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ÉDITORIAL

Économie et pluralisme : l'Association française d'économie politique (Afep)


Nicolas Postel, Richard Sobel, Bruno Tinel

La Découverte | « Revue Française de Socio-Économie »

2010/1 n° 5 | pages 5 à 8
ISSN 1966-6608
ISBN 9782707159434
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2010-1-page-5.htm

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Pour citer cet article :


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Nicolas Postel et al., « Éditorial. Économie et pluralisme : l'Association française
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d'économie politique (Afep) », Revue Française de Socio-Économie 2010/1 (n° 5),


p. 5-8.
DOI 10.3917/rfse.005.0005
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Éditorial
P05 > 08

Éditorial
Économie et pluralisme :
l’Association française
d’économie politique (Afep)
Nicolas POSTEL
Clersé, Université Lille1

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nicolas.postel@univ-lille1.fr
Richard SOBEL
Clersé, Université Lille1
richard.sobel@univ-lille1.fr
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Bruno TINEL
CES-Matisse, Université Paris 1
btinel@univ-paris1.fr 1

1. Revivifier le débat au sein de notre discipline


En poste en université ou dans les organismes publics de recherche, les économistes sont de plus
en plus nombreux à regretter l’orientation académique et intellectuelle qu’a prise l’économie
comme discipline scientifique depuis plusieurs années en France, à l’image sans doute – mais avec
« retard » – de ce qui se passe à l’étranger. Le champ scientifique de l’économie prend le risque de
se fermer à tout débat pluraliste, tant sur le plan de la recherche que sur celui de l’enseignement
supérieur. Si ce processus se poursuit, les risques sont, à terme, les suivants :

– rigidification des canons de scientificité autour d’un unique paradigme 2– et stigmatisation


académique de tout autre positionnement théorique ou méthodologique ;
– fuite en avant de la théorie dans la technicité, afin de se conformer à l’image des sciences de
la nature, mais au risque de couper définitivement l’économie des autres sciences sociales et de la
priver des richesses de l’interdisciplinarité 3 ;
– disparition de la culture économique en histoire des faits et des idées au profit de la seule vir-
tuosité technique, au risque de marginaliser, voire de tarir, toute réflexion de critique interne et de
critique externe du « modèle économique » 4 ;
– affadissement du débat philosophique, méthodologique, théorique et politique à l’intérieur
d’un champ qui peut s’enorgueillir d’avoir connu de grandes controverses scientifiques et qui
devrait désormais se contenter de simples disputes techniques entre chercheurs. Ces derniers

1
Les auteurs de cet éditorial sont membres de l’Afep.
2
L’hégémonie est revendiquée par un auteur comme Lazear (2000). On trouvera une analyse très poussée des deux âges de l’impé-
rialisme néoclassique dans Fine (1999) et Fine et Milonakis (2009).
3
Voir les éditoriaux du n°01 « Prouver le mouvement en marchant » et du n°03 de la RFSE « L’enseignement des SES et l’unité
des sciences sociales », ainsi que l’introduction du n°03 « Mobiliser les grands auteurs en sciences sociales, un point de vue
épistémologique ».
4
Voir : Van Parijs (1984), Laval (2007).

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seraient d’accord sur l’essentiel et n’auraient finalement plus grand-chose à proposer
pour éclairer les différentes positions d’un débat de société pluraliste 5 ;
– homogénéisation voire appauvrissement de l’enseignement supérieur des savoirs
économiques, ce qui conduirait à se cacher derrière d’autres disciplines, souvent pro-
ches et amies (par exemple les sciences de gestion), pour continuer malgré tout à
attirer des étudiants dans les cursus économiques de l’université.
Cette orientation n’est pas – encore – irréversible. Sur le plan académique, elle est
conduite par une minorité, structurée et influente dans les lieux de pouvoir. Elle n’a
devant elle qu’une multitude hétérogène et peu organisée, laquelle pour l’essentiel
a subi cette situation en résistant comme elle pouvait. Devant les crises économique,
sociale et environnementale majeures qui affectent nos sociétés, la présence d’éco-
nomistes ayant pignon sur ministères et médias devrait être une bonne fenêtre de tir
pour que se déploient d’autres discours économiques, y compris au sein de nos uni-

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versités. Mais le processus est à ce point rigide que rien ne semble bouger vraiment,
ni à l’intérieur du champ académique, ni dans le rapport que ce champ entretient
avec la société. Tant que cette situation durera, un processus de déculturation de la
discipline continuera, avec les conséquences sociétales et politiques que l’on sait.
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Plusieurs économistes, connus et moins connus, ont considéré qu’il est encore temps
de sortir de ce qui pourrait constituer une impasse disciplinaire et sociétale, mais à
une condition nécessaire et dont rien ne dit qu’elle sera suffisante : il faut s’organiser
afin d’agir collectivement et essayer de reprendre en main l’avenir. C’est la raison pour
laquelle des économistes de sensibilités théoriques et méthodologiques différentes,
mais partageant le même diagnostic et l’envie de se mobiliser, ont décidé de créer
une association professionnelle, pluraliste et ouverte, l’Association française d’écono-
mie politique (Afep), présidée par André Orléan 6. Un lancement officiel de cette asso-
ciation a eu lieu le 17 décembre 2009 à la Maison des sciences économique (Paris 1),
en présence de plus de 120 économistes 7. Ce succès et l’inhabituel écho médiatique
qu’a eu ce lancement démontrent à eux seuls la nécessité d’une telle initiative, pour
la science économique mais plus encore pour la société civile.

2. Quels objectifs pour cette nouvelle


association ?
L’Afep a pour objectif la construction, la consolidation et la promotion, dans le champ
académique, d’une analyse économique et de pratiques professionnelles pluralistes
à visées non hégémoniques et ouvertes à la collaboration interdisciplinaire de l’éco-
nomie avec les autres sciences sociales.

Il s’agit ainsi de renouer avec l’esprit du projet inaugural de « l’Économie politique »,


entre philosophie politique et sciences sociales et historiques. Cette association
entend faire collaborer davantage et mieux tous les courants d’analyse critique qui

5
Voir le dossier qu’a consacré L’Humanité dans la rubrique des débats (16 janvier 2010) : « Le néolibéralisme a-t-il
tué le débat économique ? »
6
Voir le site de l’Afep : http://www.assoeconomiepolitique.org/.
7
Voir le compte-rendu de cette réunion sur le site de l’Afep ainsi que le compte-rendu de Christian Chavagneux sur
son blog (http://alternatives-economiques.fr/blogs/chavagneux), et son article « Quatre voies de sortie pour une
science en crise » (Alternatives économiques, n°287, janvier 2010).

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partagent cette exigence, comme par exemple la théorie postkeynésienne, la théo-


rie marxiste, la socio-économie, l’économie des conventions, l’économie sociale et
solidaire, la théorie de la régulation, les théories institutionnalistes, les théories évolu-
tionnistes, l’économie autrichienne, la critique de l’économie politique, la philosophie
économique – bien évidemment, cette liste n’a rien d’exhaustif. Mais aussi, et peut-
être surtout, elle a vocation à offrir un ancrage collectif à tous les économistes qui
combinent différentes approches conceptuelles ou méthodologiques en fonction
des objets investigués et qui ne se reconnaissent pas bien dans le formatage qui tend
actuellement à dominer la discipline.
Au-delà de cette ouverture « interne » du champ scientifique, cette association
entend défendre et développer une double ouverture « externe » à destination des
autres sciences sociales, d’une part, et de la société civile, d’autre part. Elle est, sur ce
point, parfaitement en phase avec le projet éditorial de la RFSE. L’ouverture aux autres

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sciences sociales et la recherche d’une authentique transdisciplinarité, sont un objec-
tif majeur de la recherche d’un pluralisme en économie. Le repli sur un paradigme
mécaniste empêche en effet la mise en place d’un véritable travail de compréhension
de l’économique et du social auquel doivent viser les sciences sociales. Ce travail en
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commun est indispensable pour tenir ensemble les multiples aspects des crises. Il
devrait permettre de s’ouvrir véritablement à la société civile, non pas sous l’angle
de la préconisation « docte » et unilatérale à laquelle les économistes ont habitué
les citoyens. L’Afep entend ainsi, dans les institutions publiques de l’enseignement
supérieur et de la recherche et par tous les moyens appropriés, remettre en selle les
valeurs intellectuelles du pluralisme, de la critique et du débat qui sont au cœur de
l’Université et de sa mission, décisive et délaissée, de contribution au débat politique
au sein de la Cité.

3. Une méthodologie de travail en commun


L’Afep est une association ouverte à tous ceux qui partagent ce constat. Elle est plu-
raliste dans sa texture profonde, c’est sa raison d’être, sa modalité du vivre-ensemble
et son moteur. Une très large majorité d’économistes et de spécialistes des sciences
sociales souhaitent que prennent place le débat et la controverse, dans un esprit plu-
raliste et ouvert, ne rêvant pas d’une illusoire « mécanique » de l’économie. Ils étaient
dispersés et sans stratégie collective. Organisés, ils font le pari qu’ils constitueront
une force avec laquelle il faudra compter dans le paysage académique et intellectuel.
L’Afep se veut donc porteuse de renouveau en théorie mais aussi dans les pratiques
régissant sa reproduction académique, étape indispensable à une revitalisation du
débat en politique économique et sociale.

L’envie et le plaisir de travailler ensemble, le volontarisme sont bien là. Pour l’heure,
plusieurs initiatives ont été prises pour donner du grain à moudre à cette associa-
tion, celle-ci ayant finalement la même devise que la RFSE : « Prouver le mouvement
en marchant ». Plusieurs commissions de réflexion ont été mises en place sur les
sujets suivants : les conditions des métiers de chercheur et d’enseignants-chercheurs
en économie aujourd’hui ; l’évaluation et donc la hiérarchisation des supports de
publications ; la mise à plat de l’enseignement de l’économie dans les universités ; le
rapport de l’économie aux autres sciences sociales et la place de l’économie dans le

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débat public 8. L’ambition est de dresser un diagnostic clair et commun, et, partant,
de faire des propositions constructives à même de peser dans le sens de la culture, de
la réflexion et du pluralisme, à la fois sur le champ académique de la recherche et sur
la structuration de l’enseignement supérieur.

Le Premier Congrès de l’Afep « Pour un renouveau de l’économie politique » se tiendra


à Lille les 9 et 10 décembre 2010 : les lecteurs de la RFSE y sont bien évidemment
attendus nombreux.

Bibliographie
FINE B. (1999), « A question of economics: is it colonizing the social sciences? », Economy
and Society 28, p. 403-425.

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FINE B. & D. MILONAKIS (2009), From Economics Imperialism to Freakonomics. The Shifting
Boundaries between Economics and other Social Sciences, Routledge.
LAVAL C. (2007), L’homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme, Gallimard,
Paris.
LAZEAR E. (2000), « Economic Imperialism », Quarterly Journal of Economics, vol. 115,
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n° 1, p. 99-146.
VAN PARIJS P. (1990), Le modèle économique et ses rivaux, Droz, Genève.

8
Pour plus d’information, se reporter au site de l’Afep.

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