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Ethnologie et littérature : Vincent Ouattara évoque le symbolisme du Cola

Pour son dixième ouvrage, l’auteur burkinabè, le professeur Vincent Ouattara fait
découvrir les facettes de notre culture à travers le Cola. Ce vendredi 11 juin 2021 son dernier
chef d’œuvre intitulé « Ethnologie et littérature : le symbolisme du Cola dans la littérature » a
été dédicacé avec comme présentateur le professeur Salaka Sanou.

Dans l’ouvrage, l’auteur parle plutôt du Cola au lieu de la Cola comme on aime le dire.
Pour lui, le mot Cola est masculin, c’est une déformation de dire la Cola. Mais maintenant, le
Cola comme la Cola, tout est accepté. Publié aux éditions Sankofa et Gurli, cet ouvrage nous
fait découvrir notre culture du Cola en précisant les multiples fonctions qu’il joue dans notre
société.

Présentant l’ouvrage le professeur Salaka Sanou dira qu’il a 128 pages et préfacé par le
professeur Adama Coulibaly de l’Université de Cocody en Côte d’Ivoire. En parcourant cet
ouvrage le lecteur se rendra bien compte que le Cola peut être l’objet de narration. L’ouvrage
a deux parties importantes à savoir l’ethnologie du Cola qui fait une analyse minutieuse de la
fonction dans certains groupes ethniques au Burkina Faso. Il relève ainsi les 8 fonctions du
Cola parmi lesquelles les fonctions sociale et médicinale.

La deuxième partie de l’ouvrage évoque la fonction divinatoire du Cola. Le Cola est


un moyen de méditation entre le monde visible et invisible. Le Cola sur la fourmilière est le
lieu d’élimination du mal et la termitière, demeure des génies est aussi associée au Cola.
Vincent Ouattara parle aussi des formes et des couleurs du Cola et ses multiples utilisations.

Selon l’auteur Vincent Ouattara, l’ouvrage a été réalisé sur la base d’enquête sur le
terrain. Ce qui lui permet de parler de faits précis et de sources identifiables. Il ajoutera que
l’histoire de cet ouvrage a commencé il y a 7 ans

Vincent Ouattara creuse le sillon qu’il a tracé avec Les Secrets des Sorciers en 2013
qui a jeté une passerelle entre l’anthropologie et la littérature. Cette fois-ci, avec son essai
Ethnologie et Littérature : symbolisme du cola dans la littérature, paru à Sankofa et Gurli
Editions, il part de l’ethnologie pour éclairer la chaîne flottante du sens du cola dans le roman
africain. On y découvre le cola dans tous ses éclats et tous ses états.

Dans cet essai, on retrouve le chercheur et le vulgarisateur qu’est Vincent Ouattara. En


effet, cet essai est le prolongement d’un article scientifique publié en 2013 et intitulé «
Approche ethnologique du roman à travers le cola ». Ce texte reprend cette intuition
première, l’approfondit, en élargit le corpus et y ajoute des images d’illustration. Ce discours
critique qui jette un pont de sens entre l’ethnologie et la littérature est l’ethno-critique qui
pour Marie Scarpa est au confluent de plusieurs théories critiques et dont l’intérêt est de «
montrer comment les données culturelles qui informent le texte littéraire en construisent
l’ethnologique, l’ethno-poétique ».

Cet essai est la résultante d’une enquête de terrain adossée à une solide colonne
théorique et un riche travail documentaire de sorte que de la science a la verticalité sereine et
de terrain, l’horizontalité du réel. L’essai d’une centaine de pages se subdivise en deux
grandes parties. La première s’attache à montrer la place du cola dans les pratiques sociales
de deux communautés, les Lyelé et les Mossé. On découvre que le cola est un élément
important dans les évènements sociaux pour le mariage, le baptême, l’accueil, la
réconciliation. Il est aussi un élément de divination et pour les sacrifices en vue d’amadouer
les esprits et d’avoir des augures favorables.

Des photos d’illustration en couleur accompagnent le texte et décline les différentes


morphologies que peut prendre la noix de cola. On découvre le cola tel qu’on ne l’a jamais vu
avec des nuances de couleurs qui vont du rouge au rose en passant par le mordoré, le blanc et
le vert et des noms surprenants qui disent le génie des communautés à nommer
métaphoriquement les choses. On ballade le regard sur ces images et ces micro-textes
explicatifs comme si on est un promeneur dans un musée dédié à la noix de cola. C’est un
choix heureux et heuristique de marier le texte aux images.

La seconde partie est consacrée au cola dans la littérature orale et dans trois romans
que sont La Défaite du Yargha (1977) d’Etienne Sawadogo, l’Etrange destin de Wangrin
(1973) et Le Monde s’effondre (1966) de Chinua Achebe.

A travers ses trois romans, Vincent Ouattara s’attaque à repérer les occurrences de la
noix dans le texte et à donner le sens de son apparition, à interroger « le symbolisme de cette
noix de cola dans le travail de signifiance des œuvres littéraires ».

C’est un essai facile à lire car écrit dans une langue accessible qui évite autant que
cela est possible de tomber dans le jargon impénétrable de la critique universitaire.
L’insertion d’images pour illustrer le texte ainsi que la bonne qualité chromatique de celles-ci
aident à la compréhension immédiate du texte par n’importe quel lecteur.

Faut-il rappeler que l’ethno-critique est une science du texte assez récente ? Elle est
née dans les années 1990 et à notre connaissance, Vincent Ouattara est celui qui la porte au
Burkina. Cette approche qui entre dans la littérature par la fenêtre de l’anthropologie
renouvelle le regard critique sur les œuvres africaines et burkinabè, longtemps auscultées par
la sociocritique et la sémio-critique. La preuve avec cet essai qui au-delà de nous imposer le
masculin pour le cola nous ouvre à une compréhension nouvelle de la littérature comme
réceptacle, réappropriation et réinterprétation des éléments de culture. Grâce à cet essai sur le
symbolisme du cola, le lecteur découvre que la présence de cette noix dans les romans
africains n’est pas anodine, elle est génératrice de plusieurs significations pour peu que l’on
aborde le sujet avec les outils de l’ethno-critique

Interview de Vincent Ouattara auteur de “L’Ere Compaoré, crimes, politique et gestion


du pouvoir”

Nous avons rencontré Vincent Ouattara lors d’un séjour au Burkina en mars avril 2007.
Nous avons pu longuement échanger et faire connaissance. C’est à partir de cette rencontre
qu’a été préparée cette interview qui a été réalisée par Internet. Une occasion de mieux faire
connaissance avec cet intellectuel burkinabé, bardé de diplômes mais qui n’en reste pas
moins courageux et engagé dans le mouvement social de son pays. Les propos sans appel
mais précis à l’image de son ouvrage. L’interview n’en est que plus passionnante. Il dévoile
pour nous la genèse et les conditions de réalisation de son dernier ouvrage “L’Ere Compaoré,
crimes, politique et gestion du pouvoir. On apprend notamment que c’est avec le plus grand
sérieux qu’il a travaillé, procédant notamment à des enquêtes approfondies et des
recoupements. Vous trouverez une présentation du livre à l’adresse suivante

B. J.

1. Pouvez-vous nous présenter votre itinéraire ? Vous semble avoir fait des études
universitaires assez poussées? A quel endroit?

Je suis né le 25 août 1960 à Bobo Dioulasso, au Burkina Faso. J’ai fait mes études
primaires et secondaires, successivement au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Titulaire du
Baccalauréat série A4 (philosophie et lettres) en 1984, j’ai eu une bourse pour poursuivre mes
études en Russie. Une année d’apprentissage de la langue russe à l’Université d’Etat de
Voronej m’a ouvert les portes de l’Université d’Etat de Saint-Pétersbourg où après cinq
années d’études (1985-1991), je suis devenu titulaire d’un Master of Art en sciences de
l’information et de la communication et d’un Certificat d’enseignement de la langue russe.
Les portes de l’Académie de la Culture de la même ville m’ont été ouvertes en 1994 à la
faculté de philosophie et de théories de la culture. Après quatre années d’étude, je suis
devenu titulaire d’un PHD en Culturologie (Etudes culturelles).

2. Et d’où vient votre prise de conscience et votre engagement d’aujourd’hui?

Je crois qu’il faut rechercher ma prise de conscience et mon engagement dans mon
éducation. J’ai connu une vie éloignée des parents. Confronté aux pires travaux et aux affres
de la vie d’enfants de rue, j’ai également été adopté par plusieurs familles. J’ai connu matin
midi et soir les corvées qui me pesaient les épaules. Je pense que déjà très jeune, j’ai appris à
refuser l’injustice, à la condamner, même si je devais parfois payer un prix lourd. Mes années
d’Université m’ont appris à connaître et à comprendre d’autres injustices de ce monde. J’ai
découvert un monde fait de violences et d’exclusion, un pays (le Burkina Faso) qui a connu
plusieurs coups d’Etat dans une Afrique de dictature et de chefs d’Etat façonnés à l’image du
chef tribal, et inféodés à un système qui dépossède depuis l’esclavage par le travers d’un
commerce absurde : le sel, le miroir… contre l’or et des hommes livrés par des frères.
Aujourd’hui ce commerce se poursuit avec d’autres éléments de valeur. Révolte ne peut donc
qu’inciter à l’écriture de la contestation.

3. Vous êtes engagés aussi dans la société civile. Vous étiez même au comité
d’organisation du forum social. Participez vous aussi à l’action d’autres Associations?

Je pense que l’action des hommes d’écriture ne saurait se limiter à l’écriture de la


contestation. Il faut passer à l’action. Quelqu’un disait que la théorie sans la pratique est
morte. J’essaie d’apporter ma modeste contribution à la société civile engagée de plus en plus
sur de grands chantiers du développement. J’ai participé à l’organisation du Forum social en
tant que responsable adjoint à la communication. Je suis membre du Mouvement Burkinabé
des droits de l’homme et des Peuples, membre de ATTAC/Burkina et j’essaie d’y jouer ma
partition. Par ailleurs, je suis membre d’une association (IRIS/AFRIK) qui intervient dans le
domaine du développement par l’appui aux groupes vulnérables que sont principalement les
femmes et les enfants.

4. Les livres que vous publiez sont le reflet d’un certain courage. Vous le tenez de votre
éducation?

Mon éducation est pour beaucoup dans ma vie. Quand un enfant de 5/6 ans est sevré de
ses parents et doit affronter la vie parsemée de tous les pièges et dangers possible, vous
conviendrez avec moi qu’il n’a d’autre choix que de se battre pour ne pas succomber. Le
courage devient l’arme ultime pour vaincre et ne pas tomber. Il faut dire que j’ai eu la chance
de vivre dans différents villages et villes du Burkina et de la Côte d’Ivoire, de vendre des
galettes pour une dame, de laver le linge d’une famille nombreuse, de porter sur la tête
d’énormes récipients pour aller chercher l’eau au marigot, de travailler dans les champs de riz
ou d’ignames. Je ne regrette pas ces moments de ma vie qui ont fait de moi ce que je suis
aujourd’hui.

5. Comment avez-vous vécu la révolution?

Le jour de la révolution, j’étais à Ouagadougou, j’étais en terminal et préparais mon Bac


comme externe. C’était une nuit, pas comme les autres. Des rafales de fusils, par à coup, et
j’étais à la maison en commentant l’événement comme les autres, les oreilles collées au poste
de radio. La révolution est annoncée. Au petit matin, c’est la ruée dans les rues bondées de
jeunes gens en liesse, admirant nos commandos habillés dans les tenues des grands jours. La
ville était chauffée à blanc. C’était quelque chose de nouveau par rapport au passé et
l’événement était comme attendu.

6. Ça c’est le jour de la prise du pouvoir mais durant les 4 années qui ont suivi, vous
êtes-vous engagé? Vous étiez en Russie mais il y avait un CDR d’étudiants là-bas ?

Admis au Bac, je ne pouvais pas poursuivre mes études au Burkina Faso parce que
j’avais dépassé la limite d’âge qui était de 22 ans pour être boursier. J’ai fait mes valises pour
la Côte d’Ivoire pour m’inscrire à l’Université d’Abidjan à la faculté de droit. J’ai fait
seulement trois mois de cours. Cette année-là très peu d’étudiants burkinabé ont été acceptés
par crainte de voir la révolution burkinabé s’exporter sur le campus. Je suis revenu au pays et
une année après, j’ai eu une bourse pour la Russie. Je n’ai pas milité dans les comités de
défense de la révolution. Mais il faut dire que la révolution m’avait charmé par les
réalisations nouvelles dans les domaines de l’habitat, de la femme, de la construction des
barrages et digues, des prises de position pour les peuples en lutte contre toute forme de
domination. J’écoutais les discours de Thomas Sankara et retenais des passages que je
récitais, comme bien d’autres. En Russie, des notes de déception ont commencé, avec
l’arrivée d’une vague d’étudiants. Ils ont exigé que soit mis en place un comité CDR, avec la
participation de tous. J’étais hésitant avec un autre, mais une lettre du coordonnateur de l’Est
me conseilla de militer. Alors j’ai compris qu’un rapport avait été fait sur ma personne. Je me
suis mis dans le Comité en tant que responsable à l’information. Après l’apprentissage de la
langue, j’ai été affecté à Saint Pétersbourg. Je n’ai pas reçu de bourse durant mon année
d’apprentissage de la langue russe, classé avec d’autres sous l’étiquette de Cas litigieux. Je ne
saurais dire ce qui s’est passé. A Saint-Pétersbourg, j’ai rencontré des étudiants burkinabé
divisés par des idéologies ; il y avait les lipadistes proches du marxisme léninisme, les
populistes proches de la tendance albanaise, la tendance chinoise, les CDR… Ils étaient à
couteaux tirés et convoitaient les étudiants qui arrivaient. J’ai refusé d’adhérer à toutes ces
organisations. Avec d’autres, nous avons créé l’Association des ressortissants burkinabé de
Saint Pétersbourg dont j’ai assuré la présidence pendant 2 ans. L’objectif était de se retrouver
pour montrer les valeurs culturelles de notre pays et de résoudre nos problèmes. Alors mes
détracteurs m’ont présenté comme un socio jouisseur. Aujourd’hui certains qui tenaient ce
discours tirent leur jouissance du système Compaoré ou sont muets.

7. Vous participez aussi au comité de préparation du 20eme anniversaire de la mort de


Sankara. Qu’est-ce qui vous y a amené?

Je participe à la préparation du 20ème anniversaire de la mort de Thomas Sankara


parce qu’il faut que nous apprenions à apprécier les hommes qui ont marqué notre histoire.
Ce sont des repères historiques autour desquels se forge la conscience historique pour mieux
se projeter dans le futur. Il faut que les Africains apprennent à découvrir dans leurs leaders
des qualités que les forces néocoloniales tentent d’oblitérer pour faire le vide de la pensée et
ne laisser le choix qu’au modèle imposé. Conséquences : absence d’idéal, d’exemple de
droiture qui peut guider le présent. Je pense qu’au-delà de quelques événements malheureux
qui ont entaché cette révolution, il faut reconnaître que les changements opérés sont d’un
apport inestimable. L’œuvre de Thomas Sankara est grande et originale. L’image d’un
homme, visionnaire qui voulait rompre avec la France-Afrique, la dette, l’apartheid, d’un
homme qui voulait un ordre nouveau m’est restée de lui. Son action doit être portée aux
générations futures.

8. Vous avez déjà publié 4 ouvrages, on y aperçoit une alternance entre recherche
universitaire et engagement citoyen?

En effet j’ai publié 4 ouvrages. Mon premier roman est paru à l’Harmattan en 1994 sous
le titre : « Aurore des accusés et des accusateurs ». En 2002, paraît chez le même éditeur mon
deuxième ouvrage : « Idéologie et tradition en Afrique noire, pour une nouvelle pensée
africaine ». En 2004, j’ai publié à compte d’auteur un ouvrage sur un procès retentissant qui a
occupé la scène nationale du Burkina sous le titre : « Procès des putschistes à Ouagadougou
». Enfin en 2006, je suis revenu sur la scène avec un essai publié aux éditions Klanba à Paris
sous le titre : « L’ère Compaoré : crimes, politique et gestion du pouvoir ». On constate en
effet dans mon expérience que recherche universitaire et engagement citoyen sont liés.

9. Vous avez travaillé sur les questions ethniques, et vous y consacrez encore un chapitre
dans votre dernier ouvrage. Pourtant généralement on présente le Burkina comme un
pays ayant dépassé ce type de clivage?

Les problèmes ethniques doivent être au cœur des préoccupations de la plupart des pays
africains. Il s’agit dans des contextes multilinguistiques de savoir comment forger une
identité nationale qui brise les frontières des communautés et comment préserver les cultures
des minorités. La question est d’actualité, mais dans nos pays la culture c’est les danses
traditionnelles, la musique, l’art culinaire, les vêtements. A mon avis, le problème majeur en
matière de politique culturelle est de savoir comment, au-delà de la diversité qui peut être une
source de richesses, de forger une véritable culture nationale dans laquelle les différents
peuples se reconnaissent. Dans certains pays, comme la Côte d’Ivoire, on ne parlait pas de
querelles ethniques à l’époque de Houphouët Boigny, et pourtant, aujourd’hui où en sommes-
nous ? Le Burkina n’est pas exempt des phénomènes de polarisation ethnique et régionaliste
qui, hélas, n’interpellent pas nos autorités. De plus en plus la préférence est au fils du groupe
ou de la région quand il s’agit des questions de gouvernance politique. Le silence sur la
question est assassin.

10. Votre premier livre portait sur la tentative de putsch dirigée par la capitaine Ouali.
C’est une histoire qui apparaît un peu irréelle tant les putschistes ou pseudo putschistes
paraissaient plutôt avoir mal préparé leur coup?

Vous n’étiez pas au Burkina Faso, mais vous avez bien compris l’événement à travers la
description faite dans mon ouvrage. L’histoire parait insolite, au regard du temps mis à la
préparer, des moyens rassemblés, des lieux de rencontres des comploteurs (dans des bars…).
Il semble par compte que le moment était venu pour se défaire de quelques éléments gênants,
de donner une bonne image de la justice en panne par les dossiers pensants, et de dire que la
démocratie dans notre pays va bien. Mais le procès a tourné court, avec des magistrats qui ne
voulaient pas entendre parler des raisons du pustch, entre autres le mercenariat dans l’armée,
l’envoie des troupes au Libéria, les détournements dans l’armée, la promotion des
détourneurs, l’affaire Norbert Zongo. Absurde ! On voulait surtout entendre la musique
désirée : reconnaître qu’il y avait pustch en gestation.

11. Votre dernier livre est assez virulent contre le pouvoir. Vous l’avez préparé
comment? Vous n’avez pas été inquiété?

J’ai préparé ce livre dans des conditions difficiles. Durant une année, j’étais toujours
dans des bibliothèques, j’organisais des rencontres pour vérifier certaines déclarations. Il me
fallait négocier pour les photos, et cela n’était pas facile. Le livre a été préparé dans la
clandestinité. Seulement 3 personnes savaient le sujet qui me passionnait. L’un des problèmes
majeurs que j’ai rencontré a été le manque d’ordinateur pour les saisies. Je passais les
journées de cyber en cyber. Retranché dans un coin, je travaillais sur mon texte. Après je le
copiais sur une clé et l’effaçait de la mémoire avant de m’en aller. Il y a des moments qu’il
fallait reprendre des parties égarées…

12. Vous commencez l’énumération des assassinats non pas au début de la révolution
mais dès le CSP1. L’assassinat du commandant Nébié, ministre de l’intérieur de
CMRPN a été un traumatisme en Haut Volta mais on n’en a jamais beaucoup entendu
parler. Vous êtes le premier à dire publiquement et par écrit qu’il a été tué dans le dos.

Certains journaux à l’époque en avaient parlé, mais il a fallu rencontrer un membre de la


famille pour en savoir d’avantage. Je voulais voir la tenue trouée de balles, mais hélas,
impossible. C’est une pièce à conviction qu’il faut préserver, et ma crainte est de le voir
disparaître.

13. Vous ne dénoncez pas seulement le régime de Compaoré mais l’ensemble du


personnel politique.

Comme le titre de mon ouvrage l’indique : « L’ère Compaoré : crimes, politique et


gestion de pouvoir » je ne pouvais pas faire l’analyse du régime Compaoré sans parler des
hommes qui l’aident dans sa mission. Les acteurs du système ont tous les mêmes réflexes
dans un système néopatrimonial qui inhume la tradition (immixtion des chefs coutumiers
dans la vie politique) et la modernité (justice…) Le pays n’a plus de repère et la jeunesse est
orientée vers des activités ludiques. Les hommes du système sont satisfaits et chantent que
tout roule à merveille. Et demain que diront-ils ? Feront-ils comme ces hommes de Mobutu
qui se sont mis à dénuder le maître pour avoir le sursis des populations ?

14. Seriez-vous d’accord pour dire que le régime se caractérise par le libéralisme
économique politique mais que ses dirigeants, pour beaucoup issus de l’extrême gauche,
maoïstes ou proalbanais en tire une redoutable efficacité dans leur capacité de
manœuvrer les uns et les autres dans le plus pur style des groupuscules extrémistes
d’entant.

Les acteurs de la vie politique aujourd’hui sont dans l’ensemble issus de ces cercles
marxistes, maoïstes, … Ils ont des réflexes inquiétants : attirance pour l’argent, les voitures,
les villas somptueux, les femmes, des symboles de la modernité tout comme le miroir pour le
« chef nègre ». Marx, Mao, Lénine tant acclamés, pleurent à présent à chaudes larmes. Le
libéralisme est la solution, et le pillage est autorisé ; c’est la biologisation du social pour
légitimer les actes d’une poignée d’hommes et de femmes qui brassent des millions au
détriment d’une majorité qui vit en dessous du seuil de pauvreté. Les revirements politiques
des hommes politiques montrent des êtres sans conviction, qui font les perroquets de
l’histoire, dépourvus d’originalité.

15. Vous ne vous contentez pas de rassembler les faits mais vous procédez à une analyse
assez fine du système. On est en effet frappé lorsqu’on séjourne au Burkina, du
mécontentement qui s’exprime dans tous les secteurs de la société alors que Blaise
Comparé a été élu président à 80% et que son parti a augmente le nombre de ses
députés.

Il y a un mécontentement général au sein de la population. Au niveau de l’exécutif on le


sait, même si la politique fait tenir un autre discours. La pauvreté grandissante et les
injustices font que certains croient encore qu’il est encore possible de tirer son épingle du jeu
en s’abaissant à des compromissions pour survivre. La démocratie est une simple réalité
institutionnelle. Le clientélisme, le népotisme, la corruption gangrènent le pays. Mais aussi, il
faut noter les fraudes dénoncées par l’opposition qui ne sont la partie visible de l’iceberg. Le
pire serait l’explosion qui doucement pointe à l’horizon.
16. Vous ne traitez pas des accusations qui pèsent sur le régime à propos de ses
interventions pour déstabiliser les pays voisins?

Je ne traite pas des accusations qui pèsent sur le régime à propos de ses interventions
pour déstabiliser les pays voisins. C’est vrai ; c’est peut être ce qui a manqué dans ce livre et
qui peut faire l’objet d’une écriture. Dans « Procès des pustchistes… », les accusés ont
confirmé la participation de notre pays à la guerre au Libéria au côté de Charles Taylor qui
l’on doit bientôt juger.

17. Vous avez eu quelques ennuis avant la publication lorsque vous avez reçu les
premières épreuves? Vous pouvez nous raconter?

En effet j’ai été soumis à un interrogatoire lorsque mon éditeur m’a envoyé le livre
pour le BAT (bon à tirer NDLR). Il a été saisi durant 17 jours. C’est la première fois que cela
arrivait dans notre pays, même sous les régimes dits d’exception on n’en a pas vu pareil.
L’action des collègues de presse a contribué au dénouement de la crise. Je profite pour les
remercier.

18. Et aujourd’hui, votre livre se vend dans de bonnes conditions?

Le livre se vend à la maison de presse Norbert Zongo, à la Bourse du travail, au siège du


Mouvement burkinabé des droits de l’Homme et des Peuples. Récemment, la librairie Diacfa
a demandé quelques exemplaires pour rompre avec l’autocensure.

19. Pour en revenir à Sankara qui est le cœur de notre site, on a le sentiment encore
quand on séjourne au Burkina, que ce n’est qu’aujourd’hui que sa génération reconnaît
vraiment son action. Mais surtout on est frappé de la jeunesse qui en a fait un
personnage mythique avec pourtant une méconnaissance profonde de ce qui s’est passé
durant la révolution?

Vous savez, la jeunesse actuelle a soif d’informations. Elle s’intéresse au passé de


Thomas Sankara même si certains veulent l’effacer de la mémoire ou présenter le personnage
comme un être pétri de violence, avec ses CDR. Mais le discours de l’homme est plein de
sincérité et laisse découvrir sa ténacité, son pragmatisme et son engagement aux côtés des
populations du Burkina et de l’Afrique. Je crois qu’il y a un travail à faire pour apporter plus
d’éclairage à l’action de Thomas Sankara, et les acteurs politiques devraient s’atteler à cette
tâche que se de déchirer et perdre du temps à d’autres préoccupations. La jeunesse c’est
demain.

20. Nous allons bientôt commémorer le 20eme anniversaire de la mort de Sankara. A


votre avis, quel doit en être le contenu?

Je pense que la commémoration du 20ème anniversaire de la mort de Thomas Sankara


est une occasion pour mieux découvrir cet homme, ses idées, son action au Burkina Faso et à
travers le monde. Ce doit être un moment où les acteurs de la société civile, les partis
politiques du Burkina et du monde se donnent la main pour réfléchir ensemble et de façon
constructive sur le futur à partir d’une lecture du passé. Je pense qu’il ne faudrait pas avoir
peur de la critique souvent brandie à chaque moment pour oblitérer la révolution et son guide:
la violence des CDR, les assassinats. Seule la vérité est révolutionnaire. L’histoire se fait avec
ses contradictions.

21. Jusqu’ici les intellectuels burkinabé ont publié des livres assez complaisants avec le
régime ou bien ne sortaient pas du domaine scientifique. Vous sentez-vous isolé? Avez-
vous reçu des messages de soutien ou de sympathie de la part de vos collègues?

Je me sens souvent isolé dans mon action. Un collègue m’a dit : « le tristement célèbre
». Certains me félicitent, d’autres me demandent pourquoi avoir pris ce risque. Par contre la
jeunesse et les acteurs de la société civile m’ont beaucoup ovationné. Le problème dans ce
pays est que ce genre d’initiative est souvent mal récompensé : « Il cherche le nom », « il
veut se faire voir » et quand ça arrive au fatal : « il l’a cherché ». On se demande s’il y a une
reconnaissance des hommes et des femmes pour qui on se bat ! Tant que nous ne saurions pas
apprécier l’action des fils et filles du pays, nous pouvons dire adieu à un avenir serein.

22. Nous avons écrit que votre livre signait le retour des intellectuels burkinabé dans
l’engagement politique? Vous en êtes d’accord?

Il y a certains intellectuels qui se font entendre sur la gestion de la cité. Je veux par
exemple citer le professeur Mahamadé Sawadogo qui dirige un regroupement : le manifeste
des intellectuels. Il y a d’autres… Les intellectuels ne doivent pas rester muet face à la
dégradation des conditions de vie des populations dans notre pays où près de 80% sont
analphabètes.

23. Pensez-vous que la parution de votre livre peut déclencher d’autres publications
engagées?

C’est possible que cette parution déclenche d’autres. Je crois qu’elle est une expérience
qui suscitera des réactions lorsque certains se rendront compte qu’il est possible de
s’exprimer et d’en assumer les conséquences.

24. Plus que tout autre, vous avez du être touché par les menaces qu’a reçues le
musicien Sams’K Le Jah? Comment avez-vous réagi? Que s’est-il passé au Burkina
pour le soutenir?

Les menaces contre Sam k sont révélateurs du climat social qui prévaut au ce pays
présenté comme un modèle de liberté et de démocratie par certains amis européens. Nous les
avons prises au sérieux. Nous avons fait des démarches au niveau de la gendarmerie, la police
nationale. Le Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples est alerté et a
diffusé un communiqué d’interpellation des autorités ; les associations de la société civile
s’activent. Le comité d’organisation du forum social a fait son communiqué et bien des
associations du monde des médias, le Centre de presse Norbert Zongo… Mais la lutte
continue parce que les menaces sont toujours là. Il va falloir réfléchir sur une deuxième phase
d’action …
25. Pouvez-vous nous parler des conditions d’édition au Burkina? Le livre “Procès des
putschistes à Ouagadougou” a été imprimé à l’Imprimerie du Progrès. Est-ce à dire
qu’aucun éditeur n’a voulu le prendre en charge et que vous l’avez autoédité?

Il est très difficile d’éditer au Burkina Faso. J’ai publié « Procès des Putschistes à
Ouagadougou » à compte d’auteur tout simplement parce que les éditeurs approchés n’en
voulaient pas. Je n’ai pas essayé de le faire à l’étranger parce qu’il fallait le faire le plus vite
possible. Je voudrais rester dans l’actualité. Mais j’avoue que c’est très difficile.

26. Vous avez d’autres projets?

Mon plus grand souhait est d’organiser un festival des minorités culturelles. Il y a des
communautés ethnoculturelles en voie de disparition, des danses rejetées au musée de
l’histoire, et voir même oubliées, des groupes frustrés qui aimeraient se sentir au sein de la
communauté et être des acteurs de la nation en construction, des similitudes culturelles
ignorées qui pourraient rapprocher les peuples. Il y a tous ces gens qui ne doivent pas mourir
de la mondialisation, et je dirai, de la nationalisation opérée sous les auspices de grands
groupes qui broient les plus petits. Je voudrais profiter de cette occasion pour partager cette
idée combien importante pour moi. Je vous remercie.

Propos recueillis par Internet pour le site thomassankara.net en mai 2007.

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