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DOSSIER

13. La révolution numérique est en cours


15. Suivre les symptômes, anticiper
les pannes

16. La technologie au service


de l’humain

18. Construire l’industrie de demain


20. Les nouvelles technologies
au banc d’essai

22. Les robots de production


transforment le travail

24. « L’activité réelle au cœur


des projets de conception »

L’industrie
du futur

 éalisé par Grégory Brasseur


nR
avec Katia Delaval
et Céline Ravallec

© Vincent Nguyen pour l’INRS

12 travail & sécurité – n° 806 – juin 2019


L’INDUSTRIE
DU FUTUR

La révolution numérique
est en cours
Les perspectives offertes par l’industrie du futur en termes
de montée en gamme et en compétences suscitent
de nombreuses interrogations. Travaillera-t-on véritablement
mieux demain ? S’il faut se garder de porter un regard
manichéen sur les évolutions technologiques, la transition
ne sera réussie que si elle est préparée.

L’USINE DU FUTUR est à nos portes. s’inscrit dans un concept marqué Pour tenir ses
La transition de l’industrie française par la volonté d’utiliser les nouvelles promesses, l’industrie
du futur devra placer
vers le modèle de l’usine connectée, technologies – et notamment le
l’homme au centre
dans le sillage du projet « Industrie numérique – pour augmenter la du projet. Il s’agit
4.0 », dont l’Allemagne a donné le productivité et coller à la demande ni de laisser
coup d’envoi dès 2011, est désormais du marché en s’adaptant aux les machines imposer
une réalité. Et pour être porteuse besoins du client. Elle se traduit les rythmes de travail,

© Patrick Delapierre pour l’INRS


ni de créer des usines
d’espoirs, elle n’en suscite pas moins souvent par une montée en déshumanisées.
nombre d’interrogations. Comment gamme des produits et un accrois-
les entreprises appréhendent-elles sement des compétences ».
cette 4 e révolution industrielle ?
L’industrie française y trouvera-t-elle Une autre façon
un nouveau souffle face à la concur- de produire
rence internationale ? L’humain est- L’ère du numérique et de l’hyper-
il menacé par la machine ? Quelle connexion a introduit un boulever-
place pour la prévention des risques sement des modes de gestion et
professionnels dans les mutations de production. Des secteurs tels PME », évoque Jean-Marie Danjou,
en cours ? que l’aéronautique, l’automobile délégué général du Cercle de
En 2015, la création de l’Alliance ou l’électronique témoignent d’une l’industrie.
industrie du futur 1 a marqué le lan- agilité certaine dans les processus Fin 2018, au Grand Palais, à Paris,
cement par le gouvernement de changement. Les grands l’exposition Usine extraordinaire
d’une opération visant à accom- groupes industriels, qui ont connu avait pour ambition de montrer les
pagner les entreprises vers une différentes ruptures technolo- multiples facettes de l’industrie du
industrie « connectée, optimisée et giques, sont également à l’aise. futur. Recréer de l’envie autour
créative ». Pour Anne-Sophie Alsif, Mais les enjeux sont tout aussi d’une industrie française qui peine
chef de projet à la Fabrique de importants pour les petites et à recruter. « Nous disposons d’un
l’Industrie, laboratoire d’idées tra- moyennes entreprises. « L’Alliance foisonnement d’outils numériques
vaillant sur la réalité et les pers- industrie du futur promeut un travail et de technologies robotiques qui
pectives de l’industrie en France et transverse à l’ensemble des filières permettent de construire des
en Europe, « l’industrie du futur industrielles visant notamment les postes plus attractifs », reprend
Jean-Marie Danjou. Plus attractifs
certes, mais ne créent-ils pas de
nouveaux risques ?
QUATRE RÉVOLUTIONS Regardons de plus près trois
aspects complémentaires et
interdépendants qui structurent
> 1784 > 1969 l’industrie du futur : la numérisa-
1e révolution industrielle 3e révolution industrielle
La production repose Production automatisée grâce tion, l’utilisation de technologies
sur la machine à vapeur à l’électronique et l’informatique de production avancées et le
besoin de flexibilité. L’internet
industriel des objets est au cœur
de la transformation numérique.
> 1870 > 2011
2e révolution industrielle « L’objet connecté est la brique de
INDUSTRIE 4.0
Production de masse Marque l’avènement du numérique. base du Meccano de l’industrie du
poussée par l’électricité Objets connectés futur », indique Jacques Marsot,
et intelligence artificielle
pilote de la thématique Industrie
du futur à l’INRS. >>>

travail & sécurité – n° 806 – juin 2019 13


DOSSIER

Aïda Berrada, responsable des Si l'industrie


opérations pour la star tup du futur ne
s'accompagne pas
GreenMe, qui industrialise un boî-
forcément de
tier capable de calculer des suppressions
paramètres relatifs au confort et d'emplois, elle
à la santé, constate, au-delà du implique

© Coriolis Composites
secteur tertiaire initialement visé, inévitablement
une transformation
un engouement croissant de l’in- des tâches.
dustrie. « Nous avons été appro-
chés par l’industrie aéronautique,
puis par la verrerie », dit-elle. En
matière d’objet connecté, les
applications sont vastes : détec-
teurs d’ambiance, bracelets REPÈRES uniquement basées sur un suivi soient rapidement reconfigurables.
mesurant l’activité physique des > EN FRANCE,
individuel. » Ces phases de reconfiguration,
opérateurs, machine connectée on dénombre La question des usages est à nou- comme celles de maintenance,
capable de déterminer l’usure des 600 usines de moins veau posée pour les technologies sont potentiellement accidento-
composants… qu’il y a un peu plus de production avancées : robots gènes du fait de la pression tem-
Si des bénéfices sont évidents, de 10 ans. Toutefois, collaboratifs, exosquelettes, fabri- porelle qui peut être exercée ou
certaines conséquences préoc- en 2018, plus de cation additive, réalité augmentée, d’interventions avec des moyens
cupent. Quelles limites à leur utili- 100 000 emplois réalité virtuelle… La plupart per- de protection en mode dégradés.
sation ? Ne risquent-ils pas ont été créés par mettent de réduire des risques pro- La flexibilité s’accompagne d’une
l’industrie et,
d’intensifier le travail ? Les craintes fessionnels. « O n soustrait agilité des organisations : nouvelles
depuis deux ans,
comme celles d’utilisateurs noyés l’opérateur aux tâches répétitives, formes de coopération, décentra-
les créations d’usines
par un trop-plein d’informations, en France repartent
peu valorisantes, en donnant plus lisation, déhiérarchisation du tra-
ou la perte d’autonomie avec avec un solde net de sens au travail… Mais il ne faut vail, autorégulation des équipes
l’intelligence artificielle, ou encore de 25 en 2017 pas oublier la nécessité de fonder avec plus d’autonomie et de res-
l’augmentation du contrôle avec et 17 en 2018. la démarche d’intégration sur l’éva- ponsabilité pour les salariés.
le recueil de données personnelles Un redémarrage luation des risques », insiste « Flexibilité ne signifie pas improvi-
sont-elles fondées ? « Il ne s’agit encore timide que Jacques Marsot. En outre, ces sation. L’anticipation des aspects
pas de remettre en cause les l'Alliance industrie technologies répondent-elles à un relatifs à la santé et la sécurité au
objets connectés en tant que tels, du futur veut accélérer besoin réel ? Le biais serait de travail est nécessaire. La prévention
par la promotion
mais de bien en considérer les considérer la maturité technolo- doit être aussi agile que la produc-
de la montée en
usages, résume Jacques Marsot. gique comme seul motif d’intro- tion », reprend Jacques Marsot.
compétences et de
Et leur mise en place à des fins de la transformation
duction de nouveaux outils. Pour tenir ses promesses, l’industrie
santé et sécurité au travail ne doit des métiers. Un label du futur devra placer l’homme au
p a s fa i re o u b l i e r q u e l e s national « Vitrines Flexibilité centre du projet. Il ne s’agit ni de
démarches de prévention doivent industrie du futur » et pression temporelle laisser les machines imposer les
avant tout être collectives et pas a été créé en ce sens. Edwige Quillerou et Aurélien Lux, rythmes de travail, ni de créer des
responsables d’études et de usines déshumanisées. « Les
recherches à l’INRS, interviennent études montrent que l’industrie du
en entreprise pour élaborer, avec futur ne s’accompagne pas de
PAROLE D’EXPERT les concepteurs, des outils et suppressions d’emploi, mais bien
méthodes de prise en compte d’une transformations des tâches »,
JACQUES MARSOT, pilote de la thématique
Industrie du futur à l’INRS précoce de la santé et la sécurité rassure Anne-Sophie Alsif.
des utilisateurs. « L’opérateur n’est Pour acquérir les compétences
« L’industrie du futur implique des transformations pas juste l’utilisateur de technolo- nécessaires et accompagner la
à tous les niveaux. Placer l’humain au cœur de ces gies qui permettent par exemple transformation des métiers, l’enjeu
transformations, c’est l’ambition de l’industrie du futur. de réduire la pénibilité physique de formation est majeur. Des
Attention toutefois à ce que ça ne se résume pas ou d’améliorer ses capacités, écoles d’ingénieurs, comme les
à fournir au salarié des technologies qui n’auraient explique Edwige Quillerou. Il doit Arts et Métiers ou l’Institut Mines-
pas été développées en concertation avec lui ni en être impliqué et associé avec Télécom, proposent déjà des for-
fonction de son travail. L’introduction de nouvelles d’autres collègues à leur choix sur mations aux transformations de
technologies doit répondre aux besoins réels des la base de l’analyse de l’activité l’industrie. Un projet collaboratif
opérateurs et faire l’objet d’un accompagnement quotidienne. » Or dans la course à innovant, CampusFab, piloté par
spécifique. Ensuite, que les salariés soient associés
la compétitivité qui s’est engagée, un consortium d’entreprises,
et formés aux nouveaux outils et aux nouvelles
est-ce toujours le cas ? L’ina­dé­ ouvrira d’ailleurs ses portes à la
organisations de travail, ne dispense pas d’être
quation aux besoins, doublée de rentrée 2019 à Bondoufle, sur le site
vigilant quant à l’intention. Se dire que l’on a soulagé
l’accélération possible des de la Faculté des métiers de l’Es-
l’opérateur en réduisant par exemple des efforts
physiques ne doit pas être un prétexte pour en
rythmes de travail, peut être très sonne. Il se positionne comme un
demander plus ou trop. Enfin, chaque technologie mal vécue et amener de nou- accélérateur de talents pour des
présente des risques qui lui sont propres et doivent veaux risques. étudiants et des salariés en forma-
être évalués. » Dernier point, la flexibilité des sys- tion continue. n G. B.
tèmes de production implique qu’ils 1. www.industrie-dufutur.org

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L’INDUSTRIE
DU FUTUR

Suivre les symptômes,


anticiper les pannes
À Vandœuvre-lès-Nancy, en Meurthe-et-Moselle, l’entreprise Predict développe
des technologies numériques et digitales pour la surveillance, le diagnostic, le pronostic
et la maintenance à distance des installations industrielles. Son président, Jean-Baptiste
Léger, évoque les perspectives que présente l’e-surveillance pour l’industrie 4.0.

L’entreprise que vous dirigez domaines de l’automobile et de Quelles sont les évolutions ?
développe des solutions l’aéronautique. Nous avons observé J.-B. L. 3 La réalité augmentée
visant à prévoir les pannes une augmentation de la demande suscite beaucoup d’intérêt. On
dans le secteur industriel. de l’industrie 4.0, qui voit à travers perçoit bien les bénéfices pour la
En quoi cela consiste -t-il ? l’e-surveillance des perspectives sécurité des personnes se trouvant
Jean-Baptiste Léger 3 Predict est d’amélioration des performances. à proximité immédiate d’installa-
spécialisée dans les technologies tions industrielles, comme les
numériques de maintenance pré- Quelle est la place de la agents de rondes. Nous travaillons
ventive. Nous concevons des logiciels prévention des risques également sur le « digital twin » ou
permettant d’anticiper les pannes professionnels dans la jumeau numérique. Cette techno-
et de prévoir la durée de vie rési- demande de ces entreprises ? logie, basée sur le principe de
duelle d’une machine ou d’un équi- J.-B. L. 3 La situation est différente réplique numérique, permet de
pement. Grâce à des capteurs mis suivant les domaines d’application. comprendre comment un système
en place sur les installations indus- Dans l’industrie nucléaire ou la dérive et quels sont les moyens de
trielles, nous pouvons réaliser à dis- défense navale, par nature, la le détecter et de réagir, avant
tance et en temps réel le bilan de sécurité prime. Dans le secteur même de vivre la dégradation.
santé d’une installation industrielle, manufacturier, la demande pre- Nous travaillons sur ces aspects
prévoir les pannes ou dysfonction- mière a trait à la rentabilité et à la dans le domaine de la machine-
nements éventuels. L’entreprise est compétitivité. Outre les gains de outil et de la fabrication,
née en 1999 de travaux de recherche production et la réduction du notamment pour l’industrie auto-
et de développement européens nombre de pannes. Si les entre- mobile et l’aéronautique. Enfin, il y
menés à l’époque avec l’université prises cherchent d'abord à réduire a une dizaine d’années, pour les
de Lorraine dans le domaine de la les coûts de maintenance, elles raffineries de pétrole, nous avons
télésurveillance et du télédiagnos- n’en ignorent pas pour autant les étudié le Fault tolerant contrôl (FTC),
tic de centrales hydroélectriques. bénéfices en termes d’amélioration à savoir la capacité à détecter un
Nos solutions logicielles, en de la prévention des risques pro- problème de manière précoce et à
constante évolution, sont installées, fessionnels. Une panne sur un se mettre en situation pour conti-
configurées et paramétrées chez équipement peut générer des nuer à produire sans engendrer de
nos clients, en adaptant les indica- situations à risques. La program- risque. Il s’agit d’une solution tem-
teurs de suivi à leurs besoins. Nous mation des interventions de poraire, qui n’éradique pas le
les formons, afin qu’ils soient auto- maintenance permet également problème, mais sur laquelle des
nomes dans leur utilisation. Depuis de ne pas s’inscrire dans l’urgence. industries telles que celles de la
2010, l’activité de développement Et nombreux sont les industriels chimie ou la pétrochimie se
s’est renforcée autour de la produc- ayant vécu des accidents du fait penchent aujourd’hui très sérieuse-
tion manufacturière dans les d’interventions mal préparées. ment. n Propos recueillis par G. B.

PRÉVENIR LES PANNES : QUELS BÉNÉFICES POUR LA SÉCURITÉ ?


Anticiper les dysfonctionnements ou les pannes permet Aujourd’hui, grâce aux technologies numériques,
d’éviter les situations de rupture ou de casse qui ont qui donnent accès à des informations sur l’état de santé
un impact sur l’état de fonctionnement des équipements des installations, les entreprises peuvent faire
et génèrent des risques pour les opérateurs. Mais de la maintenance préventive, avoir un calendrier
les bénéfices ne concernent pas que la production. d’intervention. » Ainsi, les opérations peuvent être
« Les interventions de maintenance corrective, réfléchies, programmées et réalisées dans des conditions
qui consistent souvent à faire le pompier pour remettre générant moins de stress.
rapidement en état une installation, sont les plus
accidentogènes, explique Jean-Baptiste Léger.

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DOSSIER

La technologie au service
de l’humain
Fabricant de capteurs pour l’automobile implanté dans les Comminges,
à une heure de Toulouse, l’usine Continental Powertrain France a trouvé sa voie
vers l’industrie 4.0 en mettant l’innovation au service des opérateurs. Un exemple
de réconciliation de l’homme et de la machine, qui a permis un regain de croissance
dans un environnement fortement concurrentiel.

PRODUIRE MIEUX et plus vite, dans 350 personnes, a vécu depuis 2015 semblage. Ce sont d’abord les
Partout dans l’usine, un environnement instable où il d’importants travaux de moderni- sous-ensembles qui sont consti-
les véhicules à guidage faut continuellement prouver son sation : extension des surfaces de tués, puis assemblés entre eux
automatique (AGV) agilité tant dans la prise de déci- production et création de 4 000 m 2 (soudure laser, électrique, sertis-
transportent des sions que dans le développement de locaux destinés à la logistique. sage à chaud, vissage…) avant
charges lourdes,
s’arrêtant à la
technologique... À Boussens, en Une transformation pour laquelle d’être rendus étanches. Ces pro-
détection du moindre Haute-Garonne, l’usine Continen- le 4.0 a été mis au service des opé- duits, simples d’apparence, sont
obstacle. tal Powertrain France, qui emploie rationnels. « Pour sauver l’industrie complexes à fabriquer. Ils sont tes-
française, c’est une nécessité », tés à plusieurs niveaux pour obte-
affirme Michel Bouguennec, le nir une qualité exemplaire : moins
directeur du site, convaincu que la de deux pièces défectueuses par
technologie doit avant toute chose million de pièces livrées.
protéger l’humain.
L’entreprise est spécialisée dans la Éviter l'innovation
production de capteurs de pour l'innovation
contrôle moteur. Ses produits per- Au-delà des questions de compé-
mettent notamment d’optimiser titivité et d’innovation, l’usine de
les performances énergétiques du Boussens a articulé son pro-
véhicule : diminution de la consom- gramme de modernisation autour
mation de carburant, réduction de de l’amélioration des conditions de
gaz d’échappement… Grâce aux travail, en instaurant un fonction-
nouvelles technologies, l’usine a nement en équipes autonomes
accueilli des lignes de fabrication aux compétences élargies, sans
de cartes électroniques pour l’ali- structure hiérarchique intermé-
mentation en carburant, un trans- diaire. Les fonctions satellites – y
fert d'activités précédemment compris celles liées à l’inno­­vation –
basées en République tchèque. ont toutes pour mission de les
© Vincent Nguyen pour l’INRS

Elle est montée en compétences et aider.


en expertise d’industrialisation de « Nous avons voulu éviter un
produits à forte valeur ajoutée. déploiement “technopush”, qui
Chaque jour, 100 000 pièces, soit pousse l’innovation pour l’innova-
plus d’une centaine de réfé- tion au risque de ne pas répondre
re n c e s , s o nt f a b r i q u é e s à au besoin, de générer des frustra-
Boussens, sur les 30 lignes d’as- tions, et de mettre à disposition

UNE MÉTHODE RÉCOMPENSÉE


En 2016 et 2017, le site de Boussens s’est vu attribuer technologies (systèmes de gestion de la maintenance,
par le groupe Continental le « lean check award » robots collaboratifs, véhicules à guidage automatique)
pour la meilleure conception de ligne au niveau mondial qui est notamment saluée. Enfin, le prix de meilleure
et la meilleure intégration de robots collaboratifs et usine de France lui est décerné en 2018 par la revue
d’AGV en production. Les réalisations ont été prises L'Usine nouvelle. Cette récompense pour l’innovation
comme modèle pour le groupe dans ses autres usines. au service de la productivité met l’accent sur
En 2017, toujours au niveau de Continental, l’usine est l’introduction en mode participatif de technologies
à nouveau récompensée et nommée usine de l’année en de l’industrie 4.0 et leur acceptation par
termes d’innovation. C’est la mise en place des nouvelles les collaborateurs.

16 travail & sécurité – n° 806 – juin 2019


L’INDUSTRIE
DU FUTUR

responsabilités qui leur sont


confiées », indique Sabrina Grand,
formatrice sur ligne, chargée de
suivre la mise en place des équipe-
ments et de répondre aux interro-
gations qui se posent au quotidien
pour améliorer le dispositif.

© Vincent Nguyen pour l’INRS


« On a donné des noms aux pre-
miers cobots. Ça les humanise.
Tout a été fait en concertation. La
collaboration permanente entre la
production et les fonctions sup-
port fait que chaque solution est
spécifique, déclare Aurore Dumet,
animateur d’équipe autonome.
Sur ce poste, il fallait déplacer des
des outils qui, au final, ne sont pas L’introduction tences des équipiers autonomes a bacs de 15 kg toute la journée.
uti l i sés », ex p l i q u e M i c h e l des robots été créé. C’est désormais le cobot qui le
en production a été
Bouguennec. L’usine en avait Des moyens ont été mis en place fait. En termes de fatigue, on voit
choisie pour remplir
d’ailleurs fait l’expérience il y a les tâches les plus pour la maintenance et la fiabilité la différence. Et il n’y a pas eu de
quelques années, en se lançant fatigantes, sans valeur des éq uipem ents : m ontres suppression de personnel. C’était
un peu rapidement dans la mise à ajoutée. Le feu connectées pour le contrôle à dis- ce qui nous faisait le plus peur. »
disposition de lunettes connec- vert n’est donné tance, tablettes pour l’accession Partout dans l’usine, les AGV
à l’innovation que
tées sur un poste. Avant de réali- si elle constitue aux données, imprimante 3D pour transportent des charges lourdes,
ser que leur utilisation n’était pas une aide aux la fabrication réactive de pièces s’arrêtant à la détection du
compatible avec son ergonomie. opérationnels. détachées… Un centre technique moindre obstacle. Très vite, leur
« L’établissement a compris que la d’intervention de maintenance présence a été intégrée. Ils seront
prise en compte de la façon dont centralise les demandes d’inter- également utilisés dans le nouvel
travaille le personnel est essen- vention, qui sont mieux régulées et entrepôt logistique, dont la sur-
tielle et est entré dans le déploie- jamais gérées dans la précipita- face a été triplée.
ment technologique par une tion. Devenu l’un des sites de référence
d é m a rc h e p a r ti c i p a ti v e », dans l’utilisation des nouvelles
témoigne Kristelle Blanc, contrô- Des responsabilités technologies pour le groupe
leur de sécurité à la Carsat Midi- nouvelles Continental, « l’usine de Boussens
Pyrénées. « Les robots sont utilisés pour le a pris le chemin du 4.0 au bon
L’approche choisie est le social pull, chargement et le déchargement moment, estime le directeur du
qui consiste en l’analyse du pro- des machines afin de réduire les site. Grâce aux robots collabo­
blème avec les opérateurs pour gestes répétitifs et le risque de ratifs, nous avons créé de l’emploi
orienter les choix d’innovation. Les troubles musculosquelettiques », et ouvert de nouvelles lignes dans
plus emblématiques ont été le précise Isabelle Quideau, chargée un contexte concurrentiel qui
déploiement d’une quarantaine sécurité environnement. Sur un n’était pas favorable. » Sa princi-
de robots collaboratifs sur les îlots même îlot de production, il peut y pale fierté est d’avoir fait entrer
de production et de plusieurs véhi- en avoir jusqu’à sept. Des barrières l’établissement dans le cercle ver-
cules à guidage automatique immatérielles suffisent à marquer tueux de l’amélioration continue,
(AGV). Lors de la conception des la séparation des territoires. indispensable au déploiement
lignes, les utilisateurs ont donné « Avant, les opérateurs tournaient des innovations et à la pérennité
leur avis sur des maquettes en car- en rond pour faire ces tâches. de leur utilisation. Des avancées
ton à l’échelle 1. En parallèle, un Désormais ils ne font plus de pas technologiques qui participent
centre de formation dédié à l’amé- inutiles. Le pilotage des cobots est aussi à l'amélioration des condi-
lioration continue des compé- intéressant. Les gens sont fiers des tions de travail. n G. B.

SE DÉTOURNER DE L’AUTOMATISATION TOTALE


L’intégration progressive des robots collaboratifs pour et de mise en place fait qu’elle est désormais vécue
mettre en œuvre des concepts de fabrication de pointe comme parfaitement naturelle. En outre, l’automatisation
sur le site de Boussens et l’adhésion rencontrée auprès totale aurait eu des coûts de maintenance nettement
des équipiers autonomes ont amené Continental plus élevés. Elle aurait nécessité une plus grande surface
Powertrain à préférer cette voie à celle du « tout- au sol (notamment pour sécuriser les accès autour
automatique ». Sur les nouvelles lignes, l’accent est mis des robots) et n’aurait pas généré la même motivation
sur la cohabitation au sein d’un même environnement ni la même implication de la part des salariés. À Boussens,
des hommes et des cobots. L’implication des la modernisation n’a jamais été synonyme de destruction
opérationnels à toutes les étapes de développement d’emplois, mais plutôt de valorisation des savoir-faire.

travail & sécurité – n° 806 – juin 2019 17


DOSSIER

© Coriolis Composites

© Coriolis Composites
Construire l’industrie de demain
Concepteur de machines pour l’usine du futur, l’entreprise Coriolis Composites, basée
dans le Morbihan, a séduit les plus grands noms de l’industrie aéronautique avec
sa technologie de placement robotisé de fibres. En lien étroit avec ses clients, elle travaille
sur l’anticipation des risques liés à la mise en œuvre des équipements qu’elle développe.

L’AVENTURE COMMENCE à la fin « Nous développons et commer- achats. Mais c’est bien en amont
des années 1990. Trois élèves ingé- cialisons des cellules robotisées que les problématiques d’implan-
nieurs passionnés de voile imaginent pour le drapage de matériaux tation sont envisagées.
une solution technique pour robo- composites. Nous fournissons les
tiser l’assemblage de coques de logiciels permettant de piloter la Anticiper les risques
bateau en composites. En 2001, ils machine et avons développé un En tant que concepteur d’équipe-
créent la start-up bretonne Corio- service d’ingénierie », explique m e n t s d e tra va i l, C o r i o l i s
lis Composites. Implantée à Quéven, Yvan Hardy, directeur technique Composites doit respecter des
dans le Morbihan, elle prendra son et l’un des fondateurs de l’entre- exigences de santé et de sécurité
véritable envol quelques années prise. Chaque projet répond à un de la directive dite « Machines »
plus tard, grâce à une commande cahier des charges ultra-précis. 2006/42/CE. La sécurisation de la
d’Airbus, qui veut une machine sur « L’intégration chez le client néces- machine, du local opérateur ou du
mesure pour fabriquer son A350, site plusieurs mois. Elle permet la local technique est au cœur des
tout en composites. Aujourd’hui, la transmission des savoir-faire et préoccupations. « Il nous faut
PME industrielle emploie 177 salariés une montée en compétences sur connaître les contraintes de mise
et travaille à 95 % pour l’industrie l’utilisation des machines », pré- en œuvre chez le client. L’anti-
aéronautique. cise Ronan Mony, responsable des cipation des risques fait partie du

DES SOLUTIONS POUR L’INDUSTRIE DU FUTUR


Coriolis Group comprend deux entités. L’entreprise Coriolis des tubes, pièces mécaniques ou réservoirs en matériaux
Composites propose des têtes de placement de fibres de composites pour l’automobile, l’aéronautique, l’aérospatial,
carbone adaptées sur des robots industriels. Elle dispose la défense ou encore le nucléaire. Un pas de plus franchi
d’un pôle de recherche et développement qui élabore des pour positionner la PME bretonne parmi les leaders
solutions prêtes à l’emploi, adaptables et en évolution mondiaux de la robotique industrielle et la fabrication de
permanente pour répondre aux besoins de l’industrie. pièces en matériaux composites. Le groupe a déjà installé
En 2018, Coriolis Group a racheté l’entreprise MF Tech, plus de 140 machines dans le monde. Il est présent à travers
basée à Argentan dans l'Orne, et spécialisée dans des filiales dans plusieurs pays : USA, Canada, Royaume-
l'enroulement filamentaire robotisé pour la fabrication Uni, Allemagne, Chine.

18 travail & sécurité – n° 806 – juin 2019


L’INDUSTRIE
DU FUTUR

métier », atteste Christelle Jaspart, de polluants et caractériser l'expo-


responsable qualité, hygiène, sition des salariés aux produits de
sécurité, environnement. dégradation. »
La nature des applications, à la Des recommandations ont été for-
pointe du développement techno- mulées : nécessité d’agir en amont

© Coriolis Composites
logique, nécessite une coréflexion sur la matière et le procédé (défi-
permanente avec le commandi- nition par exemple de tempéra-
taire. Au stade de l’étude, une ana- tures à ne pas dépasser), recherche
lyse fonctionnelle est menée. Les de dispositifs de captage des pol-
contrôles d'accès, les flux, les dis- luants au plus près de la source
tances de sécurité, l’activité autour sans compromettre l’efficacité du
de la cellule robotisée sont définis. process – ce qui n’est pas chose
« Suivant les matières mises en Des réflexions sont également Les opérateurs de simple –, mise en place d’une ven-
œuvre, le bras du robot déroule des menées – en lien avec le client – maintenance utilisent tilation générale mécanique de
un pupitre portable
bandes de composite chauffées sur l’alimentation des machines en lors des interventions
l'atelier et de la salle de pilotage
par infrarouge (à 90 °C) ou au laser bobines de fibres de carbone, à proximité du robot. pour assurer un renouvellement
(autour de 400 °C) », explique dont certaines pèsent jusqu’à d'air. « Une intervention du centre
Philippe Le Priol, responsable des 15 kg. Des manipulateurs peuvent interrégional de mesures physiques
chargés d’affaires. ainsi être intégrés à la cellule afin de l’Ouest a ensuite permis d’ap-
Dans le premier cas, une zone de réduire la pénibilité et les temps porter un conseil technique sur la
grillagée est prévue et un pan- de chargement. Enfin, les situa- mise en œuvre de captage localisé
neau avec vitrage spécifique tions de maintenance sont envisa- et de la ventilation générale »,
pour l’opérateur qui observe. Le gées. Les équipes de recherche et poursuit Jean-François Lannurien.
second nécessite une cellule fer- développement pensent notam- « Les recommandations sont trans-
mée avec panneaux double paroi ment à faciliter le déplacement et mises au client, précise Violaine
résistant au tir laser, l’étanchéité à la dépose de la tête de drapage. Pélicart, chargée santé, sécurité,
la lumière et des vitrages certifiés Les opérateurs de maintenance
REPÈRES environnement. Les analyses
sécurité laser pour l’accès visuel utilisent un pupitre portable, > CORIOLIS menées nous sont très utiles,
au process. « Le client peut avoir équipé d’un bouton d’arrêt d’ur- COMPOSITES notamment pour définir les
des exigences de sécurisation gence, et d’un dispositif « homme a mis au point mesures organisationnelles à
supplémentaires, poursuit Philippe mort », pour tout accès à proximité plusieurs générations mettre en place, comme le temps
Le Priol, comme l’ajout de scruta- du robot. de machines qui d’attente avant l’entrée de l’opéra-
équipent Airbus,
teurs pour renforcer le contrôle des teur dans la cellule après le dra-
Safran, Dassault,
accès. » S’accorder avec le client Bombardier, Comac
page. Nous nous nourrissons
Au cours du drapage, aucun opé- Autre axe de travail : la prévention et d’autres. également des retours d’expé-
rateur n’accède à la zone de tra- du risque chimique. En effet, la Des applications riences clients. Tout le monde
vail du robot. Toutefois, lors de la technologie nécessite de chauffer pour l’industrie gagne à améliorer sa connais-
mise en route d’un programme de des matières dont la nature est automobile ou l’éolien sance de l’environnement et de
production, un accès à proximité imposée par le client. « En 2016, à sont envisagées. l’utilisation des machines. »
de la tête de drapage est néces- la demande du service de santé au Car l’intégration de la prévention
saire pour valider le mouvement travail, pour répondre aux interro- dès la conception ne dispense
de la machine. Pour cela, un mode gations de l’entreprise sur la pro- jamais l’utilisateur de ses obliga-
de travail en vitesse lente (sans blématique de dégradation de tions qui sont de faire en sorte que
dépose de fibre) est prévu. Ce matière lors de la chauffe au laser, les machines restent sûres tout au
qui n’empêche pas Coriolis nous avons fait intervenir le labora- long de leur cycle de vie. D’autant
Composites d’étudier le dévelop- toire interrégional de chimie de que le client peut faire évoluer ses
pement d’un outil qui permettrait l’Ouest, évoque Jean-François matières ou l’environnement de
d’éviter cette phase et de lancer le Lannurien, ingénieur-conseil à la travail. À lui, dès lors, de réaliser son
drapage directement depuis un Carsat Bretagne. L’objectif : faire le évaluation des risques pour conti-
poste déporté. lien entre le procédé et l’émission nuer à écrire l’histoire. n G. B.

CONSTRUIRE ENSEMBLE
Le développement d’une machine est un projet de près illimités et nécessitent d’aborder chaque situation
de deux ans. En 2014, la technologie développée comme un projet unique, en intégrant les contraintes
a permis à Coriolis Composites d’entrer dans un liées à l’activité de l’entreprise utilisatrice. Une grande
programme de fabrication du fuselage du dernier Airbus. flexibilité est nécessaire, y compris pour appréhender
L’entreprise a pris des marchés pour la fabrication la prévention des risques professionnels, en maintenant
de pièces qui, au départ, n’étaient pas destinées le lien entre concepteur et futur utilisateur
à être en composites, comme les encadrements et en capitalisant sur les retours d’expériences.
de portes d’avion par exemple, qui se faisaient
en titane. Les potentiels de développement sont

travail & sécurité – n° 806 – juin 2019 19


DOSSIER

Les nouvelles technologies


au banc d’essai
À Sochaux, le site historique du groupe PSA se transforme en usine du futur.
Une mutation progressive chez le constructeur de voitures, qui fait la part belle
à l’ergonomie et permet aux salariés de tester les nouvelles technologies.

AVEC SES 55 BÂTIMENTS répartis


sur 210 ha, ses 30 km de routes et
sa ligne de chemin de fer permet-
tant d’acheminer les véhicules
fabriqués sur place, le site du
groupe PSA de Sochaux est
presque une ville à part entière.
Grâce au travail de 10 000 hommes
et femmes, dont les trois quarts en
lien direct avec la production,
500 000 véhicules sont sortis de
l’usine du Doubs en 2018. 75 %
étaient destinés à l’exportation. Né
en 1912, ce site historique de la
marque Peugeot doit répondre aux
enjeux automobiles de demain.
Notamment avoir une production
plus flexible, s’adaptant à la
© Patrick Delapierre pour l’INRS

demande des clients.


Le projet « Sochaux 2022 » visant
à moderniser le site germe en
2015. Depuis 2017, des groupes de
travail ont été créés pour analyser
les besoins. Les technologies
numériques sont soit déjà inté-
grées, soit en cours d’expérimen-
tation sur le site sochalien. Quel
que soit le nouvel outil, il est L’usine du futur qui se dessine La nouvelle presse troubles musculosquelettiques
d’abord testé par un petit nombre aujourd’hui est loin du cliché du d'emboutissage (TMS) dès la conception des lignes
devrait être en
d’opérateurs. Realisé progressive- tout-robotisé prenant la place des fonction avant l'été.
est primordial. Des améliorations
ment, tout déploiement d’un nou- humains. Sa conception est même Outre ses dimensions ergonomiques sont possibles par
vel outil fait au préalable l’objet l’occasion d’intégrer davantage remarquables, la suite – grâce à un travail pluridis-
d’une formation des salariés d’ergonomie sur les lignes de pro- elle a été conçue en ciplinaire et avec l’écoute des opé-
intégrant la sécurité
concernés et du personnel en duction et d’améliorer les condi- rateurs – mais elles sont souvent
des opérations
charge de la réparation et de la tions de travail des opérateurs. de maintenance. plus difficiles à mettre en œuvre »,
maintenance. « Penser à la prévention des avertit Benoît Balland, contrôleur

UN EMBOUTISSAGE PLUS EFFICACE


Centenaire, le site de Sochaux a grandi progressivement. a introduit davantage de rationalité. Le nouveau
La production ne s’arrêtant quasiment jamais, bâtiment construit pour abriter cette première étape
l’organisation des différents bâtiments entre eux n’est de production a été accolé aux bâtiments de ferrage.
cependant plus optimale. Par exemple, l’emboutissage Un gain en efficacité qui permet aussi de limiter
se fait actuellement dans deux ateliers éloignés la circulation des poids lourds et les manutentions.
des trois autres bâtiments où a lieu l’étape suivante,
le ferrage. Les pièces doivent ainsi être livrées
par camions entre ces ateliers. Le projet « Sochaux 2022 »

20 travail & sécurité – n° 806 – juin 2019


L’INDUSTRIE
DU FUTUR

de sécurité à la Carsat Bourgogne- rents outils, détaille le chef de coffrement des moteurs de la
Franche-Comté. projet Julien Rémy. Et elle fait cela presse d’emboutissage.
plus rapidement que les presses
De forts apports actuelles. » En façonnant davan- Moins de tâches
technologiques tage de pièces à chaque coup, pénibles
Robots collaboratifs, lunettes de les chutes de matières renvoyées D’autres technologies numériques
réalité augmentée, AGV (véhicules au fournisseur pour être refondues participent aussi à la prévention
à guidage automatique) nouvelle seront diminuées. des risques professionnels. Sur le
génération... Ces nouvelles tech- La sécurité des opérations de site, une dizaine de robots colla-
nologies se retrouvent lors des maintenance fait partie inté- boratifs apportent ainsi leur pierre
différentes étapes de fabrication grante de la conception de la à l’édifice de l’usine 4.0 en effec-
des véhicules. Tout débute par machine. Les escaliers d’accès et tuant des tâches pénibles. Et,
l’emboutissage, où des presses les plates-formes d’intervention après leur période d’essai, ils sont
transforment la tôle en pièces. sur deux étages sont sécurisés par généralement réclamés par les
Ces dernières sont assemblées des garde-corps pour prévenir le opérateurs. C’est le cas par
entre elles lors du ferrage pour Sur la ligne de risque de chutes. Dans le même exemple au poste de montage de
former des armatures et recevoir montage de l'aile de la esprit, l’arrêt est automatisé à l’aile avant de la ligne de la
gamme 3008, le robot
ensuite des portes et un capot. a été intégré au gabarit
l’ouverture des portes d’accès à gamme 3008 : comme les autres
La future voiture est ensuite il y a deux ans aux ses éléments de fonctionnement, outils, le robot a été intégré au
envoyée aux ateliers de peinture, côtés des autres outils. afin d’éviter le risque machine. gabarit il y a deux ans.
avant de poursuivre sa course « Avant, l’un des opérateurs devait
dans les ateliers de montage, la visser sous la caisse, explique
plus grande entité du site, où tra- Alexandre Le Helloco, un conduc-
vaillent 2 500 personnes. Le véhi- teur d’installation. Cette opération
cule y reçoit son architecture est désormais réalisée par un
électrique, son poste de conduite, robot collaboratif pendant que
son pare-brise et ses vitres, puis deux opérateurs vissent l’aile sur
ses organes mécaniques, ses les côtés. Nous avons donc beau-
sièges et ses roues. Après avoir été coup gagné en ergonomie sur
transporté sur des kilomètres de cette ligne. » La trentaine d’opé-
convoyeurs, dont une partie est rateurs concernés par cet amé-
située dans des tunnels aériens nagement ont suivi une formation
© Patrick Delapierre pour l’INRS

reliant les bâtiments entre eux, le de quelques jours dispensée par


véhicule finit par le contrôle qualité l’installateur.
et un test sur piste. Au ferrage, des lunettes de réalité
La pièce la plus visible de cette augmentée sont testées actuel­
usine du futur se situe au début du lement sur plusieurs sites dont
process : une nouvelle presse celui de Sochaux. Il s’agit de véri-
d’emboutissage de 12 m de haut fier, sur quelques véhicules d’une
et occupant une surface de série, que les 3 500 points de sou-
2 500 m2, ancrée dans le sol à 6 m dure ont été correctement réalisés
de profondeur. Son montage est Pour accueillir le colosse, un nou- par les robots. Les lunettes per-
presque terminé et les premiers veau bâtiment de 6 500 m 2 et de mettent aux salariés de vérifier
tests de production sont prévus 20 m de haut a été construit. Ce l’adéquation de ces points avec
pour le début de l’été. « Cette sera également le lieu de travail leur position théorique, marquée
presse est unique au monde : elle d’une cinquantaine de salariés : par un point lumineux sur l’écran
est capable de fabriquer en afin d’y limiter les nuisances de la lunette. D'autres technolo-
moyenne 4,2 pièces par coup, en sonores, les murs et le plafond ont gies pourront dans les années à
utilisant de l’acier ou de l’alumi- été conçus en bardage perforé. venir également trouver leur place
nium, et elle peut intégrer diffé- Ces précautions s’ajoutent à l’en- sur ce site. n K. D.

UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE VÉHICULES


À GUIDAGE AUTOMATIQUE
Les véhicules à guidage automatique (AGV pour Automatic Guided Vehicle) existent depuis
© Patrick Delapierre pour l’INRS

vingt ans sur le site. Contrairement aux anciens modèles fonctionnant sur rails, les nouvelles
générations sont plus flexibles. Ils peuvent désormais suivre un chemin balisé par une bande
magnétique adhésive, facilement modifiable pour s’adapter aux besoins de la production.
Ces nouveaux engins autonomes ont fait leur apparition en 2013 sur le site de Sochaux.
« Son scrutateur laser détecte la présence d’obstacles sur son chemin et permet son arrêt
immédiat, afin d’éviter tout risque de collision avec un salarié », indique Matthieu Bac.

travail & sécurité – n° 806 – juin 2019 21


DOSSIER

Les robots
de production
transforment
le travail
Transformer son activité peut être une
question de survie pour certaines entreprises.
Confrontée à des problématiques

© Fabrice Dimier pour l’INRS


de renouvellement de ses effectifs,
la PME Gattegno s’est lancée dès 2006
dans une politique de robotisation
de son activité visant à améliorer
les conditions de travail de ses salariés.

UN TINTEMENT PERMANENT, simi- cages grillagées abritent des La fabrication À tous ces postes, des chaussettes
laire à celui de clochettes, emplit tresseuses, à 8, 12 ou 16 fuseaux, des plus gros câbles de tirage en acier, inox, polyamide
tressés est réalisée sur
l’ambiance sonore de tout l’atelier qui effectuent la même opération, ou autre textile haute performance
une machine
de Gattegno. Il s’agit des chocs mais cette fois de façon semi- semi-automatique qui (type HMPE), prennent forme sur
ininterrompus des poids métalliques automatisée. Une autre machine nécessite un élévateur des mandrins verticaux. « Comme
manipulés au cours de l’opération destinée aux produits de pose de de personnes pour le on conserve tout, on pourrait faire
manuelle de tressage de câbles pipeline en haute mer, aux dimen- suivi des opérations. un musée de l’évolution des
métalliques. Deux postes fonc- sions hors normes – 11,50 m de machines dans notre métier », sou-
tionnent encore ainsi manuellement. haut et 24 fuseaux pour réaliser rit Rémi Godet, président de l’en-
Cette PME de 25 salariés, basée à des chaussettes d’un diamètre treprise. Car cette activité
Saint-Ouen-l’Aumône, dans le Val- variant entre 140 mm et 450 mm – historiquement manuelle fait l’ob-
d’Oise, et appartenant au groupe nécessitant un élévateur de per- jet d’une évolution de fond depuis
RG Cube, est spécialisée dans la sonnes pour suivre l’opération sur une douzaine d’années, avec l’arri-
fabrication de tire-câbles métal- les trois niveaux, domine l’atelier. vée de la robotisation. « Nous
liques : tracteurs, porteurs, connec- Les pièces qu’elle fabrique atteignons les premiers départs à
teurs. Ses clients sont principalement peuvent contenir jusqu’à 3 000 m la retraite d'une génération de tres-
présents dans les secteurs des tra- de câbles. Enfin, dans un angle, un seurs, poursuit-il. Or nous consta-
vaux publics, de l’énergie, de l’éclai- robot de tressage dernière géné- tons que les nouvelles recrues sont
rage public, de l’offshore ou de la ration encore en phase de déve- rapidement abîmées physique-
fibre optique. loppement, inspiré de la ment sur les postes manuels qui, on
En face des postes manuels, un précédente, est lancé pour une ne peut le nier, sont des postes très
peu plus loin dans l’atelier, des opération similaire. sollicitants. »

PHILIPPE GRENIER, ingénieur de développement


et professeur en BTS CRSA, consultant machines chez Gattegno
« Chaque année, les élèves en BTS conception réalisation de systèmes automatiques du lycée
Jean-Perrin de Saint-Ouen-l’Aumône réalisent des projets d’automatisation-robotisation
© Fabrice Dimier pour l’INRS

avec des entreprises du bassin local. Nous avons ainsi mené cinq projets avec Gattegno
depuis douze ans. On constate que tous les process de robotisation mis en place aujourd’hui
visent des objectifs d’amélioration des conditions de travail et portent moins sur la rentabilité.
Avant, les entreprises cherchaient à automatiser pour améliorer la productivité, augmenter
les rendements, mais aujourd’hui, les problématiques de la grande majorité des entreprises
portent sur une réduction de la pénibilité des postes. »

22 travail & sécurité – n° 806 – juin 2019


L’INDUSTRIE
DU FUTUR

C’est face à cette situation que la matière, sinon ce serait inévita-


l’entreprise a commencé à s’orien- blement source d’incidents. Sur ce
ter vers l’automatisation de son robot, il reste des ajustements à
cœur de métier. Sans ce virage faire, mais on sait que le principe
majeur, le risque de voir l’activité même du process est bon. » Loïc
disparaître était bel et bien pré- Mézier, un roboticien, a été
sent. En 2005, les premières embauché au terme de sa forma-
réflexions se lancent sur le sujet. En tion en alternance en robotique
découle en 2006 un partenariat pour assurer la maintenance et le
avec le lycée technique Jean- déve loppem ent de cet te

© Fabrice Dimier pour l’INRS


Perrin, également à Saint-Ouen- machine, et plus largement du
l’Aumône, pour mener un projet de parc.
R&D de robotisation du poste de « Notre fierté est que la robotisation
tirage et de coupe des câbles. n’a jamais supprimé d'emploi, nous
Ce premier partenariat avec le avons toujours visé à réduire la
lycée s’avérant fructueux, une pénibilité avant tout, affirme
série de nouveaux projets va se Laurence Ambrosetti, directrice
concrétiser au fil des années. Une administrative et financière. Ça a
ligatureuse automatique voit le Le robot de fidèlement les gestes de l’homme permis de maintenir la présence
jour en 2010. « Cette machine a production a été à la fabrication. Ça n’est jamais humaine à chaque étape de la
imaginé pour
vraiment réduit la pénibilité du simple, ça nécessite de longues fabrication tout en développant la
reproduire les gestes
poste, témoigne Armel Masson, un humains et réaliser phases de tests. Nous sommes polyvalence. La robotisation n’ap-
opérateur depuis 37 ans dans des tâches d’autant plus fiers d’avoir réussi le porte d’ailleurs pas particulière-
l’entreprise. Avant ça, je passais particulièrement pari, car nous sommes partis ment de gain en temps par rapport
mes soirées sur le canapé à récu- pénibles quand elles d’une feuille blanche ! » au tressage manuel, car le temps
sont effectuées
pérer de ma journée. Ça a été un manuellement. Ce robot, encore en cours de fina- de préparation aux postes reste
vrai soulagement physiquement. lisation, réalise déjà ses premières important, mais le gain en matière
Et la prise en main de la machine pièces. « Dans de tels projets, il de contraintes gestuelles est
s’est faite facilement. » incontestable. » Chaque opérateur
a été formé à plusieurs compé-
Réduire la pénibilité tences de l’entreprise (tireur, tres-
des postes seur, braseur, qualité…) pour élargir
Dans la foulée de ces premières Notre fierté son champ d’action et varier les
expériences, l’entreprise s’est lan-
cée dans la robotisation du tres-
est que la robotisation tâches.
Les investissements sur ces diffé-
sage métallique. Ce projet, mené n’a jamais supprimé rents projets représentent pour
en interne, a fait l’objet d’un l’entreprise un coût cumulé de
accompagnement par la CCI
d'emploi. près de 1,5 million d’euros, « finan-
d’Île-de-France qui a mis un robot cés majoritairement par autofi-
à la disposition de l’entreprise nancement », précise Laurence
pendant trois mois et apporté une Ambrosetti. L’expérience acquise
subvention de 8 000 €. « Le déve- faut non seulement prendre en est désormais mise à profit pour
loppement de robots de produc- compte le robot proprement dit, d’autres projets au sein des deux
tion nécessite des investissements mais également tout son environ- autres entreprises du groupe. Une
considérables en temps et en nement, prévoir les automatismes, élingueuse robotisée, dévelop-
argent. Ça n’a rien à voir avec des les opérations de maintenance, pée durant l’année scolaire 2017-
robots collaboratifs qui le plus un espace suffisant, estime 2018, est ainsi en cours de
souvent transfèrent une pièce d’un Philippe Grenier, professeur au développement pour réaliser des
point à un autre, souligne Rémi lycée partenaire Jean-Perrin. Et élingues pour l’entreprise sœur
Godet. Ici, les robots reproduisent surtout ne laisser aucune liberté à Godet. n C. R.

D'AUTRES ACTIONS DE PRÉVENTION


Si les projets de robotisation chez Gattegno visent à réduire les tâches les plus pénibles,
d’autres actions de prévention ont été menées au sein de l’entreprise pour améliorer
les conditions de travail : palan pour déplacer les bobines de câbles, alors que par le
© Fabrice Dimier pour l’INRS

passé elles étaient portées à deux personnes ; zones de circulation clairement identifiées
dans l’atelier ; consignes pour ne jamais travailler les mains au-dessus des épaules, etc.
L’entreprise a fait l’objet de trois plans de prévention avec la Cramif (création de machines
spécifiques, manipulation de poids, captage des fumées).

travail & sécurité – n° 806 – juin 2019 23


DOSSIER

« L’activité réelle au cœur


des projets de conception »
Safran déploie une démarche ambitieuse d'introduction de l’ergonomie dans les projets
de conception industrielle en lien avec l’usine du futur. Rencontre avec Jean-François
Thibault, responsable du programme ergonomie à la direction développement durable
du groupe, et Laurent Guisot, ingénieur ergonome rattaché au site de Seine-et-Marne.

Travail & Sécurité. Safran leurs exigences et leurs contraintes liers. Des projets au long cours y
affiche sa volonté de mettre et permet d’alimenter le cahier des sont menés. Nous avons égale-
les ruptures technologiques charges. Pour Safran, l’industrie du ment créé en interne une
au service de la performance futur doit être technique, numé- plate-forme de conception de
autant que des conditions de rique et innovante, mais surtout robotique collaborative pour
travail. Quelle place occupe impliquer l’utilisateur final dans développer sur des temps plus
l’ergonomie dans les projets ? toutes les phases de conception. courts – huit mois – des solutions
Laurent Guisot 3 Garant du « stan- spécifiques à certaines situations
dard ergonomie Safran », j’ai pour Jean-François Thibault 3 L’ergo­ de travail.
mission de convaincre mes interlo- nomie est un axe stratégique du
cuteurs que l’intégration de l’ergo- REPÈRES projet Industrie du futur. Nous Les opérateurs sont-ils
nomie à la conception de toute > SAFRAN assure avons dans nos usines des problé- associés au développement ?
situation de travail – et non unique- une présence matiques classiques de manu­­­­- J.-F. T. 3 Ils le sont à plusieurs
ment en correction – contribue à internationale dans tentions manuelles, de postures, niveaux. Nous utilisons dès les
améliorer la santé et la sécurité au les domaines de charge de travail... Partant de phases de conception des outils
travail, mais aussi la performance. de l'aéronautique, ce constat, nous avons lancé, il y a de réalité virtuelle pour simuler
Nous sommes une vingtaine d’ergo- de l'espace trois ans, un axe majeur de déve- des scénarios d’activité. Pour aller
et de la défense.
nomes au niveau du groupe et nous loppement de la robotique plus loin, nous avons mis en place,
Lancé en 2012,
nous appuyons sur un réseau de collaborative. La mise au point de avec le CEA, un démonstrateur
le programme
correspondants opérationnels for- ergonomie du groupe ces machines, qui ne se substituent permettant de tester à l’échelle 1,
més à l’ergonomie. Ceux-ci tra- Safran a permis, au pas à l'homme mais travaillent hors production dans l'environne-
vaillent eux-mêmes en partenariat niveau mondial, de avec lui, nécessite de penser à ment sécurisé d'un labo­ratoire, le
avec des acteurs de la prévention réduire de 30 % les l'ergonomie de l'inter­action entre le nouveau poste de travail.
proches du terrain. Nous disposons accidents liés aux cobot et l’utilisateur dès la L’opérateur est mis en situation
d’outils, tels qu’une « check list ergo- manutentions conception, et d’évaluer les risques avec le cobot et voit concrète-
nomie » et un guide pratique d’ergo- manuelles. liés à la situation de travail dans sa ment les questions qui peuvent se
nomie en conception. globalité. Aujourd’hui, nous parti- poser. La formation se poursuit en
cipons au Factory Lab du phase d’industrialisation, où le
Comment cela se traduit-il ? Commissariat à l’énergie atomique démonstrateur est installé sur site.
L. G. 3 L’activité réelle doit être au et aux énergies alternatives, un Cette implication est essentielle
cœur des projets de conception. Le consortium alliant recherche et pour prendre en compte la com-
point de départ est donc l’analyse développement grâce auquel plexité des situations et
du travail de manière pluridiscipli- nous travaillons sur de futures accompagner la conduite du
naire, en impliquant les opérateurs. générations de cobots adaptés à changement. n Propos recueillis
Elle est indispensable pour cerner des cas d’usage issus de nos ate- par G. B. .

ENTRE OPÉRATIONNELS ET CONCEPTEURS : FAIRE LE LIEN


D’importantes transitions industrielles sont en cours : témoigne d’une volonté d’anticiper ces questions
déploiement de la robotique collaborative, arrivée dès le lancement des projets. Sur tous les chantiers
d’outils de réalité virtuelle au poste de travail menés, la volonté est de mobiliser le plus grand
ou de technologies de réalité augmentée… Parfois, nombre, faire du lien entre opérationnels et concepteurs
ces avancées sont à la main d’ingénieurs et concepteurs afin que l’introduction de technologies poussées
qui n’ont pas appris à prendre en compte l’humain. reste connectée au travail réel.
Or il est nécessaire de comprendre comment le besoin
est ressenti sur les lignes et s’il n’est pas vécu comme
une contrainte. La démarche ergonomique de Safran

24 travail & sécurité – n° 806 – juin 2019

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