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Le Sud global est de retour, et pour de bon

Jorge Heine, Traduit de l’anglais par Cadenza Academic translations


Dans Politique étrangère 2023/4 (Hiver), pages 11 à 23
Éditions Institut français des relations internationales
ISSN 0032-342X
ISBN 9791037306258
DOI 10.3917/pe.234.0011
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DOSSIER | LE SUD CONTRE L’OCCIDENT ?


Le Sud global est de retour, et pour de bon
Par Jorge Heine

Jorge Heine, ancien ambassadeur du Chili en Chine, en Inde et en Afrique du Sud, est profes-
seur à la Frederick S. Pardee School of Global Studies et directeur par intérim du Pardee Center
for the Study of the Longer-Range Future à l’université de Boston. Il a récemment publié Latin
American Foreign Policies in the New World Order: The Active Non-Alignment Option, Londres,
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Anthem Press, 2023.

Traduit de l’anglais par Cadenza Academic Translations.

L’idée de « Sud global » s’est affirmée tout au long de 2023, à travers de


multiples sommets : G20, BRICS… Elle pourrait se concrétiser avec la notion
de non-alignement actif : les nations émergentes définissant leurs politiques
en fonction de problèmes ponctuels et de leurs intérêts bien compris.
L’ascension de ce Sud global, qui ne peut que susciter quelque réticence
parmi les anciennes puissances du Nord, témoigne d’un changement de
monde et de la nécessité d’une nouvelle gouvernance.

politique étrangère

L’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) est chaque année un


événement diplomatique majeur au cours duquel des dirigeants du
monde entier se réunissent pour échanger leurs points de vue sur les
affaires internationales. L’AGNU 2023 n’a pas dérogé à la règle, mais une
absence, ou plutôt quatre, se sont fait remarquer. Sur les cinq membres
permanents du Conseil de sécurité, un seul chef d’État était présent : le
président des États-Unis, Joseph R. Biden. Les présidents de la Chine, de
la France, de la Russie ainsi que le Premier ministre du Royaume-Uni
étaient tous quatre aux abonnés absents. En revanche, deux semaines plus
tôt, trois chefs d’État du Conseil de sécurité avaient assisté au 17e sommet
du G20 à New Delhi, suggérant le déclin des Nations unies et l’impor-
tance croissante d’autres forums comme le G20 ou les BRICS.

Le G20 est un groupe informel qui réunit des nations développées, des
puissances émergentes et des pays en développement pour relever les

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défis de la gouvernance économique mondiale1. La présidence de l’Inde


en 2022-2023 avait pour objectif de consolider la position du pays comme
l’un des leaders des nations du Sud ; le terrain avait été préparé par une
série de conférences destinées à faire entendre la « voix du Sud global ».
Face aux divergences entre pays membres et à la question clivante de la
guerre d’Ukraine, qui a plané sur de multiples réunions ministérielles de
préparation au sommet de Delhi, le Secrétaire général des Nations unies
António Guterres était allé jusqu’à qualifier2 le monde de « famille dys-
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fonctionnelle ». Pourtant, malgré le scepticisme précédant le sommet,
le G20 de Delhi a largement été considéré comme un succès, et un
triomphe diplomatique de l’Inde. Son ambitieuse déclaration finale insiste
sur l’urgence de la lutte contre le changement climatique et de l’améliora-
tion du fonctionnement des banques multilatérales de développement,
parmi les nombreux sujets abordés dans 83 paragraphes3. Autre avancée
importante : l’intégration de l’Union africaine comme membre perma-
nent, au même titre que l’Union européenne (UE) depuis les débuts
du G20.

Le sommet de New Delhi pourrait ainsi être considéré comme l’avène-


ment du Sud global au XXIe siècle. Cette idée se renforce avec un autre
rendez-vous important, le 15e sommet des BRICS de Johannesburg en
août, qui a débouché sur l’élargissement du groupe. Le Sud global fait
désormais les gros titres et focalise l’attention, s’attirant à la fois louanges
et critiques. Qu’entend-on par ce terme, pourquoi a-t-il pris autant
d’importance ? Est-il illusoire, ou le signe qu’une nouvelle force émerge
dans les affaires internationales ?

On traitera d’abord ici du concept même de Sud global et des raisons


expliquant son regain d’actualité ; puis on analysera l’évolution de la gou-
vernance mondiale au XXIe siècle ; avant d’examiner l’émergence d’une
concurrence entre grandes puissances et ce que d’aucuns appellent déjà
une seconde guerre froide. On envisagera alors le non-alignement actif
comme réponse de plus en plus fréquente à ces tensions, avant de s’inter-
roger sur le sens de l’élargissement des BRICS à six nouveaux membres.
Enfin, après s’être interrogé sur les résistances que suscite l’emploi du
terme « Sud global » en Occident, on conclura sur les voies qui s’ouvrent
devant les pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine.

1. A. F. Cooper et R. Thakur, The Group of Twenty (G20), Londres, Routledge, 2013.


2. A. Guterres, « Déclarations liminaires du Secrétaire général lors de la conférence de presse du G20 »,
Secrétaire général des Nations unies, 8 septembre 2023, disponible sur : www.un.org.
3. « One Earth, One Family, One Future: G20 New Delhi Leaders’ Declaration », G20, 9-10 septembre 2023,
disponible sur : www.g20.org.

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Le Sud global est de retour, et pour de bon

DOSSIER | LE SUD CONTRE L’OCCIDENT ?


L’ascension du Sud global
Le terme « Sud global » (Global South) a été employé pour la première fois
par Carl Oglesby dans un article4 publié dans le magazine catholique
Commonweal en 1969. Parlant alors de la guerre du Vietnam, il y expliquait
qu’elle était le fruit de la « domination du Nord sur le Sud global ».

L’expression ne s’est pas diffusée immédiatement. Le terme de prédilec-


tion pour les pays du monde en développement était alors « tiers-monde ».
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Une formule inventée en 1952 par Alfred Sauvy, qui s’inspirait des trois
ordres de la France pré-révolutionnaire : noblesse, clergé et tiers état. Les
nations capitalistes développées formaient le « premier monde », le camp
soviétique le « deuxième monde » et les nations en développement le
« tiers-monde ». Ce n’est que dans les années 1980, avec la publication du
rapport Brandt sur l’élargissement du fossé entre Nord et Sud, que la
notion de Sud global a gagné du terrain. C’est ensuite dans les années 1990
qu’elle a été adoptée plus généralement, après la chute du mur de Berlin et
l’effondrement de l’Union soviétique. Avec la disparition d’un « deuxième
monde », il ne restait guère d’espace pour un « tiers-monde ». De plus,
l’expression « tiers-monde » avait acquis une connotation négative, associée
à la pauvreté, à l’instabilité politique et au retard économique. Le terme
« Sud global » avait une résonance moins péjorative.

Le terme n’est à strictement parler pas géographique : deux des plus


grands pays qu’il recouvre, la Chine et l’Inde, se situent dans l’hémi-
sphère nord, comme d’autres en Asie centrale ou au Moyen-Orient. Il
s’agit plutôt d’un terme géopolitique et géohistorique. Par rapport au
Nord développé (les pays de l’Atlantique Nord, le Japon, les pays d’Aus-
tralasie), ces pays sont généralement plus pauvres, ont un passé colonial
et sont souvent dépendants des pays développés sur le plan économique.
Autrefois soumis aux caprices des empires, ils cherchent à se défaire des
chaînes de la dépendance pour voler de leurs propres ailes. Certains y
sont d’ailleurs plutôt bien parvenus et ont prospéré. Dans ce que l’on
saluait comme la montée en puissance des nouveaux pays industrialisés
dans les années 1980 et 1990, puis celle des BRICS dans les années 2000,
on assistait à un important transfert de richesses de l’Atlantique Nord
vers l’Asie-Pacifique5, même si cela ne se reflétait pas encore dans les
structures des organisations internationales établies telles que les Nations
unies ou les institutions de Bretton Woods.

4. C. Oglesby, « Vietnamism Has Failed… The Revolution can Only be Mauled, not Defeated », Commonweal,
vol. 90, 1969.
5. « Latin America and the Rising South: Changing World, Changing Priorities », Études de la Banque
mondiale pour la région Amérique latine et Caraïbes, Banque mondiale, 2015.

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Quelle gouvernance mondiale ?


La gouvernance mondiale a atteint son apogée au cours des vingt-cinq
années qui ont suivi la fin de la guerre froide (1991-2016). Les années 1990
ont vu la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)
en 1994, de la Cour pénale internationale (CPI) en 1998, ainsi que de
multiples conférences thématiques des Nations unies visant à établir un
programme de progrès pour l’avenir de la planète. Un nouvel élan a été
donné aux opérations de maintien de la paix des Nations unies, en
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réponse aux nouvelles guerres civiles et aux conflits intérieurs qui se sont
multipliés après la fin de la guerre froide.

La création du G20, d’abord au niveau des ministères des Finances


(en 1999) pour faire face à la crise financière asiatique de 1997-1998, puis
des chefs d’État et de gouvernement (en 2008) pour faire face à la crise
financière internationale de 2008-2009, relevait largement de cette logique.
Le G20 est en fait né de la prise de conscience, par les nations occidentales
(en particulier du G7), qu’elles ne pouvaient
La création du G20 : piloter seules l’économie mondiale comme elles
premier élément l’avaient fait dans les années 1970 et 1980, en
d’une gouvernance raison de la6montée en puissance des économies
émergentes . Il fallait s’associer pour assurer la
économique globale gouvernance d’une économie interdépendante
et mondialisée. De l’avis général, le G20 a largement contribué à contenir
la crise financière de 2008 – la plus grave que le monde ait connue depuis
les années 1930. À tel point que, lors du sommet du G20 de Pittsburgh
en 2009, le président Obama a suggéré de dissoudre le G7 pour le rempla-
cer par le G20. La principale objection (qui a finalement prévalu) est
venue du Premier ministre canadien Stephen Harper : le G7 devait se
tenir au Canada en 2010 et il n’entendait pas renoncer à cet événement…

La création même du G20 constituait l’aveu que les structures formelles


en place (comme les institutions de Bretton Woods), chargées de répondre
à une partie au moins des problèmes posés par les grandes crises écono-
miques, n’étaient plus à même de jouer leur rôle, pour diverses raisons
et notamment leur manque de représentativité. C’était aussi reconnaître
que les nouvelles économies émergentes méritaient de siéger à la table de
la gouvernance économique. Après la crise de 2008-2009, l’un des som-
mets les plus productifs du G20 s’est tenu en 2016 à Hangzhou, qui a
établi un programme ambitieux et débouché sur un communiqué

6. A. F. Cooper, J. English et R. Thakur (dir.), Reforming from the Top: A Leaders’s 20 Summit, Tokyo, United
Nations University Press, 2005.

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Le Sud global est de retour, et pour de bon

DOSSIER | LE SUD CONTRE L’OCCIDENT ?


conjoint7 des États-Unis et de la Chine sur la lutte contre le changement
climatique – communiqué marquant un tournant dans ce domaine. Toute-
fois, 2016 est aussi l’année au cours de laquelle ce mode de « gouvernance
mondiale » des affaires internationales a connu une fin abrupte.

Populisme des pays du Nord et concurrence entre grandes


puissances
L’année 2016 devrait ainsi être considérée comme l’un des tournants du
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XXIe siècle, un peu comme l’ont été, au XXe siècle, 1917 ou 1945. Après une
campagne dominée par la rhétorique anti-immigration, le Royaume-Uni
votait en juin 2016 sa sortie de l’UE, le « Brexit ». Cette opération allait
consommer une grande part de l’énergie internationale du Royaume-Uni et
de l’UE dans les quatre années à suivre. En six ans, le Royaume-Uni aura
connu cinq Premiers ministres, et il pourrait obtenir en 2023 les pires résul-
tats économiques de tous les pays d’Europe. En novembre de cette même
année, les États-Unis élisaient Donald Trump à la présidence sur un pro-
gramme isolationniste et anti-immigration8. Au cours des quatre années qui
ont suivi, les États-Unis se sont retirés du partenariat transpacifique, de
l’Accord de Paris sur le changement climatique et de l’Organisation mon-
diale de la santé au beau milieu de la pire pandémie du siècle. Washington
a également paralysé l’OMC en refusant de nommer des juges à son organe
d’appel – position qui n’a d’ailleurs pas évolué sous le président Biden.

Ce retrait américain et britannique de certaines des règles fondamen-


tales régissant ce qu’on a pris coutume d’appeler l’« ordre fondé sur des
règles » – un ordre que les États-Unis et le Royaume-Uni ont voulu établir
dès 1945, et qu’ils continuent de contrôler – n’a fait qu’exacerber le ressen-
timent de nombre de pays du Sud global. Pour de nombreux dirigeants
d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, l’idée qu’il fallait confier la gou-
vernance économique mondiale à des personnalités comme Donald
Trump et Boris Johnson semblait tangenter l’absurde. En plus d’être
tenues à l’écart des mécanismes de décision, les nations en développe-
ment observaient désormais les règles de l’ordre international être piéti-
nées par ceux-là mêmes qui les avaient établies. Au premier semestre
2021, la réticence initiale des États-Unis et de l’Europe à coopérer avec les
pays en développement pour leur garantir l’accès aux vaccins contre le

7. G. T. Chin et H. Dobson, « China’s Presidency of the G20 Hangzhou: On Global Leadership and Strategy »,
Global Summitry, vol. 1, no 2, 2016, p. 151-170 ; G. T. Chin et C. Freeman, « What Next?… For World Order
and Global Governance », Global Policy, 3 novembre 2016.
8. J. Hopkin, Anti-System Politics: The Crisis of Market Liberalism in Rich Democracies, Oxford, Oxford
University Press, 2020 ; P. Norris et R. Inglehart, Cultural Backlash: Trump, Brexit and Authoritarian Populism,
Cambridge, Cambridge University Press, 2019.

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Covid-19, sous couvert de « nationalisme vaccinal », a été particulière-


ment ressentie. Elle n’a fait que renforcer l’image de puissances
transatlantiques autocentrées, dont l’attitude fortement opposée aux
étrangers et à la mondialisation empêchait jusqu’à la fourniture de biens
publics mondiaux – alors qu’il s’agissait là de toute évidence du devoir
fondamental d’un dirigeant hégémonique du système international.

Autant le G20 avait joué un rôle central dans la gestion de la crise


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financière de 2008-2009, autant il a lamentablement échoué dans la ges-
tion de la pandémie de Covid-19. Ce fut en partie à cause de l’absence de
leadership de l’Arabie Saoudite, qui en assurait la présidence en 2020,
mais aussi parce que la situation du monde avait changé. Les tensions
entre les États-Unis et la Chine s’étaient intensifiées ; la guerre commer-
ciale et technologique de la présidence Trump avait pris des accents idéo-
logiques et militaires sous la présidence Biden. À la crise de l’ordre
international libéral s’ajoutait une géopolitisation des relations écono-
miques internationales – les pays en développement d’Afrique, d’Asie et
d’Amérique latine étant poussés à choisir États-Unis ou Chine sur les
questions de commerce, d’investissements et de finance –, un obstacle
supplémentaire aux défis de la croissance et du développement au beau
milieu de la pire pandémie depuis un siècle.

Cela fut particulièrement visible en Amérique latine. Ce phénomène de


géopolitisation a entraîné l’annulation d’importants projets d’infrastruc-
tures et de connectivité, dont un projet de câble internet en fibre optique
reliant Valparaíso à Shanghai, l’interruption de la construction du qua-
trième pont sur le canal de Panama et d’un projet ferroviaire, également
au Panama, et des limitations de la connexion numérique en Équateur et
ailleurs, du fait de l’opposition de Washington à la présence du géant
chinois des télécoms Huawei dans la région9.

Le non-alignement actif
C’est de cette conjoncture, et surtout de la pression exercée pour choisir
un camp, qu’est née une nouvelle doctrine de politique étrangère : le non-
alignement actif (NAA). En 2021, dans leur ouvrage El no alineamiento
activo y América Latina: una doctrina para el nuevo siglo10, Fortin, Heine et
Ominami s’inspirent du mouvement des non-alignés (MNA) d’autrefois
en l’adaptant aux circonstances du nouveau siècle.

9. J. Heine, « Recreando el Galeón de Manila », in J. Heine, Xi-na en el siglo del dragón: Lo que todos deben
saber sobre China, Santiago, LOM, 2022, p. 219-246.
10. C. Fortin, J. Heine et C. Ominami (dir.), El no alineamiento activo y América Latina: una doctrina para el
nuevo siglo, Santiago, Catalonia, 2021.

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DOSSIER | LE SUD CONTRE L’OCCIDENT ?


Le NAA appelle les gouvernements latino-américains à ne pas accepter
a priori les positions de l’une ou l’autre grande puissance en conflit et à
définir leur comportement sur la scène internationale en fonction de leurs
intérêts souverains, sans céder aux pressions des puissances hégémo-
niques. Le terme « actif » fait référence à une politique étrangère en quête
constante d’opportunités dans un monde en mutation, où les gouverne-
ments évaluent chacune de ces opportunités selon leurs propres critères.
Cela suppose une politique étrangère souple, attentive aux nouveaux
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défis de l’environnement international. Cela implique également de ren-
forcer les logiques régionales, pour que les pays puissent se coordonner
et adopter des positions communes ; de réorienter les politiques étran-
gères en mettant plus d’accent sur l’Asie, épicentre de la croissance mon-
diale ; et d’intégrer le fait qu’il existe de nouvelles institutions financières
internationales, comme la Banque asiatique d’investissement dans les
infrastructures (BAII) et la Nouvelle Banque de développement (NDB),
qui constituent des alternatives aux institutions traditionnelles de Bretton
Woods et rendent possible ce que l’on a appelé la « diplomatie financière
collective11 » (collective financial statecraft). Cette proposition globale est
très différente de la « diplomatie des cahiers de doléances » adoptée par
le mouvement des pays non alignés par le passé (cf. tableau 1).

Tableau 1 : Non-alignement (NA) et option de non-alignement actif (NAA),


cadre et contexte

Institutions
Axe
Origine Plateformes financières Diplomatie
géoéconomique
internationales

États-Unis/
Banque Cahiers de
NA URSS guerre Atlantique Nord MNA, G77
mondiale, FMI doléances
froide

Banque asiatique
d’investissement
États-Unis/ BRICS,
dans les Diplomatie
Chine guerre initiative Inde-
NAA Asie-Pacifique infrastructures, financière
froide Brésil-Afrique
Nouvelle Banque collective
potentielle du Sud
de
développement

Source : C. Fortin, J. Heine et C. Ominami (dir.), Latin American Foreign Policies in the New World
Order: The Active Non-Alignment Option, Londres, Anthem Press, 2023, p. 4.

11. C. Roberts, L. Armijo et S. Katada, The BRICS and Collective Financial Statecraft, Oxford, Oxford
University Press, 2017.

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Bien que le concept de NAA soit né en Amérique latine, il a dès le


début une portée spatiale et temporelle plus vaste : il peut présenter un
intérêt pour l’ensemble des pays du Sud, et s’appliquer aux situations de
conflit hégémonique en général. C’est ce qui s’est passé lors de l’invasion
russe de l’Ukraine. En violation du droit international et des principes
fondamentaux de la Charte des Nations unies, l’invasion a été vivement
condamnée par d’importants segments de la communauté internationale,
générant un fort consensus dans l’Organisation du traité de l’Atlantique
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nord (OTAN) et parmi les pays du G7. De nombreux pays d’Afrique,
d’Asie et d’Amérique latine ont pourtant refusé de s’associer aux sanc-
tions contre Moscou ou de livrer des armes à l’Ukraine12, à la stupéfaction
ostensible des gouvernements occidentaux.

Pour quelle raison ?


Ces pays ont évidemment des liens économiques avec la Russie (le Brésil,
grand producteur et exportateur agricole, importe 25 % de ses engrais de
la Russie), ainsi que des liens historiques (dans ses trois guerres contre le
Pakistan, l’Inde a toujours été soutenue par Moscou, quand Washington
se rangeait du côté pakistanais). Nombre d’entre eux ne voient pas pour-
quoi ils devraient s’impliquer dans des querelles qui ne sont pas les leurs.
Mais le plus irritant a sans doute été la manière dont les pays occidentaux
ont voulu présenter la guerre d’Ukraine comme une guerre singulière à
transformer en conflit mondial, auquel plus de 200 pays dans le monde
étaient requis de participer par le biais d’embargos, de livraisons d’armes
ou de sanctions en tous genres13. La raison pour laquelle la guerre
d’Ukraine devrait être traitée différemment de la guerre au Yémen par
exemple (qui a coûté la vie à 250 000 civils, en grande partie victimes
d’armes fournies par des États membres de l’OTAN), ou de l’invasion de
l’Irak en 2003, n’apparaissait guère claire. Les appels à défendre un
« ordre fondé sur des règles », règles régulièrement enfreintes par les
puissances occidentales à leur convenance, ne l’étaient pas plus.

Le NAA se veut une approche pragmatique et réaliste, n’excluant aucu-


nement les rapprochements militaires avec l’une ou l’autre des grandes
puissances. L’Inde est ainsi membre du Dialogue quadrilatéral pour la
sécurité, le « Quad », aux côtés des États-Unis, du Japon et de l’Australie,
mais elle prend soin de rester neutre dans la guerre d’Ukraine ; le Vietnam
a signé un « partenariat stratégique intégral » avec les États-Unis, tout en
maintenant des liens militaires étroits tant avec la Russie qu’avec la Chine.

12. C. Fortin, J. Heine et C. Ominami, « European War and Global Pandemic: The Renewed Validity of Active
Non-Alignment », Global Policy, 30 janvier 2023.
13. J. Gabriel Tokatlian, « Ucrania: la guerra global », Clarín, 3 mai 2022.

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Le Sud global est de retour, et pour de bon

DOSSIER | LE SUD CONTRE L’OCCIDENT ?


L’idée est plutôt que les pays laissent les portes ouvertes et choisissent
les sujets sur lesquels ils se rangent du côté de l’une ou l’autre des puis-
sances. Le NAA ne relève ainsi ni de la neutra-
lité, ni de l’équidistance entre les grandes Le non-alignement
puissances. Il s’agit au contraire d’un position- actif se veut
nement dynamique. Sur certaines questions, les pragmatique
pays peuvent adopter des positions plus
proches des États-Unis ; sur d’autres, plus et réaliste
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proches de la Chine, voire de la Russie. Ce qu’ils ne feront pas, c’est
soutenir systématiquement l’un ou l’autre. Cela suppose une diplomatie
hautement calibrée, qui évalue chaque question isolément pour décider
de la manière d’agir. Ce positionnement exige beaucoup plus d’efforts
qu’un simple alignement, mais il permet aux nations en développement
de peser davantage dans leurs relations avec les grandes puissances.

Comment le NAA se présente-t-il en pratique ?


Un bon exemple de NAA est celui de la politique étrangère du Brésil sous
la présidence de Luiz Inácio Lula da Silva depuis janvier 2023. Contraire-
ment à l’Occident qui soutiendra la guerre d’Ukraine « aussi longtemps
qu’il le faudra » (pour citer Joe Biden), le président Lula a activement
fait pression en faveur d’une trêve et d’une solution pacifique au conflit,
investissant beaucoup de capital politique dans cette démarche.

Dans un véritable exercice de diplomatie « de la navette » (shuttle diplo-


macy), il est intervenu à Washington auprès du président Biden, à Pékin
auprès du président Xi, à Moscou auprès du président Poutine (par
l’intermédiaire de son conseiller Celso Amorim) et lors de réunions avec
le président ukrainien Zelensky. Si le Brésil est bien placé pour jouer les
intermédiaires et tenter de mettre fin à la guerre d’Ukraine, c’est juste-
ment parce qu’il a refusé de prendre parti et maintenu une position non
alignée face au conflit14.

Ajouter des BRICS à l’édifice


La guerre d’Ukraine et les réactions internationales qu’elle a suscitées
permettent de constater que le principal clivage actuel n’oppose pas
démocratie et autocratie, comme certains voudraient nous le faire croire,
mais Nord global et Sud global. À preuve : le fait que des démocraties
parmi les plus peuplées au monde – Inde, Indonésie, Afrique du Sud,
Brésil, Argentine, Mexique… – aient refusé de se ranger aux côtés du G7
sur la question.

14. J. Heine et T. Rodrigues, « Brazil is Ukraine’s Best Bet for Peace », Foreign Policy, 2 mai 2023.

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politique étrangère | 4:2023

Le 15e sommet des BRICS, qui s’est tenu à Johannesburg en août 2023,
a montré que ce groupe occupe désormais une place centrale dans le Sud
global émergent. Avec son premier sommet d’Ekaterinbourg en 2009 (il
s’agissait encore du BRIC), le groupe devient emblématique de l’essor du
nouveau Sud au XXIe siècle15. Il est composé d’un petit nombre de pays,
aux territoires et aux populations étendus, chacun jouant un rôle central
dans sa propre région. Ses sommets se sont tenus sans discontinuer
depuis lors. Dans un épisode révélateur, en 2018, Jair Bolsonaro, alors
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candidat à la présidence, jurait que sous son gouvernement le Brésil quit-
terait les BRICS, qu’il voyait comme une entité anti-américaine. Une fois
élu, il est non seulement revenu sur sa promesse mais il est allé jusqu’à
accueillir le 10e sommet des BRICS à Brasilia en novembre 2019. Il a dû
céder à la pression des militaires et des milieux d’affaires, catégorique-
ment opposés à ce que le Brésil quitte un groupe renforçant sa position
internationale en lui permettant d’avoir régulièrement accès, au plus haut
niveau, aux décideurs de nations parmi les plus grandes et plus influentes
du monde.

Si jusqu’en 2023 les sommets des BRICS étaient peu couverts par les
médias occidentaux (contrairement aux réunions du G7, rapportées en
détail jusqu’aux tenues vestimentaires des présents), il n’en fut pas de
même pour le sommet de Johannesburg. Une première interrogation por-
tait sur la présence de Vladimir Poutine, compte tenu des poursuites
engagées à son encontre par la CPI. La Russie fut finalement représentée
par son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Une autre ques-
tion était de savoir si, pour la première fois, un dirigeant occidental serait
invité à être présent, comme le demandait le président Emmanuel
Macron. La réponse fut négative.

Ce regain d’intérêt pour les BRICS était motivé par l’annonce de leur
élargissement, le premier depuis l’adhésion de l’Afrique du Sud en 2010.
Plus de vingt pays du Sud global s’étaient portés candidats, et six d’entre
eux ont été adoubés à Johannesburg : l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie,
l’Iran, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis (EAU). En 2023, le
produit intérieur brut (PIB) cumulé en parité de pouvoir d’achat des cinq
BRICS était déjà supérieur à celui du G7. Avec les nouveaux membres, le
groupe constituera une force encore plus importante, sur laquelle il
faudra compter dans les affaires internationales. Selon les prévisions16
pour 2024, ils devraient représenter 46 % de la population mondiale, 38 %

15. O. Stuenkel, The BRICS and the Future of Global Order, New York, Lexington Books, 2020.
16. « BRICS+ Impact: Plaudits and Brickbats », The Economist Intelligence Unit, septembre 2023.

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Le Sud global est de retour, et pour de bon

DOSSIER | LE SUD CONTRE L’OCCIDENT ?


du PIB mondial, 23 % des exportations et 43 % de la production pétrolière.
Les pays du G7, bien que riches, représentent quant à eux moins de 10 %
de la population mondiale. Les énormes réserves de change de l’Arabie
Saoudite et des EAU laissent présager une augmentation du capital de la
Nouvelle Banque de développement (dite « banque des BRICS ») basée à
Shanghai, ce qui pourrait la catapulter en première ligne des banques
multilatérales de développement.
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Cela ne signifie pas que l’élargissement des BRICS se fera sans heurts17.
Il reste à savoir si le nouveau gouvernement argentin, qui doit prendre ses
fonctions en janvier 2024, acceptera l’invitation, que le Brésil a vivement
soutenue. Les membres divergent également sur la marche globale à
suivre. La Chine et la Russie semblent vouloir faire des BRICS une alter-
native au G7, une sorte de bloc anti-occidental qui s’opposerait au G7,
à l’OTAN et aux autres alliances occidentales.
L’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud (parties, et L’élargissement des
ce n’est pas une coïncidence, de l’initiative Inde- BRICS ne se fera pas
Brésil-Afrique du Sud, IBAS, quelque peu mise sans heurts
en sommeil ces dernières années) penchent
quant à eux vers une position de non-alignement : pas une position anti-
occidentale mais une position décidant singulièrement, en fonction de
chaque problématique, dans l’esprit du NAA. Les tensions entre les deux
plus grands membres du groupe (la Chine et l’Inde), mises en évidence
par l’absence du président Xi au sommet du G20 à New Delhi, constituent
aussi un problème. Il reste que ce que l’on appelle aujourd’hui le
groupe BRICS+ gagne en importance et constitue une force avec laquelle
il faut désormais compter dans les affaires internationales.

Les résistances occidentales

Si les BRICS, entité initialement tournée en dérision, voire en ridicule, en


Occident – on arguait18 qu’il s’agissait d’un simple espace de bavardage,
compte tenu des divergences entre ses membres –, sont enfin pris au
sérieux, c’est le terme même de « Sud global » qui est aujourd’hui remis
en cause par certains analystes occidentaux.

Au moment même où les puissances émergentes et les pays en dévelop-


pement se réunissent dans les sommets des BRICS (à Johannesburg),

17. H. V. Pant (dir.), « From BRICS to BRICS+: Old Partners and New Stakeholders », Special Report, no 214,
Observer Research Foundation, septembre 2023.
18. « Does the BRICS Group Matter? », Council on Foreign Relations, 2012.

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du G20 (à New Delhi) ou du G77+Chine (à La Havane), des commenta-


teurs de think tanks de Washington ou de Londres suggèrent de supprimer
le terme utilisé pour désigner ce groupe de nations, ce qui reviendrait
dans les faits à nier son existence19. La plupart des critiques formulées à
l’encontre de ce terme portent sur son élasticité et sa prétendue impréci-
sion. Cependant, comme mentionné ci-dessus, il ne s’agit pas d’un terme
géographique, mais géopolitique et géohistorique. Il concerne la centaine
de pays qui ont accédé à l’indépendance après la Seconde Guerre mon-
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diale, coupant ainsi les liens avec le colonialisme. Presque toute l’Afrique
et une grande partie de l’Asie et des Caraïbes relèvent de cette catégorie.
L’Amérique latine fait exception, puisque ses indépendances sont interve-
nues plus tôt, mais elle connaît toujours des difficultés comparables, la
région accusant un retard de plus en plus important du fait de ses faibles
résultats économiques20.

Si des puissances émergentes comme celles du groupe des BRICS ont


pris leur essor au XXIe siècle, elles l’ont fait dans un ordre international
reflétant la situation de 1945, et non pas celle de 2023. Il n’est donc pas
surprenant qu’elles réclament quelque changement. Sous l’effet du trans-
fert massif des richesses intervenu ces vingt dernières années de l’Atlan-
tique Nord vers l’Asie-Pacifique, et grâce à des outils comme la
diplomatie financière collective, ces puissances ont étendu efficacement la
coopération Sud-Sud, même si elles restent guidées avant tout par un
pragmatisme rationnel. Ces pays ont certes des avis parfois divergents,
notamment sur la question du changement climatique. Mais un grand
nombre d’entre eux, qui avaient rejoint le mouvement des pays non ali-
gnés dans les années 1960 et 1970, appliquent aujourd’hui une politique
de NAA. Refusant de se plier à la volonté des grandes puissances, ils
constatent que l’union fait la force et aspirent à collaborer avec leurs
homologues d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.

Chercher à nier ce qui est en train de se produire, prétendre que le seul


fait d’employer ce terme renforce la polarisation internationale – surtout
si ce discours provient de commentateurs célébrant du même souffle
l’unité retrouvée du G7 et de l’OTAN –, c’est en réalité tenter de diviser
les nations en développement, les puissances en voie d’ascension, au
moment où leur action collective prend forme. Cela ne fonctionnera pas.

19. A. Beattie, « The “Global South” is a Pernicious Term that Needs to be Retired », Financial Times, 13 sep-
tembre 2023 ; S. Patrick et A. Huggins, « The Term “Global South” is Surging: It Should be Retired »,
Fondation Carnegie pour la paix internationale, 15 août 2023.
20. « Why Does Latin America Underperform? », Group of Thirty, septembre 2023.

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Le Sud global est de retour, et pour de bon

DOSSIER | LE SUD CONTRE L’OCCIDENT ?


* * *

La guerre d’Ukraine, le plus grand affrontement militaire en Europe


depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a marqué ce que le chance-
lier Olaf Scholz a appelé Zeitenwende : un changement d’époque. Cette
tragédie a également mis en lumière les clivages entre monde développé
et monde en développement, entre Nord global et Sud global. Pourtant,
plus qu’une cause de l’émergence de ces différences, la guerre d’Ukraine
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doit être vue comme un catalyseur qui a ravivé les vieux griefs du Sud
contre un ordre mondial où les grandes puissances semblent plus intéres-
sées aux combats de coqs et aux règlements de comptes qu’aux réponses
à apporter aux nombreux défis mondiaux auxquels l’humanité est
confrontée. Le changement climatique, les pandémies, la dette financière
et les migrations de masse ne sont qu’une partie des problèmes qui conti-
nuent de dévaster la planète, sans qu’aucun effort sérieux n’entreprenne
d’y remédier.

Dans ce contexte, alors que le Sud global s’émancipe et affirme ses


priorités, l’option du NAA apparaît pour les nations en développement
comme un guide d’action approprié en matière de politique étrangère.
Alors que ces pays font face à un ordre mondial où, pour paraphraser
Antonio Gramsci, « le vieux se meurt et le nouveau tarde à apparaître »,
le NAA qui a émergé ces dernières années dans l’ensemble du Sud global
sous la forme d’une praxis (même s’il ne porte pas toujours ce nom), s’il
venait à être appliqué de manière plus formelle, plus coopérative et plus
systématique, pourrait s’avérer fort utile pour aider ces nations à tirer
avantage de leurs actions au profit de leurs intérêts collectifs.

Mots clés
Sud global
Gouvernance mondiale
BRICS
Non-alignement actif

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