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La Femme Enfermée (préface de l'édition de 1978)

Ce livre, je l'ai écrit pour convaincre. Pour convaincre ceux et celles dont la tâche, dans une
démocratie, est de faire et de défaire des lois. Les parlementaires, donc. Il y avait urgence. Dans la
France de 1973, la stérilité, la septicémie, la mort frappaient les femmes qui ne pouvaient rejoindre
les cliniques d'Angleterre et de Suisse pour avorter. La loi de 1920 (ancien art. 317 du Code pénal)
répressive, anachronique, obligeait à la clandestinité - clandestinité qui, pour toutes les femmes
économiquement défavorisées, engendrait le drame, quand ce n'était pas la tragédie. Pour toutes,
c'était la culpabilisation, le silence, la honte souvent.
Le procès de Bobigny. Les accusées devinrent accusatrices. Dans la tradition des procès
"politiques" , elles surent tout naturellement grandir jusqu'à devenir les porte-parole de toutes les
femmes. Celles qui revendiquaient une liberté élémentaire s'il en est - disposer de soi, choisir de
donner la vie. Par-dessus la tête des magistrats. Michèle Chevalier et ses compagnes s'adressèrent à
tous et à toutes, à l'opinion publique, à la France entière. La loi qui nous mutilait physiquement et
moralement fut mise en pièces. Les partis politiques, distraits jusque-là, s'émurent. Le Parlement
entreprit de modifier la loi. Le gouvernement présenta un projet qui ne fut voté que grâce à l'apport
massif des voix de la gauche. La loi Simone Veil, promulguée le 17 janvier 1975, malgré son
application difficile, est une importante victoire des femmes.
Un verrou essentiel du carcan a, ce jour-là sauté.
Et après ? Et maintenant?
Lutter pour s'appartenir physiquement semblait à toutes d'une évidente nécessité. Mais l'erreur eût
été de faire de cette bataille une fin alors qu'elle n'est que l'étape qui, franchie, dévoile les batailles
futures : le travail, l'éducation, l'indépendance économique, l'insertion dans la vie politique.
[... Si j'ai comparé la condition féminine à un iceberg, c'est justement parce que tout s'entremêle,
tout achoppe, tout accroche, tout dérange finalement. Jusqu'à l'invisible, jusqu'à l'indicible.
Jusqu'aux racines immergées : la culture, la création, la famille, l'amour, l'homme enfin. Autant de
rapports fondamentaux et masqués.
Et si l'ai raconté quelques traits de mon enfance et de mon apprentissage de femme, c'est que je
voulais dire aux autres femmes - surtout aux plus vulnérables d'entre elles - que pour durs et
inextricables qu'ils aient pu apparaître, mes chemins m'ont menée vers elles et la lutte commune.
Que la faiblesse devient force quand naît la conscience. Et que de cette force consciente doit naître
la femme adulte.
La Cause des Femmes voulait donc, veut, au-delà de la contraception et de l'avortement, donner
tout son sens à notre liberté physique. C'est-à-dire faire éclater nos prisons, nos « enfermements »
qui se complètent, se nourrissent l'un l'autre, convergent dans une tautologie subtile.
Bouclée au foyer, surexploitée au travail, éloignée de la décision politique, niée dans ma sexualité,
conditionnée par la culture et les mass media, je me présente. Je suis la Femme Enfermée.

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INTRO : MOUVEMENT :

PROBLEMATIQUE :

RÉPONSE A LA PROBLEMATIQUE : OUVERTURE :

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