles techniques sont à la fois beaucoup plus efficaces et
beaucoup moins dispendieuses (moins coûteuses économiquement, moins
aléatoires dans leur résultat, moins susceptibles d'échappatoires ou de
résistances) que les techniques qu'on utilisait jusque-là et qui reposaient sur
un mélange de tolérances, plus ou moins forcées (depuis le privilège reconnu
jusqu'à la criminalité endémique), et d'ostentation coûteuse (interventions
éclatantes et discontinues du pouvoir dont la forme la plus violente était le
châtiment exemplaire, parce qu'exceptionnel).

- La répression est un concept qui a été surtout utilisé autour de la sexualité.


On a dit que la société bourgeoise réprime la sexualité, étouffe le désir, etc.,
et, si l'on regarde, par exemple, cette campagne contre la masturbation qui
prend naissance au XVIIIe siècle, ou le discours médical sur l' homosexualité
de la seconde moitié du XIX, ou encore le discours sur la sexualité en
général, il est vrai qu'il y a apparence d'un discours de répression. En réalité,
il permet toute une série d'opérations qui sont essentiellement des opérations
qui apparaissent intimement liées à cette technique qui se présente, en
apparence, ou qui peut être décodée comme une technique de répression. Je
crois que la croisade contre la masturbation constitue un exemple typique.

- Certes. On a l'habitude de dire que la société bourgeoise a réprimé à tel


point la sexualité infantile qu'elle a même refusé d'en parler et de la voir là où
elle était. Il aurait été nécessaire d'attendre Freud pour découvrir finalement
que les enfants avaient une sexualité. Or vous pouvez lire tous les livres de
pédagogie, de médecine infantile, de conseils aux parents qui ont été publiés
au XVIIIe siècle, on y parle constamment et à propos de tout du sexe des
enfants. On peut dire que ces discours étaient précisément faits pour
empêcher qu'il y ait une sexualité. Mais ces discours fonctionnaient de
manière à faire entrer dans la tête des parents qu'il existait un problème
fondamental dans leur tâche éducative : le sexe de leurs enfants ; et, d'autre
part, à faire entrer dans la tête des enfants qu'il existait un problème capital
pour eux, le rapport à leur propre corps et à leur propre sexe ; ainsi se
trouvait électrisé le corps des enfants, alors que l'on fixait le regard et
l'attention des parents sur la sexualité infantile. On a sexualisé le corps
infantile, on a sexualisé le rapport du corps des enfants avec celui des
parents, on a sexualisé l'espace familial. Le pouvoir a positivement produit la
sexualité au lieu de la réprimer. Je crois que ce sont ces mécanismes positifs
qu'il faut chercher à analyser en se débarrassant du schématisme juridique à
travers lequel on a cherché jusqu'à aujourd'hui à conférer un statut au
pouvoir. De là, un problème historique : savoir pourquoi l'Occident n'a pas
voulu voir pendant si longtemps le pouvoir qu'il exerçait, sinon de manière
juridiquement négative, au lieu de le voir de manière technico-positive.

- C'est peut-être parce qu'on a toujours pensé que le pouvoir s'exprimait à


travers les grandes théories juridiques et philosophiques et qu'il existait une
séparation fondamentale et immuable entre ceux qui l'exerçaient et ceux qui
le subissaient.

- Je me demande si cela n'est pas lié à l'institution de la monarchie. Elle s'est


instaurée au Moyen Âge sur un fond de lutte permanent entre les pouvoirs
féodaux préexistants. Elle s'est présentée comme arbitre, comme pouvoir de
faire cesser la guerre, de mettre un terme aux violences, aux exactions et de
dire non aux luttes et aux litiges privés. Elle s'est rendue acceptable en se
donnant un rôle juridique et négatif, qu'elle a, bien entendu, immédiatement
dépassé. Le souverain, la loi, l'interdiction, tout cela a constitué un système
de représentation du pouvoir qui a été ensuite transmis par les théories du
droit : la théorie politique est restée obsédée par le personnage du souverain.
Toutes ces théories posent encore le problème de la souveraineté. Ce dont
nous avons besoin, c'est d'une philosophie politique qui ne soit pas construite
autour du problème de la souveraineté, donc de la loi, donc de l'interdiction ;
il faut couper la tête du roi et on ne l'a pas encore fait dans la théorie
politique.

- On n'a pas coupé celle du roi et, d'autre part, on cherche à en mettre une aux
disciplines, c'est-à-dire à ce vaste système de surveillance, de contrôle, de
normalisation et, plus tard, de punition, de correction, d'éducation qui
s'institue aux XVIIe-XVIIIe siècles. On se demande d'où vient ce système,
pourquoi il apparaît et quel avantage il comporte. Et on a un peu tendance
aujourd'hui à lui donner un sujet, un grand sujet molaire, totalitaire, l'État
moderne qui s'est constitué aux XVIE et XVIIe siècles, qui dispose d'une
armée de métier et, selon la théorie classique, d'une police et d'un corps de
fonctionnaires.

- poser le problème en termes d'État, c'est encore le poser en termes de


souverain et de souveraineté et en termes de loi. Décrire tous ces
phénomènes de pouvoir en fonction de l'appareil d'État, c'est les poser
essentiellement en termes de fonction répressive : l'armée qui est un pouvoir
de mort, la police et la justice qui sont des instances de pénalité... Je ne veux
pas dire que l'État n'est pas important ; ce que je veux dire, c'est que les
rapports de pouvoir, et par conséquent l'analyse que l'on doit en faire, doivent
aller au-delà du cadre de l'État. Et cela en deux sens : d'abord, parce que
l'État, y compris avec son omniprésence et avec ses appareils, est bien loin de
recouvrir tout le champ réel des rapports de pouvoir ; ensuite, parce que l'État
ne peut fonctionner que sur la base de relations de pouvoir préexistantes.
L'État est superstructurel au regard de toute une série de réseaux de pouvoir
qui passent à travers les corps, la sexualité, la famille, les attitudes, les
savoirs, les techniques, et ces rapports entretiennent une relation de
conditionnant/conditionné par rapport à une espèce de métapouvoir structuré
pour l'essentiel autour d'un certain nombre de grandes fonctions
d'interdiction. Mais ce métapouvoir disposant de fonctions d'interdiction ne
peut réellement disposer de prises et il ne peut se maintenir que dans la
mesure où il s'enracine dans toute une série de rapports de pouvoir multiples,
indéfinis et qui constituent la base nécessaire de ces grandes formes de
pouvoir négatives ; c'est cela que je voudrais faire apparaître.

- A partir de ce discours, est-ce que ne s'ouvre pas la possibilité de dépasser


ce dualisme, y compris sur le plan des luttes qui vivent depuis si longtemps
de l'opposition entre l'État, d'une part, et la révolution, de l'autre ? Est-ce que
ne se dessine pas un terrain de luttes plus ample que celui qui a pour
adversaire l'État ?

- Je dirais que l'État est une codification de relations de pouvoir multiples qui
lui permet de fonctionner et que la révolution constitue un autre type de
codification de ces relations. Cela implique qu'il existe autant de types de
révolutions que de codifications subversives possibles des relations de
pouvoir et que l'on puisse, d'autre part, parfaitement concevoir des
révolutions qui laissent intactes, pour l'essentiel, les relations de pouvoir qui
avaient permis à l'État de fonctionner.

- A propos du pouvoir comme objet d'investigation, vous avez dit qu'il


faudrait renverser la formule de Clausewitz et en venir à l'idée que la
politique est la continuation de la guerre par d'autres moyens. Sur la base de
vos analyses récentes, il semble que le modèle militaire soit celui qui rende le
mieux compte du pouvoir. La guerre est-elle donc un simple modèle
métaphorique ou constitue-t-elle le fonctionnement quotidien et régulier du
pouvoir ?

- Dans tous les cas, c'est le problème auquel j'ai à faire face aujourd'hui. Au
fond, à partir du moment où on cherche à isoler le pouvoir, avec ses
techniques et ses procédures, de la forme juridique à l'intérieur de laquelle les
théories l'avaient enfermé jusqu'à maintenant, il faut poser le problème : le
pouvoir n'est-il pas simplement une domination de type guerrier ? N'est-ce
donc pas en termes de rapports de forces qu'il faut par conséquent poser tous
les problèmes de pouvoir ? N'est-il pas une sorte de guerre généralisée qui
prendrait simplement, à certains moments la forme de la paix et de l'État ? La
paix serait une forme de guerre et l'État une manière de la conduire. C'est ici
que surgit toute une série de problèmes : la guerre de qui contre qui ? Lutte
entre deux ou plusieurs classes ? Lutte de tous contre tous ? Rôle de la guerre
et des institutions militaires dans cette société civile où se mène une guerre
permanente ; valeur des notions de tactique et de stratégie pour analyser les
structures et le processus politiques ; nature et transformation des rapports de
forces : tout cela devrait être étudié. En tout cas, il est surprenant de constater
avec quelle facilité, quelle quasi-évidence on parle de rapports de forces ou
de lutte des classes sans jamais préciser clairement s'il s'agit d'une forme de
guerre ou de quelle forme il pourrait s'agir.

- Nous avons parlé de ce pouvoir disciplinaire dont vous indiquez le


fonctionnement, les règles et le mode de constitution dans votre dernier livre
; on pourrait alors se demander : pourquoi surveiller ? quel est le bénéfice de
la surveillance ? Un phénomène apparaît au XVIIIe siècle, c'est celui qui
consiste à prendre la population comme objet scientifique ; on commence à
étudier les naissances, les décès, les déplacements de population, on
commence aussi à dire, par exemple, qu'un État ne peut gouverner s'il ne
connaît pas sa population. Moheau, par exemple, l'un des premiers à
organiser du point de vue administratif ce type de recherches, semble y
placer l'enjeu dans les problèmes du contrôle de la population. Ce pouvoir
disciplinaire fonctionne-t-il donc tout seul ? N'est-il pas lié à quelque chose
de plus général qui serait cette idée fixe d'une population qui se reproduise
bien, de personnes qui se marient bien, qui se comportent bien selon des
normes bien définies ? Il y aurait donc un corps molaire, un grand corps,
celui de la population et toute une série de discours que l'on tient sur elle, et
d'autre part, en aval, les petits corps, les corps dociles, singuliers, les
microcorps des disciplines. Comment peut-on penser, même s'il ne s'agit
peut-être que d'un début de recherche pour vous aujourd'hui, les types de
relations qui s'établissent si c'est le cas, entre ces deux corps : le corps
molaire de la population et les microcorps des individus ?

- La question est parfaitement bien posée. Il m'est difficile d'y répondre parce
que c'est justement sur cela que je suis en train de travailler en ce moment. Je
crois qu'il faut avoir présent à l'esprit qu'entre toutes les inventions
techniques fondamentales des XVIIe et XVIIIe siècles est apparue une
nouvelle technologie de l'exercice du pouvoir qui est probablement plus
importante que les réformes constitutionnelles ou que les nouvelles formes de
gouvernement qui ont été instituées à la fin du XVIIIe siècle. À gauche, on
entend souvent dire : «Le pouvoir, c'est ce qui abstrait et qui nie le corps, ce
qui refoule et réprime.»Je dirais plutôt que ce qui me frappe le plus dans ces
nouvelles technologies de pouvoir instaurées à partir des XVIIe-XVIIIe
siècles, c'est leur caractère à la fois concret et précis, leur prise sur une réalité
multiple et différenciée. Le pouvoir tel qu'on l'exerçait dans les sociétés de
type féodal fonctionnait, grosso modo, par signes et prélèvements. Signes de
fidélité au seigneur, rituels, cérémonies, et prélèvements de biens à travers
l'impôt, le pillage, la chasse, la guerre. À partir des XVIIe et XVIIIe siècles,
on a eu affaire à un pouvoir qui a commencé à s'exercer à travers la
production et la prestation. Il s'est agi d'obtenir des individus, dans leur vie
concrète, des prestations productives. Et pour cela, il a été nécessaire de
réaliser une véritable incorporation du pouvoir, en ce sens qu'il a dû arriver
jusqu'au corps des individus, à leurs gestes, à leurs attitudes, à leurs
comportements de tous les jours ; de là l'importance de procédés comme les
disciplines scolaires qui ont réussi à faire du corps des enfants un objet de
manipulations et de conditionnements très complexes. Mais, par ailleurs, ces
nouvelles techniques de pouvoir devaient prendre en compte les phénomènes
de population. Bref, traiter, contrôler, diriger l'accumulation des hommes (un
système économique qui favorisait l'accumulation du capital et un système de
pouvoir qui commandait l'accumulation des hommes sont devenus, à partir
du XVIIe siècle, deux phénomènes corrélatifs et indissociables l'un de l'autre)
; de là l'apparition des problèmes de démographie, de santé publique,
d'hygiène, d'habitat, de longévité et de fécondité. Et l'importance politique du
problème du sexe est due, je crois, au fait que le sexe se situe à la jonction
des disciplines du corps et du contrôle des populations.

- pour finir, une question qu'on vous a déjà posée : ces travaux que vous
faites, ces préoccupations qui sont les vôtres, ces résultats auxquels vous
arrivez, somme toute, comment peut-on s'en servir, disons, dans les luttes
quotidiennes ? Vous avez déjà parlé de la lutte ponctuelle comme lieu
spécifique de conflits avec le pouvoir, au-delà des diverses instances qui sont
celles des partis, des classes dans leur globalité et leur généralité. En
conséquence, quel est le rôle des intellectuels aujourd'hui ? Lorsqu'on n'est
pas un intellectuel organique (c'est-à-dire qui parle comme porte-parole d'une
organisation globale), lorsqu'on n'est pas un détenteur, un maître de vérité, où
se trouve-t-on ?

- Pendant longtemps, l'intellectuel dit «de gauche» a pris la parole et s'est vu


reconnaître le droit de parler en tant que maître de vérité et de justice. On
l'écoutait, ou il prétendait se faire écouter comme représentant de l'universel.
Être intellectuel, c'était être un peu la conscience de tous. Je crois qu'on
retrouvait là une idée transposée du marxisme, et d'un marxisme affadi : de
même que le prolétariat, par la nécessité de sa position historique, est porteur
de l'universel (mais porteur immédiat, non réfléchi, peu conscient de lui-
même), l'intellectuel, par son choix moral, théorique et politique, veut être
porteur de cette universalité, mais dans sa forme consciente et élaborée.
L'intellectuel serait la figure claire et individuelle d'une universalité dont le
prolétariat serait la forme sombre et collective.

Il y a bien des années maintenant qu'on ne demande plus à l'intellectuel de


jouer ce rôle. Un nouveau mode de liaison entre la théorie et la pratique s'est
établi. Les intellectuels ont pris l'habitude de travailler non pas dans
l'universel, l'exemplaire, le juste-et le-vrai-pour-tous, mais dans des secteurs
déterminés, en des points précis où les situaient soit leurs conditions de
travail, soit leurs conditions de vie (le logement, l'hôpital, l'asile, le
laboratoire, l'université, les rapports familiaux ou sexuels). Ils y ont gagné à
coup sûr une conscience beaucoup plus concrète et immédiate des luttes. Et
ils ont rencontré là des problèmes qui étaient spécifiques, non universels,
différents souvent de ceux du prolétariat ou des masses. Et cependant, ils s'en
sont réellement rapprochés, je crois, pour deux raisons : parce qu'il s'agissait
de luttes réelles, matérielles, quotidiennes, et parce qu'ils rencontraient
souvent, mais dans une autre forme, le même adversaire que le prolétariat, la
paysannerie ou les masses (les multinationales, l'appareil judiciaire et
policier, la spéculation immobilière) ; c'est ce que j'appellerais l'intellectuel
spécifique par opposition à l'intellectuel universel. Cette figure nouvelle a
une autre signification politique : elle a permis, sinon de souder, du moins de
réarticuler des catégories assez voisines qui étaient restées séparées.
L'intellectuel, jusque-là, était par excellence l'écrivain : conscience
universelle, sujet libre, il s'opposait à ceux qui n'étaient que des compétences
au service de l'État ou du capital (ingénieurs, magistrats, professeurs). Dès
lors que la politisation s'opère à partir de l'activité spécifique de chacun, le
seuil de l'écriture, comme marque sacralisante de l'intellectuel disparaît ; et
peuvent se produire alors des liens transversaux de savoir à savoir, d'un point
de politisation à un autre : ainsi les magistrats et les psychiatres, les médecins
et les travailleurs sociaux, les travailleurs de laboratoire et les sociologues
peuvent chacun en leur lieu propre, et par voie d'échanges et d'appuis,
participer à une politisation globale des intellectuels. Ce processus explique
que si l'écrivain tend à disparaître comme figure de proue, le professeur et
l'Université apparaissent non pas peut-être comme éléments principaux, mais
comme échangeurs, points de croisement privilégiés. Que l'Université et
l'enseignement soient devenus des régions politiquement ultra-sensibles, la
raison en est sans doute là. Et ce qu'on appelle la crise de l'Université ne doit
pas être interprétée comme perte de puissance, mais au contraire comme
multiplication et renforcement de ses effets de pouvoir, au milieu d'un
ensemble multiforme d'intellectuels qui, pratiquement tous, passent par elle,
et se réfèrent à elle. Toute la théorisation exaspérée de l'écriture à laquelle on
a assisté dans les années 1960 n'était sans doute que le chant du cygne :
l'écrivain s'y débattait pour le maintien de son privilège politique ; mais qu'il
se soit agi justement d'une théorie, qu'il lui ait fallu des cautions
scientifiques, appuyées sur la linguistique, la sémiologie, la psychanalyse,
que cette théorie ait eu ses références du côté de Saussure ou de Chomsky,
etc., qu'elle ait donné lieu à des oeuvres littéraires si médiocres, tout cela
prouve que l'activité de l'écrivain n'était plus le foyer actif.

Il me semble que cette figure de l'intellectuel spécifique s'est développée à


partir de la Seconde Guerre mondiale. C'est peut-être le physicien atomiste -
disons d'un mot, ou plutôt d'un nom : Oppenheimer - qui a fait la charnière
entre intellectuel universel et intellectuel spécifique. C'est parce qu'il avait un
rapport direct et localisé avec l'institution et le savoir scientifiques que le
physicien atomiste intervenait ; mais puisque la menace atomique concernait
le genre humain tout entier et le destin du monde, son discours pouvait être
en même temps le discours de l'universel. Sous le couvert de cette
protestation qui concernait tout le monde, le savant atomiste a fait
fonctionner sa position spécifique dans l'ordre du savoir. Et pour la première
fois, je crois, l'intellectuel a été poursuivi par le pouvoir politique, non plus
en fonction du discours général qu'il tenait, mais à cause du savoir dont il
était détenteur : c'est à ce niveau-là qu'il constituait un danger politique. Je ne
parle ici que des intellectuels occidentaux. Ce qui s'est passé en Union
soviétique est certainement analogue sur certains points, mais différent sur
bien d'autres. Il y aurait tout une étude à faire sur le Dissent scientifique en
Occident et dans les pays socialistes depuis 1945.

On peut supposer que l'intellectuel universel tel qu'il a fonctionné au XIXe


siècle et au début du XXe siècle est en fait dérivé d'une figure historique bien
particulière : l'homme de justice, l'homme de loi, celui qui au pouvoir, au
despotisme, aux abus, à l'arrogance de la richesse oppose l'universalité de la
justice et l'équité d'une loi idéale. Les grandes luttes politiques au XVIIIe
siècle se sont faites autour de la loi, du droit, de la Constitution, de ce qui est
juste en raison et en nature, de ce qui peut et doit valoir universellement. Ce
qu'on appelle aujourd'hui l'intellectuel (je veux dire l'intellectuel au sens
politique, et non sociologique ou professionnel du mot, c'est-à-dire celui qui
fait usage de son savoir, de sa compétence, de son rapport à la vérité dans
l'ordre des luttes politiques) est né, je crois, du juriste, ou en tout cas de
l'homme qui se réclamait de l'universalité de la loi juste, éventuellement
contre les professionnels du droit (Voltaire est, en France, le prototype de ces
intellectuels). L'intellectuel universel dérive du juriste-notable et trouve son
expression la plus pleine dans l'écrivain, porteur de significations et de
valeurs où tous peuvent se reconnaître. L'intellectuel spécifique dérive d'une
toute autre figure, non plus le juriste-notable, mais le savant-expert. Je disais
à l'instant que c'est avec les atomiciens qu'il s'est mis à occuper le devant de
la scène. En fait, il se préparait déjà dans les coulisses depuis longtemps, il
était même présent au moins sur un coin de la scène depuis, disons, la fin du
XIXe siècle. C'est sans doute avec Darwin ou plutôt avec les évolutionnsites
postdarwiniens qu'il commence à apparaître nettement. Les relations
orageuses entre l'évolutionnisme et les socialistes, les effets très ambigus de
l'évolutionnisme (par exemple, sur la sociologie, la criminologie, la
psychiatrie, l'eugénisme) signalent le moment important où c'est au nom
d'une vérité scientifique «locale» aussi importante qu'elle soit -que se fait
l'intervention du savant dans les luttes politiques qui lui sont contemporaines.
Historiquement, Darwin représente ce point d'inflexion dans l'histoire de
l'intellectuel occidental (Zola de ce point de vue est très significatif : c'est le
type de l'intellectuel universel, porteur de la loi et militantde l'équité, mais il
leste son discours de toute une référence nosologique, évolutionniste, qu'il
croit scientifique, qu'il maîtrise d'ailleurs fort mal et dont les effets politiques
sur son propre discours sont très équivoques). Il faudrait, si l'on étudiait cela
de près, voir comment les physiciens, au tournant du siècle, sont entrés dans
le débat politique. Les débats entre les théoriciens du socialisme et les
théoriciens de la relativité ont été capitaux dans cette histoire.

Toujours est-il que biologie et physique ont été, de façon privilégiée, les
zones de formation de ce nouveau personnage de l'intellectuel spécifique.
L'extension des structures technico-scientifiques dans l'ordre de l'économie et
de la stratégie lui ont donné son importance réelle. La figure dans laquelle se
concentrent les fonctions et les prestiges de ce nouvel intellectuel, ce n'est
plus l'écrivain génial, c'est le savant absolu, non plus celui qui seul porte les
valeurs de tous, s'oppose au souverain ou aux gouvernants injustes, et fait
entendre son cri jusque dans l'immortalité ; c'est celui qui détient, avec
quelques autres, soit au service de l'État, soit contre lui, des puissances qui
peuvent favoriser ou tuer définitivement la vie. Non plus chantre de l'éternité,
mais stratégie de la vie et de la mort. Nous vivons actuellement la disparition
du grand écrivain.

Revenons à des choses plus précises. Admettons, avec le développement


dans la société contemporaine des structures technico-scientifiques,
l'importance prise par l'intellectuel spécifique depuis des dizaines d'années, et
l'accélération de ce mouvement depuis 1960. L'intellectuel spécifique
rencontre des obstacles et s'expose à des dangers. Danger de s'en tenir à des
luttes de conjoncture, à des revendications sectorielles. Risque de se laisser
manipuler par des partis politiques ou des appareils syndicaux menant ces
luttes locales. Risque, surtout, de ne pas pouvoir développer ces luttes faute
de stratégie globale et d'appuis extérieurs. Risque, aussi, de n'être pas suivi
ou seulement par des groupes très limités. En France, on en a actuellement un
exemple sous les yeux. La lutte à propos de la prison, du système pénal, de
l'appareil policier-judiciaire, pour s'être développée en solitaire avec des
travailleurs sociaux et des anciens détenus, s'est de plus en plus séparée de
tout ce qui pouvait lui permettre de s'élargir. Elle s'est laissé pénétrer par
toute une idéologie naïve et archaïque qui fait du délinquant à la fois
l'innocente victime et le pur révolté, l'agneau du grand sacrifice social et le
jeune loup des révolutions futures. Ce retour aux thèmes anarchistes de la fin
du XIXe siècle n'a été possible que par un défaut d'intégration dans les
stratégies actuelles. Et le résultat, c'est un divorce profond entre cette petite
chanson monotone et lyriquemais qui n'est entendue que dans de tout petits
groupes, et une masse qui a de bonnes raisons pour ne pas la prendre pour
argent comptant, mais qui, par peur soigneusement entretenue de la
criminalité, accepte le maintien, voire le renforcement, de l'appareil judiciaire
et policier.

Il me semble que nous sommes à un moment où la fonction de l'intellectuel


spécifique doit être réélaborée. Non pas abandonnée, malgré la nostalgie de
certains pour les grands intellectuels universels («nous avons besoin, disent-
ils, d'une philosophie, d'une vision du monde») ; il suffit de penser aux
résultats importants obtenus en psychiatrie : ils prouvent que ces luttes
locales et spécifiques n'ont pas été une erreur et n'ont pas conduit à une
impasse. On peut même dire que le rôle de l'intellectuel spécifique doit
devenir de plus en plus important à la mesure des responsabilités politiques
que, bon gré mal gré, il est bien obligé de prendre en tant qu'atomiste,
généticien, informaticien, pharmacologiste, etc. Non seulement, il serait
dangereux de le disqualifier dans son rapport spécifique à un savoir local,
sous prétexte que c'est là affaire de spécialistes qui n'intéresse pas les masses
(ce qui est doublement faux : elles en ont conscience et de toute façon elles y
sont impliquées), ou qu'il sert les intérêts du capital et de l'État (ce qui est
vrai, mais montre en même temps la place stratégique qu'il occupe), ou
encore qu'il véhicule une idéologie scientiste (ce qui n'est pas toujours vrai, et
n'est sans doute que d'importance secondaire par rapport à ce qui est
primordial : les effets propres aux discours vrais).

L'important, je crois, c'est que la vérité n'est pas hors pouvoir ni sans pouvoir
(elle n'est pas, malgré un mythe dont il faudrait reprendre l'histoire et les
fonctions, la récompense des esprits libres, l'enfant des longues solitudes, le
privilège de ceux qui ont su s'affranchir). La vérité est de ce monde ; elle y
est produite grâce à de multiples contraintes. Et elle y détient des effets réglés
de pouvoir. Chaque société a son régime de vérité, sa politique générale de la
vérité : c'est-à-dire les types de discours qu'elle accueille et fait fonctionner
comme vrais ; les mécanismes et les instances qui permettent de distinguer
les énoncés vrais ou faux, la manière dont on sanctionne les uns et les autres ;
les techniques et les procédures qui sont valorisées pour l'obtention de la
vérité ; le statut de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme
vrai.

Dans des sociétés comme les nôtres, l'économie politique de la vérité est
caractérisée par cinq traits historiquement importants : la vérité est centrée
sur la forme du discours scientifique et sur les institutions qui le produisent ;
elle est soumise à une constante incitation économique et politique (besoin de
vérité tant pour la production économique que pour le pouvoir politique) ;
elle est l'objet, sous des formes diverses, d'une immense diffusion et
consommation (elle circule dans des appareils d'éducation ou d'information
dont l'étendue est relativement large dans le corps social, malgré certaines
limitations strictes) ; elle est produite et transmise sous le contrôle non pas
exclusif, mais dominant de quelques grands appareils politiques ou
économiques (université, armée, écriture, médias) ; enfin, elle est l'enjeu de
tout un débat politique et de tout un affrontement social (luttes idéologiques).

Il me semble que ce qu'il faut prendre en compte, maintenant, dans


l'intellectuel, ce n'est donc pas le porteur de valeurs universelles ; c'est bien
quelqu'un qui occupe une position spécifique -mais d'une spécificité qui est
liée aux fonctions générales du dispositif de vérité dans une société comme la
nôtre. Autrement dit, l'intellectuel relève d'une triple spécificité : la
spécificité de sa position de classe (petit-bourgeois au service du capitalisme,
intellectuel organique du prolétariat) ; la spécificité de ses conditions de vie
et de travail, liées à sa condition d'intellectuel (son domaine de recherche, sa
place dans un laboratoire, les exigences économiques ou politiques
auxquelles il se soumet ou contre lesquelles il se révolte, à l'université, à
l'hôpital, etc.) ; enfin, la spécificité de la politique de vérité dans nos sociétés.
Et c'est là que sa position peut prendre une signification générale, que le
combat local ou spécifique qu'il mène porte avec lui des effets, des
implications qui ne sont pas simplement professionnels ou sectoriels. Il
fonctionne ou il lutte au niveau général de ce régime de la vérité si essentiel
aux structures et au fonctionnement de notre société. Il y a un combat pour la
vérité, ou du moins autour de la vérité -étant entendu encore une fois que par
vérité je ne veux pas dire l'ensemble des choses vraies qu'il y a à découvrir ou
à faire accepter, mais l'ensemble des règles selon lesquelles on démêle le vrai
du faux et on attache au vrai des effets spécifiques de pouvoir ; étant entendu
aussi qu'il ne s'agit pas d'un combat en faveur de la vérité, mais autour du
statut de la vérité et du rôle économico-politique qu'elle joue. Il faut penser
les problèmes politiques des intellectuels non pas dans les termes
science/idéologie, mais dans les termes vérité/pouvoir. Et c'est là que la
question de la professionnalisation de l'intellectuel, de la division du travail
manuel/intellectuel peut être à nouveau envisagée.

Tout cela doit paraître bien confus, et incertain. Incertain, oui, et ce que je dis
là, c'est surtout à titre d'hypothèse. Pour que ce soit un peu moins confus
cependant, je voudrais avancer quelques propositions -au sens non des choses
admises, mais seulement offertes pour des essais ou des épreuves futures :

- par vérité, entendre un ensemble de procédures réglées pour la production,


la loi, la répartition, la mise en circulation, et le fonctionnement des énoncés ;

- la vérité est liée circulairement à des systèmes de pouvoir qui la produisent


et la soutiennent, et à des effets de pouvoir qu'elle induit et qui la
reconduisent. Régime de la vérité ;

- ce régime n'est pas simplement idéologique ou superstructurel ; il a été une


condition de formation et de développement du capitalisme. Et c'est lui qui,
sous réserve de quelques modifications, fonctionne dans la plupart des pays
socialistes (je laisse ouverte la question de la Chine que je ne connais pas) ;

- le problème politique essentiel pour l'intellectuel, ce n'est pas de critiquer


les contenus idéologiques qui seraient liés à la science, ou de faire en sorte
que sa pratique scientifique soit accompagnée d'une idéologie juste. Mais de
savoir s'il est possible de constituer une nouvelle politique de la vérité. Le
problème n'est pas de changer la conscience des gens ou ce qu'ils ont dans la
tête, mais le régime politique, économique, institutionnel de production de la
vérité.

Il ne s'agit pas d'affranchir la vérité de tout système de pouvoir - ce serait une


chimère, puisque la vérité est elle-même pouvoir -, mais de détacher le
pouvoir de la vérité des formes d'hégémonie (sociales, économiques,
culturelles) à l'intérieur desquelles pour l'instant elle fonctionne.

La question politique, en somme, ce n'est pas l'erreur, l'illusion, la conscience


aliénée ou l'idéologie ; c'est la vérité elle-même. De là l'importance de
Nietzsche.

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