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Lilian Mathieu
Lilian Mathieu
2013/3 - N° 198
pages 5 à 20
ISSN 0335-5322
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Lilian Mathieu
1. Alain Corbin rappelle que jusqu’au milieu du XXe siècle, la prostitution ne relève pas de la loi mais de règlements municipaux, l’Assemblée ayant notamment considéré sous
le Directoire qu’il était indigne d’elle de traiter de tels sujets ; voir Alain Corbin, Les Filles de noce. Misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle, Paris, Aubier, coll. « Historique »,
1978, p. 153. 2. Notamment Malcolm Spector et John I. Kitsuse, Constructing Social Problems, New Brunswick-Londres, Transaction Publishers, rééd. 2009.
Le processus ici abordé présente ceci de particulier que le soutien de plusieurs États, signataires dès le début
la diversité des agents ou instances qui y ont participé du XXe siècle de conventions contre la traite, puis celui
(entrepreneurs de morale, féministes, travailleurs de la Société des nations5 suivie de l’ONU.
sociaux, policiers, riverains, responsables politiques, C’est cette dernière institution qui, en 1949, a accordé
intellectuels, etc.) ne l’a pas empêché d’aboutir à une une forme de consécration aux abolitionnistes en
définition dominante du problème et de sa solution : ouvrant à la ratification la Convention pour la répres-
la prostitution serait une violence attentatoire à la dignité sion de la traite des êtres humains et de l’exploita-
humaine qui exigerait une réponse avant tout pénale. tion de la prostitution d’autrui, directement inspirée
Si cette définition fait l’objet d’âpres débats, elle appa- de leurs préconisations. La convention réaffirme
raît à ceux qui s’y opposent d’autant plus difficile le lien entre traite et prostitution, qu’elle considère
à contester qu’elle fait précisément l’objet d’un large toutes deux comme « incompatibles avec la dignité
consensus auquel se sont ralliés des agents opposés tant et la valeur de la personne humaine et mettant
idéologiquement (du féminisme au catholicisme) que en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de
politiquement (de l’extrême gauche à l’UMP)3. Saisir la communauté ». C’est elle qui, ratifiée par ordon-
les conditions d’élaboration et de succès de ce consen- nances en 1960, constitue aujourd’hui encore le cadre
sus exige d’en restituer l’hétérogénéité constitutive légal de la prostitution en France. En conformité avec
en centrant l’analyse sur la diversité des logiques sociales elle, le droit français n’impose aucune réglementa-
qui s’y trouvent intriquées, et en situant les luttes de tion à la prostitution, considérée comme une activité
définition de la prostitution dans un espace de débat privée, mais instaure une double politique pénale
dont les références débordent le contexte français. et sociale. La police est en charge de la répression
de l’organisation et de l’exploitation de la prostitution
d’autrui (i.e. le proxénétisme) comme de ses mani-
Un monopole contesté
festations publiques perturbatrices (racolage) tandis
Comprendre comment s’est imposée une définition que les travailleurs sociaux ont pour mandat d’assurer
de la prostitution comme atteinte à la dignité exige la prévention de la prostitution et d’offrir rééducation
en premier lieu de situer ses premiers promoteurs et réinsertion à ses victimes.
au sein de l’espace des organisations prétendant Les abolitionnistes investissent d’autant plus
à la maîtrise de la question. Au cours des années 1990, facilement ce volet social que la puissance publique
cet espace a connu plusieurs bouleversements qui ont renonce à instaurer les services départementaux spé-
fragilisé la position dominante antérieurement occu- cialisés prévus par les ordonnances de 1960 pour en
pée par les mouvements dits abolitionnistes, ainsi mis déléguer les missions de prévention et de réinsertion
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en demeure de se remobiliser en établissant de nouvelles au secteur associatif. C’est ainsi que celle qui est
3. Pour un processus similaire, voir Remi septembre 1986, p. 30-39. Society. Women, Class and the State, Cam- 6. Francine Muel-Dreyfus, Le Métier d’édu-
Lenoir, « Groupes de pression et groupes 4. Sur l’histoire du combat abolitionniste bridge, Cambridge University Press, 1980. cateur, Paris, Minuit, coll. « Le sens com-
consensuels. Contribution à une analyse contre le réglementarisme, voir A. Corbin, 5. Voir Jean-Michel Chaumont, Le Mythe de mun », 1983.
de la formation du droit », Actes de la Les Filles de noce…, op. cit. ; Judith R. la traite des blanches. Enquête sur la fabrica-
recherche en sciences sociales, 64, Walkowitz, Prostitution and Victorian tion d’un fléau, Paris, La Découverte, 2009.
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Genèse et logiques des politiques de prostitution en France
et société, la formation des travailleurs sociaux la crainte que la construction européenne remette
ou le lobbying auprès des personnalités politiques en cause l’engagement abolitionniste de la France.
[voir encadré « Le mouvement abolitionniste français », p. 8]. L’inquiétude se focalise sur la politique hollan-
La prétention des entrepreneurs de morale daise, en voie de renier l’abolitionnisme (officielle-
abolitionnistes7 au monopole de la connaissance et du ment rallié en 1911 mais dans les faits abandonné
traitement de la prostitution est contestée à partir du début de longue date) au profit de la reconnaissance (effec-
des années 1990, en premier lieu sous l’effet de l’appa- tive en 1999) d’un statut professionnel aux prosti-
rition du sida. Le spectre, agité par certains politiques, tuées comme à ceux qui les emploient dans des
d’un retour au contrôle sanitaire des prostituées, mais établissements spécialisés10. Elle s’appuie également
également la nécessité de mener auprès d’elles une sur l’apparition de plus en plus fréquente, dans les
action de prévention adaptée, suscitent la méfiance positions émanant de diverses instances internatio-
d’un courant qui s’est construit contre une défini- nales (spécialement lors du séminaire du Conseil
tion sanitaire de la prostitution (le « péril vénérien ») de l’Europe sur la lutte contre la traite des femmes
au profit de son appréhension et de son traitement de 1991 puis de la Conférence mondiale sur les femmes
comme inadaptation sociale. En découle l’hostilité des de Pékin de 1995), d’une distinction, que les abolition-
abolitionnistes à l’égard de la création des associa- nistes jugent fallacieuse, entre prostitution « forcée »,
tions de prévention du sida en milieu prostitutionnel, comme telle inacceptable, et prostitution « libre »
soupçonnées de préparer un retour au réglementa- exigeant reconnaissance et encadrement.
risme honni et de viser à faciliter une activité qu’il Ce n’est cependant pas au sein de l’abolition-
faudrait à l’inverse faire disparaître. Les polémiques nisme qu’émerge tout d’abord cette crainte, mais
sont d’autant plus houleuses que les associations du féminisme, plus précisément sous la plume de
de lutte contre le sida refusent d’axer leur intervention Marie-Victoire Louis, sociologue et présidente
sur un horizon de réinsertion et valorisent à l’inverse de l’Association contre les violences faites aux
les compétences spécifiques en matière de prévention femmes. Assidue des conférences internationales
que les prostituées retireraient de leur expérience sur la prostitution et la traite, celle-ci s’attelle dès le début
du trottoir, au point de s’approprier les revendications des années 1990 à dénoncer les menées, prêtées
de reconnaissance du « travail du sexe » dévelop- au gouvernement hollandais et aux organisations
pées au cours des années 1980 par des mouvements de « travailleurs du sexe », de légalisation du proxéné-
de prostituées étrangers, américains et hollandais tisme11. Marie-Victoire Louis défend une définition de
notamment 8. S’instaure ainsi dès les années 1990 la prostitution comme violence patriarcale participant
un clivage entre travail social et prévention du sida, d’une marchandisation du corps humain au bénéfice
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qui connaît une traduction non seulement dans des clients, des proxénètes et des États. Elle offre
7. L’abolition de la réglementation de la blanches » a été conçu sur le modèle de 10. Joyce Outshoorn, “Pragmatism in 1, mars 1992 ; « Le corps humain mis
prostitution ayant été acquise, le terme la traite négrière. the polder: changing prostitution policy sur le marché », Le Monde diplomatique,
en vient à désigner l’abolition de la pros- 8. Lilian Mathieu, Mobilisations de pros- in the Netherlands”, Journal of Contem- mars 1997. Marie-Victoire Louis rédige en
titution elle-même, glissement d’autant tituées, Paris, Belin, coll. « Socio-his- porary European Studies, 12(2), 2004, 1999 un « Appel à entrer en résistance
plus aisé que le mouvement s’est dès toires », 2001. p. 165-176. contre l’Europe proxénète » signé par de
son origine pensé en homologie avec le 9. Pour un aperçu de ces clivages et 11. Voir notamment ses textes « La nombreuses organisations abolitionnistes
mouvement pour l’abolition de l’esclavage débats, voir Lilian Mathieu, La Condition conférence européenne sur le trafic des et féministes ainsi que par des syndicats
(dont certains de ses fondateurs sont prostituée, Paris, Textuel, coll. « La dis- femmes : vers une reconnaissance légale et partis de gauche.
issus) et que le thème de la « traite des corde », 2007. du proxénétisme », Projets féministes,
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Genèse et logiques des politiques de prostitution en France
Un contre-mouvement :
les « travailleurs du sexe »
Les associations de lutte contre le sida auprès Les Putes, etc.) avant la fondation en 2009 du Syndicat
des prostituées ont fourni la base à partir de du travail sexuel (STRASS) qui revendique plus
laquelle s’est constitué au début des années 2000 de 400 adhérents. Organisateur d’actions publiques
un mouvement en faveur de la reconnaissance régulières (comme la « pute pride » élaborée
du « travail du sexe », auquel l’opposition à la Loi en référence à la gay pride, les Assises de la prosti-
sur la sécurité intérieure (voir infra) a offert tution ou la Journée contre les violences faites
un premier enjeu de mobilisation. La thématique aux travailleuses du sexe) et promoteur d’une « autoges-
de la « santé communautaire » adoptée par tion » du marché du sexe, le STRASS a bénéficié
ces associations les amène en effet à valoriser en 2011 d’une reconnaissance institutionnelle lors
les savoir-faire en matière de prévention que de son audition par la mission d’information parle-
les prostituées retireraient de leur expérience du mentaire Bousquet-Geoffroy (voir infra) mais sans
trottoir, et c’est de leurs rangs que sont issues parvenir à ébranler les convictions abolitionnistes
les premières leaders de la cause du « travail du sexe ». de ses interlocuteurs. Le mouvement des « travailleurs
Celle-ci a en outre pu bénéficier du soutien du sexe » entretient des rapports conflictuels
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d’autres organisations de lutte contre le sida avec les abolitionnistes, qu’il accuse de favoriser
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Genèse et logiques des politiques de prostitution en France
en matière de mœurs12. De fait, ce n’est pas l’ensemble Une des illustrations les plus notables de cette extension
du mouvement féministe qui se rallie à la cause de de la sphère d’inf luence de l’abolitionnisme est
l’abolition de la prostitution, mais surtout ses com- le « groupe Genre » d’Attac, qui s’approprie son discours
posantes les plus institutionnalisées (à l’exception pour le traduire dans le vocabulaire altermondialiste,
notable du Planning familial). Un clivage entre deux dénonçant dans la prostitution une marchandisation
pôles semble ainsi se dessiner, au sein d’un féminisme des corps dont l’extension internationale, légitimée par
français qui n’avait jusqu’alors que rarement fait l’idéologie néolibérale, serait une des expressions les plus
de la prostitution un thème de réflexion et de lutte brutales de la mondialisation14.
majeur13. Le premier pôle, majoritaire, rassemble per- Le féminisme apporte également à l’abolition-
sonnalités et groupes plus anciens, que leurs luttes pas- nisme de nouvelles ressources argumentaires, orga-
sées ou présentes (contre le viol et pour la contraception nisationnelles et politiques. Amplement diffusée,
et l’avortement) amènent à envisager la sexualité comme l’argumentation d’une thèse de médecine selon laquelle
une potentielle source de danger pour les femmes la prostitution relèverait d’une dissociation pathologique
et à dénoncer la prostitution comme une violence de la personnalité permet de contester la prévention
sexiste. Le second, plus jeune et plus informel, est du sida sur son terrain sanitaire, en arguant que l’aban-
davantage inspiré par les mouvements homosexuels don de l’objectif de la réinsertion ne peut qu’enfermer
(certains de ses membres ou théoriciens ont précédem- les prostituées dans la réitération d’un traumatisme15.
ment pris parti dans le débat sur le Pacs) ou la pensée La fondation en 1998 du Mouvement pour l’abolition
queer, et envisage davantage la sexualité comme un terrain de la prostitution et de la pornographie (MAPP) permet
d’expression de la liberté individuelle ; c’est en son à l’abolitionnisme de bénéficier du support de la Coalition
sein que la revendication de reconnaissance du « travail Against Trafficking in Women (CATW), influente
du sexe » recrute certains de ses principaux soutiens. au sein des institutions internationales, dont le MAPP
La remobilisation des abolitionnistes précède leur est la section française et dont il relaie la thématique
alliance avec les féministes, comme en témoignent les de la traite16. Son animatrice Malka Marcovich obtient
Journées européennes de la prévention de la prostitu- en 2002 de la Commission nationale contre les vio-
tion, organisées en 1996 par une Fédération européenne lences faites aux femmes la commande d’un rapport sur
pour la disparition de la prostitution impulsée par le la prostitution où elle défend la thèse que celle-ci est
MdN, ou la création un an plus tard de la Fondation intrinsèquement une violence sexiste17. Lui aussi large-
Scelles. Cette alliance est cependant déterminante ment diffusé au sein du mouvement, le rapport ne fait pas
car bénéfique aux abolitionnistes sur plusieurs plans. que formuler de nouveaux arguments en faveur d’une dis-
Elle leur permet tout d’abord de s’inscrire dans la dyna- parition de la prostitution. Son élaboration, chapeautée
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mique de remobilisation que connaît le féminisme fran- par la députée européenne Adeline Hazan, permet
12. L’intérêt bien compris de l’alliance féminisme a été observé aux États-Unis : 14. Attac, Mondialisation de la prostitu- internationales ; voir Mathilde Darley, « Le
paraît avoir incité les deux camps à éviter Ronald Weitzer, “The social construction tion, atteinte globale à la dignité humaine, statut de la victime dans la lutte contre
les thèmes de désaccord. Il n’en résultera of sex trafficking: ideology and institutio- Paris, Mille et une nuits, coll. « Petits la traite des femmes », Critique interna-
pas moins des voisinages improbables, nalization of a moral crusade”, Politics & libres », 2008. tionale, 30, 2006, p. 103-122, et Nadège
comme lors du colloque « Peuple de Society, 35(3), septembre 2007, p. 447- 15. Judith Trinquart, « La décorpora- Ragaru, « Du bon usage de la traite des
l’abîme : la prostitution aujourd’hui », 475, et Elizabeth Bernstein, “Militarized lisation dans la pratique prostitution- êtres humains. Controverses autour d’un
organisé en 2000 par la Fondation Scelles, humanitarianism meets carceral feminism: nelle : un obstacle majeur à l’accès aux problème social et d’une qualification juri-
qui voit la féministe Marie-Victoire Louis the politics of sex, rights, and freedom in soins », thèse pour le doctorat d’État dique », Genèses, 66, 2007, p. 69-89.
succéder à la tribune, sans état d’âme contemporary antitrafficking campaigns”, de médecine générale, Paris, université 17. Malka Marcovich, « Le système de
apparent, à l’historien Pierre Chaunu, Signs, 36(1), 2010, p. 45-71. Paris 13, 2002. la prostitution. Une violence à l’encontre
après que celui-ci a pourfendu la contra- 13. Sur le rapport du féminisme français 16. La place manque, dans cet article des femmes », rapport pour la Commis-
ception et l’homosexualité. Un rapproche- à la prostitution depuis les années 1970, centré sur le cas français, pour évoquer sion nationale contre les violences envers
ment similaire, inimaginable une vingtaine voir L. Mathieu, La Condition prostituée, le rôle des ONG dans l’émergence de la les femmes, 2002.
d’années plus tôt, entre droite religieuse et op. cit., p. 167-188. thématique de la traite au sein des arènes
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jeunes et supposées sous la coupe de proxénètes d’un néolibéralisme prêt à réduire les humains
organisés. Objet de nombreux reportages de la presse écrite en marchandises tout en tirant profit des inégalités nord-sud
ou audiovisuelle, cette arrivée est rapidement appré- (les prostituées venant de pays pauvres satisfaire
hendée au travers d’un schème ancien, celui de la traite. la clientèle des pays riches)21. D’autres, a priori étrangers
Si, on l’a vu, ce schème a joué un rôle décisif dans le à la croisade pour la disparition de la prostitution,
développement de l’abolitionnisme historique, il était trouveront eux aussi un intérêt à l’appropriation
progressivement tombé en désuétude (c’est en 1991 et à la consolidation de ce schème [voir encadré « La traite :
que les Équipes d’action contre la traite des femmes une explosion de papier », p. 10].
et des enfants deviennent Équipes d’action contre
le proxénétisme) et des formes récentes de migra-
Lutter contre les nuisances urbaines
tions prostitutionnelles (comme celles de travestis
sud-américains ou de femmes africaines) n’avaient L’irruption des prostituées étrangères ne se passe
jusqu’à présent pas été interprétées en ces termes. pas sans encombre. Elles entreprennent de s’approprier
En outre, l’assimilation entre traite et « prostitution forcée » les zones de racolage établies en en chassant (parfois
au sein des instances internationales a longtemps avec l’appui d’hommes armés) leurs anciennes occu-
suscité la réticence de ceux qui, en France, refusent pantes ou en ouvrent de nouvelles, dans les centres-
l’idée d’une « prostitution libre ». villes ou dans des zones résidentielles, qu’elles inves-
La réactualisation du thème de la traite est, tissent de jour comme de nuit. Leur visibilité suscite
en France, postérieure de quelques années à la remobi- un certain émoi public, dans le même temps que
lisation abolitionniste, mais elle lui donne une impulsion leur présence crée de nouvelles nuisances. Le ballet
décisive. La jeune étrangère soumise à un « réseau » incessant des voitures des clients, le bruit des alter-
(le terme connaît alors un emploi exponentiel) en vient cations entre prostituées rivales, leur présence par-
rapidement à incarner l’ensemble de la population fois dénudée et les traces de leur activité (préservatifs
prostituée dans les prises de position du mouvement18. usagés, mouchoirs en papier, excréments) voire l’exhi-
Son efficacité tient pour une part à son application bition des passes sous les fenêtres ou dans les halls
aisée à des situations que les abolitionnistes présentent des immeubles suscitent la colère des riverains,
comme emblématiques, à l’instar de celle largement qui exigent une réponse des autorités municipales.
médiatisée de Ginka Trifonova, jeune prostituée bul- Il serait cependant trompeur, une nouvelle fois,
gare assassinée à Paris en 199919. Elle tient également de n’envisager les politiques municipales en matière
à ce qu’elle entre en écho avec un fonds de légendes de prostitution, qui se développent à partir des années
populaires dont témoignent les résurgences ponc- 2000, que comme une réponse mécanique à une reven-
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tuelles de rumeurs d’enlèvements de jeunes femmes par dication de « solution » à un « problème objectif ».
18. Sur le processus d’élaboration de la pitié », thèse pour le doctorat de socio- 21. Richard Poulin, La Mondialisation des Sanselme, « Des riverains à l’épreuve de la
cette figure idéalisée de la victime de logie, Paris, EHESS, 2011. industries du sexe, Paris, Imago, 2005. prostitution. Fondements pratiques et sym-
la traite, auquel a également contribué 19. Son histoire ouvre le Livre noir de la 22. Voir, pour les villes de Paris, Rennes, boliques de la morale publique », Annales de
le Comité contre l’esclavage moderne, prostitution (Paris, Albin Michel, 2000), Nantes, Angers et Toulouse, Philip Hubbard, la recherche urbaine, 95, juin 2004, p. 111-
voir Milena Jakšić, « De la victime-idéale publié sous l’égide de la Fondation Scelles. “Cleansing the metropolis: sex work and the 117 ; Jean Danet et Véronique Guienne (dir.),
à la victime-coupable. Traite des êtres 20. Edgar Morin, La Rumeur d’Orléans, Paris, politics of zero tolerance”, Urban Studies, Action publique et prostitution, Rennes, PUR,
humains et sociologie des politiques de Seuil, coll. « L’histoire immédiate », 1969. 41(9), août 2004, p. 1687-1702 ; Franck coll. « Des sociétés », 2006.
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Genèse et logiques des politiques de prostitution en France
proches des grands axes routiers. Leur arrivée tranche du principal axe de circulation du quartier vers des
par sa visibilité – elles occupent dans la journée certaines rues plus discrètes, puis à totalement l’abandonner.
des principales artères du centre-ville – et par les per- Chassées de Perrache, bon nombre d’entre elles ten-
turbations qu’elle suscite en termes de circulation tent de s’installer dans un autre quartier populaire,
ou de voisinage. Ce n’est cependant qu’en 2001, celui de Gerland. Leur choix n’est pas plus heureux
avec l’élection d’un nouveau maire socialiste, que puisque plusieurs nouveaux arrêtés réduisent progres-
la municipalité se saisit de la question. Les premières sivement l’espace accordé à leur activité, contraignant
initiatives valorisent la conciliation et s’appuient sur nombre d’entre elles à quitter la ville pour s’installer
les ressources existantes puisqu’une ligne téléphonique, sur des routes de campagne.
dont la gestion est confiée à l’association de prévention Différents facteurs expliquent l’adoption de cette
du sida locale, Cabiria, est ouverte aux riverains sou- politique répressive à l’échelon local. Le premier est
haitant faire part de leurs récriminations. La démarche la pression exercée par l’opposition municipale mais
est cependant de courte durée puisqu’en août 2002 le aussi par l’État puisque c’est le préfet qui, après avoir
maire adopte un arrêté municipal qui interdit le racolage organisé en 2007 une médiatique évacuation des
dans la plus grande partie du centre historique et commer- camionnettes de Perrache, contraint le maire à adop-
cial de la ville (nord du 2e arrondissement). Ce revirement ter l’arrêté bannissant les prostituées de ce quartier.
ne résulte pas d’un échec de la démarche de conciliation, La pression des riverains occupe quant à elle un statut
mais de l’ouverture d’un contexte favorable à l’adop- particulier, en premier lieu parce qu’elle apparaît davan-
tion de mesures répressives. Comme on le verra bien- tage anticipée ou invoquée que réellement exprimée.
tôt, le nouveau ministre de l’Intérieur a déjà annoncé La consultation des archives municipales n’a per-
sa volonté d’offrir à la police les moyens légaux de mis de retrouver qu’une dizaine de courriers, loin
réprimer plus efficacement un ensemble de désordres des 600 que l’adjoint chargé de la sécurité affirmait
urbains, dont la prostitution. Très vite, les maires de plu- avoir reçus en 2002, et adressés davantage par des
sieurs villes (dont Orléans, Strasbourg, Metz et, donc, entreprises que par des particuliers. Leur contenu
Lyon) anticipent l’instauration de cette loi en interdisant n’en est pas moins éloquent en ce que s’y exprime
le racolage sur tout ou partie du territoire communal. la crainte que les « établis » des quartiers ressentent
À Lyon, l’interdiction a pour effet immédiat à l’égard d’« outsiders » dont l’intrusion est vécue comme
de déplacer les prostituées au sud du 2e arrondissement, une offense territoriale24. Les missives des entreprises
dans le quartier Perrache séparé du reste de la ville se focalisent surtout sur les préjudices en termes d’image
par une gare SNCF et sa situation à la pointe de la – « Nos visiteurs, qu’ils soient français ou étrangers,
confluence du Rhône et de la Saône. Il s’agit, à la dif- […] sont très étonnés et choqués par cette situation »
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23. La mairie renonce à installer des toilettes publiques par crainte d’être accusée d’organiser la prostitution et ainsi d’être poursuivie pour proxénétisme. 24. Norbert
Elias et John L. Scotson, Logiques de l’exclusion, Paris, Fayard, 1997 ; Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, t.2, Les Relations en public, Paris, Minuit,
coll. « Le sens commun », 1973.
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cela encourage une certaine inquiétude sur la fréquen- occupent les trottoirs dans le quartier. »
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Genèse et logiques des politiques de prostitution en France
pas vocation à devenir la capitale européenne de la traite Lyon ne présente pas, on l’a dit, une situation excep-
des blanches et des noires »25. Deux ans plus tôt, alors tionnelle en regard d’autres agglomérations, françaises
que la mairie était interpellée par son opposition sur mais également étrangères. Géographes et socio-
les problèmes de propreté que causait la présence de logues urbains anglo-saxons ont depuis plusieurs
prostituées à proximité d’une école, son adjointe aux années documenté les enjeux des politiques menées
Affaires sociales et à la Solidarité répliquait qu’« on ne dans diverses villes européennes ou nord-américaines,
peut accepter que, dans nos pays soi-disant civilisés, qui toutes visent à l’expulsion des prostituées (entre
des femmes souffrent de violences et soient, pour autres indésirables) des quartiers résidentiels et des
nombre d’entre elles, utilisées comme des esclaves »26. centres-villes prioritairement dévolus au loisir et
Un dernier facteur, et non le moindre, tient aux à la consommation 29. La répression de la présence
ambitions d’une agglomération qui prétend à une visible des prostituées dans l’espace urbain s’inscrit
place de premier plan dans la concurrence que se dans le cadre idéologique de la « tolérance zéro »,
livrent les grandes villes européennes pour attirer qui envisage les menus désordres urbains comme
entreprises et populations aisées. L’éviction des pros- le prélude de la grande criminalité, à sanctionner en
tituées apparaît ainsi indissociable d’une politique conséquence30. De sorte que, pour Philip Hubbard,
de peuplement et de gestion urbaine plus vaste, qui les prostituées « étant décrites comme appartenant
mise sur un ajustement aux attentes d’entreprises au monde du crime, réduire la visibilité du travail
et de couches sociales exigeantes en matière de « qua- du sexe dans le centre-ville est le meilleur moyen pour
lité de vie ». Cet ajustement passe par une attention les acteurs politiques d’afficher qu’il est prêt pour de
aiguë aux enjeux environnementaux, le développement nouveaux investissements »31. Le même auteur avance
d’une offre culturelle conséquente (enjeu d’importance ailleurs que de telles politiques sont la source d’injustices
pour une ville inscrite depuis 1998 au patrimoine qui entrecroisent dominations de classe et de genre32.
mondial de l’UNESCO)27 mais aussi par une redéfini- De fait, à Lyon comme ailleurs, la répression des pros-
tion des problèmes de tranquillité publique en termes tituées a pour effet de contraindre à la clandestinité
de sécurité. L’équipe municipale s’est ainsi signalée, et d’exposer aux agressions une catégorie particulière
outre la répression du racolage, par la généralisation de femmes, souvent d’autant plus vulnérables qu’étran-
de la vidéosurveillance, une lutte contre l’affichage sau- gères en situation irrégulière, au motif de protéger
vage ou les nuisances sonores, ainsi que la destruction d’autres femmes, de condition plus favorisée et socia-
des bidonvilles de Roms, à même de répondre aux lement mieux intégrées, du sentiment d’insécurité
exigences morales des familles favorisées à la pointe éprouvé au voisinage des zones de prostitution.
de la gentrification des quartiers patrimonialisés
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25. Lyon capitale, 24 août 2007. lités de l’épuration morale des quartiers Authenticity, and the Commerce of Sex, graphes anglophones », L’Espace géogra-
26. Bulletin municipal officiel, Lyon, gentrifiés, voir Sylvie Tissot, De bons Chicago, The University of Chicago Press, phique, 38(1), 2009, p. 59-72.
3 octobre 2005, p. 1751. voisins. Enquête dans un quartier de la 2007 ; Samuel Cameron, “Space, risk 30. Elle participe à ce titre de la criminali-
27. Voir Lionel Arnaud, Réinventer la ville. bourgeoisie progressiste, Paris, Raisons and opportunity: the evolution of paid sation des couches paupérisées abordée
Artistes, minorités ethniques et militants au d’agir, coll. « Cours et travaux », 2011. sex markets”, Urban Studies, 41(9), août par Loïc Wacquant dans Punir les pauvres.
service des politiques de développement Sur l’appropriation de la thématique 2004, p. 1643-1657 ; Bernd Belina et Le nouveau gouvernement de l’insécurité
urbain, Rennes, PUR, coll. « Res Publica », sécuritaire par les municipalités, voir Gesa Helms, “Zero tolerance for the indus- sociale, Marseille, Agone, 2004.
2008 ; sur les évolutions du peuplement et Tanguy Le Goff, « L’insécurité “saisie” trial past and other threats: policing and 31. P. Hubbard, “Cleansing the metropo-
de la gestion de l’agglomération lyonnaise, par les maires : un enjeu de politiques urban entrepreneurialism in Britain and lis…”, art. cit., p. 1698.
voir Jean-Yves Authier, Yves Grafmeyer, municipales », Revue française de science Germany”, Urban Studies, 40(9), août 32. Philip Hubbard, “Revenge and injus-
Isabelle Mallon et Marie Vogel, Sociolo- politique, 55(3), juin 2005, p. 415-444. 2003, p. 1845-1867 ; pour une synthèse, tice in the neoliberal city: uncovering the
gie de Lyon, Paris, La Découverte, coll. 29. Voir notamment, outre les travaux voir Raymonde Séchet, « La prostitution, masculinist agendas”, Antipode, 36(4),
« Repères », 2010. de Hubbard cités ci-dessous, Elizabeth enjeu de géographie morale dans la ville septembre 2004, p. 665-686.
28. Pour une étude des enjeux et moda- Bernstein, Temporarily Yours. Intimacy, entrepreneuriale. Lectures par les géo-
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Lilian Mathieu
de proxénétisme, elles suscitent davantage de plaintes des femmes du Sénat et de l’Assemblée nationale 35
des riverains que leurs collègues françaises33. Entendant se montrent critiques à l’égard de la pénalisation
rendre compte de ces migrations, le schème de la traite du racolage, reprochant au projet d’ignorer la préven-
doit son succès à sa capacité à articuler des conceptions tion de la prostitution et de renforcer sa clandestinité,
de la prostitution et de l’action à mener particulièrement source de vulnérabilité accrue pour les personnes
équivoques. La politisation de la question prostitution- qui l’exercent. Elles n’en saluent pas moins toutes
nelle engagée par Nicolas Sarkozy au mois de mai 2002 deux l’ambition de lutter plus efficacement contre
en fournit la principale illustration. les réseaux internationaux de proxénétisme. Le Sénat
Annoncé par le nouveau ministre de l’Intérieur se charge à ce titre d’introduire l’incrimination
au retour de sa participation à une opération de police de traite des êtres humains, notion jusqu’à présent absente
sur les trottoirs du 17e arrondissement parisien, le pro- du Code pénal. Il s’agit en fait de tirer les consé-
jet de Loi sur la sécurité intérieure (LSI) entend s’at- quences de la ratification par la France, décidée sous
taquer à un ensemble de nuisances, parmi lesquelles le gouvernement précédent et acquise en août 2002,
l’attroupement abusif dans les parties communes du Protocole additionnel à la Convention des Nations
d’immeubles, l’exploitation de la mendicité, l’instal- Unies contre la criminalité transnationale organisée
lation illicite sur un terrain appartenant à autrui ainsi visant à prévenir, réprimer et punir la traite des per-
que le racolage, pour lequel la peine prévue est de six sonnes et des enfants. Ce protocole, dit « de Palerme »,
mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. entend organiser la coopération entre États pour
En définissant celui-ci comme le fait, par tout moyen, la répression de la traite et pour le rapatriement
y compris par sa tenue vestimentaire ou son attitude, de ses victimes, que celles-ci aient ou non consenti
d’inciter autrui à des relations sexuelles en échange à leur migration et à leur prostitution. Son ajout
d’une rémunération, le projet restaure le délit de raco- à la LSI permet de donner une tonalité plus protec-
lage passif, abandonné lors de la réforme du Code trice au texte législatif final. Promulgué le 18 mars
pénal de 1994 après avoir été longtemps critiqué 2003, celui-ci réduit par ailleurs à deux mois la peine
pour le pouvoir arbitraire qu’il accordait à la police. de prison encourue pour racolage, dont la définition
L’étranger coupable de racolage s’expose au retrait de ne fait plus référence à la tenue vestimentaire, et confie
son titre de séjour, mais celui qui dépose une plainte au préfet la décision d’octroi d’une carte de séjour tem-
ou témoigne contre son proxénète peut se voir délivrer poraire à l’étranger qui porte plainte contre l’auteur
une autorisation provisoire de séjour. Le projet suscite d’une infraction de proxénétisme ou de traite.
de vives critiques de la part de l’opposition comme Que la LSI s’appuie sur un saisissant paradoxe
du secteur associatif, que sa commune hostilité a été relevé, dès ses premières formulations, par ses cri-
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33. Entretien avec la directrice de Cabiria, les hommes et les femmes sur le projet sécurité intérieure, Assemblée nationale, Prostitution à Paris, Paris, La Martinière,
juillet 2009. de loi n° 30 (2002-2003) pour la sécurité 459, 5 décembre 2002. 2005, p. 121-152.
34. Sur cette étape de l’« histoire natu- intérieure, Sénat, 34, 29 octobre 2002, et 36. Voir, du côté des sciences sociales, 37. Voir le compte rendu des débats au Sénat
relle » des problèmes sociaux, voir Marie-Jo Zimmermann, Rapport d’informa- J. Danet et V. Guienne (dir.), Action du 14 novembre 2002 sur http://www.senat.
M. Spector et J. I. Kitsuse, Constructing tion fait au nom de la Délégation au droit publique et prostitution, op. cit. ; Johanne fr/cra/s20021114/s20021114H29.html.
Social Problems, op. cit., p. 143-153. des femmes et à l’égalité des chances Vernier, « La loi sur la sécurité intérieure : 38. Ibid.
35. Janine Rozier, Rapport d’information entre les hommes et les femmes sur le punir les victimes du proxénétisme pour
fait au nom de la Délégation au droit des projet de loi adopté par le Sénat après mieux les protéger ? », in Marie-Élisabeth
femmes et à l’égalité des chances entre déclaration d’urgence (n° 381) pour la Handman et Janine Mossuz-Lavau (dir.), La
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Genèse et logiques des politiques de prostitution en France
de détraqués sexuels et de proxénètes » –, le ministre de pouvoir solliciter les protections que devrait leur
présente avant tout son projet comme un instrument ouvrir leur statut de victimes de la traite. Si les procès
de lutte contre la traite des êtres humains, invoquant pour traite ont été très rares depuis l’entrée en vigueur
à son tour les « malheureuses […] prisonnières de de la LSI (notamment du fait que les juges privilégient
réseaux bulgares, albanais, ghaniens [sic]. On ne leur l’incrimination préexistante de proxénétisme, encadrée
a pas dit qu’elles seraient prostituées. On leur a raconté par la jurisprudence), les expulsions se sont multipliées
n’importe quoi : qu’elles seraient mannequin sans les et la pénalisation du racolage a permis de vider les villes
prévenir qu’en réalité elles seraient battues et mises de leurs prostituées.
sur le trottoir »39. Se révèle ainsi une nouvelle clé du succès de la
Si les dispositions relatives au racolage font débat définition de la prostitution comme atteinte à la dignité
au sein de l’arène parlementaire, un clair consensus indissociable de la traite. Dépeindre la prostituée
réunit en revanche droite et gauche sur l’existence de étrangère sous les traits de la victime des proxénètes
la traite et la nécessité de la combattre. La Délégation mafieux a autorisé une approche avant tout répres-
aux Droits des femmes de l’Assemblée nationale se dit sive de la question : parce qu’elle est l’élément visible
ainsi « consciente de l’arrivée massive ces dernières d’un monde criminel occulte et menaçant, ce sont les
années de personnes prostituées venues notamment policiers qui paraissent les mieux à même de répondre
de l’Est de l’Europe dans le cadre de réseaux mafieux aux attentes pourtant disparates des riverains exaspé-
internationaux de plus en plus organisés et vio- rés, des électeurs hostiles à l’immigration irrégulière
lents » tandis que celle du Sénat invoque le « devoir et des partisans de l’abolition de la prostitution. Le thème
de secours aux jeunes femmes victimes de réseaux de la traite associé à celui de la criminalité autorise ainsi
de prostitution » 40. L’image, préalablement styli- une politique mêlant contrôle renforcé des frontières44,
sée par les abolitionnistes, de la jeune étrangère pénalisation des usages déviants de l’espace public
contrainte à se prostituer légitime ce faisant une poli- et gouvernement des conduites sexuelles. Pour autant,
tique axée sur le retour au pays d’origine. Si, comme le paradoxe constitutif d’une loi supposant de réprimer
il paraît établi, c’est contre leur gré que les prosti- celles-là même qu’il s’agit de sauver des griffes
tuées étrangères peuplent les trottoirs, il est en effet mafieuses est apparu trop visible et sensible pour pou-
judicieux « de reconduire dans le pays d’origine pour voir être soutenu dans la durée, et c’est à la recherche
les sortir des griffes des proxénètes, des filles qui de nouvelles solutions que s’est récemment consacré
ne parlent pas notre langue et qui viennent d’arriver le champ politique, en prêtant une oreille plus attentive
sur notre territoire. C’est un devoir humanitaire ! »41. aux propositions abolitionnistes.
De manière largement ignorée par ses contempteurs
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39. Ibid. de l’homme, Avis sur la traite et l’exploita- ment, economic calculation and ’trafficked ainsi que la synthèse de Milena Jakšić,
40. M.-J. Zimmermann, rapport cité, p. 33 tion des êtres humains en France, 2010. women‘”, International Migration, 48(4), « État de littérature. Déconstruire pour
et J. Rozier, rapport cité, p. 27. 43. Voir l’article de Milena Jakšić dans août 2010, p. 84-113 ; Wendy Chapkis, dénoncer : la traite des êtres humains
41. Le ministre de l’Intérieur, lors du débat ce numéro. “Trafficking, migration and the law. Pro- en débat », Critique internationale, 53,
au Sénat du 14 novembre 2002. 44. Voir, dans une littérature abondante tecting innocents, punishing immigrants”, octobre-décembre 2011, p. 169-182.
42. Commission nationale citoyens-jus- sur la manière dont la lutte contre la Gender & Society, 17(6), décembre 2003, 45. Danielle Bousquet et Guy Geoffroy,
tice-police, De nouvelles zones de non- traite s’allie au contrôle des migrations p. 923-937 ; M. Darley, « Le statut de la Prostitution : l’exigence de responsabilité.
droit. Des prostituées face à l’arbitraire en France et ailleurs : Claudia Aradau, “The victime… », art. cit. ; N. Ragaru, « Du bon En finir avec le mythe du « plus vieux métier
policier, 2005 ; Conseil national du sida, perverse politics of four-letter words: risk usage de la traite des êtres humains… », du monde », Assemblée nationale, Com-
VIH et commerce du sexe. Garantir l’accès and pity in the securitisation of human traf- art. cit. ; Miriam Ticktin, “Sexual violence mission des lois, 3334, 2011.
universel à la prévention aux soins, avis ficking”, Millenium. Journal of International as the language of border control: where
suivi de recommandations, 2010 ; Com- Studies, 33(2), mars 2004, p. 251-277 ; French feminist and anti-immigrant rheto-
mission nationale consultative des droits Jacqueline Berman, “Biopolitical manage- ric meet”, Signs, 33(4), 2008, p. 863-889,
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Lilian Mathieu
l’ordre public mais n’a guère contribué à sauver les que « la prohibition c’est l’arme des faibles » et que
prostituées des proxénètes et s’est plutôt traduite par « toute politique qui ne s’appuie pas sur une préven-
une aggravation de leur clandestinité, de leur insécurité tion au sens large est vouée à l’échec ». À l’inverse,
et de leur précarité. la Fondation Scelles s’est d’emblée prononcée en faveur
Le rapport se signale surtout par sa recomman- de l’expérience suédoise, dont elle livre une présentation
dation la plus innovante : celle de créer dans le Code favorable dans son Livre noir de la prostitution. On peut
pénal un délit de recours à la prostitution. L’initiative faire l’hypothèse que le revirement du MdN tient à la
s’inspire de l’expérience de la Suède où solliciter les nécessité de ne pas se laisser marginaliser par une orga-
services d’une prostituée est un délit depuis 1999. nisation qui, pour être partenaire, n’en est pas moins
Préparée par un gouvernement social-démocrate et concurrente au sein de la cause de la disparition de la
partie intégrante d’une loi contre les violences faites prostitution et à qui l’endossement d’une revendication
aux femmes, la pénalisation des clients aurait, depuis innovante permet de s’assurer une meilleure audience.
son entrée en vigueur, réduit de moitié tant les effectifs Il tient sans doute également à l’effacement progressif
des prostituées de rue que ceux des clients, et dissuadé de la génération des fondateurs et à son remplacement
les réseaux d’implanter la traite des êtres humains par de nouveaux responsables moins imprégnés des
dans le pays46. Appliquée en France, la mesure aurait valeurs de la JOC des origines. Il pourrait également
plusieurs avantages aux yeux des rapporteurs : voir tenir aux évolutions de l’univers moral des classes
régresser la traite, faire comprendre aux clients moyennes chrétiennes qui constituent le principal
qu’ils participent à une exploitation de la vulnérabilité vivier de recrutement de l’association, spécialement
d’autrui, réaffirmer le principe de non patrimonia- dans leur rapport aux arguments sécuritaires.
lité du corps humain et voir diminuer le nombre de Mais c’est surtout sous l’influence des féministes
prostituées. La recommandation est suivie quelques que la figure du client en est venue à occuper une
mois plus tard par le vote à l’Assemblée nationale position centrale dans le discours abolitionniste,
d’une résolution (présentée par des députés PS, et l’expérience suédoise à être érigée en modèle 49.
UMP, Verts, Nouveau centre, PCF et Parti de gauche) Une définition de la prostitution comme violence
qui réaffirme la position abolitionniste de la France, et par sexiste appelle logiquement la sanction de ceux qui
le dépôt (sans inscription à l’ordre du jour) d’une pro- s’en rendent coupables, et c’est au sein des cercles
position de loi instaurant une pénalisation des clients de féministes que se réalise la transfiguration du client
prostituées qui prévoit les mêmes peines que pour le raco- en véritable folk devil50. Désigné sous le terme de « vian-
lage47. Ce qui est unanimement salué dans le champ poli- dard » et prenant éventuellement les traits du suppor-
tique comme une innovation est en réalité l’aboutissement ter de football51, le client est décrit comme guidé par
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d’un long travail de promotion de la politique suédoise, un imaginaire pervers favorisant une sexualité déres-
46. Voir notamment Ola Florin, “A particu- de cet article (printemps 2013), tout en 50. Stanley Cohen, Folk Devils and Moral soutien de la quasi totalité des partis poli-
lar kind of violence: Swedish social policy annonçant une prochaine abrogation du Panics, Londres, McGibbon & Kee, 1972. tiques. Basée sur une rumeur infondée, elle
puzzles of a multipurpose criminal law”, délit de racolage public. 51. En 2006, la pétition « Acheter du sexe n’en a pas moins ouvert à une dénonciation
Sexual Research and Social Policy, 9(3), 48. « La pénalisation du client n’est pas n’est pas un sport » initiée par la CATW récurrente d’un supposé recours généralisé
septembre 2012, p. 269-278. concevable », Prostitution et société, 99, dénonce l’« importation » par l’Allemagne à la prostitution par les spectateurs des
47. La ministre des Droits des femmes 1992, p. 8. de 40 000 prostituées d’Europe de l’Est grands événements sportifs.
Najat Vallaud-Belkacem a paru, en juin 49. Voir par exemple Florence Montreynaud, destinées à satisfaire les spectateurs de la 52. Attac, Mondialisation de la prostitu-
2012, endosser ce projet mais semble « La prostitution, un droit de l’homme ? », coupe du monde de football ; elle recueille tion…, op. cit., p. 102.
s’être ravisée au moment de la rédaction Manières de voir, 44, 1999, p. 19-21. plus de 100 000 signatures et reçoit le
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Genèse et logiques des politiques de prostitution en France
que si les liens entre les abolitionnistes et les principaux d’une Mairie de Paris confrontée, comme d’autres
partis se sont resserrés à partir de la fin des années 1990, municipalités, aux nuisances causées par la présence
date à laquelle le champ politique commence tant locale- de prostituées dans des zones résidentielles suggère
ment que nationalement à s’intéresser à la prostitution53, que la volonté de les sauver d’une violence sexiste
c’est avec les élus socialistes que ceux-ci sont les plus pouvait se combiner à celle de rendre leur activité
étroits. On a déjà signalé que le rapport de Malka plus discrète58.
Marcovich avait été commandé par la députée euro- Lorsqu’elle a été instaurée par la LSI, la péna-
péenne Adeline Hazan. Le rapport de la Délégation lisation des prostituées avait sans doute pour atout
aux droits des femmes du Sénat produit en 2000 de répondre, plus directement que celle des clients,
par la sénatrice PS Dinah Dericke après audition d’une à l’exigence des riverains que cessent les nuisances
majorité de personnalités et d’organisations abolition- inhérentes à la prostitution. Une dizaine d’années plus
nistes reprenait leurs principales positions, considérant tard, après que la répression du racolage a en grande
« qu’il est primordial de s’attaquer à la prostitution partie évacué la prostitution des paysages urbains
en tant que telle, car faute de l’avoir fait suffisamment on et que les abolitionnistes et féministes ont active-
a alimenté le phénomène de la traite »54. Peu après, un ment poursuivi leur promotion du modèle suédois,
rapport sur l’esclavage moderne piloté par des députés cette option devient davantage envisageable. L’accueil
PS, et pour lequel MdN et MAPP avaient été audi- politique unanimement favorable à la principale
tionnés, assimilait lui aussi prostitution des migrantes recommandation du rapport Bousquet-Geoffroy s’ex-
et traite des êtres humains tout en les associant plique par son aptitude à donner un tour humaniste
à la pédopornographie et à l’esclavage domestique55. à la politique en matière de prostitution tout en préservant
Une première concrétisation de cette réceptivité des les enjeux de répression de l’immigration irrégulière et
socialistes aux arguments abolitionnistes a été l’adop- d’assainissement moral des espaces urbains déjà au cœur
tion par le gouvernement Jospin de la loi du 4 mars de la LSI. L’assimilation, consolidée dans le rapport,
2002 qui prévoit une peine de trois ans de prison et des prostituées étrangères aux victimes de la traite
de 45 000 euros d’amende pour les clients de mineurs conforte ainsi la légitimité d’un retour dans leur pays
prostitués de 15 à 18 ans56. La mesure est notamment d’origine de personnes qui, par ailleurs, restent consi-
présentée, pendant les débats parlementaires, comme un dérées comme des migrantes en situation irrégulière.
moyen de sauver ces mineurs des « réseaux qui les ont Que ce retour prenne la forme d’une expulsion apparaît
fait venir en France, leur faisant miroiter un Eldorado secondaire en regard du fait que, étant supposées avoir
dans le but de leur faire mener, une fois sur place, migré sous la contrainte ou par tromperie, leur éventuel
une vie d’esclave domestique ou sexuel »57. Le dépôt désir de rester en France et de continuer à se prostituer
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d’une proposition de loi prévoyant l’extension de la ne peut qu’être faussé et n’a par conséquent pas à être pris
53. Claudine Legardinier du MdN et Malka les hommes et les femmes pour l’année présente une particulière vulnérabilité avant que celui-ci dépose sa proposition
Marcovich du MAPP sont ainsi les prin- 2000, Sénat, 209, 2000-2001. due à une maladie, une infirmité, une de loi, l’auteur du présent article avait
cipales animatrices du colloque « Les 55. Christine Lazerges et Alain Vidalies, déficience physique ou psychique ou un surtout été consulté sur les moyens de
politiques urbaines face à la prostitution » Rapport de la mission d’information com- état de grossesse. résoudre les problèmes inhérents à la
organisé en 2002 par l’Association des mune sur les diverses formes de l’escla- 57. Assemblée nationale, séance du présence de prostituées sur les boule-
maires des grandes villes de France. vage moderne, Assemblée nationale, 11 décem bre 20 01 ; h t t p :// w w w. vards parisiens. Une nouvelle proposition
54. Dinah Dericke, Les Politiques publiques 3459, 2001. assemblee-nationale.fr/11/cra/2001- de loi visant la pénalisation des clients a
et la prostitution. Rapport d’information sur 56. La LSI la complète en 2003 en pré- 2002/2001121115.asp#P229_60404. été déposée par Christophe Caresche et
l’activité de la délégation aux droits des voyant les mêmes peines pour le recours 58. Invité à l’Hôtel de Ville de Paris par une Danielle Bousquet en juillet 2006.
femmes et à l’égalité des chances entre à une personne prostituée lorsque celle-ci collaboratrice de Christophe Caresche peu
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Lilian Mathieu
Elle témoigne également du processus plus général devant la généralisation de politiques visant, en dépit
de redéfinition des questions sociales en problèmes de leurs différences de justification comme d’armature
de sécurité, et l’on peut noter que la réaffirmation, juridique, à conjurer par la mobilisation d’instruments
par les députés, de l’attachement de la France à la coercitifs la menace d’une immigration irrégulière cause
Convention de 1949 n’empêche pas une sensible d’immorales nuisances urbaines.
inflexion dans son interprétation : si sa ratification fon-
dait en 1960 une appréhension de la prostitution comme Dans ce qui est devenu un classique de l’étude des
inadaptation exigeant l’intervention de travailleurs problèmes sociaux, Joseph Gusfield signale com-
sociaux, sa nouvelle définition comme violence sexiste bien la construction d’un problème par des entre-
appelle une réponse prioritairement policière. Ce n’est preneurs de morale, incluant l’identification de ses
en rien une spécificité française, et les comparaisons causes et l’élaboration de sa résolution, tend à exclure
internationales indiquent qu’en dépit de divergences des définitions, interprétations et réponses alterna-
souvent importantes, les politiques menées dans les tives, éventuellement plus pertinentes 60. Le succès
différents pays européens se rejoignent fréquemment de la définition de la prostitution comme violence
par leurs enjeux et leurs effets. On peut ainsi relever, sexiste indissociable de la traite auquel sont parvenus
à la suite de Jane Scoular59, que des politiques aussi oppo- abolitionnistes et féministes ne doit pas son succès
sées que celles de la Suède et de la Hollande se sont légi- à une capacité supérieure à améliorer la situation
timées par des objectifs similaires ‒ s’opposer à la traite des personnes qui (sur)vivent de la vente de « services
des êtres humains, dont les étrangères sont supposées sexuels ». Elle ne le doit pas non plus à son adéqua-
nécessairement victimes ‒ et ont toutes deux contribué tion à la réalité sociologique du monde prostitutionnel,
à vider les rues de leurs prostituées trop visibles au profit dont les études empiriques pointent combien il est éloi-
de formes plus discrètes de commerce du sexe. gné de l’imagerie de la traite61. Elle le doit davantage
De sorte que si les politiques adoptées par les différents à l’emprise d’une lecture individualisante, rapportant
États en matière de prostitution sont actuellement sou- la prostitution à la conduite de personnages singu-
mises à un processus de redéfinition majeur, ce n’est liers (proxénètes, clients) responsables de leurs actes
pas, comme on le croit souvent, via une exacerbation et qu’il est dès lors du devoir de l’État de punir62, plutôt
de leurs oppositions, mais au contraire sous l’effet d’une qu’au jeu de facteurs structurels tels qu’une féminisation
convergence de leurs enjeux et effets. En d’autres termes, de la pauvreté et des migrations. Ce faisant, elle
la classique distinction entre trois régimes juridiques se rend plus aisément appropriable et instrumentalisable
de la prostitution – réglementarisme, abolitionnisme par un champ politique désormais converti au traitement
et prohibitionnisme – a désormais perdu toute pertinence sécuritaire des questions économiques et sociales.
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59. Jane Scoular, “What’s law got to do and Social Policy, 9(3), septembre 2012. Florence Lévy et Marylène Lieber, « La la responsabilité de problèmes sociaux
with it? How and why law matters in the 60. Joseph Gusfield, La Culture des sexualité comme ressource migratoire. constitue une tendance forte, comme l’in-
regulation of sex work”, in Jane Scoular problèmes publics. L’alcool au volant : Les Chinoises du Nord à Paris », Revue diquent les cas des agressions sexuelles
et Teela Sanders (éds), Regulating Sex/ la production d’un ordre symbolique, française de sociologie, 50 (4), 2009, sur enfant, focalisées sur la neutralisation
Work: From Crime Control to Neo-libe- Paris, Economica, coll. « Études socio- p. 719-746 ; Milena Chimienti, Prostitution pénale des pédophiles (Laurie Boussa-
ralism?, Oxford, Wiley-Blackwell, 2010, logiques », 2009. et migration. La dynamique de l’agir faible, guet, La Pédophilie, problème public.
p. 12-39. Voir également Philip Hubbard, 61. Voir par exemple Rutvica Andrija- Zurich-Genève, Seismo, 2009 ; Vanessa France, Belgique, Angleterre, Paris, Dalloz,
Roger Matthews et Jane Scoular, “Regula- sevic, « La traite des femmes d’Europe Simoni, « Territoires et enjeux de pou- 2008) ou des accidents de la route rebap-
ting sex work in the EU: prostitute women de l’Est en Italie. Analyse critique des voirs de la traite aux fins d’exploitation tisés violence routière (Claude Gilbert,
and the new spaces of exclusion”, Gender, représentations », Revue européenne des sexuelle : le cas de Paris », Hérodote. « Quand l’acte de conduite se résume à
Place and Culture, 15(2), 2008, p. 137- migrations internationales, 21(1), 2005, Revue de géographie et de géopolitique, bien se conduire. À propos du cadrage
152 et le dossier “Prostitution policy p. 155-175 ; M. Jakšić, « De la victime 136, 2010, p. 134-149. d u problèm e “sécu ri té rou t ière” »,
regimes in Europe”, Sexuality Research idéale à la victime coupable… », op. cit. ; 62. Cette individualisation pénale de Réseaux, 147, 2008, p. 21-48).
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