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Éditorial

VIRILITÉS PLURIELLES

Aurélie Pfauwadel

L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir »

2017/1 N° 95 | pages 5 à 6
ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040985
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2017-1-page-5.htm
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ÉDITORIAL

VIRILITÉS PLURIELLES
Aurélie Pfauwadel

Q
ue reste-t-il de la virilité à l’heure du déclin du Père et du nivellement de l’ère
démocratique où hommes et femmes se valent bien ? Il n’y a plus de vrais
hommes, seulement des semblants virils ! – telle est la thèse de Kojève subtile-
ment commentée ici par Jacques-Alain Miller dans son texte « Bonjour
sagesse ». Ce numéro de La Cause du désir se propose d’opérer un aggiornamento concer-
nant les hommes version XXIe siècle. Le diagnostic d’un malaise dans la virilité spécifique
à nos sociétés modernes ne date pas d’hier. Lacan, en 1938, rapportait déjà la dégrada-
tion du type viril à la décadence sociale de l’imago paternelle.
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En effet, la virilité en tant qu’elle désigne le principe mâle suppose une tension entre
deux pôles : celui du tous pareils et celui de l’homme d’exception. « S’il n’est pas de viri-
lité que la castration ne consacre 1 », on ne saurait la penser sans lien au Père. La virilité
fonctionne toujours suivant une structure de renvoi. Dans l’ordre des identifica-
tions : comme le notifie bien l’injonction « Sois un homme ! » (et non « Sois l ’homme »),
il s’agit de se conformer au modèle patriarcal et phallique dominant. Et dans la dimen-
sion de la jouissance : la virilité se trouve polarisée par le mirage de l’absolu, d’un point
hors castration, occupé par la figure mythique de celui qui posséderait toutes les femmes.
Que la virilité relève du semblant est une idée que Lacan a fait varier au cours de son
enseignement, anticipant les mutations contemporaines. Lorsqu’il formule la métaphore
paternelle, dans les années 1950, il confère à l’Œdipe la charge de faire entrer le petit
d’homme dans les normes du binaire sexuel telles qu’elles sont définies dans l’Autre.
L’accession au « type viril » suppose le passage par cette opération symbolique. Certes le
Phallus trouve alors sa tenue dans un Nom-du-Père consistant, mais le « faire-homme »
et le « faire signe à la fille qu’on l’est 2 » sont d’emblée abordés par Lacan à un niveau étho-
logique et référés aux prestiges imaginaires de la parade sexuelle. Suivant le fil du désir
puis de la jouissance, Lacan mettra toujours plus en exergue ce qui de la sexuation touche
au réel par delà les insignes et stéréotypes de genre et au-delà de l’Œdipe.
Aurélie Pfauwadel est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne.
1. Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine » (1958), Écrits, Paris, Seuil, coll. Champ
Freudien, 1966, p. 733.
2. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant (1970-1971), texte établi par J.-A. Miller,
Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 2006, p. 32. Ces références éthologiques sont présentes dès les premiers
Séminaires de Lacan.
1.

La Cause du désir no 95 5
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Éditorial

Au moment où Lacan énonce qu’il n’y a pas de rapport sexuel, le phallus se voit réduit
au statut de semblant : la pluralité des modes de jouir a évincé la domination de l’Un viril
sur la jouissance. La sexualité fait trou dans le réel 3, et la virilité comme fantasme qui y
répond concerne les sujets des deux sexes. La virilité comme sens sexuel qui pivote
« autour de cette forme grotesque 4 » apparaît dès lors comme une suppléance, et même
une défense relative au risque d’être précipité dans le trou du féminin.
Qu’il y ait des hommes et des femmes, « c’est d’abord une affaire de langage » et
pendant longtemps, la claire bipolarité des valeurs sexuelles est venue « suturer ce qu’il
en est du sexe 5 ». Seuls les discours énoncent ce qu’il conviendrait de faire pour être un
homme. Avec ses formules de la sexuation, Lacan conçoit une position masculine non
identitaire, qui ne se réfère à aucune substance, et ne relève pas non plus de la prédica-
tion (les hommes sont ceci ou cela). La binarité du sexe dépend du choix que fait le sujet
entre deux logiques, deux contraintes liées à l’écriture de la jouissance : entre le tout-
phallique viril et le pas-tout phallique féminin. Lacan distingue donc « la part dite
homme » de « la part femme des êtres parlants 6 ».
C’est pourquoi ce numéro se propose d’enquêter sur la diversité du masculin chez le
parlêtre, le nuancier des couleurs d’homme, plus ou moins couleur de femme : que les viri-
lités soient plurielles est un trait d’époque. Car la déconstruction des repères tradition-
nels de la masculinité produit en retour un renouveau des mouvements virilistes qui en
appellent autant au rétablissement du Phallus comme Nom-du-Père, qu’au déchaîne-
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ment d’une haine violemment sexiste et antiféministe. Là où le semblant phallique ne
régule plus si bien la jouissance par le symbolique, nous assistons au retour en force dans
le réel d’une virilité grimaçante, machiste et belliqueuse, qui s’affiche de façon toujours
plus décomplexée.
Comme en témoignent les psychanalystes qui ont écrit pour ce numéro, l’expérience
d’une analyse permet la traversée de l’aspiration à la virilité dans ses faces obscures, auto-
risant hommes et femmes, différemment, à rejoindre le chemin de leur désir. Cette voie
singulière est celle du symptôme, objet principal de « La Conférence à Genève sur le
symptôme » de Lacan, texte de référence dont nous voulons souligner l’importance de
le publier ici dans une version établie par les soins de J.-A. Miller. Ce texte est de ceux
qui causent le désir pour la psychanalyse – tel est le but premier de notre revue si bien
nommée. Vous verrez que LCD nouvelle mouture présente plusieurs rubriques inédites
que le nouveau comité de rédaction a conçues collectivement à cet effet !

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3. Cf. Lacan J., « Préface à L’Éveil du printemps », Autres écrits, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 2001, p. 562.
4. Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent » (1973-1974), leçon du 11 juin 1974, inédit.
5. Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire (1971-1972), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freu-
dien, 2011, p. 40.
6. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore (1972-1973), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien,
1975, p. 74.

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