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AU-DELÀ DU FANTASME, L’OUTREPASSE

Laurent Dupont

L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir »

2017/1 N° 95 | pages 146 à 149


ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040985
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2017-1-page-146.htm
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AU-DELÀ DU FANTASME, L’OUTREPASSE


Laurent Dupont

D
ans la « Proposition d’octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École 1 », Jacques
Lacan définit la fin de l’analyse par la traversée du fantasme. Au-delà, il s’agit
de témoigner de l’opacité de la jouissance qui est au cœur de chaque parlêtre.

M’en occuper avec enthousiasme

Chaque fois qu’il s’absentait, mon père me demandait de m’occuper de ma mère et


de mon frère – fierté et frayeur se mêlaient face à une mère pouvant s’absenter de la scène
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jusqu’à vouloir disparaître. M’en occuper avec enthousiasme était donc une réponse face à
cet espace qui s’ouvrait, hors de la mère, faisant surgir l’énigme du féminin. M’appuyer
sur cette demande du père, injonction et Idéal, me permettait de boucher ce qui se
présentait de la castration féminine. Fantasme de virilité 2, puisqu’il consiste à boucher
l’énigme du féminin et la confrontation à la castration par l’idée de pouvoir, faire quelque
chose, sauver la mère, soutenir le père…
Plus tard, je me choisirai d’autres pères et tenterai de créer un espace où me loger, d’où
me faire aimer et protéger d’eux, en répondant à la demande et m’en occuper avec enthou-
siasme, façon de faire consister mon être. Cela accompagnera mon parcours de publici-
taire, il en sera de même en rencontrant l’institution psychiatrique.

Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche

C’est le versant sacrificiel de ma position, au nom du père. La place du roi est occupée
par le père de substitution. La jouissance sacrificielle est une autre façon de dénier la
castration. L’objet commence à se dessiner : le regard. Ce repérage en séance fit émerger
le signifiant sacrifice que je décomposais en ça crie fils.
Ça crie fils est désarrimé de la chaîne signifiante, on ne peut rien dire d’autre. C’est
l’os du fantasme.
Laurent Dupont est psychanalyste, AE de l’École de la Cause freudienne.
1. Cf. Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, coll. Champ
Freudien, 2001, p. 243-258.
2. Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un » (2010-2011), enseignement prononcé dans le cadre du
département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 9 février 2011, inédit.

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Laurent Dupont, Au-delà du fantasme, l’outrepasse

Dire cela ne fait pas fin d’analyse. C’est dans la contingence de la séance, en en soule-
vant les termes et les articulations singulières que les poupées russes du fantasme se défont
jusqu’à la plus petite, celle qui dévoile le « c’est ça » du vide.

Le regard

S’en occuper avec enthousiasme à la place du père, implique en fait que si le regard
de ma mère se détournait de moi pour plonger dans « des abysses », au bord du passage
à l’acte, c’est moi qui nommais cela ainsi. L’angoisse tenait autant au risque qu’au senti-
ment de laisser tomber éprouvé dans la chute du regard. Mais ce regard qui chute, c’est
moi qui l’interprétais comme chute. Le regard est toujours logé au champ de l’Autre. Dès
lors, ce qui me regardait, c’était justement cette absence de regard porté sur moi. Ne plus
être vu de ma mère me confrontait à l’insupportable supposition d’une jouissance morti-
fère à l’œuvre chez elle, non sans le réel du passage à l’acte.
Faire tache dans le tableau, c’était être. Se faire voir par la parole, parler pour la sortir
de sa léthargie, mais surtout pour qu’elle me regarde à nouveau. La demande, Che vuoi ?,
est « le fondement réel de l’angoisse […]. “l’angoisse n’est pas sans objet”. Elle n’est pas sans
objet parce qu’elle a comme fondement réel ce qu’il y a de réel dans l’exigence pulsion-
nelle 3 ». Attribuer à l’Autre une demande inconditionnelle à combler me donnait un
appui d’être, pas sans symptôme. La petite mécanique de la pulsion, voir / être vu, se
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grippait au niveau de l’objet regard ; restait seulement la tache, se faire tache.
Il y a donc une réduction de la phrase du fantasme à un os : ça crie fils. Là, le fantasme
de virilité s’exprime clairement, me présenter comme corps à l’appel, Che vuoi ?, de
l’Autre. Il y a un refus du manque, le mien et celui de l’autre, une assomption de la viri-
lité comme étant celui qui peut répondre.
Cette traversée du fantasme a des effets dans le corps : sensation de vide, de soulage-
ment et de mal-être. Dire alors en séance que « ça ne crie pas fils », repérer que dans le
ça est engagée ma jouissance à incarner cette place, et surtout que « j’ai trop cru à tout
cela » furent pour moi la marque de la fin de l’analyse.
Pourtant, au moment d’aborder la procédure de la passe, un dégoût important m’ar-
rêta. Retour de l’opacité. La traversée du fantasme n’est pas une garantie.
L’objet a reste du côté de l’Être, de sa constitution, il est réponse du réel, il a valeur de
semblant face au non-rapport sexuel. C’est ce que cette tranche d’analyse fit surgir. Il y a un
au-delà du fantasme, un au-delà de l’articulation du sujet à son objet qui peut se logifier.

Au-delà du déchiffrement, l’outrepasse

Un changement d’analyste et un changement radical dans l’analyse. Le sens se vide,


le corps se fait plus présent. Les repérages ne se font plus dans le roman familial, mais
du côté des affects.

3. Ibid.

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Enjeux de la passe – Virilités, ce qu’en disent les A.E.

Après le rêve des Offices à Florence 4, j’éprouve la chute de la mortification – à la


fin de l’analyse il n’y a rien et rien ne peut représenter La femme. L’analyste bondit
pour ouvrir la porte et coupe ostensiblement le regard et la voix. Ces deux objets
surgissent dans la coupure même. Dans mon analyse précédente, durant dix-huit
ans, ma parole faisait le tour du corps de l’analyste et revenait arrimer le mien. Le
dispositif même de l’analyse me soutenait. Il fallait d’abord me couper de ma dépen-
dance au regard pour pouvoir libérer cette parole. Quand, reprenant Lacan dans
« Joyce le symptôme 5 », Jacques-Alain Miller dit que « l’autre en question, c’est le
corps 6 », cela pose la question de l’objet a, comme semblant d’être ; la passe n’est
donc pas seulement la traversée du fantasme, ni même l’extraction de l’objet mais
autre chose qui doit pouvoir nous conduire en ce lieu où « on puisse dire non à l’as-
piration à la virilié. […] on puisse dire non : non, je ne suis pas concerné par cette
volonté de castration 7 ». Soit dire oui au féminin. La position de l’analyste a à voir
avec la position féminine.

Parole et dégoût, fonction du sinthome

Ainsi, si le fantasme voile l’angoisse servant au refus de la féminité, il conjoint le


regard, comme objet, et la parole. La parole est à entendre dans ses divers attributs :
jouissance du blabla, mais qui doit en passer par le corps de l’autre, avoir un effet sur
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son corps qui fait retour sur le mien. Cela n’est pas sans évoquer le trajet de la pulsion
tel que Lacan le définit dans le Séminaire XI. C’est la pulsion invocante qui enserre
son objet. Le regard est une mesure, voir et être vu sont là convoqués. « Au niveau
scopique, nous ne sommes plus au niveau de la demande, mais du désir, du désir de
l’Autre. Il en est de même au niveau de la pulsion invocante, qui est la plus proche
de l’expérience de l’inconscient. 8 » Scruter l’Autre, c’est en faire émerger une
demande. La combler c’est museler cette demande dévoratrice. Le regard est la mesure
de cela, repérage et vérification de l’effet obtenu. Il mesure et crée la demande de
l’autre, et c’est le point d’où je vois que je suis vu dans l’effet de ma parole portée par
ma voix. Le regard et la voix sont une localisation et une récupération de cette jouis-
sance de la parole qui itère.

À la fin de l’analyse, au moment où chutent les objets a et où plus rien n’a de sens, il
y a une modification de la manière de faire avec cette jouissance à jamais inscrite. Il y a
une singularité, le fantasme de virilité : « Être le seul à pouvoir »… se transforme en un
éprouvé de solitude, féconde de faire avec le manque, ouvrant à la dimension de l’in-
vention. Bayard le chevalier sans peur et sans reproche cède peu à peu la place au

4. Cf. Dupont L., « La parole vive », La Cause du désir, no 92, avril 2016, p. 153.
5. Cf. Lacan J., « Joyce le Symptôme », Autres écrits, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 2001.
6. Miller J.-A. « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », op. cit.
7. Ibid., cours du 9 février 2011, inédit.
8. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1964), texte établi par J.-A. Miller,
Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1973, p. 96.

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guerrier appliqué 9. L’enthousiasme se modifie en une certaine joie de vivre. La parole


devient un style, mon style.
Malgré tout, cet au-delà n’est pas sans reste ; il y a une jouissance opaque qui a
toujours été là, et que je nomme le dégoût. Dire oui à la féminité dénude ce reste, ce
dégoût est dégoût du corps de l’Autre, de la mère, mais aussi trace vivante de l’horreur
de la castration féminine.
Je ferais donc l’hypothèse que le dégoût est la trace de l’horreur, de la saloperie et du
vivant qui palpite.
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9. Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse », (2008-2009), enseignement prononcé dans le cadre
du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 10 juin 2009, inédit.

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