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Author(s): Éric Marty, Alice Béja, Michaël Fœssel and Olivier Mongin
Source: Esprit , Juillet 2013, No. 396 (7) (Juillet 2013), pp. 60-77
Published by: Editions Esprit
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* Auteur de Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ?, Paris, Le Seuil, coll. « Fiction
& Cie », 2011.
Marty suit à la loupe dans son ouvrage sur les interprétations succes
sives de Sade au XXe sièclel. On le comprend fort bien en lisant le
récent roman (son troisième type d'écrit) de Marty, le Cœur de la
jeune Chinoise, qui suit le parcours chaotique et sanguinaire d'une
bande de terroristes des années 1970... mais durant les années
Sarkozy, ce qui nous vaut de nombreux chassés-croisés inattendus.
Ainsi Marty entrechoque-t-il les pratiques, les thématiques et les
époques : c'est sa force de rappeler que ces folies et délires avaient à
voir avec un « désir d'histoire », avec une intensification de la dimen
sion historique à laquelle la tristesse politique contemporaine ne
saurait remédier.
0. M.
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J'ai été attiré par l'idée d'engagement, mais au sens plus exis
tentiel que strictement politique. Le Journal pratique véritablement
une écriture de l'existentiel, au sens de Kafka ou de Kierkegaard,
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Mais René Char est pourtant bien différent de Gide sur le plan de la
sensibilité, il est du côté de l'extase.
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5. Pour les œuvres de Roland Barthes citées dans l'entretien, voir Roland Barthes, Œuvres
complètes, t. 1-5, Paris, Le Seuil, 2002.
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Althusser
La parole du maître et le sens subjectif
6. Voir É. Marty, « Les derniers des intellectuels », Esprit, mars-avril 2000, p. 137-156.
7. Id., Louis Althusser, un sujet sans procès : anatomie d'un passé très récent, Paris, Gallimard,
1999.
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Ces penseurs ont eu des échos dans le monde entier, aux États-Unis,
mais aussi en Amérique du Sud, en Afrique... Cependant, ce que vous
décrivez des positions individuelles de l'époque n'est-il pas lié à une
spécificité du champ intellectuel français, marqué par la figure de
l'État, par ce que Joseph Ferrari a appelé les « philosophes salariés »,
universitaires, qui se distingueraient des écrivains singuliers auxquels
vous vous intéressez ?
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8. Voir É. Marty, « Alain Badiou et Sarkozy : sens du mot "rat" », Le Meilleur des mondes,
été 2008, n° 7.
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Dans Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ?, vous faites
une histoire du « court XXe siècle » (1947-1975) à travers Sade et les
lectures qu'il a suscitées. Au XIXe siècle, Sade est peu lu, et l'on parle
essentiellement du sadisme, du Mal. Dans la première moitié du
XXe siècle, à travers des écrivains comme Apollinaire ou Jean Paulhan,
émerge la figure d'un Sade révolutionnaire, radical, « victime
absolue10 ». La période sur laquelle vous vous concentrez, et que vous
divisez en trois moments11, est encadrée par deux œuvres très critiques,
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Ces deux bornes se sont retrouvées présentes très tôt dans l'éla
boration du livre. Ce sont deux figures très éclairantes, les seules à
ne pas être françaises et les seules à avoir vécu concrètement le
fascisme, sa victoire, son triomphe dans les rues de Berlin pour
Adorno, dans l'Italie fasciste pour le jeune Pasolini. Ils s'opposent
ainsi à une obsession française de dénazifier Sade, de donner une
possibilité au discours de la perversion d'être émancipateur, de ne
pas être un discours de la pure domination.
Il s'agissait donc pour moi de faire la généalogie d'une figure,
d'une génération et d'une période ; et, pour cela, il était important
de replacer le processus de transformation de Sade en figure éman
cipatrice entre deux bornes qui, à l'inverse, mettent en évidence son
caractère problématique. Adorno n'était pas lu par les penseurs fran
çais dont je parle, et le film de Pasolini n'est absolument pas
« passé » lors de sa sortie ; il a provoqué une grande gêne dans le
milieu intellectuel, un refus tout à fait explicite.
On a donc une double trame, autour de laquelle se tisse cette
généalogie : d'un côté, l'Allemand et l'Italien mettant en scène le
visage de Sade comme le visage du fascisme, et, d'un autre côté, le
processus initié par Klossowski, consistant à faire un Sade sans
visage, qui se serait effacé de la terre et ne serait plus qu'une sorte
de pur geste, un éclair de pensée, d'écriture qu'il s'agit d'accueillir,
et de faire fructifier. Cela pose la question du statut de la perversion
dans ce qu'a été le déploiement de la « théoria » chez les Modernes,
l'incroyable mouvement de réveil de la pensée, de l'intelligence,
mais aussi du « délire » (au sens aussi poétique du terme), de la
dimension maniaque ou dionysiaque, qui a marqué cette période.
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Ce qui frappe, dans cette réception de Sade, que vous décrivez, c'est
la mise de côté de la sexualité par rapport à la transgression, à la
perversion. Il s'agit, finalement, d'un Sade assez peu charnel que l'on
retrouve dans ces écrits.
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